L’Express de la semaine consacre sa couverture (puis un épais dossier) à : « L’Occident face à l’Islam ».
C’est, comme toujours quand la presse dominante consacre [1] des pages [2] aux musulman(e)s, d’un raffinement rare, et d’une objectivité qui ravit.
En guise d’introduction, L’Express nous dit que : « Des États-Unis à l’Europe, partout le débat s’envenime autour de la religion musulmane et des menaces que fait peser l’islamisme sur les sociétés occidentales » [3].
Par un astucieux glissement, nous passons par conséquent, et dans la même proposition, de « la religion musulmane » aux « menaces que fait peser l’islamisme sur les sociétés occidentales » : c’est assez caractéristique des amalgames où la presse dominante aime contenir « le débat » sur « la religion musulmane » (systématiquement ramenée, donc, aux « menaces » barbues qui enfreignent la tranquillité de Raymond Sacrédiou, garde-barrière à Combes-les-Collines (Woerth-et-Vauzelle)), mais ça n’empêche évidemment pas L’Express d’observer (pour le déplorer) qu’un tel « débat » fait « un terrain fertile pour les amalgames, les manipulations, l’exploitation des peurs » - et ça, n’est-ce pas, ce n’est pas bien, ce n’est pas convenable, et à L’Express, on n’est pas comme ça duuuuu tout, on n’est pas du genre qui se complaît dans « les amalgames » ou « l’exploitation des peurs », comme le prouve d’ailleurs nettement cette couverture, pleine de sobriété, où voisinent, sur fond d’un paysage typiquement bavarois et dans un restreint périmètre, les mots « islam », « terroriste », et « fondamentalistes ».
Nous autres, mâme Dupônt : nous n’amalgamons pas - ni ne manipulons, ni n’exploitons les peurs.
Nous autres, mâme Dupont : nous « décryptons » plutôt ce « dossier » (de « l’Occident face à l’Islam ») - et nous le décryptons « sans tabous », il va de soi.
(Non parce que très sincèrement, on veut bien être gentil(le)s, mais ça commence à bien faire, les tabous.)
La suite est, principalement, un long papier d’un certain Christian Makarian, qui raconte d’abord, histoire de bien planter le décor, qu’« en théorie, le XXIe siècle aurait pu être celui de l’Occident », puisque « ses ennemis avaient été mis à terre, un à un, qu’il s’agisse de ses propres pulsions dévastatrices - l’idéologie fasciste - ou de son farouche adversaire du XXe siècle, le bloc communiste érigé par l’URSS » [4].
(En journalisme, coco : l’« adversaire », surtout s’il est « communiste », est le plus souvent « farouche ».)
Mais on aurait tort de trop festoyer sur les ruines du fascisme et du soviétisme, car « cet héritage » - cet Occident libéré de ses pulsions et de son farouche adversaire - « semble aujourd’hui menacé ».
Anéfé, l’indiscutable « supériorité des valeurs occidentales » (des siècles d’illumination, et à la fin Brice Hortefeux ) « est d’un faible secours face à un faisceau convergent d’éruptions planétaires » dont nous comprenons (car nous décryptons sans tabous les complexités de la pensée christianmakarienne) qu’elles sont peu ou prou la continuation de « l’idéologie fasciste » et du totalitarisme rouge, et qui se répartissent comme suit : « Le populisme “néobolivarien” en Amérique latine, l’invocation des “valeurs asiatiques” en Asie orientale, des rémanences néo-impériales vaguement slavophiles en Russie, l’islamisme militant dans le monde musulman ».
Pour le dire autrement - et plus nettement : ça peut sembler fou, mais voilà que les Olmèques votent, et voilà que les niakoués se découvrent des « valeurs » (on croit véritablement rêver, mâme Dupont), et voilà que Popov nous refait le coup de l’Empire (vous allez voir qu’il va bientôt nous envahir l’Afghanistan pour y lever le joug religieux), et voilà que Mohamed lui-même, le bon Mohamed, oubliant qu’on lui a construit des routes au milieu des regs (et tout aussi bien des ergs, maintenant que j’y pense), laisse des maquis barbus dans les fonds du Niger.
Ingrat indigène !
Parmi ces multiples « cause(s) d’inquiétude », l’islamisme « est de loin celle qui engendre le plus de tensions », relève L’Express [5] : « Des États-Unis à la Hongrie, il n’est plus un pays » - sauf, peut-être, Monaco, mais ce n’est pas spécifié - « qui échappe à l’impression, diffuse mais tenace, que l’identité occidentale est confrontée à une sorte de défi géant lancé par l’islam ».
( ⎯ Dites-moi, Raymond, vous n’auriez pas comme une impression diffuse, mais tenace, durant que vous gardez vos barrières ?
⎯ Ah, si, maintenant que vous m’en parlez : je dois confesser qu’en apprenant que l’usine Moulitox de Tapecul-la-Rivière allait plansocialiser du smicard long comme le bras, j’ai pensé que l’identité occidentale était comme qui dirait confrontée à une sorte de défi géant lancé par l’islam.)
Bien évidemment, précise Christian Makarian : cette « impression, diffuse mais tenace », est en réalité un « funeste amalgame, qui se fait au détriment de millions de musulmans anonymes, soucieux avant tout d’intégration mais pris en otage par une noria de groupuscules agissant pour le compte d’un islamisme affiché et conquérant » [6].
D’où la question : « Comment décrypter la part d’irrationnel et de réel, dans cette frayeur collective de nouveau entretenue par des rumeurs récurrentes d’attentats terroristes » ?
(Ces mêmes « rumeurs » dont L’Express fait en couverture un gros titre annonçant « le retour de la menace terroriste » ?)
La bonne réponse est, chacun(e) l’aura deviné : en lisant le papier de Christian Makarian.
Et que dit ce papier (commencé par le rappel qu’il y eut, avant l’islam et Chavez, l’idéologie fasciste et l’adversité soviétique) ?
Ce papier dit que c’est pas bien du tout, de stigmatiser tou(te)s les musulman(e)s, et que, par exemple, nous devrions « oser » plutôt (un peu d’audace, que diable !) « un discours raisonnable pour éviter à la fois l’emploi du mot “islamophobie” (qui trouve son origine dans l’idéologie islamiste) ou, à l’opposé, celui d’“Eurabie” » - lequel ne trouve pas quant à lui son origine dans une quelconque idéologie, mais serait plutôt « né au Royaume-Uni en réaction au ghetto communautaire du “Londonistan” ».
Pour ce faire - pour oser un discours enfin raisonnable -, nous devons revenir « aux causes de la stigmatisation de l’immigration musulmane » (qui n’est donc pas du tout de l’islamophobie), et constater notamment que : « Le visage des sociétés européennes subit une transformation inéluctable sous l’effet de deux facteurs décisifs, qui doivent échapper à la polémique », Victor.
Facteur numéro un, l’Européen(ne) de vieille souche est moins peuplant(e), chez lui, que l’immigré(e) de plus fraîche date : nous avons eu 1,4 million d’Européen(ne)s de plus en 2009, et il y avait dans le tas 0,9 million d’immigré(e)s, « soit 60 % de la progression globale » [7].
Facteur numéro deux : « La part prépondérante prise par les immigrés originaires de pays de culture musulmane, et (...) leur affirmation identitaire, qui se fait d’abord par ostentation religieuse ».
(Typiquement : Abdel se pointe lundi au Franprix et se met à gueuler Allahouuuuu akbar.
C’est en effet de l’ostentation, et, forcément : ça fout les jetons.
Perso, je préfère t’en prévenir : j’ai aucune envie qu’un mahométan psalmodie, quand j’achète un kiwi.)
« Ce qui pose surtout problème », explique alors Christian Makarian (nous approchons à ce moment-là de la fin de son article, et il est temps pour lui de nous informer que nonobstant la bonne volonté dont il a jusqu’à présent fait montre, nous avons effectivement un « problème », avec les musulman(e)s), c’« est le désir d’identification islamique, qui entraîne une attitude de plus en plus revendicative ».
(Genre, mercredi, Abdel revient au Franprix, et cette fois-ci, galvanisé par son « désir d’identification islamique », déroule carrément son tapis de prière au milieu du rayon surgelés : samedi, parions, il posera des ceintures d’explosifs sur les radis [8].)
Dès lors, tu l’auras deviné : « Le pari de l’avenir consiste à voir advenir une synthèse entre l’islam de Mahomet et l’esprit critique occidental » [9] - connu sous le nom, aussi, de « supériorité des valeurs occidentales » -, comme dans une rédaction de Michel Onfray.
Cette synthèse porte un nom : c’est « l’islam des Lumières, somme toute ».
(Appelé aussi : « Une voie musulmane affranchie du carcan de la charia. »)
Et ça, n’est-ce pas : c’est loin - très loin - d’être gagné, « car, à l’heure actuelle, pris dans les rets des écoles coraniques traditionnelles, les musulmans européens représentent une proie de choix pour les prêcheurs accourus du Caire ou de Karachi ».
Narre Makarian.
Et dans la vraie vie, bien sûr : un tiers seulement des musulmans hexagonaux se déclarent croyants, et un quart seulement de ce tiers est constitué de « pratiquants réguliers » - comprendre qu’ils vont à la mosquée au moins une fois par mois.
En sorte qu’il faut avoir l’imagination prolixe, pour les représenter en fanatiques.
Mais le message « sans tabous » de L’Express est - bel et bien - que ces « millions de musulmans anonymes », finalement présentés comme des benêts manipulables comme point n’est permis et dont l’esprit critique, n’étant pas d’Occident, vaut à peu près celui d’une poule, sont les « proies » des fondamentalistes - et donc, une menace, diffuse, d’accord, mais tenace, où « la maladie de l’islam, cette mainmise de la religion sur toute la société et sur les comportements privés, se transfère à l’Europe ».
Cela dit, naturellement, loin de tout amalgame, de toute manipulation, de toute exploitation des peurs.