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Indigènes de la République

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Indigènes de la République - Page 14 Empty Re: Indigènes de la République

Message  Toussaint Mar 14 Oct - 2:56

des coups douloureux au gouvernement colonial par leurs aides
Very Happy
Mouais, je répète que les groups trotskystes de l'époque étaient des groupuscules à côté desquels LO et même le NPA feraient figure de partis ouvriers de masse. Et que l'opposition du PCF à la guerre d'Algérie fut pour dire le moins, à géométrie très variable, les quelques exemples de camarades ne sauraient rattraper l'ensemble du bilan honteux de ce parti complice de quasiment tous les crimes du colonialisme français jusqu'à aujourd'hui.
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Message  Roseau Mar 14 Oct - 3:47

Concernant l'alignement du PCF sur le colonialisme, toujours d'actualité,
je propose aux camarades de lire la lettre remarquable de Césaire, député PCF, à Thorez:

Aimé Césaire, Député de la Martinique,

à Maurice Thorez, Secrétaire Général du Parti Communiste Français.

Maurice Thorez,

Il me serait facile d’articuler tant à l’égard du Parti Communiste Français qu’à l’égard du Communisme International tel qu’il est patronné par l’Union Soviétique, une longue liste de griefs ou de désaccords.

La moisson a été particulièrement riche ces derniers temps et les révélations de Khrouchtchev sur Staline sont telles qu’elles ont plongé, ou du moins, je l’espère, tous ceux qui ont, à quelque degré que ce soit, participé à l’action communiste dans un abîme de stupeur, de douleur et de honte.

Oui, ces morts, ces torturés, ces suppliciés, ni les réhabilitations posthumes, ni les funérailles nationales, ni les discours officiels ne prévaudront contre eux. Ils ne sont pas de ceux dont on conjure le spectre par quelque phrase mécanique.

Désormais leur visage apparaît en filigrane dans la pâte même du système, comme l’obsession de notre échec et de notre humiliation.

Et bien entendu, ce n’est pas l’attitude du Parti Communiste Français, telle qu’elle a été définie en son XIVe Congrès, attitude qui semble avant tout avoir été dictée par le dérisoire souci des dirigeants de ne pas perdre la face, qui aura permis de dissiper le malaise et obtenu que cesse de s’ulcérer et de saigner au plus vif de nos consciences une blessure.

Les faits sont là, massifs.

Je cite pêle-mêle : les précisions données par Khrouchtchev sur les méthodes de Staline ; la vraie nature des rapports entre le pouvoir de l’Etat et la classe ouvrière dans trop de démocraties populaires, rapports qui nous font croire à l’existence dans ces pays d’un véritable capitalisme d’Etat exploitant la classe ouvrière de manière pas très différente de la manière dont on en use avec la classe ouvrière dans les pays capitalistes ; la conception généralement admise dans les partis communistes de type stalinien des relations entre états et partis frères, témoin le tombereau d’injures déversées pendant cinq ans sur la Yougoslavie coupable d’avoir affirmé sa volonté d’indépendance ; le manque de signes positifs indiquant la volonté du Parti Communiste Russe et de l’Etat soviétique d’accorder leur indépendance aux autres partis communistes et aux autres états socialistes ; ou alors le manque de hâte des partis non russes et singulièrement du Parti Communiste Français à s’emparer de cette offre et à affirmer leur indépendance à l’égard de la Russie ; tout cela nous autorise à dire que – exception faite pour la Yougoslavie – dans de nombreux pays d’Europe, et au nom du Socialisme, des bureaucraties coupées du peuple, des bureaucraties usurpatrices et dont il est maintenant prouvé qu’il n’y a rien à attendre, ont réussi la piteuse merveille de transformer en cauchemar ce que l’humanité a pendant longtemps caressé comme un rêve : le Socialisme.

Quant au Parti Communiste Français, on n’a pas pu ne pas être frappé par sa répugnance à s’engager dans les voies de la déstalinisation ; sa mauvaise volonté à condamner Staline et les méthodes qui l’ont conduit au crime ; son inaltérable satisfaction de soi ; son refus de renoncer pour sa part et en ce qui le concerne aux méthodes antidémocratiques chères à Staline ; bref par tout cela qui nous autorise à parler d’un stalinisme français qui a la vie plus dure que Staline lui,même et qui, on peut le conjecturer, aurait produit en France les mêmes catastrophiques effets qu’en Russie, si le hasard avait permis qu’en France il s’installât au pouvoir.

Ici comment taire notre déception ?

Il est très vrai de dire qu’au lendemain du rapport Khrouchtchev nous avons tressailli d’espérance.

On attendait du Parti Communiste Français une autocritique probe ; une désolidarisation d’avec le crime qui le disculpât ; pas un reniement, mais un nouveau et solennel départ ; quelque chose comme le Parti Communiste fondé une seconde fois... Au lieu qu’au Havre, nous n’avons vu qu’entêtement dans l’erreur ; persévérance dans le mensonge ; absurde prétention de ne s’être jamais trompé ; bref chez des pontifes plus que jamais pontifiant, une incapacité sénile à se déprendre de soi même pour se hausser au niveau de l’événement et toutes les ruses puériles d’un orgueil sacerdotal aux abois.

Quoi ! Tous les partis communistes bougent. Italie. Pologne. Hongrie. Chine. Et le parti français, au milieu du tourbillon général, se contemple lui, même et se dit satisfait. Jamais je n’ai eu autant conscience d’un tel retard historique affligeant un grand peuple...

Mais, quelque grave que soit ce grief – et à lui seul très suffisant car faillite d’un idéal et illustration pathétique de l’échec de toute une génération – je veux ajouter un certain nombre de considérations se rapportant à ma qualité d’homme de couleur.

Disons d’un mot : qu’à la lumière des événements (et réflexion faite sur les pratiques honteuses de l’antisémitisme qui ont eu cours et continuent encore semble-t-il à avoir cours dans des pays qui se réclament du socialisme), j’ai acquis la conviction que nos voies et celles du communisme tel qu’il est mis en pratique, ne se confondent pas purement et simplement ; qu’elles ne peuvent pas se confondre purement et simplement.

Un fait à mes yeux capital est celui-ci : que nous, hommes de couleur, en ce moment précis de l’évolution historique, avons, dans notre conscience, pris possession de tout le champ de notre singularité et que nous sommes prêts à assumer sur tous les plans et dans tous les domaines les responsabilités qui découlent de cette prise de conscience.

Singularité de notre « situation dans le monde » qui ne se confond avec nulle autre.

Singularité de nos problèmes qui ne se ramènent à nul autre problème.

Singularité de notre histoire coupée de terribles avatars qui n’appartiennent qu’à elle.

Singularité de notre culture que nous voulons vivre de manière de plus en plus réelle.

Qu’en résulte-t-il, sinon que nos voies vers l’avenir, je dis toutes nos voies, la voie politique comme la voie culturelle, ne sont pas toutes faites ; qu’elles sont à découvrir, et que les soins de cette découverte ne regardent que nous ? C’est assez dire que nous sommes convaincus que nos questions, ou si l’on veut la question coloniale, ne peut pas être traitée comme une partie d’un ensemble plus important, une partie sur laquelle d’autres pourront transiger ou passer tel compromis qu’il leur semblera juste de passer eu égard à une situation générale qu’ils auront seuls à apprécier.

Ici il est clair que je fais allusion au vote du Parti Communiste Français sur l’Algérie, vote par lequel le parti accordait au gouvernement Guy Mollet Lacoste les pleins pouvoirs pour sa politique en Afrique du Nord – éventualité dont nous n’avons aucune garantie qu’elle ne puisse se renouveler. En tout cas, il est constant que notre lutte, la lutte des peuples coloniaux contre le colonialisme, la lutte des peuples de couleur contre le racisme est beaucoup plus complexe – que dis-je, d’une tout autre nature que la lutte de l’ouvrier français contre le capitalisme français et ne saurait en aucune manière, être considérée comme une partie, un fragment de cette lutte.

Je me suis souvent posé la question de savoir si dans des sociétés comme les nôtres, rurales comme elles sont, les sociétés de paysannerie, où la classe ouvrière est infime et où par contre, les classes moyennes ont une importance politique sans rapport avec leur importance numérique réelle, les conditions politiques et sociales permettaient dans le contexte actuel, une action efficace d’organisations communistes agissant isolément (à plus forte raison d’organisations communistes fédérées ou inféodées au parti communiste de la métropole) et si, au lieu de rejeter à priori et au nom d’une idéologie exclusive, des hommes pourtant honnêtes et foncièrement anticolonialistes, il n’y avait pas plutôt lieu de rechercher une forme d’organisation aussi large et souple que possible, une forme d’organisation susceptible de donner élan au plus grand nombre, plutôt qu’à caporaliser un petit nombre. Une forme d’organisation où les marxistes seraient non pas noyés, mais où ils joueraient leur rôle de levain, d’inspirateur, d’orienteur et non celui qu’à présent ils jouent objectivement, de diviseurs des forces populaires.

L’impasse où nous sommes aujourd’hui aux Antilles, malgré nos succès électoraux, me paraît trancher la question : j’opte pour le plus large contre le plus étroit ; pour le mouvement qui nous met au coude à coude avec les autres et contre celui qui nous laisse entre nous ; pour celui qui rassemble les énergies contre celui qui les divise en chapelles, en sectes, en églises ; pour celui qui libère l’énergie créatrice des masses contre celui qui la canalise et finalement la stérilise.

En Europe, l’unité des forces de gauche est à l’ordre du jour ; les morceaux disjoints du mouvement progressiste tendent à se ressouder, et nul doute que ce mouvement d’unité deviendrait irrésistible si du côté des partis communistes staliniens, on se décidait à jeter par dessus bord tout l’impedimenta des préjugés, des habitudes et des méthodes hérités de Staline.

Nul doute que dans ce cas, toute raison, mieux, tout prétexte de bouder l’unité serait enlevé à ceux qui dans les autres partis de gauche ne veulent pas de l’unité, et que de ce fait les adversaires de l’unité se trouveraient isolés et réduits à l’impuissance.

Et alors, comment dans notre pays, où le plus souvent, la division est artificielle, venue du dehors, branchée qu’elle est sur les divisions européennes abusivement transplantées dans nos politiques locales, comment ne serions-nous pas décidés à sacrifier tout, je dis tout le secondaire, pour retrouver l’essentiel ; cette unité avec des frères, avec des camarades qui est le rempart de notre force et le gage de notre confiance en l’avenir.

D’ailleurs, ici, c’est la vie elle-même qui tranche. Voyez donc le grand souffle d’unité qui passe sur tous les pays noirs ! Voyez comme, çà et là, se remaille le tissu rompu ! C’est que l’expérience, une expérience durement acquise, nous a enseigné qu’il n’y a à notre disposition qu’une arme, une seule efficace, une seule non ébréchée : l’arme de l’unité, l’arme du rassemblement anticolonialiste de toutes les volontés, et que le temps de notre dispersion au gré du clivage des partis métropolitains est aussi le temps de notre faiblesse et de nos défaites.

Pour ma part, je crois que les peuples noirs sont riches d’énergie, de passion qu’il ne leur manque ni vigueur, ni imagination mais que ces forces ne peuvent que s’étioler dans des organisations qui ne leur sont pas propres, faites pour eux, faites par eux et adaptées à des fins qu’eux seuls peuvent déterminer.

Paternalisme et fraternalisme [1]

Ce n’est pas volonté de se battre seul et dédain de toute alliance. C’est volonté de ne pas confondre alliance et subordination. Solidarité et démission. Or c’est là très exactement de quoi nous menacent quelques uns des défauts très apparents que nous constatons chez les membres du Parti Communiste Français : leur assimilationisme invétéré ; leur chauvinisme inconscient ; leur conviction passablement primaire – qu’ils partagent avec les bourgeois européens – de la supériorité omnilatérale de l’Occident ; leur croyance que l’évolution telle qu’elle s’est opérée en Europe est la seule possible ; la seule désirable ; qu’elle est celle par laquelle le monde entier devra passer ; pour tout dire, leur croyance rarement avouée, mais réelle, à la civilisation avec un grand C ; au progrès avec un grand P (témoin leur hostilité à ce qu’ils appellent avec dédain le « relativisme culturel », tous défauts qui bien entendu culminent dans la gent littéraire qui à propos de tout et de rien dogmatise au nom du parti).

Il faut dire en passant que les communistes français ont été à bonne école. Celle de Staline. Et Staline est bel et bien celui qui a ré introduit dans la pensée socialiste, la notion de peuples « avancés » et de peuples « attardés ». Et s’il parle du devoir du peuple avancé (en l’espèce les Grands Russes) d’aider les peuples arriérés à rattraper leur retard, je ne sache pas que le paternalisme colonialiste proclame une autre prétention.

Dans le cas de Staline et de ses sectateurs, ce n’est peut-être pas de paternalisme qu’il s’agit. Mais c’est à coup sûr de quelque chose qui lui ressemble à s’y méprendre.

Inventons le mot : c’est du « fraternalisme ».

Car il s’agit bel et bien d’un frère, d’un grand frère qui, imbu de sa supériorité et sûr de son expérience, vous prend la main (d’une main hélas ! parfois rude) pour vous conduire sur la route où il sait se trouver la Raison et le Progrès.

Or c’est très exactement ce dont nous ne voulons pas. Ce dont nous ne voulons plus.

Nous voulons que nos sociétés s’élèvent à un degré supérieur de développement, mais d’ elles-mêmes, par croissance interne, par nécessité intérieure, par progrès organique, sans que rien d’extérieur vienne gauchir cette croissance, ou l’altérer ou la compromettre.

Dans ces conditions on comprend que nous ne puissions donner à personne délégation pour penser pour nous ; délégation pour chercher pour nous ; que nous ne puissions désormais accepter que qui que ce soit, fût-ce le meilleur de nos amis, se porte fort pour nous. Si le but de toute politique progressiste est de rendre un jour leur liberté aux peuples colonisés, au moins faut-il que l’action quotidienne des partis progressistes n’entre pas en contradiction avec la fin recherchée et ne détruise pas tous les jours les bases mêmes, les bases organisationnelles comme les bases psychologiques de cette future liberté, lesquelles se ramènent à un seul postulat : le droit à l’initiative.

Je crois en avoir assez dit pour faire comprendre que ce n’est ni le marxisme ni le communisme que je renie, que c’est l’usage que certains ont fait du marxisme et du communisme que je réprouve. Que ce que je veux, c’est que marxisme et communisme soient mis au service des peuples noirs, et non les peuples noirs au service du marxisme et du communisme. Que la doctrine et le mouvement soient faits pour les hommes, non les hommes pour la doctrine ou pour le mouvement. Et bien entendu cela n’est pas valable pour les seuls communistes. Et si j’étais chrétien ou musulman, je dirais la même chose. Qu’aucune doctrine ne vaut que repensée par nous, que repensée pour nous, que convertie à nous. Cela a l’air d’aller de soi. Et pourtant dans les faits cela ne va pas de soi.

Et c’est ici une véritable révolution copernicienne qu’il faut imposer, tant est enracinée en Europe, et dans tous les partis, et dans tous les domaines, de l’extrême droite à l’extrême gauche, l’habitude de faire pour nous, l’habitude de disposer pour nous, l’habitude de penser pour nous, bref l’habitude de nous contester ce droit à l’initiative dont je parlais tout à l’heure et qui est, en définitive, le droit à la personnalité.

C’est sans doute là l’essentiel de l’affaire.

Il existe un communisme chinois. Sans très bien le connaître, j’ai à son égard un préjugé des plus favorables. Et j’attends de lui qu’il ne verse pas dans les monstrueuses erreurs qui ont défiguré le communisme européen. Mais il m’intéresserait aussi et plus encore, de voir éclore et s’épanouir la variété africaine du communisme. Il nous proposerait sans doute des variantes utiles, précieuses, originales et nos vieilles sagesses nuanceraient, j’en suis sûr, ou compléteraient bien des points de la doctrine.

Mais je dis qu’il n’y aura jamais de variante africaine, ou malgache, ou antillaise du communisme, parce que le communisme français trouve plus commode de nous imposer la sienne. Qu’il n’y aura jamais de communisme africain, malgache ou antillais, parce que le Parti Communiste Français pense ses devoirs envers les peuples coloniaux en termes de magistère à exercer, et que l’anticolonialisme même des communistes français porte encore les stigmates de ce colonialisme qu’il combat. Ou encore, ce qui revient au même, qu’il n’y aura pas de communisme propre à chacun des pays coloniaux qui dépendent de la France, tant que les bureaux de la rue Saint- Georges, les bureaux de la section coloniale du Parti Communiste Français, ce parfait pendant du Ministère de la rue Oudinot, persisteront à penser à nos pays comme à terres de missions ou pays sous mandat. Pour revenir à notre propos, l’époque que nous vivons est sous le signe d’un double échec : l’un évident, depuis longtemps, celui du capitalisme. Mais aussi l’autre, celui, effroyable, de ce que pendant trop longtemps nous avons pris pour du socialisme ce qui n’était que du stalinisme. Le résultat est qu’à l’heure actuelle le monde est dans l’impasse.

Cela ne peut signifier qu’une chose : non pas qu’il n’y a pas de route pour en sortir, mais que l’heure est venue d’abandonner toutes les vieilles routes. Celles qui ont mené à l’imposture, à la tyrannie, au crime.

C’est assez dire que pour notre part, nous ne voulons plus nous contenter d’assister à la politique des autres. Au piétinement des autres. Aux combinaisons des autres. Aux rafistolages de consciences ou a la casuistique des autres.

L’heure de nous mêmes a sonné.

Et ce que je viens de dire des nègres n’est pas valable que pour les nègres. Oui tout peut encore être sauvé, tout, même le pseudo socialisme installé çà et là en Europe par Staline, à condition que l’initiative soit rendue aux peuples qui jusqu’id n’ont fait que la subir ; à condition que le pouvoir descende et s’enracine dans le peuple, et je ne cache pas que la fermentation qui se produit à l’heure actuelle en Pologne, par exemple, me remplit de joie et d’espoir.

Ici que l’on me permette de penser plus particulièrement à mon malheureux pays : la Martinique.

J’y pense pour constater que le Parti Communiste Français est dans l’incapacité absolue de lui offrir une quelconque perspective qui soit autre chose qu’utopique ; que le Parti Communiste Français ne s’est jamais soucié de lui en offrir ; qu’il n’a jamais pensé à nous qu’en fonction d’une stratégie mondiale au demeurant déroutante.

J’y pense pour constater que le communisme a achevé de lui passer autour du cou le noeud coulant de l’assimilation ; que le communisme a achevé de l’isoler dans le bassin caraïbe ; qu’il a achevé de le plonger dans une manière de ghetto insulaire ; qu’il a achevé de le couper des autres pays antillais dont l’expérience pourrait lui être à la fois instructive et fructueuse (car ils ont les mêmes problèmes que nous et leur évolution démocratique est impétueuse) : que le communisme enfin, a achevé de nous couper de l’Afrique Noire dont l’évolution se dessine désormais à contre-sens de la nôtre. Et pourtant cette Afrique Noire, la mère de notre culture et de notre civilisation antillaise, c’est d’elle que j’attends la régénération des Antilles, pas de l’Europe qui ne peut que parfaire notre aliénation, mais de l’Afrique qui seule peut revitaliser, repersonnaliser les Antilles.

Je sais bien. On nous offre en échange la solidarité avec le peuple français ; avec le prolétariat français, et à travers le communisme, avec les prolétariats mondiaux. Je ne nie pas ces réalités. Mais je ne veux pas ériger ces solidarités en métaphysique. Il n’y a pas d’alliés de droit divin. Il y a des alliés que nous impose le lieu, le moment et la nature des choses. Et si l’alliance avec le prolétariat français est exclusive, si elle tend à nous faire oublier ou contrarier d’autres alliances nécessaires et naturelles, légitimes et fécondantes, si le communisme saccage nos amitiés les plus vivifiantes, celle qui nous unit à l’Afrique, alors je dis que le communisme nous a rendu un bien mauvais service en nous faisant troquer la Fraternité vivante contre ce qui risque d’apparaître comme la plus froide des abstractions. Je préviens une objection. Provincialisme ? Non pas. Je ne m’enterre pas dans un particularisme étroit. Mais je ne veux pas non plus me perdre dans un universalisme décharné.

Il y a deux manières de se perdre : par ségrégation murée dans le particulier ou par dilution dans l’ « universel ».

Ma conception de l’universel est celle d’un universel riche de tout le particulier, riche de tous les particuliers, approfondissement et coexistence de tous les particuliers. Alors ? Alors il nous faudra avoir la patience de reprendre l’ouvrage, la force de refaire ce qui a été défait ; la force d’inventer au lieu de suivre ; la force « d’inventer » notre route et de la débarrasser des formes toutes faites, des formes pétrifiées qui l’obstruent. En bref, nous considérons désormais comme notre devoir de conjuguer nos efforts à ceux de tous les hommes épris de justice et de vérité pour bâtir des organisations susceptibles d’aider de manière probe et efficace les peuples noirs dans leur lutte pour aujourd’hui et pour demain : lutte pour la justice ; lutte pour la culture ; lutte pour la dignité et la liberté ; des organisations capables en un mot de les préparer dans tous les domaines à assumer de manière autonome les lourdes responsabilités que l’histoire en ce moment même fait peser si lourdement sur leurs épaules.

Dans ces conditions, je vous prie de recevoir ma démission de membre du Parti Communiste Français.

Aimé Césaire, Paris, le 24 octobre 1956
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Message  MO2014 Mar 14 Oct - 10:42

MO2014 a écrit:Dimanche 19 octobre, 14h30 à l'Iremmo, 5 rue Basse des Carmes - Paris - Métro Maubert Mutualité
Formations politiques du PIR : 17 octobre 61, un crime d’État


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Message  MO2014 Mar 14 Oct - 14:28



Cela s’est passé un 14 octobre 1960, El Moujahid publie un appel au français

Intitulé « De Gaule guillotine les patriotes algériens », l’article souligne comment « Le peuple français peut se voiler la face et feindre d’ignorer les assassinats et tortures, les horreurs de la guerre ou de la répression menées en son nom », convaincu qu’il n’est pas utile de s’émouvoir ou d’agir contre ces pratiques liées à la guerre, une fatalité contre laquelle on ne peut que croiser les bras et, surtout, détourner le regard.

S’en suit un appel lancé par la Fédération de France du FLN débute ainsi : « Peuple de France ! De Gaulle continue de faire monter sur l’échafaud les patriotes algériens. Rien qu’en France, huit membres de nos de nos groupes armés ont eu la tête tranchée depuis les entretiens de Melun. Au moment même où De Gaulle nous demande de « laisser le couteau au vestiaire », il manie sans discontinuer le couperet de sa guillotine ».

Citant des noms de militants guillotinés, l’appel poursuit sur la même lancée pour comparer la réaction des gouvernants français à celle des forces d’occupation allemandes en France durant la seconde guerre mondiale. De Gaulle qui accepte et endosse la responsabilité de guillotiner des fidaïyine considérant qu’ils ne peuvent avoir le statut de combattants, s’élevait contre l’exécution des combattants des Forces Françaises de l’Intérieur (FFI) par les forces d’occupation allemandes alors que, selon lui, ces FFI répondaient aux conditions générales fixées par le règlement annexé à la Convention de La Haye, du 18 octobre 1907 concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre.

L’appel raconte en détails les réactions et les agissements du gouvernement provisoire de De Gaulle. Et poursuit : «Peuple français ! On juge, on condamne, on guillotine en ton nom des hommes dont l’action n’est en rien différente de celle des résistants français exécutés par l’occupant allemand, hier Von Rundstedt fusillait les prisonniers français, aujourd’hui De Gaulle guillotine les patriotes algériens. Hier les nazis fusillaient les prisonniers français au Fort Montluc, aujourd’hui De Gaulle guillotine les Algériens au même Fort Montluc (…) Hier, De Gaulle dénonçait Von Rundstedt, aujourd’hui, De Gaulle s’identifie à Von Rundstedt ».

Et à la fin : «Peuple français ! Demain le peuple algérien ne pourra pas accepter de toi l’excuse de l’ignorance »

L’article poursuit avec la dernière lettre écrite par un fidaï avant son exécution, il s’agit de Abderrahman Lakhlifi, guillotiné le 30 juillet 1960 à Fort Montluc (Lyon) :

« Mon cher père, je meurs pour ma patrie, je ne suis pas un traitre, je meurs comme tant de mes frères. Chers parents, je vous demande pardon pour la peine que je vous fais. Mais j’ai vécu pour mon peuple, je ne suis ni un voleur, ni un malfaiteur. J’ai œuvré pour l’indépendance de mon pays. Je suis sûr en mourant que ma patrie vivra indépendante et libre. Je vous embrasse, à tous de toute mon affection. »

L’article s’achève sur une autre liste de patriotes exécutés en Algérie, sur ordre de De Gaulle qui a rejeté leur pourvoi.

Z.M.

Sources : El Moudjahid du 14 octobre 1960, N° 71
http://www.babzman.com/2014/cela-sest-passe-un-14-octobre-1960-el-moujahid-publie-un-appel-au-francais/

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Message  MO2014 Jeu 16 Oct - 1:22

Massacre du 17 octobre 61: au dessus de Papon, de Gaulle !

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Le 17 octobre 1961, il y a 51 ans, la république française ordonna et organisa avec le concours de toutes les structures de son Etat, le massacre de plusieurs centaines de ses propres ressortissants Algériens coupables d’avoir manifesté pour leur dignité et l’indépendance de leur pays, l’Algérie.

Depuis 51 ans, pour se donner bonne conscience les bonnes âmes de ce pays nous servent la légende d’un Maurice Papon préfet de police de Paris qui aurait agi seul en outrepassant les ordres reçus et le mythe d’une opposition de gauche qui unanime aurait protesté contre ce massacre.
Depuis 51 ans, les gouvernements successifs, de gauche comme de droite, y compris le pouvoir socialiste actuel, n’ont eu de cesse que de tenter de masquer la responsabilité de tout l’appareil d’Etat et le silence complice de l’opposition de gauche dans cette monstruosité.
Si depuis 51 ans le pouvoir français et la classe politique de gauche comme de droite, refusent la mise en place d’une commission d’enquête indépendante, l’ouverture totale des archives et la poursuite des responsables de ce crime d’Etat encore en vie, c’est pour que n’éclate au grand jour la collusion raciste qui a présidé à ce massacre et qui anime toujours la classe politique et ses supporters.

Nous déclarons qu’un crime sans criminels, cela n’est pas possible. Nous disons que quelques plaques confuses et une reconnaissance superficielle du massacre du 17 octobre, sans désignation précise des coupables tant policiers que politiques ne sauraient satisfaire notre exigence de justice et ne sont que poudre aux yeux.


Pourtant les responsables sont connus depuis le chef de l’Etat, Charles de Gaulle, le chef du gouvernement, Michel Debré, le ministre de l’intérieur, Roger Frey, jusqu’aux ministres des transports, Robert Buron qui organisa le transport des manifestants arrêtés, celui de la jeunesse et des sports, qui réquisitionna les stades et salles où seront séquestrés et torturés pendant une semaine, les manifestants arrêtés, en passant par le ministre des armées, Pierre Messmer qui mit les forces armées à la disposition de la répression.

Nous déclarons que jamais nous n’accepterons la chape de silence maintenue sur ce crime comme nous n’accepterons jamais de nous taire devant les crimes policiers qui depuis tant d’années ensanglantent les quartiers populaires et endeuillent les populations issues de l’immigration postcoloniale. Car c’est bien le même racisme colonial qui est à l’œuvre, hier comme aujourd’hui. Un racisme qui innocente les criminels et bafoue notre désir d’émancipation.

Les martyrs du 17 octobre 61 sont morts parce qu’ils exigeaient dignité et respect. Ce sont ces mêmes dignité et respect que nous défendons aujourd’hui lorsque nous dénonçons les mesures racistes du gouvernement Hollande-Ayrault-Valls à l’encontre des Roms, celles interdisant aux musulmans indignés par les caricatures du Prophète de manifester ou bien encore les crimes policiers comme celui qui a frappé notre frère Ali Ziri, âgé de 69 ans et pour lequel le procureur vient de requérir un non-lieu.

La vague d’islamophobie et de négrophobie sans précédent qui s’affiche maintenant au grand jour, l’idéologie suprémaciste blanche qui désormais est assumée sans complexe par des politiques, des policiers, des magistrats et leurs affidés, sont dans la droite ligne du crime du 17 octobre 61. Seule notre détermination portée par le souffle de nos martyrs d’il y a 51 ans pourra les contrer. C’est la raison de notre présence sur le Pont Saint- Michel en ce 17 octobre 2012.

PIR
Rassemblement à 18h sur le pont Saint-Michel
le 17 octobre 2012 en commémoration du 17 octobre 1961

MO2014

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Message  MO2014 Ven 17 Oct - 10:32

MO2014 a écrit:Dimanche 19 octobre, 14h30 à l'Iremmo, 5 rue Basse des Carmes - Paris - Métro Maubert Mutualité
Formations politiques du PIR : 17 octobre 61, un crime d’État

17 Octobre 1961 à Paris : La formidable explosion de l’émigration invisible (1re partie)


L’histoire de la journée du 17 Octobre 1961 est loin d’être écrite. Ce soir-là, les émigrés algériens ont écrit avec leur sang l’une des plus mémorables pages de leur histoire. En ce sens elle fut grandiose, de par le poids de la participation que l’émigration algérienne avait versé au combat algérien pour l’indépendance, mais elle fut aussi triste et tragique de par le lourd tribut qu’elle a dû payer et qui se chiffrait par centaines de morts et de blessés, des milliers d’arrestations et des centaines de disparus.

L’histoire des événements du 17 Octobre reste à ce jour parcellaire. Tant que les archives diverses et surtout policières n’ont pas été ouvertes aux historiens et que celles de la Fédération de France du FLN ne seront pas mises à la disposition des spécialistes, nous serons obligés de faire avec ce qu’on a : c’est-à-dire les comptes rendus de presse, les témoignages et quelques ouvrages qui traitent de la question.

Le thème que j’ai choisi d’aborder avec vous aujourd’hui se rapporte bien sûr à la manifestation du 17 Octobre 1961, mais aussi au choc, à la formidable explosion aussi réelle et concrète que symbolique qui s’est réalisée ce soir-là par l’entrée en scène surprenante et surtout inattendue de plus de 30 000 pour certains, voire 50 000 ou 60 000 Algériens, hommes, femmes et enfants qui ont investi Paris et occupé une vingtaine de boulevards, d’avenues et de rues des plus illustres de la capitale française pendant toute la soirée et une bonne partie de la nuit du 17 octobre, mais aussi pendant les journées des 18 et 19 octobre.

Cette émergence explosive sur la scène sociale et politique ne restera pas sans conséquences politiques sur les Français, citoyens, associations et partis, ainsi que sur le gouvernement. On peut se demander tout d’abord qui étaient tous ces acteurs de la manifestation, intrus aux yeux de beaucoup de Français, et d’où venaient-ils. Faisons ensemble un rapide tour d’horizon.

- Les acteurs du drame : émigrés et ghettos

Qui sont-ils et d’où sortent-ils, ces émigrés émergeant d’espaces inconnus et jusqu’alors obscurs ? La présence des émigrés algériens en France est bien sûr ancienne. Mais pour de nombreux Français il y avait presque toujours coexistence, mais souvent ignorance. Au sein de la société française, les étrangers étaient la plupart du temps invisibles et occupaient des espaces inconnus de beaucoup de métropolitains. Sur les lieux de travail, les Français les côtoyaient certes, mais les rapports étaient très réduits. Dans les espaces sociaux, il n’y eut en vérité aucune politique d’accueil, ni de la part du gouvernement ni de celle du patronat. La construction de logements sociaux ou collectifs ne fut l’apanage ni des autorités ni de celles d’initiatives privées et les logements individuels furent encore d’une extrême rareté.

Et pour savoir de qui on parle et sans entrer dans les détails statistiques de cette communauté, on peut dire d’emblée que leur évaluation normative a toujours été difficile. De la Première Guerre mondiale au Front populaire, leur chiffre a évolué progressivement, s’élargissant au cours du deuxième conflit mondial et se voyant pratiquement triplé peu avant l’indépendance de l’Algérie. Durant sa première phase, l’évaluation globale de cette émigration a pu réunir une majorité d’auteurs autour des chiffres de 100 000 à 120 000 Algériens présents sur le sol métropolitain. Mais rapidement, dès le centenaire de la conquête et surtout après le Front populaire, cette population dépassa largement les 130 000 émigrés.

A partir des années 1944, elle connaît une croissance soutenue et régulière. En 1954 ils sont déjà 212 000 Algériens. L’émigration algérienne commence à s’orienter vers une situation plus durable et à avoir un caractère plus massif qui se développa même après 1962. Ainsi, à la veille de l’indépendance algérienne, son chiffre passe à 350 000 personnes, dont 202 000 Algériens actifs, faisant ainsi de l’émigration algérienne, la composante de tête parmi les autres groupes d’étrangers. Cette dernière ne se remarquait pas seulement par son volume, mais elle se distinguait aussi par sa composante.

- Composition de l’émigration algérienne

A la différence des autres émigrations étrangères en France, l’algérienne avait des traits bien singuliers. Ses premières strates sont surtout formées de célibataires, hommes venus seuls. Cependant la plupart étaient investis d’une lourde responsabilité et fortement attachés au milieu paysan d’origine. C’était des sortes de «délégués familiaux» choisis par le «conseil de famille» et dont le but était de sortir la famille de l’atroce misère due à la colonisation et de libérer la «terre ancestrale» des mains des créanciers rapaces, suite aux expropriations et autres spoliations coloniales.

Ces premières stratifications ont constitué le plus grand nombre. Ils avaient déjà tout perdu ou presque, ils n’avaient plus rien à perdre et étaient donc prêts à tout pour tenir leur revanche sur les colons et la métropole. Mais du point de vue structurel, à partir de 1949, la structure de l’émigration algérienne va changer et va contribuer ainsi à réunir les facteurs de sa propre reproduction, c’est-à-dire qu’elle va s’élargir aux femmes, épouses et enfants : on parle alors du début de l’émigration familiale. Les chiffres sont ici plus difficiles à trouver.

Nous pouvons quand même les évaluer dès 1949, puis de 1954 à 1962 à près de 2000 familles, voire légèrement plus. Remarquons ici que jusqu’à 1962, peu d’auteurs ont parlé des enfants de l’émigration, ce qui entraîne que les principaux acteurs des manifestations sanglantes de Paris étaient majoritairement des hommes, avec des femmes et des épouses associées à l’événement, mais en nombre moins important. Cette représentation sociologique n’excluait pas une présence variée de manifestants issus des différentes catégories professionnelles composant la communauté algérienne en exil.

- Répartition professionnelle

Les Algériens étaient présents en nombre appréciable dans différents secteurs industriels. Le bâtiment et les travaux publics en absorbaient beaucoup ainsi que les industries chimiques, mécaniques et électriques. Le reste se répartissait dans les industries textiles, dans le secteur de la métallurgie et une proportion non négligeable dans les services. Sur ces questions, le lecteur pourra puiser de plus amples informations dans notre ouvrage(1) pour une analyse en profondeur.

Il faut noter que la plupart des éléments formant cette émigration algérienne restent majoritairement des ouvriers. Beaucoup d’exilés sont restés manœuvres, un pourcentage moins important était constitué d’ouvriers qualifiés ou spécialisés, tandis qu’au sommet de la pyramide, les techniciens et les postes moyens et supérieurs, toutes branches confondues, représentaient une faible proportion.  Au sein de cette communauté des catégories plus aisées ont vu le jour : des colporteurs d’abord, puis de plus en plus de commerçants.

Enfin, à côté de ces catégories aisées, une petite minorité d’étudiants s’est constituée, formant ainsi une émigration de luxe. Parmi les acteurs du drame d’Octobre 1961, nous retrouvons fidèlement reproduit ce schéma de la pyramide. Les catégories inférieures constituant la base ouvrière de la communauté algérienne étaient fortement mobilisées en région parisienne, avec aussi de nombreux commerçants.

Cependant, les ouvrages consultés, pas plus que les témoignages de Omar Boudaoud et de Ali Haroun n’évoquent pas la présence des étudiants algériens, ni en tant qu’individus ni sous la forme d’une action de leur organisation estudiantine, à l’exclusion des intellectuels membres de l’organisation du FLN. Il faut dire que le regroupement ethnique et familial, villageois et régional facilitait au FLN l’accès à ces espaces particuliers et le recours à la propagande dans la langue des originaires des différents «douars ». Abandonnés de tous, institutions étatiques et organisations patronales en tête, ils vont se regrouper dans des espaces d’habitations communautaires aux allures de ghettos, plus connus sous les appellations «Café-Hôtel-Garni».

Livrés à eux-mêmes, c’est dans cet espace spécifique qu’est le «Café-Hôtel-Garni» ou «l’hôtel meublé», par abréviation le «meublé», que le plus souvent ces «délégués familiaux», presque tous célibataires, vont élire domicile. Quelques rares auteurs, comme Jean Jacques Rager, avaient bien signalé les multiples dangers et maladies dont les ouvriers émigrés étaient devenus la proie et qui étaient bel et bien le produit des lamentables conditions de vie qui leur étaient réservées en métropole. La meilleure année aurait été la lutte contre ces taudis, mais aucune action préventive ne fut menée, souligne encore J. J. Rager.

Cependant, ni les bonnes intentions gouvernementales exprimées çà et là, ni les projets de mise en place d’infrastructures d’accueil pour les Algériens ne se concrétisèrent, faute d’argent et de volonté. Et cet aspect avait largement duré, de la Première Guerre mondiale à la post-indépendance. Pour mémoire, les premiers arrivants, appelés en France pour les besoins de la guerre et de l’économie française ne trouvèrent aucune structure d’accueil. Durant cette première phase, la majorité de ces «isolés» avaient été pris en charge par les structures de l’armée.

Les besoins de reconstruction d’après-guerre, toutes deux confondues, ne semblent pas avoir décidé l’Etat ou le patronat français à offrir des structures adéquates pour loger les «nouveaux sidi» à Paris ou en Provence. Bien après l’armistice de 1945 et le 1er Novembre 1954, donc assez tardivement, le concept de «foyer pour émigrés» va se frayer timidement une place dans les décors français ouvriers. Ces lentes expériences culmineront dans la création de «foyers Sonacotra» peu avant l’indépendance et seront d’ailleurs fortement surveillés par l’administration. Ainsi donc, les espaces qui ont fourni le gros des troupes des insurgés du 17 Octobre 1961 à Paris, pour insalubres qu’on les ait jugés, furent pourtant les seuls «flots» qui abritèrent leurs joies, leurs peines et leurs rancœurs et qui leur donnèrent un peu de chaleur en les retrempant dans l’ambiance du bled.

Hôtel-Café-Garni furent et restèrent un seul et même espace. Dans la vie sociale des Algériens émigrés, un rôle d’une importance extrême sera joué par ce dernier. Pour en dire quelques mots au lecteur non initié, ce lieu collectif remplissait plusieurs fonctions dont celles de la restauration, d’habitation et de loisirs : boîte postale, transit, rencontres, échange  et délassement le spécifiaient souvent. Du coup la vie des émigrés algériens s’insérait dans un circuit très court : travail, transport, «meublé». Leur vie dans ce cadre trop étroit se déroulait dans des sortes d’isolats, de «lofts» pour utiliser un jargon plus actuel, qui les maintenaient souvent coupés de l’extérieur et de la vie française. Hormis pour quelques achats et autres courses et de temps à autre quelques balades qui les poussaient dans des «quartiers arabes» à forte concentration d’émigrés type Barbès, ils ne quittaient guère, en réalité, le circuit tracé évoqué plus haut.

La description du «bastion migratoire», la plus saisissante nous est faite par Jean Morizot «Le café, le garni, l’hôtel ont joué un rôle essentiel dans la vie de tous les migrants», écrit-il. «Ceux d’Algérie ne partaient qu’après avoir noté l’adresse, ou les adresses, des établissements tenus par les gens de leur village, c’est là qu’ils se dirigeaient dès leur arrivée, qu’ils obtenaient crédit, qu’ils se logeaient et se nourrissaient au moins provisoirement. C’est là qu’ils étaient aussitôt mis au courant des possibilités d’emploi et qu’ils étaient aidés dans leurs premières démarches. C’est là enfin, qu’ils se retrouvaient, qu’ils échangeaient les nouvelles du pays, qu’ils se réconfortaient en cas de besoin, et que s’exprimait de toute manière leur esprit d’entraide» (2).

Le Café-Hôtel-Garni se présentera comme un lieu d’action politique, tant pour la propagande et la sensibilisation que pour l’organisation et la mobilisation des «frères algériens émigrés», pour les militants de la Fédération de France du F.L.N. Contrairement aux partis politiques français dont les militants se plaignaient de «l’hermétisme» du milieu émigré algérien, les partisans du FLN, à la suite de ceux de l’ENA et du PPA surent s’adapter aux particularités de ces communautés. Ainsi le Café-Hôtel-Garni n’aura pas exclusivement la particularité nationale, mais il sera fidèle à sa matrice originelle, il aura souvent un caractère ethnique, villageois, local et régional.

Selon Louis Milliot, «on trouvait le café des gens du Guergour, celui de Tigzirt, ou encore celui de Mekla»(3) et la propagande et les discours du FLN se feront en kabyle, en arabe ou en chaouia, selon les cas. Ainsi donc, Paris est à l’image de ce que Mlle Marty avait observé pour l’émigration antérieure des Algériens à Tunis. On retrouve le Café des Kabyles, celui des Khenchelois, le souk des Touati, etc. «Le café, écrit-elle, c’est à la fois le souk, la djemâa, le village».(4) Lieu de regroupement, cet espace est aussi un lieu de relais indispensable.

Pour les militants FLN, il sert aussi d’excellente «boîte postale». A l’Hôtel-Café-Garni, les émigrés, fuyant les endroits où se manifeste un certain «ethos de classe», comme dirait Pierre Bourdieu, les émigrés se sentaient entre eux, souvent chez eux. Venant souvent d’un même douar, confrontés au même sort, brimés par le même code de l’indigénat, le racisme et la xénophobie qu’ils rencontraient sur les lieux de travail, dans la rue et le quartier, ces émigrés d’Algérie vont éprouver le même sentiment, le même élan de solidarité et d’appartenance à la même communauté nationale. De nombreux auteurs parlant de leur mode de vie et de ces bidonvilles vont parler de ghettos. Et les dures conditions de vie du ghetto vont pousser ces milliers d’Algériens à se libérer.

D’autant que, selon Gilbert Meynier, «Tous les documents de la Fédération de France consultés font état d’un redoublement de la répression pendant la dernière année de la guerre».(5) Et différents types et formes de répression subies par l’émigration algérienne, surtout depuis le début de la guerre et particulièrement depuis les attentats organisés par le FLN en  France, vont encore accentuer la pression sur les habitants des ghettos. C’est ainsi que Gilbert Meynier note encore dans ce même ouvrage que «par ailleurs, la manifestation était ardemment demandée par la base de l’émigration, sous pression depuis sept ans, vivant dans un ghetto, subissant continuellement brimades et· humiliations de la part de la police française et des supplétifs (harkis)».

(A suivre)

Kamel Bouguessa
http://www.elwatan.com/contributions/17-octobre-1961-a-paris-la-formidable-explosion-de-l-emigration-invisible-1re-partie-16-10-2014-274480_120.php[/quote]

MO2014

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Message  verié2 Ven 17 Oct - 11:15



la formidable explosion aussi réelle et concrète que symbolique qui s’est réalisée ce soir-là par l’entrée en scène surprenante et surtout inattendue de plus de 30 000 pour certains, voire 50 000 ou 60 000 Algériens, hommes, femmes et enfants qui ont investi la formidable explosion aussi réelle et concrète que symbolique qui s’est réalisée ce soir-là par l’entrée en scène surprenante et surtout inattendue de plus de 30 000 pour certains, voire 50 000 ou 60 000 Algériens, hommes, femmes et enfants qui ont investi Paris Paris
Cette mobilisation des travailleurs algériens immigrés n'est pas absolument nouvelle. Le 14 juillet 1953, des milliers d'Algériens organisés par le MTLD ont manifesté derrière le cortège syndical - à cette époque il y avait un défilé pour le 14 juillet. La police a tiré dans le tas. Il y a eu 6 morts algériens et un mort français (militant CGT de la métallurgie)

On peut voir à ce propos le film de Daniel Klupferstein, où l'on voit en particulier l'organisation impressionnante des Algériens, avec un SO impeccable. Mais ce massacre a laissé moins de traces dans l'histoire que ceux du 17 octobre et de Charonne, peut-être en raison du rôle du MTLD qui a scissionné ensuite entre Messalistes et futur FLN...

verié2

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Message  MO2014 Dim 19 Oct - 10:23

Dimanche 19 octobre, 14h30 à l'Iremmo, 5 rue Basse des Carmes - Paris - Métro Maubert Mutualité
Formations politiques du PIR : 17 octobre 61, un crime d’État

La première partie https://forummarxiste.forum-actif.net/t1079p330-indigenes-de-la-republique#95963


17 Octobre 1961 à Paris : La formidable explosion de l’émigration invisible (2e partie)

Faut-il faire remarquer encore, si besoin est, que le monde des ghettos est resté largement méconnu, non seulement par l’opinion mais aussi pas les spécialistes. Cinq ans après les événements du 17 Octobre, un recensement concernant les bidonvilles n’arrive à présenter qu’une évaluation provisoire et incomplète selon ses auteurs.

Ce qu’on appelle les «micro-bidonvilles» (de moins de 30 personnes) ont été exclus du recensement réalisé en 1966 et les chiffres les concernant s’en sont trouvés amoindris. «Pour 75 346 personnes habitants dans les bidonvilles français, 62,1 % résidaient dans la région parisienne, c’est-à-dire 46 827 individus, ce qui représente 119 bidonvilles pour 255 sur tout le territoire.»(1)
Pour la région parisienne qui regroupe près de la moitié des émigrés algériens, voici, par ordre d’importance, les bidonvilles les plus importants :

-Champigny 14 025 habitants (premier bidonville de France)
- Nanterre  9737 habitants
- Saint Denis 4803 habitants
- La Courneuve 2355 habitants
- Genevilliers 2292 habitants.

Un auteur tunisien note dans son ouvrage sur l’émigration maghrébine que 55% des populations des bidonvilles sont constitués par des célibataires ou isolés, et ce, pour la région parisienne, tandis que dans le reste de la France les familles sont plus représentatives et constituent 75% de la population.(2) Et pour avoir une idée comparative sur les habitants des bidonvilles, notons que les Nord-Africains venaient en tête puisqu’ils étaient 20436 en région parisienne devant 116 Français et 15 311 Portugais.

Dans les bidonvilles de toute la France les Maghrébins étaient 31 791 devant 5 907 Français et 15 540 Portugais, représentant ainsi en pourcentage de la population des bidonvilles 42,1% de Nord-Africains, 7,8% de Français et 20,6% de Portugais. C’est dire que les Maghrébins étaient les plus nombreux et que les Algériens représentaient le plus grand nombre. On peut donc dire que le logement social des émigrés avant 1962 était plutôt sommaire, le plus souvent en «meublé».

Quelquefois en logement individuel, mais il s’agit surtout de structures désertées par les Français et bien des fois ne correspondant pas au minimum d’hygiène et de fonctionnalité requis — les HLM qui datent de 1959 ne profiteront que bien plus tardivement à l’émigration familiale des étrangers — Au 31 décembre 1967, six ans après les événements d’octobre, il n’y avait que 200 logements HLM ou à normes HLM auxquels ont accédé ces étrangers d’une manière globale. Quant aux foyers «de promotion», plus connus sous le nom de «foyers Sonacotra», leur construction et la gestion des foyers hôtels sur l’ensemble de la France ne date que de 1957. Au moment des événements d’Octobre 1961, les Algériens qui ont pu y accéder était insignifiants.

Enfin, il y avait des «foyers économiques» à équipement sommaire et collectif réalisés à partir de rénovation d’immeubles anciens ou d’aménagement d’ateliers ou d’entrepôts et qui se prêtaient beaucoup plus aux opérations d’urgence et avaient donc un caractère provisoire. C’est dire qu’en comparaison avec le Café-Hôtel-Garni, les ghettos et les logements insalubres étaient beaucoup plus le lot commun de la plupart des émigrés algériens avant l’indépendance.

Et le poids sociologique de l’émigration algérienne était d’une telle importance qu’on estimait à cette époque que un Algérien sur sept s’emploie en métropole et qu’un Algérien sur quatre y aura vécu. Le «ghetto» et ces centaines de Café-Hôtel-Garni et autres «meublés» ont pu ainsi constituer un espace sordide d’accueil, un bastion de l’ombre où tant de frustrations, de révoltes contenues, de répression et de brimades au quotidien et d’exclusion ont été accumulées qu’elles ne demandaient qu’à s’exprimer.

Cette sorte de «bombe sociale» était, à la veille des événements d’Octobre 1961, toute prête à exploser. Son déclenchement sera offert par les manifestations des 17, 18 et 19 octobre que la Fédération de France du FLN sera appelée à organiser à Paris, pour répondre aux mesures répressives prises par le préfet Maurice Papon.

Le couvre-feu du 6 octobre 1961 : une interdiction provocatrice

Il s’agit bien sûr du prétexte ou du moyen utilisé par le préfet de Paris, pour porter un coup aux activités du FLN à Paris. C’est l’élément apparent. Le 6 octobre, le cabinet du préfet publie le communiqué suivant : «Dans le but de mettre un terme sans délai aux agissements criminels des terroristes, des mesures nouvelles viennent d’être décidées par la préfecture de police. En vue d’en faciliter l’exécution, il est conseillé de la façon la plus pressante aux travailleurs algériens de s’abstenir de circuler la nuit dans les rues de Paris et de la banlieue parisienne. et plus particulièrement de 20h30 à 5h30 du matin.

Ceux qui, par leur travail, seraient dans la nécessité de circuler pendant ces heures, pourront demander au secteur d’assistance technique de leur quartier ou de leur circonscription une attestation qui leur sera accordée, après justification de leur requête. D’autre part, il a été constaté que les attentats sont la plupart, du temps le fait de trois ou quatre, hommes. En conséquence, il est très vivement recommandé aux Français musulmans de circuler isolément, les petits groupes risquant de paraître suspects aux rondes et patrouilles de police. Enfin, le préfet a décidé que les débits de boissons tenus et fréquentés par les Français musulmans d’Algérie doivent fermer chaque jour à 19 heures.»

C’était une véritable déclaration de guerre à toute la communauté algérienne

L’analyse du comité fédéraI de la Fédération de France du FLN ne se trompe pas sur les véritables intentions du sinistre Papon et de son ministre de l’Intérieur, Roger Frey. Ali Haroun, dans son livre sur la 7e Wilaya, nous précise que la région parisienne est spécialement visée. Roger Frey, selon Haroun, avoue le 13 octobre que les mesures prises doivent «ébranler l’organisation rebelle et arriver peu à peu à la démanteler». Et il ajoute : «L’institution d’un couvre-feu spécial pour les Algériens, malgré sa formulation de ‘conseil’, se traduit en un texte d’exception qui aggrave de façon dramatique et insupportable la situation des travailleurs  Algériens.»

Les soumettant à un régime discriminatoire de caractère raciste, il empêche un grand nombre d’entre eux de prendre leur repas du soir, leur interdit les emplois qui les feraient circuler hors des heures permises et les livre encore plus complètement aux visites domiciliaires aux rafles des policiers, lesquels d’ailleurs déchirent sans les tire, les «autorisations de circuler après 20 heures» délivrées par les employeurs et visées par la préfecture». L’auteur s’appuyant ici sur une brochure éditée par le GPRA en décembre 1961 et intitulée Les Manifestations algériennes d’Octobre et la répression colonialiste en France. En réalité si le texte du communiqué devait être appliqué il aurait sûrement conduit à la «décapitation» de l’organisation FLN en région parisienne.

Les instances de la Fédération de France n’avaient pas beaucoup de temps pour réagit. Ali Haroun rapporte dans son ouvrage les réunions du Comité fédéral avec une pression formidable des militants de base et des chefs de wilayas réclamant des directives précises sur la manière de s’opposer au couvre-feu. Lors des réunions du 7 octobre et du 10, le Comité fédéral peaufine un projet de réaction en trois phases :

1/ Une manifestation pacifique pour le 14 octobre qui sera reportée pour la soirée du 17 octobre 1961.
2/ Une grève des commerçants algériens pour le 18 octobre.
3/ Une manifestation des femmes et des enfants «par un défilé identique» ou devant les lieux d’internements ou de détention de leurs époux, parents et autres algériens à partir des 18 et 19 octobre.

La manifestation du 17 octobre et son organisation

Selon le comité fédéral version Ali Haroun, on s’attendait à une réaction fort brutale. C’est pourquoi, le port des armes fut totalement interdit et l’on insista partout sur le caractère pacifique de la manifestation. La crainte du choc avait décidé ses organisateurs à faire appel aux femmes et aux enfants. Cela pouvait être autant un signe de bonne foi qu’une précaution organique.

Des colonnes d’Algériens investissent Paris et ses Boulevards

C’est donc dans la soirée du 17 Octobre que des milliers d’algériens vont déferler des différentes banlieues parisiennes pour investir Paris. Bien encadrés, disciplinés, en rang, les Algériens entrent dans Paris en colonnes impressionnantes. Certains témoignages nous en donnent une description poignante : «A l’heure où sous la pluie, le pavé noirci reflète les enseignes au néon, écrit un témoin, à l’heure où Paris fait la queue à la porte des cinémas, où Paris pousse la porte des restaurants, où Paris ouvre des huîtres, au moment où Paris commence à s’amuser, ils vont surgir de partout, à l’Etoile et à Bonne nouvelle, à l’Opéra et à la Concorde, sur les avenues et sur les boulevards, aux portes de la ville, au pont de Neuilly. Ces portes que Paris leur fermait, 20,30, 60 000 Algériens les ont franchies sans bruit. »

A 20 heures, cette heure où le préfet de police prétendait les consigner dans leurs ‘‘ghettos’’, les travailleurs algériens de la région parisienne ont entrepris une longue marche silencieuse à travers les artères de la capitale». (1) Et Ali Haroun, d’enchaîner : «Avec stupeur, parfois avec inquiétude, les Parisiens ont brusquement découvert l’existence de ces hommes. Et ce fut une révélation des manifestants résolus, calmes, parfaitement maîtres d’eux-mêmes, disciplinés et qui déferlaient dans les rues en vagues puissantes. irrésistibles» (1).

Le quotidien Paris-Jour du mercredi 18 octobre 1961 écrit : «C’est inoui (…) ils ont pu défiler en plein cœur de la capitale et en franchir les portes par groupes importants (...) en narguant  ouvertement les pouvoirs publics.» Henri Pignolet et Michel Croce-Spinelli, reporters à France-Soir témoignent : «De nouvelles colonnes de musulmans descendent de Montmartre. Maintenant tout converge à Richelieu-Drouot (...). Pendant ce défilé sur les boulevards, les chefs de la manifestation semblent avoir voulu éviter toute violenc.e» Le service d’ordre du FLN va même jusqu’à conseiller «en passant devant les cafés, (...) aux débitants de reculer les terrasses (et)  disent de ne pas s’affoler» ? Le même journal France-Soir du lendemain 20 octobre, publie un autre article sous la plume de Jean Femiot : «On a dû constater, que les musulmans respectaient les consignes très strictes de calme.»(3)

Si ces «vagues déferlantes» de centaines, de milliers d’Algériens vont avoir un effet glacial pour beaucoup de Français, le niveau de discipline et d’organisation vont impressionner plus d’un. Dans un reportage du journal L’Express, Jean Cau constate et provoque : «Oui, Parisiens, ces milliers de loqueteux, de sous-hommes, de bicots, de ratons, etc. que vous avez vu défiler sont ‘‘organisés’’. Etonnez-vous : organisés et mieux que n’importe lequel de vos vénérables partis et mieux que votre police et mieux que votre armée.»(4) Les Français ce soir-là étaient aux premières loges.

Mais ce n’était plus du cinéma : «Aux alentours de l’Opéra, sur les grands boulevards, vers la place de la République, au Quartier latin, des milliers de Français sont témoins.» Plus de distance ou de médias intermédiaires : «La réalité est là, sur les trottoirs et au milieu de la chaussée. Difficile dans ces conditions de la cacher.» Les journalistes même les plus à droite et les plus proches des thèses officielles «racontent ce qu’ils ont vu et sont les interprètes de l’indignation suscitée par la férocité de l’intervention».(5)

Itinéraires et Slogans

Sur la question des itinéraires, la réponse est difficile. Le livre de Ali Haroun ne vous livre ni un plan clair ni les itinéraires précis de la manifestation. Sans doute l’intervention rapide de la police française, l’installation des barrages et la fermeture des bouches de métro ont dû perturber sérieusement le schéma de bataille prévu.

Mais selon les différents témoignages, il semble que le but des acteurs algériens était d’investir une série de points d’aboutissement comme les grandes places de Paris, l’Opéra, le Quartier latin, le Trocadéro, Bonne Nouvelle, etc. et de défiler  pacifiquement à travers les grands boulevards. Il reste aux chercheurs d’approfondir ce point sur la base des archives. En réalité nous avons a peu près trois versions :

• La première, selon nombre de témoignages, affirme que la manifestation est silencieuse.
Jean Ferniot dans France Soir du 20 octobre 1961 soutient qu’elle fut calme et que «le seul cri, qui ne peut être considéré comme séditieux depuis qu’il fut lancé par le général de Gaulle, était celui d’’’Algérie algérienne’’». D’autres témoignages soutiennent la même position avec en plus le tapement des mains et l’entonnement de champs patriotiques.

• Une autre version des témoignages, la deuxième, cite quatre slogans inscrits sur des pancartes :  «Pas de couvre-feu» ; «Libérez Ben Bella» ; «Algérie algérienne» et enfin «Paix - Négociations».

• La troisième version nous vient de Gilbert Meynier dans son livre Histoire intérieure du FLN : «Les slogans des pancartes furent soigneusement étudiés et prescrits aux manifestants : ‘A bas les mesures racistes !’ ; ‘Régime politique pour nos frères et sœurs’ ; ‘Libérez nos ministres’ ; ‘A bas les internements’ et enfin ‘Négociations immédiates avec le GPRA !’» Selon ce même auteur : «Aucun autre slogan ne fut autorisé. Même les youyous des femmes ne furent autorisés que devant les prisons.»(6)

Le moins que l’on puisse dire, c’est que les deux versions sont presque totalement différentes. On peut assimiler le deuxième slogan (Libérez Ben Bella) au troisième de la version Meynier («Libérez nos ministres»), mais à l’exception de la dernière (quatrième slogan de la version Meynier) toutes les autres sont différentes. Ce qui est quand même étonnant. Un traitement comparatif des documents iconographiques de la manifestation pourrait nous éclairer et nous permettre d’être plus précis. Il reste quand même un dernier slogan d’importance qu’on retrouve dans les deux versions et qui fait consensus : c’est l’appel à des négociations avec le GPRA. 

Est-il encore trop tôt pour parler de précipitation ou d’une manœuvre politique habile mais coûteuse, dont le but était de faire de cette manifestation politique une formidable pression de la rue et de l’opinion publique pour relancer les négociations interrompues entre le gouvernement français et le FLN.

L’avenir sûrement nous le dira. «En attendant l’éventuelle générosité des archives et leur éloquence, on peut souligner sur ce point que Ali Haroun, qui consacre 12 pages à ces événements, n’évoque pas ces questions. Plus important encore, la parole restera au terrain. Le contact entre les manifestants et les forces de l’ordre sera un choc explosif et les violences à l’égard des Algériens atteindront un niveau inégalable.» (A suivre)
Kamel Bouguessa
http://elwatan.com/contributions/17-octobre-1961-a-paris-la-formidable-explosion-de-l-emigration-invisible-2e-partie-18-10-2014-274707_120.php

MO2014

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Message  MO2014 Lun 20 Oct - 17:10

Dimanche 19 octobre, 14h30 à l'Iremmo, 5 rue Basse des Carmes - Paris - Métro Maubert Mutualité
Formations politiques du PIR : 17 octobre 61, un crime d’État

La première partie https://forummarxiste.forum-actif.net/t1079p330-indigenes-de-la-republique#95963

La deuxième partie https://forummarxiste.forum-actif.net/t1079p330-indigenes-de-la-republique#96053


17 Octobre 1961 à Paris : La formidable explosion de l’émigration invisible (3e partie et fin)

Exactions, chocs et violences coloniales : des crimes contre l’humanité. Sur ce volet, les révélations les plus terribles nous parviennent de la déclaration d’un groupe de policiers républicains dont le document est envoyé au président de la République, au ministre de l’Intérieur et aux membres du gouvernement, aux élus députés et sénateurs, à la presse ainsi qu’aux personnalités politiques, syndicales et religieuses. Il est accablant.

Il dénonce les assassinats organisés de dizaines et de centaines de manifestants arrêtés. Le scénario est horrible et se déroule selon un plan bien étudié : d’abord les arrestations, puis les évacuations avec des centaines de camions, ensuite le parcage et le tri, le tout sous un matraquage et des ratonnades sanglantes, enfin les liquidations par balles, ou par jet dans la seine et tout au bout, les disparitions. Voyons donc le déroulement de ces différentes étapes.

Les arrestations

Les témoins sont unanimes. Les arrestations se font par centaines. Bientôt par milliers. Le reporter de France Soir atteste : «Sur les boulevards, les Parisiens sortant du cinéma regardaient avec stupeur l’apparition inattendue de musulmans brandissant des écharpes vert et blanc aux couleurs du FLN, tapant des mains et scandant ‘‘Algérie algérienne’’ et ‘‘Libérez Ben Bella’’. Là aussi, plusieurs centaines de musulmans sont arrêtés et regroupés dans la cour de l’Opéra et sur le terre-plein du métro.

Des camions les évacuent peu à peu vers Vincennes. Vers 21h15, 2000 auront été ainsi évacués. Mais le nombre de manifestants croît sans cesse (...). De nouvelles colonnes descendent de Montmartre. Maintenant tout converge à Richelieu Drouot. On entend des sirènes de motards ouvrant 1a voie aux convois de cars qui emmènent par centaines, par milliers, les manifestants appréhendés.» Ce qui a caractérisé les arrestations du 17 Octobre, c’est qu’elles ont été plus que musclées, elle étaient sanglantes. Témoignages et témoins concordent pour dire qu’elles étaient indissociablement accompagnées de violences extrêmes.

Dans le rapport des policiers républicains on note parmi les exactions commises : «A Saint-Denis, les Algériens ramassés au cours des rafles sont systématiquement brutalisés dans les locaux du commissariat.» Le ramassage est systématique : «Dès 20 heures, place de l’Opéra, les forces de police, massées au débouchés du métro, arrêtent sous la menace des mitraillettes de nombreux Algériens, qui les mains sur la tête, sont alignés le long des fourgons cellulaires.» Et encore : «A l’Etoile, dans des enclos faits sur les trottoirs avec des barrières métalliques utilisées pour les cérémonies, des milliers d’hommes sont étroitement serrés les uns contre les autres, visages baissés, mains sur la nuque ... les coups pleuvent.

Aucun Algérien ne riposte.»(1) Avenue Mac Mahon, Avenue Hoche, aux Ternes, rue de Courcelles, dans d’autres rues et ruelles, des files interminables d’Algériens «sont là, nez au mur, dos à la pluie, attendant sous la menace des mitraillettes». Ailleurs encore, au Quartier latin, «une colonne descend boulevard du Palais, elle semble interminable ... une première charge de police a eu lieu à l’angle du boulevard du Palais et du quai des Marchés-Neufs, Les gardiens de la paix frappent à coups de bâtons blancs, de crosses de mitraillettes. Une seconde charge a eu lieu devant le café le Terminus, boulevard Saint Michel à 20h30. Les vitres éclatèrent sous la poussée massive des Algériens tassés et frappés à coups redoublés».(2)

Résultat de l’attitude de ces policiers pleins de haine, comme le constate la presse : «Bientôt les cars de police sont pleins de victimes saignantes et gémissantes, des bras et des jambes évanouis pendent par les fenêtres.» C’est encore le rapport des policiers républicains qui résume le mieux cette tragédie: «Parmi les milliers d’Algériens emmenés au parc des Expositions de la porte de Versailles, des dizaines ont été tués à coups de crosse et de manches de pioche par enfoncement du crâne, éclatement de la rate ou du foie. Brisure des membres». Leurs corps furent piétinés sous le regard bienveillant de M’Paris, contrôleur général. D’autres eurent les doigts arrachés par. Les membres du service d’ordre, policiers et gendarmes mobiles, qui étaient cyniquement intitulés «comité d’accueil .» Et quel accueil de la part des forces de l’ordre républicain !…

Le même document nous révèle d’autres atrocités : «Dans le XVIIIe, des membres des brigades spéciales du troisième district se sont livrés à d’horribles tortures. Les Algériens ont été aspergés d’essence et brûlés ‘‘par morceaux’’. Pendant qu’une partie du corps se consumait les vandales en arrosaient une autre et l’incendiaient.» Ces pratiques n’avaient rien à envier aux méthodes nazies. D’autre exactions et méthodes furent aussi employées. «A l’une des extrémités du pont de Neuilly, des groupes de gardiens de la paix, de l’autre des CRS, opéraient lentement leur jonction. Tous les Algériens pris dans cet immense piège étaient assommés et précipités systématiquement dans la Seine. Il y a eu une bonne centaine à subir ce traitement».

Les auteurs du rapport ajoutent: «Ces mêmes méthodes furent employées au pont Saint-Michel. Les corps des victimes commencent à remonter à la surface journellement et portent des traces de coups et de strangulation.» Dans France Soir du 27 octobre 1961, Jean Louis Quenensein, journaliste, atteste :  «Il était 23h près du pont du Château. Une trentaine d’Algériens sont ramassés. Roués de coups, ils sont jetés dans la Seine du haut du pont par les policiers. Une quinzaine d’entre eux ont coulé ... D’autres essaient de regagner le bord. Mais les agents leur tiraient dessus.» Les tueries ont emprunté aussi d’autres voies comme les liquidations par balles ou les fusillades. A Noisy le Sec, par exemple, un policier ne se gêne pas pour tirer avec son 7.65mm à l’intérieur du car de police.

Des journalistes de tous bords racontent également que l’initiative des violences est venue du camp des «forces de l’ordre». Jacques Derogy, dans L’Express du 19 octobre 1961 témoigne : «Un premier choc s’est produit au pont de Neuilly, où les harkis attendaient une immense colonne descendue de Nanterre et de Puteaux. Un harki tira une rafale de mitraillette tuant un garçon de 15 ans. Une fusillade s’ensuivit pendant une demi-heure. Après la bataille, la chaussée de l’avenue du général De Gaulle était jonchée de débris de toutes sortes, de landaus d’enfants renversés, de souliers de femmes, de grandes traînées de sang.»(3) «A la station de métro Austerlitz, le sang coulait à flots, des lambeaux humains jonchaient les marches d’escalier».

Les femmes et les enfants ne furent pas épargnés. Jean Cau dans un premier reportage publié dans L’Express du 26 octobre sous le titre «Un voyage chez les ratons», au plus profond des bidonvilles, rapporte comment une famille a vu tous ses membres matraqués, la mère couchée sur son fils cadet dès qu’elle a entendu les mitraillettes, son jeune garçon de 14 ans arrêté et son fils aîné embarqué, un bébé décollé de son dos et piétiné et un tabassage en règle dans le commissariat où elle entend un policier, dans une ambiance hystérique, qui dit à ses collègues : «Y en a déjà six de crevés.»(4) En conclusion de tous ces massacres je voudrais retenir ces phrases des policiers républicains : «Les exactions des harkis, des brigades spéciales des districts, de la brigade des agressions et violences ne sont plus des secrets.» Les quelques informations rapportées par les journaux ne sont rien au regard de la vérité.

Les réactions françaises

Plusieurs réactions à ces manifestations se sont fait connaître tant au niveau de l’opinion publique, que .. des journalistes ou des hommes politiques ainsi qu’au niveau des partis et des associations. Nous en citerons quelques unes des plus caractéristiques en guise d’échantillon. Un grand nombre de journaux publient des lettres de lecteurs bouleversés par ce qu’ils ont vu ou appris. Journaux de droite ou de gauche reprennent des témoignages poignants. De L’Express au Figaro, de France-Soir au Monde, le choc est unanimement partagé.

Ces événements ont souvent eu la première page de l’actualité, comme ce titre du journal L’Humanité du 7 novembre 1961 : «Soixante cadavres d’Algériens, noyés ou assassinés retrouvés en un mois à Paris. Une information judiciaire est ouverte.» Différents journaux reprennent certaines revendications de l’opinion publique, comme le souligne ce journaliste : «Dans les innombrables protestations qui s’élèvent de partout, la revendication de la paix par la négociation s’exprime avec une force sans cesse accrue.»

On note dans la presse que «le 23 octobre, au Quartier latin et de Vavin à Montparnasse, de l’avenue du Maine à l’Odéon, des milliers d’étudiants manifestent en faveur de la négociation et de la paix». A l’Assemblée nationale, lors du débat sur le budget du ministère de l’Intérieur, un député à la réputation de modéré, Claudius Petit, s’insurge : «Les décisions prises par le préfet de police avaient placé l’ensemble des policiers sur le terrain d’une lutte fratricide.

Chaque gardien de la paix ne pouvait plus se déterminer que d’après la couleur de la peau, l’apparence des vêtements, le quartier. Heureux les Kabyles blonds. Après la honte de l’étoile jaune, connaîtrons-nous celle du croissant jaune ? Nous vivons ce que nous ne comprenions pas que les Allemands vivent après l’avènement d’Hitler !»(5)

Ces manifestations d’Octobre 1961 ont largement contribué à déstabiliser les forces politiques françaises, partis politiques de gauche en premier. Elles ont aussi permis aux forces de droite et de gauche de se positionner, voire de continuer à se chercher ou à louvoyer face au conflit franco-algérien. Militants et sympathisants des groupes et des forces de gauche, en principe plus favorables à l’indépendance algérienne, vont se retrouver en plein désarroi. Bon nombre d’entre eux ne le cachent plus. «Et la gauche ? Où est la gauche ?», s’interrogent certains ? Quelques voix s’élèvent.

Claude Bourdet, en séance publique devant le Conseil municipal dont il est membre, accuse le préfet Papon, le 27 octobre 1961... d’avoir été le témoin consentant du massacre de plusieurs dizaines d’Algériens dans la cour de la préfecture. Est-il vrai que dans la «cour d’isolement» de la cité, une cinquantaine de manifestants arrêtés apparemment aux alentours du boulevard Saint Michel sont morts ? Et que sont devenus leurs corps ? Est-il vrai qu’il y a eu de nombreux corps retirés de la Seine ? M. Papon se tait.(6)

Pour les différentes gauches françaises, comme pour les journalistes, les violences sont bel et bien venues des forces de l’ordre. «Pour l’honneur et à des moments proches du drame», rapporte Patrick Rotman et Hervé Hamon dans leur livre sur les porteurs de valises. A la veille du 1er Novembre, quatre professeurs de faculté: Alfred Kastler, Laurent Schwartz, Jean Dresch et Robert Ricatte lisent une déclaration dans leur amphithéâtre : «Si les Français acceptent l’institution légale du racisme en France, ils porteront dans l’avenir la même responsabilité que les Allemands qui n’ont pas réagi devant les atrocités du nazisme.» (7) A cette même date de la Toussaint, le comité Audin, comité de vigilance universitaire composé d’étudiants, les groupes Vérité-Liberté et Témoignage et Documents, d’un côté, le Parti socialiste unifié, de l’autre, réussissent après près d’un mois et demi de la date du drame à tenir quelques petites et brèves manifestations. Il faudra attendre début décembre pour que «la gauche respectueuse» bouge.

Le 4 décembre, Barrat, Virgier, Bourdet du PSU, Pierre Vidal Naquet, Jean Dresch, Laurent Schwartz, Jaques Berque et Madaleine Rebérioux, des universitaires de gauche, fondent au cours d’un meeting la «Ligue d’action pour le rassemblement anti-fasciste» qui envisagera des «meetings pirates», des groupes d’autodéfense, la publication d’un livre blanc et des manifestations d’une gauche unitaire. Mais, militants et cadres communistes du PCF n’étaient pas toujours en accord avec de tels projets.

François Maspéro, qui crache son dégoût devant l’anesthésie de la gauche écrit : «Le fait que le courage, 1’héroïsme même des familles algériennes de la région parisienne, aient réussi à faire enfin éclater jusque dans les rues des quartiers bourgeois, l’atroce vérité, l’atroce visage de nos chiens en uniforme, ne doit permettre à qui que ce soit de se donner le luxe de ces comédies où l’on répète : nous dénonçons, nous ne sommes pas du même monde. Il est trop tard.»(Cool Mais sur ce chapitre, c’est dans un papier de Jean Cau, intitulé Un miroir pour les Français et publié par L’Express du 16 novembre 1961 que nous retrouvons le ressentiment d’un syndicaiste algérien qui résume bien cette situation : «Nous avons évalué la solidarité des travailleurs et du peuple français. Nous savons qu’elle n’existe pas en dehors des communiqués, des pétitions et des appels.

Nous en prenons acte. Aux syndicats, aux partis, à la gauche politique française d’avoir mis le nez sur leur pourrissement. Voici leurs troupes : ces chauffeurs d’autobus qui ne descendent pas de leur cabine lorsqu’on transforme leur autobus en car de police : les mêmes qui signalent aux policiers, à Neuilly, par des appels phare-code, la présence d’Algériens dans leur autobus et des ouvriers de chez Renault qui voient retirer dans l’île Seguin un cadavre d’Algérien de la Seine et qui regardent et qui s’éloignent, indifférents.»(9) En tout cas, quel que soit l’angle d’analyse, le bilan payé par l’émigration algérienne fut des plus lourds.

Bilan de ces journées tragiques : lourd tribut payé par l’émigration algérienne en combat pour l’indépendance

Comme tous les bilans, celui des manifestations du 17 Octobre 1961, ne fait pas l’unanimité. Le 18 octobre 1961, du coté officiel français et pour le seul bilan de la journée du 17 Octobre, la préfecture de police rend public «son bilan» de la manifestation de la veille : le nombre de manifestants est estimé à environ 20 000 personnes, tandis que les arrestations sont de 1l 536. Les individus arrêtés, précise le communiqué, ont été conduits dans les centres du Palais des sports et du stade Coubertin. Il ajoute que 9 policiers ont été blessés, côté forces de l’ordre, et qu’il y a eu 2 morts et 69 blessés côté algérien.

Ce pseudo-bilan, sera largement démenti par les nombreux cadavres des Algériens rejetés par les eaux de la Seine et dont le nombre était, en réalité, bien plus grand. Dans un numéro des Temps modernes de novembre 1961, saisi par les autorités françaises, ce dernier cite le chiffre des victimes: «L’inspection générale de la police estime à 150 le nombre de tués»... Côté FLN, deux évaluations sont fournies par la Fédération de France du FLN : l’une cite un chiffre de 28000 manifestants, tandis qu’un rapport anonyme signé Maurice nous donne 40 000 participants.

Au niveau des arrestations, une partie de la direction de la Fédération de France du FLN, par la voix de Ali Haroun estime le nombre des arrestations à 15 000 dont 3 000 maintenues tandis qu’au premier soir, sur les 7500 arrêtés 1500 furent refoulés vers l’Algérie par voie aérienne. Concernant le nombre de morts et de blessés, Ali Haroun écrit dans son livre: «Cependant, la synthèse des rapports sur les cas précis des tués, les 17 Octobre et jours suivants, par balles, matraquage, noyades et autres moyens, permet de les chiffrer approximativement à 200, et les blessés à 2300.»(10) Tandis que le chiffre des disparus, le même Ali Haroun reconnaît l’incapacité de la Fédération de les préciser.

Jean-Luc Einaudi, quant à lui, cite le chiffre, que reprend et cautionne Gilbert Meynier, de 200 tués. Ce même J.-L. Einaudi produit deux listes d’un total de 140 noms précis, en plus de deux autres personnes anonymes, avec le chiffre de 70 tués pour les seules journées des 17 et 18 octobre. Enfin, Jean-Paul Brunet, dans son livre Police contre FLN, décompte 50 morts en se basant sur des archives policières.(11) Et tant que de nouvelles archives de première main ne seront pas encore versées au débat, nous resterons dans l’ignorance du nombre le plus proche des disparus, qui, pour l’instant, reste encore un mystère.

Conclusion

Les manifestations du 17 Octobre 1961 présentent un certain nombre de traits caractéristiques, dont quelques uns sont essentiels pour l’ émigration algérienne. C’est la première fois qu’elle apparaît de manière autonome pour exprimer ses positions politiques depuis la Deuxièma Guerre mondiale. L’émigration algérienne a certes pris l’habitude de manifester, surtout avec l’ENA, puis le PPA-MTLD, mais cette fois-ci, elle sort et revendique seule, avec pour seul encadrement national le FLN.

Ces 20 000, selon certains, 30 000 ou 60 000 selon d’autres, sont en majorité formés d’ouvriers et des familles des ghettos et bidonvilles de Paris et de sa couronne. Son caractère fut inattendu, surprenant, sans avertissement et si imprévu qu’il a rompu avec les traditions passées de manifestations autorisées par les services de police au milieu des différentes forces de gauche, partis et/ou syndicats. Malgré le rapport indéniable du livre de Ali Haroun et quelles que soient les divergences qui ont opposé cette partie de la direction de la Fédération de France à d’autres éléments, comme Mohamed Harbi qui leur reproche une certaine partialité, il reste que le dossier sur le 17 Octobre 1961 est largement incomplet et de nombreux silences l’entourent.

On ne retrouve pas par exemple les buts réels de la manifestation, son plan et l’organisation 1 de ses itinéraires, les vrais slogans indiqués par l’organisation du FLN, les rapports entre la Fédération et les autorités du FLN de Tunis. Patrick Rotman et Hervé Hamou citent Abdallah Bentobbal, qui aurait autorisé la manifestation dans le but de relancer les négociations franco-FLN, ce qui reste une éventualité possible, mais nous n’avons aucune confirmation sur ce point.

La vraie raison de son déclenchement est encore objet de silence. Et si la gauche fut largement indolente devant de tels massacres, la droite ne s’est pas révélée meilleure élève. Le silence du général de Gaulle, par ailleurs, est déconcertant à cet· égard. «Pour la légende du gaullisme, écrit l’historien Michel Winock, le silence de l’Elysée en ces jours-là est resté comme une meurtrissure. Pourtant, le général savait.» Une note des Renseignements généraux du 19 octobre 1961 indique que plus de la moitié du Conseil des ministres qui a siégé le 18 au matin, a été consacré aux manifestations. Parmi les 2 décisions qui ont été prises, hormis le rapatriement et l’assignation à résidence dans leurs douars d’origine des 1 500 manifestants arrêtés, le Conseil décide aussi l’envoi de plus de renforts dans Paris et sa région.

Dans son livre sur De Gaulle, Jean Lacouture n’hésite pas à parler, à l’instar de quelques autres de pogrom. Avant le départ de Jaques Chirac et l’arrivée de Nicolas Sarkozy, l’ancien président français n’a pas hésité à demander au gouvernement turc de reconnaître le génocide arménien comme condition essentielle à leur entrée dans la CEE. Qu’attendent les Algériens pour demander à la France de reconnaître cet autre génocide ou pogrom que furent les massacres du 17 Octobre 1961 ? Ce sera sûrement un rendez-vous pour demain...
Kamel Bouguessa
http://elwatan.com/contributions/17-octobre-1961-a-paris-la-formidable-explosion-de-l-emigration-invisible-3e-partie-et-fin-19-10-2014-274815_120.php

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Message  MO2014 Mer 22 Oct - 16:59

Si vous l'avez ratée, la formation/conférence du PIR sur le 17 octobre à découvrir dans cette vidéo! Avec Youssef Bousoumah (PIR) et Jean-Jacques Béryl, le réalisateur.


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Message  Eugene Duhring Lun 27 Oct - 0:11

Néanmoins, il existe un obstacle de taille à cela, Ô Bidar [Abdennour]. Tu ne bénéficies même pas du statut de « supplétif », celui qu’on destine à cette tâche de « représentation ». Bien que tu portes un masque musulman, tu es avant tout un blanc ! C’est pour ça qu’ils t’ont mis dans un observatoire : c’est là qu’on met les blancs.
Une vomissure digne de celle des sionistes pour qui le juif antisioniste procéderait d'une détestation de soi ! Décidément d'un communiqué à l'autre c'est de PIR en PIR.

Eugene Duhring

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Message  MO2014 Lun 27 Oct - 1:29

à quoi le  PIR répond ? à un article de Abdennour Bidar* dans Marianne dont ces extraits sont édifiants :

Cher monde musulman,...
je te vois en train d'enfanter un monstre qui prétend se nommer Etat islamique et auquel certains préfèrent donner un nom de démon : Daesh. Mais le pire est que je te vois te perdre - perdre ton temps et ton honneur - dans le refus de reconnaître que ce monstre est né de toi, de tes errances, de tes contradictions, de ton écartèlement entre passé et présent, de ton incapacité trop durable à trouver ta place dans la civilisation humaine...
D'où viennent les crimes de ce soi-disant « Etat islamique » ? Je vais te le dire, mon ami. Et cela ne va pas te faire plaisir, mais c'est mon devoir de philosophe. Les racines de ce mal qui te vole aujourd'hui ton visage sont en toi-même, le monstre est sorti de ton propre ventre...
Alors ne fais plus semblant de t'étonner, je t'en prie, que des démons tels que le soi-disant Etat islamique t'aient pris ton visage ! Les monstres et les démons ne volent que les visages qui sont déjà déformés par trop de grimaces !...
http://www.marianne.net/Lettre-ouverte-au-monde-musulman_a241765.html

L'essentialisme qui désigne "le monde musulman" comme responsable de l'Etat Islamique est une thèse chère à Finkelkraut/Zemmour/FN/UMP...etc. Ignorer la génèse de Etat Islamique, de son recrutement, de son armement, des conditions historiques dans lesquelles il nait et se déploie fait la part belle à la lutte contre l'axe du mal 2.0 ou a la guerre de "civilisations". C'est bien contre cela que le PIR combat en tentant de rétablir quelques faits historiques sur la responsabilité majeure du colonialisme.

Ensuite Bidar défend la "pluralité", la "démocratie", les "libertés" bref le mode politique occidental pour libérer le "monde musulman" des démons qu'il engendrerait. Pendant des siècles "le monde musulman" ont subit le colonialisme du monde occidental.  Le monde des blancs ils connaissent et il faudrait remettre ça ?

Et dans cette controverse During prend parti pour Bidar contre le PIR  Rolling Eyes

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Message  Roseau Lun 27 Oct - 2:04

MO2014 a écrit:Si vous l'avez ratée, la formation/conférence du PIR sur le 17 octobre à découvrir dans cette vidéo! Avec Youssef Bousoumah (PIR) et Jean-Jacques Béryl, le réalisateur.


Merci !
Superbe conférence sur le jour le plus sombre de la France depuis qu'elle avait été vendue à Hitler.
Bravo au PIR qui nous offre ici le meilleur!
La description de ces journées de massacres et horreurs racistes, d'une violence inoue,
aide à comprendre l'islamophobie qui gangrène particulièrement la France,
jusque sur ce forum, même si c'est à la marge.
Le film de Beryl est-il disponible sur Internet?

En attendant, un témoignage remarquable d'un conscrit en 10 mn
Roseau
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Message  Prado Lun 27 Oct - 11:54

MO2014 a écrit:
Ensuite Bidar défend la "pluralité", la "démocratie", les "libertés" bref le mode politique occidental pour libérer le "monde musulman" des démons qu'il engendrerait. Pendant des siècles "le monde musulman" ont subit le colonialisme du monde occidental.  Le monde des blancs ils connaissent et il faudrait remettre ça ?
Parce que " la"pluralité", la "démocratie", les "libertés" " c'est réservé au "monde occidental" ? Ce que préconise Abdennour Bidar, c'est d'ailleurs autre chose que la norme politique du "monde occidental" :
Et si tu veux savoir comment ne plus enfanter de tels monstres, je vais te le dire. C'est simple et très difficile à la fois. Il faut que tu commences par réformer toute l'éducation que tu donnes à tes enfants, dans chacune de tes écoles, chacun de tes lieux de savoir et de pouvoir. Que tu les réformes pour les diriger selon des principes universels (même si tu n'es pas le seul à les transgresser ou à persister dans leur ignorance) : la liberté de conscience, la démocratie, la tolérance et le droit de cité pour toute la diversité des visions du monde et des croyances, l'égalité des sexes et l'émancipation des femmes de toute tutelle masculine, la réflexion et la culture critique du religieux dans les universités, la littérature, les médias.

Prado

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Message  MO2014 Lun 27 Oct - 15:37

Prado a écrit:
MO2014 a écrit:
Ensuite Bidar défend la "pluralité", la "démocratie", les "libertés" bref le mode politique occidental pour libérer le "monde musulman" des démons qu'il engendrerait. Pendant des siècles "le monde musulman" ont subit le colonialisme du monde occidental.  Le monde des blancs ils connaissent et il faudrait remettre ça ?
Parce que " la"pluralité", la "démocratie", les "libertés" " c'est réservé au "monde occidental" ? Ce que préconise Abdennour Bidar, c'est d'ailleurs autre chose que la norme politique du "monde occidental" :
Et si tu veux savoir comment ne plus enfanter de tels monstres, je vais te le dire. C'est simple et très difficile à la fois. Il faut que tu commences par réformer toute l'éducation que tu donnes à tes enfants, dans chacune de tes écoles, chacun de tes lieux de savoir et de pouvoir. Que tu les réformes pour les diriger selon des principes universels (même si tu n'es pas le seul à les transgresser ou à persister dans leur ignorance) : la liberté de conscience, la démocratie, la tolérance et le droit de cité pour toute la diversité des visions du monde et des croyances, l'égalité des sexes et l'émancipation des femmes de toute tutelle masculine, la réflexion et la culture critique du religieux dans les universités, la littérature, les médias.

Si c'est exactement ce que préconisent les occidentaux : la guerre puis les "démocraties" et leurs "valeurs". Ces "valeurs" n'ont évidemment rien d'universelles et elles ont servi de fondement idéologique à de nombreux états impérialistes. Les valeurs des démocraties occidentales coloniales ou post coloniales, héritées en autres des valeurs "universelles" (soi disantes) des Lumières ne libéreront le "monde musulman" (comme chacun le sait il est unique Rolling Eyes ) des "monstres" (qu'il aurait lui même engendré selon Bidar). Tu as évidemment le droit d'être d'accord avec Bidar avec la thèse de l'unicité du monde musulman qui aurait généré "par essence" le terrorisme et les radicaux islamistes et qu'avec une bonne cure de "valeurs" qu'ils suffiraient d'enseigner à l'école on se débarrasserait des islamistes.
Pour les colonisés elles sont et resteront des valeurs de blancs, d'exploiteurs car c'est bien de cela qu'il s'agit et non pas de religion.


Dernière édition par MO2014 le Lun 27 Oct - 15:42, édité 1 fois

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Message  verié2 Lun 27 Oct - 15:40

MO2014, pourquoi tiens-tu à employer systématiquement des expressions comme "valeurs de blancs" ?

verié2

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Message  MO2014 Lun 27 Oct - 16:03

verié2 a écrit:MO2014, pourquoi tiens-tu à employer systématiquement des expressions comme "valeurs de blancs" ?

C'est le langage des colonisés pour désigner celui qui opprime et exploite voir black panters au USA, africains de l'ouest du sud et nord africain... et celui des anti-colonialistes comme le montrent de nombreux textes qui existent sur cette question, de SaÏd Bouamama http://quefaire.lautre.net/Entretien-avec-Said-Bouamama, du PIR... tu peux aussi lire Sadri Khiary ou encore l'excellent livre "Figures de la révolution africaine" de Saïd Bouamama ou ceux de Franz Fanon...etc.

MO2014

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Message  verié2 Lun 27 Oct - 18:41

C'est le langage des colonisés pour désigner celui qui opprime et exploite
Que des colonisés (ou plutôt des ex colonisés) emploient des expressions racistes, tout comme des Palestiniens parlent des "Juifs" et non des Israëliens ne justifie pas que tu l'emploies, toi. Certes le racisme des opprimés n'est pas à mettre sur le même plan que le racisme des oppresseurs, mais nous n'avons pas à le reprendre à notre compte. L'utilisation de ce terme trahit une absence de conscience de classe. D'autant qu'aujourd'hui, il y a tout de même des bourgeois de couleur qui exploitent et répriment les ex colonisés aussi durement que le faisaient les colons blancs...
.
Cela revient donc à préconiser l'union de tous les non blancs, bourgeois et prolétaires, contre les blancs.

De plus, seuls des intellectuels peuvent parler de "valeurs des blancs" ou d'"idéologie blanche" etc. Les colonisés "de base" parlent de Blancs tout court. Dans la bouche des intellectuels, c'est tout simplement une arme pour essayer de se tailler une petite place au détriment de leurs frères de couleur, en jouant de façon démagogique sur cette couleur.

verié2

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Message  Copas Lun 27 Oct - 19:43

Sur les libertés individuelles et collectives, désolé mais cela a eu d'abord un contenu de classe.

C'est le virage du stalinisme et des ordures opprimant des peuples qui se sont servis des crimes du colonialisme puis de l'impérialisme pour interdire aux peuples qu'ils dominaient, opprimaient et exploitaient, terrorisaient et massacraient, de décider, de s'exprimer, de s'organiser...

Les épigones de l'oppression et des régimes assassins, dans nos pays et par campisme ont nourri les croyances comme quoi les libertés individuelles et collectives c'était des trucs de colons, d'impérialistes et de blancs.
L'histoire ne s'est pas passée ainsi.
Les poussées du prolétariat et les conquêtes de libertés ne furent pas une manœuvre de la bourgeoisie et des colons. Ceux-ci au contraire n'ont jamais reculé sur les interdictions, censures, attaques contre les libertés  sans que les peuples ne leur  donnent des coups de marteau sur les doigts pour qu'ils lâchent prise et reculent.

Il est scandaleux de dire que les libertés individuelles et collectives c'est des trucs de colons et de petits blancs alors que justement un grand nombre de peuples se battent pour celles-ci.

L'utilisation et la récupération par la bourgeoisie de ces libertés pour faire croire qu'elles ont été obtenues grâce à elle  n’illustrent en fait que la dégénérescence d'une gauche non dé-stalinisée.

Le mouvement ouvrier et de la résistance contre toutes les oppressions ne doit pas larbiner auprès des discours du fascisme, et au contraire reprendre le flambeau des libertés qu'il n'aurait jamais dû lâcher, cela passe certainement en France par favoriser en son sein des formes d'organisation politiques et de masse des plus opprimé-e-s, la critique radicale de toutes les formes d'oppression et d'exploitation.
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Message  Prado Lun 27 Oct - 23:16

MO2014 a écrit:
Si c'est exactement ce que préconisent les occidentaux : la guerre puis les "démocraties" et leurs "valeurs". Ces "valeurs" n'ont évidemment rien d'universelles et elles ont servi de fondement idéologique à de nombreux états impérialistes.
(...)
Pour les colonisés elles sont et resteront des valeurs de blancs, d'exploiteurs  car c'est bien de cela qu'il s'agit et non pas de religion.
Je ne sais pas si c'est le fond de ta pensée ou si tu fais beaucoup de confusions.
En novembre 1954, l'Armée de libération nationale lançait un appel au peuple algérien qui disait :
"Comme tu le constates, avec le colonialisme, la Justice, la Démocratie, l'Égalité ne sont que leurre et duperie destinés à te tromper et à te plonger de jour en jour dans la misère que tu ne connais que trop".
Cela veut-il dire que le FLN qualifiait " la Justice, la Démocratie, l'Égalité" de "valeurs de blancs, d'exploiteurs" ? Certainement pas.
Ainsi, la proclamation du FLN du 1er novembre 1954 disait :
BUT: INDÉPENDANCE NATIONALE par:
1°) La restauration de l'État algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques;
2°) Le respect de toutes les libertés fondamentales sans distinction de race ni de confession.

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Message  MO2014 Mar 28 Oct - 1:54

verié2 a écrit:
C'est le langage des colonisés pour désigner celui qui opprime et exploite
Que des colonisés (ou plutôt des ex colonisés) emploient des expressions racistes, tout comme des Palestiniens parlent des "Juifs" et non des Israëliens ne justifie pas que tu l'emploies, toi. Certes le racisme des opprimés n'est pas à mettre sur le même plan que le racisme des oppresseurs, mais nous n'avons pas à le reprendre à notre compte. L'utilisation de ce terme trahit une absence de conscience de classe. ...

C'est un pratique courante que lorsqu'on parle de période post-coloniale, d'indigènes et de blancs, d'islamophobie, d'anti-colonialisme, certains... dégainent immédiatement l'accusation d'antisémitisme et de racisme. Je me suis exprimé à plusieurs reprises sur le sujet de Gaza et des populations palestiniennes et j'ai systématiquement écrit l'état d'Israël caractérisé "sioniste" ou encore "colonialiste". Jamais je n'ai utilisé le terme juif car comme je le répète en permanence tout cela n'est pas une guerre de religions mais bien une guerre menée par des exploiteurs contre des exploités où ceux ci sont chassés de leurs maison et de leur terre. J'ai également participé à toutes les manifestations de cet été avec les indigènes pour constater le contenu anti colonial des slogans. Ton objection est donc totalement hors sujet.

C'est l'exploiteur qui a crée le concept de race pendant des siècles de colonialisme, d'exploitation en Afrique, en Amériques, en Asie... en théorisant la supériorité de la "civilisation blanche", avec l'empire Britannique, les colonies Françaises, ... Comme le débat sur la nature "humaine" des indigènes avait été tranché un peu plus tôt : ils n'étaient pas des animaux ils seraient donc exploités, déportés d'abord par l’esclavagisme, puis par le capitalisme (ce qui n'était évidemment pas forcément incompatible).

Les Punous, les Bantous, les Congos, les Yorubas...etc sont donc devenus les "noirs" pour les capitalistes pour les exploiter sans merci. Les théories philosophiques et scientifiques ont évidemment soutenu tout cela avec les Lumières dans un universalisme où l'humanité était celle du blanc exploiteur. La notion de race, on pourra évidemment parler de "racialisation" s'est épanouie jusqu'à aujourd'hui dans la période post coloniale ou dans notre pays il est tellement banal d'utiliser ce qu'ils appelent "le monde musulman" qui aurait, pour les valets du système, les gènes du terrorisme, et qui par essence et par laisser faire, engendrerait le radicalisme et le terrorisme islamiste (voir le texte de Bidar plus haut dans ce fil).

Dans notre pays où des millions de personnes se sentent "noir", "arabe", ou "musulman" non pas par communautarisme mais parce tous les jours les blancs le leur rappellent : dans les contrôles d'identité, dans leur type de travail, dans leur recherche d'un logement, dans les excuses que l'on exige d'eux lorsque un acte terroriste est commis, dans les injonctions vestimentaires qui leurs sont imposé, les tutoiements, les insultes et les violences...etc.

En fait celui qui refuse le concept de blanc (je ne parle même pas de celui qui ose affirmer que sont utilisation serait raciste) n'est ni noir, ni arabe mais, en plus, est tellement coupé de leurs réalités concrètes d’existence qu'il n'imagine même pas ce que c'est de l'être.

Parler de "blanc" correspond donc à une réalité historique et sociale du colonialisme et du post-colonialisme qui n'a donc rien à voir avec une expression raciste à moins que Vérié2 considère Césaire raciste ? Ou Malcom X Raciste ? Ou Mohammed Ali raciste ? Ou Franz Fanon raciste ? ou Patrice Lumumba raciste...etc.

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Message  verié2 Mar 28 Oct - 9:56

D'une part, MO2014, je ne t'ai pas accusé d'employer le terme de "Juifs" pour désigner les Israëliens, j'ai dit :
"Des Palestiniens emploient ce terme à la place d'Israëliens, ce n'est pas une raison pour l'utiliser nous-mêmes".

Ensuite, tu cites pèle-mèle Lumumba, Malcom X, Cesaire etc... Mais le terme de "Blanc" dans leur bouche à leur époque, dans leur contexte etc n'a absolument pas la même signification que dans la tienne, dans la France de 2014. Ca ne signifie pas que le racisme n'existe pas, bien entendu, mais il n'a pas un caractère aussi tranché : vouloir réunir tous les non Blancs contre les Blancs est une démarche absurde et effectivement raciste. Voudrais-tu par exemple que, à La Poste, où il y a beaucoup d'Antillais noirs et maintenant pas mal de jeunes Beurs, les postiers noirs s'organisent séparément de leurs collègues qui font exactement le même boulot ? Ou qu'il y ait un syndicat d'infirmières noires dans les hôpitaux ? Des syndicats arabes dans les usines ?

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Message  Babel Mar 28 Oct - 11:23

MO2014 a écrit:
Prado a écrit:
MO2014 a écrit:
Ensuite Bidar défend la "pluralité", la "démocratie", les "libertés" bref le mode politique occidental pour libérer le "monde musulman" des démons qu'il engendrerait. Pendant des siècles "le monde musulman" ont subit le colonialisme du monde occidental.  Le monde des blancs ils connaissent et il faudrait remettre ça ?
Parce que " la"pluralité", la "démocratie", les "libertés" " c'est réservé au "monde occidental" ? Ce que préconise Abdennour Bidar, c'est d'ailleurs autre chose que la norme politique du "monde occidental" :
Et si tu veux savoir comment ne plus enfanter de tels monstres, je vais te le dire. C'est simple et très difficile à la fois. Il faut que tu commences par réformer toute l'éducation que tu donnes à tes enfants, dans chacune de tes écoles, chacun de tes lieux de savoir et de pouvoir. Que tu les réformes pour les diriger selon des principes universels (même si tu n'es pas le seul à les transgresser ou à persister dans leur ignorance) : la liberté de conscience, la démocratie, la tolérance et le droit de cité pour toute la diversité des visions du monde et des croyances, l'égalité des sexes et l'émancipation des femmes de toute tutelle masculine, la réflexion et la culture critique du religieux dans les universités, la littérature, les médias.

Si c'est exactement ce que préconisent les occidentaux : la guerre puis les "démocraties" et leurs "valeurs". Ces "valeurs" n'ont évidemment rien d'universelles et elles ont servi de fondement idéologique à de nombreux états impérialistes. Les valeurs des démocraties occidentales coloniales ou post coloniales, héritées en autres des valeurs "universelles" (soi disantes) des Lumières ne libéreront le "monde musulman" (comme chacun le sait il est unique Rolling Eyes ) des "monstres" (qu'il aurait lui même engendré selon Bidar). Tu as évidemment le droit d'être d'accord avec Bidar avec la thèse de l'unicité du monde musulman qui aurait généré "par essence" le terrorisme et les radicaux islamistes et qu'avec une bonne cure de "valeurs" qu'ils suffiraient d'enseigner à l'école on se débarrasserait des islamistes.
Pour les colonisés elles sont et resteront des valeurs de blancs, d'exploiteurs  car c'est bien de cela qu'il s'agit et non pas de religion.

Oui, enfin... à ceci près que nombre de ces principes (laissons le mot "valeurs" aux spéculateurs en bourse et aux rentiers) que ce monsieur préconise comme "remèdes au mal islamiste" ne sont pas étrangers au monde musulman lui-même, et qu'ils lui sont même constitutifs. Je pense en particulier à la liberté de culte et à la tolérance religieuse.

Sans verser dans une exégèse hors de propos, on peut tout de même noter que :
1.  Plusieurs versets du Coran précisent que chacun est libre et responsable de croire ou de ne pas croire. L'un d'eux préconise « qu’il n’y ait pas de contrainte dans la religion, la Vérité se distingue par elle-même de l’Erreur ; celui qui rejette le mal et croit en Dieu saisit une poignée solide qui ne se brise jamais. » (sourate 2, verset 256).
Interrogeant le fidèle, la sourate 10, verset 99, lui demande : « Est-ce à toi de contraindre les gens à être croyants ? »
Une autre indique que : « Ceux qui croient, ceux qui pratiquent le judaïsme, ceux qui sont Chrétiens ou Sabéens, ceux qui croient en Dieu et au dernier Jour ceux qui font le bien: voila ceux qui trouveront leur récompense auprès de leur Seigneur. »  (sourate 2, verset 62).

L'islam originel, considérant que chaque individu sera jugé sur les actes dont il est responsable (sourate 5, verset 105), et que celui qui s’est égaré n’est égaré que par lui-même (sourate 17, verset 15), affirme le droit de chaque individu à la liberté de pensée et de religion.

2. Selon l’Islam, tous les peuples jouissent de la liberté de religion et de culte. Tous les lieux sacrés étant reconnus, le devoir des Musulmans est de défendre la liberté de culte pour tous : « Si Dieu n’avait pas empêché les peuples de se dresser les uns contre les autres, des monastères, des églises des synagogues et des mosquées, où le nom de Dieu est abondamment célébré, se fussent certainement effondrés » (sourate 22, Verset 40).

3. L’Islam, enfin, insiste sur la nécessité d’une égalité et d’un respect absolus entre tous les êtres humains. Ni la race, ni la couleur, ni l’ethnie, ni le privilège ne peuvent être des critères de valeur à ses yeux : « O humanité ! Nous vous avons créés d’un seul couple, d’un homme et d’une femme, Nous vous avons répartis en nations et tribus afin que vous vous connaissiez les uns les autres (et ne vous vous méprisiez pas). En vérité, le plus digne devant Dieu est celui d’entre vous qui est le plus droit » (sourate 49, verset 13).


Sur la morale de la guerre sainte, Abû Bakr As Siddîq, compagnon du prophète Mahomet et premier calife de l'islam, écrit : « Lorsque vous combattrez pour la gloire de Dieu, conduisez-vous comme des hommes sans tourner le dos, mais que le sang des femmes ou celui des enfants et des vieillards ne souille pas votre victoire. Ne détruisez pas les palmiers, ne brûlez pas les habitations ni les champs de blé, ne coupez jamais les arbres fruitiers, et ne tuez le bétail que lorsque vous serez contraints de le manger. Quand vous accorderez un traité ou une capitulation, ayez soin d'en remplir les clauses. Au fur et à mesure de votre avance, vous rencontrerez des hommes de religion qui vivent dans les monastères et qui servent Dieu dans la prière; laissez-les seuls, ne les tuez point et ne détruisez pas leurs monastères.»

Ceci, pour ne pas parler de l'apport intellectuel considérable et de l'influence qu'exercèrent par la suite des savants tels qu'Avicenne ou Averroès aux XIIe-XIVe siècles, sur ce qui allait constituer les prémices de l'éveil humaniste en Occident, dans un grand nombre de domaines : logique, linguistique, médecine, mathématiques, poésie, musique, astronomie, morale et métaphysique.

Un éveil humaniste qui fut, comme chacun sait, le précurseur de nos fameuses Lumières...

Babel

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Message  MO2014 Mar 4 Nov - 19:56

Merci Babel.

Pour ceux qui souhaitent comprendre un peu plus le PIR, sa constitution, son histoire, le contexte dans lequel il s'inscrit, ses priorités...:




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Message  MO2014 Mar 11 Nov - 11:38

L’impérialisme et les racines de la Première Guerre Mondiale
Publié le 11 novembre 2014 par Selim Nadi, membre du PIR

Lorsque le philosophe libéral Isaiah Berlin (1909 – 1997) revint sur sa traversée du XXème siècle, il écrivit « Je m’en souviens seulement comme du siècle le plus terrible de l’histoire occidentale » ; de la même manière, une autre figure ayant parcouru la quasi-totalité du XXème siècle, l’historien – qui fut membre du Parti Communiste britannique – Eric Hobsbawn (1917 – 2012) écrivit dans son fameux ouvrage L’Âge des extrêmes, que 1914 inaugure l’ère des massacres (p. 47) et rappelle qu’à l’époque la plupart des observateurs européens voyaient dans le début de la Grande Guerre la fin du monde, avant d’ajouter : « L’espèce humaine a survécu, mais le grand édifice de la civilisation du XIXème siècle s’est écroulé dans les flammes de la guerre mondiale » (p. 44). Alors que partout, l’on « célèbre » actuellement le centenaire de la Première Guerre Mondiale, il est primordial de nous rappeler que 1914 représentait principalement la fin de la fin de leur monde ! Car le nôtre était à feu et à sang depuis longtemps déjà. À ce niveau, Enzo Traverso n’a pas totalement tort lorsqu’il écrit que la tétralogie proposée par Hobsbawn (L’Ère des révolutions, L’Ère du capital et L’Ère des empires), ainsi que son magistral travail L’Âge des extrêmes – qui apparaissent aujourd’hui comme des travaux de référence – sont teintés d’eurocentrisme. En effet, qu’est ce que la Première Guerre mondiale sinon la transposition en Europe de ce qui se passait déjà dans le monde extra-européen ? Alors que les livres d’histoire font de l’assassinat de l’archiduc Franz-Ferdinand l’élément déclencheur de la Première Guerre mondiale, il est primordial, pour nous, de rappeler que la guerre résulte principalement de l’éclatement des tensions entre puissances impériales dans leur entreprise de « partage » du monde. Car c’est la lutte pour ces sphères d’influence qui a engendré d’énormes tensions entre les puissances européennes.

C’est ce que le philosophe noir marxiste W.E. Burghardt Du Bois écrit, en 1915, dans son célèbre article « The African Roots of the War »[1] :

« (…) actuellement, la plupart des hommes pensent que l’Afrique est à mille lieux du centre de nos problèmes sociaux et particulièrement du problème actuel de la guerre mondiale. »

Poursuivant plus loin :

« (…) c’est sur le continent noir que résident les racines, non seulement de la guerre actuelle mais des guerres futures. »

Car, 1914 apparaît principalement comme la conséquence logique de la concurrence entre pays dans la construction de leurs Empires. Rappelons qu’en 1880 les Britanniques arrivèrent en Égypte et que le dépeçage de l’Afrique prit la tournure que l’on connait désormais ; qu’en 1886 la Tunisie perdit son indépendance, que de 1890 à 1902 le Japon attaqua la Chine et s’empara de Taiwan ; que de 1899 à 1902 eut lieu la seconde guerre des Boers en Afrique-du-Sud, opposant les descendants des colons néerlandais et allemands, arrivés en Afrique-du-Sud entre le XVIIème et le XVIIIème siècle, aux Britanniques qui mirent en place les premiers camps de concentration ; qu’à partir de 1904 l’Allemagne débuta ce qui est considéré comme le premier génocide du XXème siècle en Namibie, contre les Héréros, en Namibie, à l’occasion duquel les Allemands purent reprendre et « améliorer » les camps de concentration mis en place durant la seconde guerre des Boers, etc. …

L’une des phases les plus exemplaires de cette lutte de l’Occident pour s’approprier le reste du monde fut le conflit opposant l’Allemagne et la France dans la colonisation du Maroc, en 1905. En effet, la France ayant vu ses espoirs de colonisation de l’Égypte anéantis par les Britanniques, se devait de s’approprier le Maroc afin d’asseoir sa puissance (notamment après la débâcle de 1871 et la perte de l’Alsace-Moselle). Cependant, l’empereur de Prusse Guillaume II ne l’entendait pas de cette oreille et débarque à Tanger où il se donne en spectacle et annonce son « soutien » au Maroc contre les ambitions françaises. Inutile ici de préciser que ce soutien opportuniste ne visait pas à assurer l’indépendance du Maroc mais uniquement à empêcher la France de devenir une puissance coloniale trop forte. Si, en 1905, c’est l’Allemagne qui l’emporte (et non le Maroc, dont l’avis importait bien peu), la conférence d’Algesiras du 7 avril 1906 donne raison à la France. Finalement, en 1912, la France concéda des territoires à l’Allemagne au Congo et au Cameroun, en échange de la mise en place d’un « protectorat » (un terme un peu plus « poli » pour parler de colonisation) au Maroc.

Dire que l’année 1914 inaugure l’ère des massacres est donc, au minimum, indécent. Ceci-dit, il est vrai que cette année marque l’ère des massacres en Europe, mais ceux-ci ne peuvent pas être analysés de manière intra-européenne et le rapports qu’ils entretenaient avec les massacres de l’Europe au-delà de ses frontières est primordial à rappeler. On a, en effet, l’impression que les massacres furent « testés » sur de non-Européens avant de pouvoir les importer en Europe. Analyser le début de la Première Guerre Mondiale comme résultant principalement des tensions balkaniques et de l’assassinat de Franz-Ferdinand est donc une erreur historique, pouvant avoir des conséquences politiques. Ainsi, dans sa magistrale Histoire populaire de l’humanité, l’historien britannique Chris Harman écrit avec raison (bien que les dates peuvent-être discutées) que :

« Dès 1904, il avait été démontré que l’impérialisme ne pouvait que mener à la guerre entre puissances coloniales et à la servitude des peuples colonisés. À cette date en effet, la poussée de l’Empire russe vers l’est, en direction du Pacifique, l’avait opposé directement, en Chine septentrionale, à la poussée japonaise qui s’effectuait vers l’ouest, par la Corée. La défaite russe précipita la révolution de 1905. Par deux fois, en 1906 et en 1911, un conflit d’intérêts similaire au Maroc, entre la France et l’Allemagne, faillit mener à la guerre. » (p. 442)

Par ailleurs, s’il est désormais assez largement reconnu que les indigènes des colonies jouèrent un rôle de premier plan dans cette guerre (ainsi que dans la suivante), il est étrange de ne jamais rappeler que le rôle qu’ils jouèrent est totalement lié aux origines coloniales de la Grande Guerre. Eric Hobsbawn écrit ainsi (dans L’Âge des extrêmes) :

« (…) des troupes d’outre-mer furent souvent pour la première fois envoyées se battre et en opération hors de leurs régions. Les Canadiens combattirent en France, les Australiens et les Néo-Zélandais se forgèrent leur conscience nationale sur une péninsule de la mer Égée – « Gallipoli » devint leur mythe national – et, de manière plus significative les États-Unis rejetèrent la mise en garde de George Washington contre les »complications européennes » et envoyèrent leurs hommes se battre là-bas, déterminant ainsi la forme de l’histoire du XXème siècle. Des Indiens furent dépêchés en Europe et au Moyen-Orient, des bataillons de main-d’œuvre chinoise arrivèrent en Occident, des Africains combattirent dans l’armée française. » (p. 46)

L’aspect mondial de la Grande Guerre devrait donc également être mis en avant lorsque l’on parle de ses origines, et de ses racines qui plongent dans l’impérialisme européen. De la même manière, les sources de cette guerre pourraient servir d’illustrations assez évidentes à ce qu’est le privilège blanc et à la relative autonomie des rapports de force raciaux vis-à-vis des rapports de classe. Notamment par le fait que la Grande Guerre n’a pas réellement vu naître d’alliance toute faite entre le prolétariat blanc-européen et le prolétariat des peuples colonisés, non-blancs. De ce point de vue, Alberto Toscano a parfaitement raison de citer ce passage de « The Class Struggle » de W.E.B Du Bois :

« Jusqu’à quel point peut-on appliquer le dogme de la lutte des classes au peuple noir aux États-Unis aujourd’hui ? Théoriquement, nous faisons partie du monde prolétaire dans la mesure où nous sommes principalement une classe exploitée de travailleurs bon marché ; mais en pratique nous ne faisons pas partie du prolétariat blanc et nous ne sommes pas vraiment reconnus par ce prolétariat. Nous sommes victimes de leur oppression physique, de l’ostracisme social, de l’exclusion économique et de la haine personnelle ; et lorsque nous ne cherchons qu’à survivre en nous défendant nous-mêmes, on nous traite de « jaunes ». »[2]


Bien que l’on puisse regretter l’attitude de Du Bois face à la Première Guerre Mondiale (il encouragea les noirs américains à rejoindre l’effort de guerre), ces lignes restent d’une brulante actualité.

En résumé, les commémorations de la Grande Guerre devraient être repolitisées et ne pas servir qu’à pleurer les soldats morts à cause de la France ; cela fait 100 ans que ce que subissaient les non-Européens depuis bien plus longtemps arriva sur le continent blanc et mena à un massacre. Si les indigènes doivent s’intéresser à leur rôle dans l’histoire de l’Europe, il réside aussi en ceci : ce que les Européens se sont infligés à eux-mêmes n’est pas né de nulle part, mais découle du colonialisme et des horreurs que l’Europe a fait subir au « reste du monde ».

http://indigenes-republique.fr/limperialisme-et-les-racines-de-la-premiere-guerre-mondiale/

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