Où va la crise ?
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Re: Où va la crise ?
Delors: «L'euro et l'Europe sont au bord du gouffre»
L'ancien président de la Commission européenne, le Français Jacques Delors a estimé jeudi que l'euro et l'Union européenne étaient «au bord du gouffre» en dénonçant au passage la réaction trop timide, selon lui, des dirigeants européens.
«Ouvrons les yeux: l'euro et l'Europe sont au bord du gouffre. Et pour ne pas tomber le choix me paraît simple: soit les Etats membres acceptent la coopération économique renforcée que j'ai toujours réclamée, soit ils transfèrent des pouvoirs supplémentaires à l'Union», affirme M. Delors dans un entretien publié conjointement par le journal belge Le Soir et le quotidien suisse Le Temps.
L'ancien président de la Commission européenne (1985-1994) se montre sévère sur le résultat de la rencontre entre le président Nicolas Sarkozy et la chancelière allemande Angela Merkel. «Tel quel, cela ne servira à rien», dit-il. Il se montre tout aussi critique sur la proposition de créer un ministre des Finances de la zone euro en qualifiant ce projet de «gadget farfelu».
M. Delors plaide notamment pour une mutualisation partielle de la dette des Etats «jusqu'à hauteur de 60% de leur PIB».
«La mutualisation partielle des dettes, c'est la pompe pour éteindre le feu et redonner un sens à la coopération communautaire. Les Etats membres, simultanément, doivent lever leurs dernières objections aux six projets de directives sur la gouvernance économique, dont le Parlement européen a logiquement durci le contenu pour rendre plus automatique les sanctions en cas de dérapage budgétaire», a-t-il expliqué.
«J'ai toujours dit que le succès de l'Europe, sur le plan économique, repose sur un triangle: la compétition qui stimule, la coopération qui renforce et la solidarité qui unit. Il faut passer à l'acte. Car si on ne le fait pas, les marchés continueront de douter», a-t-il mis en garde.
«Depuis le début de la crise, les dirigeants européens sont passés à côté des réalités. Comment peuvent-ils penser que les marchés vont croire aux promesses du sommet de la zone euro, le 21 juillet, s'il faut attendre la fin septembre pour les transformer en actes?», a-t-il ajouté.
(Source AFP)
gérard menvussa- Messages : 6658
Date d'inscription : 06/09/2010
Age : 67
Localisation : La terre
Re: Où va la crise ?
Parallèlement aux déclarations de Delors...
11H00 GMT, les banques Société Générale (- 5,26 %), Crédit Agricole (- 4,14 %) et BNP Paribas (- 3,27 %) s’affichaient en net recul. La tendance était identique à Londres avec la banque Barclays (- 4,71 %), ainsi qu’à Francfort avec Deutsche Börse (- 2,96 %).
16H38 – Les bancaires dévissent – A Paris, les valeurs bancaires sont fortement attaquées, Société Générale en tête, les investisseurs craignant que le géant bancaire français ne souffre de problèmes de liquidités. Société Générale perd 12,09%, Crédit Agricole 9,0% et BNP Paribas 8,24%
16H35 – L’Europe plonge dans le rouge – Sur le Vieux continent, les places financières annoncent des décrochages les unes après les autres: Madrid perd plus de 6%, la Bourse suisse affiche -5,21% et Bruxelles -5%
16H25 – Catastrophique – A Wall Street, c’est l’annonce d’un indicateur américain catastrophique sur l’activité industrielle, dans un marché sapé depuis l’ouverture par les inquiétudes sur la croissance mondiale, qui précipite la chute: le Dow Jones perd 3,81% et le Nasdaq 4,52%.
16H23 – Milan s’effondre – Vers 16H20, la bourse perd plus de 6%. La panique se propage sur les places européennes.
Un vent de panique souffle sur les principales places boursières, dont certaines, comme à Paris perdent autour de 6%. A Wall Street, le Dow Jones perdait plus de 4% vers 14H00 GMT
11H00 GMT, les banques Société Générale (- 5,26 %), Crédit Agricole (- 4,14 %) et BNP Paribas (- 3,27 %) s’affichaient en net recul. La tendance était identique à Londres avec la banque Barclays (- 4,71 %), ainsi qu’à Francfort avec Deutsche Börse (- 2,96 %).
16H38 – Les bancaires dévissent – A Paris, les valeurs bancaires sont fortement attaquées, Société Générale en tête, les investisseurs craignant que le géant bancaire français ne souffre de problèmes de liquidités. Société Générale perd 12,09%, Crédit Agricole 9,0% et BNP Paribas 8,24%
16H35 – L’Europe plonge dans le rouge – Sur le Vieux continent, les places financières annoncent des décrochages les unes après les autres: Madrid perd plus de 6%, la Bourse suisse affiche -5,21% et Bruxelles -5%
16H25 – Catastrophique – A Wall Street, c’est l’annonce d’un indicateur américain catastrophique sur l’activité industrielle, dans un marché sapé depuis l’ouverture par les inquiétudes sur la croissance mondiale, qui précipite la chute: le Dow Jones perd 3,81% et le Nasdaq 4,52%.
16H23 – Milan s’effondre – Vers 16H20, la bourse perd plus de 6%. La panique se propage sur les places européennes.
Un vent de panique souffle sur les principales places boursières, dont certaines, comme à Paris perdent autour de 6%. A Wall Street, le Dow Jones perdait plus de 4% vers 14H00 GMT
Roseau- Messages : 17750
Date d'inscription : 14/07/2010
Pas de récession ?
Aucune nouvelle récession n'est en vue dans la zone euro ni à l'échelle mondiale malgré un ralentissement généralisé de la croissance économique, martèle depuis Oslo le président de l'Union européenne, Herman Van Rompuy.
Par contre...dans une nouvelle note de conjoncture, la banque Morgan Stanley a abaissé ses prévisions de croissance mondiale pour 2011 et 2012. "Les Etats-Unis et la zone euro se rapprochent dangereusement de la récession", écrit la banque.
Par contre...dans une nouvelle note de conjoncture, la banque Morgan Stanley a abaissé ses prévisions de croissance mondiale pour 2011 et 2012. "Les Etats-Unis et la zone euro se rapprochent dangereusement de la récession", écrit la banque.
Roseau- Messages : 17750
Date d'inscription : 14/07/2010
Re: Où va la crise ?
18H25 - L'indice Dow Jones affiche un repli de 3,38% et l'indice composite du Nasdaq perd 4,08%.
18H15 - Pertes record pour le Dax - L'indice vedette de la Bourse de Francfort, avec une clôture à -5,82%, signe sa plus forte chute journalière depuis le 1er décembre 2008 lorsque, en pleine crise financière, le Dax avait perdu 5,88% en une séance.
18H05 - Séance folle - "On a encore vécu une séance folle et connu une véritable capitulation, aucun secteur n'ayant été épargné, même si les bancaires ont énormément souffert", commente Renaud Murail, gérant d'actions chez Barclays Bourse, après la clôture de Paris.
18H02 - L'Italie visée? - "Je n'ai pas l'impression que la chute de la Bourse italienne, certainement préoccupante, soit liée à une évaluation négative de notre plan d'austérité de la part des marchés. Il s'agit d'une dépression internationale", déclare Paolo Romani, ministre italien du Développement économique italien, sur la chaîne SkyTg24.
18H00 - Amsterdam décroche - L'indice AEX des principales valeurs de la Bourse d'Amsterdam a terminé la séance sur une chute de 4,47%. Selon l'agence de presse néerlandaise ANP, il s'agit de la perte la plus forte sur une séance depuis mars 2009.
17H59 - "Les politiques échouent" - Pour Ross Norman, analyste du courtier spécialisé Sharps Pixley, "il y a sur les marchés un sentiment que l'environnement économique devient dangereux, et une impression croissante que les responsables politiques échouent à répondre aux enjeux de la crise, aux Etats-Unis comme en Europe"
17H58 - Nouveau sommet pour l'or - Traditionnelle valeur refuge, il a grimpé pour la première fois au-dessus de 1.825 dollars l'once dans l'après-midi.
17H55 - Les scandinaves suivent - Les Bourses nordiques ne sont pas épargnées par les pertes massives. A la fermeture, la Bourse de Stockholm affichait une chute de 6,73%, celle d'Helsinki 6,45%, celle d'Oslo 5,97% et celle de Copenhague 4,69%.
18H15 - Pertes record pour le Dax - L'indice vedette de la Bourse de Francfort, avec une clôture à -5,82%, signe sa plus forte chute journalière depuis le 1er décembre 2008 lorsque, en pleine crise financière, le Dax avait perdu 5,88% en une séance.
18H05 - Séance folle - "On a encore vécu une séance folle et connu une véritable capitulation, aucun secteur n'ayant été épargné, même si les bancaires ont énormément souffert", commente Renaud Murail, gérant d'actions chez Barclays Bourse, après la clôture de Paris.
18H02 - L'Italie visée? - "Je n'ai pas l'impression que la chute de la Bourse italienne, certainement préoccupante, soit liée à une évaluation négative de notre plan d'austérité de la part des marchés. Il s'agit d'une dépression internationale", déclare Paolo Romani, ministre italien du Développement économique italien, sur la chaîne SkyTg24.
18H00 - Amsterdam décroche - L'indice AEX des principales valeurs de la Bourse d'Amsterdam a terminé la séance sur une chute de 4,47%. Selon l'agence de presse néerlandaise ANP, il s'agit de la perte la plus forte sur une séance depuis mars 2009.
17H59 - "Les politiques échouent" - Pour Ross Norman, analyste du courtier spécialisé Sharps Pixley, "il y a sur les marchés un sentiment que l'environnement économique devient dangereux, et une impression croissante que les responsables politiques échouent à répondre aux enjeux de la crise, aux Etats-Unis comme en Europe"
17H58 - Nouveau sommet pour l'or - Traditionnelle valeur refuge, il a grimpé pour la première fois au-dessus de 1.825 dollars l'once dans l'après-midi.
17H55 - Les scandinaves suivent - Les Bourses nordiques ne sont pas épargnées par les pertes massives. A la fermeture, la Bourse de Stockholm affichait une chute de 6,73%, celle d'Helsinki 6,45%, celle d'Oslo 5,97% et celle de Copenhague 4,69%.
Roseau- Messages : 17750
Date d'inscription : 14/07/2010
Re: Où va la crise ?
https://www.youtube.com/watch?v=ZlDnbSuet2Q&feature=player_embedded#!
A regarder et lire les sous titrages
A regarder et lire les sous titrages
fée clochette- Messages : 1274
Date d'inscription : 23/06/2010
Age : 59
Localisation : vachement loin de la capitale
Re: Où va la crise ?
Cela dit, je crois qu'il faut se méfier de la source : la référence en question a été publiée par Jean Raspail, militant réac bien connu, et est relayé principalement par Fdesouche et autres "égalitéetréconcialiation", toute la fachosphère, quoi !
gérard menvussa- Messages : 6658
Date d'inscription : 06/09/2010
Age : 67
Localisation : La terre
Re: Où va la crise ?
gérard menvussa a écrit:Cela dit, je crois qu'il faut se méfier de la source : la référence en question a été publiée par Jean Raspail, militant réac bien connu, et est relayé principalement par Fdesouche et autres "égalitéetréconcialiation", toute la fachosphère, quoi !
Oui bien sur..
Pour le reste c'est Russia Today , le CNN russe très officiel et relativement facho à la russe (nationaliste, etc), mais c'est toujours intéressant et correspond par certains aspects de ce que l'on peut constater. Maintenant l'interprétation d'une guerre de Wall Street et de la City me semble paranoïaque .
Mais disons que ça fait le blanc et le noir entre les cireurs de pompes de télé sarko face à une info beaucoup plus trash.
la journée d'aujourd'hui montre que le conseiller financier concerné est peut-être plus proche de la réalité que les mensonges déversés en France sur la situation financières des banques.
Qu'est ce que l'on peut constater ?
Que les banques sont attaquées particulièrement depuis un moment sur les marchés. Les spasmes de ces deux dernières semaines ne sont que la partie explosive de l'attaque.
Quand on regarde les volumes d'échange des titres on voit que ça a manœuvré depuis un moment pour se débarasser du papier .
Les banques sont en mauvais état et les hyènes n'arrivent que quand il y a une odeur de sang répandue.
Copas- Messages : 7025
Date d'inscription : 26/12/2010
Re: Où va la crise ?
Peux-tu développer ta réponse Copas, c'est pour moi une contrib. assez lapidaire et floue. Et surtout strictement observatrice et qui donc manque d'analyse. (sorry)
Vérosa_2- Messages : 683
Date d'inscription : 01/09/2010
Re: Où va la crise ?
Vérosa_2 a écrit:Peux-tu développer ta réponse Copas, c'est pour moi une contrib. assez lapidaire et floue. Et surtout strictement observatrice et qui donc manque d'analyse. (sorry)
Un peu plus haut dans le fil j'en ai parlé. Sans pour autant en faire des tonnes.
C'est vrai que je constate ce qui se passe qui signifie que la dette privée n'est pas passée essentiellement dans la dette publique malgré les colossaux cadeaux faits aux banques et groupes financiers.
Nous avons donc, dans la phase actuelle, à l'intérieur de la grande crise, le cumul de la crise des deux dettes, dans un fond récessif sans horizon, la crise de la dette publique rendant très compliquée maintenant le sauvetage des banques privées d'une partie de l'Europe, faute de munitions.
En plus dans le cadre d'une récession de fait, tout devient très compliqué pour les exécutifs de la bourgeoisie.
C'est ce qui explique que le caniche français n'a pas moufté aux côtés de l’exécutif allemand. La phase actuelle de la crise tourne en Europe autour de l'Italie, de l'Espagne , donc de la France par la puissance historique de ses banques.
La question pour l’exécutif bourgeois français est très compliquée maintenant , ils pouvaient brailler pour l'austérité sur le terrain de la dette publique (politiquement faisable) , mais sauver en même temps et à nouveau les banques devient très difficile politiquement. Cqfd, les braillements de Télé-Sarko, des autorités, etc, a été de développé un contre-feu argumentaire sur le thème du déni : les banques ont été victimes de rumeurs malveillantes.
Mais ça ne change rien au fond de cette phase particulière.
Et les ventes importantes d'actions des banques françaises, précédent l’accélération explosive à la baisse, montrent que depuis un moment (le début de l'année) de gros intérets sortaient des banques. La venue des hyènes vient quand ce phénomène cumulatif a commencé à devenir évident et que les cours du secteur bancaire ont commencé sérieusement à se démarquer des autres secteurs.
Ci dessous la courbe des prix des actions de la Société Générale, le rond noir figurant la divergence avec le reste des actions du CAC 40 et le petit rond rouge figurant le moment ou soit-disant cette banque aurait été victime de fausses rumeurs.
La réalité est que depuis 6 mois le secteur bancaire français voit des intérets puissants s'en écarter. Après c'est une question d'arrivée des vautours quand l'affaire devient publique et la chute verticale permettant des ventes à découvert gargantuesques des groupes purement spéculatifs.
[img][/img]
A échelle supérieure, tout cela se déroule en toile de fond sur un truc qui achève, c'est à dire le ralentissement de la croissance, puis l'entrée en récession, notamment dans le secteur industriel. On ne mène pas impunément des phases d'austérité à très grande échelle sans que cela ait des conséquences concrètes (ce qui ne signifie pas que la résolution de la question de la crise passe par le redémarrage par un rooseveltisme achevé).
Nous nous enfonçons dans le chaos.
Copas- Messages : 7025
Date d'inscription : 26/12/2010
Bang Bank, par François Leclerc
En complément de l'analyse de Copas
http://www.pauljorion.com/blog/?p=27702#comments
http://www.pauljorion.com/blog/?p=27702#comments
Roseau- Messages : 17750
Date d'inscription : 14/07/2010
Re: Où va la crise ?
Euro : en sortir ou pas ?
Le déroulement de la crise peut se résumer de manière simple : le capitalisme s’est reproduit durant les deux décennies précédant la crise en accumulant une montagne de dettes. Pour éviter l’effondrement du système, les États ont repris à leur compte l’essentiel de ces dettes qui, de privées, sont devenus publiques. Leur projet est dorénavant de présenter la facture aux citoyens sous forme de coupes budgétaires, d’augmentation des impôts les plus injustes et de gel des salaires. En résumé, la majorité de la population (travailleurs et retraités) doit assurer la réalisation de profits fictifs accumulés durant de longues années.
Le ver était dans le fruit
Vouloir construire un espace économique avec une monnaie unique, mais sans budget, n’était pas un projet cohérent. Une union monétaire tronquée devient une machine à fabriquer de l’hétérogénéité et de la divergence. Les pays connaissant une inflation supérieure à la moyenne perdent en compétitivité, sont incités à fonder leur croissance sur le surendettement.
Rétrospectivement, le choix de l’euro n’avait d’ailleurs pas de justification évidente par rapport à un système de monnaie commune, avec un euro convertible pour les relations avec le reste du monde, et des monnaies réajustables à l’intérieur. En réalité, l’euro était conçu comme un instrument de discipline budgétaire et surtout salariale. Le recours à la dévaluation étant impossible, le salaire devenait la seule variable d’ajustement.
Pourtant, le système a fonctionné tant bien que mal grâce au surendettement et, au moins dans un premier temps, à la baisse de l’euro par rapport au dollar. Ces expédients ne pouvaient que s’épuiser, et les choses ont commencé à se détraquer avec la politique allemande de déflation salariale qui l’a conduite à accroître ses parts de marché, en majeure partie à l’intérieur de la zone euro. Même si la zone euro était globalement en équilibre, l’écart s’est ainsi creusé entre les excédents allemands et les déficits de la majorité des autres pays. Les taux de croissance des pays de la zone euro ne se sont pas rapprochés : ils ont au contraire eu tendance à diverger, et cela dès la mise en place de l’euro.
Cette configuration n’était pas soutenable. La crise a brutalement accéléré les processus de fragmentation et la spéculation financière a fait apparaître au grand jour les tensions inhérentes à l’Europe néo-libérale. La crise a approfondi la polarisation de la zone euro en deux groupes de pays. D’un côté, l’Allemagne, les Pays-Bas et l’Autriche bénéficiaient d’importants excédents commerciaux et leurs déficits publics restaient modérés. De l’autre, on trouvait déjà les fameux « PIGS » (Portugal Italie Grèce Espagne) dans une situation inverse : forts déficits commerciaux et déficits publics déjà au-dessus de la moyenne. Avec la crise, les déficits publics se sont creusés partout mais beaucoup moins dans le premier groupe de pays qui conservent des excédents commerciaux. Dans tous les autres pays, la situation se dégrade avec l’explosion des déficits publics, et un déséquilibre croissant de la balance commerciale.
En Europe, la crise des dettes souveraines a accéléré le tournant vers l’austérité qui était de toute manière programmé. La spéculation contre la Grèce, puis l’Irlande et le Portugal n’a été possible que parce qu’il n’y a eu aucune mesure de contrôle des banques ni de prise en charge mutualisée des dettes à l’échelle européenne. Ce sont d’ailleurs les banques centrales qui fournissent les munitions, en prêtant aux banques à 1 % l’argent qui sera ensuite utilisé pour profiter de la hausse des taux servis par les États, et empocher la différence.
L’endettement public prenant le relais de l’endettement privé, la crise financière rebondit sur ce terrain. De ce point de vue, les plans de sauvetage de l’euro sont en réalité des plans de sauvetage des banques européennes qui détiennent une bonne partie de la dette des pays menacés. Les attaques spéculatives sont utilisées comme argument en faveur d’un passage rapide à des plans d’austérité drastiques. C’est un non-sens qui ne peut déboucher que sur une nouvelle récession, y compris en Allemagne où les exportations vers les pays émergents ne pourront compenser les pertes sur les marchés européens.
Au fond, les gouvernements européens n’ont qu’un seul objectif : revenir aussi vite que possible au business as usual. Mais cet objectif est hors d’atteinte, précisément parce que tout ce qui avait permis de gérer les contradictions d’une intégration monétaire bancale a été rendu inutilisable par la crise. Ces éléments d’analyse sont aujourd’hui assez largement partagés. Ils conduisent cependant à des pronostics et à des orientations opposées : éclatement de la zone euro, ou refondation de la construction européenne.
Pour une refondation de l’Europe
Le principe essentiel, c’est la satisfaction optimale des besoins sociaux. Le point de départ est donc la répartition des richesses. Du point de vue capitaliste, la sortie de crise passe par une restauration de la rentabilité et donc par une pression supplémentaire sur les salaires et l’emploi. Mais c’est la part du revenu national ponctionnée sur les salaires qui a nourri les bulles financières. Et ce sont les contre-réformes néolibérales qui ont creusé les déficits, avant même l’éclatement de la crise.
L’équation est donc simple : on ne sortira pas de la crise par le haut sans une modification significative de la répartition des revenus. Cette question vient avant celle de la croissance. Certes, une croissance plus soutenue serait favorable à l’emploi et aux salaires (encore faut-il en discuter le contenu d’un point de vue écologique) mais, de toute manière, on ne peut pas tabler sur cette variable si, en même temps, la répartition des revenus devient de plus en plus inégalitaire.
Il faut donc prendre en tenailles les inégalités : d’un côté par l’augmentation de la masse salariale, de l’autre par la réforme fiscale. La remise à niveau de la part des salaires pourrait suivre une règle des trois tiers : un tiers pour les salaires directs, un tiers pour le salaire socialisé (la protection sociale) et un tiers pour la création d’emplois par réduction du temps de travail. Cette progression se ferait au détriment des dividendes, qui n’ont aucune justification économique ni utilité sociale. Le déficit budgétaire devrait être progressivement réduit, non pas par une coupe dans les dépenses, mais par une refiscalisation de toutes les formes de revenus qui ont été peu à peu dispensées d’impôts. Dans l’immédiat, le coût de la crise devrait être assumé par ses responsables, autrement dit la dette devrait être en grande partie annulée et les banques nationalisées.
Le chômage et la précarité étaient déjà les tares sociales les plus graves de ce système : la crise les durcit encore, d’autant plus que les plans d’austérité vont rogner sur les conditions d’existence des plus défavorisés. Là encore, une hypothétique croissance ne doit pas être considérée comme la voie royale. Produisons plus pour pouvoir créer des emplois ? C’est prendre les choses à l’envers. Il faut opérer ici un changement total de perspective et prendre la création d’emplois utiles comme point de départ. Que ce soit par réduction du temps de travail dans le privé, ou par créations de postes dans les administrations, services publics et collectivités, il faut partir des besoins et comprendre que ce sont les emplois qui créent de la richesse (pas forcément marchande). Et cela permet d’établir une passerelle avec les préoccupations environnementales : la priorité au temps libre et la création d’emplois utiles sont deux éléments essentiels de tout programme de lutte contre le changement climatique.
La question de la répartition des revenus est donc le bon point d’accroche, autour de ce principe simple : « nous ne paierons pas pour leur crise ». Cela n’a rien à voir avec une « relance par les salaires » mais avec une défense des salaires, de l’emploi et des droits sociaux sur laquelle il ne devrait pas y avoir de discussion. On peut alors mettre en avant la notion complémentaire de contrôle : contrôle sur ce qu’ils font de leurs profits (verser des dividendes ou créer des emplois) ; contrôle sur l’utilisation des impôts (subventionner les banques ou financer les services publics). L’enjeu est de faire basculer de la défense au contrôle et seul ce basculement peut permettre que la mise en cause de la propriété privée des moyens de production (le véritable anticapitalisme) acquière une audience de masse.
Comme le résume bien Özlem Onaran[1] : « Un consensus émerge entre les forces anticapitalistes européennes autour d’une stratégie fondée sur quatre piliers: 1) résistance aux politiques d’austérité ; 2) réforme fiscale radicale et contrôle des capitaux ; 3) nationalisation/socialisation des banques sous contrôle démocratique ; 4) audit de la dette sous contrôle démocratique suivi d’un éventuel défaut. »
Sortie de l’euro ?
Quel serait l’avantage d’une sortie de l’euro ? L’argument principal est qu’il rendrait possible une dévaluation de la nouvelle monnaie qui rétablirait la compétitivité du pays concerné. Il redonnerait à la Banque centrale la possibilité d’émettre de la monnaie afin de financer autrement son déficit. Les plus optimistes y voient un moyen de réindustrialiser une économie, d’atteindre une croissance plus élevée et de créer des emplois.
La fusion des monnaies nationales au sein de l’euro a retiré une variable d’ajustement essentielle, le taux de change. Les pays dont la compétitivité-prix recule n’ont d’autre moyen, dans le cadre européen actuel, que le freinage des salaires et la fuite en avant dans l’endettement. Ceci est vrai mais n’empêche pas le scénario de sortie de l’euro d’être incohérent.
La sortie de l’euro ne résoudrait en rien la question de la dette et l’aggraverait au contraire, dans la mesure où la dette à l’égard des non-résidents serait immédiatement augmentée du taux de dévaluation. La restructuration de la dette devrait donc en tout état de cause être réalisée avant la sortie de l’euro.
Revenir à une monnaie nationale dans le cas de pays qui enregistrent d’importants déficits extérieurs les soumet directement à la spéculation sur la monnaie. L’appartenance à l’euro avait au moins l’avantage de préserver les pays de ces attaques spéculatives : ainsi le déficit commercial de l’Espagne avait atteint jusqu’à 9 % du PIB sans effet, évidemment, sur « sa » monnaie.
Une dévaluation rend les produits d’un pays plus compétitifs, en tout cas à l’égard des pays qui ne dévaluent pas. Il faudrait donc que la sortie de l’euro ne concerne qu’un petit nombre de pays. C’est donc une solution nationale non coopérative où un pays cherche à gagner des parts de marché sur ses partenaires commerciaux. Mais une dévaluation fait augmenter le prix des importations, qui se répercute sur l’inflation interne et peu annuler en partie les gains de compétitivité sur les prix à l’exportation. L’économiste Jacques Sapir, qui a établi un plan de sortie de l’euro pour la France[2], reconnaît que l’inflation « imposera des dévaluations régulières (tous les ans ou tous les 18 mois) » pour maintenir le taux de change réel constant. Cela revient à accepter une boucle inflation-dévaluation sans fin. La compétitivité d’un pays repose sur des éléments matériels : les gains de productivité, l’innovation, la spécialisation industrielle, etc. Penser que la manipulation des taux de change peut suffire à assurer la compétitivité est largement une illusion.
C’est pourquoi il n’y a à peu près aucune expérience de dévaluation qui ne se soit pas traduite par une austérité accrue qui retombe en définitive sur les salariés. Pour que la dévaluation serve à la mise en place d’une autre répartition des revenus et d’un autre mode de croissance, il faudrait que les rapports de forces sociaux aient été profondément transformés. Faire de la sortie de l’euro un préalable revient donc à inverser les priorités entre transformation sociale et taux de change. Il y a là un glissement extrêmement dangereux. Dans son document, Jacques Sapir souligne que la « nouvelle monnaie devrait alors être insérée dans les changements de politique macroéconomique et institutionnel […] si l’on veut qu’elle donne tous les effets attendus ». Parmi ces changements, il cite un rattrapage des salaires, la pérennisation des systèmes sociaux, un contrôle strict des capitaux, la réquisition de la banque de France, le contrôle de l’État sur les banques et les assurances. Mais toutes ces mesures devraient avoir été imposées avant même tout projet de sortie de l’euro.
Un gouvernement de transformation sociale commettrait d’ailleurs une terrible erreur stratégique en commençant par sortir de l’euro, puisqu’il s’exposerait ainsi à toutes les mesures de rétorsion.
Politiquement, le risque est très grand de donner une légitimité de gauche aux programmes populistes. En France, le Front National fait de la sortie de l’euro l’un des axes de sa politique. Il renoue avec une logique national-socialiste qui combine le discours xénophobe avec une lecture faisant de l’intégration européenne la source exclusive de tous les maux économiques et sociaux.
C’est le fond de la question. La mondialisation et l’intégration européenne néolibérales renforcent le rapport de forces en faveur du capital. Mais il n’est pas possible d’en faire la cause unique, comme si un meilleur partage des richesses pouvait s’établir spontanément, à l’intérieur de chaque pays, à la seule condition de prendre des mesures protectionnistes. Laisser croire que la sortie de l’euro pourrait en soi améliorer le rapport de forces en faveur des travailleurs est au fond l’erreur d’analyse fondamentale. Il suffit pourtant de considérer l’exemple britannique : la livre sterling ne fait pas partie de l’euro, mais cela ne met pas la population à l’abri d’un plan d’austérité parmi les plus brutaux en Europe.
Les partisans de la sortie de l’euro avancent un autre argument : la sortie de l’euro serait une mesure immédiate, relativement facile à prendre, alors qu’une perspective de refondation européenne serait hors d’atteinte. Cet argument passe à côté de la possibilité même d’une stratégie de rupture qui ne présuppose pas qu’elle intervienne de manière simultanée dans tous les pays européens.
Pour une stratégie de rupture et d’extension
Le choix semble donc être entre une aventure hasardeuse et une harmonisation utopique. La question politique centrale est alors de sortir de ce dilemme. Pour essayer d’y répondre, il faut travailler la distinction entre les fins et les moyens. L’objectif d’une politique de transformation sociale, c’est, encore une fois, d’assurer à l’ensemble des citoyens une vie décente dans toutes ses dimensions (emploi, santé, retraite, logement, etc.). L’obstacle immédiat est la répartition des revenus qu’il faut modifier à la source (entre profits et salaires) et corriger au niveau fiscal. Il faut donc prendre un ensemble de mesures visant à dégonfler les revenus financiers et à réaliser une réforme fiscale radicale. Ces enjeux passent par la mise en cause des intérêts sociaux dominants, de leurs privilèges, et cet affrontement se déroule avant tout dans un cadre national. Mais les atouts des dominants et les mesures de rétorsion possibles dépassent ce cadre national : on invoque immédiatement la perte de compétitivité, les fuites de capitaux et la rupture avec les règles européennes.
La seule stratégie possible doit alors s’appuyer sur la légitimité des solutions progressistes, qui résulte de leur caractère éminemment coopératif. Toutes les recommandations néo-libérales renvoient en dernière instance à la recherche de la compétitivité : il faut baisser les salaires, réduire les « charges » pour, en fin de compte, gagner des parts de marché. Comme la croissance sera faible dans la période ouverte par la crise en Europe, le seul moyen pour un pays de créer des emplois, sera d’en prendre aux pays voisins, d’autant plus que la majorité du commerce extérieur des pays européens se fait à l’intérieur de l’Europe. C’est vrai même pour l’Allemagne (premier ou deuxième exportateur mondial avec la Chine), qui ne peut compter sur les seuls pays émergents pour tirer sa croissance et ses emplois. Les sorties de crise néo-libérales sont donc par nature non-coopératives : on ne peut gagner que contre les autres, et c’est d’ailleurs le fondement de la crise de la construction européenne.
En revanche, les solutions progressistes sont coopératives : elles fonctionnent d’autant mieux qu’elles s’étendent à un plus grand nombre de pays. Si tous les pays européens réduisaient la durée du travail et imposaient les revenus du capital, cette coordination permettrait d’éliminer les contrecoups auxquels serait exposée cette même politique menée dans un seul pays. La voie à explorer est donc celle d’une stratégie d’extension que pourrait suivre un gouvernement de la gauche radicale :
1. on prend unilatéralement les « bonnes » mesures (par exemple la taxation des transactions financières)
2. on les assortit de mesures de protection (par exemple un contrôle des capitaux) ;
3. on prend le risque politique d’enfreindre les règles européennes ;
4. on propose de les modifier en étendant à l’échelle européenne les mesures prises ;
5. on n’exclut pas un bras de fer et on use de la menace de sortie de l’euro.
Ce schéma prend acte du fait qu’on ne peut conditionner la mise en œuvre d’une « bonne » politique à la constitution d’une « bonne » Europe. Les mesures de rétorsion de toutes sortes doivent être anticipées au moyen de mesures qui, effectivement, font appel à l’arsenal protectionniste. Mais il ne s’agit pas de protectionnisme au sens habituel du terme, car ce protectionnisme protège une expérience de transformation sociale et non les intérêts des capitalistes d’un pays donné face à la concurrence des autres. C’est donc un protectionnisme d’extension, dont la logique est de disparaître à partir du moment où les « bonnes » mesures seraient généralisées.
La rupture avec les règles européennes ne se fait pas sur une pétition de principe mais à partir d’une mesure juste et légitime, qui correspond aux intérêts du plus grand nombre et qui est proposée comme marche à suivre aux pays voisins. Cet espoir de changement permet alors de s’appuyer sur la mobilisation sociale dans les autres pays et de construire ainsi un rapport de forces qui peut peser sur les institutions européennes. L’expérience récente du plan de sauvetage de l’euro a d’ailleurs montré qu’il n’était pas besoin de changer les traités pour passer outre à un certain nombre de leurs dispositions.
La sortie de l’euro n’est plus, dans ce schéma, un préalable. C’est au contraire une arme à utiliser en dernier recours. La rupture devrait plutôt se faire sur deux points qui permettraient de dégager de véritables marges de manœuvre : nationalisation des banques et dénonciation de la dette.
Rupture et refondation
Le premier point d’appui est la capacité de nuisance à l’égard des intérêts capitalistes : le pays innovant peut restructurer sa dette, nationaliser les capitaux étrangers, etc. ou menacer de le faire. Même dans le cas d’un petit pays, la capacité de riposte est considérable, compte tenu de l’imbrication des économies et des marchés financiers. Beaucoup pourraient y perdre, par exemple les banques européennes dans le cas de la Grèce. Au lieu de se coucher littéralement devant la finance, Papandreou aurait pu entamer un bras de fer en disant : « La Grèce ne peut pas payer, il faut donc discuter ». C’est ce qu’avait fait l’Argentine en suspendant sa dette en 2001 et en obtenant une renégociation de sa dette.
Mais le principal point d’appui résiderait dans le caractère coopératif des mesures prises. C’est une énorme différence avec le protectionnisme classique qui cherche toujours au fond à tirer son épingle du jeu en grignotant des parts de marché à ses concurrents. Toutes les mesures progressistes, au contraire, sont d’autant plus efficaces qu’elles se généralisent à un plus grand nombre de pays. Il faudrait donc parler ici d’une stratégie d’extension qui repose sur le discours suivant : nous affirmons notre volonté de taxer le capital et nous prenons les mesures de protection adéquates. Mais c’est en attendant que cette mesure, comme nous le proposons, soit étendue à l’ensemble de l’Europe. C’est donc au nom d’une autre Europe que serait assumée la rupture avec l’Europe réellement existante. Plutôt que de les opposer, il faut donc réfléchir à l’articulation entre rupture avec l’Europe néolibérale et projet de refondation européenne.
Le projet et le rapport de forces
Un programme qui ne viserait qu’à réguler le système à la marge serait non seulement sous-dimensionné mais aussi peu mobilisateur. En sens inverse, une perspective radicale risque de décourager devant l’ampleur de la tâche. Il s’agit en quelque sorte de déterminer le degré optimal de radicalité. La difficulté n’est pas tant d’élaborer des dispositifs d’ordre technique : c’est évidemment indispensable et c’est un travail largement avancé, mais aucune mesure habile ne peut permettre de contourner l’affrontement inévitable entre intérêts sociaux contradictoires.
Sur les banques, l’éventail va de la nationalisation intégrale à la régulation, en passant par la constitution d’un pôle financier public ou la mise en place d’une réglementation très contraignante. La dette publique peut quant à elle être annulée, suspendue, renégociée, etc. La nationalisation intégrale des banques et la dénonciation de la dette publique sont des mesures légitimes et économiquement viables mais elles peuvent paraître hors de portée, en raison du rapport de forces actuel. Là se situe le véritable débat : quelle est, sur l’échelle du radicalisme, la position du curseur qui permet le mieux de mobiliser ? Ce n’est pas aux économistes de trancher ce débat et c’est pourquoi, plutôt que de proposer un ensemble de mesures, cet article a cherché à poser des questions de méthode et à souligner la nécessité, pour une vraie sortie de crise, de trois ingrédients indispensables :
1. une modification radicale de la répartition des revenus ;
2. une réduction massive du temps de travail ;
3. une rupture avec l’ordre mondial capitaliste, à commencer par l’Europe réellement existante.
Le débat ne peut être enfermé dans une opposition entre anti-libéraux et anti-capitalistes. Cette distinction a évidemment un sens, selon que le projet est de débarrasser le capitalisme de la finance ou de nous débarrasser du capitalisme. Mais cette tension ne devrait pas empêcher de faire un long chemin ensemble, tout en menant ce débat. Le « programme commun » pourrait reposer ici sur la volonté d’imposer d’autres règles de fonctionnement au capitalisme. Et c’est bien la ligne de partage entre la gauche radicale de rupture et le social-libéralisme d’accompagnement. La tâche prioritaire aujourd’hui est en tout cas, pour la gauche radicale, de construire un horizon européen commun, qui serve de base à un véritable internationalisme.
Juillet 2011
[1] Özlem Onaran, « An internationalist transitional program towards an anti-capitalist Europe », International Viewpoint n° 435, April 2011 : http://gesd.free.fr/ozlem2lap.pdf.
[2] Jacques Sapir, S’il faut sortir de l’Euro, document de travail, 6 avril 2011, http://gesd.free.fr/sapirsil.pdf.
date:
19/08/2011 - 17:32
Michel Husson
Le déroulement de la crise peut se résumer de manière simple : le capitalisme s’est reproduit durant les deux décennies précédant la crise en accumulant une montagne de dettes. Pour éviter l’effondrement du système, les États ont repris à leur compte l’essentiel de ces dettes qui, de privées, sont devenus publiques. Leur projet est dorénavant de présenter la facture aux citoyens sous forme de coupes budgétaires, d’augmentation des impôts les plus injustes et de gel des salaires. En résumé, la majorité de la population (travailleurs et retraités) doit assurer la réalisation de profits fictifs accumulés durant de longues années.
Le ver était dans le fruit
Vouloir construire un espace économique avec une monnaie unique, mais sans budget, n’était pas un projet cohérent. Une union monétaire tronquée devient une machine à fabriquer de l’hétérogénéité et de la divergence. Les pays connaissant une inflation supérieure à la moyenne perdent en compétitivité, sont incités à fonder leur croissance sur le surendettement.
Rétrospectivement, le choix de l’euro n’avait d’ailleurs pas de justification évidente par rapport à un système de monnaie commune, avec un euro convertible pour les relations avec le reste du monde, et des monnaies réajustables à l’intérieur. En réalité, l’euro était conçu comme un instrument de discipline budgétaire et surtout salariale. Le recours à la dévaluation étant impossible, le salaire devenait la seule variable d’ajustement.
Pourtant, le système a fonctionné tant bien que mal grâce au surendettement et, au moins dans un premier temps, à la baisse de l’euro par rapport au dollar. Ces expédients ne pouvaient que s’épuiser, et les choses ont commencé à se détraquer avec la politique allemande de déflation salariale qui l’a conduite à accroître ses parts de marché, en majeure partie à l’intérieur de la zone euro. Même si la zone euro était globalement en équilibre, l’écart s’est ainsi creusé entre les excédents allemands et les déficits de la majorité des autres pays. Les taux de croissance des pays de la zone euro ne se sont pas rapprochés : ils ont au contraire eu tendance à diverger, et cela dès la mise en place de l’euro.
Cette configuration n’était pas soutenable. La crise a brutalement accéléré les processus de fragmentation et la spéculation financière a fait apparaître au grand jour les tensions inhérentes à l’Europe néo-libérale. La crise a approfondi la polarisation de la zone euro en deux groupes de pays. D’un côté, l’Allemagne, les Pays-Bas et l’Autriche bénéficiaient d’importants excédents commerciaux et leurs déficits publics restaient modérés. De l’autre, on trouvait déjà les fameux « PIGS » (Portugal Italie Grèce Espagne) dans une situation inverse : forts déficits commerciaux et déficits publics déjà au-dessus de la moyenne. Avec la crise, les déficits publics se sont creusés partout mais beaucoup moins dans le premier groupe de pays qui conservent des excédents commerciaux. Dans tous les autres pays, la situation se dégrade avec l’explosion des déficits publics, et un déséquilibre croissant de la balance commerciale.
En Europe, la crise des dettes souveraines a accéléré le tournant vers l’austérité qui était de toute manière programmé. La spéculation contre la Grèce, puis l’Irlande et le Portugal n’a été possible que parce qu’il n’y a eu aucune mesure de contrôle des banques ni de prise en charge mutualisée des dettes à l’échelle européenne. Ce sont d’ailleurs les banques centrales qui fournissent les munitions, en prêtant aux banques à 1 % l’argent qui sera ensuite utilisé pour profiter de la hausse des taux servis par les États, et empocher la différence.
L’endettement public prenant le relais de l’endettement privé, la crise financière rebondit sur ce terrain. De ce point de vue, les plans de sauvetage de l’euro sont en réalité des plans de sauvetage des banques européennes qui détiennent une bonne partie de la dette des pays menacés. Les attaques spéculatives sont utilisées comme argument en faveur d’un passage rapide à des plans d’austérité drastiques. C’est un non-sens qui ne peut déboucher que sur une nouvelle récession, y compris en Allemagne où les exportations vers les pays émergents ne pourront compenser les pertes sur les marchés européens.
Au fond, les gouvernements européens n’ont qu’un seul objectif : revenir aussi vite que possible au business as usual. Mais cet objectif est hors d’atteinte, précisément parce que tout ce qui avait permis de gérer les contradictions d’une intégration monétaire bancale a été rendu inutilisable par la crise. Ces éléments d’analyse sont aujourd’hui assez largement partagés. Ils conduisent cependant à des pronostics et à des orientations opposées : éclatement de la zone euro, ou refondation de la construction européenne.
Pour une refondation de l’Europe
Le principe essentiel, c’est la satisfaction optimale des besoins sociaux. Le point de départ est donc la répartition des richesses. Du point de vue capitaliste, la sortie de crise passe par une restauration de la rentabilité et donc par une pression supplémentaire sur les salaires et l’emploi. Mais c’est la part du revenu national ponctionnée sur les salaires qui a nourri les bulles financières. Et ce sont les contre-réformes néolibérales qui ont creusé les déficits, avant même l’éclatement de la crise.
L’équation est donc simple : on ne sortira pas de la crise par le haut sans une modification significative de la répartition des revenus. Cette question vient avant celle de la croissance. Certes, une croissance plus soutenue serait favorable à l’emploi et aux salaires (encore faut-il en discuter le contenu d’un point de vue écologique) mais, de toute manière, on ne peut pas tabler sur cette variable si, en même temps, la répartition des revenus devient de plus en plus inégalitaire.
Il faut donc prendre en tenailles les inégalités : d’un côté par l’augmentation de la masse salariale, de l’autre par la réforme fiscale. La remise à niveau de la part des salaires pourrait suivre une règle des trois tiers : un tiers pour les salaires directs, un tiers pour le salaire socialisé (la protection sociale) et un tiers pour la création d’emplois par réduction du temps de travail. Cette progression se ferait au détriment des dividendes, qui n’ont aucune justification économique ni utilité sociale. Le déficit budgétaire devrait être progressivement réduit, non pas par une coupe dans les dépenses, mais par une refiscalisation de toutes les formes de revenus qui ont été peu à peu dispensées d’impôts. Dans l’immédiat, le coût de la crise devrait être assumé par ses responsables, autrement dit la dette devrait être en grande partie annulée et les banques nationalisées.
Le chômage et la précarité étaient déjà les tares sociales les plus graves de ce système : la crise les durcit encore, d’autant plus que les plans d’austérité vont rogner sur les conditions d’existence des plus défavorisés. Là encore, une hypothétique croissance ne doit pas être considérée comme la voie royale. Produisons plus pour pouvoir créer des emplois ? C’est prendre les choses à l’envers. Il faut opérer ici un changement total de perspective et prendre la création d’emplois utiles comme point de départ. Que ce soit par réduction du temps de travail dans le privé, ou par créations de postes dans les administrations, services publics et collectivités, il faut partir des besoins et comprendre que ce sont les emplois qui créent de la richesse (pas forcément marchande). Et cela permet d’établir une passerelle avec les préoccupations environnementales : la priorité au temps libre et la création d’emplois utiles sont deux éléments essentiels de tout programme de lutte contre le changement climatique.
La question de la répartition des revenus est donc le bon point d’accroche, autour de ce principe simple : « nous ne paierons pas pour leur crise ». Cela n’a rien à voir avec une « relance par les salaires » mais avec une défense des salaires, de l’emploi et des droits sociaux sur laquelle il ne devrait pas y avoir de discussion. On peut alors mettre en avant la notion complémentaire de contrôle : contrôle sur ce qu’ils font de leurs profits (verser des dividendes ou créer des emplois) ; contrôle sur l’utilisation des impôts (subventionner les banques ou financer les services publics). L’enjeu est de faire basculer de la défense au contrôle et seul ce basculement peut permettre que la mise en cause de la propriété privée des moyens de production (le véritable anticapitalisme) acquière une audience de masse.
Comme le résume bien Özlem Onaran[1] : « Un consensus émerge entre les forces anticapitalistes européennes autour d’une stratégie fondée sur quatre piliers: 1) résistance aux politiques d’austérité ; 2) réforme fiscale radicale et contrôle des capitaux ; 3) nationalisation/socialisation des banques sous contrôle démocratique ; 4) audit de la dette sous contrôle démocratique suivi d’un éventuel défaut. »
Sortie de l’euro ?
Quel serait l’avantage d’une sortie de l’euro ? L’argument principal est qu’il rendrait possible une dévaluation de la nouvelle monnaie qui rétablirait la compétitivité du pays concerné. Il redonnerait à la Banque centrale la possibilité d’émettre de la monnaie afin de financer autrement son déficit. Les plus optimistes y voient un moyen de réindustrialiser une économie, d’atteindre une croissance plus élevée et de créer des emplois.
La fusion des monnaies nationales au sein de l’euro a retiré une variable d’ajustement essentielle, le taux de change. Les pays dont la compétitivité-prix recule n’ont d’autre moyen, dans le cadre européen actuel, que le freinage des salaires et la fuite en avant dans l’endettement. Ceci est vrai mais n’empêche pas le scénario de sortie de l’euro d’être incohérent.
La sortie de l’euro ne résoudrait en rien la question de la dette et l’aggraverait au contraire, dans la mesure où la dette à l’égard des non-résidents serait immédiatement augmentée du taux de dévaluation. La restructuration de la dette devrait donc en tout état de cause être réalisée avant la sortie de l’euro.
Revenir à une monnaie nationale dans le cas de pays qui enregistrent d’importants déficits extérieurs les soumet directement à la spéculation sur la monnaie. L’appartenance à l’euro avait au moins l’avantage de préserver les pays de ces attaques spéculatives : ainsi le déficit commercial de l’Espagne avait atteint jusqu’à 9 % du PIB sans effet, évidemment, sur « sa » monnaie.
Une dévaluation rend les produits d’un pays plus compétitifs, en tout cas à l’égard des pays qui ne dévaluent pas. Il faudrait donc que la sortie de l’euro ne concerne qu’un petit nombre de pays. C’est donc une solution nationale non coopérative où un pays cherche à gagner des parts de marché sur ses partenaires commerciaux. Mais une dévaluation fait augmenter le prix des importations, qui se répercute sur l’inflation interne et peu annuler en partie les gains de compétitivité sur les prix à l’exportation. L’économiste Jacques Sapir, qui a établi un plan de sortie de l’euro pour la France[2], reconnaît que l’inflation « imposera des dévaluations régulières (tous les ans ou tous les 18 mois) » pour maintenir le taux de change réel constant. Cela revient à accepter une boucle inflation-dévaluation sans fin. La compétitivité d’un pays repose sur des éléments matériels : les gains de productivité, l’innovation, la spécialisation industrielle, etc. Penser que la manipulation des taux de change peut suffire à assurer la compétitivité est largement une illusion.
C’est pourquoi il n’y a à peu près aucune expérience de dévaluation qui ne se soit pas traduite par une austérité accrue qui retombe en définitive sur les salariés. Pour que la dévaluation serve à la mise en place d’une autre répartition des revenus et d’un autre mode de croissance, il faudrait que les rapports de forces sociaux aient été profondément transformés. Faire de la sortie de l’euro un préalable revient donc à inverser les priorités entre transformation sociale et taux de change. Il y a là un glissement extrêmement dangereux. Dans son document, Jacques Sapir souligne que la « nouvelle monnaie devrait alors être insérée dans les changements de politique macroéconomique et institutionnel […] si l’on veut qu’elle donne tous les effets attendus ». Parmi ces changements, il cite un rattrapage des salaires, la pérennisation des systèmes sociaux, un contrôle strict des capitaux, la réquisition de la banque de France, le contrôle de l’État sur les banques et les assurances. Mais toutes ces mesures devraient avoir été imposées avant même tout projet de sortie de l’euro.
Un gouvernement de transformation sociale commettrait d’ailleurs une terrible erreur stratégique en commençant par sortir de l’euro, puisqu’il s’exposerait ainsi à toutes les mesures de rétorsion.
Politiquement, le risque est très grand de donner une légitimité de gauche aux programmes populistes. En France, le Front National fait de la sortie de l’euro l’un des axes de sa politique. Il renoue avec une logique national-socialiste qui combine le discours xénophobe avec une lecture faisant de l’intégration européenne la source exclusive de tous les maux économiques et sociaux.
C’est le fond de la question. La mondialisation et l’intégration européenne néolibérales renforcent le rapport de forces en faveur du capital. Mais il n’est pas possible d’en faire la cause unique, comme si un meilleur partage des richesses pouvait s’établir spontanément, à l’intérieur de chaque pays, à la seule condition de prendre des mesures protectionnistes. Laisser croire que la sortie de l’euro pourrait en soi améliorer le rapport de forces en faveur des travailleurs est au fond l’erreur d’analyse fondamentale. Il suffit pourtant de considérer l’exemple britannique : la livre sterling ne fait pas partie de l’euro, mais cela ne met pas la population à l’abri d’un plan d’austérité parmi les plus brutaux en Europe.
Les partisans de la sortie de l’euro avancent un autre argument : la sortie de l’euro serait une mesure immédiate, relativement facile à prendre, alors qu’une perspective de refondation européenne serait hors d’atteinte. Cet argument passe à côté de la possibilité même d’une stratégie de rupture qui ne présuppose pas qu’elle intervienne de manière simultanée dans tous les pays européens.
Pour une stratégie de rupture et d’extension
Le choix semble donc être entre une aventure hasardeuse et une harmonisation utopique. La question politique centrale est alors de sortir de ce dilemme. Pour essayer d’y répondre, il faut travailler la distinction entre les fins et les moyens. L’objectif d’une politique de transformation sociale, c’est, encore une fois, d’assurer à l’ensemble des citoyens une vie décente dans toutes ses dimensions (emploi, santé, retraite, logement, etc.). L’obstacle immédiat est la répartition des revenus qu’il faut modifier à la source (entre profits et salaires) et corriger au niveau fiscal. Il faut donc prendre un ensemble de mesures visant à dégonfler les revenus financiers et à réaliser une réforme fiscale radicale. Ces enjeux passent par la mise en cause des intérêts sociaux dominants, de leurs privilèges, et cet affrontement se déroule avant tout dans un cadre national. Mais les atouts des dominants et les mesures de rétorsion possibles dépassent ce cadre national : on invoque immédiatement la perte de compétitivité, les fuites de capitaux et la rupture avec les règles européennes.
La seule stratégie possible doit alors s’appuyer sur la légitimité des solutions progressistes, qui résulte de leur caractère éminemment coopératif. Toutes les recommandations néo-libérales renvoient en dernière instance à la recherche de la compétitivité : il faut baisser les salaires, réduire les « charges » pour, en fin de compte, gagner des parts de marché. Comme la croissance sera faible dans la période ouverte par la crise en Europe, le seul moyen pour un pays de créer des emplois, sera d’en prendre aux pays voisins, d’autant plus que la majorité du commerce extérieur des pays européens se fait à l’intérieur de l’Europe. C’est vrai même pour l’Allemagne (premier ou deuxième exportateur mondial avec la Chine), qui ne peut compter sur les seuls pays émergents pour tirer sa croissance et ses emplois. Les sorties de crise néo-libérales sont donc par nature non-coopératives : on ne peut gagner que contre les autres, et c’est d’ailleurs le fondement de la crise de la construction européenne.
En revanche, les solutions progressistes sont coopératives : elles fonctionnent d’autant mieux qu’elles s’étendent à un plus grand nombre de pays. Si tous les pays européens réduisaient la durée du travail et imposaient les revenus du capital, cette coordination permettrait d’éliminer les contrecoups auxquels serait exposée cette même politique menée dans un seul pays. La voie à explorer est donc celle d’une stratégie d’extension que pourrait suivre un gouvernement de la gauche radicale :
1. on prend unilatéralement les « bonnes » mesures (par exemple la taxation des transactions financières)
2. on les assortit de mesures de protection (par exemple un contrôle des capitaux) ;
3. on prend le risque politique d’enfreindre les règles européennes ;
4. on propose de les modifier en étendant à l’échelle européenne les mesures prises ;
5. on n’exclut pas un bras de fer et on use de la menace de sortie de l’euro.
Ce schéma prend acte du fait qu’on ne peut conditionner la mise en œuvre d’une « bonne » politique à la constitution d’une « bonne » Europe. Les mesures de rétorsion de toutes sortes doivent être anticipées au moyen de mesures qui, effectivement, font appel à l’arsenal protectionniste. Mais il ne s’agit pas de protectionnisme au sens habituel du terme, car ce protectionnisme protège une expérience de transformation sociale et non les intérêts des capitalistes d’un pays donné face à la concurrence des autres. C’est donc un protectionnisme d’extension, dont la logique est de disparaître à partir du moment où les « bonnes » mesures seraient généralisées.
La rupture avec les règles européennes ne se fait pas sur une pétition de principe mais à partir d’une mesure juste et légitime, qui correspond aux intérêts du plus grand nombre et qui est proposée comme marche à suivre aux pays voisins. Cet espoir de changement permet alors de s’appuyer sur la mobilisation sociale dans les autres pays et de construire ainsi un rapport de forces qui peut peser sur les institutions européennes. L’expérience récente du plan de sauvetage de l’euro a d’ailleurs montré qu’il n’était pas besoin de changer les traités pour passer outre à un certain nombre de leurs dispositions.
La sortie de l’euro n’est plus, dans ce schéma, un préalable. C’est au contraire une arme à utiliser en dernier recours. La rupture devrait plutôt se faire sur deux points qui permettraient de dégager de véritables marges de manœuvre : nationalisation des banques et dénonciation de la dette.
Rupture et refondation
Le premier point d’appui est la capacité de nuisance à l’égard des intérêts capitalistes : le pays innovant peut restructurer sa dette, nationaliser les capitaux étrangers, etc. ou menacer de le faire. Même dans le cas d’un petit pays, la capacité de riposte est considérable, compte tenu de l’imbrication des économies et des marchés financiers. Beaucoup pourraient y perdre, par exemple les banques européennes dans le cas de la Grèce. Au lieu de se coucher littéralement devant la finance, Papandreou aurait pu entamer un bras de fer en disant : « La Grèce ne peut pas payer, il faut donc discuter ». C’est ce qu’avait fait l’Argentine en suspendant sa dette en 2001 et en obtenant une renégociation de sa dette.
Mais le principal point d’appui résiderait dans le caractère coopératif des mesures prises. C’est une énorme différence avec le protectionnisme classique qui cherche toujours au fond à tirer son épingle du jeu en grignotant des parts de marché à ses concurrents. Toutes les mesures progressistes, au contraire, sont d’autant plus efficaces qu’elles se généralisent à un plus grand nombre de pays. Il faudrait donc parler ici d’une stratégie d’extension qui repose sur le discours suivant : nous affirmons notre volonté de taxer le capital et nous prenons les mesures de protection adéquates. Mais c’est en attendant que cette mesure, comme nous le proposons, soit étendue à l’ensemble de l’Europe. C’est donc au nom d’une autre Europe que serait assumée la rupture avec l’Europe réellement existante. Plutôt que de les opposer, il faut donc réfléchir à l’articulation entre rupture avec l’Europe néolibérale et projet de refondation européenne.
Le projet et le rapport de forces
Un programme qui ne viserait qu’à réguler le système à la marge serait non seulement sous-dimensionné mais aussi peu mobilisateur. En sens inverse, une perspective radicale risque de décourager devant l’ampleur de la tâche. Il s’agit en quelque sorte de déterminer le degré optimal de radicalité. La difficulté n’est pas tant d’élaborer des dispositifs d’ordre technique : c’est évidemment indispensable et c’est un travail largement avancé, mais aucune mesure habile ne peut permettre de contourner l’affrontement inévitable entre intérêts sociaux contradictoires.
Sur les banques, l’éventail va de la nationalisation intégrale à la régulation, en passant par la constitution d’un pôle financier public ou la mise en place d’une réglementation très contraignante. La dette publique peut quant à elle être annulée, suspendue, renégociée, etc. La nationalisation intégrale des banques et la dénonciation de la dette publique sont des mesures légitimes et économiquement viables mais elles peuvent paraître hors de portée, en raison du rapport de forces actuel. Là se situe le véritable débat : quelle est, sur l’échelle du radicalisme, la position du curseur qui permet le mieux de mobiliser ? Ce n’est pas aux économistes de trancher ce débat et c’est pourquoi, plutôt que de proposer un ensemble de mesures, cet article a cherché à poser des questions de méthode et à souligner la nécessité, pour une vraie sortie de crise, de trois ingrédients indispensables :
1. une modification radicale de la répartition des revenus ;
2. une réduction massive du temps de travail ;
3. une rupture avec l’ordre mondial capitaliste, à commencer par l’Europe réellement existante.
Le débat ne peut être enfermé dans une opposition entre anti-libéraux et anti-capitalistes. Cette distinction a évidemment un sens, selon que le projet est de débarrasser le capitalisme de la finance ou de nous débarrasser du capitalisme. Mais cette tension ne devrait pas empêcher de faire un long chemin ensemble, tout en menant ce débat. Le « programme commun » pourrait reposer ici sur la volonté d’imposer d’autres règles de fonctionnement au capitalisme. Et c’est bien la ligne de partage entre la gauche radicale de rupture et le social-libéralisme d’accompagnement. La tâche prioritaire aujourd’hui est en tout cas, pour la gauche radicale, de construire un horizon européen commun, qui serve de base à un véritable internationalisme.
Juillet 2011
[1] Özlem Onaran, « An internationalist transitional program towards an anti-capitalist Europe », International Viewpoint n° 435, April 2011 : http://gesd.free.fr/ozlem2lap.pdf.
[2] Jacques Sapir, S’il faut sortir de l’Euro, document de travail, 6 avril 2011, http://gesd.free.fr/sapirsil.pdf.
date:
19/08/2011 - 17:32
Michel Husson
gérard menvussa- Messages : 6658
Date d'inscription : 06/09/2010
Age : 67
Localisation : La terre
Re: Où va la crise ?
Toute la pensée de Husson est concentrée dans cette petite phrase en apparence anodine mais qui en dit long sur l'état de délabrement idéologique de Husson. A ce jeu, aucune mesure même réformiste ne pourra être mise en œuvre moins encore des mesures socialistes telles que la nationalisation ou la re-nationalisation de pans entiers de l'économie, car le pays qui en serait l'auteur serait soumis à "toutes les mesures de rétorsion" !gérard menvussa a écrit:
Un gouvernement de transformation sociale commettrait d’ailleurs une terrible erreur stratégique en commençant par sortir de l’euro, puisqu’il s’exposerait ainsi à toutes les mesures de rétorsion.
Invité- Invité
Re: Où va la crise ?
Quand certaines banques sont en manque grave de liquidités
Par Le Yéti | yetiblog.org | 19/08/2011 | 08H38
Tandis que les places boursières n'en finissent plus de se manger un nouveau retentissant gadin, la Banque centrale européenne (BCE) vient de lâcher une information qui ne risque pas d'arranger les affaires de nos braves banques privées européennes : le jeudi 18 août, elle se voyait contrainte de prêter 500 millions de dollars en urgence à l'une de ces officines pour lui sauver la mise.
Pudiquement, elle en taisait le nom. Mais tous les regards se tournaient vers l'infortunée Société Générale qui en une seule journée dévissait de plus de 12%, sans que quiconque ose évoquer cette fois-ci une nouvelle affaire de rumeur malveillante.
Sauve-qui-peut général
Société Générale ou autres (les autres en question, françaises ou européennes, n'étaient guère mieux loties), le coup est d'autant plus rude que dès le lendemain, la BCE confessait que les banques de la zone euro avaient déposé auprès d'elle quelque 90,5 milliards d'euros en urgence.
Signe patent qu'elles ne se faisaient plus confiance entre elles et qu'elles préféraient planquer leur oseille en lieu plus sûr, même au prix d'un intérêt ridicule (la BCE leur accorde mesquinement 0,75%).
Ce qu'on ne nous avait pas dit, pourtant, de la santé insolente de ces banques, de leurs bonus et de leurs bénéfices étourdissants, de la façon dont elles avaient mouché les stress-tests ! Au prix il est vrai de quelques hardies contorsions, comme celle d'exclure les risques de défaut de paiement d'un Etat… en pleine débandade grecque !
C'est que si leurs chiffres fourmillent de zéros sur leurs livres de compte, elles ont de plus en plus de mal à faire avaler qu'elles pourront en honorer ne serait-ce que la partie la plus pressante.
Le chaos systémique, une question de jours ou de semaines
En clair, elles n'ont plus un sou vaillant devant elles. Et se retrouvent, comme il était facile de le prévoir, dans la même situation calamiteuse qu'en 2008.
Sauf que cette fois-ci, plus de garde-fous providentiels. Les Etats sont sortis exsangues du sauvetage de 2008. L'économie est en cale sèche. Et la BCE, déjà grevée d'obligations pourries, est dans la position d'une ONG privée de médicaments et de rations alimentaires.
En 2008, la planète financière avait eu du mal à se relever de la faillite de Lehman Brothers. En 2011, à la première faillite d'une de ces fausses riches, ce sera le chaos systémique généralisé. Celui-ci ne se joue plus en mois et en années, mais en jours et en semaines.
Remarquez, vu la paralysie cauchemardeuse des élites financières, économiques et politiques, et étant donné que les collectivités humaines ne semblent en mesure de lutter contre les catastrophes qu'une fois celles-ci advenues, en finir au plus vite sera le mieux.
Par Le Yéti | yetiblog.org | 19/08/2011 | 08H38
Tandis que les places boursières n'en finissent plus de se manger un nouveau retentissant gadin, la Banque centrale européenne (BCE) vient de lâcher une information qui ne risque pas d'arranger les affaires de nos braves banques privées européennes : le jeudi 18 août, elle se voyait contrainte de prêter 500 millions de dollars en urgence à l'une de ces officines pour lui sauver la mise.
Pudiquement, elle en taisait le nom. Mais tous les regards se tournaient vers l'infortunée Société Générale qui en une seule journée dévissait de plus de 12%, sans que quiconque ose évoquer cette fois-ci une nouvelle affaire de rumeur malveillante.
Sauve-qui-peut général
Société Générale ou autres (les autres en question, françaises ou européennes, n'étaient guère mieux loties), le coup est d'autant plus rude que dès le lendemain, la BCE confessait que les banques de la zone euro avaient déposé auprès d'elle quelque 90,5 milliards d'euros en urgence.
Signe patent qu'elles ne se faisaient plus confiance entre elles et qu'elles préféraient planquer leur oseille en lieu plus sûr, même au prix d'un intérêt ridicule (la BCE leur accorde mesquinement 0,75%).
Ce qu'on ne nous avait pas dit, pourtant, de la santé insolente de ces banques, de leurs bonus et de leurs bénéfices étourdissants, de la façon dont elles avaient mouché les stress-tests ! Au prix il est vrai de quelques hardies contorsions, comme celle d'exclure les risques de défaut de paiement d'un Etat… en pleine débandade grecque !
C'est que si leurs chiffres fourmillent de zéros sur leurs livres de compte, elles ont de plus en plus de mal à faire avaler qu'elles pourront en honorer ne serait-ce que la partie la plus pressante.
Le chaos systémique, une question de jours ou de semaines
En clair, elles n'ont plus un sou vaillant devant elles. Et se retrouvent, comme il était facile de le prévoir, dans la même situation calamiteuse qu'en 2008.
Sauf que cette fois-ci, plus de garde-fous providentiels. Les Etats sont sortis exsangues du sauvetage de 2008. L'économie est en cale sèche. Et la BCE, déjà grevée d'obligations pourries, est dans la position d'une ONG privée de médicaments et de rations alimentaires.
En 2008, la planète financière avait eu du mal à se relever de la faillite de Lehman Brothers. En 2011, à la première faillite d'une de ces fausses riches, ce sera le chaos systémique généralisé. Celui-ci ne se joue plus en mois et en années, mais en jours et en semaines.
Remarquez, vu la paralysie cauchemardeuse des élites financières, économiques et politiques, et étant donné que les collectivités humaines ne semblent en mesure de lutter contre les catastrophes qu'une fois celles-ci advenues, en finir au plus vite sera le mieux.
gérard menvussa- Messages : 6658
Date d'inscription : 06/09/2010
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Localisation : La terre
Re: Où va la crise ?
JPMorgan et Wells Fargo abaissent leurs prévisions pour les Etats-Unis
Rappel Morgan Stanley avait abaissé jeudi leurs prévisions de croissance pour l’économie mondiale et a vu les Etats-Unis et la zone euro "dangereusement proches de la récession".
http://www.google.com/hostednews/afp/article/ALeqM5hNCsx_zg7UjqR24XOcJhy48PPDQg?docId=CNG.84b16276499a53e7b0420370e27d2423.4a1
Rappel Morgan Stanley avait abaissé jeudi leurs prévisions de croissance pour l’économie mondiale et a vu les Etats-Unis et la zone euro "dangereusement proches de la récession".
http://www.google.com/hostednews/afp/article/ALeqM5hNCsx_zg7UjqR24XOcJhy48PPDQg?docId=CNG.84b16276499a53e7b0420370e27d2423.4a1
Roseau- Messages : 17750
Date d'inscription : 14/07/2010
Concensus franco-allemand sur les euro-bonds (euro-obligations)
Vendredi 19 août 2011, François Fillon:
« Certains préconisent la création d’obligations européennes, les «eurobonds», qu’ils présentent comme une panacée. Mais ils oublient de dire que cela renchérirait le coût de la dette française et pourrait même remettre en cause sa notation. Surtout, ils feignent de croire que cette solution peut être envisagée, dès à présent, comme une réponse immédiate aux désordres des marchés. Comment accepter aujourd’hui la mutualisation des dettes publiques à travers les eurobonds, alors que la décision de dépenser l’argent public se prend au niveau de chaque État membre ? Comment dissocier la responsabilité financière de la décision de gestion ? On voit bien qu’en pratique les eurobonds ne peuvent se concevoir sans un renforcement considérable de la discipline budgétaire et de la gouvernance économique au sein de la zone euro. C’est dire qu’ils passeraient par une intégration sur laquelle il n’existe aujourd’hui aucun consensus politique. À cet égard, je trouve paradoxal que certains critiquent les initiatives par lesquelles nous progressons, tout en appelant de leurs vœux la mise en place d’eurobonds. »
http://www.lefigaro.fr/mon-figaro/2011/08/19/10001-20110819ARTFIG00446-dette-regle-d-or-l-appel-a-l-unite-nationalede-francois-fillon.php
Dimanche 21 août 2011, Merkel
« Les euro-obligations sont tout à fait la mauvaise réponse à la crise du moment », a-t-elle dit, dans un entretien à la chaîne ZDF qui soit être diffusé dimanche. « Elles nous amèneraient à une union de la dette et non à une union de la stabilité ».
http://fr.reuters.com/article/businessNews/idFRPAE77K06K20110821
Roseau- Messages : 17750
Date d'inscription : 14/07/2010
Re: Où va la crise ?
le monde de ce jour :
"La Chine a annoncé, mercredi 24 août, qu'elle allait faire appel de sa condamnation par l'OMC en raison de ses restrictions sur les exportations de matières premières, jugées discriminatoires par l'Union européenne, les Etats-Unis et le Mexique.
"Nous considérons que nos politiques ne violent pas les règlements de l'OMC", a déclaré Shen Danyang, porte-parole du ministère chinois du commerce.
TAXES SUR LES EXPORTATIONS ET QUOTAS D'IMPORTATION
L'OMC, saisie d'un recours datant de 2009 de l'UE, des Etats-Unis et du Mexique, avait, le 5 juillet dernier, jugé illégales des restrictions qu'impose la Chine sur les exportations de neuf matières premières cruciales pour l'industrie européenne (bauxite, zinc, coke, magnésium notamment).
En cause : des taxes imposées sur les exportations, des quotas d'importation et un régime de prix minimum. Européens et Américains estiment que cela contribue à faire grimper les prix des produits finis qui ont besoin de ces matières premières.
Celles-ci sont utilisées pour des équipements médicaux, des CD, du matériel électronique, le secteur automobile, des réfrigérateurs, la métallurgie non ferreuse, des batteries de voitures ou encore des cannettes de boisson.
AUGMENTATION DES PRIX MONDIAUX
Selon les plaignants, les restrictions pratiquées par Pékin, quotas, droits à l'exportation ou prix minimum à l'exportation, ont permis aux entreprises chinoises de bénéficier de meilleurs tarifs que leurs concurrentes étrangères. Elles ont ainsi créé "une distorsion à la concurrence", augmentant "les prix mondiaux", selon Bruxelles, tandis que le représentant américain au commerce extérieur, Ron Kirk, accusait Pékin de pratiquer la "préférence nationale".
L'Union européenne s'était félicitée début juillet de cette condamnation, y voyant un "signal fort" adressé à Pékin. "Il s'agit d'un verdict clair en faveur d'un commerce ouvert et d'un accès équitable aux matières premières", avait déclaré le commissaire européen au commerce, Karel De Gucht.
CONTENTIEUX SUR LES TERRES RARES
Un autre contentieux couve sur les terres rares, un groupe de 17 éléments minéraux nécessaires à la fabrication de très nombreux produits de haute technologie, des iPod aux éoliennes en passant par les piles pour véhicules électriques. La Chine assure environ 95 % de la production mondiale de terres rares, mais elle ne possède qu'environ 36 % des réserves connues de ces substances.
Le commissaire avait adressé une mise en garde à Pékin au sujet de ce dossier voisin : "A la lumière de ce résultat, la Chine devrait garantir un accès libre et équitable aux fournitures de terres rares."
Pékin avait décidé en décembre de réduire de 35 % pour le premier semestre 2011 les quotas d'exportation de terres rares, par rapport à la même période de l'an dernier, déclenchant les protestations du Japon, des Etats-Unis et de l'Allemagne, notamment."
Evidemment c'est un peu gros. Quand le premier ministre français vient de déclarer à Abidjan qu'il était pas question que les chinois puissent investir en côte d'ivoire après avoir renversé le régime à cet effet. Sans parler de la lybie. Si j'étais le "PC" chinois je construirais des portes-avions. Tiens je crois qu'ils y ont pensé aussi... Donc notre problème c'est que la classe ouvrière en europe (enfin on pourrait dire nos voisins, nos cousins...) voient d'autres solution que de soutenir notre impérialisme en se disant que c'est moins pire. Et ça va pas être facile facile...
"La Chine a annoncé, mercredi 24 août, qu'elle allait faire appel de sa condamnation par l'OMC en raison de ses restrictions sur les exportations de matières premières, jugées discriminatoires par l'Union européenne, les Etats-Unis et le Mexique.
"Nous considérons que nos politiques ne violent pas les règlements de l'OMC", a déclaré Shen Danyang, porte-parole du ministère chinois du commerce.
TAXES SUR LES EXPORTATIONS ET QUOTAS D'IMPORTATION
L'OMC, saisie d'un recours datant de 2009 de l'UE, des Etats-Unis et du Mexique, avait, le 5 juillet dernier, jugé illégales des restrictions qu'impose la Chine sur les exportations de neuf matières premières cruciales pour l'industrie européenne (bauxite, zinc, coke, magnésium notamment).
En cause : des taxes imposées sur les exportations, des quotas d'importation et un régime de prix minimum. Européens et Américains estiment que cela contribue à faire grimper les prix des produits finis qui ont besoin de ces matières premières.
Celles-ci sont utilisées pour des équipements médicaux, des CD, du matériel électronique, le secteur automobile, des réfrigérateurs, la métallurgie non ferreuse, des batteries de voitures ou encore des cannettes de boisson.
AUGMENTATION DES PRIX MONDIAUX
Selon les plaignants, les restrictions pratiquées par Pékin, quotas, droits à l'exportation ou prix minimum à l'exportation, ont permis aux entreprises chinoises de bénéficier de meilleurs tarifs que leurs concurrentes étrangères. Elles ont ainsi créé "une distorsion à la concurrence", augmentant "les prix mondiaux", selon Bruxelles, tandis que le représentant américain au commerce extérieur, Ron Kirk, accusait Pékin de pratiquer la "préférence nationale".
L'Union européenne s'était félicitée début juillet de cette condamnation, y voyant un "signal fort" adressé à Pékin. "Il s'agit d'un verdict clair en faveur d'un commerce ouvert et d'un accès équitable aux matières premières", avait déclaré le commissaire européen au commerce, Karel De Gucht.
CONTENTIEUX SUR LES TERRES RARES
Un autre contentieux couve sur les terres rares, un groupe de 17 éléments minéraux nécessaires à la fabrication de très nombreux produits de haute technologie, des iPod aux éoliennes en passant par les piles pour véhicules électriques. La Chine assure environ 95 % de la production mondiale de terres rares, mais elle ne possède qu'environ 36 % des réserves connues de ces substances.
Le commissaire avait adressé une mise en garde à Pékin au sujet de ce dossier voisin : "A la lumière de ce résultat, la Chine devrait garantir un accès libre et équitable aux fournitures de terres rares."
Pékin avait décidé en décembre de réduire de 35 % pour le premier semestre 2011 les quotas d'exportation de terres rares, par rapport à la même période de l'an dernier, déclenchant les protestations du Japon, des Etats-Unis et de l'Allemagne, notamment."
Evidemment c'est un peu gros. Quand le premier ministre français vient de déclarer à Abidjan qu'il était pas question que les chinois puissent investir en côte d'ivoire après avoir renversé le régime à cet effet. Sans parler de la lybie. Si j'étais le "PC" chinois je construirais des portes-avions. Tiens je crois qu'ils y ont pensé aussi... Donc notre problème c'est que la classe ouvrière en europe (enfin on pourrait dire nos voisins, nos cousins...) voient d'autres solution que de soutenir notre impérialisme en se disant que c'est moins pire. Et ça va pas être facile facile...
lieva- Messages : 140
Date d'inscription : 09/08/2011
Re: Où va la crise ?
On n'a pas fini de parler des terres rares.
En fait, comme pour le pétrole aux USA, les vieux pays impérialistes font des réserves "stratégiques"...
Le conflit ci-dessus se déroule dans un contexte de montée du protectionnisme enfin reconnu par l'OMC.
Ce n'est que le début des affrontements interimpérialistes qui vont s'accélérer avec la nouvelle phase de la crise.
Par ailleurs, à noter que Moody's vient de baisser d'un cran la note de la dette LT du Japon http://www.lemonde.fr/economie/article/2011/08/24/moody-s-baisse-d-un-cran-la-note-de-la-dette-a-long-terme-du-japon_1562722_3234.html#ens_id=1555928&xtor=RSS-3208
En fait, comme pour le pétrole aux USA, les vieux pays impérialistes font des réserves "stratégiques"...
Le conflit ci-dessus se déroule dans un contexte de montée du protectionnisme enfin reconnu par l'OMC.
Ce n'est que le début des affrontements interimpérialistes qui vont s'accélérer avec la nouvelle phase de la crise.
Par ailleurs, à noter que Moody's vient de baisser d'un cran la note de la dette LT du Japon http://www.lemonde.fr/economie/article/2011/08/24/moody-s-baisse-d-un-cran-la-note-de-la-dette-a-long-terme-du-japon_1562722_3234.html#ens_id=1555928&xtor=RSS-3208
Roseau- Messages : 17750
Date d'inscription : 14/07/2010
Re: Où va la crise ?
Lars Frisell, chef économiste auprès du régulateur financier suédois, sur Bloomberg News: « On est plus très loin d’un effondrement du marché interbancaire. La situation n’est pas si grave pour l’instant, mais elle pourrait basculer très vite et une paralysie complète pourrait survenir ».
http://mahamudras.blogspot.com/2011/08/on-y-est-presque.html
« Le secret le moins bien gardé du monde est que, manifestement, une ou deux banques européennes, voire davantage, ont des problèmes de liquidités. Nous en sommes visiblement revenus au point où les banques ne se font plus confiance », a indiqué Charlie Aitken, du courtier en actions Bell Potter. »
http://fr.advfn.com/devises/actualites/CHANGES-Les-inqui-tudes-du-march-p-sent-sur-l-euro-vendredi_48887563.html
Une explication à cette situation: les 25 banques européennes les plus importantes doivent rembourser avant 2013 plus de 1 500 Mds €.
http://www.expansion.com/2011/08/21/empresas/banca/1313963382.html
Interprétation de Alain Minc...
« Les marchés spéculent sur la Société Générale en pensant qu’elle pourrait pâtir d’un défaut de paiement de l’Italie ou de l’Espagne. Mais si ces deux pays font défaut, toutes les banques du monde feront défaut: il faudrait être aveugle pour croire qu’une seule grande banque, comme la Société générale, puisse tomber sans que tous ses concurrents plongent avec elle! C’est la raison pour laquelle le monde entier ne laissera jamais tomber l’Italie ou l’Espagne. Au passage, je ne comprends pas l’attitude des grandes banques européennes qui en cette période de crise coupent leurs lignes de crédit à leurs collègues censées être les plus fragiles. Les banques sont toutes reliées les unes aux autres et devraient au contraire afficher leur solidarité. »
http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2011/08/23/04016-20110823ARTFIG00548-alain-minc-le-aaa-de-la-france-est-un-tresor-national.php
http://mahamudras.blogspot.com/2011/08/on-y-est-presque.html
« Le secret le moins bien gardé du monde est que, manifestement, une ou deux banques européennes, voire davantage, ont des problèmes de liquidités. Nous en sommes visiblement revenus au point où les banques ne se font plus confiance », a indiqué Charlie Aitken, du courtier en actions Bell Potter. »
http://fr.advfn.com/devises/actualites/CHANGES-Les-inqui-tudes-du-march-p-sent-sur-l-euro-vendredi_48887563.html
Une explication à cette situation: les 25 banques européennes les plus importantes doivent rembourser avant 2013 plus de 1 500 Mds €.
http://www.expansion.com/2011/08/21/empresas/banca/1313963382.html
Interprétation de Alain Minc...
« Les marchés spéculent sur la Société Générale en pensant qu’elle pourrait pâtir d’un défaut de paiement de l’Italie ou de l’Espagne. Mais si ces deux pays font défaut, toutes les banques du monde feront défaut: il faudrait être aveugle pour croire qu’une seule grande banque, comme la Société générale, puisse tomber sans que tous ses concurrents plongent avec elle! C’est la raison pour laquelle le monde entier ne laissera jamais tomber l’Italie ou l’Espagne. Au passage, je ne comprends pas l’attitude des grandes banques européennes qui en cette période de crise coupent leurs lignes de crédit à leurs collègues censées être les plus fragiles. Les banques sont toutes reliées les unes aux autres et devraient au contraire afficher leur solidarité. »
http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2011/08/23/04016-20110823ARTFIG00548-alain-minc-le-aaa-de-la-france-est-un-tresor-national.php
Roseau- Messages : 17750
Date d'inscription : 14/07/2010
Re: Où va la crise ?
devraient devraient... Les acteur avertis d'un marché libre et non faussé sont les meilleure garanties de l'adéquation des ressources aux besoins alain. Tu devrais laisser faire les marchés...
lieva- Messages : 140
Date d'inscription : 09/08/2011
Communiqué du NPA. Plan Fillon : l'austérité pour mériter le maintien des 3A.
Communiqué du NPA. Plan Fillon : l'austérité pour mériter le maintien des 3A.
Malgré toutes les précautions oratoires prises par le premier ministre, le plan de « réduction des déficits » annoncé par F. Fillon lors de sa conférence de presse ressemble à s'y méprendre à un tour de vis supplémentaire d'une politique d'austérité pluriannuelle qu'il veut installer comme le prouve sa référence à la règle d'or et à l'objectif de conserver les 3A décernés par les agences de notation.
De l'ensemble des mesures fiscales très techniques qu'il a énumérées, il a voulu tirer la conclusion que les efforts étaient demandés aussi bien aux grandes fortunes qu'aux petits budgets. Il n'en est rien. Les 3% sur les revenus fiscaux supérieurs de plus de 500 000 euros ne rapporteraient qu'environ 200 millions d'euros selon une réponse qu'il a faite à un journaliste italien. Rappelons que la réforme de l'impôt sur le revenu leur avait rapporté 1, 80 milliard d'euros. Cette taxation est donc une entourloupe et une goutte d'eau dans l'océan des profits des capitalistes.
Le plan Sarkozy-Fillon, c'est à la fois un leurre et une diversion.
Il ne remet pas en cause les profondes inégalités dans la répartition des richesses. Il ne remet pas en cause des niches fiscales qui coûtent cher comme, par exemple, la défiscalisation des heures supplémentaires et la TVA à 5, 5% dans la restauration sans effet sur la baisse des prix ni sur l'embauche dans ce secteur.
La poursuite du non-remplacement d'un fonctionnaire partant à la retraite, l'encadrement encore plus stricte des dépenses de santé vont casser encore plus le droit à l'emploi et à l'accès aux soins qui sont des droits fondamentaux.
Le "seuil de tolérance" à l'austérité est atteint.
L'urgence c'est la riposte unitaire du mouvement social pour bloquer la spirale infernale d'une politique de régression sociale.
Le 24 août 2011
Malgré toutes les précautions oratoires prises par le premier ministre, le plan de « réduction des déficits » annoncé par F. Fillon lors de sa conférence de presse ressemble à s'y méprendre à un tour de vis supplémentaire d'une politique d'austérité pluriannuelle qu'il veut installer comme le prouve sa référence à la règle d'or et à l'objectif de conserver les 3A décernés par les agences de notation.
De l'ensemble des mesures fiscales très techniques qu'il a énumérées, il a voulu tirer la conclusion que les efforts étaient demandés aussi bien aux grandes fortunes qu'aux petits budgets. Il n'en est rien. Les 3% sur les revenus fiscaux supérieurs de plus de 500 000 euros ne rapporteraient qu'environ 200 millions d'euros selon une réponse qu'il a faite à un journaliste italien. Rappelons que la réforme de l'impôt sur le revenu leur avait rapporté 1, 80 milliard d'euros. Cette taxation est donc une entourloupe et une goutte d'eau dans l'océan des profits des capitalistes.
Le plan Sarkozy-Fillon, c'est à la fois un leurre et une diversion.
Il ne remet pas en cause les profondes inégalités dans la répartition des richesses. Il ne remet pas en cause des niches fiscales qui coûtent cher comme, par exemple, la défiscalisation des heures supplémentaires et la TVA à 5, 5% dans la restauration sans effet sur la baisse des prix ni sur l'embauche dans ce secteur.
La poursuite du non-remplacement d'un fonctionnaire partant à la retraite, l'encadrement encore plus stricte des dépenses de santé vont casser encore plus le droit à l'emploi et à l'accès aux soins qui sont des droits fondamentaux.
Le "seuil de tolérance" à l'austérité est atteint.
L'urgence c'est la riposte unitaire du mouvement social pour bloquer la spirale infernale d'une politique de régression sociale.
Le 24 août 2011
Roseau- Messages : 17750
Date d'inscription : 14/07/2010
Conseils savoureux d'un conseil en investissement...
Source: Agora-Publications
Fuyez les actions !
Par Jérôme Revillier, rédacteur de FxProfit Trader
Le ridicule ne tue pas. Heureusement...
Sinon, nous n'aurions sans doute plus d'hommes politiques en Europe, ni même de banquiers centraux.
Les politiques ne prennent pas la mesure de ce qui se passe, et mettent en danger votre capital par simple ambition et incompétence...
En France, on a la solution ! Les sodas seront taxés l'année prochaine pour venir éponger la dette.
Si le but est de rendre les ménages moins obèses, la dette, elle, continuera de gonfler si les décisions prises ne sont pas plus consistantes !
La France menacée ; l'Allemagne déprimée
La note de la France est en danger, peut-être même déjà condamnée, alors que S&P a renouvelé sa vigilance ce matin sur la politique fiscale française... espérons qu'ils aiment le coca !
En Allemagne, la situation n'est pas brillante et la contagion de la crise vient frapper aux portes du leader européen qui ne va peut-être pas si bien que ça non plus. L'indice ZEW du sentiment économique a chuté à un plus-bas de deux ans et demi (fin 2008, ça ne vous rappelle rien ?) à -37,6 points. Cela reste toutefois "moins pire" que la moyenne européenne à -40 points !
Le moral des investisseurs européens est donc dans les chaussettes et cela devrait se ressentir encore un moment sur les marchés. Le rebond actions en place se fait dans des volumes dérisoires. Prenez garde.
En outre, en continuant à se servir au "robinet de liquidités de la Fed" (via la fameuse Dollar Swap Line), la BCE illustre bien les tensions au sein même du marché interbancaire. Les banques ne se font plus confiance entre elles, ne se prêtent plus.
Place au qualitative easing...
La semaine a été marquée par l'attente presque maladive du discours de Ben Bernanke depuis le Jackson Hole lors de la traditionnelle réunion des banquiers centraux américains.
Il n'annoncera pas de QE3, trop contesté par ses confrères, mais il devra toutefois essayer de préserver le moral des investisseurs. Mais si on lui confisque sa planche à billets, il ne pourra plus garantir aux investisseurs une masse de liquidités à bas coût.
Quelle solution ?
Simple, les investisseurs ont peur de deux choses : le manque de liquidités et le risque.
A défaut de pouvoir continuer de couvrir le premier besoin, la Fed va prendre les risques à la place des investisseurs. On appelle ça le qualitative easing : l'assouplissement qualitatif.
Ce n'est pas nouveau : la Fed et la BCE le font depuis le début de la crise en achetant tous les produits les plus pourris de la planète ; là elles vont accélérer !
En clair, les banques centrales deviennent les poubelles du système financier mondial. Le problème des poubelles, c'est qu'elles finissent toujours par déborder...
Roseau- Messages : 17750
Date d'inscription : 14/07/2010
Dans l’œil du cyclone : la crise de la dette dans l’Union européenne
TOUSSAINT Eric
26 août 2011
En juillet-août 2011, les bourses ont été ébranlées une nouvelle fois au niveau international. La crise s’est approfondie dans l’Union européenne, en particulier en matière de dettes. Le CADTM a interviewé Eric Toussaint afin de décoder différents aspects de cette nouvelle phase de la crise. L’interview permet également de présenter un certain nombre d’alternatives.
CADTM : Est-il vrai que la Grèce doit promettre au marché un taux d’intérêt d’environ 15% pour pouvoir emprunter pour une durée de 10 ans ?
Eric Toussaint : Oui, c’est vrai, les marchés ne sont disposés à acheter des titres que voudrait émettre la Grèce pour une durée de 10 ans qu’à condition qu’elle s’engage à payer de tels taux exorbitants.
CADTM : La Grèce emprunte-t-elle à 10 ans dans de telles conditions ?
Eric Toussaint : Non, la Grèce ne peut pas se permettre de verser un tel intérêt. Cela lui coûterait beaucoup trop cher. Or, presque tous les jours, on peut lire tant dans la presse traditionnelle que dans des médias alternatifs (par ailleurs très utiles pour se faire une opinion critique) que la Grèce doit emprunter à 15% ou plus.
En réalité, depuis que la crise a éclaté au printemps 2010, la Grèce n’emprunte sur les marchés qu’à 3 mois, 6 mois ou maximum 1 an, en versant un taux d’intérêt qui varie selon les émissions entre 4% et 5% [1]. Il faut savoir que, avant que les attaques spéculatives ne commencent contre la Grèce, celle-ci pouvait emprunter à des taux très avantageux tant les banquiers surtout mais aussi d’autres investisseurs institutionnels (les assurances, les fonds de pension) -que l’on appelle dans le jargon, les zinzins- étaient empressés de lui prêter de l’argent.
C’est ainsi que le 13 octobre 2009, elle a émis des titres du Trésor (T-Bills) à 3 mois avec un rendement (yield) très bas : 0,35%. Le même jour, elle a réalisé une autre émission, celle de titres à 6 mois avec un taux de 0,59%. Sept jours plus tard, le 20 octobre 2009, elle a émis des titres à un an à un taux de 0,94% [2]. On était à moins de six mois de l’éclatement de la crise grecque. Les agences de notation attribuaient une très bonne cote à la Grèce et aux banques qui lui prêtaient à tour de bras. Dix mois plus tard, pour émettre des titres à 6 mois, elle a dû octroyer un rendement de 4,65% (càd 8 fois plus). C’est un changement fondamental de circonstances.
Encore une précision importante pour indiquer la responsabilité des banques : en 2008, elles exigeaient de la Grèce un rendement plus élevé qu’en 2009. Par exemple, en juin-juillet-août 2008, alors qu’on n’avait pas encore connu le choc produit par la faillite de Lehman Brothers, les taux étaient quatre fois plus élevés qu’en octobre 2009. Au 4e trimestre 2009, en passant au-dessous de 1%, les taux ont atteint leur niveau le plus bas [3]. Ce qui peut paraître irrationnel, car il n’est pas normal pour une banque privée d’abaisser les taux d’intérêts dans un contexte de crise internationale majeure et à l’égard d’un pays comme la Grèce qui s’endette très rapidement, est logique du point de vue d’un banquier qui cherche un maximum de profit immédiat en étant persuadé qu’en cas de problème, les autorités publiques lui viendront en aide. Après la faillite de Lehman Brothers, les gouvernements des Etats-Unis et d’Europe ont déversé d’énormes liquidités pour sauver les banques et pour relancer le crédit et l’activité économique. Les banquiers ont saisi cette manne de capitaux pour les prêter dans l’UE à des pays comme la Grèce, le Portugal, l’Espagne, l’Italie, en étant convaincus qu’en cas de problème, la BCE et la Commission européenne leur viendraient en aide. De leur point de vue, ils ont eu raison.
CADTM : Tu veux dire que les banques privées, en prêtant à bas taux d’intérêt, ont contribué activement à pousser la Grèce dans le piège d’un endettement insoutenable, puis ont exigé des taux beaucoup plus élevés qui ont empêché la Grèce de pouvoir emprunter au-delà d’une durée d’un an ?
Eric Toussaint : Oui, c’est bien cela. Je ne parle pas d’un complot à proprement parler, mais il est indéniable que les banques ont jeté littéralement des capitaux à la figure de pays comme la Grèce (y compris en baissant les taux d’intérêt qu’elles exigeaient) tellement à leurs yeux l’argent qu’elles recevaient massivement des pouvoirs publics devait trouver une destination en termes de prêts aux Etats de la zone euro. Il faut se rappeler que voici à peine trois ans, les Etats sont apparus comme les acteurs les plus fiables tandis que le doute régnait quant à la capacité des entreprises privées de tenir leurs engagements et de rembourser leurs dettes.
Pour reprendre l’exemple concret mentionné plus haut, lorsque le 20 octobre 2009 le gouvernement grec a vendu des T-Bills à 3 mois avec un rendement de 0,35%, il cherchait à réunir la somme de 1 500 millions d’euros. Les banquiers et autres zinzins ont proposé près de 5 fois cette somme, soit 7 040 millions. Finalement, le gouvernement a décidé d’emprunter 2 400 millions. Il n’est pas exagéré d’affirmer que les banquiers ont jeté les capitaux à la figure de la Grèce.
Revenons sur les séquences de l’augmentation des prêts des banquiers d’Europe occidentale à la Grèce au cours de la période 2005-2009. Les banques des pays de l’ouest européen ont augmenté leurs prêts à la Grèce (tant au secteur public que privé) une première fois entre décembre 2005 et mars 2007 (pendant cette période, le volume des prêts a augmenté de 50%, passant d’un peu moins de 80 milliards à 120 milliards de dollars). Bien que la crise des subprime avait éclaté aux Etats-Unis, les prêts ont de nouveau augmenté fortement (+33%) entre juin 2007 et l’été 2008 (passant de 120 à 160 milliards de dollars), puis ils se sont maintenus à un niveau très élevé (environ 120 milliards de dollars). Cela signifie que les banques privées d’Europe occidentale ont utilisé l’argent que leur prêtaient massivement et à bas coût la Banque centrale européenne, la Banque d’Angleterre, la Réserve fédérale des Etats-Unis et les money market funds des Etats-Unis (voir plus loin) pour augmenter leurs prêts à des pays comme la Grèce [4] sans aucune considération pour les risques. Les banques privées ont donc une très lourde part de responsabilité dans l’endettement excessif de la Grèce. Les banques privées grecques ont également prêté énormément d’argent aux pouvoirs publics et au secteur privé. Elles ont aussi une part importante de responsabilité. Les dettes réclamées par les banques étrangères et grecques à la Grèce en conséquence de leur politique complètement aventureuse sont frappées selon moi d’illégitimité.
CADTM : Tu dis que depuis la crise s’est déclenchée en mai 2010, la Grèce n’emprunte plus sur les marchés pour une période de 10 ans. Alors que signifie le fait que les marchés exigent un rendement d’environ 15% ou + sur les titres à 10 ans de la Grèce [5] ?
Eric Toussaint : Cela influence le prix de vente des anciens titres de la dette grecque qui s’échangent sur le marché secondaire ou sur le marché de gré à gré.
A cela, il faut ajouter une autre conséquence, beaucoup plus importante. Cela met la Grèce devant le choix entre deux options :
a) se résigner et continuer à se tourner vers la troïka (FMI, Banque centrale européenne, Commission européenne) afin d’obtenir des financements à long terme (10-15-30 ans) en passant sous les fourches caudines de celle-ci ;
b) refuser les diktats des marchés et de la troïka en suspendant le paiement et en entamant un audit afin de répudier la part illégitime de la dette.
CADTM : Avant d’aborder le choix entre ces deux options, continuons à déblayer le terrain : qu’est-ce que le marché secondaire ?
Eric Toussaint : Comme pour les voitures usagées, il existe un marché d’occasion pour les dettes.
Les zinzins et les fonds spéculatifs (hedge funds) achètent ou vendent les titres usagers sur le marché secondaire ou sur le marché de gré à gré. Les zinzins sont de loin les principaux acteurs.
La dernière fois que la Grèce a émis des titres pour une durée de 10 ans, c’était le 11 mars 2010, avant le début des attaques spéculatives et l’intervention de la troïka. En mars 2010, pour obtenir 5 milliards d’euros, elle s’est engagée à verser un intérêt de 6,25% chaque année jusqu’en 2020. Cette année-là, elle devra rembourser le capital emprunté. Depuis lors, comme nous l’avons vu, elle n’emprunte plus à 10 ans sur les marchés car les taux ont explosé. Quand on nous annonce que le taux à 10 ans s’élève à 14,86% (c’était le cas le 8 août 2011 où le taux grec à 10 ans est repassé en-dessous de 15% suite à l’intervention de la BCE, après avoir atteint 18%), cela donne une indication sur le prix auquel s’échangent les titres à 10 ans sur le marché secondaire ou sur le marché de gré à gré.
Les zinzins qui ont acheté ces titres en mars 2010 cherchent à s’en défaire sur le marché d’occasion de la dette car ces titres sont devenus à haut risque vu la possibilité que la Grèce se trouve dans l’incapacité de rembourser la valeur de ces titres à l’échéance prévue.
CADTM : Concrètement, dans le cas des titres à 10 ans émis par la Grèce, comment se fixe le prix d’occasion ?
Eric Toussaint : Le tableau suivant doit permettre de comprendre ce que signifie dans la pratique l’annonce que le taux grec à 10 ans s’élève à 14,86%. Prenons un exemple concret, admettons qu’une banque ait acheté des titres grecs en mars 2010 pour une valeur de 500 millions d’euros. Imaginons que chaque titre vaut 1000 euros. La banque recevra donc chaque année une rémunération de 62,5€ (càd 6,25% de 1000€) pour chaque titre de 1000€. On dira dans le jargon du marché des titres de la dette qu’un titre donne droit à un coupon de 62,5€. Nous sommes en 2011, aujourd’hui les titres émis à 10 ans par la Grèce en mars 2010 sont considérés comme à haut risque car il n’est pas sûr du tout que la Grèce saura rembourser l’entièreté du capital emprunté en 2020. Donc, des banques qui ont beaucoup de titres grecs comme BNP Paribas (qui en juillet 2011 en détenait encore pour 5 milliards d’€), Dexia (qui en détenait pour 3,5 milliards €), Commerzbank (3 milliards €), Generali (3 milliards €), la Société Générale (2,7 milliards €), Royal Bank of Scotland, Allianz ou des banques grecques revendent leurs titres sur le marché secondaire car elles ont trop d’actifs douteux, pourris (junk bonds) ou carrément toxiques dans leurs bilans. Pour tenter de rassurer à la fois leurs actionnaires (pour qu’ils ne vendent pas à la bourse leurs actions), leurs clients qui y ont déposé leur épargne (pour qu’ils ne la retirent pas) et les autorités européennes, elles doivent se défaire d’un maximum de titres grecs alors qu’elles s’en sont gavées jusqu’en mars 2010. A quel prix peuvent-elles trouver acquéreurs ? C’est là que le taux de 14,86% joue un rôle. Les fonds spéculatifs et autres fonds vautours qui sont prêts à racheter des titres grecs émis en mars 2010 veulent un rendement de 14,86%. S’ils achètent des titres qui rapportent 62,5€, il faut que cette somme corresponde à 14,86% de leur prix d’achat, soit 420,50€. Bref, ils seront prêts à acheter des titres grecs si leurs détenteurs sont prêts à se contenter de ce prix.
Valeur nominale du titre à 10 ans émis par la Grèce le 11 mars 2010 Taux d’intérêt le 11 mars 2010 Valeur du coupon versé chaque année au détenteur d’un titre de 1000€ Prix du titre sur le marché secondaire le 8 août 2011 Rémunération effective à la date du 8 août 2011 (Yield) si l’acheteur a acheté un titre de 1000€ pour le prix de 420,50€
Exemple 1000,00€ 6,25% 62,5€ 420,50€ 14,86%
En résumé : l’acheteur n’acceptera de payer que 420,50€ pour un titre de 1000€ s’il veut obtenir un taux d’intérêt réel de 14,86%. A ce prix-là, les banquiers cités plus haut ne sont pas facilement disposés à vendre.
CADTM : Tu dis que les zinzins revendent les titres grecs. As-tu une idée de l’ampleur des volumes dont ils se sont défaits ?
Eric Toussaint : Cherchant à réduire les risques pris, les banques françaises ont diminué en 2010 leur exposition en Grèce, qui a fondu de 44 %, passant de 27 à 15 milliards de dollars. Les banques allemandes ont opéré un mouvement similaire : leur exposition directe a baissé de 60% entre mai 2010 et février 2011, passant de 16 à 10 milliards d’euros. En 2011, ce mouvement de retraite s’est encore amplifié.
CADTM : Que fait la Banque centrale européenne à ce propos ?
Eric Toussaint : La BCE se met totalement au service des intérêts des banquiers.
CADTM : Comment ?
Eric Toussaint : En rachetant elle-même des titres grecs sur le marché secondaire. La BCE achète aux banques privées qui veulent s’en défaire des titres de la dette grecque avec une décote qui tourne autour de 20%. Elle paie autour de 800€ pour acquérir un titre qui valait 1000€ au moment de l’émission. Or, comme le montre le tableau précédent, ces titres valent beaucoup moins que cela sur le marché secondaire ou sur le marché de gré à gré. Vous pouvez imaginer pourquoi les banques apprécient vivement que la BCE leur offre 800€ au lieu du prix du marché. Ceci dit, c’est un nouvel exemple du fossé énorme qui sépare les pratiques des banquiers privés ainsi que des dirigeants européens de leur rhétorique sur la nécessité de laisser opérer librement les forces du marché pour fixer un prix.
CADTM : Le 8 août 2011, la BCE a commencé à racheter des titres des Etats européens en difficulté. Quelle est ton opinion ?
Eric Toussaint : Première précision très importante, les médias ont annoncé que la BCE recommençait à acheter des titres sans préciser que ces achats de titres des Etats en difficulté se ferait, comme d’habitude, uniquement sur le marché secondaire.
La BCE n’achète pas des titres de la dette grecque directement au gouvernement grec, elle les achète aux banques sur le marché secondaire. C’est pour cela que les banques ont exprimé leur contentement le 8 août 2011.
En effet, entre mars 2011 et le 8 août 2011, la BCE, d’après ses propres déclarations, n’avait plus acheté de titres sur le marché secondaire. Cela mécontentait les banques car, comme elles cherchaient à se défaire des titres grecs et d’autres titres d’Etats en difficulté, elles ont dû vendre, pendant cette période, au rabais sur le marché secondaire à des prix vraiment cassés. La plupart d’entre elles en ont vendu très peu comme les prix étaient très bas [6]. C’est pour cela qu’elles ont mis la pression sur la BCE pour qu’elle recommence à acheter.
CADTM : Le retour de la BCE sur le marché secondaire fait remonter le prix des titres grecs, c’est cela ?
Eric Toussaint : Oui, mais cela a été momentané et le plus important, c’est que la BCE achète nettement au-dessus du prix du marché et en très grosse quantité. Entre mai 2010 et mars 2011, la BCE a acheté pour 66 milliards d’euros de titres grecs aux banquiers et aux autres zinzins. Entre le 8 et le 12 août 2011, donc en 5 jours, elle a acheté pour 22 milliards d’euros de titres grecs, irlandais, portugais, espagnols et italiens. La semaine suivante, elle en a encore acheté pour 14 milliards d’euros. On ne connaît pas la part exacte des titres grecs mais on voit bien que la BCE a acheté massivement. Ce qui est certain, c’est que les rachats de titre par le BCE permet aux zinzins de spéculer et d’engranger des profits juteux.
En effet, les banques peuvent racheter des titres sur le marché secondaire ou beaucoup plus discrètement sur le marché de gré à gré qui échappe à tout contrôle à des prix cassés (42,5% de leur valeur dans les jours qui ont suivi le 8 août 2011 et encore moins quelques semaines plus tard) et les revendre à la BCE à 80%. Le volume de ce type d’opérations auquel les banques peuvent se livrer est peut-être marginal, il est difficile d’avoir une idée précise là-dessus. Il n’en reste pas moins qu’il est très rentable et je vois mal la BCE ou les autorités des marchés être capables, si elles en ont la volonté, de l’empêcher.
Il faut savoir que les opérations sur le marché secondaire sont peu réglementées. Mais surtout, à côté du marché secondaire, il y a le marché de gré à gré (en anglais, OTC pour Over The Counter) complètement non contrôlé par les pouvoirs publics. Très régulièrement, des ventes et des achats de titres de la dette se réalisent via ce qu’on appelle « les ventes à découvert », c’est-à-dire qu’un acheteur, par exemple une banque, peut acquérir des titres pour des dizaines de millions d’euros sans payer au moment de la réception des titres en question.
Concrètement, l’acheteur promet de payer, il acquiert des titres, les revend ensuite et c’est avec le produit de cette revente qu’il va régler l’addition, preuve qu’il n’achète pas pour l’usufruit du bien mais pour revendre tout de suite et faire un bénéfice maximum (spéculation).
Evidemment, s’il n’arrive pas à revendre ces titres à un bon prix ou n’arrive pas à les revendre du tout, il aura des problèmes pour payer l’addition. Cela peut provoquer un krach car ce sont des montants astronomiques qui sont en jeu dans la mesure où des centaines de zinzins interviennent chacun pour des montants tout à fait considérables. Les transactions sur les titres de la dette publique des Etats en difficulté porte au total sur des dizaines, voire des centaines, de milliards d’euros sur un marché libéralisé.
CADTM : Pourquoi la BCE n’achète-t-elle pas directement aux Etats qui émettent les titres au lieu de passer par les marchés secondaires ?
Eric Toussaint : Parce que les gouvernements qui l’ont créée voulaient réserver pour le secteur privé le monopole du crédit à l’égard des pouvoirs publics. Ses statuts ainsi que le Traité de Lisbonne lui interdisent, tout comme aux Banques centrales de l’Union européenne, de prêter directement aux Etats.
Elle prête donc aux banques privées qui à leur tour avec d’autres zinzins prêtent aux Etats.
Comme je l’ai indiqué plus haut, les banques françaises, allemandes et d’autres pays ont revendu massivement en 2010 et au premier trimestre 2011, des titres grecs. La BCE a été le principal acheteur et elle achète au-dessus du prix du marché secondaire [7].
Comme vous le voyez, cela permet toutes sortes de manipulations de la part des banquiers et des autres zinzins car les titres sont au porteur et les marchés libéralisés.
Il est clair que les banques privées mettent la pression sur la BCE afin qu’elle rachète des titres au prix le plus élevé, en disant qu’elles ont besoin de s’en défaire pour assainir leurs bilans et éviter une nouvelle crise bancaire de grande ampleur.
Le mois de juillet et d’août ont été propices à ces chantages et à ces pressions car les Bourses ont connu une baisse de 15% à 25%, selon les cas, entre le 8 juillet et le 18 août 2011. Les cours des actions des banques créancières de la Grèce, les banques françaises en particulier, ont carrément dégringolé.
Paniquée, la BCE a cédé face aux pressions des banquiers et des zinzins, et s’est remise à acheter des titres. Cette intervention de la BCE a sauvé (provisoirement ?) la mise à une série de grandes banques, notamment françaises. Une fois de plus les pouvoirs publics viennent au secours du privé. Mais le scandale concernant l’attitude de la BCE ne s’arrête pas là.
CADTM : Que veux-tu dire ?
Eric Toussaint : C’est très simple. Elle prête à un taux très bas aux banques privées, 1% de mai 2009 à avril 2011, 1,5% aujourd’hui, en demandant aux banques qui reçoivent cet argent de déposer une garantie. Or, ces banques déposent comme garantie des titres (ce qu’on appelle dans le jargon des « collatéraux ») sur lesquels elles perçoivent, si ce sont des titres grecs, portugais, irlandais…, un intérêt qui varie entre 3,75 et 5% s’il s’agit de titres à moins d’un an (voir plus haut), davantage s’il s’agit de titre à 3, 5, 10 ans…
CADTM : Qu’il y a-t-il de scandaleux à cela ?
Eric Toussaint : Voilà le scandale. Les banques empruntent à du 1% ou 1,5% à la BCE pour prêter à certains Etats à au moins 3,75%. Une fois qu’elles ont acheté les titres et qu’elles perçoivent cette rémunération, elles font coup double : elles déposent en garantie ces titres, empruntent à nouveau à taux très bas à la BCE et prêtent cet argent à court terme aux Etats à des taux d’intérêt très élevés.
La BCE leur permet de nouveau de faire de juteux bénéfices.
Ce n’est pas tout, la BCE a modifié à partir de 2009-2010 ses critères de sécurité et de prudence, et accepte que les banques déposent en garantie des titres à haut risque, ce qui encourage évidemment ces banques à prêter n’importe comment puisqu’elles ont la garantie de pouvoir soit revendre ces titres à la BCE soit les y déposer en garantie [8].
Evidemment, il est logique de penser que la BCE devrait agir autrement et prêter directement aux Etats à 1 ou 1,5%, sans faire les cadeaux qu’elle fait aux banquiers.
CADTM : Oui, mais a-t-elle réellement le choix puisque ses statuts et le Traité de Lisbonne lui interdisent ?
Eric Toussaint : Une série de dispositions du Traité ne sont déjà pas respectées (le ratio dette/PIB qui ne peut pas dépasser 60%, le ratio déficit public/PIB qui ne peut excéder 3 %), donc, vu les circonstances, il faut passer outre.
Au-delà, il faut abroger différents traités de l’UE, modifier radicalement les statuts de la BCE et refonder l’Union sur d’autres bases [9]. Mais bien sûr, pour cela, il faut modifier radicalement le rapport de forces par des mobilisations dans la rue.
CADTM : Suite au sommet européen du 21 juillet 2011, on a annoncé que la dette de la Grèce allait être réduite en mettant les banquiers à contribution. Va-t-on dans la bonne direction ?
Eric Toussaint : Non, pas du tout. Ces décisions n’offrent pas de solution favorable aux pays en difficulté. Les décisions du 21 juillet, si jamais elles sont approuvées par les parlements des pays concernés en septembre-octobre 2011, ne font que desserrer un peu le nœud coulant qui étrangle ces pays et surtout leur population.
De plus, dans le cas de la Grèce (viendront ensuite les autres pays), les autorités européennes s’en sont remises aux banquiers largement responsables du désastre pour élaborer un programme fait sur mesure pour défendre leurs intérêts égoïstes. C’est un cartel ad-hoc des principales banques créancières, ayant pris le nom pompeux et trompeur d’Institut de la finance internationale (IIF), qui a rédigé un menu à options qui offre quatre scénarii possibles [10].
Comme l’affirme le Crédit Agricole, une des principales banques françaises (elle possède une banque en Grèce, « Emporiki [11]. », gavée de titres grecs), l’IIF s’est inspiré clairement du Plan Brady appliqué au cours des années 1980-1990 pour gérer la crise de la dette de 18 pays émergents (voir plus loin). Les chefs d’Etats, la CE et les banquiers, relayés par les médias, annoncent que cela permettra de réduire la dette de 21%, ce qui est tout bonnement faux. En réalité, au mieux, la réduction pour la Grèce s’élèverait à 13,5 milliards d’euros, i.e. 4% du stock actuel qui atteint 350 milliards d’euros (et qui continuera de croître dans les années qui viennent). Le chiffre de 21% correspond à la décote que les banquiers acceptent d’appliquer à la valeur des titres grecs qu’ils détiennent. C’est une opération qu’ils réalisent dans leurs livres de compte, c’est très important de le préciser. En effet, cela ne diminue en rien jusqu’ici la facture pour l’Etat grec. D’ailleurs, les banquiers sont tellement heureux que leur proposition ait été acceptée par les chefs d’Etat et la BCE que plusieurs d’entre eux ont annoncé dès la fin du mois de juillet et au début août 2011 qu’ils provisionnaient sur les titres grecs venant à échéance en 2020 des pertes égales à 21%. Par exemple, BNP Paribas a provisionné 534 millions d’euros de pertes, Dexia 377 millions [12]. En faisant cela, ces banques qui jouent un rôle de leader dans l’IIF veulent peser sur les parlements des pays de l’UE afin qu’ils ratifient les accords pris avec les chefs d’Etat et la BCE. De plus, en mettant ces sommes en provisions pour perte, c’est autant qu’elles pourront déduire de leurs bénéfices afin de réduire les impôts. Jusqu’ici, il y a un trublion parmi les grands banquiers : la Royal Bank of Scotland (RBS) s’est retirée de l’IIF et a annoncé qu’elle appliquerait une décote de 50% au lieu de 21% en provisionnant une perte de 733 millions de livres sterling. C’est bien la preuve que la décote de 21% est tout à fait insuffisante.
CADTM : A propos de l’accord du 21 juillet 2011, on a dit également qu’en ce qui concerne la Grèce, l’Irlande et le Portugal, la durée des prêts de la troïka allait être allongée et que les taux d’intérêts seraient réduits. Qu’en est-il ?
Eric Toussaint : Les autorités européennes ont effectivement annoncé leur intention de réduire de 2 ou 3 points les taux d’intérêt qu’elles exigent de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal [13]. En proclamant qu’elles ramenaient le taux d’intérêt à environ 3,5% pour des crédits à 15 voire 30 ans, elles reconnaissent que les taux qu’elles exigeaient jusqu’ici sont prohibitifs. Elles le font tant est patent le désastre dans lequel elles ont contribué à plonger ces pays et tant le risque de contagion à d’autres pays est fort. Les mesures annoncées par les autorités européennes le 21 juillet 2011 constituent un aveu clair et net de l’« enrichissement sans cause » dont elles sont responsables et du caractère dolosif de leur politique.
26 août 2011
En juillet-août 2011, les bourses ont été ébranlées une nouvelle fois au niveau international. La crise s’est approfondie dans l’Union européenne, en particulier en matière de dettes. Le CADTM a interviewé Eric Toussaint afin de décoder différents aspects de cette nouvelle phase de la crise. L’interview permet également de présenter un certain nombre d’alternatives.
CADTM : Est-il vrai que la Grèce doit promettre au marché un taux d’intérêt d’environ 15% pour pouvoir emprunter pour une durée de 10 ans ?
Eric Toussaint : Oui, c’est vrai, les marchés ne sont disposés à acheter des titres que voudrait émettre la Grèce pour une durée de 10 ans qu’à condition qu’elle s’engage à payer de tels taux exorbitants.
CADTM : La Grèce emprunte-t-elle à 10 ans dans de telles conditions ?
Eric Toussaint : Non, la Grèce ne peut pas se permettre de verser un tel intérêt. Cela lui coûterait beaucoup trop cher. Or, presque tous les jours, on peut lire tant dans la presse traditionnelle que dans des médias alternatifs (par ailleurs très utiles pour se faire une opinion critique) que la Grèce doit emprunter à 15% ou plus.
En réalité, depuis que la crise a éclaté au printemps 2010, la Grèce n’emprunte sur les marchés qu’à 3 mois, 6 mois ou maximum 1 an, en versant un taux d’intérêt qui varie selon les émissions entre 4% et 5% [1]. Il faut savoir que, avant que les attaques spéculatives ne commencent contre la Grèce, celle-ci pouvait emprunter à des taux très avantageux tant les banquiers surtout mais aussi d’autres investisseurs institutionnels (les assurances, les fonds de pension) -que l’on appelle dans le jargon, les zinzins- étaient empressés de lui prêter de l’argent.
C’est ainsi que le 13 octobre 2009, elle a émis des titres du Trésor (T-Bills) à 3 mois avec un rendement (yield) très bas : 0,35%. Le même jour, elle a réalisé une autre émission, celle de titres à 6 mois avec un taux de 0,59%. Sept jours plus tard, le 20 octobre 2009, elle a émis des titres à un an à un taux de 0,94% [2]. On était à moins de six mois de l’éclatement de la crise grecque. Les agences de notation attribuaient une très bonne cote à la Grèce et aux banques qui lui prêtaient à tour de bras. Dix mois plus tard, pour émettre des titres à 6 mois, elle a dû octroyer un rendement de 4,65% (càd 8 fois plus). C’est un changement fondamental de circonstances.
Encore une précision importante pour indiquer la responsabilité des banques : en 2008, elles exigeaient de la Grèce un rendement plus élevé qu’en 2009. Par exemple, en juin-juillet-août 2008, alors qu’on n’avait pas encore connu le choc produit par la faillite de Lehman Brothers, les taux étaient quatre fois plus élevés qu’en octobre 2009. Au 4e trimestre 2009, en passant au-dessous de 1%, les taux ont atteint leur niveau le plus bas [3]. Ce qui peut paraître irrationnel, car il n’est pas normal pour une banque privée d’abaisser les taux d’intérêts dans un contexte de crise internationale majeure et à l’égard d’un pays comme la Grèce qui s’endette très rapidement, est logique du point de vue d’un banquier qui cherche un maximum de profit immédiat en étant persuadé qu’en cas de problème, les autorités publiques lui viendront en aide. Après la faillite de Lehman Brothers, les gouvernements des Etats-Unis et d’Europe ont déversé d’énormes liquidités pour sauver les banques et pour relancer le crédit et l’activité économique. Les banquiers ont saisi cette manne de capitaux pour les prêter dans l’UE à des pays comme la Grèce, le Portugal, l’Espagne, l’Italie, en étant convaincus qu’en cas de problème, la BCE et la Commission européenne leur viendraient en aide. De leur point de vue, ils ont eu raison.
CADTM : Tu veux dire que les banques privées, en prêtant à bas taux d’intérêt, ont contribué activement à pousser la Grèce dans le piège d’un endettement insoutenable, puis ont exigé des taux beaucoup plus élevés qui ont empêché la Grèce de pouvoir emprunter au-delà d’une durée d’un an ?
Eric Toussaint : Oui, c’est bien cela. Je ne parle pas d’un complot à proprement parler, mais il est indéniable que les banques ont jeté littéralement des capitaux à la figure de pays comme la Grèce (y compris en baissant les taux d’intérêt qu’elles exigeaient) tellement à leurs yeux l’argent qu’elles recevaient massivement des pouvoirs publics devait trouver une destination en termes de prêts aux Etats de la zone euro. Il faut se rappeler que voici à peine trois ans, les Etats sont apparus comme les acteurs les plus fiables tandis que le doute régnait quant à la capacité des entreprises privées de tenir leurs engagements et de rembourser leurs dettes.
Pour reprendre l’exemple concret mentionné plus haut, lorsque le 20 octobre 2009 le gouvernement grec a vendu des T-Bills à 3 mois avec un rendement de 0,35%, il cherchait à réunir la somme de 1 500 millions d’euros. Les banquiers et autres zinzins ont proposé près de 5 fois cette somme, soit 7 040 millions. Finalement, le gouvernement a décidé d’emprunter 2 400 millions. Il n’est pas exagéré d’affirmer que les banquiers ont jeté les capitaux à la figure de la Grèce.
Revenons sur les séquences de l’augmentation des prêts des banquiers d’Europe occidentale à la Grèce au cours de la période 2005-2009. Les banques des pays de l’ouest européen ont augmenté leurs prêts à la Grèce (tant au secteur public que privé) une première fois entre décembre 2005 et mars 2007 (pendant cette période, le volume des prêts a augmenté de 50%, passant d’un peu moins de 80 milliards à 120 milliards de dollars). Bien que la crise des subprime avait éclaté aux Etats-Unis, les prêts ont de nouveau augmenté fortement (+33%) entre juin 2007 et l’été 2008 (passant de 120 à 160 milliards de dollars), puis ils se sont maintenus à un niveau très élevé (environ 120 milliards de dollars). Cela signifie que les banques privées d’Europe occidentale ont utilisé l’argent que leur prêtaient massivement et à bas coût la Banque centrale européenne, la Banque d’Angleterre, la Réserve fédérale des Etats-Unis et les money market funds des Etats-Unis (voir plus loin) pour augmenter leurs prêts à des pays comme la Grèce [4] sans aucune considération pour les risques. Les banques privées ont donc une très lourde part de responsabilité dans l’endettement excessif de la Grèce. Les banques privées grecques ont également prêté énormément d’argent aux pouvoirs publics et au secteur privé. Elles ont aussi une part importante de responsabilité. Les dettes réclamées par les banques étrangères et grecques à la Grèce en conséquence de leur politique complètement aventureuse sont frappées selon moi d’illégitimité.
CADTM : Tu dis que depuis la crise s’est déclenchée en mai 2010, la Grèce n’emprunte plus sur les marchés pour une période de 10 ans. Alors que signifie le fait que les marchés exigent un rendement d’environ 15% ou + sur les titres à 10 ans de la Grèce [5] ?
Eric Toussaint : Cela influence le prix de vente des anciens titres de la dette grecque qui s’échangent sur le marché secondaire ou sur le marché de gré à gré.
A cela, il faut ajouter une autre conséquence, beaucoup plus importante. Cela met la Grèce devant le choix entre deux options :
a) se résigner et continuer à se tourner vers la troïka (FMI, Banque centrale européenne, Commission européenne) afin d’obtenir des financements à long terme (10-15-30 ans) en passant sous les fourches caudines de celle-ci ;
b) refuser les diktats des marchés et de la troïka en suspendant le paiement et en entamant un audit afin de répudier la part illégitime de la dette.
CADTM : Avant d’aborder le choix entre ces deux options, continuons à déblayer le terrain : qu’est-ce que le marché secondaire ?
Eric Toussaint : Comme pour les voitures usagées, il existe un marché d’occasion pour les dettes.
Les zinzins et les fonds spéculatifs (hedge funds) achètent ou vendent les titres usagers sur le marché secondaire ou sur le marché de gré à gré. Les zinzins sont de loin les principaux acteurs.
La dernière fois que la Grèce a émis des titres pour une durée de 10 ans, c’était le 11 mars 2010, avant le début des attaques spéculatives et l’intervention de la troïka. En mars 2010, pour obtenir 5 milliards d’euros, elle s’est engagée à verser un intérêt de 6,25% chaque année jusqu’en 2020. Cette année-là, elle devra rembourser le capital emprunté. Depuis lors, comme nous l’avons vu, elle n’emprunte plus à 10 ans sur les marchés car les taux ont explosé. Quand on nous annonce que le taux à 10 ans s’élève à 14,86% (c’était le cas le 8 août 2011 où le taux grec à 10 ans est repassé en-dessous de 15% suite à l’intervention de la BCE, après avoir atteint 18%), cela donne une indication sur le prix auquel s’échangent les titres à 10 ans sur le marché secondaire ou sur le marché de gré à gré.
Les zinzins qui ont acheté ces titres en mars 2010 cherchent à s’en défaire sur le marché d’occasion de la dette car ces titres sont devenus à haut risque vu la possibilité que la Grèce se trouve dans l’incapacité de rembourser la valeur de ces titres à l’échéance prévue.
CADTM : Concrètement, dans le cas des titres à 10 ans émis par la Grèce, comment se fixe le prix d’occasion ?
Eric Toussaint : Le tableau suivant doit permettre de comprendre ce que signifie dans la pratique l’annonce que le taux grec à 10 ans s’élève à 14,86%. Prenons un exemple concret, admettons qu’une banque ait acheté des titres grecs en mars 2010 pour une valeur de 500 millions d’euros. Imaginons que chaque titre vaut 1000 euros. La banque recevra donc chaque année une rémunération de 62,5€ (càd 6,25% de 1000€) pour chaque titre de 1000€. On dira dans le jargon du marché des titres de la dette qu’un titre donne droit à un coupon de 62,5€. Nous sommes en 2011, aujourd’hui les titres émis à 10 ans par la Grèce en mars 2010 sont considérés comme à haut risque car il n’est pas sûr du tout que la Grèce saura rembourser l’entièreté du capital emprunté en 2020. Donc, des banques qui ont beaucoup de titres grecs comme BNP Paribas (qui en juillet 2011 en détenait encore pour 5 milliards d’€), Dexia (qui en détenait pour 3,5 milliards €), Commerzbank (3 milliards €), Generali (3 milliards €), la Société Générale (2,7 milliards €), Royal Bank of Scotland, Allianz ou des banques grecques revendent leurs titres sur le marché secondaire car elles ont trop d’actifs douteux, pourris (junk bonds) ou carrément toxiques dans leurs bilans. Pour tenter de rassurer à la fois leurs actionnaires (pour qu’ils ne vendent pas à la bourse leurs actions), leurs clients qui y ont déposé leur épargne (pour qu’ils ne la retirent pas) et les autorités européennes, elles doivent se défaire d’un maximum de titres grecs alors qu’elles s’en sont gavées jusqu’en mars 2010. A quel prix peuvent-elles trouver acquéreurs ? C’est là que le taux de 14,86% joue un rôle. Les fonds spéculatifs et autres fonds vautours qui sont prêts à racheter des titres grecs émis en mars 2010 veulent un rendement de 14,86%. S’ils achètent des titres qui rapportent 62,5€, il faut que cette somme corresponde à 14,86% de leur prix d’achat, soit 420,50€. Bref, ils seront prêts à acheter des titres grecs si leurs détenteurs sont prêts à se contenter de ce prix.
Valeur nominale du titre à 10 ans émis par la Grèce le 11 mars 2010 Taux d’intérêt le 11 mars 2010 Valeur du coupon versé chaque année au détenteur d’un titre de 1000€ Prix du titre sur le marché secondaire le 8 août 2011 Rémunération effective à la date du 8 août 2011 (Yield) si l’acheteur a acheté un titre de 1000€ pour le prix de 420,50€
Exemple 1000,00€ 6,25% 62,5€ 420,50€ 14,86%
En résumé : l’acheteur n’acceptera de payer que 420,50€ pour un titre de 1000€ s’il veut obtenir un taux d’intérêt réel de 14,86%. A ce prix-là, les banquiers cités plus haut ne sont pas facilement disposés à vendre.
CADTM : Tu dis que les zinzins revendent les titres grecs. As-tu une idée de l’ampleur des volumes dont ils se sont défaits ?
Eric Toussaint : Cherchant à réduire les risques pris, les banques françaises ont diminué en 2010 leur exposition en Grèce, qui a fondu de 44 %, passant de 27 à 15 milliards de dollars. Les banques allemandes ont opéré un mouvement similaire : leur exposition directe a baissé de 60% entre mai 2010 et février 2011, passant de 16 à 10 milliards d’euros. En 2011, ce mouvement de retraite s’est encore amplifié.
CADTM : Que fait la Banque centrale européenne à ce propos ?
Eric Toussaint : La BCE se met totalement au service des intérêts des banquiers.
CADTM : Comment ?
Eric Toussaint : En rachetant elle-même des titres grecs sur le marché secondaire. La BCE achète aux banques privées qui veulent s’en défaire des titres de la dette grecque avec une décote qui tourne autour de 20%. Elle paie autour de 800€ pour acquérir un titre qui valait 1000€ au moment de l’émission. Or, comme le montre le tableau précédent, ces titres valent beaucoup moins que cela sur le marché secondaire ou sur le marché de gré à gré. Vous pouvez imaginer pourquoi les banques apprécient vivement que la BCE leur offre 800€ au lieu du prix du marché. Ceci dit, c’est un nouvel exemple du fossé énorme qui sépare les pratiques des banquiers privés ainsi que des dirigeants européens de leur rhétorique sur la nécessité de laisser opérer librement les forces du marché pour fixer un prix.
CADTM : Le 8 août 2011, la BCE a commencé à racheter des titres des Etats européens en difficulté. Quelle est ton opinion ?
Eric Toussaint : Première précision très importante, les médias ont annoncé que la BCE recommençait à acheter des titres sans préciser que ces achats de titres des Etats en difficulté se ferait, comme d’habitude, uniquement sur le marché secondaire.
La BCE n’achète pas des titres de la dette grecque directement au gouvernement grec, elle les achète aux banques sur le marché secondaire. C’est pour cela que les banques ont exprimé leur contentement le 8 août 2011.
En effet, entre mars 2011 et le 8 août 2011, la BCE, d’après ses propres déclarations, n’avait plus acheté de titres sur le marché secondaire. Cela mécontentait les banques car, comme elles cherchaient à se défaire des titres grecs et d’autres titres d’Etats en difficulté, elles ont dû vendre, pendant cette période, au rabais sur le marché secondaire à des prix vraiment cassés. La plupart d’entre elles en ont vendu très peu comme les prix étaient très bas [6]. C’est pour cela qu’elles ont mis la pression sur la BCE pour qu’elle recommence à acheter.
CADTM : Le retour de la BCE sur le marché secondaire fait remonter le prix des titres grecs, c’est cela ?
Eric Toussaint : Oui, mais cela a été momentané et le plus important, c’est que la BCE achète nettement au-dessus du prix du marché et en très grosse quantité. Entre mai 2010 et mars 2011, la BCE a acheté pour 66 milliards d’euros de titres grecs aux banquiers et aux autres zinzins. Entre le 8 et le 12 août 2011, donc en 5 jours, elle a acheté pour 22 milliards d’euros de titres grecs, irlandais, portugais, espagnols et italiens. La semaine suivante, elle en a encore acheté pour 14 milliards d’euros. On ne connaît pas la part exacte des titres grecs mais on voit bien que la BCE a acheté massivement. Ce qui est certain, c’est que les rachats de titre par le BCE permet aux zinzins de spéculer et d’engranger des profits juteux.
En effet, les banques peuvent racheter des titres sur le marché secondaire ou beaucoup plus discrètement sur le marché de gré à gré qui échappe à tout contrôle à des prix cassés (42,5% de leur valeur dans les jours qui ont suivi le 8 août 2011 et encore moins quelques semaines plus tard) et les revendre à la BCE à 80%. Le volume de ce type d’opérations auquel les banques peuvent se livrer est peut-être marginal, il est difficile d’avoir une idée précise là-dessus. Il n’en reste pas moins qu’il est très rentable et je vois mal la BCE ou les autorités des marchés être capables, si elles en ont la volonté, de l’empêcher.
Il faut savoir que les opérations sur le marché secondaire sont peu réglementées. Mais surtout, à côté du marché secondaire, il y a le marché de gré à gré (en anglais, OTC pour Over The Counter) complètement non contrôlé par les pouvoirs publics. Très régulièrement, des ventes et des achats de titres de la dette se réalisent via ce qu’on appelle « les ventes à découvert », c’est-à-dire qu’un acheteur, par exemple une banque, peut acquérir des titres pour des dizaines de millions d’euros sans payer au moment de la réception des titres en question.
Concrètement, l’acheteur promet de payer, il acquiert des titres, les revend ensuite et c’est avec le produit de cette revente qu’il va régler l’addition, preuve qu’il n’achète pas pour l’usufruit du bien mais pour revendre tout de suite et faire un bénéfice maximum (spéculation).
Evidemment, s’il n’arrive pas à revendre ces titres à un bon prix ou n’arrive pas à les revendre du tout, il aura des problèmes pour payer l’addition. Cela peut provoquer un krach car ce sont des montants astronomiques qui sont en jeu dans la mesure où des centaines de zinzins interviennent chacun pour des montants tout à fait considérables. Les transactions sur les titres de la dette publique des Etats en difficulté porte au total sur des dizaines, voire des centaines, de milliards d’euros sur un marché libéralisé.
CADTM : Pourquoi la BCE n’achète-t-elle pas directement aux Etats qui émettent les titres au lieu de passer par les marchés secondaires ?
Eric Toussaint : Parce que les gouvernements qui l’ont créée voulaient réserver pour le secteur privé le monopole du crédit à l’égard des pouvoirs publics. Ses statuts ainsi que le Traité de Lisbonne lui interdisent, tout comme aux Banques centrales de l’Union européenne, de prêter directement aux Etats.
Elle prête donc aux banques privées qui à leur tour avec d’autres zinzins prêtent aux Etats.
Comme je l’ai indiqué plus haut, les banques françaises, allemandes et d’autres pays ont revendu massivement en 2010 et au premier trimestre 2011, des titres grecs. La BCE a été le principal acheteur et elle achète au-dessus du prix du marché secondaire [7].
Comme vous le voyez, cela permet toutes sortes de manipulations de la part des banquiers et des autres zinzins car les titres sont au porteur et les marchés libéralisés.
Il est clair que les banques privées mettent la pression sur la BCE afin qu’elle rachète des titres au prix le plus élevé, en disant qu’elles ont besoin de s’en défaire pour assainir leurs bilans et éviter une nouvelle crise bancaire de grande ampleur.
Le mois de juillet et d’août ont été propices à ces chantages et à ces pressions car les Bourses ont connu une baisse de 15% à 25%, selon les cas, entre le 8 juillet et le 18 août 2011. Les cours des actions des banques créancières de la Grèce, les banques françaises en particulier, ont carrément dégringolé.
Paniquée, la BCE a cédé face aux pressions des banquiers et des zinzins, et s’est remise à acheter des titres. Cette intervention de la BCE a sauvé (provisoirement ?) la mise à une série de grandes banques, notamment françaises. Une fois de plus les pouvoirs publics viennent au secours du privé. Mais le scandale concernant l’attitude de la BCE ne s’arrête pas là.
CADTM : Que veux-tu dire ?
Eric Toussaint : C’est très simple. Elle prête à un taux très bas aux banques privées, 1% de mai 2009 à avril 2011, 1,5% aujourd’hui, en demandant aux banques qui reçoivent cet argent de déposer une garantie. Or, ces banques déposent comme garantie des titres (ce qu’on appelle dans le jargon des « collatéraux ») sur lesquels elles perçoivent, si ce sont des titres grecs, portugais, irlandais…, un intérêt qui varie entre 3,75 et 5% s’il s’agit de titres à moins d’un an (voir plus haut), davantage s’il s’agit de titre à 3, 5, 10 ans…
CADTM : Qu’il y a-t-il de scandaleux à cela ?
Eric Toussaint : Voilà le scandale. Les banques empruntent à du 1% ou 1,5% à la BCE pour prêter à certains Etats à au moins 3,75%. Une fois qu’elles ont acheté les titres et qu’elles perçoivent cette rémunération, elles font coup double : elles déposent en garantie ces titres, empruntent à nouveau à taux très bas à la BCE et prêtent cet argent à court terme aux Etats à des taux d’intérêt très élevés.
La BCE leur permet de nouveau de faire de juteux bénéfices.
Ce n’est pas tout, la BCE a modifié à partir de 2009-2010 ses critères de sécurité et de prudence, et accepte que les banques déposent en garantie des titres à haut risque, ce qui encourage évidemment ces banques à prêter n’importe comment puisqu’elles ont la garantie de pouvoir soit revendre ces titres à la BCE soit les y déposer en garantie [8].
Evidemment, il est logique de penser que la BCE devrait agir autrement et prêter directement aux Etats à 1 ou 1,5%, sans faire les cadeaux qu’elle fait aux banquiers.
CADTM : Oui, mais a-t-elle réellement le choix puisque ses statuts et le Traité de Lisbonne lui interdisent ?
Eric Toussaint : Une série de dispositions du Traité ne sont déjà pas respectées (le ratio dette/PIB qui ne peut pas dépasser 60%, le ratio déficit public/PIB qui ne peut excéder 3 %), donc, vu les circonstances, il faut passer outre.
Au-delà, il faut abroger différents traités de l’UE, modifier radicalement les statuts de la BCE et refonder l’Union sur d’autres bases [9]. Mais bien sûr, pour cela, il faut modifier radicalement le rapport de forces par des mobilisations dans la rue.
CADTM : Suite au sommet européen du 21 juillet 2011, on a annoncé que la dette de la Grèce allait être réduite en mettant les banquiers à contribution. Va-t-on dans la bonne direction ?
Eric Toussaint : Non, pas du tout. Ces décisions n’offrent pas de solution favorable aux pays en difficulté. Les décisions du 21 juillet, si jamais elles sont approuvées par les parlements des pays concernés en septembre-octobre 2011, ne font que desserrer un peu le nœud coulant qui étrangle ces pays et surtout leur population.
De plus, dans le cas de la Grèce (viendront ensuite les autres pays), les autorités européennes s’en sont remises aux banquiers largement responsables du désastre pour élaborer un programme fait sur mesure pour défendre leurs intérêts égoïstes. C’est un cartel ad-hoc des principales banques créancières, ayant pris le nom pompeux et trompeur d’Institut de la finance internationale (IIF), qui a rédigé un menu à options qui offre quatre scénarii possibles [10].
Comme l’affirme le Crédit Agricole, une des principales banques françaises (elle possède une banque en Grèce, « Emporiki [11]. », gavée de titres grecs), l’IIF s’est inspiré clairement du Plan Brady appliqué au cours des années 1980-1990 pour gérer la crise de la dette de 18 pays émergents (voir plus loin). Les chefs d’Etats, la CE et les banquiers, relayés par les médias, annoncent que cela permettra de réduire la dette de 21%, ce qui est tout bonnement faux. En réalité, au mieux, la réduction pour la Grèce s’élèverait à 13,5 milliards d’euros, i.e. 4% du stock actuel qui atteint 350 milliards d’euros (et qui continuera de croître dans les années qui viennent). Le chiffre de 21% correspond à la décote que les banquiers acceptent d’appliquer à la valeur des titres grecs qu’ils détiennent. C’est une opération qu’ils réalisent dans leurs livres de compte, c’est très important de le préciser. En effet, cela ne diminue en rien jusqu’ici la facture pour l’Etat grec. D’ailleurs, les banquiers sont tellement heureux que leur proposition ait été acceptée par les chefs d’Etat et la BCE que plusieurs d’entre eux ont annoncé dès la fin du mois de juillet et au début août 2011 qu’ils provisionnaient sur les titres grecs venant à échéance en 2020 des pertes égales à 21%. Par exemple, BNP Paribas a provisionné 534 millions d’euros de pertes, Dexia 377 millions [12]. En faisant cela, ces banques qui jouent un rôle de leader dans l’IIF veulent peser sur les parlements des pays de l’UE afin qu’ils ratifient les accords pris avec les chefs d’Etat et la BCE. De plus, en mettant ces sommes en provisions pour perte, c’est autant qu’elles pourront déduire de leurs bénéfices afin de réduire les impôts. Jusqu’ici, il y a un trublion parmi les grands banquiers : la Royal Bank of Scotland (RBS) s’est retirée de l’IIF et a annoncé qu’elle appliquerait une décote de 50% au lieu de 21% en provisionnant une perte de 733 millions de livres sterling. C’est bien la preuve que la décote de 21% est tout à fait insuffisante.
CADTM : A propos de l’accord du 21 juillet 2011, on a dit également qu’en ce qui concerne la Grèce, l’Irlande et le Portugal, la durée des prêts de la troïka allait être allongée et que les taux d’intérêts seraient réduits. Qu’en est-il ?
Eric Toussaint : Les autorités européennes ont effectivement annoncé leur intention de réduire de 2 ou 3 points les taux d’intérêt qu’elles exigent de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal [13]. En proclamant qu’elles ramenaient le taux d’intérêt à environ 3,5% pour des crédits à 15 voire 30 ans, elles reconnaissent que les taux qu’elles exigeaient jusqu’ici sont prohibitifs. Elles le font tant est patent le désastre dans lequel elles ont contribué à plonger ces pays et tant le risque de contagion à d’autres pays est fort. Les mesures annoncées par les autorités européennes le 21 juillet 2011 constituent un aveu clair et net de l’« enrichissement sans cause » dont elles sont responsables et du caractère dolosif de leur politique.
gérard menvussa- Messages : 6658
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Re: Où va la crise ?
suite de l'entretien d'Eric Toussain
CADTM : Qu’est-ce qu’un enrichissement sans cause ?
Eric Toussaint : L’enrichissement sans cause désigne un enrichissement abusif, un gain obtenu par des moyens illégitimes. Cela correspond à un principe général du droit international selon l’article 38 du statut de la Cour internationale de justice [14]. Des États comme l’Allemagne, la France et l’Autriche empruntent à du 2% sur les marchés et prête à la Grèce à du 5% ou 5,5%, à l’Irlande à 6%. De même, le FMI emprunte à ses membres à bas taux d’intérêt et prête à la Grèce, à l’Irlande et au Portugal à des taux nettement supérieurs.
CADTM : Qu’est-ce que le caractère dolosif de la politique de la troïka ?
Eric Toussaint : Le dol [15] est une autre notion importante du droit international. Il désigne un comportement condamnable qui consiste à porter préjudice à autrui de manière intentionnelle. Si un État a été amené à conclure un emprunt par la conduite frauduleuse d’un autre État ou d’une organisation internationale ayant participé à la négociation, il peut invoquer le dol comme viciant son consentement à être lié par ledit contrat. Or la troïka profite de la détresse de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal, pour imposer des mesures qui portent atteinte aux droits économiques et sociaux des citoyens de ces pays, qui remettent en cause des conventions collectives, qui constituent une violation de la souveraineté du pays et, dans certain cas, de son ordre constitutionnel. Au début du mois d’août 2011, on a eu la preuve, grâce à certains organes de presse italiens, que la BCE profitait des attaques spéculatives contre ce pays pour exiger de ses autorités qu’elles appliquent le même type de mesures antisociales que la Grèce, l’Irlande et le Portugal. Sans l’engagement des autorités italiennes à réaliser ces mesures, la BCE menaçait de ne pas venir en aide à l’Italie.
Ce que font les membres de la troïka peut être comparé à l’action odieuse d’une personne qui sous prétexte de porter assistance à une personne en danger en profiterait pour aggraver le drame vécu par la personne et en tirer profit. On pourrait aussi considérer qu’il s’agit d’une action délictueuse planifiée en groupe : le FMI, la BCE, la Commission européenne et les gouvernements qui les y poussent. Le fait de s’associer pour planifier et perpétrer un acte condamnable aggrave la responsabilité des agresseurs.
Ce n’est pas tout : les politiques économiques exigées par la troïka ne permettront pas aux pays concernés d’améliorer réellement leur situation. Pendant trois décennies, ce type de politique néfaste a été appliqué, à la demande des grandes entreprises privées, du FMI et des gouvernements des pays les plus industrialisés, dans les pays endettés du Sud ainsi qu’à une série de pays de l’ex-bloc soviétique. Les pays qui ont appliqué cette politique de la manière la plus disciplinée sont passés par des périodes désastreuses. Ceux qui ont refusé les diktats des organismes internationaux et leur doxa néolibérale s’en sont beaucoup mieux sortis. Il faut rappeler cela car il s’agit d’affirmer haut et clair que le résultat des politiques exigées par la troïka et les zinzins est connu d’avance. Aujourd’hui ou dans le futur, ils n’ont et n’auront aucunement le droit d’affirmer qu’ils ne savaient pas quels résultats provoquent leurs politiques. Dès aujourd’hui, les résultats en Grèce sont clairs et nets.
CADTM : Depuis plus d’un an, le CADTM a mis en garde contre une opération de réduction de dette conduite par les créanciers, en l’occurrence la troïka, les banquiers et les autres zinzins. Etait-ce justifié ?
Eric Toussaint : Oui, tout à fait. L’opération actuelle est entièrement conduite par les créanciers et répond à leurs intérêts. Comme indiqué plus haut, le plan actuel est une version européenne du plan Brady [16]. Rappelons le contexte dans lequel celui-ci a été mis en place à la fin des années 1980.
Au début de la crise qui a éclaté en 1982, le FMI et les gouvernements des Etats-Unis, de la Grande Bretagne et d’autres puissances sont venus à la rescousse des banquiers privés du Nord qui avaient pris des risques énormes en prêtant à tour de bras aux pays du Sud, surtout d’Amérique latine (un peu comme dans le secteur des subprime et à l’égard de pays comme la Grèce, les pays d’Europe de l’Est, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne). Lorsque les pays en développement, à commencer par le Mexique, se sont trouvés au bord de la cessation de paiement, le FMI et les pays membres du Club de Paris leur ont prêté des capitaux à condition qu’ils poursuivent les remboursements à l’égard des banquiers privés du Nord et qu’ils appliquent des plans d’austérité (les fameux plans d’ajustement structurel). Ensuite, comme l’endettement du Sud se poursuivait par l’effet boule de neige, ils ont mis en place le Plan Brady (du nom du secrétaire d’Etat au Trésor états-unien de l’époque) qui a impliqué une restructuration de la dette des principaux pays endettés avec échange de titres. Les pays participants étaient l’Argentine, le Brésil, la Bulgarie, le Costa Rica, la Côte d’Ivoire, la République dominicaine, l’Equateur, la Jordanie, le Mexique, le Nigeria, le Panama, le Pérou, les Philippines, la Pologne, la Russie, l’Uruguay, le Venezuela et le Vietnam. A l’époque, Nicolas Brady avait annoncé que le volume de la dette serait réduit de 30% (en réalité, la réduction quand elle a existé a été beaucoup faible ; dans plusieurs cas, et non des moindres, la dette a même augmenté, voir ci-dessous) et les nouveaux titres (les titres Brady) ont garanti un taux fixe d’intérêt d’environ 6%, ce qui était très favorable aux banquiers. Cela assurait aussi la poursuite des politiques d’austérité sous le contrôle du FMI et de la Banque mondiale. Aujourd’hui, sous d’autres latitudes, la même logique provoque les mêmes désastres.
Il est très intéressant de prendre en compte le jugement émis a posteriori par deux économistes néolibéraux nord-américains bien connus : Kenneth Rogoff, ex-économiste en chef du FMI, et Carmen Reinhart, professeur d’université et conseillère du FMI et de la Banque mondiale. Voici ce qu’ils écrivaient en 2009 à propos du Plan Brady. Ils commencent par affirmer : « Parmi les grands épisodes de désendettement, on remarque l’absence des célèbres accords de restructuration Brady conclus dans les années 1990. »
Ensuite, ils étayent leur constat négatif sur les éléments suivants : « En fait, pour l’Argentine et le Pérou, le ratio dette/PNB était plus élevé trois ans après l’accord Brady que dans l’année précédant la restructuration !
En 2000, sept des dix-sept pays qui avaient entrepris une restructuration de type Brady (Argentine, Brésil, Equateur, Pérou, Philippines, Pologne et Uruguay) présentaient un ratio dette extérieure/PNB plus élevé que trois ans après la restructuration ; fin 2000, le ratio restait plus élevé qu’avant l’accord Brady pour quatre d’entre eux (Argentine, Brésil, Equateur et Pérou).
En 2003, quatre bénéficiaires du plan Brady (Argentine, Côte d’Ivoire, Equateur et Uruguay) avaient à nouveau fait défaut ou restructuré leur dette extérieure.
En 2008, moins de vingt ans après le plan, l’Equateur avait fait défaut deux fois.
Quelques autres membres du groupe Brady pourraient suivre. » [17]
La version européenne respecte dans les détails le Plan Brady. Dans le cadre de ce plan, les Etats qui y ont participé ont dû acheter des titres du Trésor des Etats-Unis à coupon zéro [18] afin de constituer une garantie en cas de non paiement. Le plan européen concocté par les banques, la commission européenne et la BCE (avec le soutien de la directrice générale du FMI) prévoit quatre options. Pour les trois premières options, la Grèce acquiert, via le Fonds européen de stabilité financière (FESF), des euro-obligations à coupon zéro servant de garantie totale de remboursement du principal des titres émis à trente ans [19].
CADTM : En résumé, quel est ton jugement sur ce plan ?
Eric Toussaint : Ce plan ne permettra pas à la Grèce de s’en sortir valablement pour deux raisons fondamentales : 1. la réduction de dette est totalement insuffisante ; 2. les politiques économiques et sociales appliquées par la Grèce pour répondre aux exigences de la troïka fragiliseront encore un peu plus ce pays. Cela permet de caractériser d’odieux, les nouveaux financements qui seront accordés à la Grèce dans le cadre de ce plan ainsi que les anciennes dettes ainsi restructurées [20].
CADTM : On a dit que la BCE s’était opposée à une forte décote de la dette grecque…
Eric Toussaint : C’est vrai. La BCE est prise au piège de sa propre politique : comme elle a racheté énormément de titres grecs sur le marché secondaire et qu’elle accepte en plus que les banques (grecques notamment) déposent des titres grecs comme garantie des prêts qu’elle leur octroie, l’actif de son bilan est constitué d’une énorme quantité de titres grecs (auxquels s’ajoutent des titres irlandais, portugais, italiens et espagnols). Si une décote de 50 ou de 60% était appliquée aux titres grecs, cela déséquilibrerait son bilan. Ceci dit, c’est parfaitement faisable car il s’agit d’un jeu d’écriture.
Cette opposition de la BCE à accepter une forte décote rencontre une fois de plus les intérêts des banquiers privés qui ne veulent pas non plus accepter une forte dévalorisation de leurs actifs. La BCE a poussé à fond les chefs d’Etats européens et la Commission européenne à renforcer le Fonds européen de stabilité financière afin que ce soit lui qui rachète dorénavant des titres à haut risque. Elle veut se débarrasser au plus vite de cette corvée.
CADTM : Tu n’as pas encore parlé des Credit Default Swaps (CDS)…
Eric Toussaint : Le CDS est un produit financier dérivé qui n’est soumis à aucun contrôle public. Il a été créé dans la première moitié des années 1990 en pleine période de dérèglementation. Credit Default Swap signifie littéralement permutation de l’impayé. Normalement, il devrait permettre au détenteur d’un emprunt de se faire indemniser par le vendeur du CDS au cas où l’émetteur d’une obligation fait défaut, que ce soit un pouvoir public ou une entre prise privée. Le conditionnel est de rigueur pour deux raisons principales.
Premièrement, on peut acheter un CDS pour se protéger d’un risque de non remboursement d’une obligation qu’on n’a pas. Cela revient à prendre une assurance contre le risque d’incendie de la maison du voisin en espérant que celle-ci parte en flammes afin de pouvoir toucher la prime. Deuxièmement, les vendeurs de CDS n’ont pas réuni préalablement des moyens financiers suffisants pour indemniser les victimes du non remboursement de dettes. En cas de faillite en chaîne d’entreprises privées ayant émis des obligations ou du non remboursement de la part d’un Etat débiteur important, il est certain que les vendeurs de CDS seront dans l’incapacité de procéder aux indemnisations qu’ils ont promises. Le désastre de l’entreprise nord-américaine AIG en août 2008, la plus grosse société d’assurance internationale (en fait elle a été nationalisée par Bush afin d’éviter les conséquences d’une faillite) et la faillite de Lehman Brothers sont directement liés au marché des CDS. AIG et Lehman s’étaient fortement développés dans ce secteur.
Le marché des CDS permet toutes sortes de manipulations. J’ai eu l’occasion de suivre de près une tentative de manipulation lorsque j’étais membre de la commission d’audit de la dette publique interne et externe mise en place par le gouvernement équatorien en 2007 et qui a rendu les résultats de ses travaux en septembre 2008. Pendant que nous auditions la dette équatorienne et que le président Rafael Correa menaçait les marchés financiers internationaux de mettre fin au remboursement de la partie illégitime de la dette, une société privée nord-américaine Abadie a pris contact avec le gouvernement équatorien afin de lui faire une proposition édifiante. La société proposait au président Correa de laisser entendre qu’il suspendrait le paiement de la dette juste avant la prochaine échéance de paiement trois semaines plus tard. Cela permettrait à cette société de vendre des CDS pour un montant qu’elle évaluait à 300 millions de dollars. Le résultat final devait être le suivant : en réalité, l’Equateur paierait comme prévu ce qu’il devait. Du coup, la société ne devrait pas indemniser les détenteurs de CDS et elle verserait la moitié de la somme au gouvernement équatorien. Elle affirmait que cette opération était totalement sans risque de poursuite car la vente se ferait de gré à gré sans aucun contrôle de la part des autorités nord-américaines. La firme affirmait qu’elle avait déjà réalisé à plusieurs reprises ce genre d’opérations. Finalement, les autorités équatoriennes ont refusé la proposition et ont opté pour une autre stratégie qui a donné de bons résultats. L’intérêt de cette histoire véridique, c’est de montrer qu’en pratique les émetteurs (et les acheteurs) de CDS peuvent réaliser toutes sortes de manipulations. Il faut rappeler que jusqu’au désastre d’AIG et à la faillite de Lehman Brothers, le FMI, la Réserve fédérale des Etats-Unis, la BCE ont affirmé à maintes reprises que les CDS étaient un produit nouveau qui offraient d’excellentes garanties contre les risques (voir encadré sur les CDS). Depuis le discours a changé mais rien, absolument rien, n’a été fait pour réglementer. En attendant, les CDS constituent, vu leur ampleur, une terrible bombe à retardement pour le système financier international. En réalité, il faudrait interdire les CDS.
Les autorités monétaires et financières ont encouragé la création de la bombe à retardement constituée par les CDS
Alan Greenspan, ex-directeur de la Réserve fédérale des Etats-Unis, écrit en 2007, alors que la crise a éclaté aux Etats-Unis et s’étend à l’Europe : « Une innovation récente de grande importance a été la création des Credit Default Swap ou CDS. Il s’agit d’un produit dérivé qui transfère le risque de crédit, généralement celui d’un instrument d’endettement, à un tiers, moyennant une prime. La possibilité de bénéficier des revenus d’un prêt tout en transférant ailleurs le risque de crédit a été une manne pour les banques et autres intermédiaires financiers ; en effet, pour obtenir un taux de rendement désiré sur leurs fonds, les banques doivent augmenter leur ratio d’endettement en acceptant en dépôt des obligations et/ou des dettes. La plupart du temps, ces institutions prospèrent en prêtant de l’argent. Mais dans les périodes difficiles, elles encourent des problèmes trop connus de créances douteuses, qui les avaient, par le passé, obligées à réduire leurs prêts. Or cette restriction affaiblit l’activité économique tout entière. Un instrument de marché qui déplace le risque pour ces émetteurs de crédit fortement endettés peut se révéler d’un intérêt critique pour la stabilité économique, surtout dans un contexte mondial. Le CDS fut ainsi inventé pour répondre à ce besoin ; il prit le marché d’assaut. La Banque des règlements internationaux a calculé qu’en 2006, les CDS ont totalisé plus de 20.000 milliards d’équivalents-dollar, alors qu’ils n’étaient que de 6.000 milliards à la fin 2004. La puissance d’amortisseur de cet instrument a été démontrée de façon éclatante entre 1998 et 2001, quand le CDS put répartir les risques de 1.000 milliards de dollars pour des emprunts destinés aux réseaux de télécommunications, alors en expansion rapide. Bien qu’une grande part de ces entreprises eussent fait défaut lors de l’explosion de la bulle Internet, pas une seule des grandes institutions de garantie de prêt ne fut mise en péril. Les pertes furent en dernier recours absorbées par des assureurs fortement capitalisés, par des fonds de pension et autres, qui avaient été les principaux fournisseurs des garanties de défaut de crédit. Tous furent en mesure d’absorber le choc. Il n’y eut donc pas de répétition des défauts en cascade des précédentes époques. »
Quant au FMI en 2007, il déclare à propos de la santé des Etats-Unis et notamment des CDS appelés « les nouveaux marchés de transfert des risques » : « Bien qu’il n’y ait pas de place pour la complaisance, il semble que l’innovation ait épaulé la solidité du système financier. Les nouveaux marchés de transfert des risques ont favorisé la dispersion du risque de crédit , d’un noyau où l’aléa moral est concentré, vers la périphérie où la discipline de marché est le principal frein à la prise de risques. (…) Si l’alternance des périodes d’euphorie et de panique n’ont pas disparu — les phases d’expansion–récession du crédit hypothécaire à risque en étant la dernière illustration — les marchés ont montré leur capacité à s’autoréguler » (FMI, Rapport pour les consultations de 2007 au titre de l’article 4 avec les Etats-Unis) [21].
Visiblement, certaines banques réputées sérieuses n’ont pas renoncé à se couvrir contre les risques de défaut de paiement par des CDS. C’est ainsi que la Deutsche Bank a annoncé fin juillet 2011 qu’elle avait réduit de 88% son exposition face à la dette italienne. Le principal prêteur allemand aurait fait passer son exposition en Italie de 8 milliards d’euros à 997 millions d’euros. Selon le Financial Times, la Deutsche Bank arrive à ce résultat non pas en ayant vendu des titres italiens pour plus de 7 milliards, mais par un jeu d’écriture dans ses livres de compte en achetant des CDS pour se couvrir contre une possibilité de défaut de paiement de la part de l’Italie [22].
A un autre niveau, les hedge funds qui sont particulièrement actifs sur le marché OTC des CDS sont inquiets de la perspective d’une décote de la dette grecque. Ils se demandent s’ils resteront suffisamment crédibles pour continuer à vendre des CDS alors qu’ils n’indemniseront pas les détenteurs de CDS sur la dette grecque [23].
CADTM : Quelle est la part de responsabilité des agences de notation dans la crise ?
Eric Toussaint : Les nord-américaines Standard and Poor’s et Moody’s ainsi que la franco-nord américaine Fitch sont les trois agences privées de notations qui font la pluie et le beau temps en ce qui concerne l’évaluation de la solvabilité et de la crédibilité d’un émetteur d’obligations, que ce soit un Etat ou une entreprise [24]. Elles existent depuis près d’un siècle mais ce n’est qu’à partir des années 1970-1980, avec la financiarisation de l’économie, que leurs affaires se sont brutalement développées. Mais elles sont constamment dans une situation de conflits d’intérêt. Jusqu’aux années 1970, c’étaient les acheteurs potentiels des obligations émises par les Etats et les entreprises qui payaient les agences de notation pour qu’elles leur donnent un avis sur la qualité des émetteurs. Depuis, la situation s’est complètement renversée, ce sont les émetteurs d’obligations qui rémunèrent les agences pour qu’elles les évaluent. La motivation des pouvoirs publics et des entreprises est bien sûr d’obtenir une bonne note afin de payer le taux d’intérêt les plus bas possible aux acheteurs d’obligations. Rappelons que jusqu’à la veille de la faillite d’Enron en 2001, les agences de notations grassement rémunérées attribuaient la meilleure cote à ce négociant d’énergie. De même en 2008 avec les banques d’affaires Merril Lynch ou Lehman Brothers. De même avec la Grèce en 2009-début 2010. Elles ont fait la démonstration de leur nuisance. Elles devraient faire l’objet de poursuites judiciaires car les résultats des notes qu’elles distribuent ont été et sont néfastes. L’évaluation des risques est une mission qui devrait incomber à des organismes publics.
CADTM : La crise a-t-elle atteint son apogée ?
Eric Toussaint : On est très loin de la fin de la crise. Si on se limite à prendre en compte les aspects financiers, il faut prendre conscience que les banques privées ont continué à mener depuis 2007 un jeu extrêmement dangereux qui leur est profitable tant qu’il n’y a pas d’accident et qui est préjudiciable pour la majorité de la population. La quantité d’actifs douteux dans leurs bilans est énorme. Or si on ne prend en compte que les 90 principales banques européennes, il faut savoir que, dans les deux prochaines années, elles devront refinancer des dettes pour le montant astronomique de 5 400 milliards d’euros. Cela représente 45% de la richesse produite annuellement dans l’Union européenne [25] Les risques sont colossaux et la politique menée par la BCE, la CE et les gouvernements des pays membres de l’UE ne résout rien, au contraire.
Il faut aussi insister sur un aspect central des risques que prennent les banques européennes. Elles financent une partie importante de leurs opérations en empruntant à court terme des dollars auprès de prêteurs nord-américains, les US money market funds [26], à un taux inférieur à celui de la BCE. D’ailleurs, pour reprendre les exemples donnés à propos de la Grèce plus haut, comment peut-on imaginer que les banques européennes se soient contentées de 0,35% à 3 mois si elles avaient dû emprunter à du 1% à la BCE. Elles ont financé et elles financent encore leurs prêts aux Etats et aux entreprises en Europe via des emprunts qu’elles effectuent auprès des money market funds des Etats-Unis. Or ceux-ci ont pris peur de ce qui se passait en Europe et ils ont également été inquiétés par la dispute entre Républicains et Démocrates sur la dette publique des Etats-Unis [27]. A partir de juin 2011, cette source de financement à bas taux d’intérêt s’est presque tarie, en particulier aux dépens des grandes banques françaises, ce qui a précipité leurs dégringolade en Bourse et augmenté la pression qu’elles exerçaient sur la BCE pour qu’elle leur rachète des titres et donc leur fournisse de l’argent frais. En résumé, nous avons là aussi la démonstration de l’ampleur des vases communiquants entre l’économie des Etats-Unis et celle des pays de l’UE. D’où les contacts incessants entre Barack Obama, Angela Merkel, Nicolas Sarkozy, la BCE, le FMI… et les grands banquiers de Goldman Sachs à BNP Paribas en passant par la Deutsche Bank… Une rupture des crédits en dollars dont bénéficient les banques européennes peut provoquer une très grave crise sur le vieux continent, de même qu’une difficulté des banques européennes à rembourser les prêteurs états-uniens peut précipiter une nouvelle crise à Wall Street.
Depuis 2007-2008, les banques et les autres zinzins ont déplacé leurs activités spéculatives du marché de l’immobilier (où elles ont provoqué une bulle qui a éclaté dans une dizaine de pays, à commencer par les Etats-Unis) vers le marché des dettes publiques, celui des devises (où s’échangent chaque jour l’équivalent de 4 000 milliards de dollars dont 99% correspondent à de la spéculation) et celui des biens primaires (pétrole, gaz, minerais, produits agricoles). Ces nouvelles bulles peuvent éclater d’un moment à l’autre. Un des déclencheurs peut être constitué par une remontée des taux d’intérêt que déciderait la Réserve fédérale des Etats-Unis (suivie ensuite par la BCE, la Banque d’Angleterre…). De ce côté-là, la Fed a annoncé en août 2011 son intention de maintenir son taux d’intérêt directeur proche de zéro jusqu’en 2013. Mais d’autres évènements peuvent constituer le détonateur d’une nouvelle crise bancaire ou d’un krach boursier. Les évènements de juillet-août 2011 nous montrent qu’il est temps de rassembler ses énergies pour mettre les institutions financières privées hors d’état de continuer à nuire.
L’ampleur de la crise est aussi déterminée par le volume de la dette publique des Etats et son mode de financement en Europe. Les banquiers européens détiennent plus de 80% de la dette totale des pays d’un ensemble de pays européens en difficulté, comme la Grèce, l’Irlande, le Portugal, les pays de l’Est européen, l’Espagne et l’Italie. En volume, les titres de la dette publique italienne représentent 1 500 milliards d’euros, c’est plus du double de la dette publique de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal pris ensemble. La dette publique de l’Espagne atteint 700 milliards d’euros (la moitié de l’Italie). Le compte est facile à faire : les dettes publiques de l’Italie et de l’Espagne représentent le triple des dettes publiques grecques, irlandaises et portugaises. Comme on l’a vu en juillet-août 2011, alors que chaque pays continue à rembourser ses dettes, plusieurs banques ont failli s’effondrer. C’est l’intervention de la BCE qui leur a sauvé la mise. L’échafaudage financier des banques européennes est tellement fragile qu’une attaque en Bourse peut les mettre au tapis. Sans parler bien sûr d’un krach bancaire qui est aussi parfaitement possible.
Jusqu’ici, à part le trio Grèce-Irlande-Portugal principalement, les Etats avaient réussi à refinancer sans grande difficulté leur dette en recourant à des nouveaux emprunts quand le capital emprunté venait à échéance. La situation s’est fortement dégradée ces derniers mois. Déjà en juillet et début août 2011, les taux exigés par les zinzins pour permettre à l’Italie et à l’Espagne de refinancer leur dette publique venant à échéance par des emprunts à 10 ans avaient littéralement explosé et atteignaient 6%. De nouveau, c’est l’intervention de la BCE qui a racheté massivement des titres espagnols et italiens qui a permis de satisfaire les banquiers et autres zinzins et ont fait baisser les taux. Pour combien de temps ? En effet, l’Italie doit emprunter environ 300 milliards d’euros en août 2011 et juillet 2012 car c’est le montant des obligations qui viennent à échéance pendant ce court laps de temps. Les besoins de l’Espagne sont nettement inférieurs, autour de 80 milliards d’euros, mais cela reste une somme considérable. Comment vont se comporter les zinzins au cours des douze mois qui viennent et que se passera-t-il si les conditions dans lesquelles ils empruntent sur le marché nord-américain se durcissent ? Il y a bien d’autres évènements qui peuvent aggraver la crise internationale. Une chose est sûre : la politique actuelle de la CE, de la BCE et du FMI ne conduira pas à une solution favorable.
CADTM : A plusieurs reprises, tu as écrit que la dette privée était beaucoup plus volumineuse que la dette publique. Or ici tu t’es concentré sur la dette publique…
Eric Toussaint : Il n’y a aucun doute là-dessus, les dettes privées sont beaucoup plus importantes que les dettes publiques. Selon le dernier rapport du McKinsey Global Institute, l’addition des dettes privées à l’échelle mondiale s’élève à 117 000 milliards de dollars, soit près du triple de l’ensemble des dettes publiques dont le volume atteint 41 000 milliards de dollars. Le risque est grand que des entreprises privées, dont les banques font bien sûr partie avec les autres zinzins, ne sachent pas faire face au remboursement de leurs dettes. General Motors et Lehman Brothers sont tombées en faillite en 2008 ainsi que de nombreuses autres entreprises car elles étaient incapables de rembourser leurs dettes.
Les banquiers, les autres chefs d’entreprises, les médias traditionnels et les gouvernements ne veulent parler que des dettes publiques et prennent prétexte de leur augmentation afin de justifier de nouvelles attaques contre les droits économiques et sociaux de la majorité de la population. L’austérité et la réduction des déficits publics par les coupes claires dans les budgets sociaux et dans l’emploi de la fonction publique sont devenues les recettes uniques, auxquelles s’ajoutent des privatisations et de nouvelles taxes sur la consommation. Pour faire bonne mesure, en Europe, certains gouvernements ajoutent une minuscule taxe à charge des riches et parlent de taxer les transactions financières.
Il est évident que l’augmentation des dettes publiques est le résultat de trente années de politiques néolibérales : financement par le recours à l’emprunt de réformes fiscales favorisant les grosses fortunes et les grandes entreprises privées, sauvetage des banques et d’autres entreprises en mettant une partie de leurs dettes ou de leurs pertes à charge du budget de l’Etat, nouvelle baisse des recettes fiscales due aux effets de la récession et augmentation de certaines dépenses publiques pour venir en aide aux victimes de la crise. L’effet combiné de ces différents facteurs a fait augmenter la dette publique. Tout se ramène à une politique délibérément injuste socialement, visant à favoriser systématiquement une classe de la société, la classe capitaliste, quelques miettes étant distribuées aux classes moyennes afin de les contrôler. En revanche, la grande majorité de la population a fait les frais de ces politiques et a vu ses droits être fortement écornés, voire carrément bafoués. C’est pour cela qu’il faut considérer que la dette publique est globalement illégitime. C’est pour cela que j’ai concentré mes réponses sur la dette publique car il faut absolument obtenir une solution positive sur cette question.
CADTM : Au cours du dialogue, tu as affirmé que la Grèce est acculée à faire un choix entre deux options :
- se résigner et se tourner vers la troïka en passant sous ses fourches caudines
- refuser les diktats des marchés et de la troïka en suspendant le paiement et en lançant un audit afin de répudier la part illégitime de la dette.
Tu viens de décrire la première option. Veux-tu préciser la deuxième ?
Eric Toussaint : On est parti du cas de la Grèce. Il est important d’ajouter que d’autres pays sont aujourd’hui confrontés au même choix : l’Irlande, le Portugal, sans oublier la Hongrie, la Bulgarie, la Roumanie ou encore la Lettonie, en ce qui concerne les pays membres de l’Union européenne. Demain ce sera vraisemblablement au tour de l’Espagne et de l’Italie. Et il ne faudra pas s’étonner que d’autres pays membres de l’UE soient plongés dans une situation très difficile après-demain car la crise s’accélère rapidement. En dehors de l’UE, il faut aussi mentionner l’Islande.
Pour ces pays, soumis au chantage des spéculateurs, du FMI et d’autres organismes comme la Commission européenne, il convient de recourir à un moratoire unilatéral du remboursement de la dette publique. Recourir à un tel acte unilatéral souverain permet de transformer le rapport de force au détriment des créanciers. S’il s’agit de banques, d’assurances, de fonds de pension…, ils chercheront à revendre le plus vite possible les titres qu’ils détiennent et leur prix tendra vers zéro. Quant à la troïka, elle sera obligée de chercher à entrer en négociation afin de faire des concessions. La Russie en 1998, l’Argentine en 2001 et l’Equateur en 2008 ont déclaré un moratoire unilatéral sur le paiement de leurs dettes et ils s’en sont bien tirés [28]. Il est important de tirer un bilan de ces expériences récentes et de voir comment appliquer la stratégie la meilleure pour que la population voie ses conditions de vie s’améliorer et qu’une rupture tangible avec le système capitaliste soit engagée.
CADTM : Quelles autres mesures immédiates à côté de la suspension unilatérale (moratoire) du remboursement de la dette ?
Eric Toussaint : Un tel moratoire unilatéral doit être combiné à la réalisation d’un audit des emprunts publics (avec participation citoyenne). L’audit doit permettre d’apporter au gouvernement et à l’opinion publique les preuves et les arguments nécessaires à l’annulation/répudiation de la partie de la dette identifiée comme illégitime. Le droit international et le droit interne des pays offrent une base légale pour une telle action souveraine unilatérale d’annulation/répudiation [29].
Pour les pays qui recourent à la suspension de paiement, il faut un moratoire sans ajout d’intérêts de retard sur les sommes non remboursées.
Dans d’autres pays comme la France, la Belgique, la Grande-Bretagne…, il n’est pas nécessairement impératif de décréter un moratoire unilatéral pendant la réalisation de l’audit. Celui-ci doit être mené afin, lui aussi, de déterminer l’ampleur de l’annulation/répudiation à laquelle il faudra procéder. En cas de détérioration de la conjoncture internationale, une suspension de paiement peut devenir d’actualité même pour des pays qui se croyaient à l’abri du chantage des prêteurs privés.
CADTM : Et la participation citoyenne ?
Eric Toussaint : La participation citoyenne est la condition impérative pour garantir l’efficacité et la transparence de l’audit. Cette commission d’audit devra notamment être composée des différents organes de l’État concernés afin qu’ils rendent des compte. En tout état de cause, c’est la participation des mouvements sociaux, de la société civile d’en bas qui sera la clé de la réussite de l’audit. Les mouvements sociaux peuvent désigner en leur sein des experts de l’audit des finances publiques, des économistes, des juristes, des constitutionnalistes,… Il faut également, c’est évident, des représentants des différents mouvements sociaux affectés par la crise de la dette. L’audit devra permettre de déterminer les différentes responsabilités dans le processus d’endettement et d’exiger que les responsables tant nationaux qu’internationaux rendent des comptes à la justice.
CADTM : Dans la plupart des cas, les gouvernants n’ont aucun intérêt à la réalisation d’un authentique audit avec participation citoyenne. Dans d’autres cas, ils peuvent se résigner à un audit afin de circonscrire le problème.
Eric Toussaint : C’est évident. Le cas de figure que je viens de mentionner plus haut correspond à une situation de mobilisation populaire très forte qui amène au gouvernement des forces de gauche qui adoptent des politiques favorisant les intérêts populaires ou allant plus loin encore. Cela me rappelle l’image employée par Arthur Scargill, un des principaux dirigeants de la grève des mineurs britanniques au milieu des années 1980. Il disait grosso modo : « Il nous faut un gouvernement aussi fidèle aux intérêts des travailleurs que le gouvernement de Margaret Thatcher l’est à l’égard des intérêts de la classe capitaliste ». Dans la situation présente en Europe, nous en sommes encore très loin, nous sommes confrontés à une attitude hostile des gouvernements en place à l’égard de l’audit et à la remise en cause du remboursement de la dette. C’est pour cela qu’il est nécessaire de constituer une commission d’audit citoyen sans participation gouvernementale.
CADTM : Qui devra payer la facture de l’annulation des dettes ?
Eric Toussaint : Dans tous les cas de figure, il est légitime que les institutions privées et les personnes physiques à hauts revenus qui détiennent des titres de ces dettes supportent le fardeau de l’annulation de dettes souveraines illégitimes car ils portent largement la responsabilité de la crise, dont ils ont de surcroît largement profité. Le fait qu’ils doivent supporter la charge de l’annulation n’est qu’un juste retour vers davantage de justice sociale.
CADTM : Les petits porteurs de titres ou les salariés qui, au travers de l’épargne pension, détiennent des titres de la dette publique passeront-ils également à la caisse ?
Eric Toussaint : Il est important de dresser un cadastre des détenteurs de titres afin d’indemniser parmi eux les citoyens et citoyennes à faibles et moyens revenus.
CADTM : Que se passera-t-il pour les responsables de l’endettement illégitime ou odieux ?
Eric Toussaint : Si l’audit démontre l’existence de délits liés à l’endettement illégitime, leurs auteurs devront être sévèrement condamnés à payer des réparations et ne doivent pas échapper à des peines d’emprisonnement en fonction de la gravité de leurs actes. Il faut demander des comptes en justice à l’encontre des autorités ayant lancé des emprunts illégitimes.
CADTM : Et la partie de la dette qui ne sera pas identifiée comme illégitime, odieuse ou/et illégale ?
Eric Toussaint : En ce qui concerne les dettes qui ne sont pas frappées d’illégitimité, il conviendra d’imposer un effort aux créanciers en termes de réduction du stock et des taux d’intérêts, ainsi que par un allongement de la période de remboursement. Ici aussi, il conviendra de réaliser une discrimination positive en faveur des petits porteurs de titres de la dette publique qu’il conviendra de rembourser normalement. Par ailleurs, le montant de la part du budget de l’État destiné au remboursement de la dette devra être plafonné en fonction de l’état de l’économie, de la capacité des pouvoirs publics à rembourser et du caractère incompressible des dépenses sociales. Il faut s’inspirer de ce qui avait été fait pour l’Allemagne après la seconde guerre mondiale. L’Accord de Londres de 1953 sur la dette allemande qui consistait notamment à réduire de 62 % le stock de la dette stipulait que la relation entre service de la dette et revenus d’exportations ne devait pas dépasser 5 % [30]. On pourrait définir un ratio de ce type : la somme allouée au remboursement de la dette ne peut excéder 5 % des recettes de l’État. Il faut également adopter un cadre légal afin d’éviter la répétition de la crise qui a débuté en 2007-2008 : interdiction de socialiser des dettes privées, obligation d’organiser un audit permanent de la politique d’endettement public avec participation citoyenne, imprescriptibilité des délits liés à l’endettement illégitime, nullité des dettes illégitimes…
CADTM : On annule les dettes, mais faut-il toucher au reste ?
Eric Toussaint : Il faut également appliquer une panoplie de mesures complémentaires (arrêt des plans d’austérité, transfert des banques vers le secteur public, réforme fiscale radicale, socialisation des secteurs privatisés au cours de l’ère néolibérale, réduction radicale du temps de travail… | [31]) devront être prises car l’annulation des dettes illégitimes, bien que nécessaire, est insuffisante si la logique du système reste intacte.
Eric Toussaint
TOUSSAINT Eric
Notes
[1] Hellenic Republic Public Debt Bulletin, n° 62, June 2011. Disponible sur www.bankofgreece.gr
[2] Hellenic Republic Public Debt Bulletin, n° 56, December 2009.
[3] Bank of Greece, Economic Research Department – Secretariat, Statistics Department – Secretariat, Bulletin of Conjunctural Indicators, Number 124, October 2009. Disponible sur www.bankofgreece.gr
[4] Le même phénomène s’est produit au même moment envers le Portugal, l’Espagne, des pays d’Europe centrale et de l’Est.
[5] Le 25 août 2011, le taux grec à 10 ans atteignait 18,55%, la veille ils atteignaient 17,9%. Le taux à 2 ans atteignait 45,9% !!! http://www.lemonde.fr/europe/articl... (consulté le 26 août 2011).
[6] Dans le Hellenic Republic Public Debt Bulletin, n° 62, June 2011, p. 4, on voit très clairement que le marché secondaire s’est littéralement asséché à partir de mai 2010 car la Banque centrale européenne s’est mise à acheté les titres.
[7] A la fin 2009 avant que la crise grecque n’éclate, les institutions financières françaises (principalement les banques) détenaient 26% des titres grecs vendus à l’étranger, les allemandes en détenaient 15%, les italiennes 10%, les belges 9%, les hollandaises 8%, les luxembourgeoises 8%, les britanniques 5%. Bref, les institutions financières, au premier titre les banques, de 7 pays de l’UE détenaient rien moins que 81% des titres grecs vendus à l’étranger.
[8] Essayez au moment de demander à une banque un crédit important de donner comme preuve de solvabilité des titres à haut risque, vous verrez la réponse.
[9] Voir Huit propositions urgentes pour une autre Europe (en particulier la 8e proposition sur la question de l’UE), Huit propositions urgentes pour une autre Europe, ESSF (article 20974).
[10] Ils sont résumés par le Financial Times du 26 juillet 2011, p. 23, ainsi que par le Crédit agricole dans son bulletin Perspectives Hebdo du 18 au 22 juillet 2011.
[11] inancial Times, 6-7 août 2011.
[12] http://www.lesechos.fr/entreprises-... (consulté le 26 août 2011)
[13] Voir le texte de la déclaration officielle du Conseil de l’Union européenne http://www.consilium.europa.eu/uedo...
[14] Il est également prévu dans plusieurs codes civils nationaux comme dans le code civil espagnol (aux articles 1895 et suivants) et français (aux articles 1376 et suivants).
[15] Article 49 de la Convention de Vienne de 1969 et du Traité de Vienne de 1986.
[16] Voir Éric Toussaint, Banque mondiale : le Coup d’État permanent, CADTM-Syllepse-Cetim, 2006, chapitre 15.
[17] armen M. Reinhart, Kenneth S. Rogoff, Cette fois, c’est différent. Huit siècles de folie financière, Pearson, 2010. Edition originale en 2009 par Princeton University Press.
[18] Il s’agit de titres qui ne donnent pas droit à détachement de coupon, d’où le terme. L’acquéreur l’acquiert à un prix inférieur à sa valeur faciale, laquelle est payée à l’échéance du contrat. Le zéro-coupon est généralement indexé sur l’inflation.
[19] oir Crédit Agricole, Perspectives Hebdo du 18 au 22 juillet 2011, p. 3.
[20] ur le caractère odieux et donc nul des dettes réclamées par la troïka à la Grèce, à l’Irlande et au Portugal (on peut y ajouter les dettes réclamées par le FMI à la Roumanie, la Lettonie, la Bulgarie et la Hongrie, tous membres de l’Union européenne), voir Renaud Vivien et Eric Toussaint, « Grèce, Irlande et Portugal : pourquoi les accords conclus avec la Troïka sont odieux ? », ESSF (article 22533).
[21] Voir François Sana, Zéro de conduite pour le FMI, ESSF (article 22699).
[22] inancial Times, « Deutsche hedges Italian risk », 27 July 2011, p. 13.
[23] Financial Times, « Greek rescue plan worries hedge funds », supplément FTfm, 8 August 2011.
[24] Il en existe d’autres, comme la chinoise Dagong, mais elles ont très peu d’influence.
[25] Voir Gillian Tett dans le Financial Times du 5 août 2011, p. 22, ainsi que Peterson Institute for International Economics, Europe on the Brink, July 2011..
[26] Voir Daniel Munevar, “El pequeño y oscuro secreto de los bancos europeos”, http://www.cadtm.org/El-pequeno-y-o...
[27] Voir « US funds cut eurozone exposure » dans le Financial Times, 25 July 2011, p. 15.
[28] oir Damien Millet, Eric Toussaint (dir.), La dette ou la vie, Aden-CADTM, 2011, chapitre 19. A propos de la réussite du succès relatif de l’Argentine en refusant de payer une bonne partie de sa dette, le Financial Times lui a consacré une page entière le 19 juillet 2011 (p. 7). A propos de l’Argentine et de la Russie, Joseph Stiglitz, prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel en 2001, président du conseil des économistes du président Bill Clinton de 1995 à 1997, économiste en chef et vice-président de la Banque mondiale de 1997 à 2000, apporte des arguments forts à ceux qui plaident pour la suspension du remboursement des dettes publiques. Dans un livre collectif publié en 2010 par l’université d’Oxford (Barry Herman, José Antonio Ocampo, Shari Spiegel, Overcoming Developing Country Debt Crises, OUP Oxford), il affirme que la Russie en 1998 et l’Argentine au cours des années 2000 ont fait la preuve qu’une suspension unilatérale du remboursement de la dette peut être bénéfique pour les pays qui prennent cette décision : « Tant la théorie que la pratique suggèrent que la menace de fermeture du robinet du crédit a été probablement exagérée » (p. 48). Dans un article publié par le Journal of Development Economics[29] sous le titre « The elusive costs of sovereign defaults », Eduardo Levy Yeyati et Ugo Panizza, deux économistes qui ont travaillé pour la Banque interaméricaine de développement, présentent les résultats de leurs recherches minutieuses sur les défauts de paiement concernant une quarantaine de pays. Une de leurs conclusions principales est la suivante : « Les périodes de défaut de paiement marquent le début de la récupération économique » (in Journal of Development Economics 94, 2011, p. 95-105). Voir également à propos de la Russie et de l’Argentine : C. Lapavitsas, A. Kaltenbrunner, G. Lambrinidis, D. Lindo, J. Meadway, J. Michell, J.P. Painceira, E. Pires, J. Powell, A. Stenfors, N. Teles : « The eurozone between austerity ans default », Septembre 2010, http://www.researchonmoneyandfinanc.... A propos des leçons de l’Argentine pour la Grèce, voir Claudio Katz : http://www.cadtm.org/IMG/pdf/Leccio...
[29] Voir Damien Millet, Eric Toussaint (dir.), La dette ou la vie, Aden-CADTM, 2011, chapitres 20 et 21.
[30] oir Éric Toussaint, Banque mondiale : le Coup d’État permanent, CADTM-Syllepse-Cetim, 2006, chapitre 4.
[31] Voir Huit propositions urgentes pour une autre Europe, op. cit.
* Éric Toussaint, docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, président du CADTM Belgique, membre de la Commission présidentielle d’audit intégral de la dette (CAIC) de l’Équateur et du Conseil scientifique d’ATTAC France. A dirigé avec Damien Millet le livre collectif La Dette ou la Vie, Aden-CADTM, 2011. A participé au livre d’ATTAC : Le piège de la dette publique. Comment s’en sortir, édition Les liens qui libèrent, Paris, 2011.
CADTM : Qu’est-ce qu’un enrichissement sans cause ?
Eric Toussaint : L’enrichissement sans cause désigne un enrichissement abusif, un gain obtenu par des moyens illégitimes. Cela correspond à un principe général du droit international selon l’article 38 du statut de la Cour internationale de justice [14]. Des États comme l’Allemagne, la France et l’Autriche empruntent à du 2% sur les marchés et prête à la Grèce à du 5% ou 5,5%, à l’Irlande à 6%. De même, le FMI emprunte à ses membres à bas taux d’intérêt et prête à la Grèce, à l’Irlande et au Portugal à des taux nettement supérieurs.
CADTM : Qu’est-ce que le caractère dolosif de la politique de la troïka ?
Eric Toussaint : Le dol [15] est une autre notion importante du droit international. Il désigne un comportement condamnable qui consiste à porter préjudice à autrui de manière intentionnelle. Si un État a été amené à conclure un emprunt par la conduite frauduleuse d’un autre État ou d’une organisation internationale ayant participé à la négociation, il peut invoquer le dol comme viciant son consentement à être lié par ledit contrat. Or la troïka profite de la détresse de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal, pour imposer des mesures qui portent atteinte aux droits économiques et sociaux des citoyens de ces pays, qui remettent en cause des conventions collectives, qui constituent une violation de la souveraineté du pays et, dans certain cas, de son ordre constitutionnel. Au début du mois d’août 2011, on a eu la preuve, grâce à certains organes de presse italiens, que la BCE profitait des attaques spéculatives contre ce pays pour exiger de ses autorités qu’elles appliquent le même type de mesures antisociales que la Grèce, l’Irlande et le Portugal. Sans l’engagement des autorités italiennes à réaliser ces mesures, la BCE menaçait de ne pas venir en aide à l’Italie.
Ce que font les membres de la troïka peut être comparé à l’action odieuse d’une personne qui sous prétexte de porter assistance à une personne en danger en profiterait pour aggraver le drame vécu par la personne et en tirer profit. On pourrait aussi considérer qu’il s’agit d’une action délictueuse planifiée en groupe : le FMI, la BCE, la Commission européenne et les gouvernements qui les y poussent. Le fait de s’associer pour planifier et perpétrer un acte condamnable aggrave la responsabilité des agresseurs.
Ce n’est pas tout : les politiques économiques exigées par la troïka ne permettront pas aux pays concernés d’améliorer réellement leur situation. Pendant trois décennies, ce type de politique néfaste a été appliqué, à la demande des grandes entreprises privées, du FMI et des gouvernements des pays les plus industrialisés, dans les pays endettés du Sud ainsi qu’à une série de pays de l’ex-bloc soviétique. Les pays qui ont appliqué cette politique de la manière la plus disciplinée sont passés par des périodes désastreuses. Ceux qui ont refusé les diktats des organismes internationaux et leur doxa néolibérale s’en sont beaucoup mieux sortis. Il faut rappeler cela car il s’agit d’affirmer haut et clair que le résultat des politiques exigées par la troïka et les zinzins est connu d’avance. Aujourd’hui ou dans le futur, ils n’ont et n’auront aucunement le droit d’affirmer qu’ils ne savaient pas quels résultats provoquent leurs politiques. Dès aujourd’hui, les résultats en Grèce sont clairs et nets.
CADTM : Depuis plus d’un an, le CADTM a mis en garde contre une opération de réduction de dette conduite par les créanciers, en l’occurrence la troïka, les banquiers et les autres zinzins. Etait-ce justifié ?
Eric Toussaint : Oui, tout à fait. L’opération actuelle est entièrement conduite par les créanciers et répond à leurs intérêts. Comme indiqué plus haut, le plan actuel est une version européenne du plan Brady [16]. Rappelons le contexte dans lequel celui-ci a été mis en place à la fin des années 1980.
Au début de la crise qui a éclaté en 1982, le FMI et les gouvernements des Etats-Unis, de la Grande Bretagne et d’autres puissances sont venus à la rescousse des banquiers privés du Nord qui avaient pris des risques énormes en prêtant à tour de bras aux pays du Sud, surtout d’Amérique latine (un peu comme dans le secteur des subprime et à l’égard de pays comme la Grèce, les pays d’Europe de l’Est, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne). Lorsque les pays en développement, à commencer par le Mexique, se sont trouvés au bord de la cessation de paiement, le FMI et les pays membres du Club de Paris leur ont prêté des capitaux à condition qu’ils poursuivent les remboursements à l’égard des banquiers privés du Nord et qu’ils appliquent des plans d’austérité (les fameux plans d’ajustement structurel). Ensuite, comme l’endettement du Sud se poursuivait par l’effet boule de neige, ils ont mis en place le Plan Brady (du nom du secrétaire d’Etat au Trésor états-unien de l’époque) qui a impliqué une restructuration de la dette des principaux pays endettés avec échange de titres. Les pays participants étaient l’Argentine, le Brésil, la Bulgarie, le Costa Rica, la Côte d’Ivoire, la République dominicaine, l’Equateur, la Jordanie, le Mexique, le Nigeria, le Panama, le Pérou, les Philippines, la Pologne, la Russie, l’Uruguay, le Venezuela et le Vietnam. A l’époque, Nicolas Brady avait annoncé que le volume de la dette serait réduit de 30% (en réalité, la réduction quand elle a existé a été beaucoup faible ; dans plusieurs cas, et non des moindres, la dette a même augmenté, voir ci-dessous) et les nouveaux titres (les titres Brady) ont garanti un taux fixe d’intérêt d’environ 6%, ce qui était très favorable aux banquiers. Cela assurait aussi la poursuite des politiques d’austérité sous le contrôle du FMI et de la Banque mondiale. Aujourd’hui, sous d’autres latitudes, la même logique provoque les mêmes désastres.
Il est très intéressant de prendre en compte le jugement émis a posteriori par deux économistes néolibéraux nord-américains bien connus : Kenneth Rogoff, ex-économiste en chef du FMI, et Carmen Reinhart, professeur d’université et conseillère du FMI et de la Banque mondiale. Voici ce qu’ils écrivaient en 2009 à propos du Plan Brady. Ils commencent par affirmer : « Parmi les grands épisodes de désendettement, on remarque l’absence des célèbres accords de restructuration Brady conclus dans les années 1990. »
Ensuite, ils étayent leur constat négatif sur les éléments suivants : « En fait, pour l’Argentine et le Pérou, le ratio dette/PNB était plus élevé trois ans après l’accord Brady que dans l’année précédant la restructuration !
En 2000, sept des dix-sept pays qui avaient entrepris une restructuration de type Brady (Argentine, Brésil, Equateur, Pérou, Philippines, Pologne et Uruguay) présentaient un ratio dette extérieure/PNB plus élevé que trois ans après la restructuration ; fin 2000, le ratio restait plus élevé qu’avant l’accord Brady pour quatre d’entre eux (Argentine, Brésil, Equateur et Pérou).
En 2003, quatre bénéficiaires du plan Brady (Argentine, Côte d’Ivoire, Equateur et Uruguay) avaient à nouveau fait défaut ou restructuré leur dette extérieure.
En 2008, moins de vingt ans après le plan, l’Equateur avait fait défaut deux fois.
Quelques autres membres du groupe Brady pourraient suivre. » [17]
La version européenne respecte dans les détails le Plan Brady. Dans le cadre de ce plan, les Etats qui y ont participé ont dû acheter des titres du Trésor des Etats-Unis à coupon zéro [18] afin de constituer une garantie en cas de non paiement. Le plan européen concocté par les banques, la commission européenne et la BCE (avec le soutien de la directrice générale du FMI) prévoit quatre options. Pour les trois premières options, la Grèce acquiert, via le Fonds européen de stabilité financière (FESF), des euro-obligations à coupon zéro servant de garantie totale de remboursement du principal des titres émis à trente ans [19].
CADTM : En résumé, quel est ton jugement sur ce plan ?
Eric Toussaint : Ce plan ne permettra pas à la Grèce de s’en sortir valablement pour deux raisons fondamentales : 1. la réduction de dette est totalement insuffisante ; 2. les politiques économiques et sociales appliquées par la Grèce pour répondre aux exigences de la troïka fragiliseront encore un peu plus ce pays. Cela permet de caractériser d’odieux, les nouveaux financements qui seront accordés à la Grèce dans le cadre de ce plan ainsi que les anciennes dettes ainsi restructurées [20].
CADTM : On a dit que la BCE s’était opposée à une forte décote de la dette grecque…
Eric Toussaint : C’est vrai. La BCE est prise au piège de sa propre politique : comme elle a racheté énormément de titres grecs sur le marché secondaire et qu’elle accepte en plus que les banques (grecques notamment) déposent des titres grecs comme garantie des prêts qu’elle leur octroie, l’actif de son bilan est constitué d’une énorme quantité de titres grecs (auxquels s’ajoutent des titres irlandais, portugais, italiens et espagnols). Si une décote de 50 ou de 60% était appliquée aux titres grecs, cela déséquilibrerait son bilan. Ceci dit, c’est parfaitement faisable car il s’agit d’un jeu d’écriture.
Cette opposition de la BCE à accepter une forte décote rencontre une fois de plus les intérêts des banquiers privés qui ne veulent pas non plus accepter une forte dévalorisation de leurs actifs. La BCE a poussé à fond les chefs d’Etats européens et la Commission européenne à renforcer le Fonds européen de stabilité financière afin que ce soit lui qui rachète dorénavant des titres à haut risque. Elle veut se débarrasser au plus vite de cette corvée.
CADTM : Tu n’as pas encore parlé des Credit Default Swaps (CDS)…
Eric Toussaint : Le CDS est un produit financier dérivé qui n’est soumis à aucun contrôle public. Il a été créé dans la première moitié des années 1990 en pleine période de dérèglementation. Credit Default Swap signifie littéralement permutation de l’impayé. Normalement, il devrait permettre au détenteur d’un emprunt de se faire indemniser par le vendeur du CDS au cas où l’émetteur d’une obligation fait défaut, que ce soit un pouvoir public ou une entre prise privée. Le conditionnel est de rigueur pour deux raisons principales.
Premièrement, on peut acheter un CDS pour se protéger d’un risque de non remboursement d’une obligation qu’on n’a pas. Cela revient à prendre une assurance contre le risque d’incendie de la maison du voisin en espérant que celle-ci parte en flammes afin de pouvoir toucher la prime. Deuxièmement, les vendeurs de CDS n’ont pas réuni préalablement des moyens financiers suffisants pour indemniser les victimes du non remboursement de dettes. En cas de faillite en chaîne d’entreprises privées ayant émis des obligations ou du non remboursement de la part d’un Etat débiteur important, il est certain que les vendeurs de CDS seront dans l’incapacité de procéder aux indemnisations qu’ils ont promises. Le désastre de l’entreprise nord-américaine AIG en août 2008, la plus grosse société d’assurance internationale (en fait elle a été nationalisée par Bush afin d’éviter les conséquences d’une faillite) et la faillite de Lehman Brothers sont directement liés au marché des CDS. AIG et Lehman s’étaient fortement développés dans ce secteur.
Le marché des CDS permet toutes sortes de manipulations. J’ai eu l’occasion de suivre de près une tentative de manipulation lorsque j’étais membre de la commission d’audit de la dette publique interne et externe mise en place par le gouvernement équatorien en 2007 et qui a rendu les résultats de ses travaux en septembre 2008. Pendant que nous auditions la dette équatorienne et que le président Rafael Correa menaçait les marchés financiers internationaux de mettre fin au remboursement de la partie illégitime de la dette, une société privée nord-américaine Abadie a pris contact avec le gouvernement équatorien afin de lui faire une proposition édifiante. La société proposait au président Correa de laisser entendre qu’il suspendrait le paiement de la dette juste avant la prochaine échéance de paiement trois semaines plus tard. Cela permettrait à cette société de vendre des CDS pour un montant qu’elle évaluait à 300 millions de dollars. Le résultat final devait être le suivant : en réalité, l’Equateur paierait comme prévu ce qu’il devait. Du coup, la société ne devrait pas indemniser les détenteurs de CDS et elle verserait la moitié de la somme au gouvernement équatorien. Elle affirmait que cette opération était totalement sans risque de poursuite car la vente se ferait de gré à gré sans aucun contrôle de la part des autorités nord-américaines. La firme affirmait qu’elle avait déjà réalisé à plusieurs reprises ce genre d’opérations. Finalement, les autorités équatoriennes ont refusé la proposition et ont opté pour une autre stratégie qui a donné de bons résultats. L’intérêt de cette histoire véridique, c’est de montrer qu’en pratique les émetteurs (et les acheteurs) de CDS peuvent réaliser toutes sortes de manipulations. Il faut rappeler que jusqu’au désastre d’AIG et à la faillite de Lehman Brothers, le FMI, la Réserve fédérale des Etats-Unis, la BCE ont affirmé à maintes reprises que les CDS étaient un produit nouveau qui offraient d’excellentes garanties contre les risques (voir encadré sur les CDS). Depuis le discours a changé mais rien, absolument rien, n’a été fait pour réglementer. En attendant, les CDS constituent, vu leur ampleur, une terrible bombe à retardement pour le système financier international. En réalité, il faudrait interdire les CDS.
Les autorités monétaires et financières ont encouragé la création de la bombe à retardement constituée par les CDS
Alan Greenspan, ex-directeur de la Réserve fédérale des Etats-Unis, écrit en 2007, alors que la crise a éclaté aux Etats-Unis et s’étend à l’Europe : « Une innovation récente de grande importance a été la création des Credit Default Swap ou CDS. Il s’agit d’un produit dérivé qui transfère le risque de crédit, généralement celui d’un instrument d’endettement, à un tiers, moyennant une prime. La possibilité de bénéficier des revenus d’un prêt tout en transférant ailleurs le risque de crédit a été une manne pour les banques et autres intermédiaires financiers ; en effet, pour obtenir un taux de rendement désiré sur leurs fonds, les banques doivent augmenter leur ratio d’endettement en acceptant en dépôt des obligations et/ou des dettes. La plupart du temps, ces institutions prospèrent en prêtant de l’argent. Mais dans les périodes difficiles, elles encourent des problèmes trop connus de créances douteuses, qui les avaient, par le passé, obligées à réduire leurs prêts. Or cette restriction affaiblit l’activité économique tout entière. Un instrument de marché qui déplace le risque pour ces émetteurs de crédit fortement endettés peut se révéler d’un intérêt critique pour la stabilité économique, surtout dans un contexte mondial. Le CDS fut ainsi inventé pour répondre à ce besoin ; il prit le marché d’assaut. La Banque des règlements internationaux a calculé qu’en 2006, les CDS ont totalisé plus de 20.000 milliards d’équivalents-dollar, alors qu’ils n’étaient que de 6.000 milliards à la fin 2004. La puissance d’amortisseur de cet instrument a été démontrée de façon éclatante entre 1998 et 2001, quand le CDS put répartir les risques de 1.000 milliards de dollars pour des emprunts destinés aux réseaux de télécommunications, alors en expansion rapide. Bien qu’une grande part de ces entreprises eussent fait défaut lors de l’explosion de la bulle Internet, pas une seule des grandes institutions de garantie de prêt ne fut mise en péril. Les pertes furent en dernier recours absorbées par des assureurs fortement capitalisés, par des fonds de pension et autres, qui avaient été les principaux fournisseurs des garanties de défaut de crédit. Tous furent en mesure d’absorber le choc. Il n’y eut donc pas de répétition des défauts en cascade des précédentes époques. »
Quant au FMI en 2007, il déclare à propos de la santé des Etats-Unis et notamment des CDS appelés « les nouveaux marchés de transfert des risques » : « Bien qu’il n’y ait pas de place pour la complaisance, il semble que l’innovation ait épaulé la solidité du système financier. Les nouveaux marchés de transfert des risques ont favorisé la dispersion du risque de crédit , d’un noyau où l’aléa moral est concentré, vers la périphérie où la discipline de marché est le principal frein à la prise de risques. (…) Si l’alternance des périodes d’euphorie et de panique n’ont pas disparu — les phases d’expansion–récession du crédit hypothécaire à risque en étant la dernière illustration — les marchés ont montré leur capacité à s’autoréguler » (FMI, Rapport pour les consultations de 2007 au titre de l’article 4 avec les Etats-Unis) [21].
Visiblement, certaines banques réputées sérieuses n’ont pas renoncé à se couvrir contre les risques de défaut de paiement par des CDS. C’est ainsi que la Deutsche Bank a annoncé fin juillet 2011 qu’elle avait réduit de 88% son exposition face à la dette italienne. Le principal prêteur allemand aurait fait passer son exposition en Italie de 8 milliards d’euros à 997 millions d’euros. Selon le Financial Times, la Deutsche Bank arrive à ce résultat non pas en ayant vendu des titres italiens pour plus de 7 milliards, mais par un jeu d’écriture dans ses livres de compte en achetant des CDS pour se couvrir contre une possibilité de défaut de paiement de la part de l’Italie [22].
A un autre niveau, les hedge funds qui sont particulièrement actifs sur le marché OTC des CDS sont inquiets de la perspective d’une décote de la dette grecque. Ils se demandent s’ils resteront suffisamment crédibles pour continuer à vendre des CDS alors qu’ils n’indemniseront pas les détenteurs de CDS sur la dette grecque [23].
CADTM : Quelle est la part de responsabilité des agences de notation dans la crise ?
Eric Toussaint : Les nord-américaines Standard and Poor’s et Moody’s ainsi que la franco-nord américaine Fitch sont les trois agences privées de notations qui font la pluie et le beau temps en ce qui concerne l’évaluation de la solvabilité et de la crédibilité d’un émetteur d’obligations, que ce soit un Etat ou une entreprise [24]. Elles existent depuis près d’un siècle mais ce n’est qu’à partir des années 1970-1980, avec la financiarisation de l’économie, que leurs affaires se sont brutalement développées. Mais elles sont constamment dans une situation de conflits d’intérêt. Jusqu’aux années 1970, c’étaient les acheteurs potentiels des obligations émises par les Etats et les entreprises qui payaient les agences de notation pour qu’elles leur donnent un avis sur la qualité des émetteurs. Depuis, la situation s’est complètement renversée, ce sont les émetteurs d’obligations qui rémunèrent les agences pour qu’elles les évaluent. La motivation des pouvoirs publics et des entreprises est bien sûr d’obtenir une bonne note afin de payer le taux d’intérêt les plus bas possible aux acheteurs d’obligations. Rappelons que jusqu’à la veille de la faillite d’Enron en 2001, les agences de notations grassement rémunérées attribuaient la meilleure cote à ce négociant d’énergie. De même en 2008 avec les banques d’affaires Merril Lynch ou Lehman Brothers. De même avec la Grèce en 2009-début 2010. Elles ont fait la démonstration de leur nuisance. Elles devraient faire l’objet de poursuites judiciaires car les résultats des notes qu’elles distribuent ont été et sont néfastes. L’évaluation des risques est une mission qui devrait incomber à des organismes publics.
CADTM : La crise a-t-elle atteint son apogée ?
Eric Toussaint : On est très loin de la fin de la crise. Si on se limite à prendre en compte les aspects financiers, il faut prendre conscience que les banques privées ont continué à mener depuis 2007 un jeu extrêmement dangereux qui leur est profitable tant qu’il n’y a pas d’accident et qui est préjudiciable pour la majorité de la population. La quantité d’actifs douteux dans leurs bilans est énorme. Or si on ne prend en compte que les 90 principales banques européennes, il faut savoir que, dans les deux prochaines années, elles devront refinancer des dettes pour le montant astronomique de 5 400 milliards d’euros. Cela représente 45% de la richesse produite annuellement dans l’Union européenne [25] Les risques sont colossaux et la politique menée par la BCE, la CE et les gouvernements des pays membres de l’UE ne résout rien, au contraire.
Il faut aussi insister sur un aspect central des risques que prennent les banques européennes. Elles financent une partie importante de leurs opérations en empruntant à court terme des dollars auprès de prêteurs nord-américains, les US money market funds [26], à un taux inférieur à celui de la BCE. D’ailleurs, pour reprendre les exemples donnés à propos de la Grèce plus haut, comment peut-on imaginer que les banques européennes se soient contentées de 0,35% à 3 mois si elles avaient dû emprunter à du 1% à la BCE. Elles ont financé et elles financent encore leurs prêts aux Etats et aux entreprises en Europe via des emprunts qu’elles effectuent auprès des money market funds des Etats-Unis. Or ceux-ci ont pris peur de ce qui se passait en Europe et ils ont également été inquiétés par la dispute entre Républicains et Démocrates sur la dette publique des Etats-Unis [27]. A partir de juin 2011, cette source de financement à bas taux d’intérêt s’est presque tarie, en particulier aux dépens des grandes banques françaises, ce qui a précipité leurs dégringolade en Bourse et augmenté la pression qu’elles exerçaient sur la BCE pour qu’elle leur rachète des titres et donc leur fournisse de l’argent frais. En résumé, nous avons là aussi la démonstration de l’ampleur des vases communiquants entre l’économie des Etats-Unis et celle des pays de l’UE. D’où les contacts incessants entre Barack Obama, Angela Merkel, Nicolas Sarkozy, la BCE, le FMI… et les grands banquiers de Goldman Sachs à BNP Paribas en passant par la Deutsche Bank… Une rupture des crédits en dollars dont bénéficient les banques européennes peut provoquer une très grave crise sur le vieux continent, de même qu’une difficulté des banques européennes à rembourser les prêteurs états-uniens peut précipiter une nouvelle crise à Wall Street.
Depuis 2007-2008, les banques et les autres zinzins ont déplacé leurs activités spéculatives du marché de l’immobilier (où elles ont provoqué une bulle qui a éclaté dans une dizaine de pays, à commencer par les Etats-Unis) vers le marché des dettes publiques, celui des devises (où s’échangent chaque jour l’équivalent de 4 000 milliards de dollars dont 99% correspondent à de la spéculation) et celui des biens primaires (pétrole, gaz, minerais, produits agricoles). Ces nouvelles bulles peuvent éclater d’un moment à l’autre. Un des déclencheurs peut être constitué par une remontée des taux d’intérêt que déciderait la Réserve fédérale des Etats-Unis (suivie ensuite par la BCE, la Banque d’Angleterre…). De ce côté-là, la Fed a annoncé en août 2011 son intention de maintenir son taux d’intérêt directeur proche de zéro jusqu’en 2013. Mais d’autres évènements peuvent constituer le détonateur d’une nouvelle crise bancaire ou d’un krach boursier. Les évènements de juillet-août 2011 nous montrent qu’il est temps de rassembler ses énergies pour mettre les institutions financières privées hors d’état de continuer à nuire.
L’ampleur de la crise est aussi déterminée par le volume de la dette publique des Etats et son mode de financement en Europe. Les banquiers européens détiennent plus de 80% de la dette totale des pays d’un ensemble de pays européens en difficulté, comme la Grèce, l’Irlande, le Portugal, les pays de l’Est européen, l’Espagne et l’Italie. En volume, les titres de la dette publique italienne représentent 1 500 milliards d’euros, c’est plus du double de la dette publique de la Grèce, de l’Irlande et du Portugal pris ensemble. La dette publique de l’Espagne atteint 700 milliards d’euros (la moitié de l’Italie). Le compte est facile à faire : les dettes publiques de l’Italie et de l’Espagne représentent le triple des dettes publiques grecques, irlandaises et portugaises. Comme on l’a vu en juillet-août 2011, alors que chaque pays continue à rembourser ses dettes, plusieurs banques ont failli s’effondrer. C’est l’intervention de la BCE qui leur a sauvé la mise. L’échafaudage financier des banques européennes est tellement fragile qu’une attaque en Bourse peut les mettre au tapis. Sans parler bien sûr d’un krach bancaire qui est aussi parfaitement possible.
Jusqu’ici, à part le trio Grèce-Irlande-Portugal principalement, les Etats avaient réussi à refinancer sans grande difficulté leur dette en recourant à des nouveaux emprunts quand le capital emprunté venait à échéance. La situation s’est fortement dégradée ces derniers mois. Déjà en juillet et début août 2011, les taux exigés par les zinzins pour permettre à l’Italie et à l’Espagne de refinancer leur dette publique venant à échéance par des emprunts à 10 ans avaient littéralement explosé et atteignaient 6%. De nouveau, c’est l’intervention de la BCE qui a racheté massivement des titres espagnols et italiens qui a permis de satisfaire les banquiers et autres zinzins et ont fait baisser les taux. Pour combien de temps ? En effet, l’Italie doit emprunter environ 300 milliards d’euros en août 2011 et juillet 2012 car c’est le montant des obligations qui viennent à échéance pendant ce court laps de temps. Les besoins de l’Espagne sont nettement inférieurs, autour de 80 milliards d’euros, mais cela reste une somme considérable. Comment vont se comporter les zinzins au cours des douze mois qui viennent et que se passera-t-il si les conditions dans lesquelles ils empruntent sur le marché nord-américain se durcissent ? Il y a bien d’autres évènements qui peuvent aggraver la crise internationale. Une chose est sûre : la politique actuelle de la CE, de la BCE et du FMI ne conduira pas à une solution favorable.
CADTM : A plusieurs reprises, tu as écrit que la dette privée était beaucoup plus volumineuse que la dette publique. Or ici tu t’es concentré sur la dette publique…
Eric Toussaint : Il n’y a aucun doute là-dessus, les dettes privées sont beaucoup plus importantes que les dettes publiques. Selon le dernier rapport du McKinsey Global Institute, l’addition des dettes privées à l’échelle mondiale s’élève à 117 000 milliards de dollars, soit près du triple de l’ensemble des dettes publiques dont le volume atteint 41 000 milliards de dollars. Le risque est grand que des entreprises privées, dont les banques font bien sûr partie avec les autres zinzins, ne sachent pas faire face au remboursement de leurs dettes. General Motors et Lehman Brothers sont tombées en faillite en 2008 ainsi que de nombreuses autres entreprises car elles étaient incapables de rembourser leurs dettes.
Les banquiers, les autres chefs d’entreprises, les médias traditionnels et les gouvernements ne veulent parler que des dettes publiques et prennent prétexte de leur augmentation afin de justifier de nouvelles attaques contre les droits économiques et sociaux de la majorité de la population. L’austérité et la réduction des déficits publics par les coupes claires dans les budgets sociaux et dans l’emploi de la fonction publique sont devenues les recettes uniques, auxquelles s’ajoutent des privatisations et de nouvelles taxes sur la consommation. Pour faire bonne mesure, en Europe, certains gouvernements ajoutent une minuscule taxe à charge des riches et parlent de taxer les transactions financières.
Il est évident que l’augmentation des dettes publiques est le résultat de trente années de politiques néolibérales : financement par le recours à l’emprunt de réformes fiscales favorisant les grosses fortunes et les grandes entreprises privées, sauvetage des banques et d’autres entreprises en mettant une partie de leurs dettes ou de leurs pertes à charge du budget de l’Etat, nouvelle baisse des recettes fiscales due aux effets de la récession et augmentation de certaines dépenses publiques pour venir en aide aux victimes de la crise. L’effet combiné de ces différents facteurs a fait augmenter la dette publique. Tout se ramène à une politique délibérément injuste socialement, visant à favoriser systématiquement une classe de la société, la classe capitaliste, quelques miettes étant distribuées aux classes moyennes afin de les contrôler. En revanche, la grande majorité de la population a fait les frais de ces politiques et a vu ses droits être fortement écornés, voire carrément bafoués. C’est pour cela qu’il faut considérer que la dette publique est globalement illégitime. C’est pour cela que j’ai concentré mes réponses sur la dette publique car il faut absolument obtenir une solution positive sur cette question.
CADTM : Au cours du dialogue, tu as affirmé que la Grèce est acculée à faire un choix entre deux options :
- se résigner et se tourner vers la troïka en passant sous ses fourches caudines
- refuser les diktats des marchés et de la troïka en suspendant le paiement et en lançant un audit afin de répudier la part illégitime de la dette.
Tu viens de décrire la première option. Veux-tu préciser la deuxième ?
Eric Toussaint : On est parti du cas de la Grèce. Il est important d’ajouter que d’autres pays sont aujourd’hui confrontés au même choix : l’Irlande, le Portugal, sans oublier la Hongrie, la Bulgarie, la Roumanie ou encore la Lettonie, en ce qui concerne les pays membres de l’Union européenne. Demain ce sera vraisemblablement au tour de l’Espagne et de l’Italie. Et il ne faudra pas s’étonner que d’autres pays membres de l’UE soient plongés dans une situation très difficile après-demain car la crise s’accélère rapidement. En dehors de l’UE, il faut aussi mentionner l’Islande.
Pour ces pays, soumis au chantage des spéculateurs, du FMI et d’autres organismes comme la Commission européenne, il convient de recourir à un moratoire unilatéral du remboursement de la dette publique. Recourir à un tel acte unilatéral souverain permet de transformer le rapport de force au détriment des créanciers. S’il s’agit de banques, d’assurances, de fonds de pension…, ils chercheront à revendre le plus vite possible les titres qu’ils détiennent et leur prix tendra vers zéro. Quant à la troïka, elle sera obligée de chercher à entrer en négociation afin de faire des concessions. La Russie en 1998, l’Argentine en 2001 et l’Equateur en 2008 ont déclaré un moratoire unilatéral sur le paiement de leurs dettes et ils s’en sont bien tirés [28]. Il est important de tirer un bilan de ces expériences récentes et de voir comment appliquer la stratégie la meilleure pour que la population voie ses conditions de vie s’améliorer et qu’une rupture tangible avec le système capitaliste soit engagée.
CADTM : Quelles autres mesures immédiates à côté de la suspension unilatérale (moratoire) du remboursement de la dette ?
Eric Toussaint : Un tel moratoire unilatéral doit être combiné à la réalisation d’un audit des emprunts publics (avec participation citoyenne). L’audit doit permettre d’apporter au gouvernement et à l’opinion publique les preuves et les arguments nécessaires à l’annulation/répudiation de la partie de la dette identifiée comme illégitime. Le droit international et le droit interne des pays offrent une base légale pour une telle action souveraine unilatérale d’annulation/répudiation [29].
Pour les pays qui recourent à la suspension de paiement, il faut un moratoire sans ajout d’intérêts de retard sur les sommes non remboursées.
Dans d’autres pays comme la France, la Belgique, la Grande-Bretagne…, il n’est pas nécessairement impératif de décréter un moratoire unilatéral pendant la réalisation de l’audit. Celui-ci doit être mené afin, lui aussi, de déterminer l’ampleur de l’annulation/répudiation à laquelle il faudra procéder. En cas de détérioration de la conjoncture internationale, une suspension de paiement peut devenir d’actualité même pour des pays qui se croyaient à l’abri du chantage des prêteurs privés.
CADTM : Et la participation citoyenne ?
Eric Toussaint : La participation citoyenne est la condition impérative pour garantir l’efficacité et la transparence de l’audit. Cette commission d’audit devra notamment être composée des différents organes de l’État concernés afin qu’ils rendent des compte. En tout état de cause, c’est la participation des mouvements sociaux, de la société civile d’en bas qui sera la clé de la réussite de l’audit. Les mouvements sociaux peuvent désigner en leur sein des experts de l’audit des finances publiques, des économistes, des juristes, des constitutionnalistes,… Il faut également, c’est évident, des représentants des différents mouvements sociaux affectés par la crise de la dette. L’audit devra permettre de déterminer les différentes responsabilités dans le processus d’endettement et d’exiger que les responsables tant nationaux qu’internationaux rendent des comptes à la justice.
CADTM : Dans la plupart des cas, les gouvernants n’ont aucun intérêt à la réalisation d’un authentique audit avec participation citoyenne. Dans d’autres cas, ils peuvent se résigner à un audit afin de circonscrire le problème.
Eric Toussaint : C’est évident. Le cas de figure que je viens de mentionner plus haut correspond à une situation de mobilisation populaire très forte qui amène au gouvernement des forces de gauche qui adoptent des politiques favorisant les intérêts populaires ou allant plus loin encore. Cela me rappelle l’image employée par Arthur Scargill, un des principaux dirigeants de la grève des mineurs britanniques au milieu des années 1980. Il disait grosso modo : « Il nous faut un gouvernement aussi fidèle aux intérêts des travailleurs que le gouvernement de Margaret Thatcher l’est à l’égard des intérêts de la classe capitaliste ». Dans la situation présente en Europe, nous en sommes encore très loin, nous sommes confrontés à une attitude hostile des gouvernements en place à l’égard de l’audit et à la remise en cause du remboursement de la dette. C’est pour cela qu’il est nécessaire de constituer une commission d’audit citoyen sans participation gouvernementale.
CADTM : Qui devra payer la facture de l’annulation des dettes ?
Eric Toussaint : Dans tous les cas de figure, il est légitime que les institutions privées et les personnes physiques à hauts revenus qui détiennent des titres de ces dettes supportent le fardeau de l’annulation de dettes souveraines illégitimes car ils portent largement la responsabilité de la crise, dont ils ont de surcroît largement profité. Le fait qu’ils doivent supporter la charge de l’annulation n’est qu’un juste retour vers davantage de justice sociale.
CADTM : Les petits porteurs de titres ou les salariés qui, au travers de l’épargne pension, détiennent des titres de la dette publique passeront-ils également à la caisse ?
Eric Toussaint : Il est important de dresser un cadastre des détenteurs de titres afin d’indemniser parmi eux les citoyens et citoyennes à faibles et moyens revenus.
CADTM : Que se passera-t-il pour les responsables de l’endettement illégitime ou odieux ?
Eric Toussaint : Si l’audit démontre l’existence de délits liés à l’endettement illégitime, leurs auteurs devront être sévèrement condamnés à payer des réparations et ne doivent pas échapper à des peines d’emprisonnement en fonction de la gravité de leurs actes. Il faut demander des comptes en justice à l’encontre des autorités ayant lancé des emprunts illégitimes.
CADTM : Et la partie de la dette qui ne sera pas identifiée comme illégitime, odieuse ou/et illégale ?
Eric Toussaint : En ce qui concerne les dettes qui ne sont pas frappées d’illégitimité, il conviendra d’imposer un effort aux créanciers en termes de réduction du stock et des taux d’intérêts, ainsi que par un allongement de la période de remboursement. Ici aussi, il conviendra de réaliser une discrimination positive en faveur des petits porteurs de titres de la dette publique qu’il conviendra de rembourser normalement. Par ailleurs, le montant de la part du budget de l’État destiné au remboursement de la dette devra être plafonné en fonction de l’état de l’économie, de la capacité des pouvoirs publics à rembourser et du caractère incompressible des dépenses sociales. Il faut s’inspirer de ce qui avait été fait pour l’Allemagne après la seconde guerre mondiale. L’Accord de Londres de 1953 sur la dette allemande qui consistait notamment à réduire de 62 % le stock de la dette stipulait que la relation entre service de la dette et revenus d’exportations ne devait pas dépasser 5 % [30]. On pourrait définir un ratio de ce type : la somme allouée au remboursement de la dette ne peut excéder 5 % des recettes de l’État. Il faut également adopter un cadre légal afin d’éviter la répétition de la crise qui a débuté en 2007-2008 : interdiction de socialiser des dettes privées, obligation d’organiser un audit permanent de la politique d’endettement public avec participation citoyenne, imprescriptibilité des délits liés à l’endettement illégitime, nullité des dettes illégitimes…
CADTM : On annule les dettes, mais faut-il toucher au reste ?
Eric Toussaint : Il faut également appliquer une panoplie de mesures complémentaires (arrêt des plans d’austérité, transfert des banques vers le secteur public, réforme fiscale radicale, socialisation des secteurs privatisés au cours de l’ère néolibérale, réduction radicale du temps de travail… | [31]) devront être prises car l’annulation des dettes illégitimes, bien que nécessaire, est insuffisante si la logique du système reste intacte.
Eric Toussaint
TOUSSAINT Eric
Notes
[1] Hellenic Republic Public Debt Bulletin, n° 62, June 2011. Disponible sur www.bankofgreece.gr
[2] Hellenic Republic Public Debt Bulletin, n° 56, December 2009.
[3] Bank of Greece, Economic Research Department – Secretariat, Statistics Department – Secretariat, Bulletin of Conjunctural Indicators, Number 124, October 2009. Disponible sur www.bankofgreece.gr
[4] Le même phénomène s’est produit au même moment envers le Portugal, l’Espagne, des pays d’Europe centrale et de l’Est.
[5] Le 25 août 2011, le taux grec à 10 ans atteignait 18,55%, la veille ils atteignaient 17,9%. Le taux à 2 ans atteignait 45,9% !!! http://www.lemonde.fr/europe/articl... (consulté le 26 août 2011).
[6] Dans le Hellenic Republic Public Debt Bulletin, n° 62, June 2011, p. 4, on voit très clairement que le marché secondaire s’est littéralement asséché à partir de mai 2010 car la Banque centrale européenne s’est mise à acheté les titres.
[7] A la fin 2009 avant que la crise grecque n’éclate, les institutions financières françaises (principalement les banques) détenaient 26% des titres grecs vendus à l’étranger, les allemandes en détenaient 15%, les italiennes 10%, les belges 9%, les hollandaises 8%, les luxembourgeoises 8%, les britanniques 5%. Bref, les institutions financières, au premier titre les banques, de 7 pays de l’UE détenaient rien moins que 81% des titres grecs vendus à l’étranger.
[8] Essayez au moment de demander à une banque un crédit important de donner comme preuve de solvabilité des titres à haut risque, vous verrez la réponse.
[9] Voir Huit propositions urgentes pour une autre Europe (en particulier la 8e proposition sur la question de l’UE), Huit propositions urgentes pour une autre Europe, ESSF (article 20974).
[10] Ils sont résumés par le Financial Times du 26 juillet 2011, p. 23, ainsi que par le Crédit agricole dans son bulletin Perspectives Hebdo du 18 au 22 juillet 2011.
[11] inancial Times, 6-7 août 2011.
[12] http://www.lesechos.fr/entreprises-... (consulté le 26 août 2011)
[13] Voir le texte de la déclaration officielle du Conseil de l’Union européenne http://www.consilium.europa.eu/uedo...
[14] Il est également prévu dans plusieurs codes civils nationaux comme dans le code civil espagnol (aux articles 1895 et suivants) et français (aux articles 1376 et suivants).
[15] Article 49 de la Convention de Vienne de 1969 et du Traité de Vienne de 1986.
[16] Voir Éric Toussaint, Banque mondiale : le Coup d’État permanent, CADTM-Syllepse-Cetim, 2006, chapitre 15.
[17] armen M. Reinhart, Kenneth S. Rogoff, Cette fois, c’est différent. Huit siècles de folie financière, Pearson, 2010. Edition originale en 2009 par Princeton University Press.
[18] Il s’agit de titres qui ne donnent pas droit à détachement de coupon, d’où le terme. L’acquéreur l’acquiert à un prix inférieur à sa valeur faciale, laquelle est payée à l’échéance du contrat. Le zéro-coupon est généralement indexé sur l’inflation.
[19] oir Crédit Agricole, Perspectives Hebdo du 18 au 22 juillet 2011, p. 3.
[20] ur le caractère odieux et donc nul des dettes réclamées par la troïka à la Grèce, à l’Irlande et au Portugal (on peut y ajouter les dettes réclamées par le FMI à la Roumanie, la Lettonie, la Bulgarie et la Hongrie, tous membres de l’Union européenne), voir Renaud Vivien et Eric Toussaint, « Grèce, Irlande et Portugal : pourquoi les accords conclus avec la Troïka sont odieux ? », ESSF (article 22533).
[21] Voir François Sana, Zéro de conduite pour le FMI, ESSF (article 22699).
[22] inancial Times, « Deutsche hedges Italian risk », 27 July 2011, p. 13.
[23] Financial Times, « Greek rescue plan worries hedge funds », supplément FTfm, 8 August 2011.
[24] Il en existe d’autres, comme la chinoise Dagong, mais elles ont très peu d’influence.
[25] Voir Gillian Tett dans le Financial Times du 5 août 2011, p. 22, ainsi que Peterson Institute for International Economics, Europe on the Brink, July 2011..
[26] Voir Daniel Munevar, “El pequeño y oscuro secreto de los bancos europeos”, http://www.cadtm.org/El-pequeno-y-o...
[27] Voir « US funds cut eurozone exposure » dans le Financial Times, 25 July 2011, p. 15.
[28] oir Damien Millet, Eric Toussaint (dir.), La dette ou la vie, Aden-CADTM, 2011, chapitre 19. A propos de la réussite du succès relatif de l’Argentine en refusant de payer une bonne partie de sa dette, le Financial Times lui a consacré une page entière le 19 juillet 2011 (p. 7). A propos de l’Argentine et de la Russie, Joseph Stiglitz, prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel en 2001, président du conseil des économistes du président Bill Clinton de 1995 à 1997, économiste en chef et vice-président de la Banque mondiale de 1997 à 2000, apporte des arguments forts à ceux qui plaident pour la suspension du remboursement des dettes publiques. Dans un livre collectif publié en 2010 par l’université d’Oxford (Barry Herman, José Antonio Ocampo, Shari Spiegel, Overcoming Developing Country Debt Crises, OUP Oxford), il affirme que la Russie en 1998 et l’Argentine au cours des années 2000 ont fait la preuve qu’une suspension unilatérale du remboursement de la dette peut être bénéfique pour les pays qui prennent cette décision : « Tant la théorie que la pratique suggèrent que la menace de fermeture du robinet du crédit a été probablement exagérée » (p. 48). Dans un article publié par le Journal of Development Economics[29] sous le titre « The elusive costs of sovereign defaults », Eduardo Levy Yeyati et Ugo Panizza, deux économistes qui ont travaillé pour la Banque interaméricaine de développement, présentent les résultats de leurs recherches minutieuses sur les défauts de paiement concernant une quarantaine de pays. Une de leurs conclusions principales est la suivante : « Les périodes de défaut de paiement marquent le début de la récupération économique » (in Journal of Development Economics 94, 2011, p. 95-105). Voir également à propos de la Russie et de l’Argentine : C. Lapavitsas, A. Kaltenbrunner, G. Lambrinidis, D. Lindo, J. Meadway, J. Michell, J.P. Painceira, E. Pires, J. Powell, A. Stenfors, N. Teles : « The eurozone between austerity ans default », Septembre 2010, http://www.researchonmoneyandfinanc.... A propos des leçons de l’Argentine pour la Grèce, voir Claudio Katz : http://www.cadtm.org/IMG/pdf/Leccio...
[29] Voir Damien Millet, Eric Toussaint (dir.), La dette ou la vie, Aden-CADTM, 2011, chapitres 20 et 21.
[30] oir Éric Toussaint, Banque mondiale : le Coup d’État permanent, CADTM-Syllepse-Cetim, 2006, chapitre 4.
[31] Voir Huit propositions urgentes pour une autre Europe, op. cit.
* Éric Toussaint, docteur en sciences politiques des universités de Liège et de Paris VIII, président du CADTM Belgique, membre de la Commission présidentielle d’audit intégral de la dette (CAIC) de l’Équateur et du Conseil scientifique d’ATTAC France. A dirigé avec Damien Millet le livre collectif La Dette ou la Vie, Aden-CADTM, 2011. A participé au livre d’ATTAC : Le piège de la dette publique. Comment s’en sortir, édition Les liens qui libèrent, Paris, 2011.
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Lagarde appelle à sauver à nouveau les banques !
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