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Message  iztok Mer 7 Aoû - 14:02

En tout cas une réponse détaillée de Josette Trat qui revient sur certaines fausses informations/interprétations et contre-vérités contenus dans cet "essai" :
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article27144
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Message  sylvestre Mer 7 Aoû - 14:16

iztok a écrit:En tout cas une réponse détaillée de Josette Trat qui revient sur certaines fausses informations/interprétations et contre-vérités contenus dans cet "essai" :
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article27144

 Oui, enfin sur ce qu'elle dit être des fausses informations, etc. puisque tu ne l'as pas lu.
sylvestre
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Message  Toussaint Mer 7 Aoû - 14:17


RACE, CASTE ET GENRE EN FRANCE[1]

20/05/2013


Je vais parler de l’interaction entre deux systèmes de domination, la race et le sexe. Je me propose d’analyser l’oppression des populations maghrébines, puis de leurs enfants selon trois axes :

1) le premier est la façon dont la construction sociale qu’est la “ race ” s’articule avec cette autre construction sociale qu’est le “ sexe ”. Ces deux construits sociaux sont bâtis de la même façon, par et pour la domination, bien qu’ils aient, évidemment des formes distinctes.

2) le second axe est l’hypothèse, que j’ai déjà émise (Delphy 2001), que nous assistons aujourd’hui en France, à la création d’un système de castes raciales. Le concept n’est pas utilisé par les sociologues et les politologues, marxistes ou non (Delphy 1998). Pourtant, ce concept est à mon sens opératoire, pour rendre compte de la spécificité de l’oppression de race dans le système de classes ; ce à quoi le concept de racisme ne suffit pas. En effet, tandis que le concept de racisme met l’accent sur des processus, le concept de caste met l’accent sur les résultats des ces processus en termes de structure sociale.

3) Dans le sujet que je traite, le débat sur le foulard islamique  a une place, mais plutôt comme le révélateur d’une dynamique qui remonte bien en amont et se poursuit bien en aval.

Je vais décrire trois phases, trois actes de cette tragédie française : oppression, rébellion, puis hélas, non pas libération, mais répression. Dans chacune de ces phases, ce qui m’intéresse est la façon dont le genre, un système de castes fondé sur l’invention de  sexes différents, est utilisé pour construire un système de castes fondé sur l’invention de  races différentes.

Premier acte : oppression.

Le premier acte de l’oppression remonte à la colonisation de l’Algérie, il y a maintenant plus d’un siècle et demi, puis des autres pays du Maghreb il y a un siècle. A  la différence de ce qui se passe en Indochine, c’est sur la religion que  repose le traitement différentiel qu’est le statut de l’indigénat imposé aux colonisés. Deux sortes de Français co-existent dans ce département : les “ Français de souche européenne”, et les “ Français musulmans ”, qui votent dans un  collège spécial, comptant pour un 1/5è de l’ensemble des voix.

Dès le  début, la question du sexe, ou du genre, est posée comme la ligne de partage entre les deux “ communautés ”  ainsi créées. Dans le stéréotype raciste créé par le colonisateur, les indigènes ne “ traitent pas bien les femmes ”. La polygamie en particulier, bien que peu pratiquée dans les faits, est considérée par les Français comme un signe, et même LE signe  de “ l’archaïsme ” des indigènes (Clancy-Smith 1996.).

Le statut d’ « indigène »  (sujet et non-citoyen, même quand il est de sexe masculin) a pour effet de soumettre les individu.es de cette communauté à un code civil, appelé “ statut personnel ”, concernant le mariage, la filiation, et l’héritage, et considéré comme “ en retard ” sur le code français. Il faut pourtant souligner ici que, en dehors de la polygamie, le Code civil français de l’époque n’est guère moins préjudiciable aux femmes que le code musulman. Permettre une dérogation de masse au code civil dans un département français (à partir de la 3è république) a certes des effets délétères sur les femmes indigènes, qui, à l’instar des Françaises de souche, ne sont pas citoyennes. Mais cela permet aussi de continuer à dénigrer l’islam. Ce dénigrement de l’islam n’est pas, à vrai dire, nouveau. C’est une vielle tradition de l’Europe depuis le temps de la reconquête espagnole, puis des Croisades (Daniel 1993, Geisser 2003).

Ainsi le genre – qui est une division hiérarchique opérée dans l’espèce humaine et résultant en deux catégories opposées, les hommes et les femmes — opère lui-même comme la ligne de partage pour une autre division, celle entre deux “ ethnies » fabriquées  aussi par la domination, cette fois coloniale.

En Algérie occupée, les indigènes de sexe masculin peuvent sortir du statut de sous citoyen : mais à condition de renoncer à leur religion, à leur culture, à leurs croyances, à leur famille et à leur voisinage. Ainsi l’islam devient, sur le plan idéologique et légal, la raison donnée pour leur statut d’indigènes. Ceci permet d’en occulter la raison première et objective : l’occupation et la colonisation.

A partir de la conquête de l’Algérie, le dénigrement de l’islam se fait sur le mode de l’opposition classiquement coloniale entre “ civilisé » et  « barbare” ; et cette opposition, de façon tout aussi classique, fait appel aux rapports entre les sexes. Ignorant leur propre patriarcat, qui leur semble sans doute normal, comme aujourd’hui, les colonisateurs ne parlent des femmes indigènes que la larme à l’œil. Seules les différences entre ces deux régimes patriarcaux—l’Algérien et le Français—sont mises en avant, au dépens de leurs bien plus considérables ressemblances.

En effet, dans les études sur la colonisation, puis aujourd’hui sur le racisme ou les discriminations,  un point central est systématiquement passé sous silence : les rapports entre la société colonisatrice et la société colonisée sont des rapports entre deux patriarcats. Les protagonistes du conflit colonial sont, des deux côtés, les hommes. Seuls ils ont le statut de sujets dans les deux sociétés, et dans les deux, les femmes sont des objets, des propriétés. Il est logique que le colonisateur veuille déposséder les hommes indigènes de leur possession la plus précieuse, la dernière qui leur reste aussi, les femmes. Un officiel français du 19è siècle cité par Frantz Fanon (1959) aurait dit : “ Si nous voulons frapper la société algérienne dans …ses facultés de résistance, il nous faut d’abord conquérir les femmes ”, et ajouté : “ il faut que nous allions les chercher derrière le voile où elles se dissimulent ”. Dans les faits, les Français ne feront rien en faveur des femmes maghrébines. Mais ils mettront en scène quelques campagnes de “ dévoilement ” pendant la guerre d’Algérie, déjà sur le thème de la “ libération de la femme ” ; en réalité ces campagnes ont pour objet, comme les viols commis par les militaires, ou l’utilisation des lascives orientales dans les bordels, de démoraliser les hommes combattants en leur “ volant ” leur bien ultime, les femmes. Et puisque c’est pour détruire l’identité autochtone que le colonisateur a embouché les trompettes de la libération de la femme, les indépendantistes logiquement rejettent celle-ci et présentent le maintien et le renforcement de la hiérarchie entre les sexes comme constitutive de leur projet national (Gadant 1995).

Sautons quelques décennies, et le Maghreb est indépendant. Les ex-colonisés, déjà présents en métropole avant les indépendances, y viennent encore plus nombreux après.

Trois événements historiques vont créer pour les Français dits “ de souche ”[2] un problème qu’ils ne sont toujours pas arrivés à résoudre. Cette immigration est pendant longtemps restée purement masculine, faite d’hommes seuls. Mais ces immigrés qui voulaient rentrer au pays, souvent ne l’ont pas pu ; ensuite, en 1974, la loi sur le regroupement familial leur a permis de faire venir leurs femmes en France. Enfin, la loi française sur la nationalité, même modifiée, est restée le droit du sol, et leurs enfants sont devenus français. La société française n’avait pas prévu cette conséquence de phénomènes distincts. Elle n’a pas vu que la combinaison du regroupement familial avec le droit du sol la mettrait devant la situation où les enfants des ex-colonisés ont, en théorie, exactement les mêmes droits que les autres Français.

Elle ne leur propose que le statut de leurs parents, alors que ces enfants de la République, forts de leur droit, réclament leur dû de citoyens, et le réclament de plus en plus fort et avec de plus en plus “ d’arrogance ”, comme a dit le ministre Xavier Darcos. C’est ce que  Farad Khosrokhavar (1997) appelle le “ malentendu ” entre les descendants d’immigrés et la société française, et que j’appellerais son dilemme : la France ne veut pas les accepter, mais elle ne peut pas les renvoyer “ chez eux ”, puisqu’ils n’ont pas d’autre chez eux qu’ici. Devant trouver une troisième voie puisqu’elle refuse la première des quatre fers et que la deuxième lui est interdite, elle tente de maintenir et de renforcer le système de castes. L’une des façons de le maintenir est de criminaliser l’islam ; l’affaire du foulard n’est que la première phase de cette tentative.

Pendant l’après-guerre, les immigrés sont traités peu ou prou comme ils l’étaient quand ils étaient colonisés. Mais, travailleurs invités, ils ne formulent que peu de revendications (bien qu’un « Mouvement des Travailleurs Arabes » ait existé entre 1945 et le début de la guerre d’Algérie et fasse en ce moment l’objet de recherches par Abdelalli Hajjat). Ils acceptent les travaux les plus durs, les salaires les plus bas, le parcage dans les bidonvilles, ils se font tout petits et rasent les murs. Leur seul but est de pouvoir envoyer de l’argent au pays et d’y construire une maison. Subir le racisme en baissant la tête est le prix à payer pour la récompense du retour. Ils ne l’ont pas tous eue, mais ils ont vécu avec l’idée qu’elle était au bout du chemin. Elle explique leur patience, leur humilité, leur résignation à pratiquer leur religion dans des caves. C’est de cet islam que les Français, qui l’ignoraient quand il existait, ont aujourd’hui la nostalgie, et qu’ils honorent du label “ traditionnel ”, comme un camembert AOC. Mais ici, “ traditionnel ” ne signifie pas moulé à la louche, mais invisible. Le meilleur islam en quelque sorte, en tous les cas le seul convenable, i.e. qui nous convienne.

Mais la récompense grâce à quoi les parents supportaient tout n’existe plus pour leurs descendants. Et cependant tout se passe comme si, pour les Maghrébins et les Africains,  le statut d’immigrés de leurs parents devait se transmettre de génération en génération, tant sur le plan matériel que sur le plan de la perception d’autrui, qui les voit toujours destinés à quitter le territoire français.

Or, quand on hérite exactement du statut de ses parents, sans mobilité ni probable ni même possible, il ne s’agit plus d’une situation de classe, mais d’une situation de caste. C’est ce que qui est en train de se créer en France. Et le langage l’indique : on parle « d’immigrés » « de la deuxième génération », voire « de la troisième génération » ; on transforme la situation, par définition temporaire, d’immigré, en caractéristique héréditaire et quasi-biologique.

Ce racisme a longtemps été traité à la légère, considéré uniquement sous l’angle des attitudes ouvertement racistes de certains, et non pas sous l’angle du traitement objectif de la population concernée (Simon 1997, Tripier 1999).  On sait pourtant que les discriminations qu’elle subit sont énormes, que ce soit dans le logement, dans l’éducation, dans l’emploi, dans la répression judiciaire (Beaud et Pialoux 2003, Tribalat 1995).

Mais ce qui est à peine étudié,  c’est la souffrance mentale induite par le racisme chez ses victimes. On l’a bien vu lors du débat “ sur le voile ”. La discrimination n’était mentionnée qu’en fin de discussion, sous la forme euphémisée des “ ratés de l’intégration ». De plus, ces « ratés » sont attribués à cette population elle-même, qui aurait choisi de vivre “ entre soi ” à 30 km des centre-ville, et refuserait  de se mêler aux “ Français de souche ”, par snobisme probablement. Ce point de vue du sens commun est aussi le point de vue officiel, celui des Renseignements généraux.

Mais les intéressés, eux, savent que c’est la société qui les exclut. Dans les années 80, ils organisent une formidable “ marche pour l’égalité ”, qui parcourt toute la France. Mais le mouvement sera récupéré par le parti socialiste qui crée SOS-Racisme, destiné à désamorcer cette protestation, et qui y réussira. La révolte respectueuse, la révolte « française », la protestation laïque et républicaine a lamentablement échoué (Bouamama 1994).

Deuxième acte : rébellion

Ainsi, à l’amertume causée par l’expérience quotidienne du racisme, s’ajoute pour cette population  l’amertume causée par cet échec. Elle a joué le jeu, et ça n’a pas marché.

Du côté franco-français, on ne s’occupe toujours pas plus de la discrimination ou des ghettos. On se préoccupe de l’intégration ou de la non intégration des jeunes d’origine maghrébine Mais le sens du mot intégration a été biaisé : il signifie, au long des reportages télé et des déclarations politiques, l’effort de la part des enfants de Maghrébins pour ressembler en tous points à des enfants de Bretons ou d’Auvergnats. Ils y réussissent, en partie sans peine, mais en partie aussi au prix de reniements. Parler de son enfance, par exemple,  est une partie importante de la sociabilité ; c’est permis et même recommandé aux Bretons et aux Auvergnats, aux ruraux et aux citadins, qui s’émerveillent des ressemblances et des différences entre leurs expériences respectives. Mais des parents arabes, cela n’intéresse personne. Il vaut même mieux ne pas les mentionner.

Cette population est ainsi prise dans un redoutable  double bind : on la somme de se montrer “ pareille ”, mais on la perçoit et on la nomme “ différente ”. Quoiqu’ils et elles fassent, au terme du cursus, elles et ils échouent toujours à l’examen, elles et ils n’arriveront jamais à satisfaire les critères de francité. Car  la réalité non-dite, c’est que ces critères excluent par définition  toute personne d’origine maghrébine ou africaine.

Des générations ont obéi à ces injonctions contradictoires du racisme et du sexisme, qui enjoignent aux dominés de  gommer  ET d’assumer dans le même temps leur “ différence ”, jusqu’à ce que certaines et certains comprennent que ce jeu n’est fait que pour les épuiser physiquement et mentalement; que cette “ différence ” qu’on leur jette à la figure n’est rien d’autre qu’un statut inférieur ; une différence qu’on ne peut pas assumer sans accepter sa propre infériorité, et dont on ne peut pas non plus se débarrasser puisque, dans la pensée essentialiste du racisme, elle est inscrite dans votre corps, elle est indélébile. Elles et ils finissent par découvrir la clause cachée ; l’inclusion comporte une condition de race, à laquelle ils ne peuvent pas satisfaire : ils n’ont pas la bonne.

Que peut-il se passer pour les personnes et les groupes pris dans ce genre de double bind ? Quand on vous reproche votre apparence, vos parents, votre origine, toutes choses dont vous n’êtes pas responsable et que vous ne pouvez pas changer ? Vous pouvez soit vivre dans la honte, soit vous révolter contre cette injustice. Vous pouvez soit  vous agenouiller et vous déclarer vaincu, ou vous retourner et faire front à vos agresseurs. Faire front, c’est-à-dire revendiquer ce qu’on vous reproche, refuser la honte. C’est ce que la société française appelle des réactions “ communautaires ”, et considère comme condamnables. Pourquoi ? Parce que si les dominants ont assigné cette identité aux dominés c’est pour leur faire accepter leur statut inférieur ; pas pour qu’ils s’en servent aux fins de rehausser une estime de soi détruite par le racisme—ou le sexisme.

Or les descendants d’immigrés refusent depuis une décennie que leurs origines soient source de honte ; ils et elles revendiquent  une   « arabité » et un  islam made in France : créés comme réponse à l’exclusion. Ces revendications que l’on peut dire “ identitaires ”, ou de fierté, ou anti-racistes, ne sont pas exclusives des revendications citoyennes, et ne sont pas contradictoires avec ces dernières. Si elles sont perçues par la société dominante comme subversives,  c’est précisément parce qu’elles sont un moyen pour les dominés de lutter contre l’intériorisation de leur statut inférieur, de réparer ce que Goffman (1976) appelle une  « identité endommagée ».  Mais la société dominante veut que les dominés gardent une identité endommagée, car c’est une des conditions de la perpétuation de l’exploitation.

Troisième acte : répression

Les Franco-français pensaient que les descendants d’immigrés accepteraient tout simplement de chausser les bottes de leurs parents ; ils sont choqués que les enfants d’immigrés prennent au sérieux les papiers qui les font Français.

Quel est le rôle du genre  dans ce système de castes ? L’hostilité du discours est dirigée surtout contre ceux qui sont perçus comme les seuls sujets, les hommes. Les femmes sont exemptes des stéréotypes les plus négatifs. La “ beurette ” est gentille (Guénif-Souilamas 2000), par opposition à son frère, le mauvais garçon ou le garçon arabe, c’est la même chose comme le dit Nacira Guénif (Guénif-Souilamas et Eric Macé 2004). Cela explique qu’elles ont un dilemme encore plus difficile à résoudre que les hommes. Soumises au double bind de l’intégration : examen sans chance de réussite, les femmes font l’objet, de surcroît, d’une injonction subliminale. En effet, les gentilles beurettes sont  plus plaintes que blâmées. Elles sont  plaintes d’être les femmes de ces hommes-là, de ces garçons et pères arabes. On les invite à les abandonner. Certaines obéissent, elles quittent leur famille, leur quartier, et se retrouvent isolées. Car la société franco-française  utilise alors le premier volet du double bind ; elle cherche et trouve en elles – dans leur nom, dans la forme de leur visage ou dans leur accent — la différence qui est  la marque de l’infériorité  essentielle de l’être, la ‘tache humaine’. Ainsi sont-elles prises, comme l’explique Christelle Hamel (2003a), entre d’un côté le sexisme réel de leur milieu –un sexisme exacerbé par le contre racisme, c’est-à-dire la revendication par les garçons du machisme qu’on leur reproche—, et de l’autre la volonté de la société dominante de capturer les femmes de ceux que l’on voit toujours comme des ennemis.

C’est dans ce contexte que naissent les “ affaires du foulard ”, en 1989, en 1994 (Gaspard et Khosrokhavar 1995), et celle de 2003 qui a culminé avec la “ loi contre le voile ” (Bouamama 2004). On ne peut comprendre ces affaires, on ne peut comprendre que la vindicte publique vise des élèves qui ne posent aucun problème aux professeurs si on ne comprend pas le rôle éminent du genre dans le système de castes.

On a vu que  le Maghrébin, l’Arabe, l’Africain, sont caractérisés dans l’idéologie coloniale par leur rapport aux femmes, et que la stratégie coloniale consiste à condamner cette culture en tant que particulièrement sexiste, dans le même temps qu’en bonne logique patriarcale, elle essaie d’en capturer, au moins symboliquement, les femmes.

On peut mesurer la réalité de ce désir non-dit à l’aune de la joie nationale quand des beurettes dénoncent leurs hommes, par exemple, lors de la mise en lumière des  « tournantes ». Or les viols collectifs, qui ont existé de tout temps, n’ont jamais fasciné le public, et on n’en entend  jamais parler, pas plus  que du viol en général (Hamel 2003b). Mais quand cela se passe dans les banlieues, chez des descendants de Maghrébins, la France entière fait mine de découvrir un phénomène inconnu jusqu’alors dans l’hexagone. Et elle profite de la différence décrétée des Arabes pour tuer dans l’œuf toute velléité de reconnaître et de combattre sa  barbarie sexiste et purement autochtone. Elle utilise pour cela un raisonnement biaisé : si cela se passe chez eux, qui sont différents, c’est bien la preuve que cela ne se passe pas chez nous. Ce sophisme permet de faire d’une pierre deux coups : non seulement on condamne les  « autres », mais surtout  on s’auto absout du péché dénoncé (Delphy 2004).

Il faut ici parler des raisons pour lesquelles, à mon sens, la vue de quelques foulards plonge la France dans ce qu’Emmanuel Terray (2004) appelle une “ hystérie politique ”.

Le colonisé méritait d’être colonisé, parce qu’il n’était pas civilisé : avait une culture barbare soutenue par une religion barbare, et cette barbarie était prouvée par son traitement des femmes. Les femmes, victimes de leurs hommes, ce qui n’est pas le cas chez les civilisés qui n’en tuent que 6 par mois (au moins), étaient donc les alliées naturelles des colonisateurs, si seulement elles voulaient bien se rallier. Si elles se ralliaient, à la fois on privait les hommes de leur plus grand soutien, et on validait la thèse de leur barbarie de genre. Cet espoir  continue d’exister chez les Français qui traitent les immigrés comme des colonisés, et les enfants des colonisés comme des immigrés. En réalité, les femmes comme les hommes  sont racisées : discriminées, humiliées tous les jours. L’apparition de femmes portant foulard choque les Français, ont répété à l’envi politiques, journalistes et militants laïques, parce qu’ils sont attachés à l’égalité des sexes. Un lecteur du bulletin de la LDH a même écrit que “ le foulard ouvre une brèche dans l’égalité des sexes ”. C’est ainsi que j’ai appris que  l’égalité des sexes existait  en France.  Mais trêve de plaisanteries. Je ne crois pas que les Français soient choqués par un manquement à quelque chose qui n’existe pas, et dont ils n’ont pas très envie que cela existe. Ils sont « agressés »–dixit Chirac—certes : l’apparition de ces femmes en foulard met à mal des espoirs non-dits car irrationnels. En effet, d’un côté ils refusent de vivre avec des descendants d’Arabes, mais de l’autre ils ne peuvent pas les jeter à la mer. Mon hypothèse est que  devant ce dilemme insoluble, il s’est formé dans leur imaginaire un dessein : prendre les femmes, les prendre même pour épouses, comme l’annonçait il y a une dizaine d’année Emmanuel Todd (1997), et puisque les femmes ne sont que des réceptacles de la semence des hommes, ainsi dissoudre la “ race ”. Ce dessein, informulé parce qu’inconscient en France, a été la base de politiques publiques mises en œuvre dans d’autres pays racistes. Le Brésil par exemple, a eu dans les années 50 une politique explicite d’encourager les mariages mixtes pour ‘blanchir’ la population.

Or le foulard dit aux Franco-français  que leur rêve de diviser les descendants d’immigrés selon des lignes de genre est tombé à l’eau. Que ces femmes ne renieront pas leurs pères, leurs frères, leurs époux. Ensuite, qu’elles ne croient plus à l’image de la beurette émancipée, gagnante ; qu’elles savent qu’elles subissent le même racisme que les hommes. Si le foulard provoque des réactions aussi fortes et apparemment disproportionnées, c’est qu’il est un message fort aussi, qui ressemble à un cauchemar, et qui s’appellerait : “ Refoulé, le retour ”.

Ce sont en effet les effets de la discrimination patente qu’elle exerce qui  sont renvoyés  en boomerang à la société. Le foulard  dit à cette société : “ Vous nous avez parquées et marginalisées, vous nous dîtes différentes, eh bien voyez : maintenant nous sommes différentes ”.  La femme “ voilée ”, c’est Alien qui débarque chez nous. Mais Alien ne met pas en cause que le “ modèle français d’intégration ”. Alien provoque le malaise parce que sa seule présence fait voir tout à coup ce que nous appelons la  « libération sexuelle » pour ce qu’elle est : l’obligation pour toute femme, à tout moment, d’être « désirable ». Or les femmes portant foulard contreviennent à cette obligation. Comme le remarquait dans une interview Samira Bellil quelques mois avant de mourir, l’obsession des uns de nous voiler n’a d’égale que l’obsession des autres de nous dénuder. Ces deux obsessions ne sont que deux formes symétriques  de la même négation des femmes : l’une veut que les femmes attisent le désir des hommes tout le temps, tandis que l’autre leur interdit de le provoquer. Mais dans les deux cas le référent par rapport auquel les femmes doivent penser et agir leur corps reste le désir des hommes. Ce que le foulard dévoile, c’est que le corps des femmes, dans cette ère prétendument libérée,  n’est toujours pas un corps à soi—un corps pour soi.

De plus, cet Alien rend l’islam visible. Ceci est insupportable aux Franco-français.

L’islam n’a jamais été que toléré en France à condition d’être discret, de préférence en sous-sol. Et voilà que ces gens en sont fiers ! Il y a là quelque chose qui défie le bon sens, en tous les cas le sens dominant. On a vu les mêmes réactions d’incrédulité et d’outrage à propos de la fierté homosexuelle.

La domination est fondée sur la “ tolérance ”, qui est l’inverse de l’acceptation : sur l’idée  que le dominé, l’homo, le musulman, a une pratique, ou un être, ou les deux, qui sont mauvais. On lui permet d’exister quand même, à condition qu’il admette sa mauvaiseté. Or la preuve que le dominé admet sa mauvaiseté, c’est qu’il en a honte. Et la preuve qu’il a honte, c’est qu’il se cache. Quand les dominés  ne se cachent plus, revendiquent leur pratique ou leur être comme équivalents aux autres, ils rompent la règle du jeu, ils brisent le contrat qui leur permet d’exister à l’ombre des dominants. Ceux-ci n’ont alors d’autre choix que de les rappeler à l’ordre, de les remettre à leur place, de leur montrer qui est le patron (Delphy 1997). C’est ce qu’a fait la France avec la loi sur le foulard.

Mais le foulard n’est qu’une escarmouche dans l’offensive menée contre  les  Arabes, les Africains et les Musulmans. Car le système de domination local, le système de castes en France, est maintenant couplé avec la participation à un projet mondial : « la guerre contre le terrorisme » qui est en fait une guerre contre le monde arabo-musulman. Les partisans de la loi ont su habilement relier le port du foulard par des adolescentes à la menace d’ Al Qaïda. Ainsi, le racisme français nécessaire au fonctionnement des castes est potentialisé par le  mythe de la dangerosité du monde musulman. Les attaques contre ce monde ne datent pas d’hier : cela fait longtemps que des essayistes occidentaux le dénoncent comme intrinsèquement incompatible avec la démocratie, les droits humains, la modernité, etc. Dès les années 70, Bernard Lewis présentait la théorie du choc des civilisations, mais ce n’est qu’avec sa version huntingtonienne  qu’elle « prend » véritablement (Gresh 2004). Dans la foulée de leur soutien à la politique expansionniste de l’Etat d’Israël, les USA déclenchent en 1990 une série d’ agressions :  1ère guerre du Golfe, Afghanistan, Irak .

La France participe, quoiqu’elle en dise, à cette entreprise de destruction et de massacres de civils à grande échelle. Et bénéficie sur le plan intérieur de sa rhétorique. Car créer en France un climat où tout Arabe est vu comme un musulman, tout musulman comme un fondamentaliste, tout fondamentaliste comme un terroriste en puissance, a des avantages. En effet, quand on  accuse les Arabes d’être la cinquième colonne d’un complot international, qu’on leur impute à longueur de journée le dessein de remplacer les Codes civils occidentaux par la Sharia (Lepage 2004), il devient quasi-impossible de les reconnaître aussi comme victimes de racisme. On ne peut pas les traiter comme un ennemi intérieur et entreprendre dans le même temps des actions positives en leur faveur. Le bénéfice pour la France est qu’elle échappe ainsi pour le moment au devoir de mettre fin au système de castes.

Avec l’affaire du voile s’ouvre donc le troisième acte de cette tragédie française: au premier acte de l’oppression a succédé le deuxième acte de la rébellion. Le troisième acte c’est la répression de cette rébellion. Le parallèle est frappant entre cette répression des protestations contre l’injustice en France, et la guerre infinie déclarée par les USA au lendemain du 11 septembre 2001.  Sans jamais s’interroger sur sa responsabilité, sur ses torts, partout, l’Occident réagit à la protestation contre l’injustice qu’il cause par la surenchère. Il refuse le dialogue et la négociation, et choisit toujours l’intimidation et la punition pour l’exemple.

Pourtant, le troisième acte, on aurait pu l’imaginer différent, très différent : on pouvait espérer une France recouvrant ses esprits, reconnaissant ses torts passés et présents vis-à-vis des immigrés et de leurs enfants, commençant à les redresser, décidée à éliminer les discriminations raciales ; on pouvait espérer qu’elle s’attèle enfin à démanteler le système patriarcal au lieu d’en nier l’existence ; qu’elle balaie devant sa porte, au lieu de donner des leçons; qu’elle cesse de monter les femmes contre les enfants d’immigrés et ces derniers contre les femmes ; bref qu’elle emprunte enfin, pour difficile qu’il soit, le chemin de l’égalité proclamée sur les frontons de ses mairies depuis deux siècles. Peut-on encore l’espérer et même l’imaginer ? Là est toute la question. Si le troisième acte est mal engagé, la pièce, encore une fois, n’est pas terminée.

L’avenir dira si nous allons vers la solidification du système de castes ou vers sa disparition. Mais cette question ne se règlera pas sur le seul terrain français, car elle est liée à la guerre engagée par les Etats-Unis contre le monde arabo-musulman. Et dans la petite guerre française contre le foulard comme dans la grande guerre américaine, il ne faut pas négliger les facteurs irrationnels, ou affectifs : la culture de l’Occident, et nous sommes occidentaux, quoiqu’on en ait, est une « culture de la suprématie » comme le dit Sophie Bessis (2003 ). Cette culture ressemble à la folie dont les Dieux, disaient les Grecs, affligeaient ceux qu’ils veulent perdre.

Elle est l’origine du deux poids deux mesures que le reste du monde reproche à l’Occident, elle est la raison pour laquelle, au lieu de s’amender, l’Occident persiste et signe, et aggrave son cas ; la spirale oppression-révolte-répression ne cesse de prendre de l’ampleur et de la vitesse.

Devant ce cyclone, la capacité des opprimés à résister est mise à mal, au moins pour le moment. Et on peut craindre que leur patience ne soit à bout, et qu’ils ne désespèrent de l’efficacité de protestations pacifiques et légales devant le rempart dressé par le mélange de démesure, de volonté de domination, d’inconscience et d’arrogance, bref par la hubris  qui caractérise les rapports actuels de l’Occident avec le reste du monde.


Christine Delphy


Références

Beaud S. et Pialoux M. 2003. Violences urbaines, violences sociales. Paris : Fayard.

Bessis Sophie 2003. L’Occident et les autres. Paris : La découverte.

Bouamama Saïd 1994. Dix ans de marche des Beurs, Chronique d’un mouvement avorté. Paris : Desclée de Brouwer.

Bouamama Saïd 2004. L’affaire du foulard islamique, la production d’un racisme respectable. Paris : Le Geai bleu.

Clancy-Smith Julia 1996. “La femme arabe” in Sonbol A. Women, the Family and Divorce Laws in Islamic History. Syracuse : Syracuse University Press.

Norman Daniel 1993. Islam et Occident. Paris : Editions du CERF.

Delphy, Christine 1997. “ L’universalisme républicain contre les mouvements homos”, Politique la revue, n°5, juillet.

Delphy Christine 1998. « La transmission héréditaire » in L’ennemi principal (tome 1) : économie politique du patriarcat. Paris : Syllepse.

Delphy Christine 2001. «  Critique de la raison naturelle » in L’ennemi principal (tome 2) : penser le genre. Paris : Syllepse.

Delphy Christine 2004. “Une affaire française”, in Nordman Ch. Le foulard islamique en questions. Paris : Amsterdam.

Fanon Fanon 1959. « L’Algérie se dévoile » in L’an V de la révolution algérienne, recueil de textes réédité aux Editions La Découverte et Syros, pp.16-50.

Gadant Monique 1995. Le nationalisme algérien et les femmes. Paris : l’Harmattan.

Gaspard F. et Khosrokhavar F. 1995. Le foulard et la République. Paris : La Découverte.

Geisser Vincent 2003. La nouvelle islamophobie. Paris : La découverte.

Goffman Erving  1976. Stigmates : les usages sociaux des handicaps. Paris

Gresh Alain. 2004. L’islam, la République et le monde. Paris : Fayard.

Guénif-Souilamas Nacira et Eric Macé 2004. Les féministes et le garçon arabe. Paris : L’aube.

Guénif-Souilamas Nacira 2000. Des beurettes. Paris : Grasset.

Hamel Christelle 2003. « L’intrication des rapports sociaux de sexe, de « race », d’âge et de classe : ses effets sur la gestion des risques d’infection par le VIH chez les Français descendant de migrants du Maghreb ». Paris/ Thèses, EHESS.

Hamel Christelle 2003. « ‘Faire tourner les meufs’ : les viols collectifs dans les discours des médias et des agresseurs », Gradhiva, 33, 85-92.

Khosrokhavar Farad 1997. L’islam des jeunes. Paris : Flammarion.

Lepage Corinne 2004. « Retrouver les valeurs républicaines », Respublica, (journal en ligne) 23 avril.

Simon Patrick 1997. « La statistique des origines : l’ethnicité et la « race » dans les recensements aux Etats-Unis, Canada et Grande-Bretagne ». Sociétés contemporaines n° 26, pp.11-44.

Terray Emmanuel 2004. « Une hystérie politique » in Ch. Nordmann,  Le foulard islamique en questions. Paris : Amsterdam.

Todd Emmanuel 1997. Le destin des immigrés. Paris : Seuil.

Tribalat Michèle 1995. Faire France. Une enquête sur les immigrés et leurs enfants. Paris : La Découverte.

Tripier Maryse 1999. « De l’enjeu des statistiques ‘ethniques’ ». Hommes et migrations, n°1219, pp.27-31.

--------------------------------------------------------------------------------


[1] Conférence donnée au Congrès Marx le 2 octobre 2004. Publié dans Guerre impériale, guerre sociale, Jacques Bidet (dir.), Paris : PUF, 2005.


[2] A partir de 1947, le statut de l’indigénat est aboli dans toutes les colonies, et le droit de vote  est accordé aux ex-indigènes–aux hommes seulement pendant plusieurs années; mais les colons obtiendront qu’ils votent dans un collège séparé ; ainsi les ex-indigènes d’Algérie deviennent les « Français musulmans » tandis que les ex-Français d’Algérie deviennent les « Français de souche européenne » dont le vote vaut celui de cinq musulmans.
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Message  iztok Mer 7 Aoû - 14:38

sylvestre a écrit:
iztok a écrit:En tout cas une réponse détaillée de Josette Trat qui revient sur certaines fausses informations/interprétations et contre-vérités contenus dans cet "essai" :
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article27144

 Oui, enfin sur ce qu'elle dit être des fausses informations, etc. puisque tu ne l'as pas lu.

effectivement je ne l'ai pas lu, je n'ai "que" lu la critique de josette tratt, des débats entre camarades sur cette question, mais je n'ai pas lu ce livre.
Je vais peut-être faire preuve de malhonnêteté intellectuelle, mais ce livre ne me donne vraiment pas envie d'être lu, surtout en voyant qui sont ses deux auteurs et tout leurs autres délires sur l'homosexualité. N'ayant pas énormément de temps, je préfère me consacrer à d'autres lectures que je considère plus intéressante.
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Message  verié2 Mer 7 Aoû - 19:17

J'ai écouté l'interview dont Sylvestre a fourni le lien. Les propos des auteurs m'ont semblé plus nuancés que la critique de Josette Tratt ne le laisse penser - mais je n'ai pas lu le livre non plus...

il est clair que les auteurs dénoncent des phénomènes réels, notamment la façon dont des féministes se sont emparées de l'affaire du voile et se sont laissé instrumentaliser. Il est clair que, dans le cas de NPNS, le voile est devenu la marchandise principale voire unique d'une boutique quasiment vide. Dans cet interview, les auteurs semblent renvoyer dos à dos ceux qui préconisent une organisation séparée des femmes "non blanches" et ceux qui font disparaître l'oppression spécifique subie par ces femmes dans l'oppression générale de l'ensemble de la classe ouvrière. Mais on ne voit pas trop ce qu'ils proposent eux-mêmes.

verié2

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Message  Invité Jeu 8 Aoû - 12:43

verié2 a écrit:J'ai écouté l'interview dont Sylvestre a fourni le lien. Les propos des auteurs m'ont semblé plus nuancés que la critique de Josette Tratt ne le laisse penser - mais je n'ai pas lu le livre non plus...

il est clair que les auteurs dénoncent des phénomènes réels, notamment la façon dont des féministes se sont emparées de l'affaire du voile et se sont laissé instrumentaliser. Il est clair que, dans le cas de NPNS, le voile est devenu la marchandise principale voire unique d'une boutique quasiment vide. Dans cet interview, les auteurs semblent renvoyer dos à dos ceux qui préconisent une organisation séparée des femmes "non blanches" et ceux qui font disparaître l'oppression spécifique subie par ces femmes dans l'oppression générale de l'ensemble de la classe ouvrière. Mais on ne voit pas trop ce qu'ils proposent eux-mêmes.

indigenes-republique a écrit:Extrait de Les féministes blanches et l’empire de Félix Boggio Éwanjé-Épée et Stella Magliani-Belkacem (La fabrique éditions, octobre 2012)
Lire l'article

le monde a écrit:Les Femen, un féminisme de type néocolonial


Elles ignoraient également le fait que leur propre existence affectait celle des femmes vivant dans d'autres pays et sur d'autres continents. Beaucoup de féministes de la première heure, par exemple, étaient incapables de voir comment l'impérialisme et le colonialisme de leurs gouvernements ruinaient la vie des femmes vivant dans d'autres parties du monde. En fait, de nombreuses féministes occidentales prirent une part active au processus colonial en voulant "civiliser" et "moderniser" les femmes des pays arabes et africains. Pour elles, le féminisme signifiait que ces femmes arabes et africaines devaient devenir comme elles.
Les Femen, un féminisme de type néocolonial
le monde


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Message  Antonio Valledor Jeu 15 Aoû - 11:25

Le dernier livre de la philosophe américaine Nancy Fraser (*) est un corps à corps avec le « féminisme de la seconde vague ». C’est une proposition théorique pour développer une critique des « politiques d’identité » et des mesures de redistributions qui ont été menées au nom de l’égalité des genres.

http://www.avanti4.be/debats-theorie-histoire/article/nancy-fraser-drame-en-trois-actes-de-la

Antonio Valledor

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Message  Toussaint Mar 3 Sep - 14:11

Dans la libération des femmes, la première étape est la conscience de soi
DE MOND Nadia, COOPER Luke
22 août 2013

Nadia De Mond est une auteure et militante féministe vivant en Italie. Nadia était membre du parti radical de gauche « Sinistra Critica » jusqu’à sa dissolution récente. Elle reste une militante de la Quatrième Internationale (QI) et membre de sa commission femmes. Lors du Camp international de Jeunes 2013 organisé par la QI, Luke Cooper s’est entretenue avec elle du rôle de la théorie et de la pratique féministes dans le renouveau du marxisme.


Luke Cooper – Qu’apporte le féminisme au récit marxiste classique sur l’oppression des femmes ?

Nadia De Mond – Tout d’abord, le féminisme signifie prendre conscience de la place des femmes dans une société patriarcale. Le patriarcat doit toujours exister en lien avec divers modes de reproduction économique et sociale. A cette époque, dans ce siècle, ça veut dire reconnaître que le patriarcat continue d’exister imbriqué avec le capitalisme néolibéral.

Deuxièmement, le féminisme signifie la libération des femmes, la libération de la moitié du genre humain – et la moitié de la classe ouvrière. C’est donc un outil indispensable dans la lutte pour la libération de l’humanité toute entière. En fait, contrairement à la façon dont c’est normalement perçu dans l’idéologie dominante, le féminisme est un outil pour unir et renforcer les luttes de libération en général.

Le capitalisme, après tout, utilise l’oppression des femmes pour diviser la classe ouvrière. Il profite du patriarcat, structure sous-jacente et préexistante de domination, pour capitaliser sur le travail non-rémunéré des femmes à travers le travail domestique. Si cela devait être payé, cela représenterait un énorme fardeau économique. Le capitalisme utilise donc le patriarcat pour maintenir les niveaux de profit du capital.

L’intersection du capital avec le patriarcat est également utilisée pour diviser la classe ouvrière au niveau idéologique. Les femmes ont tendance à être moins bien payées que les hommes, et donc la moitié de la main-d’œuvre est soumise à une exploitation accrue. Cette oppression et l’idéologie du sexisme créent également une division politique entre les hommes et les femmes, ce qui est bénéfique au capital.

Il faut dire que le féminisme doit aussi être un but en soi. Le patriarcat, la domination masculine, le machisme, etc., sont beaucoup plus anciens que le capitalisme.

Depuis le début de l’Histoire écrite, c’est à dire depuis près de 10.000 ans, il y a eu des relations patriarcales entre les hommes et les femmes : dans la famille, dans la société, dans l’espace public. Tenter d’abolir cette oppression, la domination et la dévalorisation des femmes – qui constituent la moitié de la société humaine – est un long et dur combat.

Depuis la vague féministe qui a commencé dans les années 1960, on peut dire qu’il y a eu un divorce entre les mouvements féministes et marxistes. Quelles sont les conséquences du divorce, selon toi, et proposes-tu une réunification de ces mouvements ?

Oui, c’est ce que je propose, d’un côté, mais ça ne veut pas dire qu’on n’a pas besoin d’un mouvement féministe autonome. On en a besoin, justement. Mais il doit y avoir une alliance, c’est certain. Il n’y a pas qu’un seul féminisme ; il existe diverses théories et aussi diverses pratiques féministes. Mais, de manière générale, le féminisme de la deuxième vague des années 1960 et 1970 s’est développé dans le contexte d’une révolte générale contre la société dans laquelle nous vivons. La deuxième vague féministe est née d’une période de radicalisation politique et était donc très étroitement liée à « la gauche », disons, en général.

Une séparation a eu lieu parce que, très souvent, le féminisme a été vu par les mouvements de classe comme une divergence avec ce qu’ils considéraient la contradiction primaire dans la société capitaliste, c’est à dire la contradiction de classe. Seuls les féministes socialistes ont réussi à faire le lien entre l’oppression de classe et l’oppression sexuelle. Une partie du mouvement féministe en avait tellement marre d’être reléguée à une question secondaire qu’elle a rompu avec la gauche, en disant : « Ok, la gauche et la droite sont les mêmes » et « le patriarcat est partout » – ce qui n’est pas tout à fait faux, mais ce n’est pas pareil partout (c.-à-d. dans la gauche radicale, à droite, etc.) – et cette partie du mouvement féministe a choisi de rompre avec la gauche et de poursuivre son propre chemin.

Donc il y a eu cette scission, mais il est important de reconnaître qu’il y a toujours eu une partie du mouvement féministe qui a essayé d’actualiser le marxisme et de l’intégrer dans les hypothèses théoriques du mouvement féministe, et vice versa. Ce n’est pas impossible, puisque Marx et Engels ont eu beaucoup d’intuition sur le rôle des femmes dans la société. Ils n’étaient pas féministes avant la lettre, bien entendu – cela aurait été très difficile. Mais ils n’étaient pas aveugles sur la question de l’oppression des femmes, comme le pensent certains. Nous pouvons donc nous appuyer sur quelques concepts marxistes, tels que l’oppression sociale en tant que question matérialiste, l’existence d’une division injuste du travail, l’espace économique pour les femmes dans la société et la famille, et ainsi de suite. Ces concepts sont toujours très valables.

Nous devons miser sur ces connaissances pour développer une compréhension plus intime et plus intériorisée ou subjective de l’oppression des femmes, ce que nous appelons aujourd’hui les questions de politique de genre, comment les gens sont socialisés dans différents rôles de genre, et la question de la normativité hétérosexuelle. Ces élaborations sont apparues au XXe siècle et ne pouvaient pas faire partie de l’œuvre de Marx et Engels.

Tu as parlé d’Engels et nous pourrions discuter de son célèbre texte L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat. Où te situes-tu intellectuellement et théoriquement par rapport à ce travail ? Et considères-tu que l’intégration de la pensée féministe dans le marxisme représente un rejet plus profond des articulations économicistes ou vulgaires de la vision matérialiste historique du monde ?

Exactement, je pense qu’il y a de telles implications. Tout d’abord, sur ce texte d’Engels, il est important de dire qu’il en avait discuté avec Marx et, même s’il l’a écrit après la mort de Marx, il peut sans doute être considéré comme une élaboration de leurs deux visions du monde. Ils se fondent sur le travail anthropologique de l’époque, du XIXe siècle, et concluent qu’il y a eu une phase initiale de matriarcat dans ce qu’ils appellent « les sociétés communistes primitives ». Par la suite on a prouvé que c’était faux – si par « matriarcat » on entend que le pouvoir politique et social était aux mains des femmes, donc « matriarcat » dans le sens strict du terme. Mais, d’un autre côté ils n’avaient pas tout à fait tort parce que – même si ça fait encore débat – de nombreux anthropologues croient maintenant que bien qu’il n’y ait pas eu un matriarcat en tant que tel, d’une manière générale les relations de pouvoir entre les hommes et les femmes étaient beaucoup moins hiérarchiques qu’elles ne le deviendraient plus tard dans d’autres sociétés.

Donc la méthode d’analyse, qui était de voir comment les conditions matérielles de la vie sont indispensables à la construction des rôles de genre, a été une contribution essentielle de Marx et Engels, même si la conclusion concrète sur le matriarcat était incorrecte. Ce dernier était une « limite de l’époque », pour ainsi dire.

Pour la deuxième partie de ta question, oui, le féminisme enrichit le marxisme en analysant l’oppression par le biais de la subjectivité. Dans les années 1970, les féministes ont dit que « le personnel est politique », ce qui signifie que l’oppression sociale passe par un certain nombre d’habitudes psychologiques et inconscientes, réactions et attitudes qui sont profondément ancrées dans la conscience de chaque individu. Une fois que cela est reconnu, ça exclut clairement le genre de marxisme économiciste ou mécanique qui dit qu’une fois l’oppression économique abolie, les femmes seront libérées. Malheureusement, c’est beaucoup plus compliqué que ça, et le féminisme nous donne des outils pour creuser les aspects interpersonnels, psychologiques, inconscients et symboliques de l’oppression sociale.

Comment un mouvement féministe peut-il être construit pour contester les formes multiples par lesquelles l’oppression des femmes est actualisée, et quelles sont les conséquences – par exemple en termes d’autonomie et d’auto-organisation – de la façon dont les mouvements et l’organisation révolutionnaire sont développés et construits ?

Pensez à ce qu’a dit Marx : « L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ». On peut dire ça pour tous les groupes opprimés. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas faire d’alliances, mais le principe d’auto-organisation est enraciné dans l’idée que les plus capables et les plus concerné·e·s par la libération sur une question particulière sont ceux et celles qui la vivent directement. Ces personnes-là ont la force, les notions et les connaissances pour être, potentiellement, les principaux acteurs de leur libération. D’où l’importance de l’auto-organisation. Il y a aussi l’aspect démocratique et l’autonomisation des peuples opprimés en train de briser leurs chaînes.

La première étape dans l’organisation de cette lutte consiste à prendre conscience de soi, à dévoiler la nature précise de l’oppression, lutter contre cette oppression et trouver les outils et le langage pour développer une riposte. C’est la première étape, je pense, pour tout type d’oppression : celle des LGBT, le racisme, tout. Mais ce n’est que la première étape. Si on en reste là, ce qui émerge est une sorte d’involution qui peut faire des dégâts. Notre travail par la suite en tant que féministes socialistes, marxistes, écologistes, antiracistes est d’élargir le discours d’oppression et d’établir des parallèles et des intersections avec l’oppression de classe, l’oppression de race, etc., pour trouver des objectifs communs et des points de rencontre. Ce n’est peut-être pas toujours possible, mais il faut chercher ces points de rencontre pour autonomiser chaque mouvement. Le rôle d’un groupe politique, un parti, etc., est de faciliter cette rencontre.

Tu parles du rôle d’un groupe politique. Au camp cette semaine, le sérieux avec lequel la QI aborde la question du féminisme, de l’autonomie et de l’oppression des femmes m’a épaté. Le résultat de cet engagement c’est le nombre de jeunes femmes activistes présentes ici. Quelles sont les origines de l’engagement de la QI avec la théorie et la pratique féministe ?

Dans les années 1970, plusieurs de nos sections et de nos camarades femmes étaient aussi dirigeantes du mouvement autonome des femmes, ainsi que du mouvement de libération gay. Dans la Quatrième Internationale nous avons eu des discussions politiques très profondes sur notre théorie et notre pratique, et ces discussions ont produit l’un des principaux documents dans notre tradition – Pas de féminisme sans socialisme, pas de socialisme sans féminisme – qui a influencé toutes nos organisations. On était toujours dans un moment de grande croissance et de succès dans le mouvement pour la libération des femmes, un moment qui a été renforcé par des victoires dans la société au sens large.

Cette tradition a perduré dans la Quatrième Internationale depuis lors, surtout aux camps des jeunes. Ceux-ci ont commencé en 1984 et on est maintenant à la 30e édition. Même lorsque l’engagement avec le féminisme dans les sections nationales était faible dans certains pays, dans certaines années, il y a toujours eu cet espace féministe autonome au camp des jeunes pour garder la tradition.

Lors de ton intervention au camp des jeunes, il y a eu une discussion animée sur le rôle du symbolisme et du leadership féminin dans la société pour faire avancer la lutte pour la libération des femmes. Pourrais-tu nous donner ta position à ce sujet ?

Oui, eh bien c’est une question controversée, parce qu’on pense tout de suite aux pires exemples possibles : Thatcher, Marine Le Pen en France et ainsi de suite. Ma position est qu’on ne peut pas mesurer les conquêtes des droits des femmes dans la société uniquement en termes d’avantages matériels directs ou de « lutte de classe » au sens économique strict. Lorsqu’une femme conquiert un espace important dans la société, en tant qu’écrivain, en tant qu’intellectuelle, en tant qu’artiste, en tant qu’athlète, et oui, aussi un espace politique, on doit considérer ça comme un acquis pour les femmes. Parce que ça rompt avec l’idée dominante – qui est en partie inconsciente et non théorisée, etc. – que les femmes sont des citoyens de seconde classe et l’ont toujours été dans l’Histoire. C’est plus qu’un acquis symbolique, il faut tout de suite assimiler ça à l’analyse de leur position politique et de classe, et à l’effet qu’a la position de l’individu sur la situation sociale et économique des femmes en général. Mais la seule mesure ne peut pas être la situation économique et sociale des femmes, ce qui serait beaucoup trop restrictif. Le rôle du symbolisme doit être reconnu dans notre appréciation de la position sociale des femmes. J’espère que c’est clair.

Oui, c’est tout à fait logique. Et pour creuser un peu plus, quand tu parles du développement d’un mouvement féministe, quel rôle joue la classe, selon toi, dans la construction du mouvement ? Pour donner un exemple concret, j’étais présente lors du Forum social européen d’Istanbul en 2010, où une militante féministe a dit que « si Lehman Brothers avait été Lehman Sisters, il n’y aurait pas eu de crise financière ». Je sais que c’est un argument que tu rejetterais fermement, mais ça met en question la relation entre le féminisme bourgeois et le féminisme socialiste dans le mouvement autonome des femmes.

Oui, bien sûr. En tant que féministes-socialistes, nous devons nous concentrer sur les femmes qui souffrent d’une « double oppression » telles les femmes de la classe ouvrière qui sont opprimées en tant que femmes mais aussi en tant que groupe social. On parle notamment des chômeuses, de celles qui ont du travail précaire, les jeunes femmes, les immigrées etc. On se concentre sur cela. Mais ça ne veut pas dire qu’on ne cherche pas des alliances aussi larges que possible avec le mouvement des femmes plus large. On essaye de formuler des revendications politiques basées sur les besoins des femmes qui subissent une double oppression, mais qui peuvent en même temps résonner dans la société le plus largement possible. Ensuite, on essaye de prendre en compte la manière dont la position des femmes est différente non seulement au niveau de classe, mais en ce qui concerne d’autres oppressions, telle la race. Prenons l’oppression des femmes immigrées, la question du voile (ou hijab), la question de l’exclusion de ces femmes de l’espace public. Nous devons être claires que le sexisme ou le machisme « n’a pas de passeport » et reconnaître que le féminisme a été mobilisé pour opprimer la population immigrée, comme s’il y avait des peuples déterminés ou des couches de la société plus violents contre les femmes, plus chauvins et ainsi de suite. Nous disons « non » à la violence contre les femmes qui est partout, au machisme qui est partout. A partir de leurs besoins – des immigrées, par exemple – nous souhaitons élargir la lutte.

Tu as parlé du voile, et ton argumentation semble avoir des implications particulières par rapport à cette question. Cela a été l’une des questions les plus controversées dans la gauche européenne au cours des dernières années, en particulier en France où on voudrait interdire le voile dans l’espace public. Comment devrait se positionner la gauche radicale sur cette question, selon toi ?

Oui, je sais, et je reconnais que c’est toujours une question très controversée en France. Je tiens à préciser que je n’exprime pas une position officielle de la Quatrième Internationale, mais la mienne uniquement. Ceci dit, je pense que nous sommes d’accord sur ce point dans de nombreux pays.

C’est très compliqué, mais pour simplifier, le voile en soi ne peut pas être vu comme le symbole unique de quoi que ce soit. C’est un vêtement qui peut symboliser différentes choses pour différentes personnes. Exclure une femme parce qu’elle porte le hijab (comme si ce vêtement était une expression de son être plus opprimée que d’autres femmes) ne va pas, c’est une erreur à bien des égards. Le symbole peut signifier beaucoup de choses différentes dans des contextes différents. Ce n’est pas pareil en Tunisie aujourd’hui qu’en Italie, et ainsi de suite. De toute façon, l’émancipation des femmes ne se fait pas par l’exclusion, elle se fait par le dialogue. Je dirais même que l’engagement religieux ou, pour mieux l’exprimer, la foi ou la croyance, ne peut pas être un motif d’exclusion de partis marxistes. On peut être croyante et être en même temps d’accord avec la politique de la gauche radicale. Mais ça doit être analysé concrètement dans chaque situation.

Un concept qui a été utilisé pour faire converger les différentes luttes de libération, peut-être plus dans le monde anglo-saxon, est le concept de l’intersectionnalité. Trouves-tu cette idée utile ?

L’intersectionnalité a été utilisée surtout dans le discours académique, mais oui, on peut formuler la chose de cette façon. Il n’y a pas de priorité unique ou une identité qui prévaut sur les autres dans la même personne. Si vous êtes une femme noire à Londres, en Italie, et ainsi de suite, vous ne pouvez pas dire quelle est l’oppression primaire, ça dépend. Vous ne pouvez pas, de l’extérieur, dire quelle est votre oppression primaire et instruire les gens à agir d’une certaine façon.

Pour conclure, quels sont les principaux problèmes auxquels est confronté le mouvement féministe en Italie pour lesquels tu t’es mobilisée ?

La violence contre les femmes, surtout. Ce n’est pas clair si elle augmente ou si ce sont les dénonciations publiques qui augmentent, mais peu importe : c’est un point de mobilisation très important pour le mouvement. Et, comme je l’ai dit, il est crucial de s’assurer que ce nouveau climat public ne sera pas utilisé par la droite contre les communautés immigrées. Un autre gros point mobilisateur, c’est que nous avons toujours eu un manque de services sociaux en Italie, mais maintenant ce système est en train d’être complètement démonté. Les services sociaux utilisés surtout par les femmes sont menacés, etc. Et le troisième point est l’image des femmes dans les médias et dans la politique en Italie, qui est liée à notre ex-premier ministre Berlusconi, et qui soulève des questions autour du sexe, de l’argent et de la politique. Il s’est propagé une image de la femme en Italie qui ne correspond absolument pas à notre présence dans la société. Cette divergence choquante entre la représentation des femmes dans les médias et la position réelle des femmes en Italie a créé de la colère et de la protestation.

Propos recueillis par Luke Cooper
DE MOND Nadia, COOPER Luke

* Cet article est disponible en version originale sur ESSF (article 29611). Il a été originellement publié en anglais sur http://anticapitalists.org et traduit par Femke Urbain pour la LCR/SAP (Belgique).
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Message  Toussaint Mer 4 Sep - 5:07

http://generoconclase.blogspot.com/
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Message  sylvestre Mer 4 Sep - 11:02

The man who made Femen: New film outs Victor Svyatski as the mastermind behind the protest group and its breast-baring stunts


The Independent a écrit:Lorsque le fondateur des Femen a enfin parlé à Green, il a cherché à justifier son rôle au sein de l'organisation et a reconnu le paradoxe d'être un «patriarche» dirigeant un groupe féministe. «Ces filles sont faibles," dit-il dans le film.

"Elles n'ont pas de force de caractère. Elles n'ont même pas le désir d'être fortes. Au lieu de cela, elles sont soumises, veules, manquent de ponctualité, et il y a bien d'autres facteurs qui les empêchent de devenir des militantes politiques. Ce sont des qualités qu'il était essentiel de leur enseigner ".
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Message  Roseau Mer 4 Sep - 12:16

Toussaint a écrit:http://generoconclase.blogspot.com/
Merci, pas mal du tout!
Y compris illustrations. En voici une
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Message  Roseau Sam 7 Sep - 22:02

http://www.avanti4.be/actualite/article/feminisme-en-marche-pour-changer-le-monde
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Message  Roseau Lun 23 Sep - 20:27

by Evelyn Reed
http://www.internationalviewpoint.org/spip.php?article3129

This article was published in the theoretical review Fourth International,
Volume 15 No.2, Spring 1954, pp.58-66.
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Féminisme - Page 6 Empty Capitalisme, chasse aux sorcières et biens communs

Message  Antonio Valledor Mer 25 Sep - 18:11

" Il y a quelques siècles d’ici, elle aurait été envoyée au bûcher. Féministe infatigable, l’historienne et auteure de l’un des livres les plus téléchargés sur Internet, « Caliban and the Witch : Women, the Body and Primitive Accumulation » (Caliban et la sorcière. Femmes, corps et accumulation primitive. Edition française à paraître aux Editions Senonevero en 2013) nous explique de manière rigoureuse les raisons politiques et économiques qui se cachaient derrière la chasse aux sorcières."

http://www.avanti4.be/analyses/article/chasse-aux-sorcieres-accumulation-primitive

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Féminisme - Page 6 Empty Comment impliquer les femmes ? ( LCR de Belgique )

Message  Vic Jeu 26 Sep - 7:57

http://www.lcr-lagauche.be/cm/index.php?view=article&id=3022%3Alcr-ptb--comment-impliquer-les-femmes-&option=com_content&Itemid=53
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http://emma-en-ligne.forumactif.com/

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Féminisme - Page 6 Empty Féminisme : une profession de foi provie

Message  Antonio Valledor Dim 29 Sep - 17:57

"Le débat politique et médiatique de ces dernières décennies autour de l’avortement s’est accompagné d’une appropriation monopolistique croissante de la défense de la vie par la droite afin de l’opposer de manière habile à la revendication féministe du droit de choisir. Si nous, féministes, nous sommes défendues contre ces accusations sibyllines d’égoïsme et/ou d’infanticide de la part de la machine de propagande de l’Eglise catholique et de ses fidèles profanes, il convient de reconnaître que nos tentatives de remettre en question la défense de la vie en tant qu’instrument exclusif de la droite n’ont jusqu’à maintenant donné que fort peu de résultats. Aussi « anti-choix » qu’ils soient, les anti-choix sont connus par tout le monde comme les « pro-vie » et, aussi pro-vie qu’il soit, le mouvement féministe est toujours identifié comme « pro-avortement ».

http://www.avanti4.be/analyses/article/feminisme-a-l-offensive-une-profession-de-foi

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Féminisme - Page 6 Empty Le féminisme est impertinent… aussi pour la gauche

Message  Antonio Valledor Ven 4 Oct - 9:56

Ce n’est pas le seul exemple. Les « trahisons », les rendez-vous ratés et les affrontements entre le féminisme et les mouvements progressistes et de gauche font partie de l’histoire."


http://www.avanti4.be/analyses/article/le-feminisme-est-impertinent-aussi-pour-la

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Féminisme - Page 6 Empty Flora Tristan et Karl Marx

Message  Roseau Sam 12 Oct - 21:29

par Maximilien Rubel (1905-1996) historien du socialisme,
spécialiste de Karl Marx, et militant pour un socialisme des conseils ouvriers.
L’Encyclopédie politique et historique des femmes parue en 1997,
à laquelle il a participé, lui est dédiée.
Cet article est paru dans la revue La Nef n° 14, en janvier 1946, et n’avait jamais été réédité depuis.
Critique sociale vient de publier ce texte sur son site et en brochure

http://www.critique-sociale.info/files/2013/09/Flora-Tristan-et-Karl-Marx.pdf

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Féminisme - Page 6 Empty Le travail précaire d’un point de vue féministe

Message  Antonio Valledor Lun 14 Oct - 10:46

L’extension des formes de travail précaire s’est accélérée avec la crise capitaliste. Le travail précaire est un concept central dans les discussions autour de la réorganisation capitaliste du travail et des rapports de classe dans l’économie globale actuelle. La féministe Silvia Federici analyse ici les limites et le potentiel du concept de « précariat » élaboré par des théoriciens marxistes autonomistes tels que Tony Negri et Michael Hardt et qui comprennent ce concept comme un instrument analytique et organisationnel. Elle soutient également que le travail reproductif est un continent oublié du travail et de la lutte que le mouvement anticapitaliste doit reconnaître dans ses tâches politiques. Ce texte est une retranscription d’une conférence donnée par Silvia Federici en octobre 2006 à New York (Avanti4.be)

http://www.avanti4.be/debats-theorie-histoire/article/le-travail-precaire-d-un-point-de-vue-feministe

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Féminisme - Page 6 Empty Re: Féminisme

Message  Toussaint Ven 18 Oct - 10:15

Clivages féministes : du voile à la prostitution

jeudi 26 septembre 2013, par Coordination contre le Racisme et l’islamophobie



Première partie d’un entretien avec la sociologue féministe Christine Delphy


Auteure de plusieurs textes analysant le sexisme et le racisme qui ont présidé aux lois contre le port du foulard (2004) et du voile (2010).

En 2003, elle est l’une des signataires de la pétition « Un voile sur les discriminations » (Le Monde, 17 décembre 2003), et l’une des fondatrices du Collectif des féministes pour l’égalité (CFPE).

En juin dernier, ce collectif a dénoncé les agressions contre les femmes voilées et le silence des autres féministes.

Sylvia Duverger. Dans les textes rassemblés dans Classer, dominer, Qui sont les autres ? (La Fabrique éditions, 2008), vous avez montré comment la société française produit des « autres » qu’elle discrimine - femmes, noir.es et arabes, homosexuels et lesbiennes.

Les femmes portant un foulard ou un voile sont doublement altérisées : elles demeureraient, dit-on, assujetties au patriarcat islamique tandis que les compagnes des hommes blancs – ces êtres humains paradigmatiques – se seraient libérées de toute emprise masculine.

Le port du voile intégral est sanctionné depuis 2011 dans l’espace public en France – les gares, squares, magasins, etc., même la rue, en fait partout sauf dans les maisons privées –, mais celles qui en ont fait le choix – et c’est semble-t-il le cas de la majorité des Françaises qui revêtent un niqab ou un sitar [1] –, refusent d’y renoncer. Comment expliquez-vous cette résistance ? Pourrait-elle s’interpréter comme une visibilisation de l’altérisation et des discriminations ?

Christine Delphy. Le port du voile intégral est un phénomène très récent. Il est pratiqué par une population différente de celle qui porte le foulard. D’abord, elle est infiniment plus petite que la seconde. Ensuite elle est plus jeune. Enfin, elle est composée, au moins pour un tiers, de femmes qui ne sont pas descendantes de colonisé.es, par des « Françaises de souche » – ce qui est un euphémisme pour « Blanches » [2] ; des femmes donc qui étant classées par la population dominante comme faisant partie d’elle-même, ne sont pas atteintes par le stigmate raciste, ne sont pas « altérisées ».

On a donc affaire à une variété de situations, et partant, de motivations personnelles possibles.

Le contexte historique cependant est le même pour toutes : l’apparition de jeunes femmes nées en France, et citoyennes françaises, portant le niqab, se produit quelques années après l’interdiction du foulard dans les écoles publiques. Avant cette interdiction, on ne voyait pas de « niqab ». Après cette interdiction et l’exclusion de nombreuses jeunes filles des lycées et collèges, on voit le port du foulard, de l’objet interdit, non pas diminuer dans la rue, mais au contraire augmenter. Ce qui est une réaction qu’on pouvait attendre au tort fait aux collégiennes et lycéennes. Une réaction classique pourrait-on dire, de la part d’une population dominée, qui n’a pas les moyens politiques et sociaux d’une protestation juridique ou de rue, car elle est en fait – et contrairement à ce qu’on dit de son « communautarisme » supposé – très peu, voire pas, organisée.

Le caractère de protestation du foulard, puis, quand celui-ci est interdit dans les lycées, du niqab, est clair. Cette protestation contre le racisme prend des formes différentes de celle de groupes qui ont des organisations fortes, et peuvent se faire entendre des médias et des dirigeants politiques. Le racisme subi n’est souvent même pas invoqué parmi les raisons données par les individues de leur nouvelle façon de se vêtir.

Car l’exclusion, la discrimination, la marginalisation, ne sont pas vécues directement comme telles par les individues. Ce qui est ressenti, ou en tous les cas invoqué, c’est un besoin de spiritualité, et de réunion avec d’autres personnes sur la base de ce besoin, vécu comme une nécessité individuelle. On retrouve ce processus chez les adeptes des « nouvelles » religions : les versions « évangéliques » du christianisme, par exemple, dont la croissance extraordinaire est due à l’adhésion des pauvres et des exclu.es, et ceci dans le monde entier. Adhérer à une religion elle-même dévalorisée – que ce soit les églises chrétiennes mal notées, voire persécutées ou traitées de sectes, ou l’islam – est une façon indirecte de se reconnaître soi-même comme mal noté ou persécuté. Chez les populations de tradition chrétienne, comme en Europe, en Amérique du Sud et du Nord, ou par exemple dans certaines parties christianisées de l’Indonésie, ce sont les formes dominantes de la religion qui sont ainsi rejetées : l’Église catholique, ou les formations protestantes traditionnelles, qui sont liées aux puissants. Chez les populations d’origine immigrée, et surtout chez les descendants d’anciens colonisés dont la majorité étaient musulmans et qui vivent en Europe, on rejette un islam ritualiste et tiède, associé à ce qui est perçu comme un manque de combativité des parents, en faveur d’un islam intellectuel et exigeant ; et du même coup on met en cause, par la pratique, le climat anti-religieux et particulièrement anti-musulman de la société dominante.

Cette réislamisation des jeunes générations n’est pas propre à l’Europe, elle a lieu dans tous les pays, y compris ceux qui sont majoritairement musulmans, pour diverses raisons — mais il faut noter que tous ces pays ont été colonisés par des puissances occidentales, et, dans l’histoire récente, souvent attaqués militairement par ces mêmes puissances. En Europe, la réislamisation devient, tant subjectivement qu’objectivement, une façon de se positionner sur des aspects de la culture qui sont perçus comme faisant partie de la société dominante, blanche ; mais ce ne sont pas forcément les mêmes aspects qui sont refusés par les un.es et les autres. De plus, aucun de ces refus n’est spécifique aux musulman.es. Là où certain.es critiquent une évolution qui érode le rôle central de la famille et la notion de « complémentarité des sexes », ce qui les rapproche des traditionnalistes, notamment catholiques, d’autres critiquent la demande faite aux femmes de se comporter à tout moment de façon séductrice et sexuellement disponible, ce qui les rapproche des féministes. L’hypothèse à la fois la plus globale, car elle s’applique à tous les cas de réislamisation en France, et la plus spécifique, en ce qu’elle est fondée sur la communauté d’oppression de ces descendants de colonisé.es., a été formulée par Farad Khosrokhavar [3]. Il dit en effet que, se sentant rejeté.es et exclu.es de la communauté nationale par les discours et les pratiques racistes qui les traitent à jamais comme des étranger.es, certain.es de ces jeunes Français.es choisissent alors de se rattacher à « l’oumma », la communauté universelle des Musulman.es.

Clivages féministes : du voile à la prostitution

SD. Parmi les raisons de porter un foulard ou un voile, certaines consonnent avec le féminisme, qui dénonce la constitution des femmes en objets sexuels. Néanmoins, celles d’entre les féministes qui défendent les droits de circuler, d’étudier et de travailler des porteuses de foulard ou de voile intégral sont, me semble-t-il, plutôt des féministes « pro-sexe » que des féministes radicales, abolitionnistes et anti-pornographie. Comment analysez-vous ces paradoxes ?

C.D. Cette division existe bien en ce moment dans le féminisme, en France et dans certains pays francophones influencés par la France. Elle n’est pas absolue : certaines féministes, dont je fais partie, sont à la fois contre les lois discriminatoires qui retirent les libertés fondamentales aux musulmanes, et « abolitionnistes ».

L’abolitionnisme, c’est le projet d’une société sans prostitution, mais ce n’est en aucune façon la volonté de s’en prendre aux prostitué.es, bien au contraire. Dans l’analyse qui sous-tend ce projet, la prostitution est conceptualisée comme un des effets du patriarcat. Dans les sociétés patriarcales, les femmes sont des possessions des hommes, qui les utilisent comme ils veulent. Les femmes ne sont pas conçues dans les cultures de ces sociétés comme des sujets, mais comme des ‘compléments’ – des appendices – des hommes ; en d’autres termes, leur seule raison d’être, c’est leur utilité pour les hommes, qui sont vus comme les seuls sujets de la société. Tout ceci est assez bien connu [4].

En revanche, ce qui est mal analysé, c’est le rôle de la sexualité dans l’histoire. La sexualité continue d’être abordée comme quelque chose d’a-social ; les sciences sociales n’ont encore pas fait grand-chose pour la sortir de l’emprise de l’instinctivisme freudien ou du déterminisme darwinien. On voit souvent les formes violentes ou marchandes de la sexualité – le viol, la prostitution – comme une utilisation des femmes au service de besoins des hommes, besoins qui sont posés comme physiques et non pas comme sociaux. On commence à voir, avec les analyses féministes du viol, qu’il n’en est rien. Le viol ne correspond pas à un « besoin » physique, mais à une volonté d’humilier, de rabaisser, de nier l’humain chez les femmes. Dans tous les systèmes de domination, il se crée une idéologie qui justifie la domination : les dominé.es sont des êtres inférieur.es. Mais une idéologie n’est pas quelque chose qui flotte en l’air : elle existe dans les cerveaux, ceux des dominants et ceux des dominé.es. D’autres éléments culturels la modèrent ou la contrebalancent – par exemple l’affection qui peut exister entre personnes de genres différents. Cette idéologie est là, disponible chez tout le monde, mais elle ne débouche pas sur des pratiques chez tout le monde.

Chez certains, cependant, elle prend la forme d’une véritable haine. On trouve cette configuration, de mépris et d’hostilité allant jusqu’à l’agression, dans le racisme aussi ; les récentes agressions contre des femmes portant le foulard et le niqab ont été accompagnées d’injures haineuses.

Le viol, loin de correspondre à une irrépressibilité du « désir masculin » constitue la pointe de l’iceberg de mépris et d’hostilité du groupe dominant pour le groupe dominé, mépris et hostilité qui encore une fois n’existent pas au même degré chez tous les membres du groupe.

La volonté d’acheter les services sexuels d’une femme – ou d’un homme, qui sera traité comme une femme – fait partie du même continuum. Il s’agit de nier l’égalité de l’autre personne, de nier ses désirs (en l’occurrence de nier son absence de désir, qui relève elle aussi de la sphère du désir), il s’agit de la contraindre, dans le viol par la menace et la violence, dans la prostitution par l’argent. Les hommes savent que les femmes ont peu d’argent, et qu’eux en ont plus. En payant une femme (ou un homme), ils démontrent leur pouvoir. Ils pourraient le démontrer autrement : en s’achetant une glace, ou une montre, ou une voiture, que l’autre ne peut pas se payer ; là, en achetant ses services sexuels, pour le prix de trente esquimaux, ils achètent le droit d’humilier cette autre personne. C’est la même démarche – l’utilisation d’une situation de pouvoir pour humilier davantage une personne déjà infériorisée, qui est à la base du harcèlement sexuel.

Alors, s’agit-il de sexualité ? Oui, aussi, car la sexualité, le désir et le plaisir génitaux sont protéiformes : beaucoup de choses les suscitent, beaucoup de choses les satisfont. La sexualité de la prostitution, comme la sexualité du viol, est une forme violente de sexualité ; violences physique, psychologique et symbolique sont mêlées dans des proportions diverses. Là, c’est le tort fait à autrui qui suscite l’excitation sexuelle : ce que Catharine MacKinnon appelle l’érotisation de la domination [5].

SD. Que pensez-vous de l’auto-dénomination « pro-sexe » des féministes qui s’opposent à la stigmatisation de la prostitution et produisent ou consomment de la pornographie [6] ?

C.D Comment dire que les personnes favorables à l’achat de services sexuels sont « pro-sexe » ? Elles ne sont pas « pro-sexe » pour la prostitué.e, car la sexualité de celle-ci, son désir et son plaisir, ne sont pas pris en compte. Au contraire, ils sont niés, et c’est cette négation qui est à la base du désir et du plaisir de l’autre personne : le client. Il est donc abusif de parler de « sexe » ou de « sexualité » comme si ce type d’interaction était « sexuel » pour les deux personnes. Il y a là un mauvais jeu de mots sur « sexuel » : car la sexualité ne désigne pas les organes « sexuels » (aussi appelés « génitaux »), mais le désir et le plaisir.

En outre, cette dénomination « pro-sexe » laisse penser que les abolitionnistes seraient « anti-sexe ». Non : elles et ils ne veulent pas favoriser ou cautionner ce type de sexualité patriarcale, fondée sur la haine, le mépris et l’humiliation d’autrui. Elles et ils pensent qu’il existe beaucoup d’autres formes de sexualité ; le désir peut être suscité, et il est suscité par beaucoup d’autres sentiments que la volonté de dominer. Tout le monde, y compris les clients des prostitué.es, peut trouver ces autres sexualités.

Le pouvoir est-il coextensif à la sexualité ?

SD. D’où vient selon vous la thèse récurrente, et largement médiatisée [7], qui attribue aux hommes des besoins sexuels impérieux ?

C.D. La notion culturelle, largement répandue, que la prostitution est « inévitable » – « obligatoire » dit le chanteur Patrick Bruel [8] – repose elle-même sur l’idée, également culturelle, que la sexualité fonctionne de façon très différente chez les femmes et les hommes ; que le désir des hommes est « irrépressible », doit être satisfait, au moment même où il se manifeste, et satisfait par la copulation avec un autre être humain.

C’est faux, non seulement parce que la moitié de la population – les femmes – n’a pas de telles exigences, et parce que les hommes non plus, dans de nombreuses circonstances et pour de nombreuses raisons, ne peuvent ou ne veulent obtenir ce type de « soulagement ».

Cette idée est liée à une conception des rapports sexuels entre les femmes et les hommes, selon laquelle ces rapports expriment, symbolisent, ou même fondent la domination des femmes par les hommes. Dans le coït hétérosexuel, tel qu’il est interprété, et pratiqué, l’homme « possède » la femme, qui est donc « possédée ».La copulation est vécue comme une victoire sur un.e autre, et parfois même comme une mise à mort symbolique.Cette satisfaction narcissique enivrante est facile à obtenir, et sa poursuite engendre les comportements de chasseurs des hommes à la poursuite de femmes avec qui ils pourront « conclure », et qu’ils appelleront des « conquêtes ».

Le pouvoir est donc intimement lié à la sexualité telle que nous la connaissons dans notre culture patriarcale.

Le pouvoir n’est pas seulement un moyen d’obtenir des rapports sexuels ; la sensation en « baisant » une femme (ou un homme) de vaincre et soumettre un autre être humain, est au cœur de la jouissance patriarcale. Et il est difficile pour certains – la plupart des hommes, mais aussi certaines femmes – de vivre et même d’imaginer des rencontres sexuelles dénuées de rapports de pouvoir. Ainsi, depuis 30 ans, certaines féministes américaines, au premier rang desquelles Gayle Rubin, suivie par Judith Butler, elle-même suivie par le sociologue français Éric Fassin, présentent le pouvoir comme élément essentiel de la sexualité, du désir et du plaisir [9]. Ce qu’il faut souligner, c’est que le pouvoir est considéré dans cette analyse comme faisant partie de la sexualité de façon intrinsèque [10] ; aucune explication du lien postulé entre désir, plaisir et pouvoir n’est proposée. Une rencontre sexuelle d’où le pouvoir est absent est considérée dans cette approche comme « a-sexuelle » [11] . Ce n’est pas seulement que tout rapport avec le pouvoir économique et politique détenu par les groupes dominants est passé sous silence ; c’est plus généralement la structure sociale qui est volontairement ignorée. Ces auteur.es, sociologues et philosophes de grande culture, qui admettent le caractère construit de la domination masculine, et du genre, excluent sans autre forme de procès la sexualité de cette construction ; ils et elles refusent d’admettre que la rencontre « sexuelle » est comme toutes les interactions un comportement social donc construit. Au contraire, elles et ils adoptent sur ce sujet une vision anti-constructiviste et essentialiste. La sexualité dans leurs écrits est traitée comme indépendante de la culture et de la société ; elle aurait un lien ontologique – naturel, pré-social – avec le pouvoir.

Cette exclusion des pratiques et des idéologies qui se rapportent au désir et au plaisir du champ des pratiques sociales n’est jamais justifiée. C’est de façon implicite que ces auteur.es font l’hypothèse qu’il n’y a aucun rapport entre la domination dans la sexualité et la domination générale des femmes dans les sociétés patriarcales et qu’elles/ils adoptent sur ce sujet une approche naturaliste. Cet implicite est en contradiction flagrante avec leurs positions constructivistes affichées par ailleurs.

S.D. Mais les féministes queer qui assument l’héritage foucaldien, Gayle Rubin et Judith Butler, notamment, ne sont-elles pas, tout au contraire, les dernières à pouvoir accréditer la fable d’une sexualité qui serait pré- ou a-sociale, et comme un empire dans un empire ? Si la sexualité est une pratique sociale, comment pourrait-elle ne pas être traversée par du pouvoir [12] ?

C. D. Elles ne disent pas qu’il n’y a pas de pouvoir, elles disent que ce pouvoir-là n’est pas relié au pouvoir dans la société, elles voient la sexualité comme une enclave – évidemment elles ne le disent pas, elles ne disent pas non plus que la sexualité est pré ou a-sociale, mais, comme Fassin, ce qu’elles en disent revient à cela. Elles l’expriment en disant que blâmer ou proscrire les pratiques sadomasochistes revient à brimer la sexualité elle-même. Quant à Foucault, il était tout à fait séduit par le modèle de la Grèce antique ; or les éphèbes tant célébrés y étaient des adolescents utilisés sexuellement par les hommes adultes, mais cet aspect d’utilisation ne choque pas Foucault. Le pouvoir, dans la sexualité, ne le dérangeait pas, et il disait que rien de sexuel ne devait être pénalisé. Dans cette définition implicite du « sexuel », seul le désir et le plaisir des dominants (par le genre ou la situation sociale) comptent [13].

[1] Voir les enquêtes sociologiques menées sur les porteuses de voile intégral par Agnès De Féo et Maryam Borghée (Voile intégral en France, sociologie d’un paradoxe, Paris, Michalon, 2012) ; voir ici le témoignage de Hind Ahmas, recueilli par Agnès de Feo, et le documentaire également réalisé par Agnès De Féo en 2012, « Niqab hors la loi ».

[2] Voir Christine Delphy, « Les Uns derrière les autres » in Classer, dominer. Qui sont les « autres », Paris, La fabrique éditions, 2008, pp. 7-52.

[3] Voir L’islam des jeunes, Paris, Flammarion, 1997.

[4] Voir Christine Delphy, L’ennemi principal. Tome 1 : économie, politique du patriarcat, Paris, éditions Syllepse, 2009 et L’ennemi principal. Tome 2 : Penser le genre, Paris, éditions Syllepse, 2009.

Les deux tomes, épuisés, seront réédités en septembre 2013. Une présentation de la nouvelle édition sera faite le 28 septembre par les éditions Syllepse et l’auteure au Lieu-Dit, rue Sorbier, Paris 20e, à 17 heures ; voir aussi C. Delphy, S. Duverger, « La possibilité du don, c’est l’égalité », Revue du MAUSS, n° 39, 2012.

[5] Voir C. MacKinnon, Le Féminisme irréductible, Paris, Des femmes, 2004 et Andrea Dworkin, Pouvoir et violence sexiste, Sisyphe, 2007.

[6] Cette appellation a émergé au cours des années 1980, aux États-Unis, dans le contexte des « sex wars », des guerres du sexe entre les féministes radicales, pour lesquelles la sexualité était le lieu par excellence où s’exerçait la domination masculine et les féministes qui considéraient que la sexualité pouvait être émancipatrice.

[7] Elle a par exemple été développée à plusieurs reprises sur le plateau de Ce soir ou jamais, notamment par le neurobiologiste Jean-Didier Vincent ; émissions du 6 décembre 2011 et le 8 mars 2013.

[8] Le 29 novembre 2012 sur MFM radio, Patrick Bruel, qui est aussi un fervent défenseur de DSK a déclaré : « Je suis tout à fait pour la réouverture des maisons closes. Cela évitera à ces pauvres filles de se geler dans la rue. Ce sont des situations toujours très dangereuses, je pense que ça régulera les choses. (…) Comme la prostitution est absolument obligatoire, autant que ce soit bien, que ce soit clean, que ce soit sympa. » L’interview est réécoutable ici.

[9] Voir, par exemple, « Une éthique de la sexualité », entretien avec Judith Butler, réalisé par Eric Fassin et Michel Feher, Vacarme, n° 22, hiver 2003.

[10] J. Butler dit, dans cet entretien de 2003 : « Je ne voudrais certainement pas vivre dans un monde sans séduction. Et la séduction, cela suppose des stratégies, des manœuvres pour déstabiliser la personne désirée, pour la conquérir ; et encore une fois, c’est très bien ainsi. (…) Pour ma part, j’irais même jusqu’à dire, avec Michel Foucault, que le pouvoir et la sexualité sont co-extensifs ; qu’on ne trouvera pas de sexualité sans pouvoir. Je dirais que le pouvoir est une dimension très excitante de la sexualité. »

[11] Éric Fassin évoque « les expérimentations sexuelles à la fois érotiques et politiques » de la « sous-communauté » lesbienne de San Francisco à laquelle appartient Gayle Rubin. « C’est, estime-t-il, sans doute inverser la logique du féminisme lesbien, qui dans les années 70 proposait aux femmes un entre-soi rassurant, d’une douceur harmonieuse, mais presque désexualisée », « L’avenir sera-t-il queer ? », La Revue du Projet, n° 15, mars 2012 ; extraits de « L’avenir sera-t-il queer  ? », Sciences Humaines n° 163, août-septembre 2005.

[12] (Cette note n’engage que Sylvia Duverger.) Dans « Une éthique de la sexualité », Judith Butler précise notamment que « la sexualité résulte toujours d’une négociation prise dans des forces, sociales et inconscientes, qui parfois se moquent de nos choix. Notre capacité d’agir consiste à nous frayer un chemin parmi des désirs qui sont pour une part contraints, pour une part libres. Notre liberté n’est pas « libre » des conditions sociales. Ce qu’il y a d’humain ici, c’est la négociation même, le fait que nous faisons des choix, qu’il nous faut choisir, même quand notre choix est contraint selon des modalités que nous n’avons pas choisies. »

Pour aller plus loin dans cette direction, voir Lisa Duggan, Nan D. Hunter, Sex wars : sexual dissent and political culture, New York, Routledge, 1995 ; Brigitte Lhomond, « Sexualité », in Dictionnaire critique du féminisme, Paris, PUF, 2004 ; Clarisse Fabre, Éric Fassin, Liberté, Égalité, Sexualités, Paris, 10/18, 2004 ; Gayle Rubin, Surveiller et jouir, anthropologie politique du sexe, Paris, Epel, 2011 ; Raphaël Bourge, « Sex Wars and Queer Theory : le laboratoire pornographique », Magphilo, hiver 2012.

[13] Ainsi que l’ont montré Monique Plaza dans « Nos dommages et leurs intérêts » et Josée Néron dans « Foucault et l’histoire de la sexualité et l’occultation de l’oppression des femmes… », respectivement in Questions féministes, n° 3, mai 1978, republié dans Questions féministes, 1977-1980, Paris, éditions Syllepse, 2012, pp. 364-375 et Nouvelles Questions féministes, volume 17, n° 4, 1996, pp. 45-97. Article consultable sur JSTOR
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Message  Roseau Jeu 21 Nov - 18:12

Mindanao (Philippines) : l’émancipation des femmes concerne aussi les hommes
http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article30373
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Féminisme - Page 6 Empty Féminisme et gauche radicale. Richard Seymour

Message  Antonio Valledor Lun 2 Déc - 20:22

Nous reproduisons ici une traduction de l’interview de Richard Seymour réalisée par des militantes croates pour le journal « ZAREZ ». Richard Seymour est journaliste, militant marxiste, ancien membre du SWP (Socialist Workers Party, l’une des principales organisations d’extrême-gauche en Grande-Bretagne). Il fait partie de la vague de militants qui ont quitté le SWP suite à la gestion désastreuse par cette organisation d’une situation d’abus sexuels par un membre historique à l’encontre d’une militante. Lui et d’autres ont alors formé le groupe International Socialist Network (ISN), dont la préoccupation sur les questions démocratiques, féministes et de fonctionnement interne des organisations fait l’objet d’un débat ouvert et constant. Dans cette interview, Seymour aborde le rapport de la gauche au féminisme et au sexisme, mais aussi la question de la démocratie, de la stratégie et de militantisme de terrain par rapport à la lutte électorale et parlementaire. (Avanti4.be)

http://www.avanti4.be/analyses/article/feminisme-la-gauche-radicale-aujourd-hui-est

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Féminisme - Page 6 Empty Ecran noir sur les femmes

Message  ulrik Jeu 5 Déc - 12:34

http://www.lcr-lagauche.org/ecran-noir-sur-les-femmes/

Les médias ont toujours un rôle ambigu : d’une part ils reflètent la société, de l’autre ils l’influencent. La place des femmes dans les médias est donc tout à la fois révélatrice de la société patriarcale dans laquelle nous vivons, et de l’idéologie dominante qui la conditionne. Découverte d’un outil pour ouvrir les yeux sur la place réservée aux femmes à l’écran : le test de Bechdel.

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Message  Roseau Lun 16 Déc - 11:39

Théorie du genre : contre la tentative pour la diaboliser...
http://npaherault.blogspot.com/2013/12/theorie-du-genre-contre-la-tentative.html
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Message  sylvestre Jeu 19 Déc - 13:31

Une déconstruction sympathique des exposés "scientifiques" tendant à démontrer qu'il est naturel que les hommes cherchent à avoir plusieurs femmes et pas l'inverse : Les femmes aussi sont faites pour avoir plusieurs partenaires
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