En poésie, la parole est libre
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Re: En poésie, la parole est libre
Merci encore une fois et chapeau, si c'est de toi!
Et bravo au FMR!
Pas seulement des attaques personnelles
et le trollage des chargés de com,
mais beaucoup d'infos utiles,
et en bonus de bon goût, vraie poésie, et bonne musique !
Et bravo au FMR!
Pas seulement des attaques personnelles
et le trollage des chargés de com,
mais beaucoup d'infos utiles,
et en bonus de bon goût, vraie poésie, et bonne musique !
Roseau- Messages : 17750
Date d'inscription : 14/07/2010
Re: En poésie, la parole est libre
Pff, le dépit fait parfois écrire de ces âneries !Comme la nouvelle convention est au vers libre, ils s'y sont tous mis. Voilà un siècle que ça dure, cette arythmie. On se risque à peine avec des mots riquiquis, collés les uns aux autres dans des agglutinements narcissiques où le verbe parcimonieux s'autoculte en ayant des frilosités de pensionnaire d'hospice. Tous pareils, grippés, chlorotiques, anémiés. Gnagnagna.
..............
Ce qu’on dit au poète à propos de fleurs
À Monsieur Théodore de Banville.
I
Ainsi, toujours, vers l’azur noir
Où tremble la mer des topazes,
Fonctionneront dans ton soir
Les Lys, ces clystères d’extases !
À notre époque de sagous,
Quand les Plantes sont travailleuses,
Le Lys boira les bleus dégoûts
Dans tes Proses religieuses !
− Le lys de monsieur de Kerdrel,
Le Sonnet de mil huit cent trente,
Le Lys qu’on donne au Ménestrel
Avec l’œillet et l’amarante !
Des lys ! Des lys ! On n’en voit pas !
Et dans ton Vers, tel que les manches
Des Pécheresses aux doux pas,
Toujours frissonnent ces fleurs blanches !
Toujours, Cher, quand tu prends un bain,
Ta chemise aux aisselles blondes
Se gonfle aux brises du matin
Sur les myosotis immondes !
L’amour ne passe à tes octrois
Que les Lilas, − ô balançoires !
Et les Violettes du Bois,
Crachats sucrés des Nymphes noires !...
II
O Poètes, quand vous auriez
Les Roses, les Roses soufflées,
Rouges sur tiges de lauriers,
Et de mille octaves enflées !
Quand Banville en ferait neiger
Sanguinolentes, tournoyantes,
Pochant l’œil fou de l’étranger
Aux lectures mal bienveillantes !
De vos forêts et de vos prés,
O très paisibles photographes !
La Flore est diverse à peu près
Comme des bouchons de carafes !
Toujours les végétaux Français,
Hargneux, phtisiques, ridicules,
Où le ventre des chiens bassets
Navigue en paix, aux crépuscules ;
Toujours, après d’affreux desseins
De Lotos bleus ou d’Hélianthes,
Estampes roses, sujets saints
Pour de jeunes communiantes !
L’Ode Açoka cadre avec la
Strophe en fenêtre de lorette ;
Et de lourds papillons d’éclat
Fientent sur la Pâquerette.
Vieilles verdures, vieux galons !
O croquignoles végétales !
Fleurs fantasques des vieux Salons !
− Aux hannetons, pas aux crotales,
Ces poupards végétaux en pleurs
Que Grandville eût mis aux lisières,
Et qu’allaitèrent de couleurs
De méchants astres à visières !
Oui, vos bavures de pipeaux
Font de précieuses glucoses !
− Tas d’œufs frits dans de vieux chapeaux,
Lys, Açokas, Lilas et Roses !...
III
O blanc Chasseur, qui cours sans bas
A travers le Pâtis panique,
Ne peux-tu pas, ne dois-tu pas
Connaître un peu ta botanique ?
Tu ferais succéder, je crains,
Aux Grillons roux les Cantharides,
L’or des Rios au bleu des Rhins, −
Bref, aux Norwèges les Florides :
Mais, Cher, l’Art n’est plus, maintenant,
− C’est la vérité, − de permettre
À l’Eucalyptus étonnant
Des constrictors d’un hexamètre ;
Là !... Comme si les Acajous
Ne servaient, même en nos Guyanes,
Qu’aux cascades des sapajous,
Au lourd délire des lianes !
− En somme, une Fleur, Romarin
Ou Lys, vive ou morte, vaut-elle
Un excrément d’oiseau marin ?
Vaut-elle un seul pleur de chandelle ?
− Et j’ai dit ce que je voulais !
Toi, même assis là-bas, dans une
Cabane de bambous, − volets
Clos, tentures de perse brune, −
Tu torcherais des floraisons
Dignes d’Oises extravagantes !...
− Poète ! ce sont des raisons
Non moins risibles qu’arrogantes !...
IV
Dis, non les pampas printaniers
Noirs d’épouvantables révoltes,
Mais les tabacs, les cotonniers !
Dis les exotiques récoltes !
Dis, front blanc que Phébus tanna,
De combien de dollars se rente
Pedro Velasquez, Habana ;
Incague la mer de Sorrente
Où vont les Cygnes par milliers ;
Que tes strophes soient des réclames
Pour l’abattis des mangliers
Fouillés des hydres et des lames !
Ton quatrain plonge aux bois sanglants
Et revient proposer aux Hommes
Divers sujets de sucres blancs,
De pectoraires et de gommes !
Sachons par Toi si les blondeurs
Des Pics neigeux, vers les Tropiques,
Sont ou des insectes pondeurs
Ou des lichens microscopiques !
Trouve, ô Chasseur, nous le voulons,
Quelques garances parfumées
Que la Nature en pantalons
Fasse éclore ! − pour nos Armées !
Trouve, aux abords du Bois qui dort,
Les fleurs, pareilles à des mufles,
D’où bavent des pommades d’or
Sur les cheveux sombres des Buffles !
Trouve, aux prés fous, où sur le Bleu
Tremble l’argent des pubescences,
Des Calices pleins d’Œufs de feu,
Qui cuisent parmi les essences !
Trouve des Chardons cotonneux
Dont dix ânes aux yeux de braises
Travaillent à filer les nœuds !
Trouve des Fleurs qui soient des chaises !
Oui, trouve au cœur des noirs filons
Des fleurs presque pierres, − fameuses ! −
Qui vers leurs durs ovaires blonds
Aient des amygdales gemmeuses !
Sers-nous, ô Farceur, tu le peux,
Sur un plat de vermeil splendide
Des ragoûts de Lys sirupeux
Mordant nos cuillers Alfénide !
V
Quelqu’un dira le grand Amour,
Voleur des sombres Indulgences :
Mais ni Renan, ni le chat Murr
N’ont vu les Bleus Thyrses immenses !
Toi, fais jouer dans nos torpeurs,
Par les parfums les hystéries ;
Exalte-nous vers les candeurs
Plus candides que les Maries...
Commerçant ! colon ! médium !
Ta Rime sourdra, rose ou blanche,
Comme un rayon de sodium,
Comme un caoutchouc qui s’épanche !
De tes noirs Poèmes, − Jongleur !
Blancs, verts, et rouges dioptriques,
Que s’évadent d’étranges fleurs
Et des papillons électriques !
Voilà ! c’est le Siècle d’enfer !
Et les poteaux télégraphiques
Vont orner, − lyre aux chants de fer,
Tes omoplates magnifiques !
Surtout, rime une version
Sur le mal des pommes de terre !
− Et, pour la composition
De Poèmes pleins de mystère
Qu’on doive lire de Tréguier
À Paramaribo, rachète
De Tomes de Monsieur Figuier,
− Illustrés ! − chez Monsieur Hachette !
Alcide Bava.
A(rthur) R(imbaud),
14 juillet 1871.
Dernière édition par Babel le Mer 8 Mai - 18:56, édité 4 fois
Babel- Messages : 1081
Date d'inscription : 30/06/2011
Re: En poésie, la parole est libre
D'accord, mais il faut que tu saches que ça me plait,
et je dois pas être le seul.
Merci aussi pour Michaux.
J'écouterai prochainement, dans la compagnie de la nuit,
un verre à la main peut-être, l'émission entière sur Michaux, qui commence fort.
Ca promet !
et je dois pas être le seul.
Merci aussi pour Michaux.
J'écouterai prochainement, dans la compagnie de la nuit,
un verre à la main peut-être, l'émission entière sur Michaux, qui commence fort.
Ca promet !
Roseau- Messages : 17750
Date d'inscription : 14/07/2010
Re: En poésie, la parole est libre
Le message auquel le tien répondait a sauté, suite à une erreur de manip' de ma part : au lieu de citer, j'ai effacé. Avec mes excuses.Roseau a écrit:D'accord, mais il faut que tu saches que ça me plait,
et je dois pas être le seul.
Merci aussi pour Michaux.
J'écouterai prochainement, dans la compagnie de la nuit,
un verre à la main peut-être, l'émission entière sur Michaux, qui commence fort.
Ca promet !
Le reste étant perdu, je rétablis Michaux :
Babel- Messages : 1081
Date d'inscription : 30/06/2011
Re: En poésie, la parole est libre
Par la parole tu me connaîtras
tout l'avalanche les peines les oublis
les pénombres la chair la mémoire
la politique le feu le soleil d'oiseaux
les plumes les plus violentes les astres
les repentirs près de la mer
les visages la houle la tendresse
parfois à peine pénombrent
oublient brûlent raillent astrent
politisent ensoleillent oisellement
plument se repentent et mémorisent maréent
s'envisagent et houlent ou s'attendrissent
se cherchent et se lèvent quand ils tombent
meurent comme des substances naissent comme des substances
s'entrechoquent sont la cause de mystères
balbutient bavent se mangent se boivent
se pleuvent pour dedans aux fenêtres
se voient venir circulent dans leurs bras
finissent par donner dans la parole comme morts
ou comme vivants tournent cillent
libres dans le son pris dans le son
ils arpentent le monde humainement
n'appartiennent à personne astres mers
comme des repentirs comme des oublis
peines en feu ou politiques
pénombres de la chair oiseaux de ce visage
et l'avalanche la mémoire la houle
JUAN GELMAN
tout l'avalanche les peines les oublis
les pénombres la chair la mémoire
la politique le feu le soleil d'oiseaux
les plumes les plus violentes les astres
les repentirs près de la mer
les visages la houle la tendresse
parfois à peine pénombrent
oublient brûlent raillent astrent
politisent ensoleillent oisellement
plument se repentent et mémorisent maréent
s'envisagent et houlent ou s'attendrissent
se cherchent et se lèvent quand ils tombent
meurent comme des substances naissent comme des substances
s'entrechoquent sont la cause de mystères
balbutient bavent se mangent se boivent
se pleuvent pour dedans aux fenêtres
se voient venir circulent dans leurs bras
finissent par donner dans la parole comme morts
ou comme vivants tournent cillent
libres dans le son pris dans le son
ils arpentent le monde humainement
n'appartiennent à personne astres mers
comme des repentirs comme des oublis
peines en feu ou politiques
pénombres de la chair oiseaux de ce visage
et l'avalanche la mémoire la houle
JUAN GELMAN
fée clochette- Messages : 1274
Date d'inscription : 23/06/2010
Age : 59
Localisation : vachement loin de la capitale
Re: En poésie, la parole est libre
Bribes
Étouffer nos voix nues
dans l'ombre d'un baiser
arpenter l'inconnu
de chemins balisés
surprendre
***
scaphandre roi
descendre en soi
parcelles silice
par elles s’immiscent
s'étrangle un cri
dans l'angle gris
mes doigts se jouent
de toi se nouent
Janus jaunisse
anus anis
vertèbres nues
ténèbres mues
le feu aux ouïes
on veut et jouit
paumes unies
parmi les plis
s'aimantent
dehors le temps
sa horde tend
s'invente
***
Tout ce que je veux, c'est ne pas mourir à l'hôpital, à l'hospice ou en prison.
Et je sais que pour moi la seule chose qui compte, c'est la grâce.
Mais comme je ne crois pas en Dieu, j'en fais porter le poids sur le vivant.
Grâce espiègle de ma petite, ou de l'aînée aux émois dissonants.
Grâce de C. - ses yeux d'ombre et de miel, l'arrondi de son épaule,
et la courbe qui la relie au cou.
Grâce de la chatte, quand elle attrape un merle et le tue.
Grâce de la Tourvel, le corps dévasté, l'esprit à l'abandon.
Grâce du coup d'archet sur le nerf du violon,
et du fruit rond pendu tout au bout de la branche,
d'un tremblé de lumière entre deux blocs de grès,
d'un rayon de ciel dans l'eau,
d'une pensée qui s'offre, du geste qui soutient
l'espoir qui s'affranchit.
Le reste, je m'en fous.
Étouffer nos voix nues
dans l'ombre d'un baiser
arpenter l'inconnu
de chemins balisés
surprendre
***
scaphandre roi
descendre en soi
parcelles silice
par elles s’immiscent
s'étrangle un cri
dans l'angle gris
mes doigts se jouent
de toi se nouent
Janus jaunisse
anus anis
vertèbres nues
ténèbres mues
le feu aux ouïes
on veut et jouit
paumes unies
parmi les plis
s'aimantent
dehors le temps
sa horde tend
s'invente
***
Tout ce que je veux, c'est ne pas mourir à l'hôpital, à l'hospice ou en prison.
Et je sais que pour moi la seule chose qui compte, c'est la grâce.
Mais comme je ne crois pas en Dieu, j'en fais porter le poids sur le vivant.
Grâce espiègle de ma petite, ou de l'aînée aux émois dissonants.
Grâce de C. - ses yeux d'ombre et de miel, l'arrondi de son épaule,
et la courbe qui la relie au cou.
Grâce de la chatte, quand elle attrape un merle et le tue.
Grâce de la Tourvel, le corps dévasté, l'esprit à l'abandon.
Grâce du coup d'archet sur le nerf du violon,
et du fruit rond pendu tout au bout de la branche,
d'un tremblé de lumière entre deux blocs de grès,
d'un rayon de ciel dans l'eau,
d'une pensée qui s'offre, du geste qui soutient
l'espoir qui s'affranchit.
Le reste, je m'en fous.
Babel- Messages : 1081
Date d'inscription : 30/06/2011
Re: En poésie, la parole est libre
Tous les savoirs en se diversifiant convergent vers une connaissance universelle
dont la poésie porte le souvenir
Ils brisent les cloisons qu'ils ont eux-mêmes dressées
pour s'avancer dans le grand fleuve humain
le fleuve de l'unité retrouvée
entre l'être et lui-même soi et le monde
révélant les signes enfouis d'une communication sensible
de l'un à l'autre
informulée
gisant dans l'indicible
murmure des eaux et du vent la chanson
du grillon
sur le crâne
fracassé
du gibier
humain
s'abreuvant
de son sang le
baignant
de larmes ce
corps sec
vidé
aux odeurs lourdes
de sa décomposition
putréfaction
dans le soleil ardent des multitudes vives
pour laisser fredonner
en soi
le chant tenace d'une résurrection en bête fauve
en oiseau
[reste l'ombre
la trace
l'écho ]
qui
trempe dans l'orchidée de son ventre ouvert la pointe acérée d'un bec d'ivoire
l'enfonce
traçant avec le sang d'ébène les premières lettres du nom de son amour
l'ombre cueillir l'ombre
la trace humer la trace
l'écho capter l'écho
de ce qui sera
dans ce qui fut
La marche de nos vies
se fait à reculons [ on va
[ le nez à terre
exhumant de l'humus [ des choses mortes ]
les filaments de notre vie future
là où
le ruisseau invisible murmure
sa plainte d'espoir
la mort
après tout
petit
la mort n'est rien
qu'un temps
en devenir
dont la poésie porte le souvenir
Ils brisent les cloisons qu'ils ont eux-mêmes dressées
pour s'avancer dans le grand fleuve humain
le fleuve de l'unité retrouvée
entre l'être et lui-même soi et le monde
révélant les signes enfouis d'une communication sensible
de l'un à l'autre
informulée
gisant dans l'indicible
murmure des eaux et du vent la chanson
du grillon
sur le crâne
fracassé
du gibier
humain
s'abreuvant
de son sang le
baignant
de larmes ce
corps sec
vidé
aux odeurs lourdes
de sa décomposition
putréfaction
dans le soleil ardent des multitudes vives
pour laisser fredonner
en soi
le chant tenace d'une résurrection en bête fauve
en oiseau
[reste l'ombre
la trace
l'écho ]
qui
trempe dans l'orchidée de son ventre ouvert la pointe acérée d'un bec d'ivoire
l'enfonce
traçant avec le sang d'ébène les premières lettres du nom de son amour
l'ombre cueillir l'ombre
la trace humer la trace
l'écho capter l'écho
de ce qui sera
dans ce qui fut
La marche de nos vies
se fait à reculons [ on va
[ le nez à terre
exhumant de l'humus [ des choses mortes ]
les filaments de notre vie future
là où
le ruisseau invisible murmure
sa plainte d'espoir
la mort
après tout
petit
la mort n'est rien
qu'un temps
en devenir
Babel- Messages : 1081
Date d'inscription : 30/06/2011
Poésie : André Benedetto : « Urgent crier ! »
http://npa2009.org/node/39299
Roseau- Messages : 17750
Date d'inscription : 14/07/2010
Re: En poésie, la parole est libre
On nous demande de croire
à tout ce qui n'existe pas
On nous demande d'aimer
sans que nous sachions pourquoi
On nous demande de chanter
quand nous cousons nos plaies ouvertes
On nous demande de crier
et nos voix restent sans écho
On ne demande d'admettre
ce qui se refuse à l'esprit
On nous demande de mourir
c'est pourquoi nous vivons encore.
à tout ce qui n'existe pas
On nous demande d'aimer
sans que nous sachions pourquoi
On nous demande de chanter
quand nous cousons nos plaies ouvertes
On nous demande de crier
et nos voix restent sans écho
On ne demande d'admettre
ce qui se refuse à l'esprit
On nous demande de mourir
c'est pourquoi nous vivons encore.
Babel- Messages : 1081
Date d'inscription : 30/06/2011
Re: En poésie, la parole est libre
Mon petit, mon enfant,
Aujourd'hui ton papa ne va pas bien, il s'est
endormi quelque part sur un banc comme un vieux,
bercé par les conversations des gens pressés,
jusqu'à ce qu'un flic le secoue : "Ho, m'sieu !" Il a
attendu ta venue par le train d'huit heur's deux,
tout en sachant bien que tu n'en descendras pas.
Aujourd'hui… Va savoir depuis quand je ne m'é-
pas senti comm' ça ! D'ordinair', je vais droit
au bureau. Midi, je déjeune, sors fumer…
Je m'occupe —autant que la vie m'en donne droit.
Aujourd'hui, tu vois, j'aurais comme une envie de…
qui me prend à la gorge, ou plutôt, là, au ventre.
Une envie douce et calme d'effleurer le —vide.
Il se fait tard. Pas trop froid ? On m'attend. Je rentre.
le 9/12
Aujourd'hui ton papa ne va pas bien, il s'est
endormi quelque part sur un banc comme un vieux,
bercé par les conversations des gens pressés,
jusqu'à ce qu'un flic le secoue : "Ho, m'sieu !" Il a
attendu ta venue par le train d'huit heur's deux,
tout en sachant bien que tu n'en descendras pas.
Aujourd'hui… Va savoir depuis quand je ne m'é-
pas senti comm' ça ! D'ordinair', je vais droit
au bureau. Midi, je déjeune, sors fumer…
Je m'occupe —autant que la vie m'en donne droit.
Aujourd'hui, tu vois, j'aurais comme une envie de…
qui me prend à la gorge, ou plutôt, là, au ventre.
Une envie douce et calme d'effleurer le —vide.
Il se fait tard. Pas trop froid ? On m'attend. Je rentre.
le 9/12
Dernière édition par Babel le Ven 23 Mai - 6:48, édité 1 fois
Babel- Messages : 1081
Date d'inscription : 30/06/2011
Ahmad Fouad Najm
Un entretien avec ce grand poète égyptien, mort le 3 décembre dernier, et auquel l'Anticapitaliste de cette semaine rend hommage :
(...) les poèmes d'Ahmad Fouad Najm et la musique de Cheikh Imam ont nourri toute une génération en révolte, puis en lutte. On a pu les entendre chantés sur la place Tahrir et en d'autres lieux, porteurs toujours d'un même espoir. Accusé à plusieurs reprises par la justice de son pays pour ses écrits et ses prises de position virulentes, notamment en faveur de la laïcité, il passera 18 années de sa vie en prison.
Encore peu traduite en français, sa poésie emprunte à la tradition lyrique méditerranéenne un rapport extrêmement concret à ce qui marque un paysage, tout en le rendant toujours plus vaste, plus large et ramifié à d'autres horizons : la rythmique, les images, la pensée ne sont jamais réellement coupées de la vie quotidienne, des fèves, des arbres, des couleurs... ni de l'histoire. (...)
Samaël Steiner - l'Anticapitaliste n°222.
Babel- Messages : 1081
Date d'inscription : 30/06/2011
Re: En poésie, la parole est libre
Quelle pêche, hein ? Belle leçon de courage, où l'optimisme indécrottable s'allie à l'humour.
La fiche biographique de Wiki met en lien ce document visuel et sonore le montrant au milieu d'une foule d’Égyptiens. L'absence de traduction et de commentaire n'ôte rien à l'éloquence de ce document brut saisi sur le vif.
Voici un second document qui permet d'apprécier le charisme et la popularité de cet individu hors du commun. Et de se rendre compte comment les idées peuvent devenir des forces matérielles quand, portées par les mots qui les disent au plus près, elles s'emparent des masses.
(Y-a-t-il un traducteur dans la salle ?)
On peut y voir enfin, pour reprendre les phrases de l'article de Samaël Steiner (op. cité),
La fiche biographique de Wiki met en lien ce document visuel et sonore le montrant au milieu d'une foule d’Égyptiens. L'absence de traduction et de commentaire n'ôte rien à l'éloquence de ce document brut saisi sur le vif.
Voici un second document qui permet d'apprécier le charisme et la popularité de cet individu hors du commun. Et de se rendre compte comment les idées peuvent devenir des forces matérielles quand, portées par les mots qui les disent au plus près, elles s'emparent des masses.
(Y-a-t-il un traducteur dans la salle ?)
On peut y voir enfin, pour reprendre les phrases de l'article de Samaël Steiner (op. cité),
une occasion de rappeler que, s'il est des œuvres saillantes exemplaires, elles nous ramènent toutes et toujours à l'extraordinaire plasticité de l'art et à sa porosité avec la vie. L'art est aussi des luttes, car il est du monde.
Babel- Messages : 1081
Date d'inscription : 30/06/2011
Charles Reznikoff
Découvert par hasard. Né à Brooklyn, le 31 août 1894, mort à New York, le 22 juillet 1976. Figure majeure de l’Objectivisme poétique.
Extraits de ses deux œuvres maîtresses, Témoignage et Holocauste, lus sur le site de la revue en ligne Poezibao.
Témoignage, sous-titré "Les États-Unis, (1885-1915)", est un récitatif qui prend la forme d'une
V
Garçons et filles
2
Un tramway à deux voitures arrivait,
et le vendeur sauta dans la première
pour y « crier » ses journaux
Puis il resta sur le marchepied inférieur de la voiture
hésitant à sauter,
de crainte qu’un wagon venant en sens inverse
ne l’écrase.
Les passagers à l’arrêt du coin
attendaient de monter, et le contrôleur le poussa
– et il tomba
sous les roues de la seconde voiture.
3
« Dans la douce chaleur de l’été »,
Ellen, dans tout l’éclat de ses quatorze ans, travaillait dans une blanchisserie comme « chargeuse » :
elle faisait passer les cols dans la machine qui les pressait.
La chargeuse était sur une plate-forme,
les cols sur une petite table devant elle ;
le rouleau inférieur chauffé pour repasser les cols au passage,
tandis que le rouleau supérieur exerçait sur eux
une pression de cent kilos ;
le rouleau chauffé était creux et tournait autour de brûleurs à gaz
– si chaud, que si un col s’arrêtait dessus une minute
il était roussi.
Ellen vit un col avec un faux pli
– le pied de la boutonnière remontait sur le col –
et tendit la main pour le déplier,
et son doigt fut pris dans la boutonnière
et elle ne put l’enlever
avant que sa main ne soit attirée entre les rouleaux
– brûlée et écrasée tandis qu’elle hurlait.
4
Patrick avait été embauché avec d’autres garçons
pour travailler dans un concasseur à charbon :
dégager à la pelle
le poussier qui s’accumulait dans les glissières.
Il n’y avait ni taquets ni rampe
pour se tenir ;
les glissières étaient petites,
l’espace réduit
et l’air rare.
Mais, quand les garçons avaient dégagé le poussier,
ils pouvaient monter sur une plate-forme
près des glissières ;
du moins personne ne les empêchait.
Mr Thrift, le contremaître,
remarqua que le poussier ne descendait plus
dans la glissière de Patrick,
et monta sur la plate-forme.
Là il le trouva
et un autre garçon
et leur cria de dégager le poussier :
ils coururent en direction des glissières.
Peu après la machinerie s’arrêta
– et le corps de Patrick était là
tombé dans la cage de la roue,
coincé entre la courroie – qui actionnait la machinerie –
et la roue.
Charles Reznikoff, Témoignage, traduction Marc Cholodenko, éditions P.O.L., 2012, pp. 64 à 66.
Holocauste, publié un an avant sa mort,
IV
GHETTOS
1
Au début il y avait deux ghettos à Varsovie :
un petit et l’autre grand,
et entre eux un pont.
Les Polonais doivent passer sous le pont et les Juifs dessus ;
et à côté, se trouvaient des gardes allemands pour voir si les Juifs ne se mêlaient pas aux Polonais.
Du fait des gardes allemands
tout Juif qui ne retirait pas son chapeau en signe de respect en traversant le pont
était abattu —
et beaucoup le furent —
et certains furent abattus sans aucune raison du tout.
2
Un vieil homme portait des morceaux de bois à brûler
pris dans une maison qui avait été détruite :
on n’avait donné aucun ordre contre ça —
et il faisait froid.
Un commandant S.S. le vit
et lui demanda où il avait pris ce bois,
et le vieil homme répondit que c’était dans une maison qui avait été détruite.
Mais le commandant sortit son pistolet,
le plaça sur la gorge du vieil homme
et l’abattit.
3
Un matin des soldats allemands et leurs officiers
entrèrent de force dans les maisons du quartier où les Juifs avaient été rassemblés,
en criant que tous les hommes devaient sortir ;
et les Allemands prirent tout dans les armoires et les placards.
Parmi les hommes se trouvait un vieil homme portant la robe — et le chapeau — de la secte pieuse des Juifs qu’on nomme les Hassidim.
Les Allemands lui mirent une poule dans les mains
et on lui dit de danser et de chanter ;
puis il dut faire semblant d’étrangler un soldat allemand
et cela fut photographié.
[…]
6
À trois heures un après-midi
une cinquantaine de Juifs étaient dans une cave.
Quelqu’un poussa le sac qui bouchait l’ouverture
et ils entendirent une voix :
« Sortez !
Sinon nous allons lancer une grenade. »
Les S.S. et la police allemande avec des bâtons dans les mains
se tenaient prêts
et se mirent à frapper ceux qui se trouvaient dans la cave.
Ceux qui en eurent la force
furent mis en file selon les ordres
et furent emmenés vers une place
et alignés sur un seul rang pour être abattus.
Au dernier moment
un autre groupe de S.S. arriva et demanda ce qui se passait.
Un de ceux qui étaient prêts à tirer répondit
qu’ils avaient sorti les Juifs d’une cave
et qu’ils s’apprêtaient à les abattre selon les ordres.
Le commandant du second groupe dit alors :
« C’est des Juifs gras.
Tous bons à faire du savon. »
Et ils emmenèrent les Juifs à un convoi
qui n’était pas encore parti pour un camp de la mort —
des wagons de marchandises russes sans marchepied —
et ils durent se hisser l’un l’autre dans les wagons.
Charles Reznikoff, Holocauste, traduit de l’américain et préfacé par Auxeméry, Prétexte éditeur, 2007, p. 28-30 et 32-33.
En savoir plus sur http://www.paperblog.fr/322967/anthologie-permanente-charles-reznikoff/#1phuA4qmCBtesWOU.99
Extraits de ses deux œuvres maîtresses, Témoignage et Holocauste, lus sur le site de la revue en ligne Poezibao.
Témoignage, sous-titré "Les États-Unis, (1885-1915)", est un récitatif qui prend la forme d'une
(extrait de la présentation par les éditions POL)vaste fresque pour décrire l'entrée des États-Unis dans l'ère moderne à travers la restitution minutieuse et la mise en forme de rapports d'audience de tribunaux amenés à juger aussi bien de conflits de voisinage ou de succession que d'accidents du travail ou de faits divers atroces.
V
Garçons et filles
2
Un tramway à deux voitures arrivait,
et le vendeur sauta dans la première
pour y « crier » ses journaux
Puis il resta sur le marchepied inférieur de la voiture
hésitant à sauter,
de crainte qu’un wagon venant en sens inverse
ne l’écrase.
Les passagers à l’arrêt du coin
attendaient de monter, et le contrôleur le poussa
– et il tomba
sous les roues de la seconde voiture.
3
« Dans la douce chaleur de l’été »,
Ellen, dans tout l’éclat de ses quatorze ans, travaillait dans une blanchisserie comme « chargeuse » :
elle faisait passer les cols dans la machine qui les pressait.
La chargeuse était sur une plate-forme,
les cols sur une petite table devant elle ;
le rouleau inférieur chauffé pour repasser les cols au passage,
tandis que le rouleau supérieur exerçait sur eux
une pression de cent kilos ;
le rouleau chauffé était creux et tournait autour de brûleurs à gaz
– si chaud, que si un col s’arrêtait dessus une minute
il était roussi.
Ellen vit un col avec un faux pli
– le pied de la boutonnière remontait sur le col –
et tendit la main pour le déplier,
et son doigt fut pris dans la boutonnière
et elle ne put l’enlever
avant que sa main ne soit attirée entre les rouleaux
– brûlée et écrasée tandis qu’elle hurlait.
4
Patrick avait été embauché avec d’autres garçons
pour travailler dans un concasseur à charbon :
dégager à la pelle
le poussier qui s’accumulait dans les glissières.
Il n’y avait ni taquets ni rampe
pour se tenir ;
les glissières étaient petites,
l’espace réduit
et l’air rare.
Mais, quand les garçons avaient dégagé le poussier,
ils pouvaient monter sur une plate-forme
près des glissières ;
du moins personne ne les empêchait.
Mr Thrift, le contremaître,
remarqua que le poussier ne descendait plus
dans la glissière de Patrick,
et monta sur la plate-forme.
Là il le trouva
et un autre garçon
et leur cria de dégager le poussier :
ils coururent en direction des glissières.
Peu après la machinerie s’arrêta
– et le corps de Patrick était là
tombé dans la cage de la roue,
coincé entre la courroie – qui actionnait la machinerie –
et la roue.
Charles Reznikoff, Témoignage, traduction Marc Cholodenko, éditions P.O.L., 2012, pp. 64 à 66.
Holocauste, publié un an avant sa mort,
Florence Trocmé.comprend 12 ensembles : Déportation, Invasion, Recherche, Ghettos, Massacres, Chambres à gaz et camions à gaz, Camp de travail, Enfants, Divertissements, Fosses communes, Marches, Évasions.
Il est précédé d’une note de l’auteur : « Tout ce qui suit est basé sur une publication du gouvernement des Etats-Unis, Procès des Criminels devant le Tribunal Militaire de Nuremberg, et les enregistrements du procès Eichmann à Jérusalem. »
IV
GHETTOS
1
Au début il y avait deux ghettos à Varsovie :
un petit et l’autre grand,
et entre eux un pont.
Les Polonais doivent passer sous le pont et les Juifs dessus ;
et à côté, se trouvaient des gardes allemands pour voir si les Juifs ne se mêlaient pas aux Polonais.
Du fait des gardes allemands
tout Juif qui ne retirait pas son chapeau en signe de respect en traversant le pont
était abattu —
et beaucoup le furent —
et certains furent abattus sans aucune raison du tout.
2
Un vieil homme portait des morceaux de bois à brûler
pris dans une maison qui avait été détruite :
on n’avait donné aucun ordre contre ça —
et il faisait froid.
Un commandant S.S. le vit
et lui demanda où il avait pris ce bois,
et le vieil homme répondit que c’était dans une maison qui avait été détruite.
Mais le commandant sortit son pistolet,
le plaça sur la gorge du vieil homme
et l’abattit.
3
Un matin des soldats allemands et leurs officiers
entrèrent de force dans les maisons du quartier où les Juifs avaient été rassemblés,
en criant que tous les hommes devaient sortir ;
et les Allemands prirent tout dans les armoires et les placards.
Parmi les hommes se trouvait un vieil homme portant la robe — et le chapeau — de la secte pieuse des Juifs qu’on nomme les Hassidim.
Les Allemands lui mirent une poule dans les mains
et on lui dit de danser et de chanter ;
puis il dut faire semblant d’étrangler un soldat allemand
et cela fut photographié.
[…]
6
À trois heures un après-midi
une cinquantaine de Juifs étaient dans une cave.
Quelqu’un poussa le sac qui bouchait l’ouverture
et ils entendirent une voix :
« Sortez !
Sinon nous allons lancer une grenade. »
Les S.S. et la police allemande avec des bâtons dans les mains
se tenaient prêts
et se mirent à frapper ceux qui se trouvaient dans la cave.
Ceux qui en eurent la force
furent mis en file selon les ordres
et furent emmenés vers une place
et alignés sur un seul rang pour être abattus.
Au dernier moment
un autre groupe de S.S. arriva et demanda ce qui se passait.
Un de ceux qui étaient prêts à tirer répondit
qu’ils avaient sorti les Juifs d’une cave
et qu’ils s’apprêtaient à les abattre selon les ordres.
Le commandant du second groupe dit alors :
« C’est des Juifs gras.
Tous bons à faire du savon. »
Et ils emmenèrent les Juifs à un convoi
qui n’était pas encore parti pour un camp de la mort —
des wagons de marchandises russes sans marchepied —
et ils durent se hisser l’un l’autre dans les wagons.
Charles Reznikoff, Holocauste, traduit de l’américain et préfacé par Auxeméry, Prétexte éditeur, 2007, p. 28-30 et 32-33.
En savoir plus sur http://www.paperblog.fr/322967/anthologie-permanente-charles-reznikoff/#1phuA4qmCBtesWOU.99
Babel- Messages : 1081
Date d'inscription : 30/06/2011
Shall I compare...
Shall I compare thee to a summer’s day?
Thou art more lovely and more temperate :
Rough winds do shake the darling buds of May,
And summer’s lease hath all too short a date;
Sometime too hot the eye of heaven shines,
And often is his gold complexion dimm’d;
And every fair from fair sometime declines,
By chance or nature’s changing course untrimm’d;
But thy eternal summer shall not fade,
Nor lose possession of that fair thou ow’st;
Nor shall Death brag thou wander’st in his shade,
When in eternal lines to time thou grow’st:
So long as men can breathe or eyes can see,
So long lives this, and this gives life to thee.
W. Shakespeare
Dois-je te comparer à quelque jour d'été,
Lui qui n'a ni ta grâce et ni ta tempérance ?
Les vents brutaux secouent les doux bourgeons de mai
Et l'été n'a qu'un bail de trop brève échéance ;
Parfois de trop d'ardeur l'œil du ciel s'illumine,
Et son teint d'or souvent prend des teintes obscures ;
La beauté quelquefois d'elle-même décline,
Sous l'effet du hasard, ou du cours de nature ;
Ton éternel été ne cessera jamais,
De ta propre beauté tu garderas jouissance ;
Dans l'ombre de la mort ton pas ne se soumet,
Puisqu'en vers éternels le temps fera créance :
Tant que souffle ni vue à l'homme n'est ravie,
Ceci vivra, ceci te gardera en vie.
I.B.
( ... )
Thou art more lovely and more temperate :
Rough winds do shake the darling buds of May,
And summer’s lease hath all too short a date;
Sometime too hot the eye of heaven shines,
And often is his gold complexion dimm’d;
And every fair from fair sometime declines,
By chance or nature’s changing course untrimm’d;
But thy eternal summer shall not fade,
Nor lose possession of that fair thou ow’st;
Nor shall Death brag thou wander’st in his shade,
When in eternal lines to time thou grow’st:
So long as men can breathe or eyes can see,
So long lives this, and this gives life to thee.
W. Shakespeare
Dois-je te comparer à quelque jour d'été,
Lui qui n'a ni ta grâce et ni ta tempérance ?
Les vents brutaux secouent les doux bourgeons de mai
Et l'été n'a qu'un bail de trop brève échéance ;
Parfois de trop d'ardeur l'œil du ciel s'illumine,
Et son teint d'or souvent prend des teintes obscures ;
La beauté quelquefois d'elle-même décline,
Sous l'effet du hasard, ou du cours de nature ;
Ton éternel été ne cessera jamais,
De ta propre beauté tu garderas jouissance ;
Dans l'ombre de la mort ton pas ne se soumet,
Puisqu'en vers éternels le temps fera créance :
Tant que souffle ni vue à l'homme n'est ravie,
Ceci vivra, ceci te gardera en vie.
I.B.
( ... )
Babel- Messages : 1081
Date d'inscription : 30/06/2011
Re: En poésie, la parole est libre
@ Babel
J’imagine que tu avais vu que j’avais posté ce poême remarquable il y a quelques jours avec un extrait du film Vénus.
https://forummarxiste.forum-actif.net/t2838-poesie#80794
En tout cas merci pour cette belle traduction.
J’imagine que tu avais vu que j’avais posté ce poême remarquable il y a quelques jours avec un extrait du film Vénus.
https://forummarxiste.forum-actif.net/t2838-poesie#80794
En tout cas merci pour cette belle traduction.
Roseau- Messages : 17750
Date d'inscription : 14/07/2010
Re: En poésie, la parole est libre
Tûtafé: clique sur l'émoticone qui accompagne la traduction, et la bobinette etc.Roseau a écrit:@ Babel
J’imagine que tu avais vu que j’avais posté ce poême remarquable il y a quelques jours avec un extrait du film Vénus.
Babel- Messages : 1081
Date d'inscription : 30/06/2011
Sur Staline
Мы живем, под собою не чуя страны,
Наши речи за десять шагов не слышны,
А где хватит на полразговорца, —
Там припомнят кремлёвского горца.
Его толстые пальцы, как черви, жирны,
А слова, как пудовые гири, верны,
Тараканьи смеются усища,
И сияют его голенища.
А вокруг него сброд тонкошеих вождей,
Он играет услугами полулюдей.
Кто свистит, кто мяучит, кто хнычет,
Он один лишь бабачит и тычет.
Как подковы, кует за указом указ —
Кому в пах, кому в лоб, кому в бровь, кому в глаз.
Что ни казнь у него – то малина
И широкая грудь осетина.
Nous vivons sans sentir le pays qui nous porte,
A dix mètres, nos voix ne sont plus assez fortes,
Mais il suffit qu'un verre nous rende un peu bavards,—
On cause du Kremlin, de son fier montagnard.
Ses doigts épais graisseux sont de gros asticots,
Et ses mots, un plomb lourd qui tombe par quintaux.
Sa moustache en riant fait voir un cancrelat,
La tige de sa botte luit avec éclat.
Et il grouille alentour la racaille au cou grêle
Des chefs, ces freluquets dont il raille le zèle.
L'un siffle, l'autre geint, chiale, glapit, bougonne,
Lui seul crache du poing, braque l'index, ordonne.
Il forge ses décrets, oukase sur oukase,
Qu'il jette au ventre, au front, sur l'arcade ou dans l’œil.
Et chaque exécution est un jus de framboise
Pour l'Ossète martial au terrible poitrail.
Ossip Mandelstam, novembre 1933.
Наши речи за десять шагов не слышны,
А где хватит на полразговорца, —
Там припомнят кремлёвского горца.
Его толстые пальцы, как черви, жирны,
А слова, как пудовые гири, верны,
Тараканьи смеются усища,
И сияют его голенища.
А вокруг него сброд тонкошеих вождей,
Он играет услугами полулюдей.
Кто свистит, кто мяучит, кто хнычет,
Он один лишь бабачит и тычет.
Как подковы, кует за указом указ —
Кому в пах, кому в лоб, кому в бровь, кому в глаз.
Что ни казнь у него – то малина
И широкая грудь осетина.
Nous vivons sans sentir le pays qui nous porte,
A dix mètres, nos voix ne sont plus assez fortes,
Mais il suffit qu'un verre nous rende un peu bavards,—
On cause du Kremlin, de son fier montagnard.
Ses doigts épais graisseux sont de gros asticots,
Et ses mots, un plomb lourd qui tombe par quintaux.
Sa moustache en riant fait voir un cancrelat,
La tige de sa botte luit avec éclat.
Et il grouille alentour la racaille au cou grêle
Des chefs, ces freluquets dont il raille le zèle.
L'un siffle, l'autre geint, chiale, glapit, bougonne,
Lui seul crache du poing, braque l'index, ordonne.
Il forge ses décrets, oukase sur oukase,
Qu'il jette au ventre, au front, sur l'arcade ou dans l’œil.
Et chaque exécution est un jus de framboise
Pour l'Ossète martial au terrible poitrail.
Ossip Mandelstam, novembre 1933.
Dernière édition par Babel le Ven 3 Jan - 15:26, édité 1 fois
Babel- Messages : 1081
Date d'inscription : 30/06/2011
Mandelstam (1)
Citations et extraits :
Pour qu’indifféremment il secoue sa torpeur
Et qu’avec la vague de châtaigniers aux boucles de lin
Il se lave dans le souffle du vers.
Nel mezzo del cammin di nostra vita (1)- au milieu du chemin de ma vie, j'ai été arrêté dans l'épaisse forêt soviétique par des bandits qui se disaient mes juges. C’étaient des vieillards au cou noueux, à la petite tête d’oie, indignes de porter le poids des ans. Pour la première et la seule fois de ma vie, la littérature eut besoin de moi, elle me pétrissait, me ballottait, me malaxait, et tout était terrible comme dans un rêve de jeune enfant. (...)
Je m'extirpe de ma pelisse littéraire et la piétine. Avec ma seule veste par un froid de moins de trente degrés je ferai trois fois le tour des boulevards circulaires de Moscou. Je me sauverai de cet hôpital jaune qu'abrite le passage Komsomol pour aller à la rencontre de la pleurite, d'un refroidissement mortel, pourvu que je n'aperçoive plus, boulevard Tverskoï, les douze fenêtres éclairées de l'obscène maison où vivent les Judas, pourvu que je n'entende plus sonner les deniers d'argent, ni le comptage des feuilles imprimées.
(L’Entretien sur Dante, traduction Jean-Claude Schneider - Éd. La Dogana)
(1) Il s'agit du premier vers de La Divine Comédie de Dante
______________
Ossip Mandelstam.
Né en 1891. Poète acméiste, proche d'Akhmatova, de Tsvétaïeva et de Pasternak.
La lecture de son poème sur Staline (cf. message précédent) lui vaut d'être envoyé en camp, en 1934, à Voronej, où il rédige trois cahiers de poèmes. Libéré en 1937, il est à nouveau déporté l’année suivante, et meurt le 27 décembre 1938 près de Vladivostok.
Ce n'est qu'après l’effondrement de la dictature bureaucratique stalinienne qu’une édition partielle de ses œuvres est réalisée en Russie.
Ajoutons que rien n’aurait été possible sans la ténacité et le courage de sa femme, Nadedja, qui apprit ses textes par cœur, les fit circuler clandestinement, et leur permit ainsi d’échapper à la destruction. La lecture de son livre de mémoires Contre tout espoir est vivement conseillée.
La poésie est un pouvoir, car pour elle on vous tue.
****
Au peuple il faut un vers secrètement natal Pour qu’indifféremment il secoue sa torpeur
Et qu’avec la vague de châtaigniers aux boucles de lin
Il se lave dans le souffle du vers.
***
(...)Ce qui distingue la poésie de la parole machinale, c’est que la poésie justement nous réveille, nous secoue en plein milieu du mot. Ce dernier se révèle alors à nous d’une étendue bien plus vaste que nous ne l’imaginions, et nous nous rappelons soudain que parler veut dire : se trouver en chemin.
Nel mezzo del cammin di nostra vita (1)- au milieu du chemin de ma vie, j'ai été arrêté dans l'épaisse forêt soviétique par des bandits qui se disaient mes juges. C’étaient des vieillards au cou noueux, à la petite tête d’oie, indignes de porter le poids des ans. Pour la première et la seule fois de ma vie, la littérature eut besoin de moi, elle me pétrissait, me ballottait, me malaxait, et tout était terrible comme dans un rêve de jeune enfant. (...)
Je m'extirpe de ma pelisse littéraire et la piétine. Avec ma seule veste par un froid de moins de trente degrés je ferai trois fois le tour des boulevards circulaires de Moscou. Je me sauverai de cet hôpital jaune qu'abrite le passage Komsomol pour aller à la rencontre de la pleurite, d'un refroidissement mortel, pourvu que je n'aperçoive plus, boulevard Tverskoï, les douze fenêtres éclairées de l'obscène maison où vivent les Judas, pourvu que je n'entende plus sonner les deniers d'argent, ni le comptage des feuilles imprimées.
(L’Entretien sur Dante, traduction Jean-Claude Schneider - Éd. La Dogana)
(1) Il s'agit du premier vers de La Divine Comédie de Dante
______________
Ossip Mandelstam.
Né en 1891. Poète acméiste, proche d'Akhmatova, de Tsvétaïeva et de Pasternak.
La lecture de son poème sur Staline (cf. message précédent) lui vaut d'être envoyé en camp, en 1934, à Voronej, où il rédige trois cahiers de poèmes. Libéré en 1937, il est à nouveau déporté l’année suivante, et meurt le 27 décembre 1938 près de Vladivostok.
Ce n'est qu'après l’effondrement de la dictature bureaucratique stalinienne qu’une édition partielle de ses œuvres est réalisée en Russie.
Ajoutons que rien n’aurait été possible sans la ténacité et le courage de sa femme, Nadedja, qui apprit ses textes par cœur, les fit circuler clandestinement, et leur permit ainsi d’échapper à la destruction. La lecture de son livre de mémoires Contre tout espoir est vivement conseillée.
Dernière édition par Babel le Dim 5 Jan - 9:42, édité 1 fois
Babel- Messages : 1081
Date d'inscription : 30/06/2011
Mandelstam (2)
Extraits des Cahiers de Voronej piochés sur la toile.
En me privant des mers et de l’élan et de l’aile,
en donnant à mon pied l’assise d’une terre violente
qu’avez-vous gagné ? Piètre calcul!
Vous ne m’avez pas pris ces lèvres qui remuent ".
mai 1935, Voronej.
Non, ce n'est pas la migraine, mais donne-moi le bâton de menthol,
Ni les langueurs de l'art, ni les couleurs de l'espace joyeux ...
Ma vie a commencé dans l'auge humide de grasseyantes paroles,
Elle a continué en tendre soie de lampes à pétrole.
Puis quelque part dans la datcha, dans le livre chagrin du bois,
Elle a pris feu dieu sait pourquoi, en énorme incendie lilas.
Non, ce n'est pas la migraine, mais donne-moi le bâton de menthol,
Ni les langueurs de l'art, ni les couloirs de l'espace joyeux ...
À travers des verres de couleur, ensuite, j'entrevois péniblement :
Une terre comme calvitie rousse, un ciel comme massue menaçant ...
Plus loin encore cela m'échappe, plus loin c'est comme en guenilles,
Une vague odeur de résine et comme d'huile de baleine rancie ...
Non, ce n'est pas la migraine, mais le froid de l'espace asexué,
Le cri de la gaze qu'on déchire, le roucoulis de la guitare phénolée ...
23 avril - juillet 1935, Voronej. (Traduction de Philippe Jaccottet.)
La mendiante
Je ne suis pas encore mort, encore seul,
Tant qu'avec ma compagne mendiante
Je profite de la majesté des plaines,
De la brume, des tempêtes de neige, de la faim.
Dans la beauté, dans le faste de la misère,
Je vis seul, tranquille et consolé,
Ces jours et ces nuits sont bénis
Et le mélodieux labeur est sans péché.
Malheureux celui qu'un aboiement effraie
Comme son ombre et que le vent fauche,
Et misérable celui qui, à demi mort,
Demande à son ombre l'aumône.
Janvier 1937, Voronej. (Traduction P. Jaccottet)
Ce cher levain du monde –
sons, larmes, labeurs –
les accents pluvieux
des malheurs qui commencent à bouillir
et les pertes phonétiques,
d’om, de quel minerai, les retirer ?
Première fois que dans la mendiante
mémoire tu pressens ces fosses
aveugles, pleines d’une eau cuivreuse –
et sur leurs traces tu marches,
de toi dégoûté, de toi inconnu –
à la fois l’aveugle et son guide
Voronej, janvier 1937. (Traduction de J-C Schneider.)
A mes lèvres je porte ces verdures,
Ce gluant jurement de feuilles,
Cette terre parjure, mère
Des perce-neige, des érables, des chênes.
Vois comme je deviens aveugle et fort
De me soumettre aux modestes racines,
Et n'est-ce pas trop de splendeur
Aux yeux que ce parc fulminant ?
Les crapauds, telles des billes de mercure,
Forment un globe de leurs voix nouées,
Les rameaux se changent en branches
Et la buée en chimère de lait.
30 avril 1937, Voronej - (Traduction de P. Jaccottet.)
Sur la terre vide clochant malgré elle
D'une démarche irrégulière et douce,
Elle va, devançant un petit peu
Sa rapide compagne et l'ami plus âgé à peine.
Ce qui l'entraîne est la légère entrave
De cette infirmité qui vivifie,
Et l'on dirait que voudrait s'attarder
Dans sa démarche le soupçon lucide
Que cette journée de temps printanier
Nous est l'aïeule de la voûte du tombeau
Et que tout commence éternellement.
Il est des femmes proches de la terre humide.
Et chacun de leurs pas est un sanglot sourd.
Leur vocation est d'escorter les morts
Et, les premières, d'accueillir les ressuscités.
C'est un crime d'en exiger de la tendresse.
Au-dessus de nos forces de nous en séparer.
Ange aujourd'hui, demain ver du tombeau,
Après-demain - simple contour, à peine.
Ce qui fut notre pas sera hors de portée,
Les fleurs seront immortelles. Le ciel d'un seul tenant.
Et ce qui adviendra : simple promesse.
4 mai 1937, Voronej. (Traduction de P. Jaccottet.)
En me privant des mers et de l’élan et de l’aile,
en donnant à mon pied l’assise d’une terre violente
qu’avez-vous gagné ? Piètre calcul!
Vous ne m’avez pas pris ces lèvres qui remuent ".
mai 1935, Voronej.
***
Non, ce n'est pas la migraine, mais donne-moi le bâton de menthol,
Ni les langueurs de l'art, ni les couleurs de l'espace joyeux ...
Ma vie a commencé dans l'auge humide de grasseyantes paroles,
Elle a continué en tendre soie de lampes à pétrole.
Puis quelque part dans la datcha, dans le livre chagrin du bois,
Elle a pris feu dieu sait pourquoi, en énorme incendie lilas.
Non, ce n'est pas la migraine, mais donne-moi le bâton de menthol,
Ni les langueurs de l'art, ni les couloirs de l'espace joyeux ...
À travers des verres de couleur, ensuite, j'entrevois péniblement :
Une terre comme calvitie rousse, un ciel comme massue menaçant ...
Plus loin encore cela m'échappe, plus loin c'est comme en guenilles,
Une vague odeur de résine et comme d'huile de baleine rancie ...
Non, ce n'est pas la migraine, mais le froid de l'espace asexué,
Le cri de la gaze qu'on déchire, le roucoulis de la guitare phénolée ...
23 avril - juillet 1935, Voronej. (Traduction de Philippe Jaccottet.)
***
La mendiante
Je ne suis pas encore mort, encore seul,
Tant qu'avec ma compagne mendiante
Je profite de la majesté des plaines,
De la brume, des tempêtes de neige, de la faim.
Dans la beauté, dans le faste de la misère,
Je vis seul, tranquille et consolé,
Ces jours et ces nuits sont bénis
Et le mélodieux labeur est sans péché.
Malheureux celui qu'un aboiement effraie
Comme son ombre et que le vent fauche,
Et misérable celui qui, à demi mort,
Demande à son ombre l'aumône.
Janvier 1937, Voronej. (Traduction P. Jaccottet)
***
Ce cher levain du monde –
sons, larmes, labeurs –
les accents pluvieux
des malheurs qui commencent à bouillir
et les pertes phonétiques,
d’om, de quel minerai, les retirer ?
Première fois que dans la mendiante
mémoire tu pressens ces fosses
aveugles, pleines d’une eau cuivreuse –
et sur leurs traces tu marches,
de toi dégoûté, de toi inconnu –
à la fois l’aveugle et son guide
Voronej, janvier 1937. (Traduction de J-C Schneider.)
***
A mes lèvres je porte ces verdures,
Ce gluant jurement de feuilles,
Cette terre parjure, mère
Des perce-neige, des érables, des chênes.
Vois comme je deviens aveugle et fort
De me soumettre aux modestes racines,
Et n'est-ce pas trop de splendeur
Aux yeux que ce parc fulminant ?
Les crapauds, telles des billes de mercure,
Forment un globe de leurs voix nouées,
Les rameaux se changent en branches
Et la buée en chimère de lait.
30 avril 1937, Voronej - (Traduction de P. Jaccottet.)
***
Sur la terre vide clochant malgré elle
D'une démarche irrégulière et douce,
Elle va, devançant un petit peu
Sa rapide compagne et l'ami plus âgé à peine.
Ce qui l'entraîne est la légère entrave
De cette infirmité qui vivifie,
Et l'on dirait que voudrait s'attarder
Dans sa démarche le soupçon lucide
Que cette journée de temps printanier
Nous est l'aïeule de la voûte du tombeau
Et que tout commence éternellement.
Il est des femmes proches de la terre humide.
Et chacun de leurs pas est un sanglot sourd.
Leur vocation est d'escorter les morts
Et, les premières, d'accueillir les ressuscités.
C'est un crime d'en exiger de la tendresse.
Au-dessus de nos forces de nous en séparer.
Ange aujourd'hui, demain ver du tombeau,
Après-demain - simple contour, à peine.
Ce qui fut notre pas sera hors de portée,
Les fleurs seront immortelles. Le ciel d'un seul tenant.
Et ce qui adviendra : simple promesse.
4 mai 1937, Voronej. (Traduction de P. Jaccottet.)
Babel- Messages : 1081
Date d'inscription : 30/06/2011
Mandelstam (3)
Poèmes lus sur Peozibao :
Le 1 janvier 1924
Le temps - celui qui sur sa tempe meurtrie l'embrassa,
Avec une tendresse filiale ensuite
Il se souviendra que le temps, pour dormir, s'est couché
Sous la fenêtre dans l'amoncellement du blé.
Le siècle - celui qui en a soulevé les paupières malades
(Deux pommes somnolentes, lourdes)
Entend la rumeur, l'incessante, depuis que grondèrent
Les fleuves des temps mensongers, sourds,
Il a deux pommes somnolentes, le souverain-siècle,
Et une belle bouche d'argile,
Mais sur la main languide de fils vieillissant
Il se penche, agonise.
Je sais : le souffle de vie s'use chaque jour,
Encore un - et ils interrompent
Le chant simple qui parle des offenses d'argile,
Et les bouches, ils y coulent de l'étain.
Ô la vie argileuse ! Ô l'agonie du siècle !
Celui-là seul, je le crains, te comprend,
En qui habite le sourire impuissant de l'homme
Qui s'est perdu à lui-même.
Quelle douleur - chercher la parole perdue,
Relever ces paupières douloureuses
Et, la chaux dans le sang, rassembler pour les tribus
Étrangères l'herbe des nuits.
Siècle. La couche de chaux dans le sang du fils malade
Durcit. Moscou sommeille, une huche de bois.
Et aucun lieu où fuir le souverain siècle ...
La neige a une odeur de pomme, comme jadis.
J'ai envie de fuir loin de mon seuil.
Mais où ? La rue est sombre
Et, comme du sel répandu sur les pavés,
Ma conscience, étalée devant moi, blanchit.
Par les ruelles, entre les taudis, sous le rebord des toits,
J'avance, sans aller loin, tant bien que mal,
Caché, banal voyageur, dans ma fourrure de courant d'air,
Longtemps je m'efforce d'agrafer la couverture.
Défile une rue, une autre encore,
Craque comme une pomme le bruit gelé des traîneaux,
Et le nœud, trop serré, résiste,
Sans cesse échappe de mes mains.
Avec tout un chargement de quincaillerie, de ferraille,
La nuit d'hiver gronde dans les rues de Moscou.
Cogne à coups de poissons gelés, jaillit avec la vapeur
Des maisons de thé roses - on dirait l'écaille d'un gardon.
Moscou - une fois de plus Moscou : "Je te salue".
Je lui dis : "Pardonne, il n'y a plus de mal.
Comme autrefois, je les accepte pour frères.
Cette morsure du gel, ce verdict du brochet."
Flamme sur la neige, la framboise de l'apothicairerie,
Quelque part crépite l'underwood ;
Le dos du cocher, presque une archine de neige :
Quoi de plus ? On ne te touchera pas, te tuera pas.
La beauté de l'hiver, dans les étoiles un ciel de chèvre
S'est répandu, son lait brûle.
Et contre les patins gelés la couverture frotte
Sa crinière de cheval et siffle.
Mais les venelles boucanées au pétrole
Ont avalé neige, framboise, glace,
Pour eux tout pèle, rappelle la sonatine des Soviets,
Les fait se souvenir de l'année vingt.
Est-il possible qu'à l'ignoble médisance je livre
- Il a encore son odeur de pomme, le gel -
Cet étrange serment que je fis au quatrième était,
Lourdes promesses jurées jusqu'aux larmes ?
Qui d'autre vas-tu tuer ? Qui d'autre rendre illustre ?
Des mensonges, lequel inventeras-tu ?
Ce cartilage de l'underwood : plus vite arrache la touche -
Et tu trouveras la mince arête du brochet ;
La couche de chaux dans le sang du fils malade
Se dissipe, et de bonheur le rire gicle ...
Mais les machines à écrire - leur sonatine simple
Est l'ombre seulement de ces puissantes sonates.
Traduction de Jean-Claude Schneider.
Voici la futaie à vaisseaux et mâtures,
Les pins roses,
Jusqu'à la cime dépouillée de leur fardeau floconneux,
Bien dignes de grincer dans la tempête,
En arbres solitaires,
Dans un air furieux, déboisé ;
Rivés au pont dansant du navire,
Ils garderont leur aplomb sous les talonnades salées du vent.
Et le navigateur
Dans sa soif débridée d'espace,
Traînant par les cahots humides son frêle instrument de géomètre,
Confrontera à l'attirance du giron de la terre
La surface rêche des mers.
Et nous, humant l'odeur
Des larmes résineuses qui suintent à la coque du navire,
Admirant ces planches
Rivetées, composées en étanches cloisons
Non par le charpentier de Bethléem mais par l'autre
- père des voyages et ami du marin -
Nous disons :
Ils ont eux aussi connu la terre
mal commode comme l'échine d'un âne ;
Alors, de toutes leurs cimes, ils oubliaient leurs racines,
Sur quelque illustre cordillère
Et bruissaient dans l'averse fade,
Proposant vainement au ciel d'échanger contre une pincée de sel
Leur noble fardeau.
Par où commencer ?
Tout craque et tout tangue.
L'air frémit de comparaisons.
Nul mot qui n'en vaille un autre,
La terre gronde de métaphores
Et les agiles carrioles,
Attelées à des nuées voyantes d'oiseaux épaissies par leur effort,
S'émiettent
A vouloir rivaliser avec les favoris hennissants de l'antique hippodrome.
Heureux trois fois qui dans le chant fera entrer un nom ;
Parée d'un nom sa chanson
Vit plus longuement parmi ses compagnes,
Reconnaissable au bandeau de son front
Qui la préserve de la folie, de tout parfum entêtant,
De l'approche du mâle
Comme de la senteur laineuse d'une bête puissante
Ou de l'odeur du thym écrasé entre deux paumes.
Parfois l'air est obscur comme l'eau et toute vie y nage, poisson
Écartant des nageoires la sphère
Compacte et souple, à peine tiédie -
Cristal où se meuvent des roues et des chevaux s'effarouchent,
Humide terreau de Nérée, chaque nuit relabouré
A renfort de fourches et de tridents et de houes et de charrues.
L'air est pétri d'une pâte aussi dense que la terre -
On n'en peut pas sortir et il est dur d'y entrer.
Un frisson parcourt les arbres comme un battoir vert ;
Les enfants jouent aux osselets avec des vertèbres d'animaux morts.
Le comput de notre ère touche à sa fin.
Merci pour ce qui fut :
Moi le premier je me suis trompé, j'ai perdu le fil et le compte.
Notre ère tintait comme une boule d'or,
Creuse, lisse, que nul ne soutenait,
Et répondait au moindre attouchement par "oui" et "non".
C'est ainsi qu'un enfant vous répond :
"Je te donnerai" ou "je ne te donnerai pas cette pomme"
Et son visage est l'empreinte fidèle de la voix qui prononce ces mots.
Le son vibre encore quand la cause du son a disparu.
Le cheval gît dans la poussière, il hennit, couvert d'écume,
Mais la torsion violente de son cou
Garde mémoire de la course aux foulées gaspillées,
Lorsqu'il avait non pas quatre membres
Mais autant qu'il y a de pierres sur la route,
Quadruplement relayées
A chaque rebond sur la terre de son amble brûlant.
Ainsi l'homme qui trouve un fer à cheval
Souffle pour en chasser la poussière
Et le frotte avec de la laine jusqu'à le faire briller
Ensuite
Il l'accroche à sa porte
Pour lui donner du repos
Et ce fer n'arrachera plus d'étincelles au silex.
Les lèvres d'hommes
qui n'ont plus rien à dire,
Gardent l'image du dernier mot proféré,
Comme, dans notre main, demeure le sentiment d'un poids
Alors que la cruche s'est à demi vidée sur le chemin de la maison.
Ce n'est pas moi qui dis ce que je dis là,
Ce sont des mots extraits de la terre comme des grains
d'un froment pétrifié.
Certains sur des monnaies figurent un lion,
D'autres une tête ;
Cuivre ou bronze, ces pastilles
Ont même honneur dans la terre où elles gisent.
Le siècle, à vouloir les éprouver, y a imprimé ses dents.
Le temps me rogne comme une pièce de monnaie
Et je me fais à moi-même défaut.
1923, Moscou. Traduction de Louis Martinez.
____________________________
http://poezibao.typepad.com/poezibao/2012/04/anthologie-permanente-ossip-mandelstam-2.html
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Le 1 janvier 1924
Le temps - celui qui sur sa tempe meurtrie l'embrassa,
Avec une tendresse filiale ensuite
Il se souviendra que le temps, pour dormir, s'est couché
Sous la fenêtre dans l'amoncellement du blé.
Le siècle - celui qui en a soulevé les paupières malades
(Deux pommes somnolentes, lourdes)
Entend la rumeur, l'incessante, depuis que grondèrent
Les fleuves des temps mensongers, sourds,
Il a deux pommes somnolentes, le souverain-siècle,
Et une belle bouche d'argile,
Mais sur la main languide de fils vieillissant
Il se penche, agonise.
Je sais : le souffle de vie s'use chaque jour,
Encore un - et ils interrompent
Le chant simple qui parle des offenses d'argile,
Et les bouches, ils y coulent de l'étain.
Ô la vie argileuse ! Ô l'agonie du siècle !
Celui-là seul, je le crains, te comprend,
En qui habite le sourire impuissant de l'homme
Qui s'est perdu à lui-même.
Quelle douleur - chercher la parole perdue,
Relever ces paupières douloureuses
Et, la chaux dans le sang, rassembler pour les tribus
Étrangères l'herbe des nuits.
Siècle. La couche de chaux dans le sang du fils malade
Durcit. Moscou sommeille, une huche de bois.
Et aucun lieu où fuir le souverain siècle ...
La neige a une odeur de pomme, comme jadis.
J'ai envie de fuir loin de mon seuil.
Mais où ? La rue est sombre
Et, comme du sel répandu sur les pavés,
Ma conscience, étalée devant moi, blanchit.
Par les ruelles, entre les taudis, sous le rebord des toits,
J'avance, sans aller loin, tant bien que mal,
Caché, banal voyageur, dans ma fourrure de courant d'air,
Longtemps je m'efforce d'agrafer la couverture.
Défile une rue, une autre encore,
Craque comme une pomme le bruit gelé des traîneaux,
Et le nœud, trop serré, résiste,
Sans cesse échappe de mes mains.
Avec tout un chargement de quincaillerie, de ferraille,
La nuit d'hiver gronde dans les rues de Moscou.
Cogne à coups de poissons gelés, jaillit avec la vapeur
Des maisons de thé roses - on dirait l'écaille d'un gardon.
Moscou - une fois de plus Moscou : "Je te salue".
Je lui dis : "Pardonne, il n'y a plus de mal.
Comme autrefois, je les accepte pour frères.
Cette morsure du gel, ce verdict du brochet."
Flamme sur la neige, la framboise de l'apothicairerie,
Quelque part crépite l'underwood ;
Le dos du cocher, presque une archine de neige :
Quoi de plus ? On ne te touchera pas, te tuera pas.
La beauté de l'hiver, dans les étoiles un ciel de chèvre
S'est répandu, son lait brûle.
Et contre les patins gelés la couverture frotte
Sa crinière de cheval et siffle.
Mais les venelles boucanées au pétrole
Ont avalé neige, framboise, glace,
Pour eux tout pèle, rappelle la sonatine des Soviets,
Les fait se souvenir de l'année vingt.
Est-il possible qu'à l'ignoble médisance je livre
- Il a encore son odeur de pomme, le gel -
Cet étrange serment que je fis au quatrième était,
Lourdes promesses jurées jusqu'aux larmes ?
Qui d'autre vas-tu tuer ? Qui d'autre rendre illustre ?
Des mensonges, lequel inventeras-tu ?
Ce cartilage de l'underwood : plus vite arrache la touche -
Et tu trouveras la mince arête du brochet ;
La couche de chaux dans le sang du fils malade
Se dissipe, et de bonheur le rire gicle ...
Mais les machines à écrire - leur sonatine simple
Est l'ombre seulement de ces puissantes sonates.
Traduction de Jean-Claude Schneider.
L'homme qui trouve un fer à cheval
Regardant la forêt nous disons : Voici la futaie à vaisseaux et mâtures,
Les pins roses,
Jusqu'à la cime dépouillée de leur fardeau floconneux,
Bien dignes de grincer dans la tempête,
En arbres solitaires,
Dans un air furieux, déboisé ;
Rivés au pont dansant du navire,
Ils garderont leur aplomb sous les talonnades salées du vent.
Et le navigateur
Dans sa soif débridée d'espace,
Traînant par les cahots humides son frêle instrument de géomètre,
Confrontera à l'attirance du giron de la terre
La surface rêche des mers.
Et nous, humant l'odeur
Des larmes résineuses qui suintent à la coque du navire,
Admirant ces planches
Rivetées, composées en étanches cloisons
Non par le charpentier de Bethléem mais par l'autre
- père des voyages et ami du marin -
Nous disons :
Ils ont eux aussi connu la terre
mal commode comme l'échine d'un âne ;
Alors, de toutes leurs cimes, ils oubliaient leurs racines,
Sur quelque illustre cordillère
Et bruissaient dans l'averse fade,
Proposant vainement au ciel d'échanger contre une pincée de sel
Leur noble fardeau.
Par où commencer ?
Tout craque et tout tangue.
L'air frémit de comparaisons.
Nul mot qui n'en vaille un autre,
La terre gronde de métaphores
Et les agiles carrioles,
Attelées à des nuées voyantes d'oiseaux épaissies par leur effort,
S'émiettent
A vouloir rivaliser avec les favoris hennissants de l'antique hippodrome.
Heureux trois fois qui dans le chant fera entrer un nom ;
Parée d'un nom sa chanson
Vit plus longuement parmi ses compagnes,
Reconnaissable au bandeau de son front
Qui la préserve de la folie, de tout parfum entêtant,
De l'approche du mâle
Comme de la senteur laineuse d'une bête puissante
Ou de l'odeur du thym écrasé entre deux paumes.
Parfois l'air est obscur comme l'eau et toute vie y nage, poisson
Écartant des nageoires la sphère
Compacte et souple, à peine tiédie -
Cristal où se meuvent des roues et des chevaux s'effarouchent,
Humide terreau de Nérée, chaque nuit relabouré
A renfort de fourches et de tridents et de houes et de charrues.
L'air est pétri d'une pâte aussi dense que la terre -
On n'en peut pas sortir et il est dur d'y entrer.
Un frisson parcourt les arbres comme un battoir vert ;
Les enfants jouent aux osselets avec des vertèbres d'animaux morts.
Le comput de notre ère touche à sa fin.
Merci pour ce qui fut :
Moi le premier je me suis trompé, j'ai perdu le fil et le compte.
Notre ère tintait comme une boule d'or,
Creuse, lisse, que nul ne soutenait,
Et répondait au moindre attouchement par "oui" et "non".
C'est ainsi qu'un enfant vous répond :
"Je te donnerai" ou "je ne te donnerai pas cette pomme"
Et son visage est l'empreinte fidèle de la voix qui prononce ces mots.
Le son vibre encore quand la cause du son a disparu.
Le cheval gît dans la poussière, il hennit, couvert d'écume,
Mais la torsion violente de son cou
Garde mémoire de la course aux foulées gaspillées,
Lorsqu'il avait non pas quatre membres
Mais autant qu'il y a de pierres sur la route,
Quadruplement relayées
A chaque rebond sur la terre de son amble brûlant.
Ainsi l'homme qui trouve un fer à cheval
Souffle pour en chasser la poussière
Et le frotte avec de la laine jusqu'à le faire briller
Ensuite
Il l'accroche à sa porte
Pour lui donner du repos
Et ce fer n'arrachera plus d'étincelles au silex.
Les lèvres d'hommes
qui n'ont plus rien à dire,
Gardent l'image du dernier mot proféré,
Comme, dans notre main, demeure le sentiment d'un poids
Alors que la cruche s'est à demi vidée sur le chemin de la maison.
Ce n'est pas moi qui dis ce que je dis là,
Ce sont des mots extraits de la terre comme des grains
d'un froment pétrifié.
Certains sur des monnaies figurent un lion,
D'autres une tête ;
Cuivre ou bronze, ces pastilles
Ont même honneur dans la terre où elles gisent.
Le siècle, à vouloir les éprouver, y a imprimé ses dents.
Le temps me rogne comme une pièce de monnaie
Et je me fais à moi-même défaut.
1923, Moscou. Traduction de Louis Martinez.
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Babel- Messages : 1081
Date d'inscription : 30/06/2011
Re: En poésie, la parole est libre
Psaume
Jeu
du
soufre fendu
au fond
du
gouffre pendu
cré-
celles
du désespoir
na-
celles
au ventre noir
Nathan-le-Saule
scribe de Dieu
penche l’épaule
ferme les yeux
Ni cri ni plainte
rien ne s’entend
au labyrinthe
courbe du temps
D’un bord sur l’autre
la nuit se plie
l'autre se vautre
au creux du lit
Jeu
du …
Chambre déserte
murs de granit
douleur offerte
à toi, Tanit
Bethsabée plante
ses ongles peints
dans la charpente
du jour éteint
Jeu
du …
Elle arrache elle
pétrit ses mains
l'ombre recèle
son cri sans fin
– Est-ce terre ailée ?
… mots en débris
… s'en est allé
l'enfant cabri
Jeu
du …
– Va va petite
au ventre nu
porter l'Hittite
au corps menu
et creuse en terre
un abri sûr
contre l'hiver
et ses gerçures
Jeu
du …
[Ce sont fredaines
que mes chansons
pour la bedaine
d'un échanson
un Béhémoth
qui s'enfle et danse
à la ribote
de nos silences. ]
La coupe aux lèvres
d'un trait se vide
–tombe la chèvre
au bord du vide…
Jeu
du …
L'arbre céleste
s'élève au bruit
des anapestes
au fond du puits
– Serre ta haire
Messire hibou :
je désespère
toujours debout.
Jeu
du
gouffre pendu…
Jeu
du
soufre fendu
au fond
du
gouffre pendu
cré-
celles
du désespoir
na-
celles
au ventre noir
Nathan-le-Saule
scribe de Dieu
penche l’épaule
ferme les yeux
Ni cri ni plainte
rien ne s’entend
au labyrinthe
courbe du temps
D’un bord sur l’autre
la nuit se plie
l'autre se vautre
au creux du lit
Jeu
du …
Chambre déserte
murs de granit
douleur offerte
à toi, Tanit
Bethsabée plante
ses ongles peints
dans la charpente
du jour éteint
Jeu
du …
Elle arrache elle
pétrit ses mains
l'ombre recèle
son cri sans fin
– Est-ce terre ailée ?
… mots en débris
… s'en est allé
l'enfant cabri
Jeu
du …
– Va va petite
au ventre nu
porter l'Hittite
au corps menu
et creuse en terre
un abri sûr
contre l'hiver
et ses gerçures
Jeu
du …
[Ce sont fredaines
que mes chansons
pour la bedaine
d'un échanson
un Béhémoth
qui s'enfle et danse
à la ribote
de nos silences. ]
La coupe aux lèvres
d'un trait se vide
–tombe la chèvre
au bord du vide…
Jeu
du …
L'arbre céleste
s'élève au bruit
des anapestes
au fond du puits
– Serre ta haire
Messire hibou :
je désespère
toujours debout.
Jeu
du
gouffre pendu…
Babel- Messages : 1081
Date d'inscription : 30/06/2011
Re: En poésie, la parole est libre
Il meurt lentement
celui qui ne voyage pas,
celui qui ne lit pas,
celui qui n’écoute pas de musique,
celui qui ne sait pas trouver
grâce à ses yeux.
Il meurt lentement
celui qui détruit son amour-propre,
celui qui ne se laisse jamais aider.
Il meurt lentement
celui qui devient esclave de l'habitude
refaisant tous les jours les mêmes chemins,
celui qui ne change jamais de repère,
Ne se risque jamais à changer la couleur
de ses vêtements
Ou qui ne parle jamais à un inconnu
Il meurt lentement
celui qui évite la passion
et son tourbillon d'émotions
celles qui redonnent la lumière dans les yeux
et réparent les coeurs blessés
Il meurt lentement
celui qui ne change pas de cap
lorsqu'il est malheureux
au travail ou en amour,
celui qui ne prend pas de risques
pour réaliser ses rêves,
celui qui, pas une seule fois dans sa vie,
n'a fui les conseils sensés.
Vis maintenant!
Risque-toi aujourd'hui!
Agis tout de suite!
Ne te laisse pas mourir lentement!
Ne te prive pas d'être heureux!
celui qui ne voyage pas,
celui qui ne lit pas,
celui qui n’écoute pas de musique,
celui qui ne sait pas trouver
grâce à ses yeux.
Il meurt lentement
celui qui détruit son amour-propre,
celui qui ne se laisse jamais aider.
Il meurt lentement
celui qui devient esclave de l'habitude
refaisant tous les jours les mêmes chemins,
celui qui ne change jamais de repère,
Ne se risque jamais à changer la couleur
de ses vêtements
Ou qui ne parle jamais à un inconnu
Il meurt lentement
celui qui évite la passion
et son tourbillon d'émotions
celles qui redonnent la lumière dans les yeux
et réparent les coeurs blessés
Il meurt lentement
celui qui ne change pas de cap
lorsqu'il est malheureux
au travail ou en amour,
celui qui ne prend pas de risques
pour réaliser ses rêves,
celui qui, pas une seule fois dans sa vie,
n'a fui les conseils sensés.
Vis maintenant!
Risque-toi aujourd'hui!
Agis tout de suite!
Ne te laisse pas mourir lentement!
Ne te prive pas d'être heureux!
Pablo Neruda
Achille- Messages : 2738
Date d'inscription : 24/12/2011
Juan Gelman
RETOURS
La parole qui
a croisé l’horreur, que fait-elle ?
traverse-t-elle les champs du délire
a découvert ?
s’apprivoise-t-elle ? pourrit-elle ?
refuse-t-elle d’avoir une âme ?
amoure-t-elle [1] encore, torturée et violée,
prend-elle des formes improbables
dans lesquelles un enfant, par peur, se tait ?
La parole
qui revient de l’horreur, la nomme-t-elle
dans l’enfer de son innocence ?
Qui extrait les mains de la nuit
avec le vide qu’elles ne retiennent pas ? Est-il
possible de faire rouler la langue, palper
son trou d’absences [3] ? La voir
comme s’il n’y avait pas d’avant ?
Et quoi, et après quoi, et après comment ?
Et combien de sang, tout ça ?
Agripper tous les mots, les écraser
et qu’ils donnent sur une autre lumière, dans une autre bouche
Qu’ils volent en éclats dans la dépossession.
Qu’ils commencent à nouveau.
Note XII
les rêves brisés par la réalité
les compagnons brisés par la réalité
les rêves des compagnons brisés
sont-ils vraiment brisés/perdus/rien
pourrissent-ils sous terre/leur lumière brisée
disséminée sous terre en fragments ?/parfois
les fragments vont-ils se réunir ?
y aura-t-il une fête des fragments réunis ?
et les fragments de compagnons/parfois
se réuniront-ils ?
cheminent-ils sous terre pour se réunir un jour
comme le dit manuel ? se
réuniront-il un jour ?
de ces fragments adorés est faite notre
concrète solitude / nous avons
per/du la douceur de paco/la tristesse d’
haroldo/la lucidité de rodolfo/
le courage de tant d’entre eux
maintenant dispersé en fragments sous
le pays entier
feuilles mortes de la ferveur/l’espoir/la foi/
fragments qui furent joie/combat/
confiance
dans les rêves/rêves/rêves/rêves/
et les fragments brisés du rêve/se réuniront-ils
parfois ?
se réuniront-ils un jour/fragments ?
demandent-ils qu’on les suspende au plafond
du rêve général ?
demandent-ils qu’on rêve mieux ?
os qui ont donné du feu à tant d’amour
exilés du sud sans maison ni numéro
ils déchantent maintenant de tant de rêve brisé
une fatigue leur distrait l’âme
à travers la douleur ils flânent comme des enfants
sous la pluie étrangère/une femme
parle à voix basse avec ses propres fragments
comme si elle les berçait/ne pas être/ou jamais
ils sont partis du pays ou patrie ou puma
qui parcourait la beauté comme
un bonheur malheureux/pays de la mémoire
là où je suis né/mort/où j’ai existé
petits os que j’ai réuni pour allumer/
terre qui m’enterrait pour toujours [4]
Juan Gelman, Valoir la peine - Notes
Traduction : Jean-Marc Undriener
http://www.fibrillations.net/Juan-Gelman-Valoir-la-peine
_________________
[1] amorar est un néologisme inventé par Gelman en 1968 dans Los poemas de Sydney West, fabriqué à partir du verbe amar qui signifie aimer, et qui marque la distinction que l’auteur veut établir entre aimer et vouloir (querer, en espagnol). « Amar no es querer » écrit à ce sujet le poète Eduardo Hurtado. Toujours est-il qu’en espagnol, je t’aime se dit te quiero (littéralement, je te veux). Le terme paraîssant intraduisible en tant que tel, j’ai donc opté pour amourer qui est, si j’ose dire, le néologisme qui me semble le plus proche de ce que l’auteur a pu vouloir dire, et aussi le moins improbable.
[2] Le Centre Clandestin de Détention Automotores Orletti a été, de mai à novembre 1976, le siège de l’opération Condor à Buenos Aires. Condor est le nom de code d’une campagne intra et internationale d’assassinats et de lutte anti-guérilla conduite conjointement par les services secrets des régimes dictatoriaux du Chili, de l’Argentine, de la Bolivie, du Brésil, du Paraguay et de l’Uruguay, avec vraisemblablement l’appui de la CIA. Au mois d’août 1976, le fils et la belle-fille de Juan Gelman ont été enlevés puis portés disparus après une période de détention au CCD "Automotores Orletti" dont les locaux n’étaient autres qu’une concession automobile à l’arrière de laquelle le garage servait de centre de torture.
[3] nuncas n’existe pas. Il s’agit encore là d’un néologisme. Il se traduirait littéralement par jamais — au pluriel. J’ai donc pris la liberté, dans l’esprit du texte, de le traduire par absences
[4] Juan Gelman s’est exilé au Mexique en 1975, peu de temps avant le coup d’état du général Videla et le génocide – aujourd’hui reconnu comme tel – qui a suivi. Il y vit toujours.
La parole qui
a croisé l’horreur, que fait-elle ?
traverse-t-elle les champs du délire
a découvert ?
s’apprivoise-t-elle ? pourrit-elle ?
refuse-t-elle d’avoir une âme ?
amoure-t-elle [1] encore, torturée et violée,
prend-elle des formes improbables
dans lesquelles un enfant, par peur, se tait ?
La parole
qui revient de l’horreur, la nomme-t-elle
dans l’enfer de son innocence ?
REGRESOS
La palabra que
cruzó el horror, ¿qué hace ?
¿Pasa los campos del delirio
sin protección ?¿
Se amansa ? ¿Se pudre ?
¿No quiere tener alma ?
¿Amora todavía, torturada y violada,
tiene figuras remotas
donde un niño de espanto calla ?
La palabra
que vuelve del horror, ¿lo nombra
en el infierno de su inocencia ?
CCD GARAGE ORLETTI [2]La palabra que
cruzó el horror, ¿qué hace ?
¿Pasa los campos del delirio
sin protección ?¿
Se amansa ? ¿Se pudre ?
¿No quiere tener alma ?
¿Amora todavía, torturada y violada,
tiene figuras remotas
donde un niño de espanto calla ?
La palabra
que vuelve del horror, ¿lo nombra
en el infierno de su inocencia ?
Qui extrait les mains de la nuit
avec le vide qu’elles ne retiennent pas ? Est-il
possible de faire rouler la langue, palper
son trou d’absences [3] ? La voir
comme s’il n’y avait pas d’avant ?
Et quoi, et après quoi, et après comment ?
Et combien de sang, tout ça ?
Agripper tous les mots, les écraser
et qu’ils donnent sur une autre lumière, dans une autre bouche
Qu’ils volent en éclats dans la dépossession.
Qu’ils commencent à nouveau.
CCD AUTOMOTORES ORLETTI
¿Quién saca las manos de la noche
con el vacío que no tienen ? ¿Es
posible dar vuelta la lengua, palpar
su agujero de nuncas ? ¿Verla
como si antes no fue ?
¿Y qué, y después de qué, y después cómo ?
¿Y cuánta sangre eso ?
Agarrar todas las palabras, pisarlas
y que salgan a otra luz, a otra boca.
Que vuelen en la desposesión.
Que empiecen otra vez.
¿Quién saca las manos de la noche
con el vacío que no tienen ? ¿Es
posible dar vuelta la lengua, palpar
su agujero de nuncas ? ¿Verla
como si antes no fue ?
¿Y qué, y después de qué, y después cómo ?
¿Y cuánta sangre eso ?
Agarrar todas las palabras, pisarlas
y que salgan a otra luz, a otra boca.
Que vuelen en la desposesión.
Que empiecen otra vez.
Note XII
les rêves brisés par la réalité
les compagnons brisés par la réalité
les rêves des compagnons brisés
sont-ils vraiment brisés/perdus/rien
pourrissent-ils sous terre/leur lumière brisée
disséminée sous terre en fragments ?/parfois
les fragments vont-ils se réunir ?
y aura-t-il une fête des fragments réunis ?
et les fragments de compagnons/parfois
se réuniront-ils ?
cheminent-ils sous terre pour se réunir un jour
comme le dit manuel ? se
réuniront-il un jour ?
de ces fragments adorés est faite notre
concrète solitude / nous avons
per/du la douceur de paco/la tristesse d’
haroldo/la lucidité de rodolfo/
le courage de tant d’entre eux
maintenant dispersé en fragments sous
le pays entier
feuilles mortes de la ferveur/l’espoir/la foi/
fragments qui furent joie/combat/
confiance
dans les rêves/rêves/rêves/rêves/
et les fragments brisés du rêve/se réuniront-ils
parfois ?
se réuniront-ils un jour/fragments ?
demandent-ils qu’on les suspende au plafond
du rêve général ?
demandent-ils qu’on rêve mieux ?
Nota XII
los sueños rotos por la realidad
los compañeros rotos por la realidad/
los sueños de los compañeros rotos
¿están verdaderamente rotos/perdidos/nada/
se pudren bajo tierra ?/¿su rota luz
diseminada a pedacitos bajo tierra ?/¿alguna vez
los pedacitos se van a juntar ?
¿va a haber la fiesta de los pedacitos que se
reúnen ?
y los pedacitos de los compañeros/¿alguna vez
se juntarán ?
¿caminan bajo tierra para juntarse un día
como dice manuel ?/¿se
juntarán un día ?
de esos amados pedacitos está hecha nuestra
concreta soledad/
per/dimos la suavidad de paco/la tristeza de
haroldo/la lucidez de rodolfo/
el coraje de tantos
ahora son pedacitos desparramados bajo todo
el país
hojitas caídas del fervor/la esperanza/la fe/
pedacitos que fueron alegría/combate/
confianza
en sueños/sueños/sueños/ sueños/
y los pedacitos rotos del sueño/¿se juntarán
alguna vez ?
¿se juntarán algún día/pedacitos ?
¿están diciendo que los enganchemos al tejido
del sueño general ?
¿están diciendo que soñemos mejor ?
Note XXIIlos sueños rotos por la realidad
los compañeros rotos por la realidad/
los sueños de los compañeros rotos
¿están verdaderamente rotos/perdidos/nada/
se pudren bajo tierra ?/¿su rota luz
diseminada a pedacitos bajo tierra ?/¿alguna vez
los pedacitos se van a juntar ?
¿va a haber la fiesta de los pedacitos que se
reúnen ?
y los pedacitos de los compañeros/¿alguna vez
se juntarán ?
¿caminan bajo tierra para juntarse un día
como dice manuel ?/¿se
juntarán un día ?
de esos amados pedacitos está hecha nuestra
concreta soledad/
per/dimos la suavidad de paco/la tristeza de
haroldo/la lucidez de rodolfo/
el coraje de tantos
ahora son pedacitos desparramados bajo todo
el país
hojitas caídas del fervor/la esperanza/la fe/
pedacitos que fueron alegría/combate/
confianza
en sueños/sueños/sueños/ sueños/
y los pedacitos rotos del sueño/¿se juntarán
alguna vez ?
¿se juntarán algún día/pedacitos ?
¿están diciendo que los enganchemos al tejido
del sueño general ?
¿están diciendo que soñemos mejor ?
os qui ont donné du feu à tant d’amour
exilés du sud sans maison ni numéro
ils déchantent maintenant de tant de rêve brisé
une fatigue leur distrait l’âme
à travers la douleur ils flânent comme des enfants
sous la pluie étrangère/une femme
parle à voix basse avec ses propres fragments
comme si elle les berçait/ne pas être/ou jamais
ils sont partis du pays ou patrie ou puma
qui parcourait la beauté comme
un bonheur malheureux/pays de la mémoire
là où je suis né/mort/où j’ai existé
petits os que j’ai réuni pour allumer/
terre qui m’enterrait pour toujours [4]
Nota XXII
huesos que fuego a tanto amor han dado
exiliados del sur sin casa o número
ahora desueñan tanto sueño roto
una fatiga les distrae el alma
por el dolor pasean como niños
bajo la lluvia ajena/una mujer
habla en voz baja con sus pedacitos
como acunándoles/no ser/o nunca
se fueron del país o patria o puma
que recorría la belleza como
dicha infeliz/país de la memoria
donde nací/morí/tuve sustancia/
huesitos que junté para encender/
tierra que me entierraba para siempre.
huesos que fuego a tanto amor han dado
exiliados del sur sin casa o número
ahora desueñan tanto sueño roto
una fatiga les distrae el alma
por el dolor pasean como niños
bajo la lluvia ajena/una mujer
habla en voz baja con sus pedacitos
como acunándoles/no ser/o nunca
se fueron del país o patria o puma
que recorría la belleza como
dicha infeliz/país de la memoria
donde nací/morí/tuve sustancia/
huesitos que junté para encender/
tierra que me entierraba para siempre.
Juan Gelman, Valoir la peine - Notes
Traduction : Jean-Marc Undriener
http://www.fibrillations.net/Juan-Gelman-Valoir-la-peine
_________________
[1] amorar est un néologisme inventé par Gelman en 1968 dans Los poemas de Sydney West, fabriqué à partir du verbe amar qui signifie aimer, et qui marque la distinction que l’auteur veut établir entre aimer et vouloir (querer, en espagnol). « Amar no es querer » écrit à ce sujet le poète Eduardo Hurtado. Toujours est-il qu’en espagnol, je t’aime se dit te quiero (littéralement, je te veux). Le terme paraîssant intraduisible en tant que tel, j’ai donc opté pour amourer qui est, si j’ose dire, le néologisme qui me semble le plus proche de ce que l’auteur a pu vouloir dire, et aussi le moins improbable.
[2] Le Centre Clandestin de Détention Automotores Orletti a été, de mai à novembre 1976, le siège de l’opération Condor à Buenos Aires. Condor est le nom de code d’une campagne intra et internationale d’assassinats et de lutte anti-guérilla conduite conjointement par les services secrets des régimes dictatoriaux du Chili, de l’Argentine, de la Bolivie, du Brésil, du Paraguay et de l’Uruguay, avec vraisemblablement l’appui de la CIA. Au mois d’août 1976, le fils et la belle-fille de Juan Gelman ont été enlevés puis portés disparus après une période de détention au CCD "Automotores Orletti" dont les locaux n’étaient autres qu’une concession automobile à l’arrière de laquelle le garage servait de centre de torture.
[3] nuncas n’existe pas. Il s’agit encore là d’un néologisme. Il se traduirait littéralement par jamais — au pluriel. J’ai donc pris la liberté, dans l’esprit du texte, de le traduire par absences
[4] Juan Gelman s’est exilé au Mexique en 1975, peu de temps avant le coup d’état du général Videla et le génocide – aujourd’hui reconnu comme tel – qui a suivi. Il y vit toujours.
Babel- Messages : 1081
Date d'inscription : 30/06/2011
Kza Han
"SIX COMETES"
La fuite du temps
D’un pinceau de lettré
se tire le chaos,
dans l’encre de Chine
se retire le chaos
D’un pinceau de lettré
se tire le chaos,
dans l’encre de Chine
se retire le chaos
Eros et le sacré
Leurs corps étaient immobiles. Sur leurs épaules, de lourds quartiers de viande reposaient. Leur blouse de travail était trempée de sang. Un autel rouge dressé dans l’espace blanc. Ils attendaient l’abattage du cheval. Les civilisés parlent. Les barbares se taisent.L’Allemagne en automne
C’est l’automne. L’Allemagne enterre son cadavre. La professeur d’histoire de l’Allemagne creuse la terre. Elle cherche la base de l’histoire d’Allemagne. Les feuilles se fanent et tombent doucement. Antigone viole la loi de Créon. Elle enterre le cadavre de son frère. Dans la forêt, les chevaux frémissants piaffent.Angles de site
De toute sa force
résistant à l’air vicié,
gingko, arbre du ciel
vêtu d’or.
De son noyau
lâchant une amande,
feuille en éventail
séparée de soi-même,
en quête de son double,
gingko, arbre du ciel
vêtu d’or.
Dans la foule
frappant le gong,
faisant la quête,
un moine errant
en position de zazen
sur sa natte
illuminée par
le soleil couchant.
Forçant la divination
par la terre
par la poussière
par les cailloux,
à l’encontre du vent
à l’encontre de l’eau,
cette incommensurable église
face au Mont Vert.
Autour du 38e parallèle,
dans les chars abandonnés
depuis un demi-siècle,
fôlatrent des animaux rares
parmi des plantes rares
en l’absence des hommes.
Or une Coréenne d’Amérique
de retour au pays natal
sur le dos de la Grue Bleue
se met en tête
par le ciel
de déjouer le 38e parallèle,
au son âpre du komùngo
éraflant de ses six cordes
les frontières invisibles.
De toute sa force
résistant à l’air vicié,
gingko, arbre du ciel
vêtu d’or.
De son noyau
lâchant une amande,
feuille en éventail
séparée de soi-même,
en quête de son double,
gingko, arbre du ciel
vêtu d’or.
Dans la foule
frappant le gong,
faisant la quête,
un moine errant
en position de zazen
sur sa natte
illuminée par
le soleil couchant.
Forçant la divination
par la terre
par la poussière
par les cailloux,
à l’encontre du vent
à l’encontre de l’eau,
cette incommensurable église
face au Mont Vert.
Autour du 38e parallèle,
dans les chars abandonnés
depuis un demi-siècle,
fôlatrent des animaux rares
parmi des plantes rares
en l’absence des hommes.
Or une Coréenne d’Amérique
de retour au pays natal
sur le dos de la Grue Bleue
se met en tête
par le ciel
de déjouer le 38e parallèle,
au son âpre du komùngo
éraflant de ses six cordes
les frontières invisibles.
Traces erratiques
Dans le chaudron glacial de Stalingrad se réfléchit le cerveau des soldats paralysés – “ Ne rien faire ” - “ Rien penser ” - “ Bruit blanc ” – seules leurs psalmodies encerclent de blanc le champ de bataille – “ Nous avons déjà perdu notre pays natal à Stalingrad… ” – Sans écho, l’irrépressible nostalgie s’en va en vain sur le chemin du retour. – “ Stalingrad, no man’s land ou le rire insensé du courage ! ” Asger Jorn dissout en vain toutes les couleurs de l’antique peinture d’histoire dans le blanc de l’Ouest, mat de la mort, sans retour au blanc de l’Est qui monte de la matité à la brillance. Stalingrad vit encore le huis clos, si profondément sombre le regard au rire erratique, crevassé de rouge et de noir, criblé de blanc. Si le noir imprime la volonté de vivre, le blanc exprime la volonté de mourir.Brutalité en pierre
Seuil sur seuil
porte sur porte
voûte sur voûte
violemment
s’avère
loi de chant
à travers
loi de ruine.
Seul
un vautour
du haut des airs
se scrute
de son rire erratique
à travers
livre de ruine.
Seuil sur seuil
porte sur porte
voûte sur voûte
violemment
s’avère
loi de chant
à travers
loi de ruine.
Seul
un vautour
du haut des airs
se scrute
de son rire erratique
à travers
livre de ruine.
Kza Han est née en 1942 à Jungup, en Corée.
Licence de français à l’Université des Langues étrangères de Corée. Maîtrise de Lettres Modernes sur Samuel Beckett. Apprentissage de l’allemand en compagnie de F. Hölderlin, J. Roth, F. Nietzsche, A. Kluge… Parmi ses publications, Traces erratiques (poèmes en français, allemand, coréen, éditions du Petit Véhicule, Nantes 2007).
Vient de paraître : « Douze corps célestes » dans TK-21 n° 18, avec douze anaglyphes d’Ekkehart Rautenstrauch en lecture-projection à la Cité des congrès de Nantes le 21 mars 2013.
(Présentation trouvée sur le site de la revue Variations, qui met en ligne deux autres de ses textes : http://variations.revues.org/626 )
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