En poésie, la parole est libre
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Les poètes de la Méditerranée (5)
Palestine
Peut-être
Hier
Dans mon sommeil
Je me suis vu mourir
J’ai vu la mort de mes yeux
Je l’ai sentie,
J’étais en elle.
J’ignorais auparavant
Que la mort dans ses diverses phases
Coulait avec une telle fluidité :
Torpeur pâle et chaleureuse,
Impression exquise de sommeil.
Dans cet état
Ni frayeur ni douleur ne subsistent.
Il se peut que la peur outrancière de la mort
Se fonde sur l’intense exaltation
De notre désir de vivre.
Peut-être.
De ma mort je puis tout décrire
Sauf ce frisson destructeur
Qui nous submerge à l’heure ultime
Lorsque nous savons
Que le fil nous liant à nos intimes
Va se rompre
Que nous ne les verrons plus,
Et n’arriverons même plus
À penser à eux.
Taha Muhammad Ali
Ce jour-là
Rien n’a changé en lui
La table et sa chaise sont sur le balcon
Son livre est ouvert à la dernière page
Son cendrier, ses papiers...
Il dessinait un brin de basilic chaque fois qu’il avait mal,
Un oiseau lorsqu’une mort était annoncée à la radio
Et après le second verre
Il dessinait des figures obscures et mystérieuses
Rien n’a changé en lui
Mais, depuis ce jour-là, il n’est plus revenu à sa chaise
Il n’a plus jamais accordé d’attention
Au bruit des bottes
Depuis ce jour-là son rire communicateur
N’a plus résonné dans notre maison,
Son rire insouciant et triste.
Absence
Sa chambre vide :
Un siège de cuir noir à droite
Un siège de cuir noir à gauche
Un tricot vert et noir, fatigué, éperdu d’amour,
Posé sur le rebord en marbre de la fenêtreRien : sa chambre vide.
Pas de vent, pas le moindre bruit
Les violettes se réfugient dans le mur
Et derrière la vitre les nuages
S’enfoncent dans l’azur impénétrable.
Soudain...
Un bruit étouffé et doux dans le corridor
Soudain...
Son absence ardente et profonde
Emplit la chambre.
Les maisons
Dans ses yeux, le nuage de l’exil.
Dans la serviette de cuir, le livre, le crayon
Et un portrait de famille
Dans ses mains l’étain des fauteuils,
L’étain des corniches et des ornières
Dans ses mains l’étain de la poignée de main.
La serviette s’est inclinée vers le mur.
Va-t-il sortir d’abord ses mémoires ou, tel un magicien, une patrie :
Une maison,
Une rue
Et une capitale.
Il a fermé les yeux
Et s’est penché sur l’épaule de ses légitimes habitudes :
Il ne se liera plus d’amitié avec un autre vase
Il ne se confiera plus à un lit prêt à exploser dès la prochaine guerre
Il ne fera plus de thé, il ne chantera plus.
Il rôdera longtemps, entre cuisine et corridor
Et prêtera l’oreille au moindre bruit venant du portail du jardin.
Rien que papiers froissés sous des pas
Qui viennent
Puis
S’éloignent
Rien que murmures dans les maisons voisines.
Walid Khaznadar
Paysage
Ils s’élèvent sans un regard
Leur silence couvre leurs présences
Leurs propos diminueront tout en haut.
Dans les plaines, le sommeil de la création
Et la solitude des tués
Résonnent clairement.
En bas...
Les carillons du regret profond s’élèvent
En bas... les arcs des collines répartissent la lumière blafarde
En bas... les lieux se rejoignent...
Et l’on peut voir l’immensité de la terre
Où sans aucune intention ils s’assiéront.
Présence
Il est là qui mêle tout dans la nuit
Qui empoigne le coeur
Et illumine la chambre des morts.
Le chien soudain se tait
Les meubles se font plus sombres.
Soudain...
Le jasmin cogne ses branches contre la vitre.
Des pas gravissent les trois marches
Des pas dans le couloir
Des pas dans l’ombre
Des pas... comme l’absence.
Les fleurs depuis deux jours fanées
Relèvent leurs pétales...
Au tableau, le joueur de luth
Relâche les doigts...
Soudain...
La poignée de la porte !
La complainte du mari
La nuit
Lorsque mon miroir sèche et que crie mon mari
Qu’une fenêtre, en rafale se lève
Devant ma maison, sur le muret
Qui semble plus haut dans la nuit,
... Tu es là-bas, nette et tranchée devant le feu
Ta voix effleure les objets...
Souvenir de nos pas sur le seuil,
Souvenir de deux palmiers à la hauteur obscure
Souvenir de l’attente du fleuve,
Souvenir...
... Nulle fleur sur le marbre
Nulle litanie dans l’air
La méditation des roues luit sur la boue des champs.
Une obscurité bat de toute sa vivacité... et se pose
Souvenir
Puis souvenir
Puis mon odeur...
Rien que mon odeur.
Oreiller
Reste-t-il du temps
pour lui dire,
Mère,
bonsoir,
je suis revenu
avec une balle dans le coeur.
Mon oreiller est là
je veux m’allonger
et me reposer.
Si la guerre
revient frapper à la porte
dites-leur : il est en train
de se reposer…
Ghassan Zaqtane
Peut-être
Hier
Dans mon sommeil
Je me suis vu mourir
J’ai vu la mort de mes yeux
Je l’ai sentie,
J’étais en elle.
J’ignorais auparavant
Que la mort dans ses diverses phases
Coulait avec une telle fluidité :
Torpeur pâle et chaleureuse,
Impression exquise de sommeil.
Dans cet état
Ni frayeur ni douleur ne subsistent.
Il se peut que la peur outrancière de la mort
Se fonde sur l’intense exaltation
De notre désir de vivre.
Peut-être.
De ma mort je puis tout décrire
Sauf ce frisson destructeur
Qui nous submerge à l’heure ultime
Lorsque nous savons
Que le fil nous liant à nos intimes
Va se rompre
Que nous ne les verrons plus,
Et n’arriverons même plus
À penser à eux.
Taha Muhammad Ali
Ce jour-là
Rien n’a changé en lui
La table et sa chaise sont sur le balcon
Son livre est ouvert à la dernière page
Son cendrier, ses papiers...
Il dessinait un brin de basilic chaque fois qu’il avait mal,
Un oiseau lorsqu’une mort était annoncée à la radio
Et après le second verre
Il dessinait des figures obscures et mystérieuses
Rien n’a changé en lui
Mais, depuis ce jour-là, il n’est plus revenu à sa chaise
Il n’a plus jamais accordé d’attention
Au bruit des bottes
Depuis ce jour-là son rire communicateur
N’a plus résonné dans notre maison,
Son rire insouciant et triste.
Absence
Sa chambre vide :
Un siège de cuir noir à droite
Un siège de cuir noir à gauche
Un tricot vert et noir, fatigué, éperdu d’amour,
Posé sur le rebord en marbre de la fenêtreRien : sa chambre vide.
Pas de vent, pas le moindre bruit
Les violettes se réfugient dans le mur
Et derrière la vitre les nuages
S’enfoncent dans l’azur impénétrable.
Soudain...
Un bruit étouffé et doux dans le corridor
Soudain...
Son absence ardente et profonde
Emplit la chambre.
Les maisons
Dans ses yeux, le nuage de l’exil.
Dans la serviette de cuir, le livre, le crayon
Et un portrait de famille
Dans ses mains l’étain des fauteuils,
L’étain des corniches et des ornières
Dans ses mains l’étain de la poignée de main.
La serviette s’est inclinée vers le mur.
Va-t-il sortir d’abord ses mémoires ou, tel un magicien, une patrie :
Une maison,
Une rue
Et une capitale.
Il a fermé les yeux
Et s’est penché sur l’épaule de ses légitimes habitudes :
Il ne se liera plus d’amitié avec un autre vase
Il ne se confiera plus à un lit prêt à exploser dès la prochaine guerre
Il ne fera plus de thé, il ne chantera plus.
Il rôdera longtemps, entre cuisine et corridor
Et prêtera l’oreille au moindre bruit venant du portail du jardin.
Rien que papiers froissés sous des pas
Qui viennent
Puis
S’éloignent
Rien que murmures dans les maisons voisines.
Walid Khaznadar
Paysage
Ils s’élèvent sans un regard
Leur silence couvre leurs présences
Leurs propos diminueront tout en haut.
Dans les plaines, le sommeil de la création
Et la solitude des tués
Résonnent clairement.
En bas...
Les carillons du regret profond s’élèvent
En bas... les arcs des collines répartissent la lumière blafarde
En bas... les lieux se rejoignent...
Et l’on peut voir l’immensité de la terre
Où sans aucune intention ils s’assiéront.
Présence
Il est là qui mêle tout dans la nuit
Qui empoigne le coeur
Et illumine la chambre des morts.
Le chien soudain se tait
Les meubles se font plus sombres.
Soudain...
Le jasmin cogne ses branches contre la vitre.
Des pas gravissent les trois marches
Des pas dans le couloir
Des pas dans l’ombre
Des pas... comme l’absence.
Les fleurs depuis deux jours fanées
Relèvent leurs pétales...
Au tableau, le joueur de luth
Relâche les doigts...
Soudain...
La poignée de la porte !
La complainte du mari
La nuit
Lorsque mon miroir sèche et que crie mon mari
Qu’une fenêtre, en rafale se lève
Devant ma maison, sur le muret
Qui semble plus haut dans la nuit,
... Tu es là-bas, nette et tranchée devant le feu
Ta voix effleure les objets...
Souvenir de nos pas sur le seuil,
Souvenir de deux palmiers à la hauteur obscure
Souvenir de l’attente du fleuve,
Souvenir...
... Nulle fleur sur le marbre
Nulle litanie dans l’air
La méditation des roues luit sur la boue des champs.
Une obscurité bat de toute sa vivacité... et se pose
Souvenir
Puis souvenir
Puis mon odeur...
Rien que mon odeur.
Oreiller
Reste-t-il du temps
pour lui dire,
Mère,
bonsoir,
je suis revenu
avec une balle dans le coeur.
Mon oreiller est là
je veux m’allonger
et me reposer.
Si la guerre
revient frapper à la porte
dites-leur : il est en train
de se reposer…
Ghassan Zaqtane
Babel- Messages : 1081
Date d'inscription : 30/06/2011
Les poètes de la Méditerranée (6)
Egypte
Perçant les murs du village,
La tombe égorgée s’envole.
Les chauves-souris du soir affluent
Et les lanternes s’éteignent.
Perçant l’air du village, les araignées tombent
Et en récitant leurs oraisons funèbres légendaires,
Les criquets grincent terriblement...
Ravagent... les astres des ténèbres.
Les auges s’emplissent alors
De cendres, lorsque la faim expire.
Notre village est une vieille aux dents arrachées par le pain.
Sur ses seins se pavanent les hannetons, errent les charançons.
Dans ses yeux, une lanterne de ténèbres
Balancée par les saisons du limon aride.
Dans son flanc, une lame aiguisée est plantée.
Mais ni son sang ne jaillit, ni sa douleur.
Sur son crâne, un tatouage brûlant altéré.
Dans ses tresses, les soleils noirs se lèvent
Et rouillent les lunes dans leurs élégies.
Notre village fouille les fissures de l’été, à la recherche
d’un lézard vert,
De lait de corbeau et de blé de caméléon,
Et elle en vieillit. Puis s’éteint le sang prisonnier de sa matrice.
De ses cuisses file une progéniture aux yeux perdus.
Année après année, les enfants versent
Le sang primitif, dissolvent les chants légendaires
Dans l'oeil du soleil, puisent la boue dans le monde souterrain
des esprits et des rêves
Et se courbent année après année,
Sans goûter la moindre bouchée.
Les démons des ténèbres hantèrent le moulin du village.
Ils célébrèrent leurs noces dans son silence,
Dansèrent sur la rouille des auges.
Notre village, lui, se lamentait sous le gibet des vents et la faim
Épanouissait les fleurs des chouettes et les bûches.
Les garçons frappent aux portes
Et puisent dans la lune de la famine et les étoiles muettes
Des poèmes gris
Les garçons frappent aux portes
Et invoquent le soleil primitif
Les garçons frappent aux portes :
« Viens, par les ponts de glace,
Ô soleil des cieux enneigés,
Ô lune des épis, nous sommes juchés dans le noir,
Privés du goût de semoule, du vert des herbes
Et du goût de la levure expirant son acide voluptueux
Dans une matrice d’argile.
Nous sommes affamés, ô lune des épis... Pousse le moulin muet
Pour qu’il nous offre, ne serait-ce qu’une poignée de sa semoule,
mélangé au fenugrec.
Ô lune des épis et des mythes,
Éclate sur le pont de la famine... en tranches de pain »
À travers les murs du village,
Les branches du soleil primitif murmurent :
« Les auges éclatent en rire dans les moulins.
Sur tes seins, deux nerpruns
Rient dans le sang de l’enfer à la voix grave.
Leurs voix rient pour le soleil.
Elles ouvrent leur porte nocturne entre le sang et l’accouchement pénible .
Mohamed Afifi Matar
Tu peux poser le bout des doigts
Sur les touches du piano
Et enfouir ta voix entre celles des canaris et des cascades d’eau
Mais tu ne peux poser tes pieds sur terre.
Toi, qui t’élèves si fort au-dessus de tes rêves
Le sifflement du dernier train
Signifie que c’est le premier qui arrive,
Comme une calme nostalgie de l’originel.
Ne mets pas la nuit dans ta poche
Accompagne-la jusqu’au lit ;
Après le repos
Dénoue lacets et agrafes
Nettoie sa tête pleine de poux
Puis mets-la entre tes testicules...
Et remplis ta gorge meurtrie de voix d’animaux !
Tu te perdras
Tu bâtiras une pièce sans mur
Tu peux étendre tout ton corps vers Dieu
Mais tu es incapable de t’étendre sur Marie
Je ne sais comment ta plume glissait sur les couleurs
Comment tes chants avaient emprisonné toute la lumière
Ne laissant pas une seule lueur,
même pour une vache dans un pré.
Tu n’as pas vu Le dernier tango
Tu n’as pu voir Le dernier tango :
La nuit dans laquelle tu te nichais
Marchait à tes côtés
Te craignant comme un vieillard
Dont seul le bâton tambourinait
Écoute !
Tu auras la nostalgie d’une autre nuit
Qui se glissera par les fenêtres,
Se déchaussera pendant la journée, face au soleil.
Qui, lui, se déguisera
En un chat noir assis à tes pieds
Tu peux voler au-dessus de la muraille
Jeter des regards aux étoiles
Pendant qu’elles se gargouillent de lumière
Inviter quelques-unes pour un voyage
Mais moi, je t’invite à la hâte
Toi, qui t’élèves si fort au-dessus de tes rêves
À sortir de ton éternité
Et venir voir avec moi Caligula
et La dernière tentation du Christ
Et la revue Play-Boy
Ainsi, surpris par la fin du monde
Tu pourras aimer ton corps oisif
Et non pas ce corps transparent.
Abdelmonem Ramadan
1. Oui, le nœud papillon du chef – comme une flèche pointant dans deux directions opposées – était bien fatigué, et on n’a pas vu les doigts des musiciens. Mais on les a vus sortir, l’un après l’autre, et on a su que les poètes qui étaient arrivés tôt avaient pris le parti de la flûte – pourtant sa tristesse est belle et pleine – et qu’ils avaient beaucoup fumé entre deux morceaux. Tout cela ne nous importait pas, nous voulions voir le rideau noir derrière la scène. On était en retard, on a juste aperçu les universitaires quand ils ont récupéré leurs manteaux.
2. Non, en fait l’ambiance était étouffante, comme si vous étiez dans une caserne, obligé de répéter l’hymne national. Sauf que, comme vous le savez, il pleut en général dans les films étrangers.
3. On n’a pas regretté que le concert soit terminé. Plutôt que de filer le drame vers l’autre rive, on a traversé le pont, salué le vendeur de colifichets qui rentrait du mouled d’El-Hussein.
4. Oui, je les ai perdus au milieu d’un troupeau de chameaux qui sortaient de la Ligue arabe. Quand on s’est retrouvés, on a donné un peu de nos cigarettes au soldat en faction devant un immeuble dont il ne connaît pas le nom. Enfin on est arrivé au bar du centre ville, pleins d’humanité et d’égratignures éparses.
5. Il nous a fallu nous asseoir là quatre ans. On a lu Samir Amin, tenté d’égyptianiser Henry Miller. Kundera, lui, a changé nos manières de justifier la trahison.
6. Là aussi on a reçu une lettre d’un ami qui vit à Paris, il nous disait qu’il a découvert en lui quelqu’un d’autre et qu’il n’arrive pas à s’y habituer, qu’il traîne chaque jour sa misère derrière lui sur des trottoirs plus lisses que ceux du tiers monde et qu’il se démolit bien mieux. On a passé des mois à l’envier et à souhaiter qu’ils nous expulsent vers une autre capitale.
7. On ne s’est pas affolés quand nos poches se sont vidées : un des nôtres était devenu soufi et après une courte invocation – je vous jure – un puits de bière a jailli sous nos pieds. On a joué à tomber dans les pommes, on s’est fait un dictionnaire avec des mots à nous : bocan, nulos, bétoc, chagaille, etc.
8. On criait très fort, personne ne nous comprenait. Quand le plus âgé d’entre nous a proposé qu’on devienne positifs, j’étais en train de réfléchir au moyen de transformer les toilettes publiques en pleuroirs et les grandes places en urinoirs. A cet instant, un intellectuel rassis criait après son ami : “Quand je parle de démocratie, tu la fermes et tu t’écrases.”
9. On a couru une bonne heure, à la rue Moezz on s’était un peu calmés. Là, on rencontré un martyr contrarié ; on l’a rassuré : il était bien vivant, il pouvait gagner sa croûte s’il voulait. D’ailleurs, il n’y avait jamais eu de bataille.
10. Oui, nous étions près d’affermir notre relation avec la métaphysique, si l’un des nôtres n’avait caché son crâne sous un chapeau de luxe. On nous prenait pour des touristes, au point qu’un vendeur d’épices se mit à nous suivre en répétant : « Stop siouplaît, wait siouplaît »
11. Il ne nous restait plus que le cimetière de l’Imam. On s’est assis là, une autre année, à humer l’odeur de la goyave. Quand j’ai décidé de les quitter, tous, de marcher seule, j’avais trente ans.
Iman Mersal
Lune rouge
Perçant les murs du village,
La tombe égorgée s’envole.
Les chauves-souris du soir affluent
Et les lanternes s’éteignent.
Perçant l’air du village, les araignées tombent
Et en récitant leurs oraisons funèbres légendaires,
Les criquets grincent terriblement...
Ravagent... les astres des ténèbres.
Les auges s’emplissent alors
De cendres, lorsque la faim expire.
Notre village est une vieille aux dents arrachées par le pain.
Sur ses seins se pavanent les hannetons, errent les charançons.
Dans ses yeux, une lanterne de ténèbres
Balancée par les saisons du limon aride.
Dans son flanc, une lame aiguisée est plantée.
Mais ni son sang ne jaillit, ni sa douleur.
Sur son crâne, un tatouage brûlant altéré.
Dans ses tresses, les soleils noirs se lèvent
Et rouillent les lunes dans leurs élégies.
Notre village fouille les fissures de l’été, à la recherche
d’un lézard vert,
De lait de corbeau et de blé de caméléon,
Et elle en vieillit. Puis s’éteint le sang prisonnier de sa matrice.
De ses cuisses file une progéniture aux yeux perdus.
Année après année, les enfants versent
Le sang primitif, dissolvent les chants légendaires
Dans l'oeil du soleil, puisent la boue dans le monde souterrain
des esprits et des rêves
Et se courbent année après année,
Sans goûter la moindre bouchée.
Les démons des ténèbres hantèrent le moulin du village.
Ils célébrèrent leurs noces dans son silence,
Dansèrent sur la rouille des auges.
Notre village, lui, se lamentait sous le gibet des vents et la faim
Épanouissait les fleurs des chouettes et les bûches.
Les garçons frappent aux portes
Et puisent dans la lune de la famine et les étoiles muettes
Des poèmes gris
Les garçons frappent aux portes
Et invoquent le soleil primitif
Les garçons frappent aux portes :
« Viens, par les ponts de glace,
Ô soleil des cieux enneigés,
Ô lune des épis, nous sommes juchés dans le noir,
Privés du goût de semoule, du vert des herbes
Et du goût de la levure expirant son acide voluptueux
Dans une matrice d’argile.
Nous sommes affamés, ô lune des épis... Pousse le moulin muet
Pour qu’il nous offre, ne serait-ce qu’une poignée de sa semoule,
mélangé au fenugrec.
Ô lune des épis et des mythes,
Éclate sur le pont de la famine... en tranches de pain »
À travers les murs du village,
Les branches du soleil primitif murmurent :
« Les auges éclatent en rire dans les moulins.
Sur tes seins, deux nerpruns
Rient dans le sang de l’enfer à la voix grave.
Leurs voix rient pour le soleil.
Elles ouvrent leur porte nocturne entre le sang et l’accouchement pénible .
Mohamed Afifi Matar
Préambule aux instincts
Tu peux poser le bout des doigts
Sur les touches du piano
Et enfouir ta voix entre celles des canaris et des cascades d’eau
Mais tu ne peux poser tes pieds sur terre.
Toi, qui t’élèves si fort au-dessus de tes rêves
Le sifflement du dernier train
Signifie que c’est le premier qui arrive,
Comme une calme nostalgie de l’originel.
Ne mets pas la nuit dans ta poche
Accompagne-la jusqu’au lit ;
Après le repos
Dénoue lacets et agrafes
Nettoie sa tête pleine de poux
Puis mets-la entre tes testicules...
Et remplis ta gorge meurtrie de voix d’animaux !
Tu te perdras
Tu bâtiras une pièce sans mur
Tu peux étendre tout ton corps vers Dieu
Mais tu es incapable de t’étendre sur Marie
Je ne sais comment ta plume glissait sur les couleurs
Comment tes chants avaient emprisonné toute la lumière
Ne laissant pas une seule lueur,
même pour une vache dans un pré.
Tu n’as pas vu Le dernier tango
Tu n’as pu voir Le dernier tango :
La nuit dans laquelle tu te nichais
Marchait à tes côtés
Te craignant comme un vieillard
Dont seul le bâton tambourinait
Écoute !
Tu auras la nostalgie d’une autre nuit
Qui se glissera par les fenêtres,
Se déchaussera pendant la journée, face au soleil.
Qui, lui, se déguisera
En un chat noir assis à tes pieds
Tu peux voler au-dessus de la muraille
Jeter des regards aux étoiles
Pendant qu’elles se gargouillent de lumière
Inviter quelques-unes pour un voyage
Mais moi, je t’invite à la hâte
Toi, qui t’élèves si fort au-dessus de tes rêves
À sortir de ton éternité
Et venir voir avec moi Caligula
et La dernière tentation du Christ
Et la revue Play-Boy
Ainsi, surpris par la fin du monde
Tu pourras aimer ton corps oisif
Et non pas ce corps transparent.
Abdelmonem Ramadan
Le Seuil
1. Oui, le nœud papillon du chef – comme une flèche pointant dans deux directions opposées – était bien fatigué, et on n’a pas vu les doigts des musiciens. Mais on les a vus sortir, l’un après l’autre, et on a su que les poètes qui étaient arrivés tôt avaient pris le parti de la flûte – pourtant sa tristesse est belle et pleine – et qu’ils avaient beaucoup fumé entre deux morceaux. Tout cela ne nous importait pas, nous voulions voir le rideau noir derrière la scène. On était en retard, on a juste aperçu les universitaires quand ils ont récupéré leurs manteaux.
2. Non, en fait l’ambiance était étouffante, comme si vous étiez dans une caserne, obligé de répéter l’hymne national. Sauf que, comme vous le savez, il pleut en général dans les films étrangers.
3. On n’a pas regretté que le concert soit terminé. Plutôt que de filer le drame vers l’autre rive, on a traversé le pont, salué le vendeur de colifichets qui rentrait du mouled d’El-Hussein.
4. Oui, je les ai perdus au milieu d’un troupeau de chameaux qui sortaient de la Ligue arabe. Quand on s’est retrouvés, on a donné un peu de nos cigarettes au soldat en faction devant un immeuble dont il ne connaît pas le nom. Enfin on est arrivé au bar du centre ville, pleins d’humanité et d’égratignures éparses.
5. Il nous a fallu nous asseoir là quatre ans. On a lu Samir Amin, tenté d’égyptianiser Henry Miller. Kundera, lui, a changé nos manières de justifier la trahison.
6. Là aussi on a reçu une lettre d’un ami qui vit à Paris, il nous disait qu’il a découvert en lui quelqu’un d’autre et qu’il n’arrive pas à s’y habituer, qu’il traîne chaque jour sa misère derrière lui sur des trottoirs plus lisses que ceux du tiers monde et qu’il se démolit bien mieux. On a passé des mois à l’envier et à souhaiter qu’ils nous expulsent vers une autre capitale.
7. On ne s’est pas affolés quand nos poches se sont vidées : un des nôtres était devenu soufi et après une courte invocation – je vous jure – un puits de bière a jailli sous nos pieds. On a joué à tomber dans les pommes, on s’est fait un dictionnaire avec des mots à nous : bocan, nulos, bétoc, chagaille, etc.
8. On criait très fort, personne ne nous comprenait. Quand le plus âgé d’entre nous a proposé qu’on devienne positifs, j’étais en train de réfléchir au moyen de transformer les toilettes publiques en pleuroirs et les grandes places en urinoirs. A cet instant, un intellectuel rassis criait après son ami : “Quand je parle de démocratie, tu la fermes et tu t’écrases.”
9. On a couru une bonne heure, à la rue Moezz on s’était un peu calmés. Là, on rencontré un martyr contrarié ; on l’a rassuré : il était bien vivant, il pouvait gagner sa croûte s’il voulait. D’ailleurs, il n’y avait jamais eu de bataille.
10. Oui, nous étions près d’affermir notre relation avec la métaphysique, si l’un des nôtres n’avait caché son crâne sous un chapeau de luxe. On nous prenait pour des touristes, au point qu’un vendeur d’épices se mit à nous suivre en répétant : « Stop siouplaît, wait siouplaît »
11. Il ne nous restait plus que le cimetière de l’Imam. On s’est assis là, une autre année, à humer l’odeur de la goyave. Quand j’ai décidé de les quitter, tous, de marcher seule, j’avais trente ans.
Iman Mersal
Babel- Messages : 1081
Date d'inscription : 30/06/2011
Les poètes de la Méditerranée (7)
Libye
Il est mort
Aucune goutte de pluie ne s'est attristée
Aucun visage humain ne s'est assombri
La lune n'a pas survolé sa tombe de nuit
Aucun ver paresseux n'y a déployé son corps
Aucune pierre ne s'est fendue
Il est mort demain
cadavre sali
linceul oublié
tel un rêve...
le peuple s'est réveillé
et a traversé le champ des roses au crépuscule
comme un ouragan
il est mort
dans son âme noircie incendiée un passé de sang et de gibets suspendus
des cris de révolte dans les prisons
visages douloureux et fendillés des vieilles
bras tordus dressés comme des faucilles
yeux où plonge l'ombre des potences
ô mon fils
en quel lieu les soldats ont-ils emmené ton visage
pourquoi m'ont-ils privé de l'odeur de ta chemise ?
mon fils si beau dans l'éclat de sa jeunesse
marchait sur les élans des cœurs
le geôlier a cadenassé la porte de sa grande prison
une chaîne a rampé
et le fouet a enveloppé la nuit de lamentations
et toi mon père
reviendras-tu avant l'hiver ?
tu nous trouveras en pleurs
reviens-nous
ma mère mes soeurs et moi
nous bruissons de pleurs
reviens pour qu'on cesse de nous traiter de pauvres et d'orphelins
mon père est-il innocent
j'ai demandé tristement aux passants
pourquoi l'ont-ils ligoté avec des chaînes ?
ils ont baissé la tête
comme s'ils étaient tous prisonniers
ils ont cogné de nuit à la porte et sont entrés
qui êtes-vous ?
Que voulez-vous ?
Que portez-vous ?
Une fois son cadavre posé auprès du mur
J'ai scruté le visage des souvenirs
et séché mes pleurs avec les larmes des autres
demain le cortège de la faim passera par notre rue
verdissez les années de la disette
tombez ô pluie
noyez les champs de blé et de riz
noyez le fleuve
essuyez de votre main de cendre la tristesse des arbres
viendra un jour où les moissons seront à moi
à moi le ciel le monde et le cours du ruisseau
quand prendra fin la famine de la terre
et celle des humains
un jour aussi sombre aussi humide
qu'un long labyrinthe
il s'est réveillé
a secoué ses mains de la rigidité du cadavre...
et les mains qui racontaient les faucilles des champs
se prolongèrent palmiers plaintifs
dans ses yeux
il s'est écroulé par terre
dans un râle déchirant
et vit du mur de l'horizon descendre une corde
et un cadavre froid tomber dans la boue.
Mohammed al-Faytouri
IL EST MORT DEMAIN
Il est mort
Aucune goutte de pluie ne s'est attristée
Aucun visage humain ne s'est assombri
La lune n'a pas survolé sa tombe de nuit
Aucun ver paresseux n'y a déployé son corps
Aucune pierre ne s'est fendue
Il est mort demain
cadavre sali
linceul oublié
tel un rêve...
le peuple s'est réveillé
et a traversé le champ des roses au crépuscule
comme un ouragan
il est mort
dans son âme noircie incendiée un passé de sang et de gibets suspendus
des cris de révolte dans les prisons
visages douloureux et fendillés des vieilles
bras tordus dressés comme des faucilles
yeux où plonge l'ombre des potences
ô mon fils
en quel lieu les soldats ont-ils emmené ton visage
pourquoi m'ont-ils privé de l'odeur de ta chemise ?
mon fils si beau dans l'éclat de sa jeunesse
marchait sur les élans des cœurs
le geôlier a cadenassé la porte de sa grande prison
une chaîne a rampé
et le fouet a enveloppé la nuit de lamentations
et toi mon père
reviendras-tu avant l'hiver ?
tu nous trouveras en pleurs
reviens-nous
ma mère mes soeurs et moi
nous bruissons de pleurs
reviens pour qu'on cesse de nous traiter de pauvres et d'orphelins
mon père est-il innocent
j'ai demandé tristement aux passants
pourquoi l'ont-ils ligoté avec des chaînes ?
ils ont baissé la tête
comme s'ils étaient tous prisonniers
ils ont cogné de nuit à la porte et sont entrés
qui êtes-vous ?
Que voulez-vous ?
Que portez-vous ?
Une fois son cadavre posé auprès du mur
J'ai scruté le visage des souvenirs
et séché mes pleurs avec les larmes des autres
demain le cortège de la faim passera par notre rue
verdissez les années de la disette
tombez ô pluie
noyez les champs de blé et de riz
noyez le fleuve
essuyez de votre main de cendre la tristesse des arbres
viendra un jour où les moissons seront à moi
à moi le ciel le monde et le cours du ruisseau
quand prendra fin la famine de la terre
et celle des humains
un jour aussi sombre aussi humide
qu'un long labyrinthe
il s'est réveillé
a secoué ses mains de la rigidité du cadavre...
et les mains qui racontaient les faucilles des champs
se prolongèrent palmiers plaintifs
dans ses yeux
il s'est écroulé par terre
dans un râle déchirant
et vit du mur de l'horizon descendre une corde
et un cadavre froid tomber dans la boue.
Mohammed al-Faytouri
Babel- Messages : 1081
Date d'inscription : 30/06/2011
Les poètes de la Méditerranée (8)
Tunisie
Un seul auteur, pour cette série qui tire à sa fin : Moncef Louhaïbi. Choix partial et forcément peu équitable, les autres poètes que cite l'anthologie m'ayant paru tout aussi dignes d'écoute, qu'ils se nomment Tahar Bekri ou Mohamed al-Sghaier Ouled Ahmed.
Dans le lit maternel
La poupée de ma soeur
Une poupée écartelée.
Prends-la
Elle sent le camphre et la girofle
Rends-lui
Ses bras, ses jambes
Et rectifie sa charpente disloquée
Alors, peut-être les temps anciens
Se redressent.
Dis au puits du jardin
D’inviter notre fillette
Et aux ailes de l’alouette
D’humecter mon enfance.
Depuis des années il arrive
Qu’une voix étouffée
Me réveille la nuit.
Par le trou de la serrure
Il n’y a rien
Une lanterne se meut
Entre les pièces.
- Qui te cherche ?
- Peut-être n’as-tu pas bien fermé la porte !
- Peut-être.
Je me retourne
Pas une maison, pas une lumière,
Rien d’autre qu’une fenêtre
S’embrasant dans le charbon noir de la nuit
.
J’ai dressé la table
Mais ni ceux que j’ai conviés
Ni ceux que j’ai aimés
Ne sont venus !
J’ai rempli mes cruches de vin
Et j’ai attendu
Je me suis assis
Dans l’obscurité, seul
J’étais mon propre hôte
Qui buvait de ma propre main
Et disait
Gloire à celui qui, dans la nuit,
A conduit cet enfant d’une illusion à une autre !
La nuit rentre son ombre
Et le soleil signe du Verseau
J’ai dit c’est l’hiver donc !
l’Enfer de Dante est sur ma table
Du vin blanc
Et des poissons frits m’attendent...
J’ai dit j’allume un cierge pour la nuit
Quand la fleur de l’hibiscus me surprit
À la porte du jardin
Avais-je assez de temps
Et n’ai-je pas couru vers elle ?
N’ai pas entouré son printemps avec l’aile de ma chanson ?
Mais j’ai oublié la porte ouverte
(Le nuage retirait sa lumière)
Je me suis arrêté comme l’âne de Jimenez
Dans mon ombre en carton
M’éclairait.
(Je n’ai pas le temps de recopier « l’homme et son chien », du même auteur, et c’est dommage : le texte traite des avanies du désir masculin avec justesse et drôlerie. Par contre j’ai trouvé sur la toile un poème de lui aux résonances très actuelles.)
Exercice d'écriture du vendredi 14 janvier 2011
Que toute chose se taise ici, ce vendredi :
le frémissement des oiseaux, à l'aube de la Tunisie verte,
ses cloches qui sonnent depuis un arc-en-ciel,
ses arbres qui chantent.
Que toute chose se taise :
les sons des téléphones, le bruit des pioches.
Que toute chose se taise ce vendredi :
les femmes pleurant notre voisin qui agonise
ce vendredi
les rires des belles filles qui accourent sous la
pluie fine, vers l'école,
ce vendredi
Que la pluie cesse de tomber
ce vendredi
Qu'elle accroche ses cloches de cristal
dans l'air et dans les nuages
Qu'elle attende
que 17h sonne
Après, elle aura droit à tomber avec abondance
Que notre voisin reporte sa mort jusqu'à 17h
Que toute chose se taise
ce vendredi :
cette femme qui appelle tantôt son fils
tantôt son chien
Qu'elle soit comme le chien
Lui qui dresse ses oreilles
Pressentant ce que nous les bergers, ne pressentons jamais
Que toute chose se taise
ce vendredi
le tintement de leurs verres
le chuchotement de leurs bouteilles
dans Al-Mazar
Dis-leur :
vous qui traversez la terrasse du jour
vers un bar qui ouvre le vendredi
un peu de silence
ce n'est rien
et attendez
que 17h sonne
Que toute chose se taise ce vendredi :
les chansons des bergers
l'appel à la prière
dis-leur
ne faites pas la prière
ce vendredi
ne lisez pas la Fatiha (*)
levez-vous comme les Tunisiennes et les Tunisiens
en ce vendredi
Que vous psalmodiez : louange au peuple
notre seigneur à nous tous
Que vous psalmodiez : louange au soleil
que le peuple fait rouler en ses mains
Que vous psalmodiez : louange à la terre
que le peuple entoure
et fait tourner dans ses mains
Que toute chose se taise
ce vendredi :
les élèves
même s'ils chantent :
"Si le peuple veut un jour la vie
le destin se doit de répondre"
Dis-leur
ne saluez pas le drapeau
ce vendredi
il y a une voix qui vient
une voix qui illumine
pour nous apprendre
et apprendre ce crayon
Un peu de silence
toi vent
toi pluie
toi orage
Un peu de silence
vous véhicules et trains
qui partez depuis le matin
Que toute chose ici et là se taise :
Les caravanes de chameaux et de chiens
qui traversent le Sahara de Douz
Les bateaux, allant et venant
en Méditerranée
hissant des voiles
déployant des filets
Les phares qui éclairent
à travers le gypse du brouillard
Que toute chose se taise :
Les pirates
Le piétinement des rames
Le reflux sur la côte tunisienne
Un peu de silence
mes frères
mes camarades que j'aime
Que toute chose ici et là
se taise maintenant
17h sonne
Que nous soyons tout oreille
Ici tout est silencieux
Vous n'entendez rien?
Mais si, écoutez bien
C'est le bruit de ses bottes
Le despote
qui s'enfuit
qui part
en hâte
qui traîne ses pas lourdement
vers l'endroit où
il s'endormira
dans un cadavre vide
Moncef Louhaïbi
Un seul auteur, pour cette série qui tire à sa fin : Moncef Louhaïbi. Choix partial et forcément peu équitable, les autres poètes que cite l'anthologie m'ayant paru tout aussi dignes d'écoute, qu'ils se nomment Tahar Bekri ou Mohamed al-Sghaier Ouled Ahmed.
Une poupée
Dans le lit maternel
La poupée de ma soeur
Une poupée écartelée.
Prends-la
Elle sent le camphre et la girofle
Rends-lui
Ses bras, ses jambes
Et rectifie sa charpente disloquée
Alors, peut-être les temps anciens
Se redressent.
Dis au puits du jardin
D’inviter notre fillette
Et aux ailes de l’alouette
D’humecter mon enfance.
Le visiteur
Depuis des années il arrive
Qu’une voix étouffée
Me réveille la nuit.
Par le trou de la serrure
Il n’y a rien
Une lanterne se meut
Entre les pièces.
- Qui te cherche ?
- Peut-être n’as-tu pas bien fermé la porte !
- Peut-être.
Je me retourne
Pas une maison, pas une lumière,
Rien d’autre qu’une fenêtre
S’embrasant dans le charbon noir de la nuit
.
L’hôte
J’ai dressé la table
Mais ni ceux que j’ai conviés
Ni ceux que j’ai aimés
Ne sont venus !
J’ai rempli mes cruches de vin
Et j’ai attendu
Je me suis assis
Dans l’obscurité, seul
J’étais mon propre hôte
Qui buvait de ma propre main
Et disait
Gloire à celui qui, dans la nuit,
A conduit cet enfant d’une illusion à une autre !
Comme l’âne de Jimenez
à Jeanine Alcaraz
La nuit rentre son ombre
Et le soleil signe du Verseau
J’ai dit c’est l’hiver donc !
l’Enfer de Dante est sur ma table
Du vin blanc
Et des poissons frits m’attendent...
J’ai dit j’allume un cierge pour la nuit
Quand la fleur de l’hibiscus me surprit
À la porte du jardin
Avais-je assez de temps
Et n’ai-je pas couru vers elle ?
N’ai pas entouré son printemps avec l’aile de ma chanson ?
Mais j’ai oublié la porte ouverte
(Le nuage retirait sa lumière)
Je me suis arrêté comme l’âne de Jimenez
Dans mon ombre en carton
M’éclairait.
(Je n’ai pas le temps de recopier « l’homme et son chien », du même auteur, et c’est dommage : le texte traite des avanies du désir masculin avec justesse et drôlerie. Par contre j’ai trouvé sur la toile un poème de lui aux résonances très actuelles.)
Exercice d'écriture du vendredi 14 janvier 2011
Que toute chose se taise ici, ce vendredi :
le frémissement des oiseaux, à l'aube de la Tunisie verte,
ses cloches qui sonnent depuis un arc-en-ciel,
ses arbres qui chantent.
Que toute chose se taise :
les sons des téléphones, le bruit des pioches.
Que toute chose se taise ce vendredi :
les femmes pleurant notre voisin qui agonise
ce vendredi
les rires des belles filles qui accourent sous la
pluie fine, vers l'école,
ce vendredi
Que la pluie cesse de tomber
ce vendredi
Qu'elle accroche ses cloches de cristal
dans l'air et dans les nuages
Qu'elle attende
que 17h sonne
Après, elle aura droit à tomber avec abondance
Que notre voisin reporte sa mort jusqu'à 17h
Que toute chose se taise
ce vendredi :
cette femme qui appelle tantôt son fils
tantôt son chien
Qu'elle soit comme le chien
Lui qui dresse ses oreilles
Pressentant ce que nous les bergers, ne pressentons jamais
Que toute chose se taise
ce vendredi
le tintement de leurs verres
le chuchotement de leurs bouteilles
dans Al-Mazar
Dis-leur :
vous qui traversez la terrasse du jour
vers un bar qui ouvre le vendredi
un peu de silence
ce n'est rien
et attendez
que 17h sonne
Que toute chose se taise ce vendredi :
les chansons des bergers
l'appel à la prière
dis-leur
ne faites pas la prière
ce vendredi
ne lisez pas la Fatiha (*)
levez-vous comme les Tunisiennes et les Tunisiens
en ce vendredi
Que vous psalmodiez : louange au peuple
notre seigneur à nous tous
Que vous psalmodiez : louange au soleil
que le peuple fait rouler en ses mains
Que vous psalmodiez : louange à la terre
que le peuple entoure
et fait tourner dans ses mains
Que toute chose se taise
ce vendredi :
les élèves
même s'ils chantent :
"Si le peuple veut un jour la vie
le destin se doit de répondre"
Dis-leur
ne saluez pas le drapeau
ce vendredi
il y a une voix qui vient
une voix qui illumine
pour nous apprendre
et apprendre ce crayon
Un peu de silence
toi vent
toi pluie
toi orage
Un peu de silence
vous véhicules et trains
qui partez depuis le matin
Que toute chose ici et là se taise :
Les caravanes de chameaux et de chiens
qui traversent le Sahara de Douz
Les bateaux, allant et venant
en Méditerranée
hissant des voiles
déployant des filets
Les phares qui éclairent
à travers le gypse du brouillard
Que toute chose se taise :
Les pirates
Le piétinement des rames
Le reflux sur la côte tunisienne
Un peu de silence
mes frères
mes camarades que j'aime
Que toute chose ici et là
se taise maintenant
17h sonne
Que nous soyons tout oreille
Ici tout est silencieux
Vous n'entendez rien?
Mais si, écoutez bien
C'est le bruit de ses bottes
Le despote
qui s'enfuit
qui part
en hâte
qui traîne ses pas lourdement
vers l'endroit où
il s'endormira
dans un cadavre vide
Moncef Louhaïbi
Babel- Messages : 1081
Date d'inscription : 30/06/2011
Poésie arabe contemporaine
Liban
Trouvé dans Le poème arabe moderne, une anthologie établie et présentée par Abdul Kader El Janabi (téléchargeable sur le net), cet ensemble de textes du poète libanais Chawqi Abi Chaqra.
Une poésie portée par l’émerveillement de l’enfance.
Un oiseau
L’amour est un oiseau
Que tu as porté dans la forêt à travers la conscience
Tu as lavé ses griffes dans ton âge,
Secoué son bec, sa petite tête
Et ses cheveux fins comme le silence.
Tu as pensé : « Peut-être méconnaîtrai-je ses voyages »
Tu as voulu le chasser par la fenêtre
Vers l’immensité du temps
Mais, endormi dans tes yeux,
Il s’est déshabillé
Et il ne vole plus.
Une théière
La vapeur fait transpirer le bec
De mon amie la théière
Chaque matin elle se présente
Et pleure le thé de la chaleur
La nostalgie la brise...
Hier, j’ai eu froid
Elle n’est pas venue
On m’a dit : « elle est morte de vieillesse
Et les gosses l’ont ensevelie sous les pierres. »
L’étudiante
Dans la montagne des nains
Mon étudiante est une magicienne
Elle s’envola sur son cahier,
Elle s’envola sur son sabot,
Emporta sa craie et sa gomme
Pour écrire « diable »,
Gommer « diable »
Le chasser du royaume de ses tétins,
Pour étudier la géographie
Elle est ainsi entrée dans la capitale des miroirs
Capitale des cierges et des nouvelles
Telle une abeille, égarée, loin de la maison
Elle avait perdu de vue le capitaine ainsi que les mers
Comme on perd une goutte d’huile.
La faute
Le soleil est un âne en arithmétique. Il se couche chaque soir et fait la même erreur.
Les voisins me prennent pour un astre
- Je naquis d’un basilic. Je courus dans le plat de mes traces.
- Un clou dans mon soulier et une épine dans ma barbe, c’est tout ce que je possède.
- J’ouvre l’ombrelle et les bouteilles. Je patine sur toute la géographie.
- Je passe l’été dans le cou d’une girafe.
- Les claquements de l’air m’ont asséché.
- J’avale à jeun le phoque et les piments forts.
- On me plante dans un panier. Je vais aux noces.
- Je mange les prépositions et les points d’interrogation.
- Je répare les trains. Les bagages et les cartes d’invitation tombent sur l’épine de
mon dos.
- Je brille sans être or et sans être pape.
- J’éternue et tous les boutons des barils sautent en même temps.
- La pierre n’engendre pas des enfants.
- La fourmi est une olive, une dame, un tapis, un yacht et deux piastres et demi.
- L’oiseau est un piano.
- J’échouai aux élections municipales et mon épaule gauche a bleui. J’ai lu le journal à l’envers.
- J’allume le chauffage avec des ciseaux.
- La figue est la maîtresse du kurde. La prune est un bouton de veste de cardinal.
- Je me retourne dans mon pyjama, et mes voisins me prennent pour un astre.
- Tel un tailleur, je sens les épingles.
- J’ai perdu mon porte-monnaie. Il contenait un mouton, un escargot et cinq sous
- Un feu éclata dans mon œil. Les locataires et les gendarmes prirent la fuite.
- J’ai laissé le livre ouvert. Les ennemis, les tigres et le juges tombèrent dedans.
- Je nage dans la jarre.
- J’ai une collection de cochons, de papillons et de frites.
- Mon oncle paternel ronfle. Il lit les rêves. Il aime sa femme comme un oignon.
- Mon oncle maternel est un ivrogne. Il écrase des scorpions sous ses bottes.
- De temps en temps, je sors mon cœur et le pose sur ma table de nuit comme un
réveille-matin.
- Ma tête en cognant le plafond a éteint l’électricité.
- Je passe une nuit blanche à la fenêtre, causant avec l’amie A et Madame Z.
- Au rez-de-chaussée habite une oie, au second une mouche, au troisième un pois
chiche. Nous occupons le dernier étage.
- « Lionceau » est un rossignol, non un homme.
- Je pince ma fiancée. Elle donne à la Croix-Rouge son sang qui gicle.
- Avec un briquet j’invente la lumière. J’espionne. Sur la peau de l’ours, j’écris le
feu. Je vole ses moustaches.
- Les grenouilles n’ont jamais sommeil. Des nuits entières, elles jouent aux cartes.
- Je partage avec l’accent circonflexe la tête du A.
Un royaume
Dors, j’écris
Dors, je suis moineau
Dors, je suis coquille
Dors, je suis bateau
Dors, prends-moi
Dormir avec toi est un royaume.
Prendre le frais
Je saute de joie sur un seul pied. Chaque famille m’invite pour engendrer des enfants, pour créer des chevaux qui mènent l’homme sur le vent.
Je trais la chèvre. Je lui donne à manger des tabliers d’écoliers et des rideaux de théâtre. Je la tiens par les cornes, elle s’envole comme une voiture et donne des coups de cornes aux chiens et aux acteurs.
Je suis né jaune à force de boire du miel et de l’encre. Je m’abîme, et Dieu m’aide.
Pas d’épines dans les nuages. J’attrape une fleur trop haute dans un bal, dans une noce, et en prenant l’air.
J’apprends au troupeau à monter à bicyclette pour qu’il devance le loup et la dame
aristocratique.
Ma cousine est bergère dans un musée, ma sœur fait du ski, elle traîne les neiges et les sports. Son fils est herbe, ma mère rocher sur lequel je coupe le fleuve.
Je lis la coiffure, les astres et le livre de la magie. Je rencontre les scientifiques et les bergers. J’ouvre la cave pour mon âne. Il donne des coups de pied à la lune, mord les
voyageurs, plonge dans l’huile, dans l’olive et dans la tempête. Il est d’acier et de cire. Je l’allume gratuitement pour qu’il brille et éclaire le monde par temps d’éclipse.
Je réduis l’hôtel à une simple fleur. J’ouvre ses draps et ses sous-vêtements.
Je prends une photo pour la lanterne. J’inscris la fable d’une petite fille qui tombe sous la croix. Une abeille suce sa glande.
Je traverse la boîte d’allumettes, le jardin et le gâteau, un foulard autour du cou comme les scouts dans les pins.
Sur mon front volent les poulets, les colombes et un petit drapeau qui indique la couleur de l’ambassade.
Je voyage dans les airs vers ma tente sauvage. Je mange le poulet entre ses cuisses.
Sa chair est aussi douce que le papier à lettres.
Je ne mets ni le pantalon ni le fez, car je ne suis pas l’élu du village.
Le vendredi saint je me fige devant la croix. Je deviens savonnette.
J’imprime les chansons, les accroche dans le gosier d’une chanteuse houspillée par les clients. Ils la frappent avec les chaises et elle avale sa salive.
Mes regards sont un grain de musc ; une laitue que le canard plongeur avale.
L’été s’installe. Le froid revient au pôle comme un aigle à son nid.
Un miracle est arrivé. Ma chèvre s’envola avec ma jarre de lait, emportant avec elle les photos et les crayons.
La jarre
Une pierre roulait
Non, un homme
Non, un papillon
Non, un chat
Non, une fleur
Non, une gomme
Une femme nommée « Non » roulait
Et la jarre se brisa.
Trouvé dans Le poème arabe moderne, une anthologie établie et présentée par Abdul Kader El Janabi (téléchargeable sur le net), cet ensemble de textes du poète libanais Chawqi Abi Chaqra.
Une poésie portée par l’émerveillement de l’enfance.
Un oiseau
L’amour est un oiseau
Que tu as porté dans la forêt à travers la conscience
Tu as lavé ses griffes dans ton âge,
Secoué son bec, sa petite tête
Et ses cheveux fins comme le silence.
Tu as pensé : « Peut-être méconnaîtrai-je ses voyages »
Tu as voulu le chasser par la fenêtre
Vers l’immensité du temps
Mais, endormi dans tes yeux,
Il s’est déshabillé
Et il ne vole plus.
Une théière
La vapeur fait transpirer le bec
De mon amie la théière
Chaque matin elle se présente
Et pleure le thé de la chaleur
La nostalgie la brise...
Hier, j’ai eu froid
Elle n’est pas venue
On m’a dit : « elle est morte de vieillesse
Et les gosses l’ont ensevelie sous les pierres. »
L’étudiante
Dans la montagne des nains
Mon étudiante est une magicienne
Elle s’envola sur son cahier,
Elle s’envola sur son sabot,
Emporta sa craie et sa gomme
Pour écrire « diable »,
Gommer « diable »
Le chasser du royaume de ses tétins,
Pour étudier la géographie
Elle est ainsi entrée dans la capitale des miroirs
Capitale des cierges et des nouvelles
Telle une abeille, égarée, loin de la maison
Elle avait perdu de vue le capitaine ainsi que les mers
Comme on perd une goutte d’huile.
La faute
Le soleil est un âne en arithmétique. Il se couche chaque soir et fait la même erreur.
Les voisins me prennent pour un astre
- Je naquis d’un basilic. Je courus dans le plat de mes traces.
- Un clou dans mon soulier et une épine dans ma barbe, c’est tout ce que je possède.
- J’ouvre l’ombrelle et les bouteilles. Je patine sur toute la géographie.
- Je passe l’été dans le cou d’une girafe.
- Les claquements de l’air m’ont asséché.
- J’avale à jeun le phoque et les piments forts.
- On me plante dans un panier. Je vais aux noces.
- Je mange les prépositions et les points d’interrogation.
- Je répare les trains. Les bagages et les cartes d’invitation tombent sur l’épine de
mon dos.
- Je brille sans être or et sans être pape.
- J’éternue et tous les boutons des barils sautent en même temps.
- La pierre n’engendre pas des enfants.
- La fourmi est une olive, une dame, un tapis, un yacht et deux piastres et demi.
- L’oiseau est un piano.
- J’échouai aux élections municipales et mon épaule gauche a bleui. J’ai lu le journal à l’envers.
- J’allume le chauffage avec des ciseaux.
- La figue est la maîtresse du kurde. La prune est un bouton de veste de cardinal.
- Je me retourne dans mon pyjama, et mes voisins me prennent pour un astre.
- Tel un tailleur, je sens les épingles.
- J’ai perdu mon porte-monnaie. Il contenait un mouton, un escargot et cinq sous
- Un feu éclata dans mon œil. Les locataires et les gendarmes prirent la fuite.
- J’ai laissé le livre ouvert. Les ennemis, les tigres et le juges tombèrent dedans.
- Je nage dans la jarre.
- J’ai une collection de cochons, de papillons et de frites.
- Mon oncle paternel ronfle. Il lit les rêves. Il aime sa femme comme un oignon.
- Mon oncle maternel est un ivrogne. Il écrase des scorpions sous ses bottes.
- De temps en temps, je sors mon cœur et le pose sur ma table de nuit comme un
réveille-matin.
- Ma tête en cognant le plafond a éteint l’électricité.
- Je passe une nuit blanche à la fenêtre, causant avec l’amie A et Madame Z.
- Au rez-de-chaussée habite une oie, au second une mouche, au troisième un pois
chiche. Nous occupons le dernier étage.
- « Lionceau » est un rossignol, non un homme.
- Je pince ma fiancée. Elle donne à la Croix-Rouge son sang qui gicle.
- Avec un briquet j’invente la lumière. J’espionne. Sur la peau de l’ours, j’écris le
feu. Je vole ses moustaches.
- Les grenouilles n’ont jamais sommeil. Des nuits entières, elles jouent aux cartes.
- Je partage avec l’accent circonflexe la tête du A.
Un royaume
Dors, j’écris
Dors, je suis moineau
Dors, je suis coquille
Dors, je suis bateau
Dors, prends-moi
Dormir avec toi est un royaume.
Prendre le frais
Je saute de joie sur un seul pied. Chaque famille m’invite pour engendrer des enfants, pour créer des chevaux qui mènent l’homme sur le vent.
Je trais la chèvre. Je lui donne à manger des tabliers d’écoliers et des rideaux de théâtre. Je la tiens par les cornes, elle s’envole comme une voiture et donne des coups de cornes aux chiens et aux acteurs.
Je suis né jaune à force de boire du miel et de l’encre. Je m’abîme, et Dieu m’aide.
Pas d’épines dans les nuages. J’attrape une fleur trop haute dans un bal, dans une noce, et en prenant l’air.
J’apprends au troupeau à monter à bicyclette pour qu’il devance le loup et la dame
aristocratique.
Ma cousine est bergère dans un musée, ma sœur fait du ski, elle traîne les neiges et les sports. Son fils est herbe, ma mère rocher sur lequel je coupe le fleuve.
Je lis la coiffure, les astres et le livre de la magie. Je rencontre les scientifiques et les bergers. J’ouvre la cave pour mon âne. Il donne des coups de pied à la lune, mord les
voyageurs, plonge dans l’huile, dans l’olive et dans la tempête. Il est d’acier et de cire. Je l’allume gratuitement pour qu’il brille et éclaire le monde par temps d’éclipse.
Je réduis l’hôtel à une simple fleur. J’ouvre ses draps et ses sous-vêtements.
Je prends une photo pour la lanterne. J’inscris la fable d’une petite fille qui tombe sous la croix. Une abeille suce sa glande.
Je traverse la boîte d’allumettes, le jardin et le gâteau, un foulard autour du cou comme les scouts dans les pins.
Sur mon front volent les poulets, les colombes et un petit drapeau qui indique la couleur de l’ambassade.
Je voyage dans les airs vers ma tente sauvage. Je mange le poulet entre ses cuisses.
Sa chair est aussi douce que le papier à lettres.
Je ne mets ni le pantalon ni le fez, car je ne suis pas l’élu du village.
Le vendredi saint je me fige devant la croix. Je deviens savonnette.
J’imprime les chansons, les accroche dans le gosier d’une chanteuse houspillée par les clients. Ils la frappent avec les chaises et elle avale sa salive.
Mes regards sont un grain de musc ; une laitue que le canard plongeur avale.
L’été s’installe. Le froid revient au pôle comme un aigle à son nid.
Un miracle est arrivé. Ma chèvre s’envola avec ma jarre de lait, emportant avec elle les photos et les crayons.
La jarre
Une pierre roulait
Non, un homme
Non, un papillon
Non, un chat
Non, une fleur
Non, une gomme
Une femme nommée « Non » roulait
Et la jarre se brisa.
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Date d'inscription : 30/06/2011
Le poème arabe moderne (suite)
Dans la même anthologie établie et présentée par Abdul Kader El Janabi,
Jean Dammou (1942, Kirkuk, Irak)
Florilèges
Je n’étais qu’interrogation dans le vent
Et me suis fait mirage sans écho
Je suis vague et langage.
Un jour je me fondrai dans l’apocalypse et le brouillard
Laissant closes toutes les portes de l’infini en attente du diable.
Le fleuve des instants s’accroupit dans le jardin des fleurs.
Les bouches sont figées.
Elles n’expriment qu’une litanie
De tourment et de désespérance
Et l’immensité du passé nous lie au zéphyr et au zéro.
Rire encore et toujours
Provoquer les gouvernants
Refuser
Sentir la honte
Regretter ses fautes
Se réjouir
Vanter ses oeuvres
Mourir
Se révolter
Dire « non » au pouvoir
Dire « oui » à la révolution,
La liste est longue. Elle est vivace et froide.
Ici, ni mort, ni écho. Chacun est artisan de sa liberté.
En deçà le futur s’oxyde.
Même si tu médites longuement
Tu ne fais face qu’au vide.
Il n’est ni beau ni effrayant
Il est le chaos à l’origine de l’univers.
Il peut t’entraîner, sans que tu le saches,
Dans des paradis et des enfers que jamais tu n’as imaginés.
Le mieux est de nous résigner
Pour ne pas être victimes de ces dinosaures
Qui nuit et jour nous entourent
Ou de ceux qui nous font sursauter le matin
Lorsque nous prenons notre café
Et posons devant nous les clés rouillées du monde.
Jean Dammou (1942, Kirkuk, Irak)
(Présentation par l'auteur)Avec chaque innovation poétique apparaissent des personnages singuliers : poètes sans poèmes. La poésie arabe moderne a connu de telles figures. Je présente ici Jean Dammou, poète dans ses gestes et sa vie, exemplaire à ce titre.
Élève du collège de Kirkuk, très doué en mathématiques, Jean Dammou n’avait jamais imaginé être poète. Sa famille attendait de lui qu’il gagne de quoi nourrir les siens. Parfaitement installé dans cette normalité sociale, il rencontra bientôt Sargon Boulus qui lui lut la traduction qu’il venait de faire d’un poème de Merwin. Il se sentit alors foudroyé par la poésie, en demeura pétrifié, convaincu de la dérision dans laquelle se tenaient tant de lettrés et d’escamoteurs. Désormais vagabond, il s’abandonna à son état de poète, promettant à qui veut l’entendre qu’il va écrire le Grand Poème. Son état de poète était authentique. J’en tiens déjà pour preuve sa dégaine, son dégoût des poètes en faveur dont l’assurance s’effondrait dès qu’il apparaissait, sa bohème et ses petits poèmes insolites comme celui qu’il publia pour 3 dinars dans al-Aamilouna fin Naft, (Les ouvriers du pétrole), sous le titre Le soldat qui a pris le train et oublié de dire oui au professeur, dont voici le texte intégral : « 3 »
Cet autre encore que lui inspira une beauté de passage :
« Mon amour,
Ta bouche est un âne électrique
où mes dents voyagent au gré du vent ».
Un jour de 1968, je me souviens avoir demandé à Jean Dammou un poème pour le quotidien al-Akhbâr. Jean vivait alors dans un coin de cour à côté d’un gros robinet. J’ai attendu là plus d’une heure et demi le titre d’un de ses poèmes qu’il a fini par baptiser Le glossaire de l’eau ! D’une oeuvre poétique immense qu’il n’a pas écrite, seuls restent de rares fragments échangés contre un frugal repas ou recueillis par quelques-uns de ses amis. Après de longues années d’errance dans les bas-fonds d’Amman, il a opté pour le grand large des terres australes.
Florilèges
Je n’étais qu’interrogation dans le vent
Et me suis fait mirage sans écho
Je suis vague et langage.
Un jour je me fondrai dans l’apocalypse et le brouillard
Laissant closes toutes les portes de l’infini en attente du diable.
Le fleuve des instants s’accroupit dans le jardin des fleurs.
Les bouches sont figées.
Elles n’expriment qu’une litanie
De tourment et de désespérance
Et l’immensité du passé nous lie au zéphyr et au zéro.
Rire encore et toujours
Provoquer les gouvernants
Refuser
Sentir la honte
Regretter ses fautes
Se réjouir
Vanter ses oeuvres
Mourir
Se révolter
Dire « non » au pouvoir
Dire « oui » à la révolution,
La liste est longue. Elle est vivace et froide.
Ici, ni mort, ni écho. Chacun est artisan de sa liberté.
En deçà le futur s’oxyde.
Même si tu médites longuement
Tu ne fais face qu’au vide.
Il n’est ni beau ni effrayant
Il est le chaos à l’origine de l’univers.
Il peut t’entraîner, sans que tu le saches,
Dans des paradis et des enfers que jamais tu n’as imaginés.
Le mieux est de nous résigner
Pour ne pas être victimes de ces dinosaures
Qui nuit et jour nous entourent
Ou de ceux qui nous font sursauter le matin
Lorsque nous prenons notre café
Et posons devant nous les clés rouillées du monde.
Babel- Messages : 1081
Date d'inscription : 30/06/2011
Léon Gontran Damas
Une note brève du TEAN de ce mois-ci (n°31) signale la publication en format de poche de Black-Label, de Léon Gontran Damas, troisième grande figure de la négritude, avec Césaire et Senghor.
Ci-dessous, un large extrait dudit poème.
10- J'Ai SAOULÉ MA PEiNE
ce soir comme hier
comme tant et tant
d'autres soirs passés
où de bouge en bouge
où de bar en bar
où de verre en verre
j'ai saoulé ma peine
Mort au cancre
au pou
mort au Chancre
au fou
et
sus au dévoyé
ont encore hurlé
ceux qui nombreux disent tous m'avoir à l'œil me
regarder vivre
et ceux
ceux parlons-en
qui vagissent de rage et de honte
de naître aux Antilles
de naître en Guyane
de naître partout ailleurs qu'en bordure
de la Seine ou du Rhône
ou de la Tamise
du Danube ou du Rhin
ou de la Volga
Ceux qui naissent
ceux qui grandissent dans l'Erreur
ceux qui poussent sur l'erreur
ceux qui meurent comme ils sont nés
fils de singes
fils de chiens
Ceux qui se refusent un âme
ceux qui se méprisent
ceux qui n'ont pour eux-mêmes et leurs proches
que honte et lâcheté
Ceux qui renoncent une pleine vie d'hommes
d'être
autre chose qu'ombre d'ombres
Ceux qui se renient
se surveillent
se désespèrent
et se lamentent
Ceux qui se prennent eux-mêmes aux cheveux de ne
point onduler
sous la brise embaumée
comme épis de blé d'or des pays tempérés qu'in-
ventent les livres
Ceux qui voulant à leur nez qu'écrase tout le poids
du Ciel
une forme moins plate
se le massent
le remassent au coucher
à la graisse de boeuf du Brésil
de Dominicanie
de Porto-Rico
du Venezuela
Ceux qui croient pouvoir s'amincir les lèvres
à se les mordre
jusqu'au sang
à longueur de journée
Ceux qui se traitent eux-mêmes
de sauvages
sales nègres
soubarous
bois-mitan
gros-sirop
guinains
congos
moudongues
fandangues
nangues
Ceux dont l'échine est veule
et le dos bastonné
et la fesse
bottée
Ceux dont l'attitude immuable d'esclaves
insulte à la sagesse antique et belle
de leurs propres Anciens
Ceux à qui la merveilleuse inconscience
fait zézayer de Père en fils
de fils en Pères
Zié Békés brilé zié Nègues
Il est dit que le Blanc aura toujours le nègre à l'oeil
Ceux qui permirent le déracinement de DEUX CENT
CiNQUANTE MiLLiONS de leurs
Ceux qui ordonnèrent les razzias
ceux qui obéirent à l'ordre de razzias
ceux qui dépistèrent les razziés
Ceux dont les Pères vendirent les fils à l'encan
et les fils à leur tour la Terre-Mère
ceux dont les frères donnèrent si gentiment la chasse
à leur frères
Ceux qui se laissèrent prendre à ce jeu de famille
Ceux capturés vifs
et qui s'en réjouissant se dirent en eux-mêmes
Mieux vaut être chair rouge que gibier mort
Ceux qui ne virent dans la Mort
le salut de la Vie
Ceux qui s'en allèrent
bien dociles
à la file
le cou pris au carcan mayombé
Ceux dont la douceur
l'hébétude
l'inconscience
et la passivité
n'avaient d'égale
que l'arrogance
la sottise
la faconde
la vanité crépue
des dachys ouvrant la marche
des dachys fermant la marche au rivage
Ceux qui parvinrent exténués mais vivants au rivage
avant que d'avoir à quitter à jamais voiles au vent
les rives du Congo
du Gabon
du Bénin
de Guinée
de Gambie
de Gorée
Ceux qui ne s'étonnèrent de rien de voir un navire
au large
Ceux dont les Ancêtres étampés
fleurdelisés
marqués de fer rouge
aux lettres du navire au Large
puis parqués
enchaînés
rivés
cadenassés
et calés
furent bel et bien du voyage
sans air
sans eau
sans fin
Ceux dont les Ancêtres furent jetés au cours du
voyage
sans fin
sans eau
sans air
Ceux dont les Ancêtres
eurent la chair tout brûlée à vif
au-dessus des seins
sur les omoplates
sur le gras du bras
Ceux qui trouvèrent la pestilence
commode
Ceux qui se laissèrent conduire par bordée sur le
pont
Ceux qui au son de la vielle ou de la musette
se mirent à danser sous l'oeil de la chiourme
le fouet de la chiourme
Ceux qui ne fomentèrent
nulle révolte
et celles
celles qui firent
avorter les révoltes
d'avoir eu non seulement
la matrice ondulée
cajolée
dorlotée
ébranlée
mais encore
longue langue
langue longue
Ceux qui ne désarmèrent l'équipage
ceux qui ne firent feu sur l'équipage désarmé
et ne se rendirent maîtres après Dieu
de la barre et du gouvernail
mais bras croisés
l'oreille en proue
s'entendirent dire et lire
la sentence à mort
à mort la négraille
la valetaille
la racaille
Ceux que ma mémoire
retrouve en Exil
assis de nos jours sur le pas de la case en bambou
de lattes tressées
qui insulte au soleil éclatant des Antilles-Heureuses
d'être à jamais esclaves
Ceux que la Nuit surprend à se jouer du cul-de-pipe
en terre rouge
des derniers Roucouyennes
du Pays de Guyane à mon coeur accroché
Ceux dont les yeux de chat-tigre
sont l'oreille
de la nuit de Rott-Pèye
de la nuit du Yan-man
ou de la nuit des isles à sucre
des isles à rhum
des isles à mouches
des isles à miel
des isles à ......
Ceux qui comptent les étoiles
Ceux qui se signent de grâce et d'effroi à l'étoile qui
file
Ceux qui lisent dans les nuages
Ceux qui remercient le Ciel à tout vent
Ceux satisfaits d'eux-mêmes
qui se contentent de peu
se contentent de rien
Ceux dont l'estomac
depuis trois siècles et plus
fait envie ou pitié
moins envie que pitié
Ceux qui se nourrissent de morue et d'igname
de piment et de sel
tous les jours que Dieu fait
et que Dieu fait
sans vin sans pain
sans rien
d'autre
que souskaye à mangos
que mangos à souskaye
Ceux qui se lèvent tôt
pour que se lèvent tard
et se gavent
se dandinent
se pommadent
se désodorisent
se parfument
se lotionnent
se maquillent
se gargarisent
se congratulent
se jalousent
se débinent
s'enrichissent
d'autres
Ceux dont la sueur arrose
champ de cannes
de maïs
d'ananas
de bananes
Ceux dont la sainte résignation n'a d'égale
que le sacré mépris de l'Eglise où le Curé préfère
au blanc de blanc catholique et romain
un cul-sec de coeur de chauffe
des isles à sucre
des isles à rhum
des isles à mouches
des isles à miel
des isles à .....
des isles amènes
ainsi soient-elles
ainsi soit-il
Amen
Et sus au dévoyé
mort au cancre
au pou
mort au chancre
au fou
BLACK-LABEL A BOiRE
pour ne pas changer
Black-Label à boire
à quoi bon changer
(Extrait de BLACK-LABEL, nrf, Poésie-Gallimard)
Ci-dessous, un large extrait dudit poème.
10- J'Ai SAOULÉ MA PEiNE
ce soir comme hier
comme tant et tant
d'autres soirs passés
où de bouge en bouge
où de bar en bar
où de verre en verre
j'ai saoulé ma peine
Mort au cancre
au pou
mort au Chancre
au fou
et
sus au dévoyé
ont encore hurlé
ceux qui nombreux disent tous m'avoir à l'œil me
regarder vivre
et ceux
ceux parlons-en
qui vagissent de rage et de honte
de naître aux Antilles
de naître en Guyane
de naître partout ailleurs qu'en bordure
de la Seine ou du Rhône
ou de la Tamise
du Danube ou du Rhin
ou de la Volga
Ceux qui naissent
ceux qui grandissent dans l'Erreur
ceux qui poussent sur l'erreur
ceux qui meurent comme ils sont nés
fils de singes
fils de chiens
Ceux qui se refusent un âme
ceux qui se méprisent
ceux qui n'ont pour eux-mêmes et leurs proches
que honte et lâcheté
Ceux qui renoncent une pleine vie d'hommes
d'être
autre chose qu'ombre d'ombres
Ceux qui se renient
se surveillent
se désespèrent
et se lamentent
Ceux qui se prennent eux-mêmes aux cheveux de ne
point onduler
sous la brise embaumée
comme épis de blé d'or des pays tempérés qu'in-
ventent les livres
Ceux qui voulant à leur nez qu'écrase tout le poids
du Ciel
une forme moins plate
se le massent
le remassent au coucher
à la graisse de boeuf du Brésil
de Dominicanie
de Porto-Rico
du Venezuela
Ceux qui croient pouvoir s'amincir les lèvres
à se les mordre
jusqu'au sang
à longueur de journée
Ceux qui se traitent eux-mêmes
de sauvages
sales nègres
soubarous
bois-mitan
gros-sirop
guinains
congos
moudongues
fandangues
nangues
Ceux dont l'échine est veule
et le dos bastonné
et la fesse
bottée
Ceux dont l'attitude immuable d'esclaves
insulte à la sagesse antique et belle
de leurs propres Anciens
Ceux à qui la merveilleuse inconscience
fait zézayer de Père en fils
de fils en Pères
Zié Békés brilé zié Nègues
Il est dit que le Blanc aura toujours le nègre à l'oeil
Ceux qui permirent le déracinement de DEUX CENT
CiNQUANTE MiLLiONS de leurs
Ceux qui ordonnèrent les razzias
ceux qui obéirent à l'ordre de razzias
ceux qui dépistèrent les razziés
Ceux dont les Pères vendirent les fils à l'encan
et les fils à leur tour la Terre-Mère
ceux dont les frères donnèrent si gentiment la chasse
à leur frères
Ceux qui se laissèrent prendre à ce jeu de famille
Ceux capturés vifs
et qui s'en réjouissant se dirent en eux-mêmes
Mieux vaut être chair rouge que gibier mort
Ceux qui ne virent dans la Mort
le salut de la Vie
Ceux qui s'en allèrent
bien dociles
à la file
le cou pris au carcan mayombé
Ceux dont la douceur
l'hébétude
l'inconscience
et la passivité
n'avaient d'égale
que l'arrogance
la sottise
la faconde
la vanité crépue
des dachys ouvrant la marche
des dachys fermant la marche au rivage
Ceux qui parvinrent exténués mais vivants au rivage
avant que d'avoir à quitter à jamais voiles au vent
les rives du Congo
du Gabon
du Bénin
de Guinée
de Gambie
de Gorée
Ceux qui ne s'étonnèrent de rien de voir un navire
au large
Ceux dont les Ancêtres étampés
fleurdelisés
marqués de fer rouge
aux lettres du navire au Large
puis parqués
enchaînés
rivés
cadenassés
et calés
furent bel et bien du voyage
sans air
sans eau
sans fin
Ceux dont les Ancêtres furent jetés au cours du
voyage
sans fin
sans eau
sans air
Ceux dont les Ancêtres
eurent la chair tout brûlée à vif
au-dessus des seins
sur les omoplates
sur le gras du bras
Ceux qui trouvèrent la pestilence
commode
Ceux qui se laissèrent conduire par bordée sur le
pont
Ceux qui au son de la vielle ou de la musette
se mirent à danser sous l'oeil de la chiourme
le fouet de la chiourme
Ceux qui ne fomentèrent
nulle révolte
et celles
celles qui firent
avorter les révoltes
d'avoir eu non seulement
la matrice ondulée
cajolée
dorlotée
ébranlée
mais encore
longue langue
langue longue
Ceux qui ne désarmèrent l'équipage
ceux qui ne firent feu sur l'équipage désarmé
et ne se rendirent maîtres après Dieu
de la barre et du gouvernail
mais bras croisés
l'oreille en proue
s'entendirent dire et lire
la sentence à mort
à mort la négraille
la valetaille
la racaille
Ceux que ma mémoire
retrouve en Exil
assis de nos jours sur le pas de la case en bambou
de lattes tressées
qui insulte au soleil éclatant des Antilles-Heureuses
d'être à jamais esclaves
Ceux que la Nuit surprend à se jouer du cul-de-pipe
en terre rouge
des derniers Roucouyennes
du Pays de Guyane à mon coeur accroché
Ceux dont les yeux de chat-tigre
sont l'oreille
de la nuit de Rott-Pèye
de la nuit du Yan-man
ou de la nuit des isles à sucre
des isles à rhum
des isles à mouches
des isles à miel
des isles à ......
Ceux qui comptent les étoiles
Ceux qui se signent de grâce et d'effroi à l'étoile qui
file
Ceux qui lisent dans les nuages
Ceux qui remercient le Ciel à tout vent
Ceux satisfaits d'eux-mêmes
qui se contentent de peu
se contentent de rien
Ceux dont l'estomac
depuis trois siècles et plus
fait envie ou pitié
moins envie que pitié
Ceux qui se nourrissent de morue et d'igname
de piment et de sel
tous les jours que Dieu fait
et que Dieu fait
sans vin sans pain
sans rien
d'autre
que souskaye à mangos
que mangos à souskaye
Ceux qui se lèvent tôt
pour que se lèvent tard
et se gavent
se dandinent
se pommadent
se désodorisent
se parfument
se lotionnent
se maquillent
se gargarisent
se congratulent
se jalousent
se débinent
s'enrichissent
d'autres
Ceux dont la sueur arrose
champ de cannes
de maïs
d'ananas
de bananes
Ceux dont la sainte résignation n'a d'égale
que le sacré mépris de l'Eglise où le Curé préfère
au blanc de blanc catholique et romain
un cul-sec de coeur de chauffe
des isles à sucre
des isles à rhum
des isles à mouches
des isles à miel
des isles à .....
des isles amènes
ainsi soient-elles
ainsi soit-il
Amen
Et sus au dévoyé
mort au cancre
au pou
mort au chancre
au fou
BLACK-LABEL A BOiRE
pour ne pas changer
Black-Label à boire
à quoi bon changer
(Extrait de BLACK-LABEL, nrf, Poésie-Gallimard)
Dernière édition par Babel le Mer 20 Mar - 8:08, édité 1 fois
Babel- Messages : 1081
Date d'inscription : 30/06/2011
Re: En poésie, la parole est libre
LE RÊVE EN ACTION
la beauté de ton sourire ton sourire
en cristaux les cristaux de velours
le velours de ta voix ta voix et
ton silence ton silence absorbant
absorbant comme la neige la neige
chaude et lente lente est
ta démarche ta démarche diagonale
diagonale soif soir soie et flottante
flottante comme les plaintes les plantes
sont dans ta peau ta peau les
décoiffe elle décoiffe ton parfum
ton parfum est dans ma bouche ta bouche
est une cuisse une cuisse qui s'envole
elle s'envole vers mes dents mes dents
te dévorent je dévore ton absence
ton absence est une cuisse cuisse ou
soulier soulier que j'embrasse
j'embrasse ce soulier je l'embrasse sur
ta bouche car ta bouche est une bouche
elle n'est pas un soulier miroir que j'embrasse
de même que tes jambes de même que
tes jambes de même que tes jambes de
même que tes jambes tes jambes
jambes du soupir soupir
du vertige vertige de ton visage
j'enjambe ton image comme on enjambe
une fenêtre fenêtre de ton être et de
tes mirages ton image son corps et
son âme ton âme ton âme et ton nez
étonné je suis étonné nez de tes
cheveux ta chevelure en flammes ton âme
en flammes et en larmes comme les doigts de
tes pieds tes pieds sur ma poitrine
ma poitrine dans tes yeux tes yeux
dans la forêt la forêt liquide liquide
et en os les os de mes cris
j'écris et je crie de ma langue déchirante
je déchire tes bras tes bas
délirant je désire et déchire tes bras et tes bas
le bas et le haut de ton corps frissonnant
frissonnant et pur pur comme
l'orage comme l'orage de ton cou cou de
tes paupières les paupières de ton sang
ton sang caressant palpitant frissonnant
frissonnant et pur pur comme l'orange
orange de tes genoux de tes narines de
ton haleine de ton ventre je dis
ventre mais je pense à la nage
à la nage du nuage nuage du
secret le secret merveilleux merveilleux
comme toi-même
toi sur le toit somnambulique et nuage
nuage et diamant c'est un
diamant qui nage qui nage avec souplesse
tu nages souplement dans l'eau de la
matière de la matière de mon esprit
dans l'esprit de mon corps dans le corps
de mes rêves de mes rêves en action
Gherasim Luca
la beauté de ton sourire ton sourire
en cristaux les cristaux de velours
le velours de ta voix ta voix et
ton silence ton silence absorbant
absorbant comme la neige la neige
chaude et lente lente est
ta démarche ta démarche diagonale
diagonale soif soir soie et flottante
flottante comme les plaintes les plantes
sont dans ta peau ta peau les
décoiffe elle décoiffe ton parfum
ton parfum est dans ma bouche ta bouche
est une cuisse une cuisse qui s'envole
elle s'envole vers mes dents mes dents
te dévorent je dévore ton absence
ton absence est une cuisse cuisse ou
soulier soulier que j'embrasse
j'embrasse ce soulier je l'embrasse sur
ta bouche car ta bouche est une bouche
elle n'est pas un soulier miroir que j'embrasse
de même que tes jambes de même que
tes jambes de même que tes jambes de
même que tes jambes tes jambes
jambes du soupir soupir
du vertige vertige de ton visage
j'enjambe ton image comme on enjambe
une fenêtre fenêtre de ton être et de
tes mirages ton image son corps et
son âme ton âme ton âme et ton nez
étonné je suis étonné nez de tes
cheveux ta chevelure en flammes ton âme
en flammes et en larmes comme les doigts de
tes pieds tes pieds sur ma poitrine
ma poitrine dans tes yeux tes yeux
dans la forêt la forêt liquide liquide
et en os les os de mes cris
j'écris et je crie de ma langue déchirante
je déchire tes bras tes bas
délirant je désire et déchire tes bras et tes bas
le bas et le haut de ton corps frissonnant
frissonnant et pur pur comme
l'orage comme l'orage de ton cou cou de
tes paupières les paupières de ton sang
ton sang caressant palpitant frissonnant
frissonnant et pur pur comme l'orange
orange de tes genoux de tes narines de
ton haleine de ton ventre je dis
ventre mais je pense à la nage
à la nage du nuage nuage du
secret le secret merveilleux merveilleux
comme toi-même
toi sur le toit somnambulique et nuage
nuage et diamant c'est un
diamant qui nage qui nage avec souplesse
tu nages souplement dans l'eau de la
matière de la matière de mon esprit
dans l'esprit de mon corps dans le corps
de mes rêves de mes rêves en action
Gherasim Luca
fée clochette- Messages : 1274
Date d'inscription : 23/06/2010
Age : 59
Localisation : vachement loin de la capitale
Re: En poésie, la parole est libre
fée clochette a écrit:LE RÊVE EN ACTION
la beauté de ton sourire ton sourire
en cristaux les cristaux de velours
le velours de ta voix ta voix et
ton silence ton silence absorbant
absorbant comme la neige la neige
chaude et lente lente est
ta démarche ta démarche diagonale
diagonale soif soir soie et flottante
flottante comme les plaintes les plantes
sont dans ta peau ta peau les
décoiffe elle décoiffe ton parfum
ton parfum est dans ma bouche ta bouche
est une cuisse une cuisse qui s'envole
elle s'envole vers mes dents mes dents
te dévorent je dévore ton absence
ton absence est une cuisse cuisse ou
soulier soulier que j'embrasse
j'embrasse ce soulier je l'embrasse sur
ta bouche car ta bouche est une bouche
elle n'est pas un soulier miroir que j'embrasse
de même que tes jambes de même que
tes jambes de même que tes jambes de
même que tes jambes tes jambes
jambes du soupir soupir
du vertige vertige de ton visage
j'enjambe ton image comme on enjambe
une fenêtre fenêtre de ton être et de
tes mirages ton image son corps et
son âme ton âme ton âme et ton nez
étonné je suis étonné nez de tes
cheveux ta chevelure en flammes ton âme
en flammes et en larmes comme les doigts de
tes pieds tes pieds sur ma poitrine
ma poitrine dans tes yeux tes yeux
dans la forêt la forêt liquide liquide
et en os les os de mes cris
j'écris et je crie de ma langue déchirante
je déchire tes bras tes bas
délirant je désire et déchire tes bras et tes bas
le bas et le haut de ton corps frissonnant
frissonnant et pur pur comme
l'orage comme l'orage de ton cou cou de
tes paupières les paupières de ton sang
ton sang caressant palpitant frissonnant
frissonnant et pur pur comme l'orange
orange de tes genoux de tes narines de
ton haleine de ton ventre je dis
ventre mais je pense à la nage
à la nage du nuage nuage du
secret le secret merveilleux merveilleux
comme toi-même
toi sur le toit somnambulique et nuage
nuage et diamant c'est un
diamant qui nage qui nage avec souplesse
tu nages souplement dans l'eau de la
matière de la matière de mon esprit
dans l'esprit de mon corps dans le corps
de mes rêves de mes rêves en action
Gherasim Luca
Un des plus grands, aussi essentiel pour moi dans son propos que Paul Celan. On commence seulement, près de vingt ans après sa mort, à mesurer l'importance du travail d'innovation et de renouvellement de la création poétique de celui qui fut pourtant salué par G. Deleuze comme "le plus grand poète de langue française vivant", dès le milieu des années 70.
Sa poésie incongrue et déroutante possède la force de l'évidence ; celle du savoir informulé que nous possédons tous au fond de nous-même, et qui a trait à notre rapport conflictuel à la langue --entre, disons, détestation, fascination et plaisir.
Cela, précisément parce que la langue française n'est originellement pas la sienne et qu'il l'aborde, la chahute, l'inspecte et la manipule comme une langue étrangère, afin d'en tester sans relâche les possibilités expressives, la capacité à rendre compte du réel, dans toute son énigmatique opacité --illustrant en cela la fameuse formule de Kafka, selon laquelle on écrit jamais mieux que dans la langue des autres, ou plutôt qu'un écrivain, c'est celui qui considère la langue dans laquelle il s'exprime comme n'étant pas la sienne.
La lecture et l'écoute de l'oeuvre de Luca font alterner l'étonnement, le plaisir brut, le rire et l'inquiétude, tous sentiments liés à notre condition d'êtres mourants, c'est-à-dire éperdument vivants.
De vive voix.
Babel- Messages : 1081
Date d'inscription : 30/06/2011
Re: En poésie, la parole est libre
L’effort humain
L’effort humain
n’est pas ce beau jeune homme souriant
debout sur sa jambe de plâtre
ou de pierre
et donnant grâce aux puérils artifices du statuaire
l’imbécile illusion
de la joie de la danse et de la jubilation
évoquant avec l’autre jambe en l’air
la douceur du retour à la maison
Non
l’effort humain ne porte pas un petit enfant sur l’épaule droite
un autre sur la tête
et un troisième sur l’épaule gauche
avec les outils en bandoulière
et la jeune femme heureuse accrochée à son bras
L’effort humain porte un bandage herniaire
et les cicatrices des combats
livrés par la classe ouvrière
contre un monde absurde et sans lois
L’effort humain n’a pas de vraie maison
il sent l’odeur de son travail
et il est touché aux poumons
son salaire est maigre
ses enfants aussi
il travaille comme un nègre
et le nègre travaille comme lui
L’effort humain n’a pas de savoir-vivre
l’effort humain n’a pas l’âge de raison
l’effort humain a l’âge des casernes
l’âge des bagnes et des prisons
l’âge des églises et des usines
l’âge des canons
et lui qui a planté partout toutes les vignes
et accordé tous les violons
il se nourrit de mauvais rêves
et il se saoule avec le mauvais vin de la résignation
et comme un grand écureuil ivre
sans arrêt il tourne en rond
dans un univers hostile
poussiéreux et bas de plafond
et il forge sans cesse la chaîne
la terrifiante chaîne où tout s’enchaîne
la misère le profit le travail la tuerie
la tristesse le malheur l’insomnie et l’ennui
la terrifiante chaîne d’or
de charbon de fer et d’acier
de mâchefer et de poussier
passée autour du cou
d’un monde désemparé
la misérable chaîne
où viennent s’accrocher
les breloques divines
les reliques sacrées
les croix d’honneur les croix gammées
les ouistitis porte-bonheur
les médailles des vieux serviteurs
les colifichets du malheur
et la grande pièce de musée
le grand portrait équestre
le grand portrait en pied
le grand portrait de face de profil à cloche-pied
le grand portrait doré
le grand portrait du grand divinateur
le grand portrait du grand empereur
le grand portrait du grand penseur
du grand sauteur
du grand moralisateur
du digne et triste farceur
la tête du grand emmerdeur
la tête de l’agressif pacificateur
la tête policière du grand libérateur
la tête d’Adolf Hitler
la tête de monsieur Thiers
la tête du dictateur
la tête du fusilleur
de n’importe quel pays
de n’importe quelle couleur
la tête odieuse
la tête malheureuse
la tête à claques
la tête à massacre
la tête de la peur.
Jacques PRÉVERT - Paroles
Babel- Messages : 1081
Date d'inscription : 30/06/2011
Re: En poésie, la parole est libre
Un coup de Nazim hickmet pour se remonter le moral :
Je suis dans la clarté qui s'avance
Mes mains sont toutes pleines de désir
Le monde est beau
Mes yeux ne se lassent pas de regarder les arbres
Les arbres si verts, les arbres si pleins d'espoir
Un sentier s'en va à travers les mûriers
Je suis à la fenêtre de l'infirmerie
Je ne sens pas l'odeur des médicaments
Les oeillets ont dû s'ouvrir quelque part
Être captif, là n'est pas la question
Il s'agit de ne pas se rendre
Voilà.
gérard menvussa- Messages : 6658
Date d'inscription : 06/09/2010
Age : 67
Localisation : La terre
Re: En poésie, la parole est libre
Sapphô (poétesse grecque des VIIe-VIe siècles av. JC), dont quelques fragments ont été magnifiquement mis en musique et chantés par Angélique Ionatos, accompagnée par Nena Venetsanou.
"Pali Pali..." (encore une fois, encore l'amour...)
"Asteron pandon" (de toutes les étoiles)
"Mite mi méli" (Pour moi ni miel, ni abeille)
"Pali Pali..." (encore une fois, encore l'amour...)
"Asteron pandon" (de toutes les étoiles)
"Mite mi méli" (Pour moi ni miel, ni abeille)
Babel- Messages : 1081
Date d'inscription : 30/06/2011
En Grèce, la revanche des rêves
Angélique Ionatos, en concert, interpète Sappho, Elytis, Ritsos...
Babel- Messages : 1081
Date d'inscription : 30/06/2011
Re: En poésie, la parole est libre
Et pour rester en Grèce (mais avec quelque chose de plus récent, et qui rèsonne dans l'actualité)
Constantin Catafy EN ATTENDANT LES BARBARES traduit du grec par Marguerite Yourcenar et Constantin Dimaras
"Qu'attendons-nous, rassemblés sur l'agora?
On dit que les Barbares seront là aujourd'hui.
Pourquoi cette léthargie, au Sénat?
Pourquoi les sénateurs restent-ils sans légiférer?
Parce que les Barbares seront là aujourd'hui.
À quoi bon faire des lois à présent?
Ce sont les Barbares qui bientôt les feront.
Pourquoi notre empereur s'est-il levé si tôt?
Pourquoi se tient-il devant la plus grande porte de la ville,
solennel, assis sur son trône, coiffé de sa couronne?
Parce que les Barbares seront là aujourd'hui
et que notre empereur attend d'accueillir
leur chef. Il a même préparé un parchemin
à lui remettre, où sont conférés
nombreux titres et nombreuses dignités.
Pourquoi nos deux consuls et nos préteurs sont-ils
sortis aujourd'hui, vêtus de leurs toges rouges et brodées?
Pourquoi ces bracelets sertis d'améthystes,
ces bagues où étincellent des émeraudes polies?
Pourquoi aujourd'hui ces cannes précieuses
finement ciselées d'or et d'argent?
Parce que les Barbares seront là aujourd'hui
et que pareilles choses éblouissent les Barbares.
Pourquoi nos habiles rhéteurs ne viennent-ils pas à l'ordinaire prononcer leurs discours et dire leurs mots?
Parce que les Barbares seront là aujourd'hui
et que l'éloquence et les harangues les ennuient.
Pourquoi ce trouble, cette subite
inquiétude? - Comme les visages sont graves!
Pourquoi places et rues si vite désertées?
Pourquoi chacun repart-il chez lui le visage soucieux?
Parce que la nuit est tombée et que les Barbares ne sont pas venus
et certains qui arrivent des frontières
disent qu'il n'y a plus de Barbares.
Mais alors, qu'allons-nous devenir sans les Barbares?
Ces gens étaient en somme une solution."
Constantin Catafy EN ATTENDANT LES BARBARES traduit du grec par Marguerite Yourcenar et Constantin Dimaras
"Qu'attendons-nous, rassemblés sur l'agora?
On dit que les Barbares seront là aujourd'hui.
Pourquoi cette léthargie, au Sénat?
Pourquoi les sénateurs restent-ils sans légiférer?
Parce que les Barbares seront là aujourd'hui.
À quoi bon faire des lois à présent?
Ce sont les Barbares qui bientôt les feront.
Pourquoi notre empereur s'est-il levé si tôt?
Pourquoi se tient-il devant la plus grande porte de la ville,
solennel, assis sur son trône, coiffé de sa couronne?
Parce que les Barbares seront là aujourd'hui
et que notre empereur attend d'accueillir
leur chef. Il a même préparé un parchemin
à lui remettre, où sont conférés
nombreux titres et nombreuses dignités.
Pourquoi nos deux consuls et nos préteurs sont-ils
sortis aujourd'hui, vêtus de leurs toges rouges et brodées?
Pourquoi ces bracelets sertis d'améthystes,
ces bagues où étincellent des émeraudes polies?
Pourquoi aujourd'hui ces cannes précieuses
finement ciselées d'or et d'argent?
Parce que les Barbares seront là aujourd'hui
et que pareilles choses éblouissent les Barbares.
Pourquoi nos habiles rhéteurs ne viennent-ils pas à l'ordinaire prononcer leurs discours et dire leurs mots?
Parce que les Barbares seront là aujourd'hui
et que l'éloquence et les harangues les ennuient.
Pourquoi ce trouble, cette subite
inquiétude? - Comme les visages sont graves!
Pourquoi places et rues si vite désertées?
Pourquoi chacun repart-il chez lui le visage soucieux?
Parce que la nuit est tombée et que les Barbares ne sont pas venus
et certains qui arrivent des frontières
disent qu'il n'y a plus de Barbares.
Mais alors, qu'allons-nous devenir sans les Barbares?
Ces gens étaient en somme une solution."
gérard menvussa- Messages : 6658
Date d'inscription : 06/09/2010
Age : 67
Localisation : La terre
Re: En poésie, la parole est libre
Le poème date de 1904, le voici dans sa version originale (rien que pour le plaisir des yeux).
Quand tu mettras le cap de retour sur Ithaque,
Souhaite un voyage long, plein de péripéties
Et riche d’enseignements. Ne crains ni les
Lestrygons, ni les Cyclopes, ni les fureurs
Du dieu Poséidon : rien de tel sur ta route
Tu ne croiseras, si ta pensée reste haute,
Si ton être s’exempt de toute émotion basse.
Tu ne verras les Lestrygons, ni les Cyclopes,
Ni le furieux Poséidon, à moins que les
Portant en toi, ton cœur ne les dresse hors de toi.
Souhaite que longtemps ton chemin se prolonge,
Et que nombreuses soient les aubes de l’été
Où tu pourras, ivre de plaisir et de joie,
Pénétrer dans des ports que tu n’as jamais vus.
Et faire escale devant les comptoirs phéniciens
Afin d’y acquérir de belles marchandises :
La nacre et le corail, comme l’ambre et l’ébène,
Toutes les variétés des capiteux parfums.
Le plus que tu pourras de capiteux parfums.
Rends-toi dans les cités populeuses d’Égypte
Apprendre, apprendre encore auprès de ceux qui savent.
Garde toujours Ithaque présente à ton esprit :
Ton ultime dessein sera d'y revenir,
Mais n'écourte surtout pas ta route ;
Prolonge-la plutôt sur le fil des années
Pour n’aborder ton île qu’au seuil du grand âge,
Riche de tous les gains acquis dans ton périple
Et n’ayant plus besoin qu’Ithaque t’enrichisse.
Ithaque t'a offert ce fabuleux voyage :
Sans elle, tu n’aurais pas risqué le chemin
Mais elle n’a plus rien à t’offrir. Si pauvre
Qu’elle te semble, Ithaque ne t’a pas trompé :
Te voilà si sage et riche de tant d’acquis
Que tu sais ce que les Ithaques signifient.
Constantin Cavafy (1911)
Et pour finir, une curiosité kitsch : "Ithaque", proféré en anglais par un Sean Connery chuintant à qui mieux-mieux, sur une musique de hall d'embarquement de Vangelis...
https://www.youtube.com/watch?v=1n3n2Ox4Yfk&feature=player_embedded#!
De Cavafy encore, un de ses textes les plus célèbres, suivi de sa traduction (à la va-comme-je-pousse-des-alexandrins) établie par mes soins.Περιμένοντας τους Βαρβάρους
- Τι περιμένουμε στην αγορά συναθροισμένοι;
Είναι οι βάρβαροι να φθάσουν σήμερα.
- Γιατί μέσα στην Σύγκλητο μιά τέτοια απραξία;
Τι κάθοντ' οι Συγκλητικοί και δεν νομοθετούνε;
Γιατί οι βάρβαροι θα φθάσουν σήμερα.
Τι νόμους πια θα κάμουν οι Συγκλητικοί;
Οι βάρβαροι σαν έλθουν θα νομοθετήσουν.
- Γιατί ο αυτοκράτωρ μας τόσο πρωί σηκώθη,
και κάθεται στης πόλεως την πιο μεγάλη πύλη
στον θρόνο επάνω, επίσημος, φορώντας την κορώνα;
Γιατί οι βάρβαροι θα φθάσουν σήμερα.
Κι ο αυτοκράτωρ περιμένει να δεχθεί
τον αρχηγό τους. Μάλιστα ετοίμασε
για να τον δώσει μια περγαμηνή. Εκεί
τον έγραψε τίτλους πολλούς κι ονόματα.
- Γιατί οι δυό μας ύπατοι κ' οι πραίτορες εβγήκαν
σήμερα με τες κόκκινες, τες κεντημένες τόγες•
γιατί βραχιόλια φόρεσαν με τόσους αμεθύστους,
και δαχτυλίδια με λαμπρά γυαλιστερά σμαράγδια•
γιατί να πιάσουν σήμερα πολύτιμα μπαστούνια
μ' ασήμια και μαλάματα έκτακτα σκαλισμένα;
Γιατί οι βάρβαροι θα φθάσουν σήμερα•
και τέτοια πράγματα θαμπόνουν τους βαρβάρους.
- Γιατί κ' οι άξιοι ρήτορες δεν έρχονται σαν πάντα
να βγάλουνε τους λόγους τους, να πούνε τα δικά τους;
Γιατί οι βάρβαροι θα φθάσουν σήμερα•
κι αυτοί βαριούντ' ευφράδειες και δημηγορίες.
- Γιατί ν' αρχίσει μονομιάς αυτή η ανησυχία
κ' η σύγχυσις. (Τα πρόσωπα τι σοβαρά που έγιναν).
- Γιατί αδειάζουν γρήγορα οι δρόμοι κ' οι πλατέες,
κι όλοι γυρνούν στα σπίτια τους πολύ συλλογισμένοι;
Γιατί ενύχτωσε κ' οι βάρβαροι δεν ήλθαν.
Και μερικοί έφθασαν απ' τα σύνορα,
και είπανε πως βάρβαροι πια δεν υπάρχουν.
Και τώρα τι θα γένουμε χωρίς βαρβάρους.
Οι άνθρωποι αυτοί ήσαν μιά κάποια λύσις.
IthaqueΙθάκη
Σα βγεις στον πηγαιμό για την Ιθάκη,
να εύχεσαι νάναι μακρύς ο δρόμος,
γεμάτος περιπέτειες, γεμάτος γνώσεις.
Τους Λαιστρυγόνας και τους Κύκλωπας,
τον θυμωμένο Ποσειδώνα μη φοβάσαι,
τέτοια στον δρόμο σου ποτέ σου δεν θα βρεις,
αν μεν' η σκέψις σου υψηλή, αν εκλεκτή
συγκίνησις το πνεύμα και το σώμα σου αγγίζει.
Τους Λαιστρυγόνας και τους Κύκλωπας,
τον άγριο Ποσειδώνα δεν θα συναντήσεις,
αν δεν τους κουβανείς μες στην ψυχή σου,
αν η ψυχή σου δεν τους στήνει εμπρός σου.
Να εύχεσαι νάναι μακρύς ο δρόμος.
Πολλά τα καλοκαιρινά πρωϊά να είναι
που με τι ευχαρίστησι, με τι χαρά
θα μπαίνεις σε λιμένας πρωτοειδωμένους,
να σταματήσεις σ' εμπορεία Φοινικικά,
και τες καλές πραγμάτειες ν' αποκτήσεις,
σεντέφια και κοράλλια, κεχριμπάρια κ' έβενους,
και ηδονικά μυρωδικά κάθε λογής,
όσο μπορείς πιο άφθονα ηδονικά μυρωδικά,
σε πόλεις Αιγυπτιακές πολλές να πας,
να μάθεις και να μάθεις απ' τους σπουδασμένους.
Πάντα στον νου σου νάχεις την Ιθάκη.
Το φθάσιμον εκεί ειν' ο προορισμός σου.
Αλλά μη βιάζεις το ταξείδι διόλου.
Καλλίτερα χρόνια πολλά να διαρκέσει
και γέρος πια ν' αράξεις στο νησί,
πλούσιος με όσα κέρδισες στο δρόμο,
μη προσδοκώντας πλούτη να σε δώσει η Ιθάκη.
Η Ιθάκη σ'έδωσε τ' ωραίο ταξείδι.
Χωρίς αυτήν δεν θάβγαινες στον δρόμο.
Άλλα δεν έχει να σε δώσει πια.
Κι αν πτωχική την βρεις, η Ιθάκη δε σε γέλασε.
Έτσι σοφός που έγινες, με τόση πείρα,
ήδη θα το κατάλαβες οι Ιθάκες τι σημαίνουν.
Κωνσταντίνος Π. Καβάφης, 1911
Quand tu mettras le cap de retour sur Ithaque,
Souhaite un voyage long, plein de péripéties
Et riche d’enseignements. Ne crains ni les
Lestrygons, ni les Cyclopes, ni les fureurs
Du dieu Poséidon : rien de tel sur ta route
Tu ne croiseras, si ta pensée reste haute,
Si ton être s’exempt de toute émotion basse.
Tu ne verras les Lestrygons, ni les Cyclopes,
Ni le furieux Poséidon, à moins que les
Portant en toi, ton cœur ne les dresse hors de toi.
Souhaite que longtemps ton chemin se prolonge,
Et que nombreuses soient les aubes de l’été
Où tu pourras, ivre de plaisir et de joie,
Pénétrer dans des ports que tu n’as jamais vus.
Et faire escale devant les comptoirs phéniciens
Afin d’y acquérir de belles marchandises :
La nacre et le corail, comme l’ambre et l’ébène,
Toutes les variétés des capiteux parfums.
Le plus que tu pourras de capiteux parfums.
Rends-toi dans les cités populeuses d’Égypte
Apprendre, apprendre encore auprès de ceux qui savent.
Garde toujours Ithaque présente à ton esprit :
Ton ultime dessein sera d'y revenir,
Mais n'écourte surtout pas ta route ;
Prolonge-la plutôt sur le fil des années
Pour n’aborder ton île qu’au seuil du grand âge,
Riche de tous les gains acquis dans ton périple
Et n’ayant plus besoin qu’Ithaque t’enrichisse.
Ithaque t'a offert ce fabuleux voyage :
Sans elle, tu n’aurais pas risqué le chemin
Mais elle n’a plus rien à t’offrir. Si pauvre
Qu’elle te semble, Ithaque ne t’a pas trompé :
Te voilà si sage et riche de tant d’acquis
Que tu sais ce que les Ithaques signifient.
Constantin Cavafy (1911)
Et pour finir, une curiosité kitsch : "Ithaque", proféré en anglais par un Sean Connery chuintant à qui mieux-mieux, sur une musique de hall d'embarquement de Vangelis...
https://www.youtube.com/watch?v=1n3n2Ox4Yfk&feature=player_embedded#!
Babel- Messages : 1081
Date d'inscription : 30/06/2011
Vyssotsky, la fin du bal
Comme le fruit tombé sans avoir pût mûrir,
La faute à l'homme, la faute au vent…
Comme l'homme qui sait en se voyant mourir
Qu'il n'aura plus jamais de temps.
Un jour de plus il aurait pu chanter
Faute au destin, faute à la chance,
Faute à ses cordes qui s'étaient cassées
Son chant s'appellera silence
Il peut toujours le commencer,
Nul ne viendra jamais danser…
Nul ne le reprendra en chœur
Il n'aura jamais rien fini
A part, cette blessure au cœur
Et cette vie…
Pourquoi, j'voudrais savoir pourquoi, pourquoi,
Elle vient trop tôt la fin du bal?
C'est les oiseaux, jamais les balles
Qu'on arrête en plein vol.
Comme ces disputes commencées le soir
Faute à la nuit, faute à l'alcool
Et dont il ne restera rien plus tard
Que quelques mégots sur le sol
Il aurait tant voulu frapper pourtant
Faute au couteau faute à la peur
Il n'aura fait aucun combat au sang
Juste le temps d'un peu de sueur
Lui qu'aurait voulu tout savoir
Il n'aura même pas pu tout voir…
Lui qui avait l'amour aux corps
Pour la seule qu'il aurait gardée
Il a rendu sa barque au port
Sans l'embrasser, sans la toucher, juste y penser jusqu'à la mort !
Pourquoi, j'voudrais savoir pourquoi, pourquoi,
Elle vient trop tôt la fin du bal ?
C'est les oiseaux, jamais les balles
Qu'on arrête en plein vol.
Il écrivait comme on se sort d'un piège
Faute au soleil, faute aux tourments
Mais comme il prenait pour papier la neige
Ces idées fondaient au printemps…
Et quand la neige recouvrait sa page
Faute à frimas, faute à l'hiver
Au lieu d'écrire il essayait courage
D'attraper les flocons en l'air
Mais aujourd'hui il est trop tard
Il n'aura pas pris le départ…
Et son souvenir ne sera
Que la chanson d'avant la lutte
De l'évadé qui n'aura pas
Atteint son but
Pourquoi, j'voudrais savoir pourquoi, pourquoi,
Elle vient trop tôt la fin du bal?
C'est les oiseaux, jamais les balles
Qu'on arrête en plein vol.
(Trad. M. Leforestier)
Le texte en russe :
Прерванный полёт
Кто-то высмотрел плод, что неспел, неспел,
Потрусили за ствол - он упал, упал...
Вот вам песня о том, кто не спел, не спел,
И что голос имел - не узнал, не узнал.
Может, были с судьбой нелады, нелады,
И со случаем плохи дела, дела,
А тугая струна на лады, на лады
С незаметным изъяном легла.
Он начал робко - с ноты "до",
Но не допел ее не до...
Недозвучал его аккорд, аккорд
И никого не вдохновил...
Собака лаяла, а кот
Мышей ловил...
Смешно! Не правда ли, смешно! Смешно!
А он шутил - недошутил,
Недораспробовал вино
И даже недопригубил.
Он пока лишь затеивал спор, спор
Неуверенно и не спеша,
Словно капельки пота из пор,
Из-под кожи сочилась душа.
Только начал дуэль на ковре,
Еле-еле, едва приступил.
Лишь чуть-чуть осмотрелся в игре,
И судья еще счет не открыл.
Он хотел знать все от и до,
Но не добрался он, не до...
Ни до догадки, ни до дна,
Не докопался до глубин,
И ту, которая одна,
Не долюбил, не долюбил!
Смешно, не правда ли, смешно?
А он спешил - недоспешил.
Осталось недорешено,
Все то, что он недорешил.
Ни единою буквой не лгу -
Он был чистого слога слуга,
И писал ей стихи на снегу,-
К сожалению, тают снега.
Но тогда еще был снегопад
И свобода писать на снегу.
И большие снежинки и град
Он губами хватал на бегу.
Но к ней в серебряном ландо
Он не добрался и не до...
Не добежал, бегун-беглец,
Не долетел, не доскакал,
А звездный знак его - Телец -
Холодный Млечный Путь лакал.
Смешно, не правда ли, смешно,
Когда секунд недостает,-
Недостающее звено -
И недолет, и недолет.
Смешно, не правда ли? Ну, вот,-
И вам смешно, и даже мне.
Конь на скаку и птица влет,-
По чьей вине, по чьей вине?
Version originale visionnable sur youtube seulement : https://www.youtube.com/v/PIFPmjvZ39M (clic + double clic)
Babel- Messages : 1081
Date d'inscription : 30/06/2011
أحن الى خبز أمى
أحن الى خبز أمى _ مارسيل خليفه على العود
Un poème de Mahmoud Darwich, par le grand Marcel Khalife.
https://www.youtube.com/watch?v=VFdLPR36fPE
أحن الى خبز أمى
أحنُ إلى خبز أمي
وقهوةِ أمي
ولمسةِ أمي ..
وتكبر فيَّ الطفولةُ
يوماً على صدر يومِ
أعشق عمري لأني
إذا متُّ
أخجل من دمع أمي !
خذيني .. إذا عدتُ يوماً
وشاحاً لهدبكْ
وغطي عظامي بعشبٍ
تعمَّد من طهر كعبكْ
وشدِّي وثاقي..
بخصلة شعرٍ ..
بخيطٍ يلوِّح في ذيل ثوبك..
ضعيني إذا مارجعتُ
وقودا بتنور ناركْ
وحبل غسيل على سطح داركْ
لأني فقدت الوقوف
بدون صلاةِ نهاركْ
هرمتُ فردّي نجوم الطفولة
حتى اشاركْ
صغار العصافير ..
درب الرجوع ..
لعُشِّ إنتظارك !!
ردّي نجوم الطفولة
حتى اشارك صغار العصافير
درب الرجوع ...
لعش انتظارك !!
محمود درويش
A ma mère
J'ai la nostalgie de ma mère
Du café de ma mère,
Des caresses de ma mère...
Et l'enfance grandit en moi,
Jour après jour,
Et je chéris ma vie, car
Si je mourais
J'aurais honte des larmes de ma mère !
Fais de moi,
Si je rentre un jour,
Une ombrelle pour tes paupières.
Recouvre mes os de cette herbe
Baptisée sous tes talons innocents.
Attache-moi
Avec une mèche de tes cheveux,
Un fil qui pend à l'ourlet de ta robe...
Et je serai, peut-être, un dieu,
Peut-être un dieu,
Si j'effleurais ton cœur !
Si je rentre, enfouis-moi,
Bûche, dans ton âtre.
Et suspends-moi,
Corde à linge, sur le toit de ta maison.
Je ne tiens pas debout
Sans ta prière du jour.
J'ai vieilli. Ramène les étoiles de l'enfance
Et je partagerai avec les petits des oiseaux,
Le chemin du retour...
Au nid de ton attente !
Mahmoud Darwich (1966) - Traduit par Elias Sanbar
Un poème de Mahmoud Darwich, par le grand Marcel Khalife.
https://www.youtube.com/watch?v=VFdLPR36fPE
أحن الى خبز أمى
أحنُ إلى خبز أمي
وقهوةِ أمي
ولمسةِ أمي ..
وتكبر فيَّ الطفولةُ
يوماً على صدر يومِ
أعشق عمري لأني
إذا متُّ
أخجل من دمع أمي !
خذيني .. إذا عدتُ يوماً
وشاحاً لهدبكْ
وغطي عظامي بعشبٍ
تعمَّد من طهر كعبكْ
وشدِّي وثاقي..
بخصلة شعرٍ ..
بخيطٍ يلوِّح في ذيل ثوبك..
ضعيني إذا مارجعتُ
وقودا بتنور ناركْ
وحبل غسيل على سطح داركْ
لأني فقدت الوقوف
بدون صلاةِ نهاركْ
هرمتُ فردّي نجوم الطفولة
حتى اشاركْ
صغار العصافير ..
درب الرجوع ..
لعُشِّ إنتظارك !!
ردّي نجوم الطفولة
حتى اشارك صغار العصافير
درب الرجوع ...
لعش انتظارك !!
محمود درويش
A ma mère
J'ai la nostalgie de ma mère
Du café de ma mère,
Des caresses de ma mère...
Et l'enfance grandit en moi,
Jour après jour,
Et je chéris ma vie, car
Si je mourais
J'aurais honte des larmes de ma mère !
Fais de moi,
Si je rentre un jour,
Une ombrelle pour tes paupières.
Recouvre mes os de cette herbe
Baptisée sous tes talons innocents.
Attache-moi
Avec une mèche de tes cheveux,
Un fil qui pend à l'ourlet de ta robe...
Et je serai, peut-être, un dieu,
Peut-être un dieu,
Si j'effleurais ton cœur !
Si je rentre, enfouis-moi,
Bûche, dans ton âtre.
Et suspends-moi,
Corde à linge, sur le toit de ta maison.
Je ne tiens pas debout
Sans ta prière du jour.
J'ai vieilli. Ramène les étoiles de l'enfance
Et je partagerai avec les petits des oiseaux,
Le chemin du retour...
Au nid de ton attente !
Mahmoud Darwich (1966) - Traduit par Elias Sanbar
Babel- Messages : 1081
Date d'inscription : 30/06/2011
Re: En poésie, la parole est libre
Tant que les pas beaux,
Je serais laid.
Tant que le boutonneux,
Je me gratterais.
Tant que la force fera loi,
Je serais hors la loi.
Tant que le bonheur sera d’argent,
Je serais le plomb.
Tant que les chiens policiers,
Je serais un collier.
Tant qu’il y aura des ordres,
Je serais le désordre.
Tant qu’il y aura des murs,
Je serais prisonnier.
Tant qu’ils te voleront ta vie,
Je serais non vivant.
Tant qu’il y aura des patrons,
Je serais gréviste.
Tant qu’il y aura des frontières,
Je serais passeur.
Tant que ton ciel ne sera pas bleu
Le mien sera gris…
Carland
Je serais laid.
Tant que le boutonneux,
Je me gratterais.
Tant que la force fera loi,
Je serais hors la loi.
Tant que le bonheur sera d’argent,
Je serais le plomb.
Tant que les chiens policiers,
Je serais un collier.
Tant qu’il y aura des ordres,
Je serais le désordre.
Tant qu’il y aura des murs,
Je serais prisonnier.
Tant qu’ils te voleront ta vie,
Je serais non vivant.
Tant qu’il y aura des patrons,
Je serais gréviste.
Tant qu’il y aura des frontières,
Je serais passeur.
Tant que ton ciel ne sera pas bleu
Le mien sera gris…
Carland
Roseau- Messages : 17750
Date d'inscription : 14/07/2010
Jacques Dupin
Il suffit parfois que quelqu'un meure pour qu'on s'intéresse à lui. Triste constat.
Jacques Dupin, décédé le 27 octobre dernier, fait partie de cette génération d'après : après Auschwitz, et qui fut secouée par la déflagration causée par la découverte de l'horreur des camps.
Après le Surréalisme, dont elle a refusé les séductions d'un lyrisme parfois facile. Préférant à son verbe chatoyant, ou coruscant, une poésie austère du dénuement. Ecriture du refus de l'image, au phrasé aride et à l'exigence parfois poseuse, affichée non sans quelque affectation, elle s'inscrivait en cela dans la continuité de Mallarmé, avec la même conscience affolée du vide, mais sans l'esprit du jeu.
Après ses contemporains, comme si elle avait voulu œuvrer par delà sa propre époque, pour s'adresser aux générations à venir. Et prendre par là le risque de s'enfermer dans l'hermétisme d'une activité réservée à quelques happy few --ce qui n'a en soi rien de condamnable : vouloir porter une parole authentique, débarrassée des scories dont s'attife sa propre modernité, pour aller chercher plus loin (en avant ou en arrière) une expressivité abrupte, car non encore polie par l'usage social, est souvent la marque d'une radicalité novatrice.
Dans le meilleur de ce que j'en connais, cela fait penser à du Reverdy (un lyrisme ténu et intense, un chant secret où le silence suggéré par les blancs du texte occupe autant sinon davantage de place que la matérialité des signes posés à l'encre noire). Ou aux sculptures anémiées de Giaccometti : L'homme qui marche...
Tout est dans l'économie de l'effet d'un énoncé qui parle bas.
Quelques textes de lui, piochés dans différents sites.
Le Prisonnier
Terre mal étreinte, terre aride,
Je partage avec toi l'eau glacée de la jarre,
L'air de la grille et le grabat.
Seul le chant insurgé
S'alourdit encore de tes gerbes,
Le chant qui est à soi-même sa faux.
Par une brèche dans le mur,
La rosée d'une seule branche
Nous rendra tout l'espace vivant,
Etoiles,
Si vous tirez à l'autre bout.
L'alliance
Cette boue séchera !
A la fêlure de la jarre, au tressaillement
de ma douleur dans sa gangue, je sais
que revient le vent.
Le vent qui se disperse et le vent qui
rassemble, l'inintelligible, le vivant !
Nous ne dormirons plus. Nous ne
cesserons plus de voir. De pourvoir
le feu.
Obscur horizon ! Seule brûle la tranche
d'un livre - quand je me détourne.
L'initiale
Poussière fine et sèche dans le vent,
Je t'appelle, je t'appartiens.
Poussière, trait pour trait,
Que ton visage soit le mien,
Inscrutable dans le vent.
Saccades (trois extraits...)
Langue de pain noir et d'eau pure,
Lorsqu'une bêche te retourne
Le ciel entre en activité.
Nos bras amoureux noircissent,
Nos bras ouvriers se nouent.
Juste la force
De basculer dans le ravin
Notre cadavre successif
Et ma bibliothèque de cailloux.
_________
Ta nuque, plus bas que la pierre,
Ton corps plus nu
Que cette table de granit...
Sans le tonnerre d'un seul de tes cils,
Serais-tu devenue la même
Lisse et insaisissable ennemie
Dans la poussière de la route
Et la mémoire du glacier ?
Amours anfractueuses, revenez,
Déchirez le corps clairvoyant.
_________
L'immobilité devenue
Un voyage pur et tranchant,
Tu attends ta décollation
Par la hache des ténèbres
De ce ciel monotone et fou.
Ah, qu'il jaillisse et retombe,
Ton sang cyclopéen,
Sur les labours harassés,
Et nos lèvres mortes !
A Pierre Reverdy
j’adhère à cette plaque de foyer
je rends ton enfant à la vague
je tourne le dos à la mer.
reconquise sur le tumulte et le silence
également hostiles,
la parole mal équarrie mais assaillante
brusquement se soulève
et troue l’air assombri par un vol compact
de chimères.
le tirant d’obscurité du poème
redresse la route effacée.
il neige au-dessus des mots.
après tant de voyages violents
entre la table et la fenêtre ouverte,
toutes choses et ta soif devinrent transparence
et profonde allégresse obscure...
il neige au-dessus de nous :
ce que tu taisais, je l’entends
M’introduire dans ton histoire.
le réel en retour, offre toutes ses faces,
ensemble, à ta seule étreinte fixe,
nulle prise tenue, retenue, mais l’excavation blanche,
la lettre volée, le rapt éclairant,
un chavirement de l’étendue dans la lumière,
seule à répercuter
l’embolie du ciel
à donner espace à ce bleu désuni qui s’allège
ce bleu de fonte, béant, de substance musicale,
comme d’un mur de terre et de fleurs
s’écroulant contre nos genoux
et resurgissant, lavé, bleu, sans nom
Contumace, Ballast.
Jacques Dupin, décédé le 27 octobre dernier, fait partie de cette génération d'après : après Auschwitz, et qui fut secouée par la déflagration causée par la découverte de l'horreur des camps.
Après le Surréalisme, dont elle a refusé les séductions d'un lyrisme parfois facile. Préférant à son verbe chatoyant, ou coruscant, une poésie austère du dénuement. Ecriture du refus de l'image, au phrasé aride et à l'exigence parfois poseuse, affichée non sans quelque affectation, elle s'inscrivait en cela dans la continuité de Mallarmé, avec la même conscience affolée du vide, mais sans l'esprit du jeu.
Après ses contemporains, comme si elle avait voulu œuvrer par delà sa propre époque, pour s'adresser aux générations à venir. Et prendre par là le risque de s'enfermer dans l'hermétisme d'une activité réservée à quelques happy few --ce qui n'a en soi rien de condamnable : vouloir porter une parole authentique, débarrassée des scories dont s'attife sa propre modernité, pour aller chercher plus loin (en avant ou en arrière) une expressivité abrupte, car non encore polie par l'usage social, est souvent la marque d'une radicalité novatrice.
Dans le meilleur de ce que j'en connais, cela fait penser à du Reverdy (un lyrisme ténu et intense, un chant secret où le silence suggéré par les blancs du texte occupe autant sinon davantage de place que la matérialité des signes posés à l'encre noire). Ou aux sculptures anémiées de Giaccometti : L'homme qui marche...
Tout est dans l'économie de l'effet d'un énoncé qui parle bas.
Quelques textes de lui, piochés dans différents sites.
Le Prisonnier
Terre mal étreinte, terre aride,
Je partage avec toi l'eau glacée de la jarre,
L'air de la grille et le grabat.
Seul le chant insurgé
S'alourdit encore de tes gerbes,
Le chant qui est à soi-même sa faux.
Par une brèche dans le mur,
La rosée d'une seule branche
Nous rendra tout l'espace vivant,
Etoiles,
Si vous tirez à l'autre bout.
L'alliance
Cette boue séchera !
A la fêlure de la jarre, au tressaillement
de ma douleur dans sa gangue, je sais
que revient le vent.
Le vent qui se disperse et le vent qui
rassemble, l'inintelligible, le vivant !
Nous ne dormirons plus. Nous ne
cesserons plus de voir. De pourvoir
le feu.
Obscur horizon ! Seule brûle la tranche
d'un livre - quand je me détourne.
L'initiale
Poussière fine et sèche dans le vent,
Je t'appelle, je t'appartiens.
Poussière, trait pour trait,
Que ton visage soit le mien,
Inscrutable dans le vent.
Saccades (trois extraits...)
Langue de pain noir et d'eau pure,
Lorsqu'une bêche te retourne
Le ciel entre en activité.
Nos bras amoureux noircissent,
Nos bras ouvriers se nouent.
Juste la force
De basculer dans le ravin
Notre cadavre successif
Et ma bibliothèque de cailloux.
_________
Ta nuque, plus bas que la pierre,
Ton corps plus nu
Que cette table de granit...
Sans le tonnerre d'un seul de tes cils,
Serais-tu devenue la même
Lisse et insaisissable ennemie
Dans la poussière de la route
Et la mémoire du glacier ?
Amours anfractueuses, revenez,
Déchirez le corps clairvoyant.
_________
L'immobilité devenue
Un voyage pur et tranchant,
Tu attends ta décollation
Par la hache des ténèbres
De ce ciel monotone et fou.
Ah, qu'il jaillisse et retombe,
Ton sang cyclopéen,
Sur les labours harassés,
Et nos lèvres mortes !
A Pierre Reverdy
j’adhère à cette plaque de foyer
je rends ton enfant à la vague
je tourne le dos à la mer.
reconquise sur le tumulte et le silence
également hostiles,
la parole mal équarrie mais assaillante
brusquement se soulève
et troue l’air assombri par un vol compact
de chimères.
le tirant d’obscurité du poème
redresse la route effacée.
il neige au-dessus des mots.
après tant de voyages violents
entre la table et la fenêtre ouverte,
toutes choses et ta soif devinrent transparence
et profonde allégresse obscure...
il neige au-dessus de nous :
ce que tu taisais, je l’entends
M’introduire dans ton histoire.
le réel en retour, offre toutes ses faces,
ensemble, à ta seule étreinte fixe,
nulle prise tenue, retenue, mais l’excavation blanche,
la lettre volée, le rapt éclairant,
un chavirement de l’étendue dans la lumière,
seule à répercuter
l’embolie du ciel
à donner espace à ce bleu désuni qui s’allège
ce bleu de fonte, béant, de substance musicale,
comme d’un mur de terre et de fleurs
s’écroulant contre nos genoux
et resurgissant, lavé, bleu, sans nom
Contumace, Ballast.
Dernière édition par Babel le Sam 3 Nov - 19:42, édité 1 fois
Babel- Messages : 1081
Date d'inscription : 30/06/2011
Charles Pennequin
Qualifié par Eric Loret d'"écrivain de la plèbe", dans l'article paru à l'occasion de la publication de son recueil Pamphlet contre la mort.
Extrait de l'article :
la mer le port et l'air
c'est mort
A découvrir.
Extrait de l'article :
Pennequin lisant deux textes de ce même recueil :Il est né prolétaire, chose inouïe pour un écrivain français : «nous étions des âmes simples, des petites âmes de pauvres, des petites gens, des gens de petite fortune, des âmes pas granment compliquées, de la petite mitraille, de la misérable bière, du populo très tranquille, pas méchant pour un sou.»
On croit souvent (quand on est de gauche) que le populo ne peut pas exprimer, qu’il n’a pas accès au discours, ne le maîtrise pas suffisamment. S’il n’y a pas de littérature de pauvres, ce serait par incapacité, en quelque sorte, provoquée ou essentielle. Encore un effort si vous voulez vous faire entendre. En réalité, il n’y a pas de gradation, pas de pas à franchir. Le discours pauvre est autre et surtout inaudible, cachez cet assujettissement que nous ne saurions reconnaître : «nous étions les porteurs d’eau de notre destinée.» Si littérature prolétaire il y avait, elle dirait précisément la privation de sujet, serait sans sujet. «nous dérangions l’histoire avec nos paroles inintéressantes», note Pennequin, car ce que le «sans classe» a à dire est informe, ne peut s’insérer dans le grand récit classieux de l’argent et du sexe patrimoniaux.
la mer le port et l'air
c'est mort
pamphlet contre la mort
chez P.O.L
les premières pages (en pdf)
chez P.O.L
les premières pages (en pdf)
A découvrir.
Babel- Messages : 1081
Date d'inscription : 30/06/2011
Re: En poésie, la parole est libre
Et si je meurs l’hiver
attendez que vienne l’été
Et si je meurs à l’aube
attendez que vienne le soir
Que la corolle solaire
saigne sur la paume du ciel
Je veux un ciel qu'écarlatent
les désarrois du monde
Je veux un ciel qu'ébouillante
aux pôles le lait de vos tétons
Et si je meurs à midi
attendez que vienne le soir
Patience
Plaquez mes omoplates au sol
N'écoutez pas si je crie
la tête au nord
bras en croix
Et feu !
Le vent en haillons gris
fera ses tourbillons.
attendez que vienne l’été
Et si je meurs à l’aube
attendez que vienne le soir
Que la corolle solaire
saigne sur la paume du ciel
Je veux un ciel qu'écarlatent
les désarrois du monde
Je veux un ciel qu'ébouillante
aux pôles le lait de vos tétons
Et si je meurs à midi
attendez que vienne le soir
Patience
Plaquez mes omoplates au sol
N'écoutez pas si je crie
la tête au nord
bras en croix
Et feu !
Le vent en haillons gris
fera ses tourbillons.
Babel- Messages : 1081
Date d'inscription : 30/06/2011
Les onze poèmes
... utilisés par Chostakovitch pour la composition de sa 14e symphonie.
1. De profundis
Los cien enamorados
duermen para siempre
bajo la tierra seca.
Andalucía tiene
largos caminos rojos.
Córdoba, olivos verdes
donde poner cien cruces
que los recuerden.
Los cien enamorados
duermen para siempre.
De profundis
Les cent amoureux
dorment à jamais
sous la terre sèche.
L'Andalousie a
de longues routes rouges.
A Cordoue, verts oliviers,
où planter cent croix
qui se souviennent d'eux.
Les cent amoureux
dorment à jamais.
Lorca
2. Malagueña
La muerte
entra y sale
de la taberna, etc.
Pasan caballos negros
y gente siniestra
por los hondos caminos
de la guitarra.
Y hay un olor a sal
y a sangre (de hembra)
en los nardos febriles
de la marina.
La muerte
entra y sale
y sale y entra
la muerte
de la taberna.
Malagueña
La mort
entre et sort
de l'auberge, etc.
Passent des chevaux noirs
et de sinistres gens
par les chemins creux
de la guitare.
Il y a un parfum de sel
et de sang
dans les tubéreuses fébriles
du bord de la mer.
La mort
entre et sort, etc.
...de l'auberge.
Lorca
3. La Loreley
A Bacharach il y avait une sorcière blonde
Qui laissait mourir d'amour tous les hommes à la ronde
Devant son tribunal l'évêque la fit citer
D'avance il l'absolvit à cause de sa beauté
Ô belle Loreley aux yeux pleins de pierreries
De quel magicien tiens-tu ta sorcellerie
Je suis lasse de vivre et mes yeux sont maudits
Ceux qui m'ont regardée évêque ont péri
Mes yeux ce sont des flammes et non des pierreries
Jetez jetez aux flammes cette sorcellerie
Je flambe dans ces flammes ô belle Loreley
Qu'un autre te condamne tu m'as ensorcelé
Evêque vous riez Priez plutôt pour moi la Vierge
Faites moi donc mourir et que Dieu vous protège
Mon amant est parti pour un pays lointain
Faites-moi donc mourir puisque je n'aime rien
Mon cœur me fait si mal il faut bien que je meure
Si je me regardais il faudrait que j'en meure
Mon cœur me fait si mal depuis qu'il n'est plus là
Mon cœur me fit si mal du jour où il s'en alla
L'évêque fit venir trois chevaliers avec leurs lances
Menez jusqu'au couvent cette femme en démence
Va-t-en Lare en folie va Lore aux yeux tremblants
Tu seras une nonne vêtue de noir et blanc
Puis ils s'en allèrent sur la route tous les quatre
La Loreley les implorait et ses yeux brillaient comme des astres
Chevaliers laissez-moi monter sur ce rocher si haut
Pour voir une fois encore mon beau château
Pour me mirer une fois encore dans le fleuve,
Puis j'irai au couvent des vierges et des veuves
Là-haut le vent tordait ses cheveux déroulés
Les chevaliers criaient Loreley Loreley
Tout là-bas sur le Rhin s'en vient une nacelle
Et mon amant s'y tient il m'a vue il m'appelle
Mon cœur devient si doux c'est mon amant qui vient
Elle se penche alors et tombe dans le Rhin
Pour avoir vu dans l'eau la belle Loreley
Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil
Guillaume Apollinaire
[d'après Brentano, 1801]
4 Le Suicidé
Trois grands lys Trois grands lys sur ma tombe sans croix
Trois grands lys poudrés d'or que le vent effarouche
Arrosés seulement quand un ciel noir les douche
Majestueux et beaux comme sceptres des rois
L'un sort de ma plaie et quand un rayon le touche
Il se dresse sanglant c'est le lys des effrois
Trois grands lys Trois grands lys sur ma tombe sans croix
Trois grands lys poudrés d'or que le vent effarouche
L'autre sort de mon cœur qui souffre sur la couche
Où le rongent les vers L'autre sort de ma bouche
Sur ma tombe écartée ils se dressent tous trois
Tout seuls tout seuls et maudits comme moi je crois
Trois grands lys Trois grands lys sur ma tombe sans croix
Guillaume Apollinaire
5. Les Attentives I
Celui qui doit mourir ce soir dans les tranchées
C'est un petit soldat dont l'œil indolemment
Observe tout le jour aux créneaux de ciment
Les Gloires qui de nuit y furent accrochées
Celui qui doit mourir ce soir dans les tranchées
C'est un petit soldat mon frère et mon amant
Et puisqu'il doit mourir je veux me faire belle
Je veux de mes seins nus allumer les flambeaux
Je veux de mes grands yeux fondre l'étang qui gèle
Et mes hanches je veux qu'elles soient des tombeaux
Car puisqu'il doit mourir je veux me faire belle
Dans l'inceste et la mort ces deux gestes si beaux
Les vaches du couchant meuglent toutes leurs roses
L'Aile de l'oiseau bleu m'évente doucement
C'est l'heure de l'Amour aux ardentes névroses
C'est l'heure de la Mort et du dernier serment
Celui qui doit périr comme meurent les roses
C'est un petit soldat mon frère et mon amant Guillaume Apollinaire
6. Les Attentives II
Mais Madame écoutez-moi donc
Vous perdez quelque chose
- C'est mon cœur pas grand-chose
Ramassez-le donc
Je l'ai donné je l'ai repris
Il fut là-bas dans les tranchées
Il est ici j'en ris j'en ris
Des belles amours que la mort a fauchées
Guillaume Apollinaire
7. À la Santé
Guillaume Apollinaire
8. Réponse des cosaques zaporogues au sultan de Constantinople
Plus criminel que Barrabas
Cornu comme les mauvais anges
Quel Belzébuth es-tu là-bas
Nourri d'immondice et de fange
Nous n'irons pas à tes sabbats
Poisson pourri de Salonique
Long collier des sommeils affreux
D'yeux arrachés à coup de pique
Ta mère fit un pet foireux
Et tu naquis de sa colique
Bourreau de Podolie Amant
Des plaies des ulcères des croûtes
Groin de cochon cul de jument
Tes richesses garde-les toutes
Pour payer tes médicaments
Guillaume Apollinaire
9. O Delvig, Delvig !
O Del'vig, Del'vig! Chto nagrada
I del vysokikh i stikhov?
Talantu chto i gde otrada
Sredi zlodejev i glupcov?
V ruke surovoj Juvenala
Zlodejam groznyj bych svistit
I krasku gonit s ikh lanit.
I vlast' tiranov zadrozhala.
O Del'vig, Del'vig, chto gonen'ja?
Bessmertije ravno udel
I smelykh vdokhnovennykh del
I sladostnogo pesnopenja!
Tak ne umrjot i nash sojuz,
Svobodnyj, radostnyj i gordyj!
I v schast'je i v neschast'je tvjordyj
Sojuz ljubimcev vechnykh muz!
O Delvig, Delvig!
O Delvig, Delvig! Où est la récompense
des belles actions et de la poésie ?
Où et comment la joie du talent
parmi les fripons et les fous ?
De la main austère de Juvénal
le fouet redoutable siffle sur les fripons,
leur ôtant la couleur de leurs joues,
et la puissance des tyrans fut ébranlée.
O Delvig, Delvig ! Où est la persécution ?
L'immortalité est la même
pour les nobles et vaillantes actions,
pour la douceur de chants poétiques.
Ainsi notre union ne mourra pas,
fière, joyeuse, libre
et dans la joie et dans la peine, ferme
est l'union des amants de l'éternelle muse.
Wilhelm Küchelbecker (1797-1846)
10. Der Tod des Dichters
Er lag. Sein aufgestelltes Antlitz war
bleich und verweigernd in den steilen Kissen,
seitdem die WeÙ und dieses Von-ihr-Wissen,
von seinen Sinnen abgerissen,
zurükfiel an das teilnahmslose Jahr.
Die, so ihn leben sahen, wuftten nicht,
wie sehrer Eines war mit allem diesen;
denn Dieses : diese Tiefen, diese Wiesen
und diese Wasser waren sein Gesicht.
O sein Gesicht war diese ganze Weite,
die jetzt noch zu ihm will und um ihn wirbt,
und seine Maske, die nun bang verstirbt,
ist zart und offen wie die lnnenseite
von einer Frucht, die an der Luft verdirbt.
La Mort du poète
Il gisait. Son visage offert était
blême et absent sur l'oreiller penché
depuis que le monde et ce qu.il en sut
détaché de son esprit
était retombé dans l'insensible année.
Ceux qui l'avaient vu vivre ne surent jamais
combien il était un avec tous ceux-ci.
Ceux-ci donc: ces gouffres, ces prairies
et ces eaux étaient sa face.
O sa face était tous les lointains
qui viennent encore à lui pour le courtiser;
et son masque, maintenant effaré par la mort,
est tendre et ouvert comme l'intérieur
d'un fruit qui se corrompt à l'air.
Rilke
11. Schluß-Stück
Der Tod ist groft.
Wir sind die Seinen
lachenden Munds.
Wenn wir uns mitten im Leben meinen,
wagt er zu weinen
mitten in uns.
Pièce finale
La mort est grande.
Nous sommes à elle,
la bouche riante.
Lorsque nous nous croyons au sein de la vie
elle ose pleurer
dans notre sein.
Rilke
1. De profundis
Los cien enamorados
duermen para siempre
bajo la tierra seca.
Andalucía tiene
largos caminos rojos.
Córdoba, olivos verdes
donde poner cien cruces
que los recuerden.
Los cien enamorados
duermen para siempre.
De profundis
Les cent amoureux
dorment à jamais
sous la terre sèche.
L'Andalousie a
de longues routes rouges.
A Cordoue, verts oliviers,
où planter cent croix
qui se souviennent d'eux.
Les cent amoureux
dorment à jamais.
Lorca
2. Malagueña
La muerte
entra y sale
de la taberna, etc.
Pasan caballos negros
y gente siniestra
por los hondos caminos
de la guitarra.
Y hay un olor a sal
y a sangre (de hembra)
en los nardos febriles
de la marina.
La muerte
entra y sale
y sale y entra
la muerte
de la taberna.
Malagueña
La mort
entre et sort
de l'auberge, etc.
Passent des chevaux noirs
et de sinistres gens
par les chemins creux
de la guitare.
Il y a un parfum de sel
et de sang
dans les tubéreuses fébriles
du bord de la mer.
La mort
entre et sort, etc.
...de l'auberge.
Lorca
3. La Loreley
A Bacharach il y avait une sorcière blonde
Qui laissait mourir d'amour tous les hommes à la ronde
Devant son tribunal l'évêque la fit citer
D'avance il l'absolvit à cause de sa beauté
Ô belle Loreley aux yeux pleins de pierreries
De quel magicien tiens-tu ta sorcellerie
Je suis lasse de vivre et mes yeux sont maudits
Ceux qui m'ont regardée évêque ont péri
Mes yeux ce sont des flammes et non des pierreries
Jetez jetez aux flammes cette sorcellerie
Je flambe dans ces flammes ô belle Loreley
Qu'un autre te condamne tu m'as ensorcelé
Evêque vous riez Priez plutôt pour moi la Vierge
Faites moi donc mourir et que Dieu vous protège
Mon amant est parti pour un pays lointain
Faites-moi donc mourir puisque je n'aime rien
Mon cœur me fait si mal il faut bien que je meure
Si je me regardais il faudrait que j'en meure
Mon cœur me fait si mal depuis qu'il n'est plus là
Mon cœur me fit si mal du jour où il s'en alla
L'évêque fit venir trois chevaliers avec leurs lances
Menez jusqu'au couvent cette femme en démence
Va-t-en Lare en folie va Lore aux yeux tremblants
Tu seras une nonne vêtue de noir et blanc
Puis ils s'en allèrent sur la route tous les quatre
La Loreley les implorait et ses yeux brillaient comme des astres
Chevaliers laissez-moi monter sur ce rocher si haut
Pour voir une fois encore mon beau château
Pour me mirer une fois encore dans le fleuve,
Puis j'irai au couvent des vierges et des veuves
Là-haut le vent tordait ses cheveux déroulés
Les chevaliers criaient Loreley Loreley
Tout là-bas sur le Rhin s'en vient une nacelle
Et mon amant s'y tient il m'a vue il m'appelle
Mon cœur devient si doux c'est mon amant qui vient
Elle se penche alors et tombe dans le Rhin
Pour avoir vu dans l'eau la belle Loreley
Ses yeux couleur du Rhin ses cheveux de soleil
Guillaume Apollinaire
[d'après Brentano, 1801]
4 Le Suicidé
Trois grands lys Trois grands lys sur ma tombe sans croix
Trois grands lys poudrés d'or que le vent effarouche
Arrosés seulement quand un ciel noir les douche
Majestueux et beaux comme sceptres des rois
L'un sort de ma plaie et quand un rayon le touche
Il se dresse sanglant c'est le lys des effrois
Trois grands lys Trois grands lys sur ma tombe sans croix
Trois grands lys poudrés d'or que le vent effarouche
L'autre sort de mon cœur qui souffre sur la couche
Où le rongent les vers L'autre sort de ma bouche
Sur ma tombe écartée ils se dressent tous trois
Tout seuls tout seuls et maudits comme moi je crois
Trois grands lys Trois grands lys sur ma tombe sans croix
Guillaume Apollinaire
5. Les Attentives I
Celui qui doit mourir ce soir dans les tranchées
C'est un petit soldat dont l'œil indolemment
Observe tout le jour aux créneaux de ciment
Les Gloires qui de nuit y furent accrochées
Celui qui doit mourir ce soir dans les tranchées
C'est un petit soldat mon frère et mon amant
Et puisqu'il doit mourir je veux me faire belle
Je veux de mes seins nus allumer les flambeaux
Je veux de mes grands yeux fondre l'étang qui gèle
Et mes hanches je veux qu'elles soient des tombeaux
Car puisqu'il doit mourir je veux me faire belle
Dans l'inceste et la mort ces deux gestes si beaux
Les vaches du couchant meuglent toutes leurs roses
L'Aile de l'oiseau bleu m'évente doucement
C'est l'heure de l'Amour aux ardentes névroses
C'est l'heure de la Mort et du dernier serment
Celui qui doit périr comme meurent les roses
C'est un petit soldat mon frère et mon amant Guillaume Apollinaire
6. Les Attentives II
Mais Madame écoutez-moi donc
Vous perdez quelque chose
- C'est mon cœur pas grand-chose
Ramassez-le donc
Je l'ai donné je l'ai repris
Il fut là-bas dans les tranchées
Il est ici j'en ris j'en ris
Des belles amours que la mort a fauchées
Guillaume Apollinaire
7. À la Santé
I
Avant d’entrer dans ma cellule
Il a fallu me mettre nu
Et quelle voix sinistre ulule
Guillaume qu’es-tu devenu
Le Lazare entrant dans la tombe
Au lieu d’en sortir comme il fit
Adieu adieu chantante ronde
Ô mes années ô jeunes filles
II
Non je ne me sens plus là
Moi-même
Je suis le quinze de la
Onzième
Le soleil filtre à travers
Les vitres
Ses rayons font sur mes vers
Les pitres
Et dansent sur le papier
J’écoute
Quelqu’un qui frappe du pied
La voûte
III
Dans une fosse comme un ours
Chaque matin je me promène
Tournons tournons tournons toujours
Le ciel est bleu comme une chaîne
Dans une fosse comme un ours
Chaque matin je me promène
Dans la cellule d’à côté
On y fait couler la fontaine
Avec les clefs qu’il fait tinter
Que le geôlier aille et revienne
Dans la cellule d’à côté
On y fait couler la fontaine
IV
Que je m’ennuie entre ces murs tout nus
Et peints de couleurs pâles
Une mouche sur le papier à pas menus
Parcourt mes lignes inégales
Que deviendrai-je ô Dieu qui connais ma douleur
Toi qui me l’as donnée
Prends en pitié mes yeux sans larmes ma pâleur
Le bruit de ma chaise enchaînée
Et tous ces pauvres cœurs battant dans la prison
L’Amour qui m’accompagne
Prends en pitié surtout ma débile raison
Et ce désespoir qui la gagne
V
Que lentement passent les heures
Comme passe un enterrement
Tu pleureras l’heure où tu pleures
Qui passera trop vitement
Comme passent toutes les heures
VI
J’écoute les bruits de la ville
Et prisonnier sans horizon
Je ne vois rien qu’un ciel hostile
Et les murs nus de ma prison
Le jour s’en va voici que brûle
Une lampe dans la prison
Nous sommes seuls dans ma cellule
Belle clarté Chère raison
Avant d’entrer dans ma cellule
Il a fallu me mettre nu
Et quelle voix sinistre ulule
Guillaume qu’es-tu devenu
Le Lazare entrant dans la tombe
Au lieu d’en sortir comme il fit
Adieu adieu chantante ronde
Ô mes années ô jeunes filles
II
Non je ne me sens plus là
Moi-même
Je suis le quinze de la
Onzième
Le soleil filtre à travers
Les vitres
Ses rayons font sur mes vers
Les pitres
Et dansent sur le papier
J’écoute
Quelqu’un qui frappe du pied
La voûte
III
Dans une fosse comme un ours
Chaque matin je me promène
Tournons tournons tournons toujours
Le ciel est bleu comme une chaîne
Dans une fosse comme un ours
Chaque matin je me promène
Dans la cellule d’à côté
On y fait couler la fontaine
Avec les clefs qu’il fait tinter
Que le geôlier aille et revienne
Dans la cellule d’à côté
On y fait couler la fontaine
IV
Que je m’ennuie entre ces murs tout nus
Et peints de couleurs pâles
Une mouche sur le papier à pas menus
Parcourt mes lignes inégales
Que deviendrai-je ô Dieu qui connais ma douleur
Toi qui me l’as donnée
Prends en pitié mes yeux sans larmes ma pâleur
Le bruit de ma chaise enchaînée
Et tous ces pauvres cœurs battant dans la prison
L’Amour qui m’accompagne
Prends en pitié surtout ma débile raison
Et ce désespoir qui la gagne
V
Que lentement passent les heures
Comme passe un enterrement
Tu pleureras l’heure où tu pleures
Qui passera trop vitement
Comme passent toutes les heures
VI
J’écoute les bruits de la ville
Et prisonnier sans horizon
Je ne vois rien qu’un ciel hostile
Et les murs nus de ma prison
Le jour s’en va voici que brûle
Une lampe dans la prison
Nous sommes seuls dans ma cellule
Belle clarté Chère raison
Guillaume Apollinaire
8. Réponse des cosaques zaporogues au sultan de Constantinople
Plus criminel que Barrabas
Cornu comme les mauvais anges
Quel Belzébuth es-tu là-bas
Nourri d'immondice et de fange
Nous n'irons pas à tes sabbats
Poisson pourri de Salonique
Long collier des sommeils affreux
D'yeux arrachés à coup de pique
Ta mère fit un pet foireux
Et tu naquis de sa colique
Bourreau de Podolie Amant
Des plaies des ulcères des croûtes
Groin de cochon cul de jument
Tes richesses garde-les toutes
Pour payer tes médicaments
Guillaume Apollinaire
9. O Delvig, Delvig !
O Del'vig, Del'vig! Chto nagrada
I del vysokikh i stikhov?
Talantu chto i gde otrada
Sredi zlodejev i glupcov?
V ruke surovoj Juvenala
Zlodejam groznyj bych svistit
I krasku gonit s ikh lanit.
I vlast' tiranov zadrozhala.
O Del'vig, Del'vig, chto gonen'ja?
Bessmertije ravno udel
I smelykh vdokhnovennykh del
I sladostnogo pesnopenja!
Tak ne umrjot i nash sojuz,
Svobodnyj, radostnyj i gordyj!
I v schast'je i v neschast'je tvjordyj
Sojuz ljubimcev vechnykh muz!
O Delvig, Delvig!
O Delvig, Delvig! Où est la récompense
des belles actions et de la poésie ?
Où et comment la joie du talent
parmi les fripons et les fous ?
De la main austère de Juvénal
le fouet redoutable siffle sur les fripons,
leur ôtant la couleur de leurs joues,
et la puissance des tyrans fut ébranlée.
O Delvig, Delvig ! Où est la persécution ?
L'immortalité est la même
pour les nobles et vaillantes actions,
pour la douceur de chants poétiques.
Ainsi notre union ne mourra pas,
fière, joyeuse, libre
et dans la joie et dans la peine, ferme
est l'union des amants de l'éternelle muse.
Wilhelm Küchelbecker (1797-1846)
10. Der Tod des Dichters
Er lag. Sein aufgestelltes Antlitz war
bleich und verweigernd in den steilen Kissen,
seitdem die WeÙ und dieses Von-ihr-Wissen,
von seinen Sinnen abgerissen,
zurükfiel an das teilnahmslose Jahr.
Die, so ihn leben sahen, wuftten nicht,
wie sehrer Eines war mit allem diesen;
denn Dieses : diese Tiefen, diese Wiesen
und diese Wasser waren sein Gesicht.
O sein Gesicht war diese ganze Weite,
die jetzt noch zu ihm will und um ihn wirbt,
und seine Maske, die nun bang verstirbt,
ist zart und offen wie die lnnenseite
von einer Frucht, die an der Luft verdirbt.
La Mort du poète
Il gisait. Son visage offert était
blême et absent sur l'oreiller penché
depuis que le monde et ce qu.il en sut
détaché de son esprit
était retombé dans l'insensible année.
Ceux qui l'avaient vu vivre ne surent jamais
combien il était un avec tous ceux-ci.
Ceux-ci donc: ces gouffres, ces prairies
et ces eaux étaient sa face.
O sa face était tous les lointains
qui viennent encore à lui pour le courtiser;
et son masque, maintenant effaré par la mort,
est tendre et ouvert comme l'intérieur
d'un fruit qui se corrompt à l'air.
Rilke
11. Schluß-Stück
Der Tod ist groft.
Wir sind die Seinen
lachenden Munds.
Wenn wir uns mitten im Leben meinen,
wagt er zu weinen
mitten in uns.
Pièce finale
La mort est grande.
Nous sommes à elle,
la bouche riante.
Lorsque nous nous croyons au sein de la vie
elle ose pleurer
dans notre sein.
Rilke
Babel- Messages : 1081
Date d'inscription : 30/06/2011
Re: En poésie, la parole est libre
Les revenantes
J’ai souvent las erré
Entre les nids d’abeilles.
Elles m’ont lacéré
De douceurs sans pareilles.
Tâchant d’être docile
Et soulager ma honte,
J’ai nourri mon exil
Au miel de leurs rencontres.
J'en sais dont les baisers
Se gravent sur la bouche,
Qu’à les tant désirer
Notre vue s’effarouche ;
J'en sais qui s’apitoient,
Et d'autres qu’on courtise,
Les prenant pour des proies
Dont nous sommes la prise.
Mes belles revenantes
Rivées au firmament,
Le ciel qui vous enfante
Connaît-il nos tourments ?
A l'ombre bienveillante
De vos scintillements
Nous vivons dans l'attente
D'être indéfiniment
Heureux.
Une maison coquette
Entourée de genêts
Où broutent des squelettes
Au fort accent cockney ;
Un bouquet de pivoines,
Quelques croissants, du thé,
Odette a mis pour Swann
Sa parure d’été.
Et que de larmes feintes,
De soupirs entravés !
Que de fièvres éteintes
Sur des serments crevés !
Est-il ardeur plus vaine
Que de garder en soi
L'ombre de ces fredaines
Et leurs frissons de soie ?
Mes belles revenantes…
Dans le grand lac gercé
Où finissent les courses,
Nos chevaux harassés
Salueront la Grande Ourse.
Mais que reste l’écho
De ces élans furtifs
Où se paya l’écot
Du temps itératif.
Les quatorze prénoms
Que porte ma mémoire,
Dans mes nuits d’abandon
Ouvrent leur mante noire,
Et du ventre au cercueil,
Du berceau à la tombe,
Mettent tout leur orgueil
A veiller ceux qui tombent.
Mes belles revenantes…
Que pleuvent les sanglots
Sur des soleils de flaques,
Comme un chant de grelots
Le long des catafalques !
De nos froissements d’elles,
Je n’emporte avec moi
Que la note cruelle
De son rire narquois.
Est-il erreur plus forte
Que de garder au cœur
Ce chien qui nous rapporte
Sa ration de douleur ?
Un remords nous étrangle,
Lentement, lentement,
Et nous fige dans l’angle
Obscur du reniement.
Mes belles revenantes…
Que faut-il que l’on tue
Lorsque nos ombres fuient
Et que l’on s’habitue
Au soleil de minuit ?
A nos années posthumes,
Aux enfants que nous fûmes,
Aux azalées qu’on hume
A deux sur le bitume.
Mes belles revenantes…
J’ai souvent las erré
Entre les nids d’abeilles.
Elles m’ont lacéré
De douceurs sans pareilles.
Tâchant d’être docile
Et soulager ma honte,
J’ai nourri mon exil
Au miel de leurs rencontres.
J'en sais dont les baisers
Se gravent sur la bouche,
Qu’à les tant désirer
Notre vue s’effarouche ;
J'en sais qui s’apitoient,
Et d'autres qu’on courtise,
Les prenant pour des proies
Dont nous sommes la prise.
Mes belles revenantes
Rivées au firmament,
Le ciel qui vous enfante
Connaît-il nos tourments ?
A l'ombre bienveillante
De vos scintillements
Nous vivons dans l'attente
D'être indéfiniment
Heureux.
Une maison coquette
Entourée de genêts
Où broutent des squelettes
Au fort accent cockney ;
Un bouquet de pivoines,
Quelques croissants, du thé,
Odette a mis pour Swann
Sa parure d’été.
Et que de larmes feintes,
De soupirs entravés !
Que de fièvres éteintes
Sur des serments crevés !
Est-il ardeur plus vaine
Que de garder en soi
L'ombre de ces fredaines
Et leurs frissons de soie ?
Mes belles revenantes…
Dans le grand lac gercé
Où finissent les courses,
Nos chevaux harassés
Salueront la Grande Ourse.
Mais que reste l’écho
De ces élans furtifs
Où se paya l’écot
Du temps itératif.
Les quatorze prénoms
Que porte ma mémoire,
Dans mes nuits d’abandon
Ouvrent leur mante noire,
Et du ventre au cercueil,
Du berceau à la tombe,
Mettent tout leur orgueil
A veiller ceux qui tombent.
Mes belles revenantes…
Que pleuvent les sanglots
Sur des soleils de flaques,
Comme un chant de grelots
Le long des catafalques !
De nos froissements d’elles,
Je n’emporte avec moi
Que la note cruelle
De son rire narquois.
Est-il erreur plus forte
Que de garder au cœur
Ce chien qui nous rapporte
Sa ration de douleur ?
Un remords nous étrangle,
Lentement, lentement,
Et nous fige dans l’angle
Obscur du reniement.
Mes belles revenantes…
Que faut-il que l’on tue
Lorsque nos ombres fuient
Et que l’on s’habitue
Au soleil de minuit ?
A nos années posthumes,
Aux enfants que nous fûmes,
Aux azalées qu’on hume
A deux sur le bitume.
Mes belles revenantes…
Babel- Messages : 1081
Date d'inscription : 30/06/2011
Re: En poésie, la parole est libre
… Ou d’autres fois brisant la pesanteur atroce
Et la monotonie des jours réitérés
Nous tirons la nacelle et nous roulons carrosse
Sur le dais de velours de nos corps étirés.
Le revers de ma main posé sur ta poitrine
Ton coude au creux du lit et mon souffle à ton cou
Papa maman s'en vont cueillir des églantines
-- Le cahot des pavés a rompu leur licou !
Mais la course arrêtée de nos rumeurs d'extase
Laisse un soleil meurtri jaillir de son fourreau
Lorsque proliférant comme des métastases
Et baignant nos yeux secs de remords infinis
Au milieu des sanglots et des cris d'agonie
Dehors le temps poursuit son travail de bourreau.
Et la monotonie des jours réitérés
Nous tirons la nacelle et nous roulons carrosse
Sur le dais de velours de nos corps étirés.
Le revers de ma main posé sur ta poitrine
Ton coude au creux du lit et mon souffle à ton cou
Papa maman s'en vont cueillir des églantines
-- Le cahot des pavés a rompu leur licou !
Mais la course arrêtée de nos rumeurs d'extase
Laisse un soleil meurtri jaillir de son fourreau
Lorsque proliférant comme des métastases
Et baignant nos yeux secs de remords infinis
Au milieu des sanglots et des cris d'agonie
Dehors le temps poursuit son travail de bourreau.
Babel- Messages : 1081
Date d'inscription : 30/06/2011
Re: En poésie, la parole est libre
Quand sera épuisée la tendresse des rides
Et que le ciel de suie souillera nos baisers,
Nous couvrirons nos fronts d'un peu de terre humide
Pour y entendre battre nos cœurs apaisés.
Le long d'une allée sombre où chacun tient registre
Égrenant ses regrets, ses pardons, ses amen,
Et des secrets si lourds que la dalle au teint bistre
Dans le remord du lierre abrite un cyclamen,
Sous la sauge et le thym, dans le suc des jonquilles,
De tapis d'herbe folle aux oiseaux clairsemée,
Avec de lents essors qui les recroquevillent,
Nos corps prendront le temps pour apprendre à s'aimer.
Car si nos os blanchis sont amers comme l'encre
Du sang qui se durcit dans le creux des vaisseaux,
Nos fibres ulcérées par le travail du chancre
Sauront s'épanouir en de vibrants faisceaux.
Quand sera épuisée la tendresse des rides
A l'ombre d'un cyprès s'inclinant en arceau,
Nous tournerons nos fronts vers un soleil aride
Pour voir la mort renaître au fond de son berceau.
Et que le ciel de suie souillera nos baisers,
Nous couvrirons nos fronts d'un peu de terre humide
Pour y entendre battre nos cœurs apaisés.
Le long d'une allée sombre où chacun tient registre
Égrenant ses regrets, ses pardons, ses amen,
Et des secrets si lourds que la dalle au teint bistre
Dans le remord du lierre abrite un cyclamen,
Sous la sauge et le thym, dans le suc des jonquilles,
De tapis d'herbe folle aux oiseaux clairsemée,
Avec de lents essors qui les recroquevillent,
Nos corps prendront le temps pour apprendre à s'aimer.
Car si nos os blanchis sont amers comme l'encre
Du sang qui se durcit dans le creux des vaisseaux,
Nos fibres ulcérées par le travail du chancre
Sauront s'épanouir en de vibrants faisceaux.
Quand sera épuisée la tendresse des rides
A l'ombre d'un cyprès s'inclinant en arceau,
Nous tournerons nos fronts vers un soleil aride
Pour voir la mort renaître au fond de son berceau.
Babel- Messages : 1081
Date d'inscription : 30/06/2011
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