Assise dans le jardin du monastère de Sant Benet, à 50 kilomètres de Barcelone, dans le nord-est de l'Espagne, où elle vit avec 35 autres religieuses, Teresa Forcades, 46 ans, dénonce les politiques d'austérité censées assainir l'économie en crise.
"Les coupes vont à l'encontre des besoins d'une majorité mais favorisent les intérêts d'une minorité", explique-t-elle, exprimant d'une voix douce ses convictions fortement ancrées, le regard vif et aimable sous son habit noir.
En compagnie de l'économiste Arcadi Oliveres, l'une des références du mouvement social des "indignés" qui avait éclos en Espagne en 2011, Teresa Forcades vient de lancer un manifeste politique, qui, en à peine deux jours, a déjà attiré 14.000 signatures de soutien en ligne.
Leur objectif: présenter une liste électorale citoyenne aux prochaines élections en Catalogne, en 2016, soit deux ans après le référendum sur l'autodétermination de cette région à la forte identité, promis par son président nationaliste, Artur Mas.
"Changer la société nous semble urgent, nécessaire et possible" sans violence, explique la religieuse, devenue célèbre lorsqu'en 2009, en pleine campagne de vaccination contre la grippe A, elle avait dénoncé les grands laboratoires pharmaceutiques et les autorités sanitaires.
La "rupture" est nécessaire car "c'est ce que veulent les gens: dire +ça suffit+", affirme-t-elle, depuis ce couvent moderne de pierre et de briques. C'est là qu'elle vit depuis 1997, à flanc du massif du Montserrat, berceau du nationalisme catalan, reliée au monde par une route sinueuse.
Vocation
Le visage animé, Teresa Forcades explique notamment qu'elle est en faveur d'une déclaration unilatérale d'indépendance de cette région de 7,5 millions d'habitants.
Une fois la souveraineté acquise, l'heure viendrait de lutter contre la corruption, d'offrir un logement "digne" à tous et de nationaliser les entreprises du secteur énergétique et les banques.
"Pourquoi les produits de première nécessité sont-ils taxés alors qu'il n'y a pas d'impôt sur les transactions financières", s'indigne-t-elle, affirmant ne pas être contre l'initiative privée mais les abus du capitalisme.
Née en 1966 dans une famille de Barcelone pour qui "l'Eglise, comme la monarchie, était une institution obsolète", elle lit pour la première fois les évangiles à 15 ans. "Cela m'a touchée", dit-elle.
La vocation était née, qui la mènerait plus tard dans un séminaire de New York, où elle entreprend des études de médecine qu'elle achève à Harvard. C'est aussi aux Etats-Unis qu'elle s'initie à la théologie, avant de faire son doctorat à Barcelone.
Mais Teresa Forcades l'affirme, les fondements de sa pensée se trouvent surtout dans la théologie de la libération, un courant né dans les années 1960 dans une Amérique latine étouffée par les dictatures.
"Le premier livre de théologie que j'ai lu fut +Jésus-Christ libérateur+ du Brésilien Leonardo Boff", l'un des grands noms de ce courant qui a accompagné l'évolution sociale du continent, explique-t-elle.
Chez Hugo Chavez, le président défunt vénézuélien, elle admire le fait que dans son pays "des gens humbles, et même marginaux, se sont convaincus qu'ils étaient des acteurs politiques".
Sa soif de changement concerne aussi l'Eglise, dont elle dénonce la "misogynie". "J'aimerais qu'au sein de l'Eglise, et qu'au sein de la société, on n'empêche personne, ni homme ni femme, d'accéder à la hiérarchie à cause de son sexe", explique-t-elle.
Défenseur de la contraception, Teresa Forcades envisage même la possibilité que la position catholique envers l'avortement "s'humanise".
Ces réformes et bien d'autres, elle espère que le pape François les fera avancer, le percevant comme plus réceptif que ses prédécesseurs à un processus de "démocratisation interne", raconte la religieuse, avant de disparaître lorsque les cloches du monastère l'appellent à la prière.
Par