Parce qu’aucune charge n’a été retenue contre lui, Nabil Hadjarab a été déclaré « libérable » par les autorités américaines en 2007. Le 8 février 2013, désespéré face au mutisme des autorités américaines et françaises, Nabil Hadjarab décide de se joindre aux 84 détenus grévistes de la faim – chiffre avancé par les autorités militaires.
« Si j’ai entamé cette grève de la faim, c’est surtout parce que j’ai perdu tout espoir de sortir d’ici », déclarait-il le 17 avril, à son avocate américaine Tara Murray.
Depuis le 22 mars, 19 des grévistes sont placés à l’isolement et nourris de force par les gardiens au moyen d’un tube naso-gastrique. « C’est un processus extrêmement douloureux pouvant causer des saignements sévères », s’inquiète Ahmed l’oncle de Nabil Hadjarab.
Une situation qui préoccupe également Navy Pillay, la Haut-commissaire aux droits de l’homme des Nations-Unies. Pour elle, la perspective de détention illimitée « pousse les individus à des gestes de désespoir ». Elle rappelait par ailleurs le 5 avril que « l’incarcération indéfinie constituait une violation claire du droit international. »
« Aucune menace »
Le sort de Nabil Hadjarab, qui travaille dans une organisation humanitaire en Afghanistan, a été scellé en 2001. Après les attentats du 11 septembre, les Etats-Unis recherchaient activement au Pakistan tout homme arabe potentiellement lié à des groupes terroristes. Les informateurs percevaient jusqu’à 5000 $ par capture. Nabil, ayant fui l’Afghanistan en guerre pour le Pakistan, est arrêté. Rapidement, les interrogateurs américains s’aperçoivent que le jeune homme n’a pas suivi d’entraînement militaire et qu’il est probablement victime d’une erreur d’identité.
Six ans plus tard, en 2007, les autorités américaines s’accordent sur le fait qu’il ne représente « aucune menace ». En France, les gouvernements successifs, sollicités par sa famille et ses avocats, restent muets. Quatorze demandes ont été transmises par son oncle Ahmed afin que Nabil « regagne le pays qu’il aime et dans lequel il a grandi ». Une plainte pour torture est même déposée auprès des autorités françaises en septembre 2012. Sans effet.
La France refuse de d’accueillir Nabil Hadjarab
S’appuyant sur des arrêtés de la Cour européenne des droits de l’homme, en référence à l’article 3 de la Convention (CEDH), Maître Breham, l’avocat français de Nabil, dépose un référé-liberté le vendredi 26 avril. Le référé est rejeté par le Tribunal administratif de Paris au motif que Maître Breham n’a pu apporter « la preuve du stress et de la souffrance morale éprouvée par Ahmed, oncle de Nabil, du fait de la passivité de l’Etat français face à la détention de son neveu ». Preuve qui justifierait le transfert de Nabil en France.
Par ailleurs, la défense ne montrerait pas suffisamment que « les Etats-Unis seraient prêts à transférer Nabil en France si celle-ci acceptait de l’accueillir ». En clair, le juge estime que Nabil dépend des autorités américaines et que la France ne peut pas grand-chose. L’avocat envisage donc un nouveau recours, apportant des éléments supplémentaires de preuve sur les points contestés. Il saisira la Cour européenne des droits de l’homme en dernier lieu si cette démarche n’aboutit pas.
Pour le ministère des Affaires étrangères, contacté par Politis, la France a « déjà contribué à l’effort d’accueil de deux détenus de Guantanamo », deux ressortissants algériens Lakhdar Boumediene et Saber Lahmar en 2009, « et souhaiterait que les efforts soient partagés par l’ensemble des pays qui en ont les moyens ».
À l’époque, les autorités américaines auraient écarté l’idée de renvoyer dans leurs pays d’origine les détenus de Guantanamo au prétexte qu’ils y risquaient la torture. Version officielle. Nabil, lui, ne souhaitait pas vivre dans un pays qu’il ne connaissait pas. Quant au Conseil de l’Europe, il n’était pas prêt à donner son accord pour que des étrangers « potentiellement dangereux » gagnent l’espace Schengen.
166 détenus sont toujours incarcérés à Guantanamo
Depuis douze ans, la situation des prisonniers de Guantanamo Bay est dénoncée par les associations tout autant que par les Nations-Unies. Leurs conditions de vie sont non conformes au droit international. De plus, ils sont jugés par une commission militaire, mise en place sous l’ère George Bush, au lieu de bénéficier de procédures équitables devant des Cours de justice fédérales.
Or, parmi les 10 promesses du candidat Barack Obama en 2008, figurait la fermeture programmée du centre de détention en 2010. En 2009, l’administration Obama propose le transfert des 48 prisonniers considérés non jugeables ni libérables vers une prison de haute sécurité de l’Illinois. Pour les autres, majoritairement yéménites, il est préconisé un rapatriement vers le pays d’origine ou l’accueil humanitaire d’un pays tiers. Mais le Congrès à majorité républicaine refuse le transfert de prisonniers tant que le Secrétariat d’état ne peut garantir que ceux-ci ne reprendront pas les armes. Conclusion : statu quo. Et les priorités du président Obama sont ailleurs. En décembre 2012, il a même promulgué la NDAA (National Defense Authorization Act). Cette loi autorise la détention militaire sans limitation et sans procès de tout « ennemi combattant », perpétuant ainsi le concept de « guerre globale contre le terrorisme » préconisée par George Bush Jr.
En janvier 2013, le bureau chargé de la dissolution de Guantanamo, nommé par le président après son élection, a été supprimé. Aujourd’hui, 166 détenus sont toujours incarcérés. Dans son intervention récente, Navy Pillay, exhortait les Etats-Unis à œuvrer à la fermeture de Guantanamo Bay : « Nous devons être clair sur ce point : les Etats-Unis sont en violation flagrante non seulement de leurs propres engagements, mais aussi des lois et normes internationales qu’ils sont pourtant tenus de respecter ». L’administration Obama qui s’était engagée à œuvrer en ce sens prend note mais argue que le Congrès américain est toujours hostile à l’idée de fermeture.
AFP / SPENCER PLATT