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Prostitution/Travail du sexe

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Prostitution/Travail du sexe - Page 7 Empty Re: Prostitution/Travail du sexe

Message  gérard menvussa Lun 21 Avr - 16:47

C'est l'inconvénient de faire de la politique sous le couvert de faire de la morale : on se trouve des alliés suspects ! Et mikha n'en manque pas....

Plus sérieusement :



Lilian Mathieu, La fin du tapin. Sociologie de la croisade pour l'abolition de la prostitution, Paris, Editions François Bourin, 2014, 280p, 20 €.

Extrait du chapitre 3, « Le style abolitionniste ».

3. Une production victimaire

Rassemblées et homogénéisées sous forme quantifiée, les prostituées perdent leur individualité et leur capacité d’expression pour se fondre dans une masse indistincte, subissant passivement une violence qu’il leur est impossible de remettre en cause. Cette passivité est inhérente au statut que leur attribuent les abolitionnistes, celui de victime. Ainsi qu’on l’a montré ailleurs, une victime ne saurait, sauf à se nier comme telle, être actrice du processus qui la produit ; elle est plutôt une figure au nom de laquelle d’autres adoptent des positions en ses lieux et place.1 La passivité est par conséquent la caractéristique majeure du portrait que les abolitionnistes dressent des prostituées, une passivité dont profitent ou que suscitent d’autres entités, pour leur part pleinement actives, que sont les proxénètes et les clients.



3.1. Portrait de la prostituée en victime

Remarquons d’abord que la forme du discours s’avère, ici encore, tout aussi importante que le fond. Ce sont des formes passives que les abolitionnistes privilégient lorsqu’ils décrivent la conduite des prostituées, suggérant que son principe réside en dehors d’elles-mêmes, dans des forces pour leur part pleinement agissantes qui les contraignent malgré elles à cette activité. Le livre d’Attac, notamment, recourt largement à cet effet d’opposition entre passif et actif : les prostituées « se font piéger », « se laissent abuser », « sont vendues », « subissent » (p. 49-50) tandis qu’à l’inverse les réseaux mafieux « profitent » (p. 49) et les proxénètes « agissent » (p. 59). De même le vocabulaire privilégié pour décrire les prostituées insiste-t-il sur leur inertie (inhérente à leur réduction à l’état de marchandise) ou leur vulnérabilité : Legardinier présente les pays d’Europe de l’Est comme un « nouveau vivier de chair fraîche » pour les pornographes, Poulin évoque le « “prix d’achat et de vente” d’une femme ou d’un enfant proie de la traite » et la LCR stigmatise une industrie du sexe « dans laquelle des millions de femmes et d’enfants sont devenus des marchandises à caractère sexuel ».2



L'identification des prostituées à des marchandises dénuées de parole doit être pondérée en regard de la place accordée aux témoignages dans chaque livraison de P&S. Dans ces pages, les prostituées sont présentées comme des personnes à part entière qui prennent la parole en nom propre — chaque témoignage est intitulé par un prénom — pour raconter leur histoire. Cette prise de parole, mise en forme par la rédaction, apparaît cependant cantonnée à ce seul espace et surtout réservée à des personnes sorties de la prostitution. Adoptant le registre de la descente aux enfers, les témoignages exposent les contraintes et violences qui conduisent à la prostitution, soulignent la précarité de la vie sur le trottoir et insistent sur le dégoût d’une activité avilissante, pour s’achever sur une sortie souvent douloureuse mais qui livre un message d’espoir à même d’aviver l’engagement du lecteur dans la cause de l’abolition.

L’abandon de la pratique prostitutionnelle apparaît ainsi comme la condition de la prise de parole, confirmant comme en creux qu’une prostituée en activité est dans l’incapacité de livrer un discours à la première personne sur son parcours et sa condition. Selon le MdN, les personnes qui témoignent « ont déjà entamé une démarche critique sur leur propre parcours, ont pris du recul, et c’est cette amorce de recul même qui ouvre l’espace de la parole. Beaucoup témoignent du fait que tenir dans la prostitution exige de ne pas s’arrêter, de ne pas réfléchir » (P&S, n° 150, 2005, p. 4).

Ce récit de soi s’inscrit par ailleurs dans un registre misérabiliste indissociable de la posture victimaire, dont cette série de titres donne un aperçu : « Éléna : “Ce soir, tu iras travailler” » (n° 137, 2002) ; « Raïssa : “Les clients ? Je ne veux plus jamais en parler. Plus jamais y penser” » (n° 143, 2003) ; « Myriam, transsexuelle : “Je n’ai pas trouvé ça spécialement dur. Après tout ce que j’avais vécu, après toute la violence...” » (n° 158, 2008) ; « Noémie : “Je n’étais plus rien ; un corps et puis c’est tout” » (n° 160, 2008) ; « Laurence : une “descente aux enfers” » (n° 163, 2009).



Ce qu’on pourrait désigner comme une production stylistique de la victime ne saurait bien évidemment suffire, et les abolitionnistes sollicitent différents registres d’argumentation à l’appui de la victimisation des prostituées. Un premier relève d’une conception de la prostitution comme violence intrinsèque. Les prostituées sont par définition des victimes car la prostitution est en elle-même un système d’oppression qui lamine toute capacité d’agir de leur part. Dans ces conditions, une prostituée ne saurait être le sujet de sa conduite, pas plus qu’elle ne pourrait se prévaloir d’une capacité de choix ou d’un consentement éclairé. On trouve une formulation élaborée de cette thèse chez la philosophe abolitionniste québécoise Rhéa Jean :

« Lorsque les abolitionnistes dénoncent la prostitution, ils dénoncent une situation qui ne permet pas aux personnes d’être des sujets à part entière. Ce n’est pas que les personnes prostituées auraient un défaut dans leur personnalité ne leur permettant pas d’être des agents libres, c’est plutôt que l’institution de la prostitution porte atteinte à la liberté et à l’autonomie des individus. Ce n’est pas que les femmes dans la prostitution ne pourraient pas faire des choix, y compris des choix concernant leur sexualité, c’est que l’industrie du sexe est une industrie qui vise à nier l’agentivité des personnes prostituées et leur possibilité d’avoir la sexualité de leur choix. Ce n’est pas qu’elles n’auraient pas la capacité d’être des agents libres, c’est qu’elles n’ont pas la possibilité de l’être pleinement dans un contexte de domination et d’exploitation ».3

D’autres formulations de cette thèse en livrent des expressions plus lapidaires. Le titre de l’ouvrage d’Attac désigne la prostitution comme « une atteinte globale à la dignité humaine ». La brochure de la LCR stigmatise le système prostitutionnel comme « la forme de violence la plus extrême de la domination masculine ».4 Pour le secrétaire général du MdN G. Théry, « la prostitution est toujours une violence ».5 Consulté par la Commission sociale des évêques, son prédécesseur B. Lemettre précisait qu’elle est « la violence la plus sournoise, la violence au quotidien, une violence qui entraîne d’autres violences ».6 Une des clés de cette violence est qu’elle supposerait une aliénation de son propre corps, pris pour fondement ontologique de l’individualité : « Ce qui est acheté [à la prostituée], ce n’est pas seulement son activité, sa compétence, comme ça se passe dans le travail salarié : c’est bien son corps qui fait l’objet de la transaction, c’est-à-dire sa personne-même. Le paiement fait d’ailleurs de cette personne un objet de transaction ».7 La généralité du propos, l’insistance sur le caractère « global » ou « fondamental » de la violence prostitutionnelle, une conception ontologisée de la sexualité, produisent une fois encore un effet d’homogénéisation qui ne laisse aucune place à la nuance ou au doute du lecteur : qu’elles qu’en soient les expressions concrètes, la prostitution est systématiquement oppressive. S’exprime ici l’essentialisme d’une conception abolitionniste de la prostitution comme une violence intrinsèque. Indépendamment de ses manifestations historiques et de son contexte d’accomplissement, la prostitution est en elle-même à combattre comme négation de l’humanité des personnes qui l’exercent.

Cette conception essentialiste, posée comme un a priori, procède du statut de croisade morale du mouvement abolitionniste, i.e. de son intransigeance qui exclut que la prostitution puisse, sous quelque condition que ce soit, apparaître comme acceptable. Elle a cependant besoin, pour convaincre, de s’appuyer sur des formes de démonstration auxquelles le registre scientifique vient une nouvelle fois apporter son secours. Cet appui scientifique ne relève pas, ici, de l’objectivation quantifiée d’une réalité prostitutionnelle massifiée. Il consiste au contraire en une exploration de l’intériorité des victimes au moyen des outils de la psychologie. Le regard se fait médical : la prostitution, par l’effraction du corps qu’elle suppose, serait une violence avant tout physique mais lourde de conséquences psychiques. Pour le secrétaire national du MdN, l’aspect décisif de la prostitution est « la violence que constitue en soi la répétition d’actes sexuels qui ne sont pas désirés » relevant d’« une négation permanente de l’autre et de son désir ».8 Pour Attac, de même, « l’accès au corps des femmes, l’acte sexuel marchand, constituent une (…) forme de violence (…). Elle n’en est pas moins destructrice, sidérante et meurtrière, car elle nie l’autre et l’intégrité de sa personne et, de manière globale, elle constitue une destruction de l’humain ».9

On a vu plus haut comment les abolitionnistes mobilisent les statistiques pour proposer une étiologie de la prostitution repérant son origine dans des expériences traumatiques de violences, et principalement de violences sexuelles, qu’auraient dans leur enfance vécues les personnes destinées à se prostituer. La violence prostitutionnelle serait ainsi la continuation d’une violence originelle qu’elle ne ferait que réitérer. S’appuyant sur l’expérience du MdN, Théry livre une formulation synthétique de ce raisonnement :

« Avant la prostitution, un très grand nombre, et même une majorité des personnes que nous avons rencontrées et accompagnées, nous ont expliqué avoir été victimes de violences, très souvent de violences sexuelles. Par exemple beaucoup ont connu l’inceste, et cette violence subie “permet” à un moment de franchir ce cap où sa propre sexualité va être mise dans le champ du marché (…). Parfois ces violences ne sont pas physiques, il peut aussi s’agir de maltraitance ou de violences psychologiques, qui vont favoriser un processus de dissociation entre corps et esprit permettant potentiellement un choix rationnel, en se détachant de son propre corps, de le mettre sur le marché ».10

L’invocation de cette étiologie, soutenue par de nombreuses études psychiatriques, relève de ce que Didier Fassin et Richard Rechtman désignent comme l’« empire du traumatisme »,11 i.e. la propension à saisir et à interpréter un ensemble de phénomènes douloureux au travers de leurs conséquences psychologiques sur ceux et celles qui en sont victimes. L’association de la prostitution à un traumatisme a connu, au cours de la dernière décennie, un développement inédit appuyé par la conception essentialiste évoquée à l’instant. Étant en elle-même violence, la prostitution est par définition traumatisante, et c’est au moyen des outils diagnostics de la traumatologie que le statut de victimes de celles qui l’exercent est attesté. On trouve une expression ramassée de cette approche dans un article du Dr Trinquart :

« 70% des personnes prostituées présentent un état de stress post-traumatique (ESPT),consécutif aux violences vécues dans le système prostitutionnel mais surtout à la violence du système lui-même (…). L’ESPT est un syndrome clinique composé de symptômes psychiques perturbants et handicapants dans la vie quotidienne, dont le principal est la mémoire traumatique (réminiscences) à l’origine de tous les autres tels que l’hyper vigilance, les troubles du sommeil, la perte de la concentration, les difficultés de la relation avec autrui ainsi que les conduites dissociantes… présents chez des personnes qui ont été victimes de graves violences ».12

La sollicitation de la notion de traumatisme — en partie issue de la médecine humanitaire et de la dénonciation féministe des abus sexuels et des maltraitances — pour penser la prostitution participe ainsi de l’unanimisme de la cause de son abolition, tant elle a « envahi l’espace moral des sociétés contemporaines » en « désignant une réalité irrécusable associée à un sentiment d’empathie »13 transversal aux principaux clivages politiques ou sociaux. Elle permet également un grandissement de la cause par comparaison avec d’autres violences traumatisantes, comme dans l’extrait suivant : « Les conséquences [de la prostitution] sur la santé mentale sont graves. Un syndrome post-traumatique qui dépasse la portée de celui des vétérans de la guerre du Vietnam ».14

Une place particulière doit être ici faite au Dr Trinquart, qui s’est imposée comme la principale promotrice et référence de cette approche psychiatrique au sein de l’abolitionnisme français. Elle est, dès sa thèse soutenue, interviewée par P&S (n° 138, 2002) et c’est à elle que se réfèrent par exemple Attac (qui la cite sur plus d’une page), la FS (lorsqu’elle affirme que, comme les victimes de violences conjugales ou les vétérans de guerre, les prostituées « doivent s’anesthésier pour supporter ») ou encore R. Jean quand elle avance que les prostituées « pratiquent (…) un acte de survie permettant de se couper psychologiquement de l’acte sexuel ».15 Elle propose dans sa thèse la notion de décorporalisation pour désigner un processus, inhérent à la répétition d’actes sexuels non désirés, « de modification physique et psychique correspondant au développement de troubles sensitifs affectant le schéma corporel et engendrant simultanément un clivage de l’image corporelle, dont le résultat final est la perte de l’investissement plein et entier de son propre corps par une personne ».16 La décorporalisation se manifesterait par différents symptômes psychiques et physiques tels qu’un sentiment de dédoublement de soi, une insensibilité à la douleur, une altération des relations affectives ou une incapacité à se projeter dans l’avenir. La psychiatrisation de la prostitution, envisagée comme source de troubles schizoïdes, rejoint ici son essentialisation puisque, Trinquart y insiste, c’est en elle-même, indépendamment de ses conditions concrètes d’accomplissement, que la prostitution est cause de stress post-traumatique. La question n’est pas sans importance dans un contexte d’opposition entre abolitionnisme et santé communautaire, puisque ce sont précisément les conditions d’exercice et d’existence des prostituées que cette dernière vise à améliorer. La décorporalisation constitue ainsi une arme de guerre contre la santé communautaire, car à même de lui disputer le domaine médical sur lequel elle a construit sa légitimité. Trinquart l’exprime clairement dans son interview dans P&S :

« C’est cette anesthésie, cet ensemble d’atteintes du schéma corporel, ce que j’appelle la “décorporalisation”, qui conduisent à une grande autonégligence en matière de soins. Or, ce que défend la santé communautaire, c’est l’idée que l’aménagement des conditions de la prostitution, ou sa professionnalisation, règlerait les problèmes de santé. Mais ce ne sont pas ces conditions (…) mais bien la pratique prostitutionnelle en elle-même qui engendre ces symptômes ».17

La thèse de la décorporalisation constitue également une arme contre la santé communautaire, et plus globalement contre tous ceux qui invoquent l’éventualité d’une prostitution « choisie », par la forclusion de toute autonomie de pensée et d’action des prostituées. La prostitution ne peut résulter d’un « choix » ou relever d’un « consentement » puisque les personnes qui l’exercent sont nécessairement hétéronomes : si ce n’est la contrainte d’un proxénète, c’est celle qui résulte d’une perte de conscience de soi qui les maintient sur le trottoir. Ainsi que l’exprime le titre de l’article de R. Jean, le consentement des prostituées ne peut être que vicié18 et P&S invoque le « déni » des prostituées qui, « pour tenir, (…) déqualifient les violences subies, selon un processus souvent observé dans les violences conjugales ».19

Cette thèse d’une aliénation foncière des prostituées peut également être envisagée comme une intellectualisation normativement neutralisée de la figure ancienne de la jeune fille naïve trompée par de vils proxénètes. Celle-ci est toujours sous-jacente et s’exprime par une insistance sur le manque d’éducation, l’influençabilité, l’ignorance ou l’arriération culturelle des victimes de la traite, toujours aussi promptes à se laisser abuser par de fausses promesses. La principale évolution réside dans le fait que la condescendance de classe qui imprégnait les discours abolitionnistes antérieurs laisse cette fois place à une déploration davantage marquée « ethniquement » : ce sont des figures de l’extranéité qui incarnent désormais le mieux l’innocence abusée. Quelques extraits en fournissent une illustration :

« Une fille, pour les populations affamées de ces régions, où le taux de préférence pour les fils est le plus élevé du monde, c’est un peu plus de misère et un peu plus de calamités. La vendre ou la prostituer, ou bien encore la sacrifier à une quelconque déesse, c’est une tradition qui dure depuis des siècles ».20

« La majorité des victimes sont incitées à s’installer à l’étranger par la promesse de gagner de l’argent sans effort et en peu de temps. La plus grande partie des Nigérianes victimes de la traite sont analphabètes et n’ont jamais connu la vie en ville avant de débarquer dans des mégalopoles ».21

« Certains producteurs [de films X] recrutent leurs modèles dans le nouveau vivier de chair fraîche de l’Est européen grâce à des fausses promesses d’emploi ou, plus insidieusement, à un discours lénifiant brodé de dollars et de voyages au soleil (…) Voyages, carrières, salaires mirifiques… les promesses et le lavage de cerveau (un boulot comme les autres) ont de quoi convertir les plus réticentes ».22

L’hétéronomie et l’innocence se combinent sous une forme magnifiée dans la figure de l’enfant prostitué, systématiquement convoquée dans les discours abolitionnistes. Cette convocation contribue à une infantilisation des prostituées dans leur ensemble, mais sous une forme sensiblement différente de celle des discours abolitionnistes étudiés au premier chapitre. Certes, comme dans ces écrits, la plupart des évocations contemporaines continuent d’insister sur la jeunesse, gage ambigu d’innocence (au sens de non-culpabilité mais aussi de naïveté), des personnes qui se prostituent. Vulnérables car influençables et fragiles, les jeunes seraient particulièrement exposés à la prostitution : « Ce sont des étudiantes dans la précarité qui vendent leur corps sur internet, ce sont des jeunes en situation de fugue qui tombent entre les mains de proxénètes, ce sont des jeunes filles (…) qui acceptent des relations sexuelles contre des biens non monétaires, ce sont des adolescentes qui n’hésitent pas à se dénuder ou à s’afficher dans des poses suggestives sur leur blog… »23

Mais la rhétorique actuelle s’appuie surtout sur la construction du problème de la pédophilie (spécialement lorsqu’elle relève du tourisme sexuel) pour lui associer la prostitution. La prostitution des enfants serait ainsi indissociable de celle des adultes, et l’existence de l’une impliquerait celle de l’autre. Les abolitionnistes ne manquent pas de spécifier la part qu’occupent les mineurs24 au sein d’un effectif prostitutionnel global : « Près de la moitié des victimes de la traite des êtres humains à des fins de prostitution sont des enfants (âgés de moins de 18 ans) », « Quelque 35 % des personnes prostituées du Cambodge ont moins de 17 ans et 60 % des Albanaises qui sont prostituées en Europe sont mineures » et « les petites Hongroises » encore adolescentes seraient « devenues des proies rêvées pour l’industrie du sexe helvétique ».25 Prostituées mineures et majeures seraient en outre indissociables puisqu’elles partageraient la même clientèle : « Les clients des enfants prostitués sont en majorité des hommes ordinaires, clients de la prostitution adulte qui en viennent à franchir la barrière, au prix de justifications parfaitement huilées ».26 L’association vaut ici assimilation : quiconque se révolte contre la prostitution des enfants ne peut que s’indigner de celle des adultes puisque les deux relèvent d’une même violence également intolérable. Une affiche du MdN exposait le même raisonnement dès les années 1990. La photo d’une fillette outrageusement fardée illustrait cette interpellation : « À cet âge-là, la prostitution est intolérable. Est-il un âge où elle devient tolérable ? ».27

L’argumentation abolitionniste repose ainsi sur une synecdoque : qui veut la disparition de la prostitution des enfants ne peut que vouloir l’éradication de la prostitution dans son ensemble. Mais l’invocation d’une indissociabilité entre prostitutions des enfants et des adultes produit d’autres effets. Le premier suggère une pollution du monde enfantin par celui des adultes, dont il conviendrait dès lors de restreindre l’influence. La liberté de conduite sexuelle entre adultes consentants trouverait ainsi sa limite dans les menaces qu’elle ferait peser sur les enfants. L’argumentation est spécialement déployée par Poulin dans son ouvrage Sexualisation précoce et pornographie, dans lequel il décèle une « pornographisation » envahissante des productions médiatiques ou culturelles des sociétés occidentales. Celle-ci prendrait notamment la forme d’une « pédophilisation » dont les expressions privilégiées seraient une mode enfantine imposant des tenues érotisées aux fillettes et une explosion de la pornographie pédophile. Autorisée aux majeurs, la pornographie se voit reprocher son accessibilité aux mineurs dont elle risque de perturber le développement affectif. Consommée par les jeunes, elle serait l’antichambre de leur prostitution par sa représentation de la sexualité comme une marchandise monnayable.28 Dans ce raisonnement, la barrière entre majeurs et mineurs s’estompe puisque les premiers se voient enjoindre de renoncer à leurs prérogatives sexuelles pour protéger les seconds.

C’est un même effet d’estompement entre majorité et minorité que produit la propension des textes abolitionnistes à associer « femmes » et « enfants » et à les traiter de manière équivalente : « 79 % [des victimes de la traite] sont des femmes et des fillettes » ; « La traite des femmes et des enfants à des fins prostitutionnelle de l’Asie du Sud et de l’Asie du Sud-Est est estimée à 400 000 personnes par an » ; « Le profit généré par le trafic des femmes et des enfants est en constante augmentation »29… L’assimilation produit une minorisation des femmes prostituées ou victimes de la traite, dont le statut est posé comme équivalent à celui des enfants, et justifie la revendication d’une extension de la pénalisation des clients de prostituées mineures à ceux des majeures. Et, de fait, les traits de la prostituée telle que la décrivent les abolitionnistes sont ceux que l’on prête aux enfants mineurs ou aux incapables majeurs, à savoir l’hétéronomie, la dépendance et l’influençabilité. Celles-ci imposent que d’autres, pour leur part pleinement responsables, exercent sur eux une forme de tutelle afin de préserver des intérêts qu’ils ne sont pas en mesure d’identifier. L’infantilisation des prostituées est la condition de la prétention abolitionniste à parler en leur lieu et place.





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1. Sandrine Lefranc, Lilian Mathieu, « De si probables mobilisations de victimes », in Sandrine Lefranc, Lilian Mathieu (dir.), Mobilisations de victimes, Rennes, PUR, 2009, p. 22-23.
2. Respectivement C. Legardinier, Les trafics du sexe, op. cit., p. 11 ; R. Poulin, « Industries du sexe », art. cit., p. 36 ; LCR, Prostitution : (s’en) sortir, brochure citée, p. 5.
3. Rhéa Jean, « Le consentement vicié des personnes prostituées et la “bonne conscience” des clients », Chronique féministe, n° 109, 2012, p. 27.
4. LCR, Prostitution : (s’en) sortir, brochure citée, p. 5.
5. Grégoire Théry, « L’abolition : seule réponse politique et progressiste à cette exploitation patriarcale qu’est le système prostitueur », Chronique féministe, n° 109, 2012, p. 29.
6. Commission sociale des évêques de France, Les Violences envers les femmes, op. cit., p. 53.
7. Françoise Claude, « Prostitution : les pouvoirs publics doivent-ils pouvoir l’organiser ? », Chronique féministe, n° 109, 2012, p. 64.
8. G. Théry, art. cit., p. 30.
9. Attac, op. cit., p. 88.
10. G. Théry, art. cit., p. 29.
11. Didier Fassin, Richard Rechtman, L’empire du traumatisme. Enquête sur la condition de victime, Paris, Flammarion, 2007.
12. Judith Trinquart, « Non, la prostitution n’est pas une profession » ; http://stopauxviolences.blogspot.com/2010/01/article-du-dr-judith-trinquart-non-la.html (consulté le 26 décembre 2012).
13. D. Fassin, R. Rechtman, op. cit., p. 17.
14. Ana Popovic, « Les enjeux de la prostitution et les femmes », in M. Claude, N. LaViolette, R. Poulin (dir.), op. cit., p. 270.
15. Attac, Mondialisation de la prostitution, op. cit., p. 89 ; Y. Charpenel (dir.), op. cit., p. 197 ; R. Jean, art. cit., p. 26.
16. Judith Trinquart, « La décorporalisation dans la pratique prostitutionnelle : un obstacle majeur dans l’accès au soin », thèse de médecine, 2002, sans lieu de soutenance, p. 30.
17. J. Trinquart, « La santé communautaire au risque de la santé ? », art. cit. p. 13 (souligné dans l’original).
18. R. Jean, art. cit.
19. P&S, n° 169, 2010, p. 3.
20. E. Coquart, P. Huet, op. cit., p. 84.
21. Esohe Agathise, « Réalités et cadre légal de la traite de Nigérianes et d’Européennes de l’Est en Italie », Alternatives sud, 12 (2), 2005, p. 139.
22. C. Legardinier, Les Trafics du sexe, op. cit., p. 22.
23. Y. Charpenel (dir.), op. cit., p. 204.
24. Le choc moral du lecteur est d’autant plus important que les abolitionnistes privilégient une définition juridique qui les autorise à utiliser les termes « mineurs » et « enfants » comme des synonymes, ainsi que s’en justifie Poulin : « Dans ce livre, lorsqu’il est question de prostitution ou de traite des enfants, il est fait référence à la définition universellement (sic) admise, soit dix-huit ans et moins », La mondialisation des industries du sexe, op. cit., p. 16.
25. Respectivement : Y. Charpenel (dir.), op. cit., p. 204 ; Richard Poulin, « Quinze thèse sur le capitalisme et le système prostitutionnel mondial », Alternatives Sud, 12 (2), 2005, p. 9 ; P&S n° 173, 2011, p. 11.
26. S. Bouamama, C. Legardinier, Les clients de la prostitution, op. cit., p. 66.
27. Affiche en couverture du n° 107, 1994, de P&S.
28. R. Poulin, Sexualisation précoce et pornographie, op. cit., spécialement chap. 7. Selon la FS, « pour ces jeunes qui ont fait leur éducation sexuelle devant des films pornographiques et baignent en permanence dans des images érotisées (mode, publicité…), la relation marchande est devenue banalisée et la prostitution apparaît comme un recours possible », Y. Charpenel (dir.), op. cit., p. 204.
29. Respectivement : Y. Charpenel (dir.), op. cit., p. 3 ; R. Poulin, La mondialisation des industries du sexe, op. cit., p. 31 ; Attac, op. cit., p. 22.
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Message  mykha Lun 21 Avr - 17:55

C'est l'inconvénient de faire de la politique sous le couvert de faire de la morale : on se trouve des alliés suspects ! Et mikha n'en manque pas....

Plus sérieusement :

Oui, plus sérieusement que tes sornettes, ce qui compte, c'est qu'un premier pas est accompli, qui, même insuffisant, va dans le bon sens.
Les clients/abuseurs seront sanctionnées et les victimes prostituées ne seront plus pénalisées.
Et les braillements et pressions des réseaux prostitueurs, des défenseurs de la banalisation de la prostitution n'y ont rien changé.
Bien sûr, ça sera loin d’éradiquer la prostitution, mais le fait que les clients puissent être désignés comme des délinquants et jugés comme tel est un point positif.
Il semblerait que le "modèle suédois" semble (trop) progressivement se développer en Europe, et c'est bien.
Reste que les sanctions contre les clients abuseurs sont faibles et surtout symboliques et que les pressions des réseaux et des défenseurs du système prostitutionnel vont continuer.
Après tout, les lois contre le viol ou le travail des enfants n'ont pas tout réglé, mais c'est quand même un (petit) pas en avant.
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Message  gérard menvussa Lun 21 Avr - 17:58

Les clients/abuseurs seront sanctionnées et les victimes prostituées ne seront plus pénalisées.
que disparait dans cette citation ? Les réseaux prostitueurs, ceux qui utilisent "la misére du monde" a leur seul profit. Quand aux "victimes prostituées", leur sort est le dernier des soucis de mikha.
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Message  sylvestre Ven 23 Mai - 12:32

Slate : Non, les Coupes du monde n'augmentent pas la prostitution et le trafic d'êtres humains
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Message  mykha Mar 17 Juin - 17:34

http://blogs.mediapart.fr/edition/les-invites-de-mediapart/article/160614/appel-des-survivantes-de-la-prostitution-au-premier-ministre

Monsieur le Premier Ministre,

Nous, survivantes de la prostitution, avons décidé de sortir de la honte et du silence. Et voilà que d’avoir franchi ce pas infranchissable fait de nous, partout, jusque dans nos petites villes, les dépositaires d’une parole qui se libère. C’est à nous que des femmes, des hommes, de plus en plus jeunes, viennent confier ce qu’ils ne peuvent dire à personne : comment un huissier, une dépression, une perte d’emploi, les violences d’un compagnon ou un réseau de proxénètes les ont jetés dans l’impasse de la prostitution. Comment ne pas lancer l’alerte sur ce versant invisible de « la crise » ?

Elles et ils le disent. La prostitution, ce n’est pas du cinéma, ce n’est pas Jeune et jolie… C’est une vie passée à subir, à souffrir et à se taire. A opiner, à accepter. A se cacher et à mentir. C’est la peur au ventre. Est-on jamais sûre d’en sortir vivantE ?

C’est le mépris de ceux même qui nous payent ; leurs « pulsions », leurs exigences, leurs perversions. L’alcool pour tenir le coup, la coke, tout ce qui peut faire oublier. L’intimité pillée, l’expropriation de soi-même, la santé détruite. L’enfermement et les barrières considérables pour retourner dans un monde où nous ne savons plus vivre.

Aujourd’hui, nous voulons parler pour toutes celles qui étouffent, enfermées dans la honte ou dans la peur, victimes ou pas de la traite, et qui attendent de trouver une issue à cette vie sans futur, à ces jours sans joie.

Aucune femme, aucun homme ne devrait plus être condamné à devenir prostituéE ; ni à subir ce marquage à perpétuité. Et nul ne devrait plus se sentir en droit d’exploiter sexuellement une personne contre de l’argent. Cette question interpelle toutes les femmes, tous les hommes, la société tout entière.

Faire ce pas vers plus de civilisation, plus de liberté et d’égalité, plus de respect des droits humains, serait l’honneur du Gouvernement et des parlementaires françaisEs. Nous vous demandons ici solennellement d’inscrire à l’ordre du jour du Sénat et de voter sans attendre la loi qui ouvrirait enfin le droit à l’avenir auquel aspirent tant d’entre nous.

Laurence Noëlle, Rosen Hicher, Carole, Marie-Ange
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Message  verié2 Mar 17 Juin - 17:47

voter sans attendre la loi qui ouvrirait enfin le droit à l’avenir auquel aspirent tant d’entre nous.
De quelle loi s'agit-il ?

verié2

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Message  nestor Mar 17 Juin - 18:12

verié2 a écrit:
voter sans attendre la loi qui ouvrirait enfin le droit à l’avenir auquel aspirent tant d’entre nous.
De quelle loi s'agit-il ?

Mystère....

En tout cas une  des signataires , rosen ,  avait écrit un  "Plaidoyer pour la légalisation de la prostitution"...



http://www.editions-bordessoules.fr/index.php?page=shop.product_details&flypage=flypage_eb.tpl&product_id=27&category_id=9&vmcchk=1&option=com_virtuemart&Itemid=78


"Plaidoyer pour la légalisation de la prostitution, ce texte provoque une réflexion sur l'hypocrisie de notre société française.
Les prostituées n'existent officiellement qu'au moment de payer des impôts, pour le reste elles sont condamnées à la quasi clandestinité. C'est la porte ouverte à toutes les violences, à la criminalité, aux dangers sanitaires, aux risques potentiels quotidiens, car elles sont seules face à des clients qui peuvent être porteurs de lourdes pathologies.
Considérant le problème posé par la prostitution dans le monde, Rosen démontre que notre pays ne pourra pas rester longtemps dans le déni de ce phénomène. Regardant sous tous les angles les problématiques de santé, d'ordre public, de sécurité et même de moralité, Rosen plaide pour un prostitution légalisée.
Il faut des lieux dédiés, tels que les Eros Center, comme en Allemagne. Rien n'interdit à nos élites de trouver une solution encore meilleure et mieux adaptée à notre pays. Il faut sortir de l'hypocrisie meurtrière, il faut protéger ces femmes, les comprendre et mieux encadrer ce « très vieux métier » qui à l'évidence ne disparaîtra jamais.

Rosen Hicher apporte son témoignage, son parcours, sans fard, avec cette vue directe, au vif des événements et des épreuves"

C'est bien confus tout ça .

nestor

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Message  mykha Mar 17 Juin - 18:27

verié2 a écrit:
voter sans attendre la loi qui ouvrirait enfin le droit à l’avenir auquel aspirent tant d’entre nous.
De quelle loi s'agit-il ?

Elles parlent de ça:

http://www.assemblee-nationale.fr/14/ta/ta0252.asp
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Message  verié2 Mar 17 Juin - 18:59

mykha a écrit:
verié2 a écrit:
voter sans attendre la loi qui ouvrirait enfin le droit à l’avenir auquel aspirent tant d’entre nous.
De quelle loi s'agit-il ?

Elles parlent de ça:

http://www.assemblee-nationale.fr/14/ta/ta0252.asp
Si c'est le projet de loi dont nous avons déjà longuement discuté, avec ses avantages et inconvénients, on ne voit pas en quoi elle pourrait leur "ouvrir le droit à l'avenir"... Shocked 

verié2

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Message  nestor Mar 17 Juin - 19:03


Ah voilà ce que pense la CNCDH de cette loi

"La CNCDH se félicite de l’abrogation du délit de racolage passif dont les effets ont conduit à rendre moins visible la prostitution et plus vulnérables les personnes en situation de prostitution. En application de la loi existante, elle encourage vivement la poursuite des clients de la prostitution de mineurs et de personnes vulnérables. Cependant, concernant la généralisation de la pénalisation des clients de la prostitution, la CNCDH estime que cette mesure pourrait s’avérer contre-productive, parce qu’elle risquerait notamment d’isoler davantage les victimes de traite et d’exploitation sexuelle. Soucieuse de l’égalité de tous devant la loi pénale, de l’efficacité de la réponse pénale et de la protection des personnes en situation de prostitution, la CNCDH estime que les arguments en défaveur de cette mesure l’emportent sur les arguments la soutenant, malgré la valeur pédagogique et éducative qu’une telle mesure emporterait."

http://www.cncdh.fr/fr/publications/avis-sur-la-proposition-de-loi-renforcant-la-lutte-contre-le-systeme-prostitutionnel

cela me semble une position équilibrée ..




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Message  mykha Mar 17 Juin - 19:48

Il me semble que tous les arguments favorables ou défavorables à la pénalisation des clients/prostitueurs ont été largement développés ici et ailleurs; on verra ce qui sera voté.
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Message  mykha Dim 6 Juil - 11:50

Sur le trottoir pour rembourser leur passeur

Ces femmes sont souvent les premières prostituées chinoises arrivées sur le territoire. Surnommées les Dongbei ou les Liaoning, appellations qui désignent la région du nord-est de la Chine dont elles sont originaires, elles ont gagné la France -- contre un pack de voyage fourni par des proxénètes pour un montant moyen de 10 000 € -- pour entamer une seconde vie. « Elles ont entre 35 et 45 ans », poursuit ce policier qui les côtoie depuis des années. « Elles sont souvent diplômées de l'enseignement supérieur, et avaient des postes à responsabilités dans des usines et des industries de la région. Mais quand le bassin industriel à connu des fermetures, elles ont cédé au mirage de l'argent qu'ont fait miroiter des proxénètes, et se sont retrouvées sur le trottoir pour rembourser leur passeur. » Discrètes dans leurs attitudes et leurs tenues, elles le sont tout autant lorsqu'on les questionne. « C'est vrai qu'elles sont discrètes, témoigne Hamid, qui gère un restaurant kebab voisin. Il n'y a jamais d'embrouille. Elles restent là des journées entières, partent avec un client puis reviennent une heure après. Elles font vraiment partie du paysage. C'est triste, mais c'est comme ça. » De temps à autre, elles se regroupent au passage du Lotus Bus, dans lequel opére l'association du même nom dédiée au soutien des prostituées asiatiques. « Sincèrement, je ne vois pas d'issue », poursuit le policier. « Quand on sait l'argent qu'elles ramènent aux proxénètes. Elles ne peuvent même pas rentrer chez elles, ce serait un déshonneur », précise-t-il, avant de conclure, fataliste : « En partant de Chine, elles ont troqué une misère pour une autre. »

http://www.leparisien.fr/espace-premium/actu/du-dongbei-a-belleville-itineraire-des-marcheuses-22-06-2014-3942495.php#xtref=https%3A%2F%2Fwww.faceb
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Message  verié2 Mer 9 Juil - 15:27

La loi sur la pénalisation des clients semble tomber à l'eau. Belkacem était pour, Taubira contre. les réticences l'ont emporté.
http://www.lemonde.fr/societe/article/2014/07/08/prostitution-la-penalisation-des-clients-supprimee-de-la-proposition-de-loi_4453458_3224.html

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Message  mykha Mer 9 Juil - 23:01

Le Sénat veut laisser les clients/prostitueurs continuer à abuser des femmes en toute impunité et à perpétuer l'exploitation sexuelle dans la joie et la bonne humeur.
Ecoeurant.


http://www.lexpress.fr/actualite/societe/prostitution-la-logique-serait-de-reconnaitre-la-responsabilite-des-clients_1558224.html
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Message  nestor Jeu 10 Juil - 17:59

"Il faut changer le regard que la société porte sur ce sujet. Lundi, le maire de Toulouse, Jean-Luc Moudenc, a signé un arrêté municipal anti-prostitution dans certains quartiers de la ville. Le texte fait état de troubles de l'ordre public et vise à pénaliser les prostituées d'une contravention de 35 euros. Mais qui perpétuent ces troubles ? Des prostitués, certainement, mais également les clients. Encore une fois, ce sont les prostitués qui paient le prix fort.  
En savoir plus sur http://www.lexpress.fr/actualite/societe/prostitution-la-logique-serait-de-reconnaitre-la-responsabilite-des-clients_1558224.html#h2BLgH61boaB4V50."

ils sont comiques  le Nid du Vatican  ,

ils sont  sortis du bénitier  pour ressasser les ennuyeuses  litanies de l'ordre moral , affirmer     que la prostitution n'était pas un travail  , que les prostitués  ne sont pas des travailleurs , considérent ici qu'elles portent atteintes a l'ordre public , et maintenant ils se plaignent que la société les considère comme des putes et les mette a l'amende

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Message  Roseau Lun 14 Juil - 21:05

Les mécanismes de fixation des prix pour les rapports sexuels rémunérés http://www.express.be/business/fr/economy/les-mecanismes-de-fixation-des-prix-pour-les-rapports-sexuels-remunrs/206368.htm …
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Message  sylvestre Jeu 17 Juil - 21:31

Massacre de travailleuses du sexe à Bagdad

Les milices chiites ne l’entendaient pas ainsi. Oh, ça n’aurait pas mieux été avec les islamistes sunnites non plus. Zayouna pour eux, c’est la souillure, la perversion absolue. Dans le commando de la mort à Zayouna, combien avaient probablement déjà un jour profité des « charmes » des bordels? Les témoins claquemurés dans un silence atterré laissent glisser que les assassins étaient connus du voisinage. Y venaient-ils des fois?

http://blogues.journaldemontreal.com/francoisbugingo/monde/requiem-pour-les-putains-tristes-de-bagdad/
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Message  Roseau Sam 8 Nov - 3:39

Prostitution : les "surprenantes convergences" dont ne parle pas le Diplo
http://www.contretemps.eu/interventions/prostitution-surprenantes-convergences-dont-ne-parle-pas-diplo
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Message  MO2014 Dim 23 Nov - 15:20

un document daté d'il y a un an mais toujours d'une douloureuse actualité :

Le rapport qui révèle la face noire de la prostitution
Mina Kaci
L'Humanité, Vendredi, 18 Octobre, 2013

Selon un rapport sénatorial rendu jeudi, 80 % des personnes prostituées en France sont étrangères et victimes d’un véritable système de traite des êtres humains. Un travail qui tord le nez au mythe de la call-girl souriante et libre.

Oubliez le mythe de la call-girl souriante, avenante et libre. Le rapport de la commission des Affaires sociales du Sénat dévoile la face cachée de la prostitution. Rendu public jeudi matin, il dresse le portrait d’une population accablée socialement et ravagée psychologiquement. Une population nombreuse qui s’établirait entre 20 000 et 40 000 (selon la police, beaucoup plus selon les associations), une population transformée en deux décennies.

Alors qu’en 1990, 20 % des prostituées provenaient de pays étrangers, aujourd’hui le pourcentage se situe entre 80 % et 90 %. « Cette évolution s’est accompagnée d’une forte diminution de la prostitution dite ’’traditionnelle’’, tandis que les réseaux de prostitution et de traite des êtres humains exercent une influence croissante, qu’il s’agisse de la prostitution de rue ou de celle sur Internet », notent les sénateurs Chantal Jouanno (UDI) et Jean-Pierre Godefroy (PS), mandatés par la commission des Affaires sociale, présidée par la communiste Annie David, pour fournir un travail approfondi sur la situation sociale et sanitaire, en dehors des considérations que l’on peut avoir sur la pénalisation ou pas du client. D’ailleurs, les deux rapporteurs ont des positions différentes sur la question : Chantal Jouanno est pour, Jean-Pierre Godefroy contre.

La prostitution est avant tout subie

Le document pointe la « grande vulnérabilité » dans le domaine de la santé. Les personnes prostituées sont davantage exposées au VIH, aux infections sexuellement transmissibles, sont sujettes à diverses pathologies reflétant leurs conditions de vie, tels les problèmes respiratoires, dermatologiques, digestifs, dentaires. Et aussi, bien sûr, psychiques. Des cas de tuberculose sont constatés. « Le cumul de difficultés économiques et sociales agit comme un frein à l’accès aux soins », écrit-on.

Contrairement à l’idée reçue, la prostitution est avant tout subie. « J’ai découvert un monde d’une incroyable inhumanité. Les femmes sont contraintes, avec des violences inimaginables. Sous nos yeux », confie Chantal Jouanno. Originaires essentiellement de Roumanie, de Bulgarie, du Nigeria, du Brésil et de Chine, elles sont confrontées à la précarité financière, à la barrière de la langue, à la complexité des dispositifs et des démarches administratives. Autant de facteurs qui s’ajoutent à la maltraitance physique et psychologique.

Il faut, insiste Jean-Pierre Godefroy, « mettre en place un accompagnement social global des personnes qui veulent quitter la prostitution, ainsi que des victimes du proxénétisme et de la traite ». Une prise en charge devant agir « simultanément dans plusieurs domaines, parmi lesquels la fiscalité, les minima sociaux, l’hébergement et le logement, l’accès aux titres de séjour, la santé ».

Il s’agit, pour la commission des Affaires sociales du Sénat, d’« inverser le regard » sur cette frange de la population, rejetée, désignée coupable, inspirant « la méfiance », déplore Chantal Jouanno. Laquelle indique que les préconisations (voir encadré) émises dans le document « peuvent être, toutes, mises en œuvre dès maintenant, et sans être en contradiction » avec les futures législations sur le système prostitutionnel, qui devraient être discutées par l’Assemblée nationale à la fin novembre.

Neuf mois de travail, une quarantaine d’auditions, des visites sur le terrain, des déplacements en Italie et en Belgique… Une prise de distance indispensable pour, enfin, constater la détresse. Et accorder le statut de « victime », selon le terme de Chantal Jouanno, à cette immense majorité de personnes, souvent sans papiers et soumises à la violence des réseaux proxénètes et de traite des êtres humains.

Pour un permis de séjour à titre humanitaire. Parmi les préconisations, il est demandé d’accorder des remises fiscales gracieuses pour les prostituées, uniquement sous réserve d’avoir arrêté la pratique et d’être engagée dans un parcours d’insertion professionnelle. La proposition phare, qui risque d’ouvrir les hostilités, consiste à revoir les modalités de délivrance des titres de séjour pour les victimes du proxénétisme et de la traite, lorsqu’elles ont déposé plainte ou témoigné, mais aussi lorsqu’elles sont engagées dans un parcours de sortie de prostitution. En fait, leur accorder un permis de séjour à titre humanitaire. La commission des Affaires sociales du Sénat demande également de protéger la victime en l’hébergeant immédiatement dans une structure adaptée, à l’image des femmes qui subissent des violences conjugales. Par ailleurs, elle préconise de saisir l’argent des réseaux de traite au profit des victimes, soit directement sous forme d’un dédommagement, soit indirectement via le financement de programmes d’insertion sociale et professionnelle.
- See more at: http://www.humanite.fr/le-rapport-qui-revele-la-face-noire-de-la-prostitution#sthash.Z69wr28S.AKn0JUFF.dpuf

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Message  Dinky Mer 3 Déc - 13:01

http://ressourcesprostitution.wordpress.com/2014/12/03/pourquoi-il-ne-faut-pas-qualifier-la-prostitution-de-travail-sexuel/



Lorsque nous parlons de « travail sexuel », nous souscrivons à l’idée que le sexe est un travail pour les femmes et un loisir pour les hommes, les hommes qui ont le pouvoir social et économique de se comporter en classe de patrons en matière de rapports sexuels. Et le pire, c’est que nous acceptons que le corps des femmes existe comme une ressource à utiliser par d’autres personnes.


Les personnes qui se décrivent comme lobbyistes des droits des personnes prostituées veulent voir l’expression « sex worker » (travailleur ou travailleuse sexuelle) adoptée par le Guide de rédaction de l’AP; je suis cosignataire d’une lettre ouverte demandant à l’AP de rejeter cette demande. Qu’y a-t-il donc d’inexact à parler de « travailleurs sexuels »? Tout d’abord, c’est un terme délibérément vague. Il englobe les femmes qui font le trottoir et les escortes, les strip-teaseuses et le téléphone rose, les dominatrices et les vendeurs de sex toys – et même leurs patrons respectifs. De toute évidence, ces activités ne sont pas toutes les mêmes, et toute théorie ou législation qui tente de les traiter comme identiques est passible de s’enliser sur l’objection que le travail sexuel n’est pas tout ça.

De plus, la notion de « travail sexuel » est soigneusement agnostique à l’égard du genre : l’expression « prostituée » est tellement enracinée dans le féminin qu’il est nécessaire de préciser « homme prostitué » quand on parle d’un homme, alors que le générique « travailleur ou travailleuse sexuelle » suggère aussi bien une femme qu’un homme. Cela peut refléter une bonne intention, mais l’effet est trompeur : la vaste majorité des personnes prostituées sont des femmes, alors que les acheteurs de sexe sont presque exclusivement des hommes. Quand il s’agit de prostitution, la neutralité de genre est mensongère.

Mais tout en étant excessivement large, le terme de « travail sexuel » est trop étroit: il comprend beaucoup plus que la vente de sexe, mais surtout, il exclut toutes les personnes qui vendent ou ont déjà vendu du sexe mais ne se reconnaissent pas comme « travailleurs sexuels ». Daisy est l’une d’entre elles. Quand je lui demande si elle se qualifierait de travailleuse sexuelle, sa réponse est véhémente: «Je n’utiliserais jamais cette expression. Aucune femme n’est une ‘travailleuse sexuelle’. Ce n’est pas du travail, mais de la violence. » Et le récit que fait Daisy de son expérience est impossible à concilier avec le libéralisme optimiste qui affirme que les femmes peuvent faire un choix rationnel d’entrer en prostitution ou d’échanger un consentement sexuel contre de l’argent. Comme adolescente en fugue de parents violents, Daisy a connu une vie précaire de petite délinquance et d’errances. Un jour, l’homme chez qui elle passait la nuit lui a demandé de coucher avec son copain. « C’était un loverboy », dit-elle. Je lui demande la différence entre un proxénète et un loverboy. La réponse se résume aux méthodes de contrôle de ces hommes envers les femmes : là où le proxénète mise sur les menaces, le loverboy exploite leur vulnérabilité affective. « Un proxénète vous parle sans détours : vous êtes seulement là pour gagner. Un loverboy dit vous aimer et s’inquiéter pour vous, mais en fin de course, ils font exactement la même chose. »

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Message  Toussaint Lun 29 Juin - 1:15


Megan Murphy : La guerre de l’industrie du sexe contre les féministes

Les pornographes ont toujours défendu les productions et les pratiques de leur industrie extrêmement rentable comme de la « liberté d’expression », même si celles-ci sexualisaient le pouvoir masculin et la violence contre les femmes. De même, les défenseurs de la prostitution, qu’ils qualifient stratégiquement de « travail du sexe », présentent comme libérateur le mouvement visant à la faire légaliser et normaliser.

Mais ces groupes n’appuient la libre parole et la liberté que dans la mesure où elles servent leurs intérêts. Les personnes qui s’expriment contre l’industrie du sexe sont exclues de leur version de la « liberté ».

Nous en avons vu la preuve au mois de mars, quand un certain nombre de lobbies pro-prostitution ont menacé de boycotter une conférence organisée à Vancouver, en Colombie-Britannique, qui avait obtenu la présence du célèbre journaliste et chroniqueur de Truthdig Chris Hedges comme conférencier principal. Parce que Hedges avait rédigé un article appelant la prostitution « l’expression par excellence du capitalisme mondial », ces groupes ont tenté de le faire retirer du programme, et leurs efforts auraient réussi, n’eût été la réaction passionnée de groupes féministes locaux.

Les campagnes de diffamation contre les féministes et leurs alliés qui osent dire la vérité sur la violence et le pouvoir masculins ne sont pas chose nouvelle. Dans les années 1990, les pornographes ont lancé une campagne contre la professeure Catharine Mackinnon et l’écrivaine féministe Andrea Dworkin, en les comparant à des nazis et les accusant de d’attenter à la liberté d’expression. En fait, l’ordonnance anti-pornographie qu’elles avaient rédigée à Minneapolis en 1983 pour définir la pornographie comme une violation des droits civils de femmes n’était pas une tentative de censure d’un discours, mais un effort pour remédier aux torts fait aux femmes par l’industrie pornographique.

Un mouvement dit des « droits des travailleurs du sexe » a été inventé pour contrer, aux yeux d’un public progressiste bien intentionné, les féministes qui voyaient la prostitution comme une extension et une perpétuation du pouvoir et de la violence des hommes. Le lobby de la prostitution a adopté le vocabulaire du mouvement syndical afin de plaider pour les droits des hommes à ouvrir des bordels et acheter le sexe des femmes. Il a également adopté le vocabulaire du mouvement féministe pour présenter la prostitution comme un choix des femmes.

Ces lobbyistes ont de leur côté les médias, les proxénètes et les clients prostitueurs. Les intérêts capitalistes des médias de masse les amènent à présenter la pornographie et la prostitution comme de simples entreprises commerciales, et leurs bases patriarcales signifient que l’idée des corps féminins comme objets à consommer est acceptée comme la norme.

Au cours des dernières années, l’industrie du sexe a travaillé aux côtés des médias à décontextualiser complètement notre vision du système prostitutionnel. Cette approche néolibérale fait partie d’un effort continu pour affaiblir les mouvements qui remettent en question les systèmes de pouvoir : si nous ne sommes toutes et tous que des individus, travaillant à notre émancipation personnelle et donc seul.e.s responsables de nos propres « succès » et « échecs », alors il est inutile de s’organiser collectivement. C’est ce que voulait dire Margaret Thatcher quand elle a affirmé qu’il n’existait rien de tel que la société, mais seulement des personnes qui devaient veiller avant tout à leurs intérêts personnels.

En présentant un système qui conduit à la prostitution les femmes – et particulièrement les femmes marginalisées – comme non seulement un choix des femmes, mais un choix potentiellement libérateur, ces groupes arrivent à dissimuler la façon dont la pornographie renforce le pouvoir masculin, en désignant les femmes comme responsables de leur propre subordination. En présentant comme un empowerment (autonomisation) les pressions sociales qui poussent les femmes à l’auto-objectivation, la société se permet de faire l’impasse sur ce pour quoi les femmes apprennent à chercher du pouvoir dans la sexualisation et le regard masculin. En ne mettant l’accent que sur ce que font les femmes, nous passons sous silence le comportement des hommes.

Car ce que défendent réellement les groupes qui prétendent militer pour les « droits des travailleuses du sexe » n’est pas, en fait, les droits humains des femmes, mais les intérêts financiers et sexuels de certains hommes. Voilà pourquoi leur discours évite délibérément de parler des préjudices causés par ces hommes.

La campagne visant à présenter le lobby pro-prostitution comme une militance communautaire de soutien à des femmes marginalisées a connu un vif succès. En ignorant la dynamique de pouvoir inhérente au fait pour un homme de payer une femme pour des actes sexuels, et en limitant le débat à un prétendu choix des femmes, celles qui pourraient se considérer comme féministes sont acculées à un dilemme : « Est-ce que je soutiens le droit des femmes de choisir ? » La réponse évidente est oui. Mais cette question est trompeuse. La véritable question est, plutôt, « Est-ce que je soutiens le droit des femmes pauvres et marginalisées à une meilleure vie que celle que leur offrent des hommes exploiteurs ? »

Même si le discours manipulateur conçu pour séduire les masses libérales forme une très grande part du plaidoyer visant à faire dépénaliser proxénètes et clients prostitueurs, un autre élément clé de ce langage est la diffamation des féministes qui contestent ce discours.

Les partisans de l’industrie ne reculent devant rien pour silencier les voix de celles qui contestent publiquement leurs intérêts. En plus de les qualifier de prudes, d’intégristes, et de les accuser d’intolérance et d’oppression, la guerre contre ces féministes a récemment conduit à des efforts généralisés pour expulser les dissidentes de la place publique.

Quand la journaliste d’enquête suédoise Kajsa Ekis Ekman a été invitée à prendre la parole à Londres l’année dernière à propos de son livre L’être et la marchandise : prostitution, maternité de substitution et dissociation de soi, la librairie où s’est tenu cet événement a été menacée de boycott.

Le climat actuel du féminisme anglo-saxon relève de la chasse aux sorcières, m’a dit Ekman. Ce genre de chasse aux sorcières débute par des « campagnes de diffamation présentées comme venant de ‘la base’ et traite les féministes connues d’« arrivistes », « élitistes », « cis-sexistes », « racistes » et « putophobes », précise-t-elle. « Cela vire ensuite à des campagnes de censure tous azimuts, des menaces de boycott, des pétitions, l’isolement de toute personne qui prend parti pour la féministe attaquée et une culpabilisation par association. »

En 2003, Melissa Farley, psychologue clinicienne et fondatrice de l’organisme sans but lucratif Prostitution Research & Education, a mené une étude en Nouvelle-Zélande sur la violence et le trouble de stress post-traumatique vécus par les personnes prostituées, pour ensuite témoigner du contenu de ces entrevues devant la législature néo-zélandaise. Un partisan local de la prostitution a contesté sa recherche, allant jusqu’à déposer une plainte contre elle auprès de l’American Psychological Association (APA). Cette plainte a été ignorée par l’APA et rejetée comme dilatoire par les pairs de Mme Farley. Mais elle est constamment présentée comme légitime par le lobby de la prostitution, et utilisée comme excuse pour inciter d’autres personnes à rejeter ces recherches approfondies et éclairantes.

Julie Bindel, une journaliste féministe qui couvre depuis des années l’industrie internationale du sexe, a révélé que l’International Union of Sex Workers était à peine plus qu’une courroie de transmission pour des proxénètes et des propriétaires de maisons closes. Elle a également fait rapport des graves défaillances du système prostitutionnel légalisé à Amsterdam. Mais en mars, à la suite de plaintes de groupes associés au lobby de la prostitution, elle a été écartée d’un forum de discussion d’un film américain sur la prostitution.

Les survivantes de la prostitution font également face à des tactiques de censure. Bridget Perrier, formatrice issue des Premières nations et cofondatrice de Sextrade 101, un groupe abolitionniste torontois composé de survivantes du commerce du sexe, a déclaré que les efforts du lobby pro-prostitution visaient à invalider le vécu des femmes ayant quitté l’industrie. Leurs témoignages sont souvent remis en question.

Rachel Moran a survécu à sept ans dans le commerce du sexe en Irlande et a publié un livre sur son vécu, où elle réfute nombre des mythes et mensonges perpétués par le lobby du « travail du sexe ». Pour ce crime – avoir écrit la vérité -, elle a dû vivre un harcèlement constant, en étant accusée plus d’une fois d’avoir inventé son histoire de toutes pièces.

« J’ai été diffamée, calomniée, menacée, agressée physiquement et on m’a crié dessus », m’a dit Moran. «J’ai vu mon adresse privée, mes coordonnées bancaires et mon courrier personnel diffusés auprès de personnes manifestement déséquilibrées, qui m’ont envoyé sur Twitter des éléments de mon adresse pour me laisser clairement entendre qu’elles savent où me trouver. »

Elle ajoute : « Certains prétendent continuellement que je n’ai jamais été dans la prostitution, même si des documents en faisant preuve figurent dans les livres des services sociaux irlandais et au Tribunal de la jeunesse de Dublin. »

Le déni des vérités susceptibles d’entraver les efforts pour présenter une version aseptisée de l’industrie du sexe, afin de vendre la prostitution comme « un simple métier comme un autre », est un élément crucial de la campagne visant à la faire légaliser.

Moran m’a dit être scandalisée par le manque de compassion à son égard de la part des partisans de l’industrie du sexe qui prétendent avoir à cœur la sécurité des femmes. « Ils se foutent carrément du fait de bâtir une campagne d’intimidation délibérée et organisée contre une femme qui a été rituellement agressée sexuellement par des hommes adultes depuis l’âge de 15 ans », dit-elle. « Comme ma vérité ne leur convient pas, ma vérité doit être réduite au silence. »

En désespoir de cause, parce qu’ils sont incapables et indésireux de répondre à des arguments féministes et socialistes de base contre l’industrie du sexe – à savoir qu’elle se fonde sur le pouvoir des hommes et le capitalisme, qu’elle perpétue des notions misogynes sur les « besoins » des hommes et les corps des femmes comme objets existant pour satisfaire ces désirs socialisés -, ces groupes de pression se rabattent sur des mensonges et des calomnies.

Ces groupes tentent de faire passer leurs campagnes de diffamation comme de la « critique », mais c’est tout sauf cela. Kajsa Ekman, la journaliste suédoise, a déclaré. « Ce qui se passe actuellement n’est pas de la critique. Cela ressemble plutôt au déchaînement de la révolution culturelle maoïste. »

« Si vous êtes une féministe de premier plan, vous n’y échapperez pas », a-t-elle poursuivi. « Si vous n’avez pas encore été ciblée, soit vous le serez, soit vous n’êtes pas suffisamment dangereuse à leurs yeux. »

J’écris depuis plusieurs années à propos de l’industrie du sexe et des lois sur la prostitution au Canada. Les attaques portant sur mes valeurs personnelles et mon travail n’ont jamais cessé. Ces dernières semaines, plusieurs groupes de pression canadiens liés à l’industrie du sexe ont monté une grande campagne de diffamation en ligne, en présentant mes arguments contre l’objectivation, l’exploitation et la maltraitance des femmes comme du « fanatisme » et en trafiquant délibérément mon travail et mes opinions au-delà de toute reconnaissance.

Les accusations absurdes et sans fondement lancées contre moi – on m’a traitée de « transphobe », de « putophobe » et de raciste – reprennent celles utilisées contre toutes les femmes qui remettent en question le statu quo de cette façon. Leur objectif n’est pas d’établir la justice, mais de diffamer les féministes pour que leurs arguments puissent être ignorés et rejetés et pour intimider d’autres personnes à faire de même. La seule chose qu’ils ne mentionnent jamais est la réalité concrète du système prostitutionnel.

Les femmes prostituées sont 18 fois plus susceptibles d’être tuées que la population générale, et les hommes responsables de ces agressions sont beaucoup moins susceptibles d’être condamnés lorsque leur victime est une femme prostituée. Au Canada, les femmes autochtones sont surreprésentées dans la prostitution et connaissent des taux plus élevés de violence que les femmes non autochtones, en général. La légalisation ne s’est pas avérée être une solution à l’exploitation, la violence et les abus.

Les individus et les groupes du lobby pro-prostitution tentent de récupérer les luttes des personnes marginalisées pour défendre une industrie multimilliardaire qui s’empare des vies et de l’humanité de milliers de femmes et de filles à travers le monde chaque année. Plutôt que de laisser des dissidentes menacer leurs intérêts avec des mots et des arguments, ils se livrent à des tactiques sournoises pour faire taire les journalistes et autrices féministes indépendantes. Ils présentent nos paroles comme de la « violence », mais ne font rien pour lutter contre les auteurs de violences réelles. Ces groupes n’ont jamais participé à une campagne publique contre un homme violent, jamais signé une pétition pour faire congédier un prostitueur violent, jamais traité d’« intolérants » les gens qui poussent les filles dans des maisons closes ou sur les trottoirs. Leurs cibles ne sont pas le grand capitalisme ou les trafiquants sexuels. Ce ne sont pas les princes du porno ou les propriétaires violents de bordels. Non, leurs cibles sont les féministes.

Dans son essai « Le libéralisme et la mort du féminisme »1, Mackinnon écrit : « Il y a déjà existé un mouvement féministe», un mouvement qui comprenait que de critiquer des pratiques comme le viol, l’inceste, la prostitution et la violence n’équivalait pas à critiquer les victimes de ces agressions. C’était un mouvement qui savait que lorsque des conditions matérielles empêchent 99 pour cent de vos choix, il est insensé d’appeler le un pour cent qui reste – ce que vous faites – votre choix. » Elle a écrit ces mots il y a 25 ans, mais nous en sommes encore aux mêmes batailles. Aujourd’hui, le fait de dénoncer les systèmes patriarcaux signifie que vos moyens de subsistance seront menacés, ainsi que votre crédibilité et votre liberté de parole.

Vous ne pouvez pas prétendre être progressiste tout en militant contre la démocratie. Vous ne pouvez pas prétendre être féministe tout en appuyant la censure de femmes. Ce nouveau maccarthysme ne nous libérera pas. Il nous met à la merci de ceux qui travaillent à notre disparition.

Meghan Murphy

https://ressourcesprostitution.wordpress.com/2015/06/09/la-guerre-de-lindustrie-du-sexe-contre-les-feministes/

Meghan Murphy est une autrice et journaliste canadienne de Vancouver, Colombie-Britannique. Son site Web est FeministCurrent.com

Original : http://www.truthdig.com/report/item/the_sex_industrys_attack_on_feminists_20150529

Traduction : TRADFEM

Copyright : Meghan Murphy, juin 2015


1 Dans The Sexual Liberals and the Attack on Feminism, Dorchen Leidholt et Janice G. Raymond dir., New York : Pergamon Press, 1990, téléchargeable sans frais à http://radfem.org
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Message  nestor Mer 22 Juil - 11:24

« Les personnes qui se décrivent comme lobbyistes des droits des personnes prostituées veulent voir l’expression « sex worker » (travailleur ou travailleuse sexuelle) adoptée par le Guide de rédaction de l’AP; je suis cosignataire d’une lettre ouverte demandant à l’AP de rejeter cette demande. Qu’y a-t-il donc d’inexact à parler de « travailleurs sexuels »? Tout d’abord, c’est un terme délibérément vague. Il englobe les femmes qui font le trottoir et les escortes, les strip-teaseuses et le téléphone rose, les dominatrices et les vendeurs de sex toys – et même leurs patrons respectifs. De toute évidence, ces activités ne sont pas toutes les mêmes, et toute théorie ou législation qui tente de les traiter comme identiques est passible de s’enliser sur l’objection que le travail sexuel n’est pas tout ça. »

« En fait, l’ordonnance anti-pornographie qu’elles avaient rédigée à Minneapolis en 1983 pour définir la pornographie comme une violation des droits civils de femmes n’était pas une tentative de censure d’un discours, mais un effort pour remédier aux torts fait aux femmes par l’industrie pornographique. »

study

Viens de lire les  pavés sociologiques postés  ici. Comme le démontrent les deux passages puisés  dans ce fatras   cela   ne s’embarasse  guére de cohérence  .  Un coup il ne faut pas confondre  les  prostitués  et ceux  qui bossent dans  le  porno , un coup  on met tout dans le même sac et on lutte  contre    l’industrie pornographique .  Passons sur les relents  de subjectivité puritaine qui dépasse  donc les frontières de la prostitution   pour   s’attaquer a la « pornographie « qui fait «  tort  aux femmes » et a elles seules   .   Passons car  l’essentiel est  de  répandre l’illusion que c’est l’Etat  qui réglera  le problème  , via se lois , sa police et sa justice ( un peu comme pour l’histoire  du foulard  ) .

Dans les  faits et sans surprise   toute cette loghorrée  moralisatrice    se décline   contre les exploités   .

http://www.lexpress.fr/actualites/1/styles/des-associations-interpellent-le-procureur-de-paris-a-propos-des-prostituees-chinoises_1695362.html

nestor

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Message  Carlo Rubeo Dim 26 Juil - 22:46

Roseau a écrit:Prostitution : les "surprenantes convergences" dont ne parle pas le Diplo
http://www.contretemps.eu/interventions/prostitution-surprenantes-convergences-dont-ne-parle-pas-diplo

Rarement lu un article aussi bidon sur la question, contretemps nous avait habitué à mieux.

Convergences ? Un député réac par ci un illustre inconnu par là ... Et pour qui la seule convergence est instrumentale et non pas organique. Les pratiques staliniennes ont de beaux restes même sur des sujets aussi fédérateurs en apparence pour les marxistes révolutionnaires.

En tout cas la convergence avec les réacs on l'a vue avec le magazine Causeur et son appel "touche pas à ma pute". Ou quand le strass, amas poujado de prostitués blancs des beaux quartiers se fait l'écho de la libido patriarcale de Zemmour. Au final le système prostitutionnel profondément néocolonial, raciste et classiste aura beau masqué ce viol institutionnel sordide des femmes racisées et prolétarisée avec un vernis radical subventionné par les institutions capitalistes européennes la réalité restera là. Alexandra Kollontaï avait raison ne laissons pas l'abolition aux mains des féministes, c'est avant tout l'affaire du mouvement prolétarien :

Les problèmes de la prostitution

« Le mariage est l’un des problèmes de la vie sexuelle de la société bourgeoise, l’autre est la prostitution. Le mariage est le côté face de la médaille, la prostitution est le côté pile. Si l’homme ne trouve pas sa satisfaction dans le mariage, il la cherche habituellement dans la prostitution. Pour les hommes, célibataires par vocation ou par nécessité, comme pour les hommes mariés mais déçus dans leur attente, il est beaucoup plus facile de satisfaire le désir sexuel que pour les femmes. » [a]

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Message  Carlo Rubeo Dim 26 Juil - 23:00

Duzgun a écrit:
Mais vous devez tenir le coup psychologiquement. Vous devez vous dire qu’il ne s’agit pas de viol, mais de ‘service’. Or le problème aujourd’hui, c’est que nous vivons dans une ère où le capitalisme est très puissant. Alors, les gens se disent qu’il ne peut y avoir de ‘viol moyennant finance’.
Je crois que la théorisation de la prostitution comme "viol moyennant finance" est une pente très dangereuse, qui amène à une certaine banalisation du viol et à une déshumanisation des prostituées.
C'est comme ça que lorsqu'une prostituée se fait violer, on aboutit à ne plus considérer ça comme un viol (comme pour n'importe quelle autre femme), mais simplement à un vol (sans I), qui peut donc se résoudre en forçant le violeur ...... à "régler la passe".

Je ne suis pas pour considérer la prostitution comme un travail, mais attention à ne pas tomber dans l'excès inverse!

Duzgun quand il n'y a pas désir il y a viol. Et la police patriarcale n'a pas besoin de l'extension de cette qualification à une dure réalité pour ignorer cette violence dans son ampleur quotidienne. L'argent est la compensation immédiate du délit mais n'annule pas le délit pour autant.
Merci de ne pas confondre volonté et désir car le glissement il serait bien là : l'expression d'une subjectivité masculine douteuse sur le sujet.
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Message  Toussaint Lun 27 Juil - 13:51



Prostitution et engagement proféministe

05/07/2015
https://delphysyllepse.wordpress.com/2015/07/05/prostitution-et-engagement-profeministe/

[J’avais proposé une version de l’article suivant à une revue papier, de tendance plutôt marxiste, matérialiste – d’où certaines préoccupations dans le contenu de mon texte – comme finalement il n’y sera pas publié, je l’affiche ici. Je tiens à remercier pour leur relecture attentive : quelques anonymes, Mélanie Jouitteau, Martin Dufresne, Pierre-Guillaume Prigent et plus particulièrement Gloria Casas Vila, qui est à l’origine de ce texte. Cet article leur doit énormément. Le contenu reste de ma seule responsabilité.

L’abolition de la prostitution est un projet défendu depuis des décennies par de nombreuses féministes. Il n’a cependant pas eu bonne presse ces dernières temps, y compris à gauche (Chollet, 2014). Les féministes abolitionnistes ont obtenu très peu d’espaces pour exprimer leurs analyses dans la plupart des revues de critique sociale, contrairement aux adeptes du « travail du sexe ». Malgré tout, certains présupposés de ces adeptes commencent à voler en éclats.

Le rôle des hommes de gauche a rarement été analysé par d’autres hommes de gauche, « proféministes » ou « antimasculinistes ». Cet article souhaite partiellement combler ce manque. La méthode consistera ici a revenir sur certains arguments avancés par des hommes qui défendent le « travail du sexe » et plus particulièrement certains arguments d’un ouvrage récent : Les luttes des putes de Thierry Schaffauser. Je me sers de ce livre car il me semble représentatif d’un certain militantisme, dirigé par la classe des hommes[1]. L’auteur connaît le féminisme et s’oppose à une supposée « morale puritaine » qui y sévirait. Il s’agira de voir si son approche s’inscrit dans une démarche proféministe. Je n’ignore pas qu’une partie des féministes s’inscrit dans une démarche « pro-travail du sexe » et que Schaffauser peut s’en inspirer. J’utilise son ouvrage comme prétexte pour dessiner en creux des pistes pour un « engagement proféministe ».

L’auteur se range au côté de ceux qu’il nomme très sérieusement les « garçons transpédégouine » et s’attribue le qualificatif de « pute »[2]. Son travail prioritaire consiste à défendre vertement le groupe dont il est un des représentants, le Strass – lobby mixte qui défend la notion de « travail sexuel »[3].

Mes propos pour l’ensemble répéteront nombre d’arguments des féministes radicales. Je ne prétends pas leur apporter du neuf. Cependant, je trouve important de les réitérer auprès d’un lectorat qui professe ou entend régulièrement des affirmations comme : « Le féminisme est devenu un pouvoir aussi tyrannique que le patriarcat qu’il combat » (Berréby et Vaneigem, 2014: 290).

En fin d’article, c’est en tant que professionnel du soin – aide-soignant – que je discuterai un aspect particulier défendu dans son livre : le fait que l’activité prostitutionnelle relèverait d’une forme de care.


Le refus du système prostitutionnel comme disemporwerment (perte de pouvoir) des hommes


L’approche défendue ici est qu’un engagement « proféministe », c’est à dire un engagement d’hommes contre le pouvoir individuel et collectif des hommes, implique un activisme contre le système prostitutionnel. Je précise néanmoins que j’ai longtemps été empêtré dans des approches que je qualifie désormais de libérales : des approches qui s’attachent à militer contre les normes plutôt que contre les hiérarchies, qui confortent le spectacle de représentations consommables, et qui favorisent l’illusion d’avoir détaché l’individu de la société par la performativité individuelle. Je les qualifie de libérales car elles promeuvent une idée de la liberté qui nie les rapports de forces existants et renforcent ainsi les dominants. La liberté n’y est pas pensée en rapport avec l’égalité. Cette approche libérale me semble aujourd’hui incompatible avec l’engagement proposé ici, qui coïncide plutôt avec ce que Francis Dupuis-Déri a désigné sous le nom de disempowerment :

« Le disempowerment des hommes (…) [implique de réduire notre capacité d’agir] en tant qu’hommes et donc en tant que membres de la classe dominante et privilégiée dans le patriarcat. L’engagement des hommes dans un processus individuel et collectif de disempowerment consiste à réduire le pouvoir que nous exerçons individuellement et collectivement sur les femmes, y compris les féministes ».

Si on observe la réalité prostitutionnelle, on en arrive vite au constat qu’elle participe à l’antagonisme de classe existant entre les sexes : très majoritairement, les femmes sont les vendues-violées-tuées et les hommes les acheteurs-violeurs-tueurs. Les hommes ne sont pas sur des rails qui les affectent à la prostitution, contrairement à de nombreuses femmes, racisées, précarisées : plus de 80% des personnes prostituées sont des femmes et 98% des victimes de la traite à des fins de prostitution sont elles aussi des femmes (Ekman, 2013 :10). Les femmes doivent être, d’une façon ou d’une autre, avec ou sans argent, sexuellement disponibles.

Et force est de constater que : la prostitution dirige la violence des hommes contre les femmes ; elle valide et participe à la culture de prédation sexuelle masculine et elle facilite ainsi le harcèlement sexuel à l’égard de toutes les femmes dans tous les espaces (Bouamama et Legardinier, 2006 : 105) : insécurité physique des femmes qui rejaillit alors en positif sur le confort et la sécurité générale de tous les hommes. Nous savons aussi qu’offrir une personne prostituée est une pratique courante pour communier entre hommes. Ensuite, la symbiose patriarcat/racisme/capitalisme, en affectant des femmes à la prostitution, donne l’occasion aux hommes de se préserver d’une concurrence sur le marché du travail. Bien sûr, on peut faire des distinctions entre les hommes dans leur rapport au système prostitutionnel : entre les prostitueurs et les non-prostitueurs, entre les défenseurs actifs ou passifs du système et les rares qui le refusent et s’y opposent. Reste que, malgré ces distinctions, on peut dire que « Chaque homme vivant dans cette société bénéficie du fait que des femmes sont prostituées, que cet homme-là utilise ou non des femmes en prostitution » (Dworkin, 2007 : 97).

Les hommes, pour valider leur appartenance à la classe de sexe masculine, utilisent entre autres le sexe pour avoir un sexe – « soit par différentiation d’un objet féminin, soit par assimilation d’un objet masculin » (John Stoltenberg, 2013 : 102). En tant que classe, les hommes sont pro-sexe. L’attrait pour une certaine forme de sexe est le moyen pour concrétiser l’identité sexuée des hommes. Et le recours à la prostitution – comme à la pornographie, l’inceste ou encore au harcèlement sexuel au travail – sert à confirmer et concrétiser la masculinité convoitée. Et c’est sans surprise qu’on voit, à gauche, en études de genre et finalement partout, des hommes chercher à légitimer et banaliser le « travail du sexe ». C’est là, l’un des plus vieux métiers du monde des hommes. Et c’est aussi l’une des formes que prend la résistance masculine, pour garder l’accessibilité sexuelle des femmes.

Peu d’hommes s’engagent contre le système prostitutionnel. Je me suis moi-même tu longtemps car : ce ne serait pas mon monde, ça ne me concernerait pas. Soit les hommes éprouvent une certaine appréhension à faire barrage à nos pairs agresseurs-prostitueurs-violeurs, soit nous défendons la prostitution, de façon active, ou avec une passivité toute masculine dés qu’il s’agit des injustices subies par les femmes. Nous savons que si l’on cherche à empêcher un homme d’exercer un pouvoir contre une autre personne, le risque est que ses actes se dirigent contre nous et que les institutions produites par les hommes – pour les besoins des hommes – le protègent et nous enfoncent. Et nous connaissons aussi les crispations épidermiques et colériques que peuvent provoquer en nous les obstacles qui empêcheraient qu’autrui satisfasse nos désirs. Nous connaissons très intimement la mauvaise foi, les intimidations et les agressions dont sont capables les hommes. Nous avons pu les éprouver, les exercer et nous pouvons les observer. Alors, nous laissons faire : ce ne serait pas notre monde. C’est certes facile mais moralement difficilement acceptable.

La plupart des hommes ne cherchent pas à savoir quel est ce monde si étranger et en quoi il pourrait nous concerner. Nous laissons faire les quelques 12% d’hommes « clients » (Saïd Bouamama et Claudine Legardinier 2006 : 68). Mais en agissant ainsi, en choisissant d’ignorer l’oppression des femmes par les hommes, nous participons à créer un contexte favorable aux agissements des prostitueurs et des proxénètes.

Le travail des hommes partisans de la perte de pouvoir des hommes ne consiste pas en une simple prise de conscience de l’oppression patriarcale ; c’est un engagement de chaque instant contre ce qui la reconduit, dans leur corps comme dans la structure sociale. Ces derniers gardent un souvenir vif du fait qu’ils ont pu user des armes masculines et qu’ils peuvent toujours participer activement à l’oppression des femmes. Sans jamais minimiser les effets de leurs contradictions, ils cherchent à les résoudre et y travaillent réellement : agir contre les bénéfices issus de la prostitution ne les empêche pas de s’activer aussi contre les bastions masculins, antiféministes, la répartition inégalitaire du travail domestique, contre toute forme d’exploitation et de violence masculines, dans les rapports sexuels ou ailleurs. Leur opposition au système prostitutionnel ne les exonère pas des remises en question féministes. Et quoi qu’en disent les adeptes du travail du sexe, les croisades anti-prostitué-es ne les mobilisent pas.

L’opposition au pouvoir des hommes

Les féministes radicales produisent depuis longtemps des analyses sur la prostitution. Lorsque ces analyses ne sont pas caricaturées, elles sont tout simplement ignorées. C’est pourquoi, il est important d’en redonner quelques éléments :

« En prétendant que les femmes choisissent librement de se prostituer, on choisit d’ignorer tant les déséquilibres structurels sociaux, économiques et politiques, que les rapports sexuels de pouvoir entre les femmes et les hommes qui forment le contexte de ces choix et décisions. » (Elaine Audet, 2005: 22)

« Les hommes se servent du corps des femmes dans la prostitution et dans le viol collectif pour communiquer entre eux, pour exprimer ce qu’ils ont en commun. Et ce qu’ils ont en commun, c’est le fait de ne pas être cette femme. Elle devient donc pour chacun le véhicule de sa masculinité et de son homoérotisme ». (Andrea Dworkin, 2007: 90 et 92)

« [L’illogisme masculin sous-tend la prostitution.] L’homme veut et ne veut pas à la fois que la prostitution soit un travail. Il veut pouvoir acheter du sexe, mais désire également que la prostituée l’accomplisse comme si elle n’était pas payée. Il veut la prostitution mais ne veut pas que ça y ressemble. Plus cela est comparable à un travail routinier – plus la femme se comporte comme une caissière de supermarché –, plus il est mécontent. Quoi qu’il lui demande, il sait qu’elle fait cela pour de l’argent, en conséquence, il exige toujours plus – plus d’authenticité, plus de sincérité. Il veut tout son corps, toute sa personnalité, tout son Moi. L’acheteur de sexe est dans un état où il s’abuse lui-même, ce qui le conduit à toujours convoiter ce qu’il ne peut acheter.

C’est le dilemme insoluble de la prostitution. C’est l’une des raisons qui fait que la prostitution ne peut jamais devenir « un travail comme un autre ». » (Kajsa Ekis Ekman, 2013: 116)

« [La] signification de la prostitution n’est pas la même que la signification de la rencontre réciproque. Le fait « d’acheter » ou de « vendre », ou au contraire de partager le désir, est ce qui détermine la signification du rapport, ce qui le fait. Dans la prostitution, la signification qui est négociée entre les protagonistes, c’est l’humiliation de la personne qui « se vend ». C’est une humiliation que l’acheteur achète et dont il jouit, et non une activité mécanique pour laquelle il n’a pas besoin de partenaire. » (Christine Delphy, 2010 :189-190)

« Toute loi ou politique adéquate pour promouvoir les droits humains des prostituées comporte trois parties : décriminaliser et aider les personnes dans la prostitution, criminaliser résolument leurs acheteurs et criminaliser de façon tangible les tiers qui profitent de la prostitution d’autrui. » (Catharine A. MacKinnon, 2014: 85)

De ces diverses citations, on retiendra que : la liberté ne peut exister sans égalité ; la prostitution sert aux hommes à mettre en acte leur attachement à la masculinité et à se confirmer « homme » ; elle n’est pas un travail comme un autre ; elle est un rapport spécifique : d’humiliation plutôt que de réciprocité ; et enfin, les moyens proposés pour abolir le système prostitutionnel sont dirigés contre les agents de l’ordre directs, plutôt que contre les opprimé-es.

La production et l’utilité des mythes pour les hommes

La relativisation ou la négation de l’oppression des femmes est une constante chez la plupart des hommes : nous y gagnons un confort quotidien, et nous le protégeons ainsi.

Le système prostitutionnel n’échappe pas à ce procédé : entre cet homme de gauche antisexiste qui annonce qu’il est prostitueur pour aider des femmes en difficulté, et cet autre qui en connaît une qui a choisi cette « profession », la reconnaissance de l’oppression structurelle des hommes est euphémisée et masquée. Les hommes croient possible de noyer les effets de la prostitution par une approche individualisante et libérale, faite de « choix personnel » et de « liberté individuelle ». Pour cela, la plupart des hommes se focalisent sur le témoignage d’Albertine, « escorte de luxe », qui jouit 9 fois sur 10 dans son activité – en ayant, certes, « recours à l’imaginaire des billets pour trouver une excitation suffisante » (Albertine et Welzer-Lang, 2014 : 152). Par contre, celles qui témoignent des souffrances et des mécanismes de survie que la prostitution implique sont, soit purement et simplement ignorées, soit elles sont dénigrées, soupçonnées par exemple de « se repentir dans les bureaux des associations abolitionnistes », et d’« avouer leurs fautes » pour « obtenir ainsi des allègements d’impôts » (Albertine et Welzer-Lang, 2014 : 170-171).

Pour la plupart des adeptes du travail du sexe, la priorité est de changer notre regard et nos représentations à l’égard de la prostitution[4]. La seule politique valable serait celle qui cherche à enrayer le stigmate subi par les prostitué-es, sans toucher au bénéfice du proxénète, du trafiqueur d’êtres humains, avec pour finalité l’exploitation sexuelle, ou du « prostitueur », mâle-nommé « client ». L’origine et la reconduction masculines du stigmate sont largement minimisées, voire tues. Pour Schaffauser, bien qu’il considère que tous les hommes en sont imprégnés, ce serait pourtant les mobilisé-es contre le système prostitutionnel qui tendent « à maintenir, voire renforcer cette stigmatisation » (2014, 78). L’origine du stigmate proviendrait aussi de la « criminalisation » de l’activité. Mais, comme le résume Beatriz Gimeno : « Le stigmate existe car il est nécessaire à l’existence de la prostitution, car en réalité ce qui est vendu ce n’est pas du sexe mais la dévaluation féminine (…) En réalité, ce que les hommes érotisent dans la prostitution c’est le stigmate. » (cité dans Casas Vila, 2014). Et c’est pourquoi, les pays où la prostitution est décriminalisée n’en sont pas moins producteur du stigmate : ce dernier est partie intégrante du rapport inter-individuel qui fait littéralement jouir les « acheteurs ».

Les hommes se contentent aussi facilement de l’hypothèse que : « L’argent crée une barrière qui indique aux hommes qu’ils doivent respecter certaines règles » (Schaffauser, 2014:116). Les faits décrivent pourtant une réalité bien moins angélique : les personnes prostituées ont un taux de mortalité bien supérieur à la moyenne nationale ; au Canada, entre 1994 et 2003, 85% des personnes prostituées tuées l’avait été par des clients (Morency et Miville-Dechêne, 2014 : 220) ; et « 73% des femmes prostituées disent avoir été sujettes à des agressions physiques dans la prostitution ». Enfin, déjà 62% des femmes prostituées rapportent avoir été violées (Chroniques féministes, 2012 : 62). La barrière que serait l’argent apparaît bien fragile et inefficace. De sorte qu’une prostituée en Allemagne a une probabilité d’être assassinée sept fois plus grande que son homologue suédoise. L’idée que l’argent force le respect, idée qui ne protège en rien les prostitué-es, permet surtout de masquer les possibilités et les moyens d’attaques des hommes. Cette même idée ne prend par ailleurs pas en considération la violence inhérente au fait d’être soumis de manière répétitive à des actes sexuels non-désirés sexuellement. On sait pourtant qu’ils produisent des états de dissociations, tels que ceux associés généralement au viol.

Les hommes acceptent facilement l’idée que l’abolition de la prostitution constituerait une « forme de contrôle patriarcal sur les femmes » (Schaffauser, 2014:186). Une telle abstraction consiste en une inversion des responsabilités et suggère que les féministes abolitionnistes seraient ainsi les partisanes et actrices du patriarcat. Ce type d’inversions des responsabilités est une régularité des logiques antiféministes, largement utilisées par ceux qu’on appelle les masculinistes.

Quant à la supposée morale puritaine que Schaffauser critique, à l’instar de Welzer-Lang avec lequel il a de nombreux points communs, comme il s’agit là encore d’une dénonciation grossière de l’approche féministe, pour y répondre, je vais me contenter de citer ici un militant anarchiste, Errico Malatesta qui nous dit : « se révolter contre toute règle imposée par la force ne veut nullement dire renoncer à toute retenue morale et à tout sentiment d’obligation envers les autres (…) [P]our combattre raisonnablement une morale, il faut lui opposer, en théorie et en pratique, une morale supérieure » (1979: 47). Il se trouve qu’à ce jour, l’activiste du Strass ne propose aucune morale supérieure. Il invite au contraire à un laisser-faire propice aux « acheteurs » qui, dans les faits, réglementerait le système prostitutionnel. Plutôt que de tenter de restreindre le marché patriarcal, raciste et capitaliste, il facilite son extension.

Enfin, Schaffauser se déclare à l’écoute et porte parole d’une nouvelle génération militante contre des abolitionnistes qu’il prétend dépassées, vieilles, pas très tendance, en gros majoritairement imprégnées de religieux : le féminisme abolitionniste ne serait qu’une ex-croissance du catholicisme. Pour asseoir ce mensonge, contraire à la composition des mobilisations abolitionnistes, il croit suffisant de restreindre l’abolitionnisme aux accointances religieuses de certain-es « anti-prostitution » ou de certains groupes qui composent le mouvement – comme le NID par exemple. En considérant la religion catholique comme un bloc foncièrement réactionnaire et monolithique, il ne considère pas l’antagonisme entre les sexes en son sein, avec les crispations masculines pour garder le pouvoir. Il évite par ailleurs de constater la similitude entre sa propre légitimation de la prostitution et la litanie sacrificielle que les autorités catholiques – masculines – exige des femmes ; et qui se concrétise par exemple par le fait que les autorités du Vatican s’accommodent sans difficulté de la mise en prostitution de religieuses noires pour, entre autres, des prêtres (Bilé et Ignace, 2009).

Les concepts féministes que Schaffauser mobilise ne sont pas utilisés pour analyser et critiquer le pouvoir des hommes. Les quelques mythes évoqués ici servent de prétexte pour ne pas questionner notre propre pouvoir. Il s’agit de réduire les revendications féministes abolitionnistes, à la seule décriminalisation des prostitué-es, avec pour conséquence de reconduire la disponibilité sexuelle des femmes.

Vulnérabilité masculine [5] et care des hommes

Depuis quelques années, le concept de care a connu un certain engouement dans l’université ou en politique. Les travaux sur le sujet de Carol Gilligan et Joan Tronto ont permis que des métiers hautement féminisés jusqu’alors ignorés soient davantage étudiés ou reconnus. « Le terme de care désigne une attitude envers autrui que l’on peut traduire par le terme d’« attention », de « souci », de « sollicitude » ou de « soin ». Chacune de ses traductions renvoie potentiellement à un aspect du care : le terme d’« attention » insiste sur une manière de percevoir le monde et les autres ; ceux de « souci » et de « sollicitude » renvoient à une manière d’être préoccupé par eux ; enfin, celui de « soin », à une manière de s’en occuper concrètement » (Garreau et Le Goff, 2010 : 5).

Cependant, la reconnaissance du concept s’est accompagnée de nouvelles orientations pour le moins problématiques : en jouissant d’une reconnaissance, le concept est devenu une sorte de gage de légitimité pour tout ce qui aimerait s’en approcher. C’est ainsi en tous les cas que le care est désormais utilisé dans le débat sur la prostitution, par entre autres Schaffauser. Le procédé est en effet séduisant : on affirme qu’une activité relève du care, elle devient alors un métier, avec toute l’utilité sociale que la notion serait supposée impliquer ; elle se métamorphose en une activité dont il faudrait en tous les cas prendre soin. La question de « utile à quoi, à qui ? » est balayée.

Dans un récent article, « La prostitution, c’est l’ennemi de la libération sexuelle », Kajsa Ekis Ekman écrit : « Dans le monde de la prostitution, le mot « travailler » est depuis longtemps utilisé comme euphémisme pour éviter de nommer ce qui se passe, dans une sorte d’ironie perverse. Quelqu’un demandait : « Tu travailles ? », avec un certain regard, et l’autre personne pigeait ». On peut tirer de cela, même si ce n’est pas ce que pointe l’auteure suédoise, qu’appliquer le mot « travail » à la prostitution consiste à reprendre le langage de l’oppresseur. Il se trouve que c’est le mécanisme qui est à l’œuvre avec le mot care. La même logique est présente dans les métiers du soins : des hommes, soignés ou soignants, reproduisent la même ironie perverse à l’égard des soignantes, sauf qu’à la place du « tu travailles ? », ils suggèrent un « tu me soignes ? ». En fait, la défense de la prostitution comme care renseigne davantage sur le vécu et les aspirations masculines que sur la prostitution[6].

Et, on peut constater que le care est effectivement une porte d’entrée saisie par des hommes pour tenter de prostituer des femmes et redéfinir les métiers de soins. Les exemples ne manquent pas : en 2010, une infirmière hollandaise a fait l’objet d’une plainte déposée par un patient de 42 ans qui s’estimait en droit d’exiger d’elle une masturbation ; récemment encore, l’AVFT a interpellé le Ministère de la Santé sur une dérive inquiétante : dans un établissement de soins, l’usage de pornographie était pensé comme une thérapeutique (Baldeck, 2015). Enfin, toujours pour corroborer ce point, je m’autorise ici une anecdote. Il y a quelques jours, une aide-soignante, qui débutait dans le service où j’exerce, a reçu de plein fouet « l’invitation » suivante : alors qu’elle avait des difficultés à effectuer la toilette intime d’un patient, celui-ci lui a dit : « Si t’y arrives pas avec les mains, fais-le avec la bouche. » Cette anecdote est une illustration parfaite de la définition du care des hommes, en adéquation avec notre auteur.

La mécanique masculine pro-sexe suppose que les soignantes devraient être sexuellement disponibles pour les hommes. Les soignantes devraient accepter les « invitations » et se conformer aux exigences des hommes soignés ; elles savent pourtant qu’être prostituée n’a rien à voir avec le care pratiqué quotidiennement. De sorte que, sauf exception rarissime, les soignantes n’éprouvent aucun stress post-traumatique du fait des soins prodigués, contrairement aux études effectuées auprès des prostituées qui sont 68 à 80% à en souffrir (Salmona, 2013: 46).

Les hommes soignants ne sont pas assujettis à une sexualisation récurrente par les soigné-es. Les soignantes au contraire connaissent bien les attouchements, les supposées « blagues » sexuelles et les regards lubriques, tout imbibé du « fantasme de l’infirmière ». Elles bataillent au quotidien contre le type de « soins » défendu par les hommes et la non-prise en compte institutionnelle des violences qu’ils exercent. Leur résistance à la sexualisation des hommes est déjà un signe de leur refus d’être prostituables.

En définitive, l’usage du care par Schaffauser ne sert qu’à reformuler la supposée misère sexuelle masculine, dont la société devrait prendre soin avant toute autre chose, en laissant la virilité indemne de toute critique.

Conclusion

Les connaissances de Schaffauser sur le genre ou sur le « féminisme des travailleuses du sexe » (Schaffauser, 2014 : 122) ne servent pas, à partir de sa position sociale, à critiquer la classe des hommes et sa propre position sociale. Les bénéfices – individuels ou collectifs des hommes – restent intacts, tout comme le mépris et les armes masculines qui sont dissimulées. Les prostitueurs en sortent rassurés et légitimés, et tout homme profite du contexte misogyne que provoque l’existence et la défense du système prostitutionnel. C’est là une manière de trahir les féministes qui, elles, nous poussent à ce que nous nous engagions enfin à changer nos pratiques (Dworkin, 2014).

Comme les autres luttes abolitionnistes qui l’ont précédée, par exemple celle concernant l’esclavage, l’abolition de la prostitution rencontre de fortes résistances de la part des bénéficiaires du système. Parmi ces derniers, nombreux sont ceux qui cherchent à faire de l’abolitionnisme une insulte ou une « morale puritaine ». A ce titre, le mantra néo-réglementariste « Putophobe ! Putophobe ! » est assez exemplaire d’une mise en scène propice au statu-quo.

L’opposition masculine à envisager l’abolition du système prostitutionnel au niveau politique et social renouvelle le pouvoir masculin face à celles qui l’attaquent. Le travail des hommes soucieux de liberté et de justice n’est pas de chercher des prétendues failles dans les analyses et les propositions des féministes ; ni de réduire leurs revendications ; et encore moins de saboter leurs mobilisations. Les hommes partisans de la perte de pouvoir des hommes cherchent à s’attaquer à l’ensemble des bénéfices dont ils jouissent dans le patriarcat. Leur travail est de paver des voies qui désertent l’allégeance aux intérêts masculins : en désavouant les pratiques, les groupes et les institutions, des hommes, qui les protègent ou les défendent, en amenant d’autres hommes sur les positions féministes radicales, et en facilitant les mobilisations en cours.

De notre place, il y a à faire.

Yeun Lagadeuc-Ygouf



BIBLIOGRAPHIE :

Albertine et Daniel Welzer-Lang : La putain et le sociologue, éd. La musardine , 2014.

Elaine Audet : Prostitution – perspectives féministes, éd. Sisyphe, 2005.

Marilyn Baldeck : « Lettre au directeur d’un EHPAD au sujet de l’utilisation de la pornographie comme méthode thérapeutique » (http://www.avft.org/article.php?id_article=784)

Serge Bilé et Audifac Ignace : Et si Dieu n’aimait pas les noirs – enquête sur le racisme aujourd’hui au Vatican, éd. Pascal Galodé, 2009.

Gérard Berréby et Raoul Vaneigem : Rien n’est fini, tout commence, éd. Allia, 2014.

Saïd Bouamama et Claudine Legardinier : Les clients de la prostitution, éd. Presses de la renaissance, 2006.

Gloria Casas Vila : compte-rendu à paraître du livre de Beatriz Gimeno : La prostitución. Aportaciones para un debate abierto, éd. Bellaterra, 2012.

Mona Chollet : « Surprenante convergence sur la prostitution », Le Monde diplomatique, septembre 2014.

Chronique féministes : Le marché du sexe, n°70, octobre/novembre 1999, ré-édition 2011(en particulier : « La prostitution comme si vous y étiez »)

Chronique féministes : Prostitution et faux semblant, n°109, juin 2012.

Christine Delphy : Un universalisme si particulier – féminisme et exceptions française (1980-2010), éd. Syllepse, 2010.

Christine Delphy : L’ennemi principal – économie politique du patriarcat, éd. Syllepse, 1998.

Francis Dupuis-Déri : « Petit guide de «disempowerment» pour hommes proféministes », revue Possibles, 2014 (également disponible sur internet)

Andrea Dworkin : « Je veux une trêve de vingt-quatre heures durant laquelle il n’y aura pas de viol » (traduction par la collective Tradfem en 2014, dispo. sur internet)

Andrea Dworkin : Pouvoir et violence sexiste, éd. Sisyphe, 2007.

Kajsa Ekis Ekman : L’être et la marchandise – prostitution, maternité de substitution et dissociation de soi, éd. M éditeur, 2013.

Marie Garreau et Alice Le Goff : Care, justice et dépendance, éd. PUF, 2010.

Colette Guillaumin : Sexe, race et pratique du pouvoir -L’idée de nature, éd. Côté-femmes, 1992.

Catharine A. MacKinnon : Traite, prostitution, inégalité, éd. M. éditeur, 2014.

Errico Malatesta : Articles politiques, ed : Union générale d’éditions, 1979.

Morency Catherine et Miville-Dechêne Julie : « La violence faite aux femmes dans la prostitution au Canada – enjeux et démystification d’un phénomène controversé » dans Responsabilités et violences envers les femmes, Risse David et Smedslund Katja (sous la direction de), Presses de l’Université du Québec, 2014.

Muriel Salmona : Le livre noir des violences sexuelles, éd. Dunod, 2013.

Thierry Schaffauser : Les luttes des putes, éd. La Fabrique, 2014.

John Stoltenberg : Refuser d’être un homme – pour en finir avec la virilité, éd. Syllepse, 2013.


[1]   Sur le concept de classe de sexe, voir entre autres : Delphy, 1998 ; Guillaumin, 1992

[2]   Schaffauser : « Les féministes et le garçon transpédégouine », dans la revue Minorités.

Le fait que Schaffauser utilise un « nous » pour parler des « putes », un « nous » qui inclue les hommes et les femmes, est pour le moins problématique en termes féministes (Dworkin, 2007 : 97), car il masque ainsi sa propre position sociale de dominant.

[3]   Schaffauser (2014 : 16) préfère la formule « travail sexuel » à celle de « travail du sexe ». Je garderai cette dernière car elle à l’avantage de référer explicitement au sexe, plutôt qu’à la sexualité.

[4]   J’ai moi-même pitoyablement appliqué ce principe post-moderne quand une copine m’avait raconté une altercation avec son voisin : « Eh alors, c’est rien s’il t’a traité de pute. « Pute », c’est pas une insulte ». Un raisonnement épatant : j’occultais les violences en feignant de ne pas les entendre et je mecspliquais.

[5]   Formule de Pascale Molinier et al., tiré de « Prenons soin des putes », cité dans Schaffauser (2014:140).

[6]   Merci à Mélanie Jouitteau pour cette remarque.
Toussaint
Toussaint

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