CITROEN AULNAY, PRINTEMPS 2007 : retour sur la grève
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CITROEN AULNAY, PRINTEMPS 2007 : retour sur la grève
A l'occasion du décès de Daniel Bénard, ex-VO/LO/Fraction puis passé à Mouvement Communiste, je me suis penché sur quelques textes de ce groupe.
En voici un que j'ai trouvé intéressant sur la grève de Citroën-Aulnay en 2007.
Autrement, si certains veulent en discuter, j'ai mis en gras un passage sur la tentative de LO de créer un groupe d'adhérents.
http://www.mouvement-communiste.com/pdf/letter/LTMC0726.pdf
Mouvement Communiste
Lettre numéro 26 octobre 2007
CITROEN AULNAY, PRINTEMPS 2007 :
RETOUR SUR LA GREVE
La grève de six semaines (du 28 février au 10 avril 2007) qui a eu lieu dans l’usine Citroën est caractéristique a plus d’un titre d’une minorité d’ouvriers de production de l’usine PSA Peugeot-citroën d’Aulnay-sous-Bois, en banlieue Nord de Paris.
Voici une grève qui démarre de façon minoritaire, comme la plupart des grèves dans
l’industrie automobile ces trente dernières années, et qui au bout de deux semaines ne s’étend pas, n’affecte pratiquement plus la production et qui perdure pendant plus d’un mois en quittant l’entreprise. Qu’était-il possible de proposer et de faire au bout des deux premières semaines ?
Voici une grève minoritaire où la direction adopte la position “ nous n’empêchons pas la grève mais vous ne bloquez pas la production ”, accord tacite respecté de part et d’autre.
Voici une grève où les grévistes s’organisent en comité de grève le plus démocratique
possible, et où, les dirigeants de la grève, les militants de Lutte Ouvrière (LO), jamais en contradiction avec les grévistes, font le choix délibéré de faire durer la grève en semant les illusions sur la publicité médiatique en période électorale, pour finalement ne rien obtenir en fin de grève.
Voilà donc une grève qui mérite qu’on y revienne en détail pour en faire non seulement le bilan, pour que les grévistes insatisfaits, après coup, puissent préparer la prochaine grève et pour montrer les limites des comités de grève s’ils ne se transforment pas, après la grève, en comité politique ouvrier.
Une partie de cette lettre comprend donc une critique politique de la pratique qu’a eu Lutte Ouvrière et telle qu’elle l’a parfaitement expliqué dans sa brochure “ Six semaines de lutte pour les salaires à Peugeot-Citroën Aulnay ”
Cette lettre, outre une chronologie, contient quatre textes :
« Discussion en fin de grève », discuté avec des camarades de l’usine qui ne sont pas
forcément d’accord avec certaines de nos conclusions, « Le comité de grève d’Aulnay, un organisme inutile à la lutte politique ouvrière », qui est notre appréciation sur l’action du comité de grève, « VO/LO et les comités de grève », a été rédigé par un ancien militant de Lutte Ouvrière, « Les deux sources des erreurs de LO », qui identifie les raisons théoriques de la politique de LO, le démocratisme et le syndicalisme.
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Chronologie
Fin février, la majorité des travailleurs des presses (un atelier situé à l’intérieur de l’usine de Citroën
Aulnay où la production a été sous-traitée à l’entreprise turinoise Magnetto) se met en grève et menace
d’arrêter toute l’usine. Après quelques jours de grève l’entreprise fait des concessions importantes :
100 euros net d’augmentation de salaire, 5 jours de congé supplémentaires, l’embauche de 10
travailleurs intérimaires et accorde même une prime de fin de grève de 75 euros.
Mercredi 28 février ― La grève démarre sur les chaînes de montage dans l’équipe de l’après midi.
Quelques travailleurs discutent des résultats de la grève Magnetto et décident de se mettre en grève.
Débrayage de l’équipe de nuit.
1er mars ― L’équipe du matin décide de poursuivre la grève. Sous l’impulsion de militants un comité de grève est formé.
2 mars ― Il y a quelques centaines de grévistes à la prise du travail de l’équipe du matin. Gefco Survilliers, un sous-traitant en charge de la logistique se met également en grève.
5 mars ― Les grévistes mettent fin à leur répartition par équipe et décident de tous venir à l’usine aux heures de l’équipe de jour.
6 mars. ― Manifestation de 300 grévistes de l’usine d’Aulnay à l’usine Citroën de Saint-Ouen (effectif 500). Les manifestants sont autorisés par la direction à traverser l’usine mais le travail reprend dès qu’ils ont quitté l’usine.
8 mars ― Les grévistes partent en manifestation à l’usine de Poissy (effectif 7 500), mais cette fois ils ne peuvent pénétrer à l’intérieur. Seuls quelques douzaines de travailleurs de Poissy débraient en soutien à leur camarade d’Aulnay, principalement des délégués. Création de la carte de gréviste.
9 mars ― Création d’une caisse de grève.
A partir de ce jour et pour le reste de la grève, ballades quotidiennes en dehors de l’usine vers des marchés, mairies, etc. dont nous ne recensons que quelques exemples
12 mars ― Manifestation à la préfecture de Bobigny.
Organisation d’une pétition en soutien aux grévistes à l’intérieur de l’usine d’Aulnay : 1 200 non grévistes vont la signer le premier jour.
13 mars ― Quelques centaines de grévistes manifestent à Paris et distribuent des tracts devant le siège de PSA.
21 Mars ― Le comité de grève élabore un “ programme d’action en direction de l’usine et des
habitants du département ”.
22 mars ― Les grévistes manifestent dans l’atelier de Magnetto, mais sans réussir à entraîner les ouvriers dans la lutte
9 au 22 mars ― Tentatives de débrayages ultra minoritaires dans diverse usines du groupe qui restent incapables d’affecter la production (Sochaux, Mulhouse, Trémery, Rennes, Sevelnord).
24 mars ― Organisation d’une manifestation à Paris avec un millier de participants.
26 mars ― PSA est condamné pour usage illégal de travailleurs intérimaires en remplacement des grévistes.
27 mars ― Manifestation dans la ville d’Aulnay. Grève chez deux fournisseurs, Lear et Faurecia. La grève de Faurecia qui durera 4 jours aura de vraies conséquences : pendant toute une période les voitures produites sortiront sans siège.
28 mars ― Débrayage de deux heures à Aulnay, appelé par les syndicats.
30 mars ― Nouvelle manifestation à Paris devant le siège de PSA avec la participation des grévistes de Lear.
2 avril ― Premiers versements de la caisse de grève. Chaque gréviste reçoit de 70 à 200 euros.
4 avril ― Fin de la grève à Lear, les grévistes obtiennent une augmentation de 47 euros.
6 avril ― Nouveau débrayage à Aulnay. Les grévistes organisent un barbecue géant devant l’usine.
10 avril ― Dernière manifestation devant le siège de PSA à Paris.
Les grévistes décident de suspendre la grève.
Résultats :
4 jours et demi de grève payés et une prime exceptionnelle de 125 euros pour tous, grévistes et nongrévistes.
Le tarif des transports d’entreprise sera diminué.
Les jours de travail supplémentaires, samedi et jours fériés ne seront pas obligatoires.
Discussions en fin de grève
La grève chez Citroën, du 28 février au 10 avril 2007, pose bien des problèmes et les
conclusions qu’en tire “ Lutte ouvrière ” dans la brochure sont bien insuffisantes et sélectives.
Pourquoi s’occuper de cette brochure ? Parce qu’il est notoire que les camarades qui ont joué un rôle moteur dans cette grève sont presque tous, pas exclusivement, des militants de LO existant à travers la CGT. En conséquence, ils portent la responsabilité de ce qu’a fait la grève (en bien et en moins bien). C’est tout à leur honneur, certes, mais cela ne doit pas nous dispenser d’en discuter
lucidement et de façon critique.
La grève a commencé spontanément sur les chaînes de montage, même si des militants
étaient présents. La CFDT, qui à signé un accord salarial la veille, est logiquement contre mais va malgré tout suivre le mouvement pour ne pas se mettre plus à dos les travailleurs. C’est l’annonce du succès clair et net des travailleurs de Magnetto qui a déclenché l’arrêt des chaînes. Évidemment, sur fond de grogne profonde et tenace depuis des années. En effet, Citroën n’a rien perdu de sa réputation historique et méritée de sale boîte : une entreprise qui paye mal, une maîtrise sélectionnée
à l’ancienne pour ses convictions anti-ouvrières et accessoirement pour ses compétences professionnelles, les deux allant rarement ensemble.
Très vite, il y avait 450 à 500 grévistes dans une usine qui compte 3 300 à 3 500 travailleurs en production. La grève est minoritaire, c’est un constat ; ce n’est ni une critique ni un jugement de valeur. Les travailleurs ont raison de poser les gants quand ça ne va pas, minoritaires ou pas. Et ceux à qui cela ne plaît pas n’ont qu’à poser les gants eux aussi, la grève deviendra moins minoritaire.
Mais à partir de ce constat, il faut déterminer lucidement ce qu’on fait pour que la grève englobe le plus de monde possible. La force de la classe ouvrière face aux patrons, c’est la grève
mais avec des grévistes, et la plus massive possible. Le nombre compte au moins autant que la combativité. C’est la conclusion qu’ont pu tirer des générations de travailleurs grévistes, bien souvent après des luttes formidables mais néanmoins défaites, comme la grève des presses de Flins en 1978, vaincue pour n’avoir pas entraîné la masse des travailleurs.
Les 500 camarades qui ont commencé la grève se devaient donc de trouver les moyens
d’entraîner les autres ouvriers et d’arrêter la production. Parce que d’abord et avant tout, une grève c’est l’arrêt de la production, l’arrêt de la production de valeur. C’est tellement évident qu’on ne le dit même plus, et pourtant c’est la base à partir de laquelle il faut concevoir les actions.
Les deux premiers jours donc, tout était arrêté ou presque. Et c’est peut-être là qu’on a raté quelque chose ; si on s’était installé sur les chaînes à 4 ou 500 gars et qu’on y soit resté, qu’auraient pu faire les valets des patrons ?
Mais cela ne s’est pas fait… Bon, on ne refait pas l’histoire. Quand on démarre, on va vite, très vite : on fonce pour essayer d’entraîner d’autres tronçons de la chaîne. C’est bien
compréhensible, puisqu’on veut être efficace immédiatement. On ne peut pas penser à tout, tout de suite.
Toute la première semaine et jusqu’au milieu de la deuxième, on a essayé de gagner de
nouveaux grévistes; on sentait que l’ambiance de l’usine n’était pas défavorable, même les nongrévistes,
massivement, n’étaient pas hostiles (mais ils n’étaient pas en grève pour autant) et quand la maîtrise voulait recruter dans les secteurs de maintenance pour remplacer les grévistes, ça ne marchait pas. C’est vrai que plusieurs fois la maîtrise a elle-même retiré les non-grévistes vers d’autres secteurs face à la pression des grévistes.
Mais alors, pourquoi subitement, dès la fin de la deuxième semaine et pendant tout le reste de la grève, les dirigeants de la grève ont-ils poussé à sortir de l’usine et des ateliers pour aller à
l’extérieur, un peu partout ?
Soyons clairs, le comité de grève et la majorité des grévistes étaient d’accord (pas tous quand même, il y a des camarades qui ont senti qu’on changeait d’objectif). Et alors ? L’important est de déterminer dans quel sens tiraient les dirigeants de la grève. La démocratie formelle, du genre : “ C’est pas nous, c’est les grévistes ! ”, c’est de la foutaise. Concrètement, les militants de LO ont fait ce qu’il fallait pour que les ouvriers aillent ailleurs.
Et pourtant, si l’on avait des chances d’arrêter complètement l’usine, c’était en continuant la pression, en trouvant les bons arguments, en gérant la grève avec ce seul objectif : stopper la production, y compris, si la possibilité se présentait, de bloquer par la force. Au lieu de cela, on a laissé les non-grévistes et la direction réorganiser les chaînes pour les faire tourner et évidemment, c’est ce qui s’est passé.
Bien sûr il n’est pas certain que nous aurions réussi à gagner une partie des non-grévistes.
Rien n’est jamais joué d’avance mais les préoccupations auraient été différentes et on n’aurait pas laissé les mains libres à la Direction et à sa maîtrise.
Les deux premières semaines, il y a eu 6 à 7 000 voitures non fabriquées. Mais dès la
troisième semaine, les chaînes sortaient 1 000 voitures/jour ; il n’en manquait que 350 par rapport à la production normale. Et comme les ventes ne sont pas terribles en ce moment … Pour la direction, c’était gérable. Ensuite, la production est montée à 1 200 voitures/jour.
Au bout de deux semaines, les grévistes avaient perdu l'espoir de gagner le moindre gréviste supplémentaire et la majorité pensait qu'il était nécessaire de changer d'objectif, en médiatisant la grève.
Dans la brochure, page 28, il est expliqué que “ …pour la direction, il faut que les voitures sortent coûte que coûte ”. Bien sûr que les patrons, eux, ont une boussole. Ils savent que la grève, si elle arrive à arrêter la production, c’est mal barré pour eux. Pourquoi du côté des grévistes et en particulier des dirigeants de la grève n’y a-t-il pas cette volonté dans l’autre sens ?
Il y a six pages dans la brochure pour expliquer pourquoi il ne fallait pas bloquer les chaînes et pourquoi il fallait sortir de l’usine. Il est écrit, page 41, noir sur blanc : “ D’ailleurs, la direction de Citroën, elle-même, n’aurait pas été mécontente d’un tel blocage ” Et ce, après avoir expliqué que la direction voulait sortir des voitures coûte que coûte. Si quelqu’un a une explication, on est preneur !
Toute l’argumentation tourne autour de cette idée : bloquer la production, c’est donner des arguments aux huissiers et à la maîtrise pour sanctionner et briser la grève.
Mais soyons clairs : la plupart des grèves dans l’automobile, depuis 40 ans, en France, ont été minoritaires ; plus ou moins, c’est vrai, et toutes se sont trouvées face à ce problème.
La grève, c’est-à-dire ― répétons-le encore ― l’arrêt de la production, se trouve presque à chaque fois face aux agents patronaux patentés : huissiers, maîtrise, provocateurs, etc. Et ça n’est pas près de changer.
Si on ne veux pas gérer ce risque-là, alors il ne faut pas faire grève, ce n'est pas plus compliqué que cela.
Et toute la validité justement des militants qui sont en pointe dans la grève, c’est de gérer cela, au profit de la grève.
Comment neutraliser la chefferie ?
Comment retourner les hésitants ?
Comment éviter les provocations ?
Tous les camarades, que ce soit à Renault ou à Sochaux, à Cléon, à Flins ou ailleurs savent cela. La question n’est pas de fuir, mais de s’accrocher et de neutraliser l’ennemi. Quelquefois, on gagne, quelquefois on perd ou on finit sur des compromis, c’est la lutte des classes…
En fait, le changement d’orientation de la grève dès la deuxième semaine est le résultat d’un choix conscient. Dès ce moment, Julien déclarait à l’AFP (agence de presse) : “ en revendiquant sur nos salaires, on s’inscrit pleinement dans la campagne des présidentielles ”, et il ajoutait que “ la lutte des salariés d’Aulnay avait reçu le soutien d’Arlette Laguiller et d’Olivier Besancenot ”
On comprend déjà mieux : la grève a été mise au service de la campagne électorale de
l’extrême-gauche. Pour cela, il fallait que la presse en parle (ce qui n’arrête pas la production). Il fallait se faire voir partout : dans les gares, sur les marchés, etc. Pendant ce temps, la direction et les non-grévistes sortaient 1200 voitures/jour. Il fallait aller aux portes des autres usines (ce qui n’a pas amené un gréviste de plus). Et tout ça pour que les candidats de gauche et de moins gauche viennent se faire applaudir devant les caméras et les journalistes. Même Royal y est allée, pour un peu on aurait eu Sarkozy.
Cela nous amène à quoi ? Du vent, du cinéma, mais pas le renforcement de la grève. Au
contraire, on pouvait constater chaque lundi qu’on était moins nombreux que la semaine précédente, jusqu’à se retrouver à 200 à la fin.
Le 3 avril, alors qu’il était évident que cette façon de mener la grève ne menait nulle part, Mercier, le représentant CGT, déclarait sur RTL : “ le soutien des candidats aux élections représente une aide importante face à la direction ”. Belles illusions ! Les chasseurs de voix aux élections soutiennent les grévistes comme la corde soutient le pendu ; avec la condition sous entendue que les grévistes abandonnent leur conscience de classe d’ouvrier en grève pour devenir des votants potentiels dans l’anonymat des urnes.
Qu’on se comprenne bien, il n’est pas faux en soi que les ouvriers sortent de l’usine pour
aller faire débrayer les camarades ailleurs. Mais encore faut-il qu’il y ait des grévistes et en nombre suffisant pour que ce soit un élément déclencheur. Quand 300 des 500 grévistes se sont déplacés à Saint-Ouen, c’était parfaitement juste. On pouvait espérer entraîner nos camarades de Saint-Ouen, usine qui n’est pas une grosse unité de production. Mais il a bien fallu constater qu’après le passage des grévistes dans les ateliers, l’usine tournait à nouveau normalement, comme si rien ne s'était passé.
On savait donc que la recherche d’un éventuel élargissement à l’extérieur d’Aulnay était
illusoire. Quand ensuite on est allé à Poissy, cela n'aurait eu de sens que si on avait été suffisamment nombreux, disons 2 ou 3 000 pour entrer dans l’usine, bloquer les chaînes et arrêter l’usine. Cela aurait été une véritable extension de la grève mais on était bien loin de cela. Et on le savait. Il ne s’est rien passé, ni à Poissy ni ailleurs. Par contre, pendant ce temps-là, nous n’étions pas à l’usine.
Là où, le nerf de la guerre, la production, sortait de plus en plus normalement.
Alors, au final, il nous reste quand même ce formidable sentiment d’avoir fait un sacré bras d’honneur, à Citroën. Nous savons maintenant que nous sommes plusieurs centaines dans l’usine, armés d’une véritable haine du système Citroën, et nous avons été capables de l’affirmer bien haut face aux valets patronaux. C’est un acquis considérable, qu’on a payé cher, mais qui vaut bien des sacrifices. Cependant, on ne peut pas se contenter de ce jugement de valeur.
En revanche, si les centaines de camarades concernés se mettent à réfléchir et à discuter sur les différents aspects de ce qui a été fait, si on se sert de l’expérience pour en tirer les enseignements, alors, dans les mouvements à venir, on sera beaucoup plus forts. Citroën aura beau aligner les huissiers, ses chefaillons ridicules, ses provocateurs et tous les crétins qui marchent avec eux, c’est le mouvement conscient des travailleurs en lutte qui aura le dernier mot.
Le comité de grève d’Aulnay, un organisme inutile à la lutte politique ouvrière
La direction de la grève La lutte montre les limites de l’auto-organisation quand celle-ci n’est pas clairement inspirée par l’objectif stratégique de l’indépendance politique des travailleurs.
A la tête de la lutte, Lutte Ouvrière a mis les petits plats dans le grands pour que le comité de grève réponde formellement en tous points à l’exigence de la plus grande démocratie ouvrière. “ Nous avons élu un Comité de grève d’une centaine de travailleurs pour diriger la grève. Ainsi, toutes les décisions ont été discutées tout au long de la grève dans ce Comité qui se réunissait deux fois par jour, plus d’une heure à chaque fois. … Les propositions du Comité étaient adoptées par l’assemblée
générale qui se réunissait après chaque Comité. Tout a été discuté, de la plus petite décision aux plus importantes. … Le Comité de grève a permis d’organiser la grève dans l’unité et de répondre au coup par coup à la politique de la direction ”, a expliqué Philippe Julien, militant de LO et secrétaire de la CGT de PSA Peugeot-Citroën Aulnay, lors du meeting du 15 avril 2007, au Zénith, d’Arlette Laguiller, candidate à l’élection présidentielle française pour la formation trotskiste.
Ces propos correspondent à la vérité. Le fonctionnement du Comité de grève y est bien décrit.
La relation entre cet organisme et les quelques 400 à 500 grévistes ne s’est jamais interrompue tout au long des six semaines de conflit. A aucun moment, des ouvriers en lutte n’ont exprimé leur insatisfaction vis-à-vis du Comité. Pourtant, la dynamique de ce dernier a été l’un des facteurs qui ont empêché tout développement réellement autonome de la lutte et, surtout, la mise sur pieds des premiers éléments d'organisation politique indépendante dans l’usine. Le Comité de grève “ a été un
véritable laboratoire d’idées. Un ouvrier a d’ailleurs surnommé la salle où se réunissait le Comité :
L’école de la grève ”, a indiqué Philippe Julien.
C’est le point crucial. Quel genre d’idées a été élaboré dans cet organisme ? Proposé aux ouvriers grévistes dès le deuxième jour de grève par des militants de LO, il est d’emblée l’expression d’une grande ambiguïté : le Comité est certes un instrument des travailleurs mais plusieurs sections syndicales de l’usine, celles de la CGT, de SUD, de la CFDT et de l’UNSA, sont présentes en son sein en tant que telles. Ce n’est pas formel. Leur adhésion explicite coïncide avec la volonté de garder, Syndicats qui, sauf la CGT, avaient signé un accord salarial avec la Direction deux jours plus tôt.
par l’intermédiaire du Comité, le contact avec les travailleurs en lutte et de maintenir le conflit dans un cadre compatible avec l’action syndicale classique des élus et des délégués syndicaux de l’usine.
“ A la fin de la grève, alors que le Comité débat sur le fait de signer, ou pas, un protocole de fin de conflit avec la direction, un délégué de SUD explique sèchement que, quoi qu’il arrive, son syndicat ne signera pas l’accord. Un gréviste lui répond plus sèchement encore : Tu n’as pas compris encore ? C’est le Comité de grève qui dirige la grève. Pas les syndicats. Alors SUD fera ce que le Comité décidera ”, lit-on dans la brochure de LO dédiée à la lutte d’Aulnay. Ces propos reflètent bien
les relations qui se sont établies entre travailleurs en grève, syndicats et Comité.
Le délégué de SUD, en affirmant que son syndicat fera à sa guise dans un moment décisif du conflit comme celui de la reprise du travail, ramène le Comité à une simple fonction d’accompagnement des ouvriers dans leur grève. Instance certes d’expression libre des travailleurs mais pas organe doté de l’autorité complète sur le conflit. Au Comité, la gestion de l’intendance de l’agitation ; aux syndicats, le “ business ” central de la négociation et de l’orientation générale.
Quant à l’ouvrier qui s’insurge contre le délégué de SUD, il montre qu’il n’a pas compris le rôle réel des syndicats, institutions officielles de négociation du prix de la force de travail mais respectueuses de la domination générale du capital. Pour ce travailleur, le Comité est tout simplement le nouveau syndicat, plus démocratique et plus proche de lui, ou, mieux, la nouvelle Intersyndicale enfin ouverte aux ouvriers.
A aucun moment, la discussion sur la nature des syndicats, y compris dans leur version la plus combative, n’a été mise à l’ordre du jour de la réflexion entre travailleurs en lutte. Les dirigeants LO de la grève auraient difficilement pu apporter la lumière sur ce point sans saboter la position de CGT dont ils sont à la tête à Aulnay.
Aucune minorité ouvrière n’a, au travers de cette bataille pour le salaire, entrevu la possibilité de lui donner une dimension politique en la corrélant à la guerre de classe contre la dictature du capital dans l’usine et dans la société. La preuve ? Peu à peu mais inexorablement, les travailleurs en lutte ont abandonné le terrain de l’usine et de la production aux non grévistes et aux chefs. Incapables dès la deuxième semaine de grève de gagner des nouvelles adhésions à la grève parmi les ouvriers des lignes
de montage, les grévistes ont opté pour la lutte “ citoyenne ”, faite de manifestations extérieures à l’usine, de demandes de solidarité aux Mairies et d’appels de soutien aux candidats de gauche à l’élection présidentielle.
“ Vu que la grève ne s’étendait pas dans l’usine, la question s’est rapidement posée au Comité de grève et dans les assemblées générales : faut-il bloquer les chaînes et mettre en place des piquets de grève ? ”, s’interroge LO. La question est d’autant plus pertinente que, “ dès la deuxième semaine, un certain nombre de grévistes, de toutes les générations, y sont plutôt favorables ”, reconnaît l’organisation trotskiste.
Et encore : “ l’idée de bloquer les chaînes par la force va aller et venir, reculer et revenir sporadiquement tout au long de la grève. Finalement, cela s’est beaucoup discuté, et c’est démocratiquement que le Comité de grève a décidé de ne pas le faire ”. Voilà la réponse désarmante de LO : “ Bien sûr, les militants ouvriers ne peuvent qu’être favorables à ce que la production soit bloquée – ce qui touche le patron au coeur, c’est-à-dire au portefeuille. Mais à condition que ce blocage soit fait de façon consciente, et non imposé par une minorité contre l’avis de la majorité – et
moins encore à coups de matraques ”. Récapitulons. Oui au blocage, mais conscient et pas contre l’avis de la majorité.
Pour LO, la conscience émane exclusivement de l’organisation communiste, c’est-à-dire
d’elle-même. Or, les militants de LO ont systématiquement combattu dans le Comité et dans les assemblées générales toute proposition de durcissement du mouvement, prétextant que “ la direction de Citroën elle-même n’aurait certainement pas été mécontente d’un tel blocage – au point que quelques-uns de ses mouchards ne se privaient pas de militer sur ce terrain ”
Le discours de LO s’embrouille un peu plus : bloquer la production touche le patron au coeur
… mais bloquer la production à Aulnay aurait fait le jeu du patron. Pas moyen, dans ces conditions, d’obtenir des titulaires de la conscience, le feu vert à la radicalisation du mouvement. Puis, il y a le fait incontournable que, dès la deuxième semaine, la lutte ne s’enracinait pas, avec une nette majorité de travailleurs de l’usine qui continuaient de travailler. Si la loi de la majorité était si astreignante, pourquoi persister dans un bras de fer qui a coûté si cher aux grévistes pour des gains matériels si limités ?
La solution proposée par LO pour répondre à cette nouvelle énigme est de “ sortir de
l’usine ”, autrement dit, laisser le champ libre au patron, et de mettre en place une caisse de solidarité.
La campagne électorale bat son plein. Plusieurs candidats, dont la socialiste Ségolène Royal, rendent visite aux grévistes aux portes de l’usine. L’illusion du battage médiatique s’installe. On se voit à la télé.
Puis, c’est l’érosion des bataillons déjà affaiblis des grévistes. Au fil des jours de grève, 300 d’entre eux, la mort dans l’âme, reprennent en catimini le travail. La solidarité de façade de la majorité des ouvriers de l’usine, ceux qui n’ont jamais cessé de travailler, disparaît. Le Comité de grève, sa démocratie interne, son ouverture, etc. n’y peuvent rien. Pas plus d’ailleurs que les militants “ conscients ” de LO.
La défaite est dans les têtes mais on préfère parler de victoire “ morale ”. Le Comité de grève disparaît naturellement avec la fin de la grève. Les syndicats prennent le relais. En parfaite intelligence. Des sursauts d’orgueil dans les ateliers se manifestent ici et là après la reprise. Des grèves localisées apparaissent. Signe que les grévistes sortent battus mais pas terrassés. Quant à leur expression politique indépendante dans l’usine, elle est toujours inexistante. A cet égard, la longue grève de six semaines aura été une nouvelle occasion perdue. Trop faible et isolée, la lutte défensive d’Aulnay n’a pas produit d’éléments organisés de conscience collective révolutionnaire.
LO, de son côté, n’a pas tort de se réjouir. Elle aura fait une nouvelle démonstration que l’autonomie politique de la classe ouvrière est l’affaire des groupes politiques et pas des travailleurs eux-mêmes. Dans la foulée, l’organisation trotskiste a apporté au syndicat un petit bol d’oxygène supplémentaire au moyen de l’exercice d’une réelle démocratie ouvrière formelle incarnée par le Comité de grève.
Une autre voie : les comités politiques
La voie des comités politiques d’usine, de chantier, de bureau et de quartier est radicalement différente. Elle suppose que des minorités d’ouvriers étendent la lutte jusqu’à lui donner une forme politique explicite, par l’organisation de comités. La compréhension, par ces comités, de la nature générale de lutte de classes est emblématique de tout combat défensif des travailleurs contre le capital.
Une séparation nette entre la lutte “ syndicale ” pour des revendications immédiates organisées par des instituts ad hoc et la lutte politique contre la dictature du capital dirigée par le parti dont émane la conscience révolutionnaire, ne traduit pas la réalité historique et toujours actuelle de la lutte de classes. Les ouvriers apprennent la critique du système qui les opprime en se battant pied à pied, sur leurs lieux d’exploitation, pour se défendre contre tel ou tel aspect particulier du système capitaliste.
Au cours de leur lutte, ils sont amenés à se doter d’instruments divers, théoriques et pratiques, pour affiner leur compréhension de l’ennemi et des rapports sociaux qui les accablent. La conscience, mieux, des éléments de conscience de soi, naissent ainsi des luttes dites quotidiennes ou élémentaires.
Ces éléments de conscience restent le plus souvent épars, non exprimés, et encore moins traduits en organisation surtout quand, comme dans le cas d’Aulnay, l’isolement et la faiblesse du camp des travailleurs en mouvement l’emportent.
Mais il ne faut pas non plus sous-estimer le rôle négatif joué par les trop nombreux
représentants autoproclamés des ouvriers, de LO (dans le cas d’Aulnay) aux autres gauchistes (dans d’autres luttes), en passant par les syndicats et les grands partis de gauche. Sans exagérer l’impact de leur action de pompiers politiques – les travailleurs ont su les balayer à plusieurs occasions dans l’histoire du mouvement ouvrier -, ces formations oeuvrent sans relâche à ce que la double nature de la classe ouvrière, force de travail pour le capital et force motrice du dépassement des sociétés divisées
en classes opposées, se transforme en opposition inconciliable.
Les communistes, en revanche, agissent pour que cette double nature devienne le principal facteur de subversion du présent en transformant les nécessaires actions défensives en préparation de l’élan révolutionnaire et en oeuvrant à la constitution des organes prolétariens du parti de classe. Ce processus n’est en rien continu et ascendant. Il n’est pas encore partagé par les salariés. Les premières
minorités de travailleurs qui parviennent à s’installer sur le terrain politique indépendant sont combattues par le capital, ses Etats et ses appendices de gauche et d’extrême gauche avec la plus grande détermination.
Des reculs incessants et des défaites répétées viennent interrompre la constitution du
prolétariat en classe pour soi. Pourtant, la classe ouvrière continue de vivre et de s’étendre. Son potentiel révolutionnaire ne peut pas être tari une fois pour toutes. Le capital lui-même a bien appris la leçon en tentant régulièrement de l’utiliser pour assurer son propre développement. Mais la double nature de la classe ouvrière ne peut pas être supprimée. La révolution pointe son nez chaque fois que les travailleurs s’insurgent et luttent pour leurs propres intérêts immédiats. Saisir cette réalité, la
valoriser et la renforcer dans la mesure du possible est la tâche spécifique des communistes aujourd’hui.
LO et les comités de grève
Depuis toujours, l'organisation Lutte Ouvrière fait des comités de grève la pierre angulaire de son action au sein des luttes de classe. Pour elle, cette forme d’organisation permet aux travailleurs d’apprendre, naturellement grâce à l'intervention de l'organisation LO, à “ diriger eux-mêmes leurs luttes, à les prendre en mains dans les moindres détails ”. La formation trotskiste prétend que les comités de grève permettent aux salariés un “ apprentissage du pouvoir ouvrier ”, développent “ la
démocratie ouvrière ” dont ils sont “ l'école ” et font que les mouvements soient “ plus efficaces ” en cas de collision avec les organisations syndicales. Seule l'assemblée générale des grévistes est souveraine sur le comité de grève, “ véritable gouvernement ouvrier de la grève ”, souligne LO.
Avec le temps, en renforçant sa présence dans les appareils syndicaux, LO a mis beaucoup d'eau dans le vin de l'autonomie des comités de grève par rapport aux syndicats. Dans un texte interne plus récent de celui cité plus haut, on lit que “ le comité de grève ne doit pas apparaître comme une machine antisyndicale, mais comme une forme d'organisation à la fois plus unitaire et donc plus efficace, parfaitement adaptée à une situation de lutte où tout le monde, syndiqué ou non, participe ”.
Pourtant, dans le même écrit, LO définit toujours la fonction du syndicat comme “ pompier de l'ordre social ”, incapable “ d'aller au bout des luttes et de leurs possibilités ” car il ne veut aucunement “ compromettre réellement le fonctionnement de la machine d'exploitation bourgeoise ”.
Malgré cela, toutefois, en bons trotskistes, les militants de LO ne veulent pas, “ dans la grève ”, adopter “ une attitude gauchiste, antisyndicale ”. Et ce afin de “ tenir compte des sentiments des travailleurs et essayer d'entraîner les militants syndicaux et les syndicats dans le comité de grève aussi loin que possible dans le mouvement, tout en préparant les plus conscients au moment probable où les syndicats lâcheront le mouvement ”. LO fournit une clé de lecture supplémentaire, décisive
peut-être, de la relation entre syndicats “ pompiers sociaux ” et comités de grève en déclarant que, “ dans un pays comme la France, où les syndicats sont minoritaires dans la classe ouvrière, ils ne peuvent même pas prétendre représenter les travailleurs lorsqu’ils entrent en lutte ”. Les comités de grève, si l’on s’en tient à ce constat apparemment incolore, s’imposent afin de combler le défaut de représentativité des “ pompiers sociaux ”. Ils seraient donc des simples supplétifs des syndicats…. Ici,
on n’est probablement pas très loin de la vérité.
Quoi qu’il en soit des relations des comités de grève avec les syndicats, l'apprentissage du pouvoir ouvrier fait au travers de ces comités permettra de “ constituer l'avant-garde ouvrière, consciente, expérimentée, appelée demain à jouer un rôle décisif dans les combats de classe ”. Si l'on s'en tient à cela, le comité de grève, donc, est l'outil essentiel pour l'apparition et la formation de véritables militants ouvriers. A aucun moment, cependant, LO ne précise les tâches politiques qu'il assigne à ces organes. On dirait qu'il suffit que les travailleurs prennent leurs mouvements en mains
via ces comités et l'assemblée générale souveraine en les poussant de l'avant le plus possible pour qu'il en naisse l'avant-garde consciente et expérimentée, donc politique. Autrement dit, l'autonomie politique de la classe ouvrière serait le produit direct de la généralisation des comités de grève et de la démocratie ouvrière.
Quel que soit le moment de la longue histoire de LO, cette conception fondamentalement syndicaliste de l'indépendance politique des travailleurs représente le fil conducteur de son intervention dans les luttes. L'organisation trotskiste sous-estime clairement la capacité des syndicats de faire leurs, lorsque leur emprise est sérieusement menacée, les objectifs et même les formes de lutte les plus radicales des combats défensifs des salariés. Parallèlement, LO surestime leur représentativité
au sein de la classe en adoptant, au fil du temps, la tactique entriste classique des trotskistes arrosée d'appels constants à l'unité syndicale la plus large. Par-là, elle contribue à faire des comités de grève des Intersyndicales élargies aux travailleurs, où les confédérations peuvent être représentées en tant que telles. Elle oeuvre donc pour revitaliser les syndicats, définis pourtant par ailleurs comme des piliers de l'ordre capitaliste. Mais ces critiques, certes fondées, ne suffisent pas à définir la conception
lénifiante et essentiellement syndicaliste que LO a de la lutte de classes et du processus à l'organisation politique ouvrière.
VO/LO et les comités de grève
En la matière, et dans bien d'autres, l'élément fondateur est la grève d’avril-mai 1947 à
l’usine Renault de Billancourt.
Au fil du temps, VO/LO a un peu mythifié l'évènement qui ne se traduisit pas du tout par une victoire revendicative, contrairement à ce qui a été propagé par la suite. Bois écrivait d’ailleurs dans La révolution prolétarienne ( revue dirigée par Pierre Monatte) de juin 1947 que : “ nous avons repris le travail avec l’aumône de 3 francs de “prime” ”
Il n'empêche que politiquement, ce fut la grève la plus importante de l'immédiat après guerre qui conduisit Auriol, président de la république, à virer les communistes du gouvernement (avec le début de la guerre froide qui était là).
Cela dit, au niveau de l'organisation de la grève, son déclenchement et sa conduite, il y a nombre d'éléments qui sans avoir besoin d'être enjolivés, étaient exemplaires ; et ont été transmis comme tels à la génération des militants qui arrivaient à Voix Ouvrière (VO) dans les années 60-68.
Les camarades (essentiellement Pierre Bois qui était celui en qui les ouvriers avaient le plus confiance) avaient fait une assemblée du secteur Collas (départements 6 et 18) le mardi. Là, ils avaient fait voter la grève et élire le Comité de grève (CG), préparé à l'avance évidemment, et mandaté pour déclencher la grève. Ceci sans le syndicat évidemment. Le PCF était au gouvernement, et à Billancourt, la CGT avait la haute main sur tout ce qui se passait dans l’usine.
Le mercredi, les camarades ont organisé la “ répétition générale ”, pour déclencher le coup :
chaque camarade du CG devait s'entourer de quelques gars sûrs et recevait une affectation pour le matin du jour J : portes, compresseurs, distribution électrique, etc...
Le jour de la “ répétition ” a été fixé en fin de semaine, le jeudi ou vendredi, et ce jour-là, et sur place, les gars ont appris (sauf le Comité de grève qui savait puisqu’il l’avait décidé), que ce n’était pas la répétition, mais le début de la grève. L’ordre de grève était imprimé et distribué aux ouvriers qui arrivaient, tous les moteurs étaient arrêtés, etc.. C’était la grève.
Tout et dans le détail, avait été discuté à l’avance entre Bois et Barta et le premier cercle ; y compris le fait de démarrer en fin de semaine, ce qui permettait, si le coup ratait, de tenir jusqu’au vendredi soir et de reprendre le lundi avec le moins de casse possible.
Donc, ce schéma du CG indépendant du syndicat, organisant les ouvriers pour la grève de manière autonome, a servi de tétine à laquelle ont biberonné les quelques dizaines de militants VO de l’époque.
Pas question de syndicats, représentation directe des grévistes par eux-mêmes, assemblées avec pouvoir de décision, CG proposant et organisant l'application des décisions de l’assemblée. Le tout conçu selon le schéma bolcheviste, avec le ou les militants professionnels qui raisonnent le moyen et le long terme et qui s'appuient sur la démocratie directe et agissante des prolétaires.
Voilà ce qui a constitué la “ référence historique ” de VO/LO en matière de comité de grève.
Dans les décennies qui ont suivi, et encore maintenant, beaucoup de monde a discuté des CG : la Ligue, LO, l'AMR, la CFDT, etc... Les seuls a y avoir toujours été hostiles, sans nuances, sont les staliniens ; mais tout le monde y a mis des contenus plus ou moins fantaisistes, y compris LO, selon les périodes et les besoins opportunistes de la direction.
Pendant des années, après 47, il n'y a pas eu de grève avec CG indépendant (autonome). En France, ce sont les syndicats, et surtout la CGT, qui organisent les grèves, y compris les grèves très dures (1948-51), quelquefois et même souvent, avec des intersyndicales (alliances aux sommets entre syndicats avec ou sans participation des ouvriers). Qui n'ont absolument rien à voir avec les CG, expression de l'organisation autonome des ouvriers grévistes.
On ne trouvera nulle part quelque chose d'écrit sur cette conception car il n'y a jamais rien eu d'écrit. C'est de la mémoire transmise (et il n'y a plus grand monde pour la transmettre !)
Avant 68, nulle grève n'a été organisée en opposition aux syndicats avec CG autonome. Mai 68, n'en parlons pas. Nulle part de forme organisée indépendante des syndicats qui soit représentative réellement et formellement de la volonté des grévistes.
Après 68, c'est là que les “ gauchistes ”‘ ont beaucoup discuté des CG ; notamment les
“ conférences nationales ouvrières ” entre LO, le PSU, l’AMR, etc… en 1972. Mais on parlait de concepts, pas de réalité existante. Nous n’avions nulle par de CG.
LO défendant l’orthodoxie de la représentation directe des ouvriers indépendamment des syndicats et le schéma de type 1947: et les autres défendant la nécessité d’y intégrer les “ forces organisées ” essentiellement les syndicats, pour être vraiment représentatifs de toutes des composantes de la grève. Discussions à n'en plus finir dont on trouvera peut-être les traces dans le journal LO de l’époque, mais qui n’étaient que des discussions de principe car jusque là, il n’y avait pas de CG, où que ce soit, avec ou sans les syndicats.
La première grève avec un comité représentatif indépendant des syndicats a été la grève Chausson de 1973. Là, des camarades de LO (à la CFDT) avaient organisé les grévistes en CG sans référence syndicale, complètement indépendant. C'était la bagarre ouverte avec les staliniens (puissants) le gourdin à la main.. Il y avait deux groupes. Un de chaque côté de la porte et qui, de toute évidence, étaient en guerre, l'un avec le CG, l'autre avec la CGT.
La même année, il y a eu la grève à l’EDF de Brest, et là, c’étaient des militants de la LCR qui étaient en pointe, et qui avaient organisé un Comité de grève à leur façon, avec tous les syndicats. Une brochure est parue à l’époque sur cette grève.
Les années 70-78 ont été les années de forte activité gréviste; mais il y a eu très peu de CG indépendants des syndicats. Pour la maison LO, on était ferme sur les principes. Les choses ont évolué, en 1974, avec la grève des banques. LO avait décidé de présenter Arlette Laguiller aux présidentielles (toute l'extrême gauche voulait Piaget, lui ne voulait pas).
La grève des banques est arrivée en pré-campagne électorale. C'est pendant la grève
qu’Arlette Laguiller a déclaré sa candidature aux présidentielles. Ça s'est trouvé comme cela. Il y avait un os : Arlette Laguiller était connue comme dirigeante du syndicat FO sur la boîte et de “ pour que le CG ne soit pas confondu avec FO ” est sortie la formule : “ CG soutenu par les syndicats FO-CGT etc. ”
Le “ CG soutenu par etc... ” a eu une influence importante pour pousser la grève au bout de ses possibilités mais les syndicats CGT-CFDT, etc... ont été eux aussi une composante importante de la direction de cette grève qui, dans la période, fut importante.
C'est donc là qu'est née la formule “ soutenu par les syndicats ” Formule qui d'ailleurs
convient très bien à la Ligue, la CFDT et tout le microcosme gauchiste.
Depuis, le peu de CG qui ont existé, ont le plus souvent repris cette formule. Évidemment, puisque tous les militants de LO, à de très rares exceptions, sont devenus des responsables syndicaux au moins localement. L'opportunisme organisationnel des dirigeants de LO n'a eu aucun problème à généraliser la formule. Mais, encore une fois, même sous cette forme avilie, il y a eu très peu de grèves avec CG, soutenu ou pas par les syndicats.
Sur le plan interne à l'organisation, les formulations, notamment les fiches servant de trame à la formation des militants, ont été très variables en fonction de l'opportunité des situations et de l'opportunisme de la direction. Ça a été des formulations de type Ligue : “ englober toutes les composantes de la grève ”, à des formulations plus indépendantes organisationnellement, mais jamais on n'a retrouvé des formulations comparables à l'avant 68 : “ autonomie représentative des grévistes par eux-mêmes, indépendante des syndicats ”
Toutes ces formulations ont été présentées comme le moyen d'organiser les grévistes pour l'efficacité de la grève et par “ devoir moral ” vis à vis de “ nos conceptions ”. Lesquelles sur le fond ? Organisation ouvrière autonome des grévistes ou organisation des grévistes soutenue par les syndicats ? Ceci n'a jamais été rediscuté depuis 71-72. Et pour cause, dans les faits, LO s'est rallié aux concepts sociaux-démocrates de la Ligue et autres “ gauchistes ”
En revanche, ce qui n'a jamais changé est la conception suivante : la grève est un instant privilégié de la lutte des classes. Elle a un début et une fin. Que le CG se constitue avant ou pendant la grève, avec ou sans le soutien des syndicats, de toutes les façons, il se dissout à la fin de la grève.
Alors, à plusieurs reprises s'est posée la question : que faire ensuite ?
En 1947, Bois et les camarades, influencés en cela par Monatte, ont formé le SDR (Syndicat Démocratique Renault qui a cessé d’apparaître en 1950) pour répondre à cette situation. Des ouvriers qui ne voulaient pas en rester là posaient la question. Barta, lui, n'était pas d'accord et préconisait que les meilleurs ouvriers gagnés pendant la grève deviennent des cadres de l'UC (Union Communiste), y compris en sortant de l'usine si possible, pour se former.
On sait ce qu'il est advenu du SDR. Il y a eu jusqu'à 1 000 adhérents (Monatte visait les 5 000) MAIS, et c'est la toute la problématique, c'étaient des adhérents. Concrètement, tout le travail organisationnel reposait sur moins d'une dizaine de militants, qui ont rapidement succombé à la tâche. Ça a été la démonstration que l'esprit syndicaliste révolutionnaire de Monatte, Rosmer, etc..., était bien mort. Tué par le stalinisme ; et la conception de l'organisation d'adhérents, et non plus celle de l'organisation des prolétaires volontaires pour chercher la voix de l'émancipation avait envahi la conscience ouvrière.
Ensuite, au fil des décennies, tout a été fait. A la fin de la grève des cheminots de 86, LO a essayé de faire une organisation d'adhérents LO (cartes, timbres, etc...). Cela n'a pas duré six mois.
Dans bien des cas, et jusqu'à maintenant, les seules suites sont : soit le groupe LO (le futur parti), soit le syndicat que les militants dirigent. Les deux versions sans trop de succès. Très rares sont les grèves ou le groupe LO se renforce. Et même syndicalement, il est rare que le syndicat se renforce après la grève, victorieuse ou pas.
La dernière grève Citroën en est l'illustration, c'est la Ligue qui semble avoir recruté deux ou trois militants, et la CGT n'a pas plus de monde, plutôt moins, bien qu'une partie de la CFDT soit en train ou est passée à la CGT. À la dernière fête du syndicat, après la grève, il y avait 20 ouvriers en moins que celle de l'an dernier (où la participation était déjà plus faible que l'année précédente).
Le moralisme de LO transpire de tous ses pores. A ses yeux, lorsque les exploités ont droit à la parole, ils ne peuvent jamais être emportés par les idées dominantes et, surtout, par la puissante base matérielle de l’idéologie ennemie, la concurrence entre travailleurs sur le marché du travail et dans le procès de production. D’après cette vision, aucune bataille politique fondamentale ne traverse le corps prolétarien hormis celle pour la démocratie ouvrière, véritable levier de la conscience ouvrière
autonome.
“ L’organisation des prolétaires en classe, et par suite en parti politique, est sans cesse brisée par la concurrence des ouvriers entre eux ”, lit-on dans le Manifeste communiste. L’effort des travailleurs les plus conscients est défini par ce simple constat. Ils sont appelés, en dépit des facteurs dissolvants permanents de l’unité prolétarienne indépendante du capital, à mener bataille pour l’unification politique des classes opprimées dans une condition minoritaire de grand isolement la plupart du temps.
Cette minorité, issue elle-même des pics de la lutte de classes, ne respecte pas, a priori et pardessus tout, la démocratie ouvrière. Dans certaines circonstances, ce mécanisme peut être employé pour étouffer toute tentative de renversement de la situation de soumission au capital. La mobilisation directe de la majorité des travailleurs par ceux d’entre eux qui ont délibérément lié leur sort à la survie de l’ordre présent n’est pas une exception. Surtout dans les périodes historiques baignant dans une
relative paix sociale. Dans ces périodes, les luttes défensives ont plus de mal à générer des ferments d’indépendance de classe et, par conséquent, des éléments collectifs de conscience autonome.
Toutefois, c’est déjà dans ces phases difficiles que d’étroites minorités de travailleurs
insoumis se forment. La tâche des communistes est alors de préserver le maintien de ces minorités en aidant celles-ci par tous les moyens disponibles à accroître leur conscience révolutionnaire et à se doter d’une organisation politique embryonnaire.
“ Le mouvement politique de la classe ouvrière a naturellement pour objectif la conquête, pour elle, du pouvoir politique. Il va sans dire que, pour y parvenir, il faut une organisation
préalable, suffisamment développée, de la classe ouvrière, organisation qui surgit des luttes économiques mêmes des ouvriers ”. (Karl Marx ; Lettre à Bolte ; novembre 1871)
La conscience et l’organisation des minorités ouvrières radicales, incarnées dans ce que nous nommons les comités politiques, ne tolèrent pas d’être conditionnées par un quelconque respect de l’opinion et des formes collectives majoritaires. Elles connaissent une seule limite : celle dictée par la nécessité absolue de préparer le terrain à la mutation révolutionnaire de pans larges du mouvement prolétarien. Mue qui ne dépend pas, pour l’essentiel, de l’action déterminée des minorités ouvrières
révolutionnaires mais qui peut être franchement accélérée par cette dernière.
“ Tous les mouvements sociaux du passé ont été le fait de minorités ou ont profité à des minorités. Le mouvement prolétarien est le mouvement autonome de l’immense majorité dans l’intérêt de l’immense majorité ” (Manifeste)
Aujourd’hui, les luttes se situent sur un terrain très défensif. Isolées, elles peinent à sécréter des éléments de conscience révolutionnaire partagée y compris par des secteurs très minoritaires de travailleurs. De plus, bon nombre d’entre elles sont menées par des secteurs réduits de salariés, à l’instar de celle d’Aulnay. Le strict respect de la démocratie ouvrière aurait imposé aux salariés en grève d’arrêter très vite toute agitation.
Pire, le principe démocratique, s’il avait été appliqué à la lettre aurait conseillé à ses
promoteurs de ne rien tenter du tout. Une minorité d’ouvriers en colère en a décidé autrement. A juste raison, jusqu’au moment où elle a quitté le strict terrain de l’usine pour s’insérer dans le débat électoral présidentiel en guise de succédané du combat à mener directement sur les lignes pour arracher la nette majorité des salariés encore au travail au contrôle pressant et bien ordonné de la maîtrise.
Dans ce cadre et incidemment, la tentative d’impliquer d’autres sites et d’autres usines dans le combat d’Aulnay n’a pu que révéler l’extrême faiblesse des grévistes vis-à-vis de leur ennemi le plus direct, la direction de ‘leur’ usine. L’ambiguïté de comportement de la direction LO du comité de grève réside entièrement ici. D’une part, elle en a été réduite à appliquer la sacro-sainte démocratie ouvrière à une minorité de plus en plus petite. D’autre part, le véritable culte qu’elle voue au respect de la loi de la majorité des travailleurs l’a conduite, face aux difficultés grandissantes et bien réelles
rencontrées sur les lignes, à éviter toute confrontation.
Dans ce dernier cas, cela aurait eu pour conséquence de remettre en cause sa vision pacifiée de la lutte au sein de la classe exploitée. Il n’était donc pas question de rechercher une explication claire et directe entre grévistes et non-grévistes. Une telle explication aurait pu prendre plusieurs formes, et pas nécessairement violentes : à l’image d’un piquet de grève simplement ‘filtrant’ aux portes. Rien de tout cela n’a été proposé par les syndicalistes de LO d’Aulnay. Conséquence : l’objectif permanent et
universel de toute lutte, “ l’union de plus en plus étendue des travailleurs ” (Manifeste), n’a pas été
atteint malgré l’adoption de la position de l’autruche vis-à-vis des non-grévistes.
Le syndicalisme forcené de LO.
Dans le développement de la conception de LO des comités de grève, pourtant considérés comme le lieu privilégié d’apprentissage du “ pouvoir ouvrier ”, la question de la formation et des instituts de la conscience politique collective autonome des travailleurs n’est jamais évoquée. Il n’est pas non plus question de la relation dynamique entre luttes défensives, ‘économiques’, et lutte politique. Enfin, on n’apprend pas grand-chose non plus sur les relations entre syndicats d’Etat -
“ pompiers de l’ordre social ”
Il n’est guère dans notre intention de dresser une barrière, à la manière des léninistes
orthodoxes, entre luttes économiques et politiques. Toutefois, ces deux expressions de l’autonomie ouvrière ne sont pas réunies par un signe d’équivalence. Karl Marx fournit plusieurs pistes pour élucider ce rapport dynamique.
Dans la lettre à Bolte déjà citée, il qualifie tout d’abord de mouvement politique “ tout
mouvement dans lequel la classe ouvrière s’oppose, en tant que classe, aux classes dominantes et s’efforce d’exercer sur celles-ci une pression du dehors ”. Trois éléments caractérisent donc tout mouvement politique prolétarien :
· La classe ouvrière se reconnaît en elle-même par delà les différences et les intérêts matériels divergents.
· La classe ouvrière se reconnaît pratiquement en tant que classe en s’opposant aux classes dominantes dans leur ensemble et pas seulement à certains secteurs de celles-ci.
· La classe ouvrière ne se cantonne pas à une opposition de Sa Majesté, faite de l’intérieur du système, en en respectant les limites structurelles. Elle exerce une pression indépendante, en dehors du système, et refuse de se soumettre aux raisons des classes dominantes.
Vitales pour améliorer le quotidien de l’exploitation voire seulement retarder son augmentation, les luttes économiques isolées des salariés sont à la fois le lieu naturel de naissance des mouvements politiques indépendants du prolétariat et leur négation dialectique. La résistance quotidienne, endémique, physiologique à l’exploitation n’est pas l’objectif principal des communistes, des ouvriers autonomes.
Dans Plus-value (1865), Karl Marx conseille les ouvriers de ne pas “ exagérer le résultat final de cette lutte quotidienne ”. “ Qu’ils ne l’oublient pas ”, poursuit-il, “ Ils luttent contre les effets et non contre les causes de ces effets ; ils ne peuvent que retarder le mouvement descendant mais non en changer la direction ; ils n’appliquent que des palliatifs, mais sans guérir le mal ”.
Le premier facteur de différence entre luttes défensives et luttes politiques ouvrières se trouve dans leurs contenus respectifs : correctifs du système pour les premières ; indifférents aux compatibilités données du système ceux exprimés par les secondes.
Au XIXe siècle, la fameuse bataille internationale pour imposer la loi des 10 heures de travail par jour rentrait à plein titre dans le cadre du mouvement politique prolétarien. La revendication n’était pas, en soi et absolument, incompatible avec la survie du capitalisme. La preuve est amplement faite.
En revanche, au moment où ce combat a été mené, la satisfaction de cette revendication a remis en cause l’organisation du travail, le procès général de production, jusqu’à la forme de représentation politique des classes.
Cette bataille, par son impulsion formidable, a permis le passage de la manufacture à l’industrie moderne et d’une démocratie bourgeoise incomplète, pour la plupart réservée aux couches les plus fortunées de la population, à la république démocratique moderne, fondée sur le principe un homme, une voix. Le débouché de la bataille pour les 10 heures a été incontestablement réformiste mais le mouvement qui l’a portée avait des claires caractéristiques révolutionnaires. Tout mouvement doit être prioritairement jugé à sa dynamique et aux forces sociales qu’il incarne et pas à son épilogue ou
même, dans certaines limites, à ses objectifs formalisés.
Outre ce premier facteur discriminant, les ouvriers, enchaîne Karl Marx, doivent comprendre que “ le régime actuel, avec toutes les misères dont il les accable, engendre en même temps les conditions matérielles et les formes sociales nécessaires pour la reconstruction économique de la société ”. La société du capital a fait preuve, depuis plusieurs siècles, d’une énorme capacité spontanée ou planifiée de transformation et, surtout, d’adaptation aux pressions de la société civile et des classes opprimées. Jouer toute la partie autour de revendications plus ou moins ingérable pour le capital, voue la lutte à un échec assuré. La recherche de l’objectif ‘fatal’ pour le capital n’est qu’un mirage.
Sans donner davantage de détails, Marx identifie ici l’un des points de force du système actuel de domination de classe : sa propension à inventer des “ formes sociales nécessaires pour la reconstruction ” de sa société. L’élaboration et le perfectionnement permanents de nouvelles formes, stratégies et instituts de commandement dans l’usine et dans la société s’est révélée être l’arme
absolue pour la conservation du système existant. Ce travail incessant invalide l’espoir typiquement réformiste d’obtenir, y compris au prix de la guerre de classe la plus âpre, “ un salaire équitable pour une journée de travail équitable ”.
Ce mot d’ordre à l’apparence si raisonnable et légitime, Marx le définit ouvertement comme “ conservateur ”. Il lui oppose celui, directement “ révolutionnaire ”, de l’“ abolition du salariat ”.
Voilà fixées les limites, très étroites en vérité, placées par Marx à l’horizon revendicatif des salariés.
Traduction : les objectifs avancés dans les luttes défensives ne doivent jamais contredire le but politique général de la disparition du régime fondé sur le travail salarié.
Et LO dans tout cela ? Voici sa réponse : “ Nous participons activement aux luttes des
travailleurs, même si ceux-ci présentent des revendications avec lesquelles nous ne sommes pas d’accord : primes ; indemnités diverses ; augmentations hiérarchisées ; etc. ”. Seules sont exclues de son champ d’action les luttes pour des revendications “ carrément réactionnaires ”, type celles pour le licenciement des travailleurs immigrés.
Prisonniers de leur démocratisme à tout crin, après avoir défendu leur “ point de vue ”, les militants de LO “ se soumettent à la décision des travailleurs et respectent les revendications telles qu’elles sont formulées par eux ”. C’est le meilleur apprentissage du syndicalisme : jamais (ou presque) minoritaires ; toujours à la traîne de la majorité. Quant au “ point de vue ” spécifique à l’organisation trotskiste défendu avant que les choses sérieuses commencent, nous n’en saurons pas davantage. Nous n’en saurons rien non plus sur la position de LO sur l’orientation politique de la lutte
et de l’organisation défensive.
Les syndicats, jadis taxés de pompiers sociaux mais sans grandes conséquences pratiques dans le rapport entre l’organisation trotskiste et ces derniers, deviennent progressivement dans les écrits et les discours de LO des organes neutres dirigés par des bureaucrates qu’il faut conquérir. Aucune critique sur leur fonction intrinsèque n’est formulée à leur encontre. Ni avant, à l’époque des syndicats taxés de “ pompiers sociaux ”, ni après, quand ils prétendront que les comités de grève ne doivent pas
“ apparaître comme des machines antisyndicales ”.
Pourtant Karl Marx avait été suffisamment explicite à cet égard :
“ Les syndicats agissent utilement en tant que centres de résistance aux empiètements du capital ; ils se montrent en partie inefficaces par suite de l’emploi peu judicieux qu’ils font de leur puissance. Ils manquent généralement leur but parce qu’ils se bornent à une guerre d’escarmouches contre les effets du régime existant, au lieu de travailler en même temps à sa transformation et de se servir de leurs forces organisées comme d’un levier pour l’émancipation définitive de la classe travailleuse,
c’est-à-dire pour abolir enfin le salariat ”. (Plus-value ; 1865)
A l’époque où Marx écrit ces lignes, les syndicats n’avaient pas encore été absorbés par l’Etat capitaliste. Ils étaient encore des instituts ouvriers indépendants du soi-disant intérêt général,
traduction idéologique des intérêts exclusifs des classes dominantes. Même dans ces circonstances, Marx n’épargne pas la critique du syndicalisme de classe qui déconnectait les luttes quotidiennes défensives des mouvements politiques du prolétariat. Il affirmait que les organisations défensives des ouvriers étaient “ plus importantes en tant que force organisée pour hâter l’abolition du système
même du salariat ” qu’en tant qu’instruments “ indispensables dans la guerre d’escarmouches quotidienne entre le capital et le travail ”. (Résolutions de l’AIT ; 1868)
Dit autrement et en tenant compte du contexte présent d’intégration achevée depuis près d’un siècle des anciens syndicats de classe aux Etats des pays capitalistes les plus développés, les organes ouvriers défensifs qui surgissent des luttes économiques les plus déterminées doivent comprendre, en utilisant encore les mots de Karl Marx, “ leur pouvoir offensif contre le système d’esclavage du salariat et contre le mode de production actuel ”. (idem) Il faut, en somme, qu’“ en dehors de leurs
buts primitifs ”, les syndicats (hier) et les organes défensifs autonomes (aujourd’hui) “ apprennent à agir de manière plus consciente en tant que foyers d’organisation de la classe ouvrière dans l’intérêt puissant de leur émancipation complète ”.
D
En voici un que j'ai trouvé intéressant sur la grève de Citroën-Aulnay en 2007.
Autrement, si certains veulent en discuter, j'ai mis en gras un passage sur la tentative de LO de créer un groupe d'adhérents.
http://www.mouvement-communiste.com/pdf/letter/LTMC0726.pdf
Mouvement Communiste
Lettre numéro 26 octobre 2007
CITROEN AULNAY, PRINTEMPS 2007 :
RETOUR SUR LA GREVE
La grève de six semaines (du 28 février au 10 avril 2007) qui a eu lieu dans l’usine Citroën est caractéristique a plus d’un titre d’une minorité d’ouvriers de production de l’usine PSA Peugeot-citroën d’Aulnay-sous-Bois, en banlieue Nord de Paris.
Voici une grève qui démarre de façon minoritaire, comme la plupart des grèves dans
l’industrie automobile ces trente dernières années, et qui au bout de deux semaines ne s’étend pas, n’affecte pratiquement plus la production et qui perdure pendant plus d’un mois en quittant l’entreprise. Qu’était-il possible de proposer et de faire au bout des deux premières semaines ?
Voici une grève minoritaire où la direction adopte la position “ nous n’empêchons pas la grève mais vous ne bloquez pas la production ”, accord tacite respecté de part et d’autre.
Voici une grève où les grévistes s’organisent en comité de grève le plus démocratique
possible, et où, les dirigeants de la grève, les militants de Lutte Ouvrière (LO), jamais en contradiction avec les grévistes, font le choix délibéré de faire durer la grève en semant les illusions sur la publicité médiatique en période électorale, pour finalement ne rien obtenir en fin de grève.
Voilà donc une grève qui mérite qu’on y revienne en détail pour en faire non seulement le bilan, pour que les grévistes insatisfaits, après coup, puissent préparer la prochaine grève et pour montrer les limites des comités de grève s’ils ne se transforment pas, après la grève, en comité politique ouvrier.
Une partie de cette lettre comprend donc une critique politique de la pratique qu’a eu Lutte Ouvrière et telle qu’elle l’a parfaitement expliqué dans sa brochure “ Six semaines de lutte pour les salaires à Peugeot-Citroën Aulnay ”
Cette lettre, outre une chronologie, contient quatre textes :
« Discussion en fin de grève », discuté avec des camarades de l’usine qui ne sont pas
forcément d’accord avec certaines de nos conclusions, « Le comité de grève d’Aulnay, un organisme inutile à la lutte politique ouvrière », qui est notre appréciation sur l’action du comité de grève, « VO/LO et les comités de grève », a été rédigé par un ancien militant de Lutte Ouvrière, « Les deux sources des erreurs de LO », qui identifie les raisons théoriques de la politique de LO, le démocratisme et le syndicalisme.
1
Chronologie
Fin février, la majorité des travailleurs des presses (un atelier situé à l’intérieur de l’usine de Citroën
Aulnay où la production a été sous-traitée à l’entreprise turinoise Magnetto) se met en grève et menace
d’arrêter toute l’usine. Après quelques jours de grève l’entreprise fait des concessions importantes :
100 euros net d’augmentation de salaire, 5 jours de congé supplémentaires, l’embauche de 10
travailleurs intérimaires et accorde même une prime de fin de grève de 75 euros.
Mercredi 28 février ― La grève démarre sur les chaînes de montage dans l’équipe de l’après midi.
Quelques travailleurs discutent des résultats de la grève Magnetto et décident de se mettre en grève.
Débrayage de l’équipe de nuit.
1er mars ― L’équipe du matin décide de poursuivre la grève. Sous l’impulsion de militants un comité de grève est formé.
2 mars ― Il y a quelques centaines de grévistes à la prise du travail de l’équipe du matin. Gefco Survilliers, un sous-traitant en charge de la logistique se met également en grève.
5 mars ― Les grévistes mettent fin à leur répartition par équipe et décident de tous venir à l’usine aux heures de l’équipe de jour.
6 mars. ― Manifestation de 300 grévistes de l’usine d’Aulnay à l’usine Citroën de Saint-Ouen (effectif 500). Les manifestants sont autorisés par la direction à traverser l’usine mais le travail reprend dès qu’ils ont quitté l’usine.
8 mars ― Les grévistes partent en manifestation à l’usine de Poissy (effectif 7 500), mais cette fois ils ne peuvent pénétrer à l’intérieur. Seuls quelques douzaines de travailleurs de Poissy débraient en soutien à leur camarade d’Aulnay, principalement des délégués. Création de la carte de gréviste.
9 mars ― Création d’une caisse de grève.
A partir de ce jour et pour le reste de la grève, ballades quotidiennes en dehors de l’usine vers des marchés, mairies, etc. dont nous ne recensons que quelques exemples
12 mars ― Manifestation à la préfecture de Bobigny.
Organisation d’une pétition en soutien aux grévistes à l’intérieur de l’usine d’Aulnay : 1 200 non grévistes vont la signer le premier jour.
13 mars ― Quelques centaines de grévistes manifestent à Paris et distribuent des tracts devant le siège de PSA.
21 Mars ― Le comité de grève élabore un “ programme d’action en direction de l’usine et des
habitants du département ”.
22 mars ― Les grévistes manifestent dans l’atelier de Magnetto, mais sans réussir à entraîner les ouvriers dans la lutte
9 au 22 mars ― Tentatives de débrayages ultra minoritaires dans diverse usines du groupe qui restent incapables d’affecter la production (Sochaux, Mulhouse, Trémery, Rennes, Sevelnord).
24 mars ― Organisation d’une manifestation à Paris avec un millier de participants.
26 mars ― PSA est condamné pour usage illégal de travailleurs intérimaires en remplacement des grévistes.
27 mars ― Manifestation dans la ville d’Aulnay. Grève chez deux fournisseurs, Lear et Faurecia. La grève de Faurecia qui durera 4 jours aura de vraies conséquences : pendant toute une période les voitures produites sortiront sans siège.
28 mars ― Débrayage de deux heures à Aulnay, appelé par les syndicats.
30 mars ― Nouvelle manifestation à Paris devant le siège de PSA avec la participation des grévistes de Lear.
2 avril ― Premiers versements de la caisse de grève. Chaque gréviste reçoit de 70 à 200 euros.
4 avril ― Fin de la grève à Lear, les grévistes obtiennent une augmentation de 47 euros.
6 avril ― Nouveau débrayage à Aulnay. Les grévistes organisent un barbecue géant devant l’usine.
10 avril ― Dernière manifestation devant le siège de PSA à Paris.
Les grévistes décident de suspendre la grève.
Résultats :
4 jours et demi de grève payés et une prime exceptionnelle de 125 euros pour tous, grévistes et nongrévistes.
Le tarif des transports d’entreprise sera diminué.
Les jours de travail supplémentaires, samedi et jours fériés ne seront pas obligatoires.
Discussions en fin de grève
La grève chez Citroën, du 28 février au 10 avril 2007, pose bien des problèmes et les
conclusions qu’en tire “ Lutte ouvrière ” dans la brochure sont bien insuffisantes et sélectives.
Pourquoi s’occuper de cette brochure ? Parce qu’il est notoire que les camarades qui ont joué un rôle moteur dans cette grève sont presque tous, pas exclusivement, des militants de LO existant à travers la CGT. En conséquence, ils portent la responsabilité de ce qu’a fait la grève (en bien et en moins bien). C’est tout à leur honneur, certes, mais cela ne doit pas nous dispenser d’en discuter
lucidement et de façon critique.
La grève a commencé spontanément sur les chaînes de montage, même si des militants
étaient présents. La CFDT, qui à signé un accord salarial la veille, est logiquement contre mais va malgré tout suivre le mouvement pour ne pas se mettre plus à dos les travailleurs. C’est l’annonce du succès clair et net des travailleurs de Magnetto qui a déclenché l’arrêt des chaînes. Évidemment, sur fond de grogne profonde et tenace depuis des années. En effet, Citroën n’a rien perdu de sa réputation historique et méritée de sale boîte : une entreprise qui paye mal, une maîtrise sélectionnée
à l’ancienne pour ses convictions anti-ouvrières et accessoirement pour ses compétences professionnelles, les deux allant rarement ensemble.
Très vite, il y avait 450 à 500 grévistes dans une usine qui compte 3 300 à 3 500 travailleurs en production. La grève est minoritaire, c’est un constat ; ce n’est ni une critique ni un jugement de valeur. Les travailleurs ont raison de poser les gants quand ça ne va pas, minoritaires ou pas. Et ceux à qui cela ne plaît pas n’ont qu’à poser les gants eux aussi, la grève deviendra moins minoritaire.
Mais à partir de ce constat, il faut déterminer lucidement ce qu’on fait pour que la grève englobe le plus de monde possible. La force de la classe ouvrière face aux patrons, c’est la grève
mais avec des grévistes, et la plus massive possible. Le nombre compte au moins autant que la combativité. C’est la conclusion qu’ont pu tirer des générations de travailleurs grévistes, bien souvent après des luttes formidables mais néanmoins défaites, comme la grève des presses de Flins en 1978, vaincue pour n’avoir pas entraîné la masse des travailleurs.
Les 500 camarades qui ont commencé la grève se devaient donc de trouver les moyens
d’entraîner les autres ouvriers et d’arrêter la production. Parce que d’abord et avant tout, une grève c’est l’arrêt de la production, l’arrêt de la production de valeur. C’est tellement évident qu’on ne le dit même plus, et pourtant c’est la base à partir de laquelle il faut concevoir les actions.
Les deux premiers jours donc, tout était arrêté ou presque. Et c’est peut-être là qu’on a raté quelque chose ; si on s’était installé sur les chaînes à 4 ou 500 gars et qu’on y soit resté, qu’auraient pu faire les valets des patrons ?
Mais cela ne s’est pas fait… Bon, on ne refait pas l’histoire. Quand on démarre, on va vite, très vite : on fonce pour essayer d’entraîner d’autres tronçons de la chaîne. C’est bien
compréhensible, puisqu’on veut être efficace immédiatement. On ne peut pas penser à tout, tout de suite.
Toute la première semaine et jusqu’au milieu de la deuxième, on a essayé de gagner de
nouveaux grévistes; on sentait que l’ambiance de l’usine n’était pas défavorable, même les nongrévistes,
massivement, n’étaient pas hostiles (mais ils n’étaient pas en grève pour autant) et quand la maîtrise voulait recruter dans les secteurs de maintenance pour remplacer les grévistes, ça ne marchait pas. C’est vrai que plusieurs fois la maîtrise a elle-même retiré les non-grévistes vers d’autres secteurs face à la pression des grévistes.
Mais alors, pourquoi subitement, dès la fin de la deuxième semaine et pendant tout le reste de la grève, les dirigeants de la grève ont-ils poussé à sortir de l’usine et des ateliers pour aller à
l’extérieur, un peu partout ?
Soyons clairs, le comité de grève et la majorité des grévistes étaient d’accord (pas tous quand même, il y a des camarades qui ont senti qu’on changeait d’objectif). Et alors ? L’important est de déterminer dans quel sens tiraient les dirigeants de la grève. La démocratie formelle, du genre : “ C’est pas nous, c’est les grévistes ! ”, c’est de la foutaise. Concrètement, les militants de LO ont fait ce qu’il fallait pour que les ouvriers aillent ailleurs.
Et pourtant, si l’on avait des chances d’arrêter complètement l’usine, c’était en continuant la pression, en trouvant les bons arguments, en gérant la grève avec ce seul objectif : stopper la production, y compris, si la possibilité se présentait, de bloquer par la force. Au lieu de cela, on a laissé les non-grévistes et la direction réorganiser les chaînes pour les faire tourner et évidemment, c’est ce qui s’est passé.
Bien sûr il n’est pas certain que nous aurions réussi à gagner une partie des non-grévistes.
Rien n’est jamais joué d’avance mais les préoccupations auraient été différentes et on n’aurait pas laissé les mains libres à la Direction et à sa maîtrise.
Les deux premières semaines, il y a eu 6 à 7 000 voitures non fabriquées. Mais dès la
troisième semaine, les chaînes sortaient 1 000 voitures/jour ; il n’en manquait que 350 par rapport à la production normale. Et comme les ventes ne sont pas terribles en ce moment … Pour la direction, c’était gérable. Ensuite, la production est montée à 1 200 voitures/jour.
Au bout de deux semaines, les grévistes avaient perdu l'espoir de gagner le moindre gréviste supplémentaire et la majorité pensait qu'il était nécessaire de changer d'objectif, en médiatisant la grève.
Dans la brochure, page 28, il est expliqué que “ …pour la direction, il faut que les voitures sortent coûte que coûte ”. Bien sûr que les patrons, eux, ont une boussole. Ils savent que la grève, si elle arrive à arrêter la production, c’est mal barré pour eux. Pourquoi du côté des grévistes et en particulier des dirigeants de la grève n’y a-t-il pas cette volonté dans l’autre sens ?
Il y a six pages dans la brochure pour expliquer pourquoi il ne fallait pas bloquer les chaînes et pourquoi il fallait sortir de l’usine. Il est écrit, page 41, noir sur blanc : “ D’ailleurs, la direction de Citroën, elle-même, n’aurait pas été mécontente d’un tel blocage ” Et ce, après avoir expliqué que la direction voulait sortir des voitures coûte que coûte. Si quelqu’un a une explication, on est preneur !
Toute l’argumentation tourne autour de cette idée : bloquer la production, c’est donner des arguments aux huissiers et à la maîtrise pour sanctionner et briser la grève.
Mais soyons clairs : la plupart des grèves dans l’automobile, depuis 40 ans, en France, ont été minoritaires ; plus ou moins, c’est vrai, et toutes se sont trouvées face à ce problème.
La grève, c’est-à-dire ― répétons-le encore ― l’arrêt de la production, se trouve presque à chaque fois face aux agents patronaux patentés : huissiers, maîtrise, provocateurs, etc. Et ça n’est pas près de changer.
Si on ne veux pas gérer ce risque-là, alors il ne faut pas faire grève, ce n'est pas plus compliqué que cela.
Et toute la validité justement des militants qui sont en pointe dans la grève, c’est de gérer cela, au profit de la grève.
Comment neutraliser la chefferie ?
Comment retourner les hésitants ?
Comment éviter les provocations ?
Tous les camarades, que ce soit à Renault ou à Sochaux, à Cléon, à Flins ou ailleurs savent cela. La question n’est pas de fuir, mais de s’accrocher et de neutraliser l’ennemi. Quelquefois, on gagne, quelquefois on perd ou on finit sur des compromis, c’est la lutte des classes…
En fait, le changement d’orientation de la grève dès la deuxième semaine est le résultat d’un choix conscient. Dès ce moment, Julien déclarait à l’AFP (agence de presse) : “ en revendiquant sur nos salaires, on s’inscrit pleinement dans la campagne des présidentielles ”, et il ajoutait que “ la lutte des salariés d’Aulnay avait reçu le soutien d’Arlette Laguiller et d’Olivier Besancenot ”
On comprend déjà mieux : la grève a été mise au service de la campagne électorale de
l’extrême-gauche. Pour cela, il fallait que la presse en parle (ce qui n’arrête pas la production). Il fallait se faire voir partout : dans les gares, sur les marchés, etc. Pendant ce temps, la direction et les non-grévistes sortaient 1200 voitures/jour. Il fallait aller aux portes des autres usines (ce qui n’a pas amené un gréviste de plus). Et tout ça pour que les candidats de gauche et de moins gauche viennent se faire applaudir devant les caméras et les journalistes. Même Royal y est allée, pour un peu on aurait eu Sarkozy.
Cela nous amène à quoi ? Du vent, du cinéma, mais pas le renforcement de la grève. Au
contraire, on pouvait constater chaque lundi qu’on était moins nombreux que la semaine précédente, jusqu’à se retrouver à 200 à la fin.
Le 3 avril, alors qu’il était évident que cette façon de mener la grève ne menait nulle part, Mercier, le représentant CGT, déclarait sur RTL : “ le soutien des candidats aux élections représente une aide importante face à la direction ”. Belles illusions ! Les chasseurs de voix aux élections soutiennent les grévistes comme la corde soutient le pendu ; avec la condition sous entendue que les grévistes abandonnent leur conscience de classe d’ouvrier en grève pour devenir des votants potentiels dans l’anonymat des urnes.
Qu’on se comprenne bien, il n’est pas faux en soi que les ouvriers sortent de l’usine pour
aller faire débrayer les camarades ailleurs. Mais encore faut-il qu’il y ait des grévistes et en nombre suffisant pour que ce soit un élément déclencheur. Quand 300 des 500 grévistes se sont déplacés à Saint-Ouen, c’était parfaitement juste. On pouvait espérer entraîner nos camarades de Saint-Ouen, usine qui n’est pas une grosse unité de production. Mais il a bien fallu constater qu’après le passage des grévistes dans les ateliers, l’usine tournait à nouveau normalement, comme si rien ne s'était passé.
On savait donc que la recherche d’un éventuel élargissement à l’extérieur d’Aulnay était
illusoire. Quand ensuite on est allé à Poissy, cela n'aurait eu de sens que si on avait été suffisamment nombreux, disons 2 ou 3 000 pour entrer dans l’usine, bloquer les chaînes et arrêter l’usine. Cela aurait été une véritable extension de la grève mais on était bien loin de cela. Et on le savait. Il ne s’est rien passé, ni à Poissy ni ailleurs. Par contre, pendant ce temps-là, nous n’étions pas à l’usine.
Là où, le nerf de la guerre, la production, sortait de plus en plus normalement.
Alors, au final, il nous reste quand même ce formidable sentiment d’avoir fait un sacré bras d’honneur, à Citroën. Nous savons maintenant que nous sommes plusieurs centaines dans l’usine, armés d’une véritable haine du système Citroën, et nous avons été capables de l’affirmer bien haut face aux valets patronaux. C’est un acquis considérable, qu’on a payé cher, mais qui vaut bien des sacrifices. Cependant, on ne peut pas se contenter de ce jugement de valeur.
En revanche, si les centaines de camarades concernés se mettent à réfléchir et à discuter sur les différents aspects de ce qui a été fait, si on se sert de l’expérience pour en tirer les enseignements, alors, dans les mouvements à venir, on sera beaucoup plus forts. Citroën aura beau aligner les huissiers, ses chefaillons ridicules, ses provocateurs et tous les crétins qui marchent avec eux, c’est le mouvement conscient des travailleurs en lutte qui aura le dernier mot.
Le comité de grève d’Aulnay, un organisme inutile à la lutte politique ouvrière
La direction de la grève La lutte montre les limites de l’auto-organisation quand celle-ci n’est pas clairement inspirée par l’objectif stratégique de l’indépendance politique des travailleurs.
A la tête de la lutte, Lutte Ouvrière a mis les petits plats dans le grands pour que le comité de grève réponde formellement en tous points à l’exigence de la plus grande démocratie ouvrière. “ Nous avons élu un Comité de grève d’une centaine de travailleurs pour diriger la grève. Ainsi, toutes les décisions ont été discutées tout au long de la grève dans ce Comité qui se réunissait deux fois par jour, plus d’une heure à chaque fois. … Les propositions du Comité étaient adoptées par l’assemblée
générale qui se réunissait après chaque Comité. Tout a été discuté, de la plus petite décision aux plus importantes. … Le Comité de grève a permis d’organiser la grève dans l’unité et de répondre au coup par coup à la politique de la direction ”, a expliqué Philippe Julien, militant de LO et secrétaire de la CGT de PSA Peugeot-Citroën Aulnay, lors du meeting du 15 avril 2007, au Zénith, d’Arlette Laguiller, candidate à l’élection présidentielle française pour la formation trotskiste.
Ces propos correspondent à la vérité. Le fonctionnement du Comité de grève y est bien décrit.
La relation entre cet organisme et les quelques 400 à 500 grévistes ne s’est jamais interrompue tout au long des six semaines de conflit. A aucun moment, des ouvriers en lutte n’ont exprimé leur insatisfaction vis-à-vis du Comité. Pourtant, la dynamique de ce dernier a été l’un des facteurs qui ont empêché tout développement réellement autonome de la lutte et, surtout, la mise sur pieds des premiers éléments d'organisation politique indépendante dans l’usine. Le Comité de grève “ a été un
véritable laboratoire d’idées. Un ouvrier a d’ailleurs surnommé la salle où se réunissait le Comité :
L’école de la grève ”, a indiqué Philippe Julien.
C’est le point crucial. Quel genre d’idées a été élaboré dans cet organisme ? Proposé aux ouvriers grévistes dès le deuxième jour de grève par des militants de LO, il est d’emblée l’expression d’une grande ambiguïté : le Comité est certes un instrument des travailleurs mais plusieurs sections syndicales de l’usine, celles de la CGT, de SUD, de la CFDT et de l’UNSA, sont présentes en son sein en tant que telles. Ce n’est pas formel. Leur adhésion explicite coïncide avec la volonté de garder, Syndicats qui, sauf la CGT, avaient signé un accord salarial avec la Direction deux jours plus tôt.
par l’intermédiaire du Comité, le contact avec les travailleurs en lutte et de maintenir le conflit dans un cadre compatible avec l’action syndicale classique des élus et des délégués syndicaux de l’usine.
“ A la fin de la grève, alors que le Comité débat sur le fait de signer, ou pas, un protocole de fin de conflit avec la direction, un délégué de SUD explique sèchement que, quoi qu’il arrive, son syndicat ne signera pas l’accord. Un gréviste lui répond plus sèchement encore : Tu n’as pas compris encore ? C’est le Comité de grève qui dirige la grève. Pas les syndicats. Alors SUD fera ce que le Comité décidera ”, lit-on dans la brochure de LO dédiée à la lutte d’Aulnay. Ces propos reflètent bien
les relations qui se sont établies entre travailleurs en grève, syndicats et Comité.
Le délégué de SUD, en affirmant que son syndicat fera à sa guise dans un moment décisif du conflit comme celui de la reprise du travail, ramène le Comité à une simple fonction d’accompagnement des ouvriers dans leur grève. Instance certes d’expression libre des travailleurs mais pas organe doté de l’autorité complète sur le conflit. Au Comité, la gestion de l’intendance de l’agitation ; aux syndicats, le “ business ” central de la négociation et de l’orientation générale.
Quant à l’ouvrier qui s’insurge contre le délégué de SUD, il montre qu’il n’a pas compris le rôle réel des syndicats, institutions officielles de négociation du prix de la force de travail mais respectueuses de la domination générale du capital. Pour ce travailleur, le Comité est tout simplement le nouveau syndicat, plus démocratique et plus proche de lui, ou, mieux, la nouvelle Intersyndicale enfin ouverte aux ouvriers.
A aucun moment, la discussion sur la nature des syndicats, y compris dans leur version la plus combative, n’a été mise à l’ordre du jour de la réflexion entre travailleurs en lutte. Les dirigeants LO de la grève auraient difficilement pu apporter la lumière sur ce point sans saboter la position de CGT dont ils sont à la tête à Aulnay.
Aucune minorité ouvrière n’a, au travers de cette bataille pour le salaire, entrevu la possibilité de lui donner une dimension politique en la corrélant à la guerre de classe contre la dictature du capital dans l’usine et dans la société. La preuve ? Peu à peu mais inexorablement, les travailleurs en lutte ont abandonné le terrain de l’usine et de la production aux non grévistes et aux chefs. Incapables dès la deuxième semaine de grève de gagner des nouvelles adhésions à la grève parmi les ouvriers des lignes
de montage, les grévistes ont opté pour la lutte “ citoyenne ”, faite de manifestations extérieures à l’usine, de demandes de solidarité aux Mairies et d’appels de soutien aux candidats de gauche à l’élection présidentielle.
“ Vu que la grève ne s’étendait pas dans l’usine, la question s’est rapidement posée au Comité de grève et dans les assemblées générales : faut-il bloquer les chaînes et mettre en place des piquets de grève ? ”, s’interroge LO. La question est d’autant plus pertinente que, “ dès la deuxième semaine, un certain nombre de grévistes, de toutes les générations, y sont plutôt favorables ”, reconnaît l’organisation trotskiste.
Et encore : “ l’idée de bloquer les chaînes par la force va aller et venir, reculer et revenir sporadiquement tout au long de la grève. Finalement, cela s’est beaucoup discuté, et c’est démocratiquement que le Comité de grève a décidé de ne pas le faire ”. Voilà la réponse désarmante de LO : “ Bien sûr, les militants ouvriers ne peuvent qu’être favorables à ce que la production soit bloquée – ce qui touche le patron au coeur, c’est-à-dire au portefeuille. Mais à condition que ce blocage soit fait de façon consciente, et non imposé par une minorité contre l’avis de la majorité – et
moins encore à coups de matraques ”. Récapitulons. Oui au blocage, mais conscient et pas contre l’avis de la majorité.
Pour LO, la conscience émane exclusivement de l’organisation communiste, c’est-à-dire
d’elle-même. Or, les militants de LO ont systématiquement combattu dans le Comité et dans les assemblées générales toute proposition de durcissement du mouvement, prétextant que “ la direction de Citroën elle-même n’aurait certainement pas été mécontente d’un tel blocage – au point que quelques-uns de ses mouchards ne se privaient pas de militer sur ce terrain ”
Le discours de LO s’embrouille un peu plus : bloquer la production touche le patron au coeur
… mais bloquer la production à Aulnay aurait fait le jeu du patron. Pas moyen, dans ces conditions, d’obtenir des titulaires de la conscience, le feu vert à la radicalisation du mouvement. Puis, il y a le fait incontournable que, dès la deuxième semaine, la lutte ne s’enracinait pas, avec une nette majorité de travailleurs de l’usine qui continuaient de travailler. Si la loi de la majorité était si astreignante, pourquoi persister dans un bras de fer qui a coûté si cher aux grévistes pour des gains matériels si limités ?
La solution proposée par LO pour répondre à cette nouvelle énigme est de “ sortir de
l’usine ”, autrement dit, laisser le champ libre au patron, et de mettre en place une caisse de solidarité.
La campagne électorale bat son plein. Plusieurs candidats, dont la socialiste Ségolène Royal, rendent visite aux grévistes aux portes de l’usine. L’illusion du battage médiatique s’installe. On se voit à la télé.
Puis, c’est l’érosion des bataillons déjà affaiblis des grévistes. Au fil des jours de grève, 300 d’entre eux, la mort dans l’âme, reprennent en catimini le travail. La solidarité de façade de la majorité des ouvriers de l’usine, ceux qui n’ont jamais cessé de travailler, disparaît. Le Comité de grève, sa démocratie interne, son ouverture, etc. n’y peuvent rien. Pas plus d’ailleurs que les militants “ conscients ” de LO.
La défaite est dans les têtes mais on préfère parler de victoire “ morale ”. Le Comité de grève disparaît naturellement avec la fin de la grève. Les syndicats prennent le relais. En parfaite intelligence. Des sursauts d’orgueil dans les ateliers se manifestent ici et là après la reprise. Des grèves localisées apparaissent. Signe que les grévistes sortent battus mais pas terrassés. Quant à leur expression politique indépendante dans l’usine, elle est toujours inexistante. A cet égard, la longue grève de six semaines aura été une nouvelle occasion perdue. Trop faible et isolée, la lutte défensive d’Aulnay n’a pas produit d’éléments organisés de conscience collective révolutionnaire.
LO, de son côté, n’a pas tort de se réjouir. Elle aura fait une nouvelle démonstration que l’autonomie politique de la classe ouvrière est l’affaire des groupes politiques et pas des travailleurs eux-mêmes. Dans la foulée, l’organisation trotskiste a apporté au syndicat un petit bol d’oxygène supplémentaire au moyen de l’exercice d’une réelle démocratie ouvrière formelle incarnée par le Comité de grève.
Une autre voie : les comités politiques
La voie des comités politiques d’usine, de chantier, de bureau et de quartier est radicalement différente. Elle suppose que des minorités d’ouvriers étendent la lutte jusqu’à lui donner une forme politique explicite, par l’organisation de comités. La compréhension, par ces comités, de la nature générale de lutte de classes est emblématique de tout combat défensif des travailleurs contre le capital.
Une séparation nette entre la lutte “ syndicale ” pour des revendications immédiates organisées par des instituts ad hoc et la lutte politique contre la dictature du capital dirigée par le parti dont émane la conscience révolutionnaire, ne traduit pas la réalité historique et toujours actuelle de la lutte de classes. Les ouvriers apprennent la critique du système qui les opprime en se battant pied à pied, sur leurs lieux d’exploitation, pour se défendre contre tel ou tel aspect particulier du système capitaliste.
Au cours de leur lutte, ils sont amenés à se doter d’instruments divers, théoriques et pratiques, pour affiner leur compréhension de l’ennemi et des rapports sociaux qui les accablent. La conscience, mieux, des éléments de conscience de soi, naissent ainsi des luttes dites quotidiennes ou élémentaires.
Ces éléments de conscience restent le plus souvent épars, non exprimés, et encore moins traduits en organisation surtout quand, comme dans le cas d’Aulnay, l’isolement et la faiblesse du camp des travailleurs en mouvement l’emportent.
Mais il ne faut pas non plus sous-estimer le rôle négatif joué par les trop nombreux
représentants autoproclamés des ouvriers, de LO (dans le cas d’Aulnay) aux autres gauchistes (dans d’autres luttes), en passant par les syndicats et les grands partis de gauche. Sans exagérer l’impact de leur action de pompiers politiques – les travailleurs ont su les balayer à plusieurs occasions dans l’histoire du mouvement ouvrier -, ces formations oeuvrent sans relâche à ce que la double nature de la classe ouvrière, force de travail pour le capital et force motrice du dépassement des sociétés divisées
en classes opposées, se transforme en opposition inconciliable.
Les communistes, en revanche, agissent pour que cette double nature devienne le principal facteur de subversion du présent en transformant les nécessaires actions défensives en préparation de l’élan révolutionnaire et en oeuvrant à la constitution des organes prolétariens du parti de classe. Ce processus n’est en rien continu et ascendant. Il n’est pas encore partagé par les salariés. Les premières
minorités de travailleurs qui parviennent à s’installer sur le terrain politique indépendant sont combattues par le capital, ses Etats et ses appendices de gauche et d’extrême gauche avec la plus grande détermination.
Des reculs incessants et des défaites répétées viennent interrompre la constitution du
prolétariat en classe pour soi. Pourtant, la classe ouvrière continue de vivre et de s’étendre. Son potentiel révolutionnaire ne peut pas être tari une fois pour toutes. Le capital lui-même a bien appris la leçon en tentant régulièrement de l’utiliser pour assurer son propre développement. Mais la double nature de la classe ouvrière ne peut pas être supprimée. La révolution pointe son nez chaque fois que les travailleurs s’insurgent et luttent pour leurs propres intérêts immédiats. Saisir cette réalité, la
valoriser et la renforcer dans la mesure du possible est la tâche spécifique des communistes aujourd’hui.
LO et les comités de grève
Depuis toujours, l'organisation Lutte Ouvrière fait des comités de grève la pierre angulaire de son action au sein des luttes de classe. Pour elle, cette forme d’organisation permet aux travailleurs d’apprendre, naturellement grâce à l'intervention de l'organisation LO, à “ diriger eux-mêmes leurs luttes, à les prendre en mains dans les moindres détails ”. La formation trotskiste prétend que les comités de grève permettent aux salariés un “ apprentissage du pouvoir ouvrier ”, développent “ la
démocratie ouvrière ” dont ils sont “ l'école ” et font que les mouvements soient “ plus efficaces ” en cas de collision avec les organisations syndicales. Seule l'assemblée générale des grévistes est souveraine sur le comité de grève, “ véritable gouvernement ouvrier de la grève ”, souligne LO.
Avec le temps, en renforçant sa présence dans les appareils syndicaux, LO a mis beaucoup d'eau dans le vin de l'autonomie des comités de grève par rapport aux syndicats. Dans un texte interne plus récent de celui cité plus haut, on lit que “ le comité de grève ne doit pas apparaître comme une machine antisyndicale, mais comme une forme d'organisation à la fois plus unitaire et donc plus efficace, parfaitement adaptée à une situation de lutte où tout le monde, syndiqué ou non, participe ”.
Pourtant, dans le même écrit, LO définit toujours la fonction du syndicat comme “ pompier de l'ordre social ”, incapable “ d'aller au bout des luttes et de leurs possibilités ” car il ne veut aucunement “ compromettre réellement le fonctionnement de la machine d'exploitation bourgeoise ”.
Malgré cela, toutefois, en bons trotskistes, les militants de LO ne veulent pas, “ dans la grève ”, adopter “ une attitude gauchiste, antisyndicale ”. Et ce afin de “ tenir compte des sentiments des travailleurs et essayer d'entraîner les militants syndicaux et les syndicats dans le comité de grève aussi loin que possible dans le mouvement, tout en préparant les plus conscients au moment probable où les syndicats lâcheront le mouvement ”. LO fournit une clé de lecture supplémentaire, décisive
peut-être, de la relation entre syndicats “ pompiers sociaux ” et comités de grève en déclarant que, “ dans un pays comme la France, où les syndicats sont minoritaires dans la classe ouvrière, ils ne peuvent même pas prétendre représenter les travailleurs lorsqu’ils entrent en lutte ”. Les comités de grève, si l’on s’en tient à ce constat apparemment incolore, s’imposent afin de combler le défaut de représentativité des “ pompiers sociaux ”. Ils seraient donc des simples supplétifs des syndicats…. Ici,
on n’est probablement pas très loin de la vérité.
Quoi qu’il en soit des relations des comités de grève avec les syndicats, l'apprentissage du pouvoir ouvrier fait au travers de ces comités permettra de “ constituer l'avant-garde ouvrière, consciente, expérimentée, appelée demain à jouer un rôle décisif dans les combats de classe ”. Si l'on s'en tient à cela, le comité de grève, donc, est l'outil essentiel pour l'apparition et la formation de véritables militants ouvriers. A aucun moment, cependant, LO ne précise les tâches politiques qu'il assigne à ces organes. On dirait qu'il suffit que les travailleurs prennent leurs mouvements en mains
via ces comités et l'assemblée générale souveraine en les poussant de l'avant le plus possible pour qu'il en naisse l'avant-garde consciente et expérimentée, donc politique. Autrement dit, l'autonomie politique de la classe ouvrière serait le produit direct de la généralisation des comités de grève et de la démocratie ouvrière.
Quel que soit le moment de la longue histoire de LO, cette conception fondamentalement syndicaliste de l'indépendance politique des travailleurs représente le fil conducteur de son intervention dans les luttes. L'organisation trotskiste sous-estime clairement la capacité des syndicats de faire leurs, lorsque leur emprise est sérieusement menacée, les objectifs et même les formes de lutte les plus radicales des combats défensifs des salariés. Parallèlement, LO surestime leur représentativité
au sein de la classe en adoptant, au fil du temps, la tactique entriste classique des trotskistes arrosée d'appels constants à l'unité syndicale la plus large. Par-là, elle contribue à faire des comités de grève des Intersyndicales élargies aux travailleurs, où les confédérations peuvent être représentées en tant que telles. Elle oeuvre donc pour revitaliser les syndicats, définis pourtant par ailleurs comme des piliers de l'ordre capitaliste. Mais ces critiques, certes fondées, ne suffisent pas à définir la conception
lénifiante et essentiellement syndicaliste que LO a de la lutte de classes et du processus à l'organisation politique ouvrière.
VO/LO et les comités de grève
En la matière, et dans bien d'autres, l'élément fondateur est la grève d’avril-mai 1947 à
l’usine Renault de Billancourt.
Au fil du temps, VO/LO a un peu mythifié l'évènement qui ne se traduisit pas du tout par une victoire revendicative, contrairement à ce qui a été propagé par la suite. Bois écrivait d’ailleurs dans La révolution prolétarienne ( revue dirigée par Pierre Monatte) de juin 1947 que : “ nous avons repris le travail avec l’aumône de 3 francs de “prime” ”
Il n'empêche que politiquement, ce fut la grève la plus importante de l'immédiat après guerre qui conduisit Auriol, président de la république, à virer les communistes du gouvernement (avec le début de la guerre froide qui était là).
Cela dit, au niveau de l'organisation de la grève, son déclenchement et sa conduite, il y a nombre d'éléments qui sans avoir besoin d'être enjolivés, étaient exemplaires ; et ont été transmis comme tels à la génération des militants qui arrivaient à Voix Ouvrière (VO) dans les années 60-68.
Les camarades (essentiellement Pierre Bois qui était celui en qui les ouvriers avaient le plus confiance) avaient fait une assemblée du secteur Collas (départements 6 et 18) le mardi. Là, ils avaient fait voter la grève et élire le Comité de grève (CG), préparé à l'avance évidemment, et mandaté pour déclencher la grève. Ceci sans le syndicat évidemment. Le PCF était au gouvernement, et à Billancourt, la CGT avait la haute main sur tout ce qui se passait dans l’usine.
Le mercredi, les camarades ont organisé la “ répétition générale ”, pour déclencher le coup :
chaque camarade du CG devait s'entourer de quelques gars sûrs et recevait une affectation pour le matin du jour J : portes, compresseurs, distribution électrique, etc...
Le jour de la “ répétition ” a été fixé en fin de semaine, le jeudi ou vendredi, et ce jour-là, et sur place, les gars ont appris (sauf le Comité de grève qui savait puisqu’il l’avait décidé), que ce n’était pas la répétition, mais le début de la grève. L’ordre de grève était imprimé et distribué aux ouvriers qui arrivaient, tous les moteurs étaient arrêtés, etc.. C’était la grève.
Tout et dans le détail, avait été discuté à l’avance entre Bois et Barta et le premier cercle ; y compris le fait de démarrer en fin de semaine, ce qui permettait, si le coup ratait, de tenir jusqu’au vendredi soir et de reprendre le lundi avec le moins de casse possible.
Donc, ce schéma du CG indépendant du syndicat, organisant les ouvriers pour la grève de manière autonome, a servi de tétine à laquelle ont biberonné les quelques dizaines de militants VO de l’époque.
Pas question de syndicats, représentation directe des grévistes par eux-mêmes, assemblées avec pouvoir de décision, CG proposant et organisant l'application des décisions de l’assemblée. Le tout conçu selon le schéma bolcheviste, avec le ou les militants professionnels qui raisonnent le moyen et le long terme et qui s'appuient sur la démocratie directe et agissante des prolétaires.
Voilà ce qui a constitué la “ référence historique ” de VO/LO en matière de comité de grève.
Dans les décennies qui ont suivi, et encore maintenant, beaucoup de monde a discuté des CG : la Ligue, LO, l'AMR, la CFDT, etc... Les seuls a y avoir toujours été hostiles, sans nuances, sont les staliniens ; mais tout le monde y a mis des contenus plus ou moins fantaisistes, y compris LO, selon les périodes et les besoins opportunistes de la direction.
Pendant des années, après 47, il n'y a pas eu de grève avec CG indépendant (autonome). En France, ce sont les syndicats, et surtout la CGT, qui organisent les grèves, y compris les grèves très dures (1948-51), quelquefois et même souvent, avec des intersyndicales (alliances aux sommets entre syndicats avec ou sans participation des ouvriers). Qui n'ont absolument rien à voir avec les CG, expression de l'organisation autonome des ouvriers grévistes.
On ne trouvera nulle part quelque chose d'écrit sur cette conception car il n'y a jamais rien eu d'écrit. C'est de la mémoire transmise (et il n'y a plus grand monde pour la transmettre !)
Avant 68, nulle grève n'a été organisée en opposition aux syndicats avec CG autonome. Mai 68, n'en parlons pas. Nulle part de forme organisée indépendante des syndicats qui soit représentative réellement et formellement de la volonté des grévistes.
Après 68, c'est là que les “ gauchistes ”‘ ont beaucoup discuté des CG ; notamment les
“ conférences nationales ouvrières ” entre LO, le PSU, l’AMR, etc… en 1972. Mais on parlait de concepts, pas de réalité existante. Nous n’avions nulle par de CG.
LO défendant l’orthodoxie de la représentation directe des ouvriers indépendamment des syndicats et le schéma de type 1947: et les autres défendant la nécessité d’y intégrer les “ forces organisées ” essentiellement les syndicats, pour être vraiment représentatifs de toutes des composantes de la grève. Discussions à n'en plus finir dont on trouvera peut-être les traces dans le journal LO de l’époque, mais qui n’étaient que des discussions de principe car jusque là, il n’y avait pas de CG, où que ce soit, avec ou sans les syndicats.
La première grève avec un comité représentatif indépendant des syndicats a été la grève Chausson de 1973. Là, des camarades de LO (à la CFDT) avaient organisé les grévistes en CG sans référence syndicale, complètement indépendant. C'était la bagarre ouverte avec les staliniens (puissants) le gourdin à la main.. Il y avait deux groupes. Un de chaque côté de la porte et qui, de toute évidence, étaient en guerre, l'un avec le CG, l'autre avec la CGT.
La même année, il y a eu la grève à l’EDF de Brest, et là, c’étaient des militants de la LCR qui étaient en pointe, et qui avaient organisé un Comité de grève à leur façon, avec tous les syndicats. Une brochure est parue à l’époque sur cette grève.
Les années 70-78 ont été les années de forte activité gréviste; mais il y a eu très peu de CG indépendants des syndicats. Pour la maison LO, on était ferme sur les principes. Les choses ont évolué, en 1974, avec la grève des banques. LO avait décidé de présenter Arlette Laguiller aux présidentielles (toute l'extrême gauche voulait Piaget, lui ne voulait pas).
La grève des banques est arrivée en pré-campagne électorale. C'est pendant la grève
qu’Arlette Laguiller a déclaré sa candidature aux présidentielles. Ça s'est trouvé comme cela. Il y avait un os : Arlette Laguiller était connue comme dirigeante du syndicat FO sur la boîte et de “ pour que le CG ne soit pas confondu avec FO ” est sortie la formule : “ CG soutenu par les syndicats FO-CGT etc. ”
Le “ CG soutenu par etc... ” a eu une influence importante pour pousser la grève au bout de ses possibilités mais les syndicats CGT-CFDT, etc... ont été eux aussi une composante importante de la direction de cette grève qui, dans la période, fut importante.
C'est donc là qu'est née la formule “ soutenu par les syndicats ” Formule qui d'ailleurs
convient très bien à la Ligue, la CFDT et tout le microcosme gauchiste.
Depuis, le peu de CG qui ont existé, ont le plus souvent repris cette formule. Évidemment, puisque tous les militants de LO, à de très rares exceptions, sont devenus des responsables syndicaux au moins localement. L'opportunisme organisationnel des dirigeants de LO n'a eu aucun problème à généraliser la formule. Mais, encore une fois, même sous cette forme avilie, il y a eu très peu de grèves avec CG, soutenu ou pas par les syndicats.
Sur le plan interne à l'organisation, les formulations, notamment les fiches servant de trame à la formation des militants, ont été très variables en fonction de l'opportunité des situations et de l'opportunisme de la direction. Ça a été des formulations de type Ligue : “ englober toutes les composantes de la grève ”, à des formulations plus indépendantes organisationnellement, mais jamais on n'a retrouvé des formulations comparables à l'avant 68 : “ autonomie représentative des grévistes par eux-mêmes, indépendante des syndicats ”
Toutes ces formulations ont été présentées comme le moyen d'organiser les grévistes pour l'efficacité de la grève et par “ devoir moral ” vis à vis de “ nos conceptions ”. Lesquelles sur le fond ? Organisation ouvrière autonome des grévistes ou organisation des grévistes soutenue par les syndicats ? Ceci n'a jamais été rediscuté depuis 71-72. Et pour cause, dans les faits, LO s'est rallié aux concepts sociaux-démocrates de la Ligue et autres “ gauchistes ”
En revanche, ce qui n'a jamais changé est la conception suivante : la grève est un instant privilégié de la lutte des classes. Elle a un début et une fin. Que le CG se constitue avant ou pendant la grève, avec ou sans le soutien des syndicats, de toutes les façons, il se dissout à la fin de la grève.
Alors, à plusieurs reprises s'est posée la question : que faire ensuite ?
En 1947, Bois et les camarades, influencés en cela par Monatte, ont formé le SDR (Syndicat Démocratique Renault qui a cessé d’apparaître en 1950) pour répondre à cette situation. Des ouvriers qui ne voulaient pas en rester là posaient la question. Barta, lui, n'était pas d'accord et préconisait que les meilleurs ouvriers gagnés pendant la grève deviennent des cadres de l'UC (Union Communiste), y compris en sortant de l'usine si possible, pour se former.
On sait ce qu'il est advenu du SDR. Il y a eu jusqu'à 1 000 adhérents (Monatte visait les 5 000) MAIS, et c'est la toute la problématique, c'étaient des adhérents. Concrètement, tout le travail organisationnel reposait sur moins d'une dizaine de militants, qui ont rapidement succombé à la tâche. Ça a été la démonstration que l'esprit syndicaliste révolutionnaire de Monatte, Rosmer, etc..., était bien mort. Tué par le stalinisme ; et la conception de l'organisation d'adhérents, et non plus celle de l'organisation des prolétaires volontaires pour chercher la voix de l'émancipation avait envahi la conscience ouvrière.
Ensuite, au fil des décennies, tout a été fait. A la fin de la grève des cheminots de 86, LO a essayé de faire une organisation d'adhérents LO (cartes, timbres, etc...). Cela n'a pas duré six mois.
Dans bien des cas, et jusqu'à maintenant, les seules suites sont : soit le groupe LO (le futur parti), soit le syndicat que les militants dirigent. Les deux versions sans trop de succès. Très rares sont les grèves ou le groupe LO se renforce. Et même syndicalement, il est rare que le syndicat se renforce après la grève, victorieuse ou pas.
La dernière grève Citroën en est l'illustration, c'est la Ligue qui semble avoir recruté deux ou trois militants, et la CGT n'a pas plus de monde, plutôt moins, bien qu'une partie de la CFDT soit en train ou est passée à la CGT. À la dernière fête du syndicat, après la grève, il y avait 20 ouvriers en moins que celle de l'an dernier (où la participation était déjà plus faible que l'année précédente).
Le moralisme de LO transpire de tous ses pores. A ses yeux, lorsque les exploités ont droit à la parole, ils ne peuvent jamais être emportés par les idées dominantes et, surtout, par la puissante base matérielle de l’idéologie ennemie, la concurrence entre travailleurs sur le marché du travail et dans le procès de production. D’après cette vision, aucune bataille politique fondamentale ne traverse le corps prolétarien hormis celle pour la démocratie ouvrière, véritable levier de la conscience ouvrière
autonome.
“ L’organisation des prolétaires en classe, et par suite en parti politique, est sans cesse brisée par la concurrence des ouvriers entre eux ”, lit-on dans le Manifeste communiste. L’effort des travailleurs les plus conscients est défini par ce simple constat. Ils sont appelés, en dépit des facteurs dissolvants permanents de l’unité prolétarienne indépendante du capital, à mener bataille pour l’unification politique des classes opprimées dans une condition minoritaire de grand isolement la plupart du temps.
Cette minorité, issue elle-même des pics de la lutte de classes, ne respecte pas, a priori et pardessus tout, la démocratie ouvrière. Dans certaines circonstances, ce mécanisme peut être employé pour étouffer toute tentative de renversement de la situation de soumission au capital. La mobilisation directe de la majorité des travailleurs par ceux d’entre eux qui ont délibérément lié leur sort à la survie de l’ordre présent n’est pas une exception. Surtout dans les périodes historiques baignant dans une
relative paix sociale. Dans ces périodes, les luttes défensives ont plus de mal à générer des ferments d’indépendance de classe et, par conséquent, des éléments collectifs de conscience autonome.
Toutefois, c’est déjà dans ces phases difficiles que d’étroites minorités de travailleurs
insoumis se forment. La tâche des communistes est alors de préserver le maintien de ces minorités en aidant celles-ci par tous les moyens disponibles à accroître leur conscience révolutionnaire et à se doter d’une organisation politique embryonnaire.
“ Le mouvement politique de la classe ouvrière a naturellement pour objectif la conquête, pour elle, du pouvoir politique. Il va sans dire que, pour y parvenir, il faut une organisation
préalable, suffisamment développée, de la classe ouvrière, organisation qui surgit des luttes économiques mêmes des ouvriers ”. (Karl Marx ; Lettre à Bolte ; novembre 1871)
La conscience et l’organisation des minorités ouvrières radicales, incarnées dans ce que nous nommons les comités politiques, ne tolèrent pas d’être conditionnées par un quelconque respect de l’opinion et des formes collectives majoritaires. Elles connaissent une seule limite : celle dictée par la nécessité absolue de préparer le terrain à la mutation révolutionnaire de pans larges du mouvement prolétarien. Mue qui ne dépend pas, pour l’essentiel, de l’action déterminée des minorités ouvrières
révolutionnaires mais qui peut être franchement accélérée par cette dernière.
“ Tous les mouvements sociaux du passé ont été le fait de minorités ou ont profité à des minorités. Le mouvement prolétarien est le mouvement autonome de l’immense majorité dans l’intérêt de l’immense majorité ” (Manifeste)
Aujourd’hui, les luttes se situent sur un terrain très défensif. Isolées, elles peinent à sécréter des éléments de conscience révolutionnaire partagée y compris par des secteurs très minoritaires de travailleurs. De plus, bon nombre d’entre elles sont menées par des secteurs réduits de salariés, à l’instar de celle d’Aulnay. Le strict respect de la démocratie ouvrière aurait imposé aux salariés en grève d’arrêter très vite toute agitation.
Pire, le principe démocratique, s’il avait été appliqué à la lettre aurait conseillé à ses
promoteurs de ne rien tenter du tout. Une minorité d’ouvriers en colère en a décidé autrement. A juste raison, jusqu’au moment où elle a quitté le strict terrain de l’usine pour s’insérer dans le débat électoral présidentiel en guise de succédané du combat à mener directement sur les lignes pour arracher la nette majorité des salariés encore au travail au contrôle pressant et bien ordonné de la maîtrise.
Dans ce cadre et incidemment, la tentative d’impliquer d’autres sites et d’autres usines dans le combat d’Aulnay n’a pu que révéler l’extrême faiblesse des grévistes vis-à-vis de leur ennemi le plus direct, la direction de ‘leur’ usine. L’ambiguïté de comportement de la direction LO du comité de grève réside entièrement ici. D’une part, elle en a été réduite à appliquer la sacro-sainte démocratie ouvrière à une minorité de plus en plus petite. D’autre part, le véritable culte qu’elle voue au respect de la loi de la majorité des travailleurs l’a conduite, face aux difficultés grandissantes et bien réelles
rencontrées sur les lignes, à éviter toute confrontation.
Dans ce dernier cas, cela aurait eu pour conséquence de remettre en cause sa vision pacifiée de la lutte au sein de la classe exploitée. Il n’était donc pas question de rechercher une explication claire et directe entre grévistes et non-grévistes. Une telle explication aurait pu prendre plusieurs formes, et pas nécessairement violentes : à l’image d’un piquet de grève simplement ‘filtrant’ aux portes. Rien de tout cela n’a été proposé par les syndicalistes de LO d’Aulnay. Conséquence : l’objectif permanent et
universel de toute lutte, “ l’union de plus en plus étendue des travailleurs ” (Manifeste), n’a pas été
atteint malgré l’adoption de la position de l’autruche vis-à-vis des non-grévistes.
Le syndicalisme forcené de LO.
Dans le développement de la conception de LO des comités de grève, pourtant considérés comme le lieu privilégié d’apprentissage du “ pouvoir ouvrier ”, la question de la formation et des instituts de la conscience politique collective autonome des travailleurs n’est jamais évoquée. Il n’est pas non plus question de la relation dynamique entre luttes défensives, ‘économiques’, et lutte politique. Enfin, on n’apprend pas grand-chose non plus sur les relations entre syndicats d’Etat -
“ pompiers de l’ordre social ”
Il n’est guère dans notre intention de dresser une barrière, à la manière des léninistes
orthodoxes, entre luttes économiques et politiques. Toutefois, ces deux expressions de l’autonomie ouvrière ne sont pas réunies par un signe d’équivalence. Karl Marx fournit plusieurs pistes pour élucider ce rapport dynamique.
Dans la lettre à Bolte déjà citée, il qualifie tout d’abord de mouvement politique “ tout
mouvement dans lequel la classe ouvrière s’oppose, en tant que classe, aux classes dominantes et s’efforce d’exercer sur celles-ci une pression du dehors ”. Trois éléments caractérisent donc tout mouvement politique prolétarien :
· La classe ouvrière se reconnaît en elle-même par delà les différences et les intérêts matériels divergents.
· La classe ouvrière se reconnaît pratiquement en tant que classe en s’opposant aux classes dominantes dans leur ensemble et pas seulement à certains secteurs de celles-ci.
· La classe ouvrière ne se cantonne pas à une opposition de Sa Majesté, faite de l’intérieur du système, en en respectant les limites structurelles. Elle exerce une pression indépendante, en dehors du système, et refuse de se soumettre aux raisons des classes dominantes.
Vitales pour améliorer le quotidien de l’exploitation voire seulement retarder son augmentation, les luttes économiques isolées des salariés sont à la fois le lieu naturel de naissance des mouvements politiques indépendants du prolétariat et leur négation dialectique. La résistance quotidienne, endémique, physiologique à l’exploitation n’est pas l’objectif principal des communistes, des ouvriers autonomes.
Dans Plus-value (1865), Karl Marx conseille les ouvriers de ne pas “ exagérer le résultat final de cette lutte quotidienne ”. “ Qu’ils ne l’oublient pas ”, poursuit-il, “ Ils luttent contre les effets et non contre les causes de ces effets ; ils ne peuvent que retarder le mouvement descendant mais non en changer la direction ; ils n’appliquent que des palliatifs, mais sans guérir le mal ”.
Le premier facteur de différence entre luttes défensives et luttes politiques ouvrières se trouve dans leurs contenus respectifs : correctifs du système pour les premières ; indifférents aux compatibilités données du système ceux exprimés par les secondes.
Au XIXe siècle, la fameuse bataille internationale pour imposer la loi des 10 heures de travail par jour rentrait à plein titre dans le cadre du mouvement politique prolétarien. La revendication n’était pas, en soi et absolument, incompatible avec la survie du capitalisme. La preuve est amplement faite.
En revanche, au moment où ce combat a été mené, la satisfaction de cette revendication a remis en cause l’organisation du travail, le procès général de production, jusqu’à la forme de représentation politique des classes.
Cette bataille, par son impulsion formidable, a permis le passage de la manufacture à l’industrie moderne et d’une démocratie bourgeoise incomplète, pour la plupart réservée aux couches les plus fortunées de la population, à la république démocratique moderne, fondée sur le principe un homme, une voix. Le débouché de la bataille pour les 10 heures a été incontestablement réformiste mais le mouvement qui l’a portée avait des claires caractéristiques révolutionnaires. Tout mouvement doit être prioritairement jugé à sa dynamique et aux forces sociales qu’il incarne et pas à son épilogue ou
même, dans certaines limites, à ses objectifs formalisés.
Outre ce premier facteur discriminant, les ouvriers, enchaîne Karl Marx, doivent comprendre que “ le régime actuel, avec toutes les misères dont il les accable, engendre en même temps les conditions matérielles et les formes sociales nécessaires pour la reconstruction économique de la société ”. La société du capital a fait preuve, depuis plusieurs siècles, d’une énorme capacité spontanée ou planifiée de transformation et, surtout, d’adaptation aux pressions de la société civile et des classes opprimées. Jouer toute la partie autour de revendications plus ou moins ingérable pour le capital, voue la lutte à un échec assuré. La recherche de l’objectif ‘fatal’ pour le capital n’est qu’un mirage.
Sans donner davantage de détails, Marx identifie ici l’un des points de force du système actuel de domination de classe : sa propension à inventer des “ formes sociales nécessaires pour la reconstruction ” de sa société. L’élaboration et le perfectionnement permanents de nouvelles formes, stratégies et instituts de commandement dans l’usine et dans la société s’est révélée être l’arme
absolue pour la conservation du système existant. Ce travail incessant invalide l’espoir typiquement réformiste d’obtenir, y compris au prix de la guerre de classe la plus âpre, “ un salaire équitable pour une journée de travail équitable ”.
Ce mot d’ordre à l’apparence si raisonnable et légitime, Marx le définit ouvertement comme “ conservateur ”. Il lui oppose celui, directement “ révolutionnaire ”, de l’“ abolition du salariat ”.
Voilà fixées les limites, très étroites en vérité, placées par Marx à l’horizon revendicatif des salariés.
Traduction : les objectifs avancés dans les luttes défensives ne doivent jamais contredire le but politique général de la disparition du régime fondé sur le travail salarié.
Et LO dans tout cela ? Voici sa réponse : “ Nous participons activement aux luttes des
travailleurs, même si ceux-ci présentent des revendications avec lesquelles nous ne sommes pas d’accord : primes ; indemnités diverses ; augmentations hiérarchisées ; etc. ”. Seules sont exclues de son champ d’action les luttes pour des revendications “ carrément réactionnaires ”, type celles pour le licenciement des travailleurs immigrés.
Prisonniers de leur démocratisme à tout crin, après avoir défendu leur “ point de vue ”, les militants de LO “ se soumettent à la décision des travailleurs et respectent les revendications telles qu’elles sont formulées par eux ”. C’est le meilleur apprentissage du syndicalisme : jamais (ou presque) minoritaires ; toujours à la traîne de la majorité. Quant au “ point de vue ” spécifique à l’organisation trotskiste défendu avant que les choses sérieuses commencent, nous n’en saurons pas davantage. Nous n’en saurons rien non plus sur la position de LO sur l’orientation politique de la lutte
et de l’organisation défensive.
Les syndicats, jadis taxés de pompiers sociaux mais sans grandes conséquences pratiques dans le rapport entre l’organisation trotskiste et ces derniers, deviennent progressivement dans les écrits et les discours de LO des organes neutres dirigés par des bureaucrates qu’il faut conquérir. Aucune critique sur leur fonction intrinsèque n’est formulée à leur encontre. Ni avant, à l’époque des syndicats taxés de “ pompiers sociaux ”, ni après, quand ils prétendront que les comités de grève ne doivent pas
“ apparaître comme des machines antisyndicales ”.
Pourtant Karl Marx avait été suffisamment explicite à cet égard :
“ Les syndicats agissent utilement en tant que centres de résistance aux empiètements du capital ; ils se montrent en partie inefficaces par suite de l’emploi peu judicieux qu’ils font de leur puissance. Ils manquent généralement leur but parce qu’ils se bornent à une guerre d’escarmouches contre les effets du régime existant, au lieu de travailler en même temps à sa transformation et de se servir de leurs forces organisées comme d’un levier pour l’émancipation définitive de la classe travailleuse,
c’est-à-dire pour abolir enfin le salariat ”. (Plus-value ; 1865)
A l’époque où Marx écrit ces lignes, les syndicats n’avaient pas encore été absorbés par l’Etat capitaliste. Ils étaient encore des instituts ouvriers indépendants du soi-disant intérêt général,
traduction idéologique des intérêts exclusifs des classes dominantes. Même dans ces circonstances, Marx n’épargne pas la critique du syndicalisme de classe qui déconnectait les luttes quotidiennes défensives des mouvements politiques du prolétariat. Il affirmait que les organisations défensives des ouvriers étaient “ plus importantes en tant que force organisée pour hâter l’abolition du système
même du salariat ” qu’en tant qu’instruments “ indispensables dans la guerre d’escarmouches quotidienne entre le capital et le travail ”. (Résolutions de l’AIT ; 1868)
Dit autrement et en tenant compte du contexte présent d’intégration achevée depuis près d’un siècle des anciens syndicats de classe aux Etats des pays capitalistes les plus développés, les organes ouvriers défensifs qui surgissent des luttes économiques les plus déterminées doivent comprendre, en utilisant encore les mots de Karl Marx, “ leur pouvoir offensif contre le système d’esclavage du salariat et contre le mode de production actuel ”. (idem) Il faut, en somme, qu’“ en dehors de leurs
buts primitifs ”, les syndicats (hier) et les organes défensifs autonomes (aujourd’hui) “ apprennent à agir de manière plus consciente en tant que foyers d’organisation de la classe ouvrière dans l’intérêt puissant de leur émancipation complète ”.
D
alexi- Messages : 1815
Date d'inscription : 10/07/2010
Re: CITROEN AULNAY, PRINTEMPS 2007 : retour sur la grève
Voici la fin du texte :
D’instituts qui se chargent de l’organisation de la résistance au capital, ces organes sont appelés à devenir, dans et par les combats défensifs, les représentants formels du processus de formation politique du prolétariat. Et ce en reconnaissant en priorité les limites intrinsèques d’une guerre qui s’attaquerait aux seuls effets de l’exploitation. De ces lieux privilégiés de l’émancipation ouvrière en devenir peuvent naître les embryons de l’organisation révolutionnaire préalable et stable du prolétariat, ce que nous appelons les comités politiques.
Les organes défensifs autonomes, tels les comités de grève, sont éphémères car expression directe de luttes qui ont un début mais aussi une fin. De plus, la grande capacité actuelle d’intégration à l’Etat des organisations nouvelles de défense des travailleurs rend pratiquement impossible la reconstitution de syndicats de classe durablement indépendants. Toutefois, l’apparition de ces instituts temporaires d’expression ouvrière offre aux travailleurs les plus déterminés la possibilité de se
constituer, dans leur sillage, en minorité directement organisée sur le terrain politique.
“ La coalition des forces ouvrières déjà obtenue par les luttes économiques doit aussi servir de levier aux mains de cette classe dans sa lutte contre le pouvoir politique de ses exploiteurs ”. Et encore : “ Dans l’état militant de la classe ouvrière, son mouvement économique et son action politique sont indissolublement unis ”. (Résolutions de l’AIT ; 1871)
L’articulation entre lutte économique et combat politique se fait tout d’abord dans l’usine même, sur les lieux de travail, et ne se conçoit pas comme négation sèche de l’une par l’autre ou inversement. La force et l’extension du tissu de comités politiques dépendent ainsi directement à la fois de la capacité à développer des mouvements défensifs amples et décidés et de la volonté d’unification politique que les minorités ouvrières conscientes issues sauront alors exprimer.
Cette dynamique et cette dialectique vitale de la classe exploitée n’intéressent guère LO, ancrée à la conception typiquement sectaire que le parti politique prolétarien est le fruit du recrutement et de l’action éclairante du groupe et que la défense quotidienne des travailleurs est de compétence exclusive des syndicats “ pompiers sociaux ” ou, parfois, de comités de grève fugaces et dévitalisés à la manière de celui d’Aulnay.
Bruxelles-Paris, le 3 octobre 2007
Pour toute correspondance écrire, sans autre mention, à : BP 1666, Centre Monnaie 1000, Bruxelles
1, Belgique.
Consulter le site Internet de Mouvement Communiste : www.mouvement-communiste.com
D’instituts qui se chargent de l’organisation de la résistance au capital, ces organes sont appelés à devenir, dans et par les combats défensifs, les représentants formels du processus de formation politique du prolétariat. Et ce en reconnaissant en priorité les limites intrinsèques d’une guerre qui s’attaquerait aux seuls effets de l’exploitation. De ces lieux privilégiés de l’émancipation ouvrière en devenir peuvent naître les embryons de l’organisation révolutionnaire préalable et stable du prolétariat, ce que nous appelons les comités politiques.
Les organes défensifs autonomes, tels les comités de grève, sont éphémères car expression directe de luttes qui ont un début mais aussi une fin. De plus, la grande capacité actuelle d’intégration à l’Etat des organisations nouvelles de défense des travailleurs rend pratiquement impossible la reconstitution de syndicats de classe durablement indépendants. Toutefois, l’apparition de ces instituts temporaires d’expression ouvrière offre aux travailleurs les plus déterminés la possibilité de se
constituer, dans leur sillage, en minorité directement organisée sur le terrain politique.
“ La coalition des forces ouvrières déjà obtenue par les luttes économiques doit aussi servir de levier aux mains de cette classe dans sa lutte contre le pouvoir politique de ses exploiteurs ”. Et encore : “ Dans l’état militant de la classe ouvrière, son mouvement économique et son action politique sont indissolublement unis ”. (Résolutions de l’AIT ; 1871)
L’articulation entre lutte économique et combat politique se fait tout d’abord dans l’usine même, sur les lieux de travail, et ne se conçoit pas comme négation sèche de l’une par l’autre ou inversement. La force et l’extension du tissu de comités politiques dépendent ainsi directement à la fois de la capacité à développer des mouvements défensifs amples et décidés et de la volonté d’unification politique que les minorités ouvrières conscientes issues sauront alors exprimer.
Cette dynamique et cette dialectique vitale de la classe exploitée n’intéressent guère LO, ancrée à la conception typiquement sectaire que le parti politique prolétarien est le fruit du recrutement et de l’action éclairante du groupe et que la défense quotidienne des travailleurs est de compétence exclusive des syndicats “ pompiers sociaux ” ou, parfois, de comités de grève fugaces et dévitalisés à la manière de celui d’Aulnay.
Bruxelles-Paris, le 3 octobre 2007
Pour toute correspondance écrire, sans autre mention, à : BP 1666, Centre Monnaie 1000, Bruxelles
1, Belgique.
Consulter le site Internet de Mouvement Communiste : www.mouvement-communiste.com
alexi- Messages : 1815
Date d'inscription : 10/07/2010
Re: CITROEN AULNAY, PRINTEMPS 2007 : retour sur la grève
Daniel Bénard, que j'ai bien connu, était un militant ouvrier très estimable, mais, à mon avis, un piètre théoricien, passé du trotskysme-LO sans la moindre nuance à un groupe ultra-gauche néo bordiguiste, dont l'activité essentielle consiste à publier des textes et dont l'expérience de terrain est très, très limitée.
Si je n'hésite jamais à critiquer LO sans la moindre concession, il me semble que la critique que Daniel fait de LO à propos de la grève de Citroën Aulnay, à laquelle la Fraction minoritaire de LO a aussi participé, ne me semble pas du tout pertinente.
Si je n'hésite jamais à critiquer LO sans la moindre concession, il me semble que la critique que Daniel fait de LO à propos de la grève de Citroën Aulnay, à laquelle la Fraction minoritaire de LO a aussi participé, ne me semble pas du tout pertinente.
verié2- Messages : 8494
Date d'inscription : 11/07/2010
Re: CITROEN AULNAY, PRINTEMPS 2007 : retour sur la grève
Déjà je voudrais vérifier que j'ai bel et bien compris que ce que Daniel Bénard reprochait à LO sur cette question des comités de grèves, le texte ne m'étant pas apparu très clair :
- le fait que les comités de grève ne se construisent pas " contre " les syndicats, que les militants trotskistes ne cherchent pas à exposer aux ouvriers le rôle néfaste des syndicats
- de manière générale le fait que les militants ne politisent pas assez les comités de grève qui peuvent du coup être perçus et devenir des palliatifs à la faiblesse d'implantation des syndicats français
- dans le cadre de la grève à Aulnay, le refus d'aller bloquer la production, de faire des piquets de grève, l'attentisme vis à vis de la masse des ouvriers qui continuaient à bosser
C'est les trois gros points que j'ai relevé mais il y en a peut-petre d'autres et je ne suis même pas sûr d'avoir bien résumé les 3 points en respectant le propos de l'auteur.
- le fait que les comités de grève ne se construisent pas " contre " les syndicats, que les militants trotskistes ne cherchent pas à exposer aux ouvriers le rôle néfaste des syndicats
- de manière générale le fait que les militants ne politisent pas assez les comités de grève qui peuvent du coup être perçus et devenir des palliatifs à la faiblesse d'implantation des syndicats français
- dans le cadre de la grève à Aulnay, le refus d'aller bloquer la production, de faire des piquets de grève, l'attentisme vis à vis de la masse des ouvriers qui continuaient à bosser
C'est les trois gros points que j'ai relevé mais il y en a peut-petre d'autres et je ne suis même pas sûr d'avoir bien résumé les 3 points en respectant le propos de l'auteur.
Zappa- Messages : 146
Date d'inscription : 25/07/2010
Re: CITROEN AULNAY, PRINTEMPS 2007 : retour sur la grève
Daniel, dans ce texte, semble reprocher à LO ne pas avoir tout fait pour étendre la lutte, après avoir cependant reconnu que tout avait été fait pendant les 15 premiers jours. Le drame ce cette lutte, c'est en effet qu'elle n'a entraîné que 500 ouvriers tout au plus sur 4500.
Dans ces conditions, les chances de succès étaient tout de même limitées, alors que même des luttes entraînant la majorité d'une entreprise, mais isolées des autres, rencontrent les plus grandes difficultés.
Ce reproche est donc, à mon avis, injuste. Ensuite, reproche encore plus injuste : celui d'avoir mis la lutte à la remorque de la campagne électorale en faisant venir Olivier et Arlette. S'ils n'étaient pas venus, on aurait pu le leur reprocher au contraire. Et on ne voit pas en quoi ce déplacement à nui si peu que ce soit à la lutte. C'est, à mon avis, une critique tout à fait "gauchiste".
Daniel reproche aussi au comité de grève dirigé par LO d'avoir "fait sortir les ouvriers de l'usine". Certes, les actions de popularisation extérieure, telles d'ailleurs que la CGT en mène régulièrement, ont leurs limites. Mais c'est tout de même une tentative d'étendre le mouvement à d'autres entreprises, bien que les chances soit faibles. Et surtout, ce n'est en aucun cas la raison pour laquelle la majorité des autres ouvriers de Citroen Aulnay ne se sont pas mis en grève.
Restait la possibilité d'entraîner la minorité essayer de bloquer le fonctionnement de l'ensemble de l'usine, ce qui aurait inévitablement déclenché des affrontements, une répression etc. Faire preuve de prudence, ne pas exposer les travailleurs, ce n'est pas nécessairement faire preuve de "démocratisme", ni être timoré... C'est aussi mesurer le rapport de forces.
Enfin, Daniel essaie de relier sa critique de la conduite de la grève à une critique du trotskysme en général et de LO en particulier, et là son propos sombre vraiment dans la confusion. Non que le trotskysme version LO ne soit pas criticable, mais il ne parvient pas à établir un lien sérieux, crédible entre ces critiques. Par exemple, sa référence à des "comités politiques", qu'il reproche à LO de ne pas avoir créés, n'est pas claire et on ne voit pas en quoi ces comités auraient pu modifier le cours de la grève, ni même en quoi ils auraient permis à LO d'aider un plus grand nombre d'ouvriers à acquérir une conscience politique communiste.
La seule chose juste est que LO a mis un peu d'eau dans son vin par rapport aux comités de grève dpeuis qu'un certain nombre de ses militants jouent un rôle dirigeant au sein de la CGT et d'autres syndicats. LO a tendance à mettre moins souvent en avant le principe du comité de grève, comme par exemple lors des grèves de la SNCF. Mais, d'une part, dans le cas de la grève d'Aulnay, LO a justement mis en place un comité de grève ; d'autre part la référence à la grève Renault de 47 est vraiment inappropriée car, à cette époque, la CGT jouait carrément le rôle de garde-chiourme au service du gouvernement (avec participation du PCF) et donc du patronat.
Bref, s'il est possible que certains points de l'intervention de LO dans ce mouvement puissent être discutés, car tout choix tactique a toujours des avantages et des inconvénients, le texte de Daniel me semble vraiment à côté de la plaque. Ce qu'on ne peut que déplorer de la part de ce militant ouvrier resté fidèle à ses convictions jusqu'à ses derniers jours.
D'une façon générale, sauf quand il s'agit de critiquer la politique de directions syndicales qui divisent et cassent volontairement les luttes de façon évidente pour tout militant communiste révolutionnaire un peu expérimenté, la critique précise et sérieuse d'une tactique de lutte est toujours difficile de l'extérieur, quand on ne dispose que d'informations obtenues de quelques contacts épisodiques, sans disposer de militants intervenant directement et capables de bien mesurer l'état d'esprit de leurs camarades, le rapport de forces etc. Il me semble donc que Daniel, sous l'influence de son groupe, s'est livré à un exercice trop ambitieux et périlleux. Du temps où il militait lui-même au sein de l'Alsthom ou de Renault, je ne suis pas certain qu'il aurait vu les choses de la même façon...
Dans ces conditions, les chances de succès étaient tout de même limitées, alors que même des luttes entraînant la majorité d'une entreprise, mais isolées des autres, rencontrent les plus grandes difficultés.
Ce reproche est donc, à mon avis, injuste. Ensuite, reproche encore plus injuste : celui d'avoir mis la lutte à la remorque de la campagne électorale en faisant venir Olivier et Arlette. S'ils n'étaient pas venus, on aurait pu le leur reprocher au contraire. Et on ne voit pas en quoi ce déplacement à nui si peu que ce soit à la lutte. C'est, à mon avis, une critique tout à fait "gauchiste".
Daniel reproche aussi au comité de grève dirigé par LO d'avoir "fait sortir les ouvriers de l'usine". Certes, les actions de popularisation extérieure, telles d'ailleurs que la CGT en mène régulièrement, ont leurs limites. Mais c'est tout de même une tentative d'étendre le mouvement à d'autres entreprises, bien que les chances soit faibles. Et surtout, ce n'est en aucun cas la raison pour laquelle la majorité des autres ouvriers de Citroen Aulnay ne se sont pas mis en grève.
Restait la possibilité d'entraîner la minorité essayer de bloquer le fonctionnement de l'ensemble de l'usine, ce qui aurait inévitablement déclenché des affrontements, une répression etc. Faire preuve de prudence, ne pas exposer les travailleurs, ce n'est pas nécessairement faire preuve de "démocratisme", ni être timoré... C'est aussi mesurer le rapport de forces.
Enfin, Daniel essaie de relier sa critique de la conduite de la grève à une critique du trotskysme en général et de LO en particulier, et là son propos sombre vraiment dans la confusion. Non que le trotskysme version LO ne soit pas criticable, mais il ne parvient pas à établir un lien sérieux, crédible entre ces critiques. Par exemple, sa référence à des "comités politiques", qu'il reproche à LO de ne pas avoir créés, n'est pas claire et on ne voit pas en quoi ces comités auraient pu modifier le cours de la grève, ni même en quoi ils auraient permis à LO d'aider un plus grand nombre d'ouvriers à acquérir une conscience politique communiste.
La seule chose juste est que LO a mis un peu d'eau dans son vin par rapport aux comités de grève dpeuis qu'un certain nombre de ses militants jouent un rôle dirigeant au sein de la CGT et d'autres syndicats. LO a tendance à mettre moins souvent en avant le principe du comité de grève, comme par exemple lors des grèves de la SNCF. Mais, d'une part, dans le cas de la grève d'Aulnay, LO a justement mis en place un comité de grève ; d'autre part la référence à la grève Renault de 47 est vraiment inappropriée car, à cette époque, la CGT jouait carrément le rôle de garde-chiourme au service du gouvernement (avec participation du PCF) et donc du patronat.
Bref, s'il est possible que certains points de l'intervention de LO dans ce mouvement puissent être discutés, car tout choix tactique a toujours des avantages et des inconvénients, le texte de Daniel me semble vraiment à côté de la plaque. Ce qu'on ne peut que déplorer de la part de ce militant ouvrier resté fidèle à ses convictions jusqu'à ses derniers jours.
D'une façon générale, sauf quand il s'agit de critiquer la politique de directions syndicales qui divisent et cassent volontairement les luttes de façon évidente pour tout militant communiste révolutionnaire un peu expérimenté, la critique précise et sérieuse d'une tactique de lutte est toujours difficile de l'extérieur, quand on ne dispose que d'informations obtenues de quelques contacts épisodiques, sans disposer de militants intervenant directement et capables de bien mesurer l'état d'esprit de leurs camarades, le rapport de forces etc. Il me semble donc que Daniel, sous l'influence de son groupe, s'est livré à un exercice trop ambitieux et périlleux. Du temps où il militait lui-même au sein de l'Alsthom ou de Renault, je ne suis pas certain qu'il aurait vu les choses de la même façon...
verié2- Messages : 8494
Date d'inscription : 11/07/2010
Grève PSA Aulnay 2007
La politique des trotskistes pendant la grève 2007 à PSA Aulnay
Voici deux textes, l’un théorique l’autre romanesque écrit par deux militants revenus du trotskisme. Ils soulignent tout deux le naufrage de cette idéologie en France.
Texte 1
Le comité de grève d’Aulnay, un organisme inutile à la lutte politique ouvrière
La direction de la grève
La lutte montre les limites de l‟auto-organisation quand celle-ci n‟est pas clairement
inspirée par l‟objectif stratégique de l‟indépendance politique des travailleurs.
A la tête de la lutte, Lutte Ouvrière a mis les petits plats dans le grands pour que le
comité de grève réponde formellement en tous points à l‟exigence de la plus grande
démocratie ouvrière. “ Nous avons élu un Comité de grève d‟une centaine de travailleurs
pour diriger la grève. Ainsi, toutes les décisions ont été discutées tout au long de la grève
dans ce Comité qui se réunissait deux fois par jour, plus d‟une heure à chaque fois. … Les
propositions du Comité étaient adoptées par l‟assemblée générale qui se réunissait après
chaque Comité. Tout a été discuté, de la plus petite décision aux plus importantes. … Le
96
Comité de grève a permis d‟organiser la grève dans l‟unité et de répondre au coup par coup
à la politique de la direction ”, a expliqué Philippe Julien, militant de LO et secrétaire de la
CGT de PSA Peugeot-Citroën Aulnay, lors du meeting du 15 avril 2007, au Zénith, d‟Arlette
Laguiller, candidate à l‟élection présidentielle française pour la formation trotskiste.
Ces propos correspondent à la vérité. Le fonctionnement du Comité de grève y est
bien décrit. La relation entre cet organisme et les quelques 400 à 500 grévistes ne s‟est jamais
interrompue tout au long des six semaines de conflit. A aucun moment, des ouvriers en lutte
n‟ont exprimé leur insatisfaction vis-à-vis du Comité. Pourtant, la dynamique de ce dernier a
été l‟un des facteurs qui ont empêché tout développement réellement autonome de la lutte et,
surtout, la mise sur pieds des premiers éléments d'organisation politique indépendante dans
l‟usine. Le Comité de grève “ a été un véritable laboratoire d‟idées. Un ouvrier a d‟ailleurs
surnommé la salle où se réunissait le Comité : L‟école de la grève ”, a indiqué Philippe
Julien.
C‟est le point crucial. Quel genre d‟idées a été élaboré dans cet organisme ? Proposé
aux ouvriers grévistes dès le deuxième jour de grève par des militants de LO, il est d‟emblée
l‟expression d‟une grande ambiguïté : le Comité est certes un instrument des travailleurs mais
plusieurs sections syndicales de l‟usine, celles de la CGT, de SUD, de la CFDT et de
l‟UNSA19, sont présentes en son sein en tant que telles. Ce n‟est pas formel. Leur adhésion
explicite coïncide avec la volonté de garder, par l‟intermédiaire du Comité, le contact avec les
travailleurs en lutte et de maintenir le conflit dans un cadre compatible avec l‟action syndicale
classique des élus et des délégués syndicaux de l‟usine.
“ A la fin de la grève, alors que le Comité débat sur le fait de signer, ou pas, un
protocole de fin de conflit avec la direction, un délégué de SUD explique sèchement que, quoi
qu‟il arrive, son syndicat ne signera pas l‟accord. Un gréviste lui répond plus sèchement
encore : Tu n‟as pas compris encore ? C‟est le Comité de grève qui dirige la grève. Pas les
syndicats. Alors SUD fera ce que le Comité décidera ”, lit-on dans la brochure de LO dédiée
à la lutte d‟Aulnay. Ces propos reflètent bien les relations qui se sont établies entre
travailleurs en grève, syndicats et Comité.
Le délégué de SUD, en affirmant que son syndicat fera à sa guise dans un moment
décisif du conflit comme celui de la reprise du travail, ramène le Comité à une simple
fonction d‟accompagnement des ouvriers dans leur grève. Instance certes d‟expression libre
des travailleurs mais pas organe doté de l‟autorité complète sur le conflit. Au Comité, la
gestion de l‟intendance de l‟agitation ; aux syndicats, le “ business ” central de la négociation
et de l‟orientation générale.
Quant à l‟ouvrier qui s‟insurge contre le délégué de SUD, il montre qu‟il n‟a pas
compris le rôle réel des syndicats, institutions officielles de négociation du prix de la force de
travail mais respectueuses de la domination générale du capital. Pour ce travailleur, le Comité
est tout simplement le nouveau syndicat, plus démocratique et plus proche de lui, ou, mieux,
la nouvelle Intersyndicale enfin ouverte aux ouvriers.
A aucun moment, la discussion sur la nature des syndicats, y compris dans leur version
la plus combative, n‟a été mise à l‟ordre du jour de la réflexion entre travailleurs en lutte. Les
dirigeants LO de la grève auraient difficilement pu apporter la lumière sur ce point sans
saboter la position de CGT dont ils sont à la tête à Aulnay.
Aucune minorité ouvrière n‟a, au travers de cette bataille pour le salaire, entrevu la
possibilité de lui donner une dimension politique en la corrélant à la guerre de classe contre la
dictature du capital dans l‟usine et dans la société. La preuve ? Peu à peu mais
inexorablement, les travailleurs en lutte ont abandonné le terrain de l‟usine et de la production
aux non grévistes et aux chefs. Incapables dès la deuxième semaine de grève de gagner des
19 Syndicats qui, sauf la CGT, avaient signé un accord salarial avec la Direction deux jours plus tôt.
97
nouvelles adhésions à la grève parmi les ouvriers des lignes de montage, les grévistes ont opté
pour la lutte “ citoyenne ”, faite de manifestations extérieures à l‟usine, de demandes de
solidarité aux Mairies et d‟appels de soutien aux candidats de gauche à l‟élection
présidentielle.
“ Vu que la grève ne s‟étendait pas dans l‟usine, la question s‟est rapidement posée au
Comité de grève et dans les assemblées générales : faut-il bloquer les chaînes et mettre en
place des piquets de grève ? ”, s‟interroge LO. La question est d‟autant plus pertinente que,
“ dès la deuxième semaine, un certain nombre de grévistes, de toutes les générations, y sont
plutôt favorables ”, reconnaît l‟organisation trotskiste.
Et encore : “ l‟idée de bloquer les chaînes par la force va aller et venir, reculer et
revenir sporadiquement tout au long de la grève. Finalement, cela s‟est beaucoup discuté, et
c‟est démocratiquement que le Comité de grève a décidé de ne pas le faire ”. Voilà la réponse
désarmante de LO : “ Bien sûr, les militants ouvriers ne peuvent qu‟être favorables à ce que
la production soit bloquée – ce qui touche le patron au coeur, c‟est-à-dire au portefeuille.
Mais à condition que ce blocage soit fait de façon consciente, et non imposé par une minorité
contre l‟avis de la majorité – et moins encore à coups de matraques ”. Récapitulons. Oui au
blocage, mais conscient et pas contre l‟avis de la majorité.
Pour LO, la conscience émane exclusivement de l‟organisation communiste, c‟est-àdire
d‟elle-même. Or, les militants de LO ont systématiquement combattu dans le Comité et
dans les assemblées générales toute proposition de durcissement du mouvement, prétextant
que “ la direction de Citroën elle-même n‟aurait certainement pas été mécontente d‟un tel
blocage – au point que quelques-uns de ses mouchards ne se privaient pas de militer sur ce
terrain ”
Le discours de LO s‟embrouille un peu plus : bloquer la production touche le patron
au coeur … mais bloquer la production à Aulnay aurait fait le jeu du patron. Pas moyen, dans
ces conditions, d‟obtenir des titulaires de la conscience, le feu vert à la radicalisation du
mouvement. Puis, il y a le fait incontournable que, dès la deuxième semaine, la lutte ne
s‟enracinait pas, avec une nette majorité de travailleurs de l‟usine qui continuaient de
travailler. Si la loi de la majorité était si astreignante, pourquoi persister dans un bras de fer
qui a coûté si cher aux grévistes pour des gains matériels si limités ?
La solution proposée par LO pour répondre à cette nouvelle énigme est de “ sortir de
l‟usine ”, autrement dit, laisser le champ libre au patron, et de mettre en place une caisse de
solidarité. La campagne électorale bat son plein. Plusieurs candidats, dont la socialiste
Ségolène Royal, rendent visite aux grévistes aux portes de l‟usine. L‟illusion du battage
médiatique s‟installe. On se voit à la télé.
Puis, c‟est l‟érosion des bataillons déjà affaiblis des grévistes. Au fil des jours de grève, 300
d‟entre eux, la mort dans l‟âme, reprennent en catimini le travail. La solidarité de façade de la
majorité des ouvriers de l‟usine, ceux qui n‟ont jamais cessé de travailler, disparaît. Le
Comité de grève, sa démocratie interne, son ouverture, etc. n‟y peuvent rien. Pas plus
d‟ailleurs que les militants “ conscients ” de LO.
La défaite est dans les têtes mais on préfère parler de victoire “ morale ”. Le Comité
de grève disparaît naturellement avec la fin de la grève. Les syndicats prennent le relais. En
parfaite intelligence. Des sursauts d‟orgueil dans les ateliers se manifestent ici et là après la
reprise. Des grèves localisées apparaissent. Signe que les grévistes sortent battus mais pas
terrassés. Quant à leur expression politique indépendante dans l‟usine, elle est toujours
inexistante. A cet égard, la longue grève de six semaines aura été une nouvelle occasion
perdue. Trop faible et isolée, la lutte défensive d‟Aulnay n‟a pas produit d‟éléments organisés
de conscience collective révolutionnaire.
LO, de son côté, n‟a pas tort de se réjouir. Elle aura fait une nouvelle démonstration que
l‟autonomie politique de la classe ouvrière est l‟affaire des groupes politiques et pas des
98
travailleurs eux-mêmes. Dans la foulée, l‟organisation trotskiste a apporté au syndicat un petit
bol d‟oxygène supplémentaire au moyen de l‟exercice d‟une réelle démocratie ouvrière
formelle incarnée par le Comité de grève.
Une autre voie : les comités politiques
La voie des comités politiques d‟usine, de chantier, de bureau et de quartier est
radicalement différente. Elle suppose que des minorités d‟ouvriers étendent la lutte jusqu‟à lui
donner une forme politique explicite, par l‟organisation de comités. La compréhension, par
ces comités, de la nature générale de lutte de classes est emblématique de tout combat
défensif des travailleurs contre le capital.
Une séparation nette entre la lutte “ syndicale ” pour des revendications immédiates
organisées par des instituts ad hoc et la lutte politique contre la dictature du capital dirigée par
le parti dont émane la conscience révolutionnaire, ne traduit pas la réalité historique et
toujours actuelle de la lutte de classes. Les ouvriers apprennent la critique du système qui les
opprime en se battant pied à pied, sur leurs lieux d‟exploitation, pour se défendre contre tel ou
tel aspect particulier du système capitaliste.
Au cours de leur lutte, ils sont amenés à se doter d‟instruments divers, théoriques et
pratiques, pour affiner leur compréhension de l‟ennemi et des rapports sociaux qui les
accablent. La conscience, mieux, des éléments de conscience de soi, naissent ainsi des luttes
dites quotidiennes ou élémentaires. Ces éléments de conscience restent le plus souvent épars,
non exprimés, et encore moins traduits en organisation surtout quand, comme dans le cas
d‟Aulnay, l‟isolement et la faiblesse du camp des travailleurs en mouvement l‟emportent.
Mais il ne faut pas non plus sous-estimer le rôle négatif joué par les trop nombreux
représentants autoproclamés des ouvriers, de LO (dans le cas d‟Aulnay) aux autres gauchistes
(dans d‟autres luttes), en passant par les syndicats et les grands partis de gauche. Sans
exagérer l‟impact de leur action de pompiers politiques Ŕ les travailleurs ont su les balayer à
plusieurs occasions dans l‟histoire du mouvement ouvrier -, ces formations oeuvrent sans
relâche à ce que la double nature de la classe ouvrière, force de travail pour le capital et force
motrice du dépassement des sociétés divisées en classes opposées, se transforme en
opposition inconciliable.
Les communistes, en revanche, agissent pour que cette double nature devienne le
principal facteur de subversion du présent en transformant les nécessaires actions défensives
en préparation de l‟élan révolutionnaire et en oeuvrant à la constitution des organes
prolétariens du parti de classe. Ce processus n‟est en rien continu et ascendant. Il n‟est pas
encore partagé par les salariés. Les premières minorités de travailleurs qui parviennent à
s‟installer sur le terrain politique indépendant sont combattues par le capital, ses Etats et ses
appendices de gauche et d‟extrême gauche avec la plus grande détermination.
Des reculs incessants et des défaites répétées viennent interrompre la constitution du
prolétariat en classe pour soi. Pourtant, la classe ouvrière continue de vivre et de s‟étendre.
Son potentiel révolutionnaire ne peut pas être tari une fois pour toutes. Le capital lui-même a
bien appris la leçon en tentant régulièrement de l‟utiliser pour assurer son propre
développement. Mais la double nature de la classe ouvrière ne peut pas être supprimée. La
révolution pointe son nez chaque fois que les travailleurs s‟insurgent et luttent pour leurs
propres intérêts immédiats. Saisir cette réalité, la valoriser et la renforcer dans la mesure du
possible est la tâche spécifique des communistes aujourd‟hui.
LO et les comités de grève
Depuis toujours, l'organisation Lutte Ouvrière fait des comités de grève la pierre
angulaire de son action au sein des luttes de classe. Pour elle, cette forme d‟organisation
permet aux travailleurs d‟apprendre, naturellement grâce à l'intervention de l'organisation LO,
à “ diriger eux-mêmes leurs luttes, à les prendre en mains dans les moindres détails ”. La
formation trotskiste prétend que les comités de grève permettent aux salariés un
99
“ apprentissage du pouvoir ouvrier ”, développent “ la démocratie ouvrière ” dont ils sont
“ l'école ” et font que les mouvements soient “ plus efficaces ” en cas de collision avec les
organisations syndicales. Seule l'assemblée générale des grévistes est souveraine sur le comité
de grève, “ véritable gouvernement ouvrier de la grève ”, souligne LO.
Avec le temps, en renforçant sa présence dans les appareils syndicaux, LO a mis
beaucoup d'eau dans le vin de l'autonomie des comités de grève par rapport aux syndicats.
Dans un texte interne plus récent de celui cité plus haut, on lit que “ le comité de grève ne doit
pas apparaître comme une machine antisyndicale, mais comme une forme d'organisation à la
fois plus unitaire et donc plus efficace, parfaitement adaptée à une situation de lutte où tout le
monde, syndiqué ou non, participe ”.
Pourtant, dans le même écrit, LO définit toujours la fonction du syndicat comme
“ pompier de l'ordre social ”, incapable “ d'aller au bout des luttes et de leurs possibilités ”
car il ne veut aucunement “ compromettre réellement le fonctionnement de la machine
d'exploitation bourgeoise ”. Malgré cela, toutefois, en bons trotskistes, les militants de LO ne
veulent pas, “ dans la grève ”, adopter “ une attitude gauchiste, antisyndicale ”. Et ce afin de
“ tenir compte des sentiments des travailleurs et essayer d'entraîner les militants syndicaux et
les syndicats dans le comité de grève aussi loin que possible dans le mouvement, tout en
préparant les plus conscients au moment probable où les syndicats lâcheront le mouvement ”.
LO fournit une clé de lecture supplémentaire, décisive peut-être, de la relation entre syndicats
“ pompiers sociaux ” et comités de grève en déclarant que, “ dans un pays comme la France,
où les syndicats sont minoritaires dans la classe ouvrière, ils ne peuvent même pas prétendre
représenter les travailleurs lorsqu‟ils entrent en lutte ”. Les comités de grève, si l‟on s‟en
tient à ce constat apparemment incolore, s‟imposent afin de combler le défaut de
représentativité des “ pompiers sociaux ”. Ils seraient donc des simples supplétifs des
syndicats…. Ici, on n‟est probablement pas très loin de la vérité.
Quoi qu‟il en soit des relations des comités de grève avec les syndicats, l'apprentissage
du pouvoir ouvrier fait au travers de ces comités permettra de “ constituer l'avant-garde
ouvrière, consciente, expérimentée, appelée demain à jouer un rôle décisif dans les combats
de classe ”. Si l'on s'en tient à cela, le comité de grève, donc, est l'outil essentiel pour
l'apparition et la formation de véritables militants ouvriers. A aucun moment, cependant, LO
ne précise les tâches politiques qu'il assigne à ces organes. On dirait qu'il suffit que les
travailleurs prennent leurs mouvements en mains via ces comités et l'assemblée générale
souveraine en les poussant de l'avant le plus possible pour qu'il en naisse l'avant-garde
consciente et expérimentée, donc politique. Autrement dit, l'autonomie politique de la classe
ouvrière serait le produit direct de la généralisation des comités de grève et de la démocratie
ouvrière.
Quel que soit le moment de la longue histoire de LO, cette conception
fondamentalement syndicaliste de l'indépendance politique des travailleurs représente le fil
conducteur de son intervention dans les luttes. L'organisation trotskiste sous-estime
clairement la capacité des syndicats de faire leurs, lorsque leur emprise est sérieusement
menacée, les objectifs et même les formes de lutte les plus radicales des combats défensifs des
salariés. Parallèlement, LO surestime leur représentativité au sein de la classe en adoptant, au
fil du temps, la tactique entriste classique des trotskistes arrosée d'appels constants à l'unité
syndicale la plus large. Par-là, elle contribue à faire des comités de grève des Intersyndicales
élargies aux travailleurs, où les confédérations peuvent être représentées en tant que telles.
Elle oeuvre donc pour revitaliser les syndicats, définis pourtant par ailleurs comme des piliers
de l'ordre capitaliste. Mais ces critiques, certes fondées, ne suffisent pas à définir la
conception lénifiante et essentiellement syndicaliste que LO a de la lutte de classes et du
processus à l'organisation politique ouvrière.
100
VO/LO et les comités de grève
En la matière, et dans bien d'autres, l'élément fondateur est la grève d‟avril-mai 1947 à
l‟usine Renault de Billancourt.
Au fil du temps, VO/LO a un peu mythifié l'évènement qui ne se traduisit pas du tout par une
victoire revendicative, contrairement à ce qui a été propagé par la suite. Bois écrivait
d‟ailleurs dans La révolution prolétarienne ( revue dirigée par Pierre Monatte) de juin 1947
que : “ nous avons repris le travail avec l‟aumône de 3 francs de “prime” ”
Il n'empêche que politiquement, ce fut la grève la plus importante de l'immédiat après guerre
qui conduisit Auriol, président de la république, à virer les communistes du gouvernement
(avec le début de la guerre froide qui était là).
Cela dit, au niveau de l'organisation de la grève, son déclenchement et sa conduite, il y
a nombre d'éléments qui sans avoir besoin d'être enjolivés, étaient exemplaires ; et ont été
transmis comme tels à la génération des militants qui arrivaient à Voix Ouvrière (VO) dans
les années 60-68.
Les camarades (essentiellement Pierre Bois qui était celui en qui les ouvriers avaient le plus
confiance) avaient fait une assemblée du secteur Collas (départements 6 et 18) le mardi. Là,
ils avaient fait voter la grève et élire le Comité de grève (CG), préparé à l'avance évidemment,
et mandaté pour déclencher la grève. Ceci sans le syndicat évidemment. Le PCF était au
gouvernement, et à Billancourt, la CGT avait la haute main sur tout ce qui se passait dans
l‟usine.
Le mercredi, les camarades ont organisé la “ répétition générale ”, pour déclencher le
coup : chaque camarade du CG devait s'entourer de quelques gars sûrs et recevait une
affectation pour le matin du jour J : portes, compresseurs, distribution électrique, etc...
Le jour de la “ répétition ” a été fixé en fin de semaine, le jeudi ou vendredi, et ce jourlà,
et sur place, les gars ont appris (sauf le Comité de grève qui savait puisqu‟il l‟avait décidé),
que ce n‟était pas la répétition, mais le début de la grève. L‟ordre de grève était imprimé et
distribué aux ouvriers qui arrivaient, tous les moteurs étaient arrêtés, etc.. C‟était la grève.
Tout et dans le détail, avait été discuté à l‟avance entre Bois et Barta et le premier
cercle ; y compris le fait de démarrer en fin de semaine, ce qui permettait, si le coup ratait, de
tenir jusqu‟au vendredi soir et de reprendre le lundi avec le moins de casse possible.
Donc, ce schéma du CG indépendant du syndicat, organisant les ouvriers pour la grève
de manière autonome, a servi de tétine à laquelle ont biberonné les quelques dizaines de
militants VO de l‟époque.
Pas question de syndicats, représentation directe des grévistes par eux-mêmes,
assemblées avec pouvoir de décision, CG proposant et organisant l'application des décisions
de l‟assemblée. Le tout conçu selon le schéma bolcheviste, avec le ou les militants
professionnels qui raisonnent le moyen et le long terme et qui s'appuient sur la démocratie
directe et agissante des prolétaires.
Voilà ce qui a constitué la “ référence historique ” de VO/LO en matière de comité de
grève. Dans les décennies qui ont suivi, et encore maintenant, beaucoup de monde a discuté
des CG : la Ligue, LO, l'AMR, la CFDT, etc... Les seuls a y avoir toujours été hostiles, sans
nuances, sont les staliniens ; mais tout le monde y a mis des contenus plus ou moins
fantaisistes, y compris LO, selon les périodes et les besoins opportunistes de la direction.
Pendant des années, après 47, il n'y a pas eu de grève avec CG indépendant
(autonome). En France, ce sont les syndicats, et surtout la CGT, qui organisent les grèves, y
compris les grèves très dures (1948-51), quelquefois et même souvent, avec des
intersyndicales (alliances aux sommets entre syndicats avec ou sans participation des
ouvriers). Qui n'ont absolument rien à voir avec les CG, expression de l'organisation
autonome des ouvriers grévistes.
101
On ne trouvera nulle part quelque chose d'écrit sur cette conception car il n'y a jamais
rien eu d'écrit. C'est de la mémoire transmise (et il n'y a plus grand monde pour la
transmettre !)
Avant 68, nulle grève n'a été organisée en opposition aux syndicats avec CG autonome. Mai
68, n'en parlons pas. Nulle part de forme organisée indépendante des syndicats qui soit
représentative réellement et formellement de la volonté des grévistes.
Après 68, c'est là que les “ gauchistes ”„ ont beaucoup discuté des CG ; notamment les
“ conférences nationales ouvrières ” entre LO, le PSU, l‟AMR, etc… en 1972. Mais on
parlait de concepts, pas de réalité existante. Nous n‟avions nulle par de CG.
LO défendant l‟orthodoxie de la représentation directe des ouvriers indépendamment
des syndicats et le schéma de type 1947: et les autres défendant la nécessité d‟y intégrer les
“ forces organisées ” essentiellement les syndicats, pour être vraiment représentatifs de toutes
des composantes de la grève. Discussions à n'en plus finir dont on trouvera peut-être les traces
dans le journal LO de l‟époque, mais qui n‟étaient que des discussions de principe car jusque
là, il n‟y avait pas de CG, où que ce soit, avec ou sans les syndicats.
La première grève avec un comité représentatif indépendant des syndicats a été la
grève Chausson de 1973. Là, des camarades de LO (à la CFDT) avaient organisé les grévistes
en CG sans référence syndicale, complètement indépendant. C'était la bagarre ouverte avec
les staliniens (puissants) le gourdin à la main.. Il y avait deux groupes. Un de chaque côté de
la porte et qui, de toute évidence, étaient en guerre, l'un avec le CG, l'autre avec la CGT.
La même année, il y a eu la grève à l‟EDF de Brest, et là, c‟étaient des militants de la
LCR qui étaient en pointe, et qui avaient organisé un Comité de grève à leur façon, avec tous
les syndicats. Une brochure est parue à l‟époque sur cette grève.
Les années 70-78 ont été les années de forte activité gréviste; mais il y a eu très peu de CG
indépendants des syndicats. Pour la maison LO, on était ferme sur les principes. Les choses
ont évolué, en 1974, avec la grève des banques. LO avait décidé de présenter Arlette Laguiller
aux présidentielles (toute l'extrême gauche voulait Piaget, lui ne voulait pas).
La grève des banques est arrivée en pré-campagne électorale. C'est pendant la grève
qu‟Arlette Laguiller a déclaré sa candidature aux présidentielles. Ça s'est trouvé comme cela.
Il y avait un os : Arlette Laguiller était connue comme dirigeante du syndicat FO sur la boîte
et de “ pour que le CG ne soit pas confondu avec FO ” est sortie la formule : “ CG soutenu
par les syndicats FO-CGT etc. ”
Le “ CG soutenu par etc... ” a eu une influence importante pour pousser la grève au
bout de ses possibilités mais les syndicats CGT-CFDT, etc... ont été eux aussi une
composante importante de la direction de cette grève qui, dans la période, fut importante.
C'est donc là qu'est née la formule “ soutenu par les syndicats ” Formule qui d'ailleurs
convient très bien à la Ligue, la CFDT et tout le microcosme gauchiste.
Depuis, le peu de CG qui ont existé, ont le plus souvent repris cette formule. Évidemment,
puisque tous les militants de LO, à de très rares exceptions, sont devenus des responsables
syndicaux au moins localement. L'opportunisme organisationnel des dirigeants de LO n'a eu
aucun problème à généraliser la formule. Mais, encore une fois, même sous cette forme avilie,
il y a eu très peu de grèves avec CG, soutenu ou pas par les syndicats.
Sur le plan interne à l'organisation, les formulations, notamment les fiches servant de
trame à la formation des militants, ont été très variables en fonction de l'opportunité des
situations et de l'opportunisme de la direction. Ça a été des formulations de type Ligue :
“ englober toutes les composantes de la grève ”, à des formulations plus indépendantes
organisationnellement, mais jamais on n'a retrouvé des formulations comparables à l'avant
68 : “ autonomie représentative des grévistes par eux-mêmes, indépendante des syndicats ”
Toutes ces formulations ont été présentées comme le moyen d'organiser les grévistes
pour l'efficacité de la grève et par “ devoir moral ” vis à vis de “ nos conceptions ”. Lesquelles
102
sur le fond ? Organisation ouvrière autonome des grévistes ou organisation des grévistes
soutenue par les syndicats ? Ceci n'a jamais été rediscuté depuis 71-72. Et pour cause, dans les
faits, LO s'est rallié aux concepts sociaux-démocrates de la Ligue et autres “ gauchistes ”
En revanche, ce qui n'a jamais changé est la conception suivante : la grève est un instant
privilégié de la lutte des classes. Elle a un début et une fin. Que le CG se constitue avant ou
pendant la grève, avec ou sans le soutien des syndicats, de toutes les façons, il se dissout à la
fin de la grève.
Alors, à plusieurs reprises s'est posée la question : que faire ensuite ?
En 1947, Bois et les camarades, influencés en cela par Monatte, ont formé le SDR (Syndicat
Démocratique Renault qui a cessé d‟apparaître en 1950) pour répondre à cette situation. Des
ouvriers qui ne voulaient pas en rester là posaient la question. Barta, lui, n'était pas d'accord
et préconisait que les meilleurs ouvriers gagnés pendant la grève deviennent des cadres de
l'UC (Union Communiste), y compris en sortant de l'usine si possible, pour se former.
On sait ce qu'il est advenu du SDR. Il y a eu jusqu'à 1 000 adhérents (Monatte visait
les 5 000) MAIS, et c'est la toute la problématique, c'étaient des adhérents. Concrètement, tout
le travail organisationnel reposait sur moins d'une dizaine de militants, qui ont rapidement
succombé à la tâche. Ça a été la démonstration que l'esprit syndicaliste révolutionnaire de
Monatte, Rosmer, etc..., était bien mort. Tué par le stalinisme ; et la conception de
l'organisation d'adhérents, et non plus celle de l'organisation des prolétaires volontaires pour
chercher la voix de l'émancipation avait envahi la conscience ouvrière.
Ensuite, au fil des décennies, tout a été fait. A la fin de la grève des cheminots de 86,
LO a essayé de faire une organisation d'adhérents LO (cartes, timbres, etc...). Cela n'a pas
duré six mois.
Dans bien des cas, et jusqu'à maintenant, les seules suites sont : soit le groupe LO (le
futur parti), soit le syndicat que les militants dirigent. Les deux versions sans trop de succès.
Très rares sont les grèves ou le groupe LO se renforce. Et même syndicalement, il est rare que
le syndicat se renforce après la grève, victorieuse ou pas.
La dernière grève Citroën en est l'illustration, c'est la Ligue qui semble avoir recruté
deux ou trois militants, et la CGT n'a pas plus de monde, plutôt moins, bien qu'une partie de la
CFDT soit en train ou est passée à la CGT. À la dernière fête du syndicat, après la grève, il y
avait 20 ouvriers en moins que celle de l'an dernier (où la participation était déjà plus faible
que l'année précédente).
Les deux sources des erreurs de LO
Le démocratisme au coeur de la politique de LO
Le moralisme de LO transpire de tous ses pores. A ses yeux, lorsque les exploités ont
droit à la parole, ils ne peuvent jamais être emportés par les idées dominantes et, surtout, par
la puissante base matérielle de l‟idéologie ennemie, la concurrence entre travailleurs sur le
marché du travail et dans le procès de production. D‟après cette vision, aucune bataille
politique fondamentale ne traverse le corps prolétarien hormis celle pour la démocratie
ouvrière, véritable levier de la conscience ouvrière autonome.
“ L‟organisation des prolétaires en classe, et par suite en parti politique, est sans
cesse brisée par la concurrence des ouvriers entre eux ”, lit-on dans le Manifeste communiste.
L‟effort des travailleurs les plus conscients est défini par ce simple constat. Ils sont appelés,
en dépit des facteurs dissolvants permanents de l‟unité prolétarienne indépendante du capital,
à mener bataille pour l‟unification politique des classes opprimées dans une condition
minoritaire de grand isolement la plupart du temps.
Cette minorité, issue elle-même des pics de la lutte de classes, ne respecte pas, a priori
et par-dessus tout, la démocratie ouvrière. Dans certaines circonstances, ce mécanisme peut
être employé pour étouffer toute tentative de renversement de la situation de soumission au
103
capital. La mobilisation directe de la majorité des travailleurs par ceux d‟entre eux qui ont
délibérément lié leur sort à la survie de l‟ordre présent n‟est pas une exception. Surtout dans
les périodes historiques baignant dans une relative paix sociale. Dans ces périodes, les luttes
défensives ont plus de mal à générer des ferments d‟indépendance de classe et, par
conséquent, des éléments collectifs de conscience autonome.
Toutefois, c‟est déjà dans ces phases difficiles que d‟étroites minorités de travailleurs
insoumis se forment. La tâche des communistes est alors de préserver le maintien de ces
minorités en aidant celles-ci par tous les moyens disponibles à accroître leur conscience
révolutionnaire et à se doter d‟une organisation politique embryonnaire.
“ Le mouvement politique de la classe ouvrière a naturellement pour objectif la
conquête, pour elle, du pouvoir politique. Il va sans dire que, pour y parvenir, il faut une
organisation préalable, suffisamment développée, de la classe ouvrière, organisation qui
surgit des luttes économiques mêmes des ouvriers ”. (Karl Marx ; Lettre à Bolte ; novembre
1871)
La conscience et l‟organisation des minorités ouvrières radicales, incarnées dans ce que nous
nommons les comités politiques, ne tolèrent pas d‟être conditionnées par un quelconque
respect de l‟opinion et des formes collectives majoritaires. Elles connaissent une seule limite :
celle dictée par la nécessité absolue de préparer le terrain à la mutation révolutionnaire de
pans larges du mouvement prolétarien. Mue qui ne dépend pas, pour l‟essentiel, de l‟action
déterminée des minorités ouvrières révolutionnaires mais qui peut être franchement accélérée
par cette dernière.
“ Tous les mouvements sociaux du passé ont été le fait de minorités ou ont profité à
des minorités. Le mouvement prolétarien est le mouvement autonome de l‟immense majorité
dans l‟intérêt de l‟immense majorité ”. (Manifeste)
Aujourd‟hui, les luttes se situent sur un terrain très défensif. Isolées, elles peinent à
sécréter des éléments de conscience révolutionnaire partagée y compris par des secteurs très
minoritaires de travailleurs. De plus, bon nombre d‟entre elles sont menées par des secteurs
réduits de salariés, à l‟instar de celle d‟Aulnay. Le strict respect de la démocratie ouvrière
aurait imposé aux salariés en grève d‟arrêter très vite toute agitation.
Pire, le principe démocratique, s‟il avait été appliqué à la lettre aurait conseillé à ses
promoteurs de ne rien tenter du tout. Une minorité d‟ouvriers en colère en a décidé autrement.
A juste raison, jusqu‟au moment où elle a quitté le strict terrain de l‟usine pour s‟insérer dans
le débat électoral présidentiel en guise de succédané du combat à mener directement sur les
lignes pour arracher la nette majorité des salariés encore au travail au contrôle pressant et bien
ordonné de la maîtrise.
Dans ce cadre et incidemment, la tentative d‟impliquer d‟autres sites et d‟autres usines
dans le combat d‟Aulnay n‟a pu que révéler l‟extrême faiblesse des grévistes vis-à-vis de leur
ennemi le plus direct, la direction de „leur‟ usine. L‟ambiguïté de comportement de la
direction LO du comité de grève réside entièrement ici. D‟une part, elle en a été réduite à
appliquer la sacro-sainte démocratie ouvrière à une minorité de plus en plus petite. D‟autre
part, le véritable culte qu‟elle voue au respect de la loi de la majorité des travailleurs l‟a
conduite, face aux difficultés grandissantes et bien réelles rencontrées sur les lignes, à éviter
toute confrontation.
Dans ce dernier cas, cela aurait eu pour conséquence de remettre en cause sa vision
pacifiée de la lutte au sein de la classe exploitée. Il n‟était donc pas question de rechercher
une explication claire et directe entre grévistes et non-grévistes. Une telle explication aurait
pu prendre plusieurs formes, et pas nécessairement violentes : à l‟image d‟un piquet de grève
simplement „filtrant‟ aux portes. Rien de tout cela n‟a été proposé par les syndicalistes de LO
d‟Aulnay. Conséquence : l‟objectif permanent et universel de toute lutte, “ l‟union de plus en
104
plus étendue des travailleurs ” (Manifeste), n‟a pas été atteint malgré l‟adoption de la position
de l‟autruche vis-à-vis des non-grévistes.
Le syndicalisme forcené de LO
Dans le développement de la conception de LO des comités de grève, pourtant
considérés comme le lieu privilégié d‟apprentissage du “ pouvoir ouvrier ”, la question de la
formation et des instituts de la conscience politique collective autonome des travailleurs n‟est
jamais évoquée. Il n‟est pas non plus question de la relation dynamique entre luttes
défensives, „économiques‟, et lutte politique. Enfin, on n‟apprend pas grand-chose non plus
sur les relations entre syndicats d‟Etat - “ pompiers de l‟ordre social ”
Il n‟est guère dans notre intention de dresser une barrière, à la manière des léninistes
orthodoxes, entre luttes économiques et politiques. Toutefois, ces deux expressions de
l‟autonomie ouvrière ne sont pas réunies par un signe d‟équivalence. Karl Marx fournit
plusieurs pistes pour élucider ce rapport dynamique.
Dans la lettre à Bolte déjà citée, il qualifie tout d‟abord de mouvement politique “ tout
mouvement dans lequel la classe ouvrière s‟oppose, en tant que classe, aux classes
dominantes et s‟efforce d‟exercer sur celles-ci une pression du dehors ”. Trois éléments
caractérisent donc tout mouvement politique prolétarien :
La classe ouvrière se reconnaît en elle-même par delà les différences et les intérêts
matériels divergents.
La classe ouvrière se reconnaît pratiquement en tant que classe en s‟opposant aux
classes dominantes dans leur ensemble et pas seulement à certains secteurs de cellesci.
La classe ouvrière ne se cantonne pas à une opposition de Sa Majesté, faite de
l‟intérieur du système, en en respectant les limites structurelles. Elle exerce une
pression indépendante, en dehors du système, et refuse de se soumettre aux raisons des
classes dominantes.
Vitales pour améliorer le quotidien de l‟exploitation voire seulement retarder son
augmentation, les luttes économiques isolées des salariés sont à la fois le lieu naturel de
naissance des mouvements politiques indépendants du prolétariat et leur négation dialectique.
La résistance quotidienne, endémique, physiologique à l‟exploitation n‟est pas l‟objectif
principal des communistes, des ouvriers autonomes.
Dans Plus-value (1865), Karl Marx conseille les ouvriers de ne pas “ exagérer le
résultat final de cette lutte quotidienne ”. “ Qu‟ils ne l‟oublient pas ”, poursuit-il, “ Ils luttent
contre les effets et non contre les causes de ces effets ; ils ne peuvent que retarder le
mouvement descendant mais non en changer la direction ; ils n‟appliquent que des palliatifs,
mais sans guérir le mal ”.
Le premier facteur de différence entre luttes défensives et luttes politiques ouvrières se
trouve dans leurs contenus respectifs : correctifs du système pour les premières ; indifférents
aux compatibilités données du système ceux exprimés par les secondes.
Au XIXe siècle, la fameuse bataille internationale pour imposer la loi des 10 heures de
travail par jour rentrait à plein titre dans le cadre du mouvement politique prolétarien. La
revendication n‟était pas, en soi et absolument, incompatible avec la survie du capitalisme. La
preuve est amplement faite. En revanche, au moment où ce combat a été mené, la satisfaction
de cette revendication a remis en cause l‟organisation du travail, le procès général de
production, jusqu‟à la forme de représentation politique des classes.
Cette bataille, par son impulsion formidable, a permis le passage de la manufacture à
l‟industrie moderne et d‟une démocratie bourgeoise incomplète, pour la plupart réservée aux
couches les plus fortunées de la population, à la république démocratique moderne, fondée sur
le principe un homme, une voix. Le débouché de la bataille pour les 10 heures a été
incontestablement réformiste mais le mouvement qui l‟a portée avait des claires
105
caractéristiques révolutionnaires. Tout mouvement doit être prioritairement jugé à sa
dynamique et aux forces sociales qu‟il incarne et pas à son épilogue ou même, dans certaines
limites, à ses objectifs formalisés.
Outre ce premier facteur discriminant, les ouvriers, enchaîne Karl Marx, doivent
comprendre que “ le régime actuel, avec toutes les misères dont il les accable, engendre en
même temps les conditions matérielles et les formes sociales nécessaires pour la
reconstruction économique de la société ”. La société du capital a fait preuve, depuis
plusieurs siècles, d‟une énorme capacité spontanée ou planifiée de transformation et, surtout,
d‟adaptation aux pressions de la société civile et des classes opprimées. Jouer toute la partie
autour de revendications plus ou moins ingérable pour le capital, voue la lutte à un échec
assuré. La recherche de l‟objectif „fatal‟ pour le capital n‟est qu‟un mirage.
Sans donner davantage de détails, Marx identifie ici l‟un des points de force du
système actuel de domination de classe : sa propension à inventer des “ formes sociales
nécessaires pour la reconstruction ” de sa société. L‟élaboration et le perfectionnement
permanents de nouvelles formes, stratégies et instituts de commandement dans l‟usine et dans
la société s‟est révélée être l‟arme absolue pour la conservation du système existant. Ce travail
incessant invalide l‟espoir typiquement réformiste d‟obtenir, y compris au prix de la guerre de
classe la plus âpre, “ un salaire équitable pour une journée de travail équitable ”.
Ce mot d‟ordre à l‟apparence si raisonnable et légitime, Marx le définit ouvertement
comme “ conservateur ”. Il lui oppose celui, directement “ révolutionnaire ”, de l‟“ abolition
du salariat ”. Voilà fixées les limites, très étroites en vérité, placées par Marx à l‟horizon
revendicatif des salariés. Traduction : les objectifs avancés dans les luttes défensives ne
doivent jamais contredire le but politique général de la disparition du régime fondé sur le
travail salarié.
Et LO dans tout cela ? Voici sa réponse : “ Nous participons activement aux luttes des
travailleurs, même si ceux-ci présentent des revendications avec lesquelles nous ne sommes
pas d‟accord : primes ; indemnités diverses ; augmentations hiérarchisées ; etc. ”. Seules
sont exclues de son champ d‟action les luttes pour des revendications “ carrément
réactionnaires ”, type celles pour le licenciement des travailleurs immigrés.
Prisonniers de leur démocratisme à tout crin, après avoir défendu leur “ point de vue ”,
les militants de LO “ se soumettent à la décision des travailleurs et respectent les
revendications telles qu‟elles sont formulées par eux ”. C‟est le meilleur apprentissage du
syndicalisme : jamais (ou presque) minoritaires ; toujours à la traîne de la majorité. Quant au
“ point de vue ” spécifique à l‟organisation trotskiste défendu avant que les choses sérieuses
commencent, nous n‟en saurons pas davantage. Nous n‟en saurons rien non plus sur la
position de LO sur l‟orientation politique de la lutte et de l‟organisation défensive.
Les syndicats, jadis taxés de pompiers sociaux mais sans grandes conséquences
pratiques dans le rapport entre l‟organisation trotskiste et ces derniers, deviennent
progressivement dans les écrits et les discours de LO des organes neutres dirigés par des
bureaucrates qu‟il faut conquérir. Aucune critique sur leur fonction intrinsèque n‟est formulée
à leur encontre. Ni avant, à l‟époque des syndicats taxés de “ pompiers sociaux ”, ni après,
quand ils prétendront que les comités de grève ne doivent pas “ apparaître comme des
machines antisyndicales ”.
Pourtant Karl Marx avait été suffisamment explicite à cet égard :
“ Les syndicats agissent utilement en tant que centres de résistance aux empiètements du
capital ; ils se montrent en partie inefficaces par suite de l‟emploi peu judicieux qu‟ils font de
leur puissance. Ils manquent généralement leur but parce qu‟ils se bornent à une guerre
d‟escarmouches contre les effets du régime existant, au lieu de travailler en même temps à sa
transformation et de se servir de leurs forces organisées comme d‟un levier pour
106
l‟émancipation définitive de la classe travailleuse, c‟est-à-dire pour abolir enfin le salariat ”.
(Plus-value ; 1865)
A l‟époque où Marx écrit ces lignes, les syndicats n‟avaient pas encore été absorbés
par l‟Etat capitaliste. Ils étaient encore des instituts ouvriers indépendants du soi-disant intérêt
général, traduction idéologique des intérêts exclusifs des classes dominantes. Même dans ces
circonstances, Marx n‟épargne pas la critique du syndicalisme de classe qui déconnectait les
luttes quotidiennes défensives des mouvements politiques du prolétariat. Il affirmait que les
organisations défensives des ouvriers étaient “ plus importantes en tant que force organisée
pour hâter l‟abolition du système même du salariat ” qu‟en tant qu‟instruments
“ indispensables dans la guerre d‟escarmouches quotidienne entre le capital et le travail ”.
(Résolutions de l‟AIT ; 1868)
Dit autrement et en tenant compte du contexte présent d‟intégration achevée depuis
près d‟un siècle des anciens syndicats de classe aux Etats des pays capitalistes les plus
développés, les organes ouvriers défensifs qui surgissent des luttes économiques les plus
déterminées doivent comprendre, en utilisant encore les mots de Karl Marx, “ leur pouvoir
offensif contre le système d‟esclavage du salariat et contre le mode de production actuel ”.
(idem) Il faut, en somme, qu‟“ en dehors de leurs buts primitifs ”, les syndicats (hier) et les
organes défensifs autonomes (aujourd‟hui) “ apprennent à agir de manière plus consciente en
tant que foyers d‟organisation de la classe ouvrière dans l‟intérêt puissant de leur
émancipation complète ”.
D‟instituts qui se chargent de l‟organisation de la résistance au capital, ces organes
sont appelés à devenir, dans et par les combats défensifs, les représentants formels du
processus de formation politique du prolétariat. Et ce en reconnaissant en priorité les limites
intrinsèques d‟une guerre qui s‟attaquerait aux seuls effets de l‟exploitation. De ces lieux
privilégiés de l‟émancipation ouvrière en devenir peuvent naître les embryons de
l‟organisation révolutionnaire préalable et stable du prolétariat, ce que nous appelons les
comités politiques.
Les organes défensifs autonomes, tels les comités de grève, sont éphémères car
expression directe de luttes qui ont un début mais aussi une fin. De plus, la grande capacité
actuelle d‟intégration à l‟Etat des organisations nouvelles de défense des travailleurs rend
pratiquement impossible la reconstitution de syndicats de classe durablement indépendants.
Toutefois, l‟apparition de ces instituts temporaires d‟expression ouvrière offre aux travailleurs
les plus déterminés la possibilité de se constituer, dans leur sillage, en minorité directement
organisée sur le terrain politique.
“ La coalition des forces ouvrières déjà obtenue par les luttes économiques doit aussi
servir de levier aux mains de cette classe dans sa lutte contre le pouvoir politique de ses
exploiteurs ”. Et encore : “ Dans l‟état militant de la classe ouvrière, son mouvement
économique et son action politique sont indissolublement unis ”. (Résolutions de l‟AIT ;
1871)
L‟articulation entre lutte économique et combat politique se fait tout d‟abord dans
l‟usine même, sur les lieux de travail, et ne se conçoit pas comme négation sèche de l‟une par
l‟autre ou inversement. La force et l‟extension du tissu de comités politiques dépendent ainsi
directement à la fois de la capacité à développer des mouvements défensifs amples et décidés
et de la volonté d‟unification politique que les minorités ouvrières conscientes issues sauront
alors exprimer.
Cette dynamique et cette dialectique vitale de la classe exploitée n‟intéressent guère
LO, ancrée à la conception typiquement sectaire que le parti politique prolétarien est le fruit
du recrutement et de l‟action éclairante du groupe et que la défense quotidienne des
travailleurs est de compétence exclusive des syndicats “ pompiers sociaux ” ou, parfois, de
comités de grève fugaces et dévitalisés à la manière de celui d‟Aulnay.
Voici deux textes, l’un théorique l’autre romanesque écrit par deux militants revenus du trotskisme. Ils soulignent tout deux le naufrage de cette idéologie en France.
Texte 1
Le comité de grève d’Aulnay, un organisme inutile à la lutte politique ouvrière
La direction de la grève
La lutte montre les limites de l‟auto-organisation quand celle-ci n‟est pas clairement
inspirée par l‟objectif stratégique de l‟indépendance politique des travailleurs.
A la tête de la lutte, Lutte Ouvrière a mis les petits plats dans le grands pour que le
comité de grève réponde formellement en tous points à l‟exigence de la plus grande
démocratie ouvrière. “ Nous avons élu un Comité de grève d‟une centaine de travailleurs
pour diriger la grève. Ainsi, toutes les décisions ont été discutées tout au long de la grève
dans ce Comité qui se réunissait deux fois par jour, plus d‟une heure à chaque fois. … Les
propositions du Comité étaient adoptées par l‟assemblée générale qui se réunissait après
chaque Comité. Tout a été discuté, de la plus petite décision aux plus importantes. … Le
96
Comité de grève a permis d‟organiser la grève dans l‟unité et de répondre au coup par coup
à la politique de la direction ”, a expliqué Philippe Julien, militant de LO et secrétaire de la
CGT de PSA Peugeot-Citroën Aulnay, lors du meeting du 15 avril 2007, au Zénith, d‟Arlette
Laguiller, candidate à l‟élection présidentielle française pour la formation trotskiste.
Ces propos correspondent à la vérité. Le fonctionnement du Comité de grève y est
bien décrit. La relation entre cet organisme et les quelques 400 à 500 grévistes ne s‟est jamais
interrompue tout au long des six semaines de conflit. A aucun moment, des ouvriers en lutte
n‟ont exprimé leur insatisfaction vis-à-vis du Comité. Pourtant, la dynamique de ce dernier a
été l‟un des facteurs qui ont empêché tout développement réellement autonome de la lutte et,
surtout, la mise sur pieds des premiers éléments d'organisation politique indépendante dans
l‟usine. Le Comité de grève “ a été un véritable laboratoire d‟idées. Un ouvrier a d‟ailleurs
surnommé la salle où se réunissait le Comité : L‟école de la grève ”, a indiqué Philippe
Julien.
C‟est le point crucial. Quel genre d‟idées a été élaboré dans cet organisme ? Proposé
aux ouvriers grévistes dès le deuxième jour de grève par des militants de LO, il est d‟emblée
l‟expression d‟une grande ambiguïté : le Comité est certes un instrument des travailleurs mais
plusieurs sections syndicales de l‟usine, celles de la CGT, de SUD, de la CFDT et de
l‟UNSA19, sont présentes en son sein en tant que telles. Ce n‟est pas formel. Leur adhésion
explicite coïncide avec la volonté de garder, par l‟intermédiaire du Comité, le contact avec les
travailleurs en lutte et de maintenir le conflit dans un cadre compatible avec l‟action syndicale
classique des élus et des délégués syndicaux de l‟usine.
“ A la fin de la grève, alors que le Comité débat sur le fait de signer, ou pas, un
protocole de fin de conflit avec la direction, un délégué de SUD explique sèchement que, quoi
qu‟il arrive, son syndicat ne signera pas l‟accord. Un gréviste lui répond plus sèchement
encore : Tu n‟as pas compris encore ? C‟est le Comité de grève qui dirige la grève. Pas les
syndicats. Alors SUD fera ce que le Comité décidera ”, lit-on dans la brochure de LO dédiée
à la lutte d‟Aulnay. Ces propos reflètent bien les relations qui se sont établies entre
travailleurs en grève, syndicats et Comité.
Le délégué de SUD, en affirmant que son syndicat fera à sa guise dans un moment
décisif du conflit comme celui de la reprise du travail, ramène le Comité à une simple
fonction d‟accompagnement des ouvriers dans leur grève. Instance certes d‟expression libre
des travailleurs mais pas organe doté de l‟autorité complète sur le conflit. Au Comité, la
gestion de l‟intendance de l‟agitation ; aux syndicats, le “ business ” central de la négociation
et de l‟orientation générale.
Quant à l‟ouvrier qui s‟insurge contre le délégué de SUD, il montre qu‟il n‟a pas
compris le rôle réel des syndicats, institutions officielles de négociation du prix de la force de
travail mais respectueuses de la domination générale du capital. Pour ce travailleur, le Comité
est tout simplement le nouveau syndicat, plus démocratique et plus proche de lui, ou, mieux,
la nouvelle Intersyndicale enfin ouverte aux ouvriers.
A aucun moment, la discussion sur la nature des syndicats, y compris dans leur version
la plus combative, n‟a été mise à l‟ordre du jour de la réflexion entre travailleurs en lutte. Les
dirigeants LO de la grève auraient difficilement pu apporter la lumière sur ce point sans
saboter la position de CGT dont ils sont à la tête à Aulnay.
Aucune minorité ouvrière n‟a, au travers de cette bataille pour le salaire, entrevu la
possibilité de lui donner une dimension politique en la corrélant à la guerre de classe contre la
dictature du capital dans l‟usine et dans la société. La preuve ? Peu à peu mais
inexorablement, les travailleurs en lutte ont abandonné le terrain de l‟usine et de la production
aux non grévistes et aux chefs. Incapables dès la deuxième semaine de grève de gagner des
19 Syndicats qui, sauf la CGT, avaient signé un accord salarial avec la Direction deux jours plus tôt.
97
nouvelles adhésions à la grève parmi les ouvriers des lignes de montage, les grévistes ont opté
pour la lutte “ citoyenne ”, faite de manifestations extérieures à l‟usine, de demandes de
solidarité aux Mairies et d‟appels de soutien aux candidats de gauche à l‟élection
présidentielle.
“ Vu que la grève ne s‟étendait pas dans l‟usine, la question s‟est rapidement posée au
Comité de grève et dans les assemblées générales : faut-il bloquer les chaînes et mettre en
place des piquets de grève ? ”, s‟interroge LO. La question est d‟autant plus pertinente que,
“ dès la deuxième semaine, un certain nombre de grévistes, de toutes les générations, y sont
plutôt favorables ”, reconnaît l‟organisation trotskiste.
Et encore : “ l‟idée de bloquer les chaînes par la force va aller et venir, reculer et
revenir sporadiquement tout au long de la grève. Finalement, cela s‟est beaucoup discuté, et
c‟est démocratiquement que le Comité de grève a décidé de ne pas le faire ”. Voilà la réponse
désarmante de LO : “ Bien sûr, les militants ouvriers ne peuvent qu‟être favorables à ce que
la production soit bloquée – ce qui touche le patron au coeur, c‟est-à-dire au portefeuille.
Mais à condition que ce blocage soit fait de façon consciente, et non imposé par une minorité
contre l‟avis de la majorité – et moins encore à coups de matraques ”. Récapitulons. Oui au
blocage, mais conscient et pas contre l‟avis de la majorité.
Pour LO, la conscience émane exclusivement de l‟organisation communiste, c‟est-àdire
d‟elle-même. Or, les militants de LO ont systématiquement combattu dans le Comité et
dans les assemblées générales toute proposition de durcissement du mouvement, prétextant
que “ la direction de Citroën elle-même n‟aurait certainement pas été mécontente d‟un tel
blocage – au point que quelques-uns de ses mouchards ne se privaient pas de militer sur ce
terrain ”
Le discours de LO s‟embrouille un peu plus : bloquer la production touche le patron
au coeur … mais bloquer la production à Aulnay aurait fait le jeu du patron. Pas moyen, dans
ces conditions, d‟obtenir des titulaires de la conscience, le feu vert à la radicalisation du
mouvement. Puis, il y a le fait incontournable que, dès la deuxième semaine, la lutte ne
s‟enracinait pas, avec une nette majorité de travailleurs de l‟usine qui continuaient de
travailler. Si la loi de la majorité était si astreignante, pourquoi persister dans un bras de fer
qui a coûté si cher aux grévistes pour des gains matériels si limités ?
La solution proposée par LO pour répondre à cette nouvelle énigme est de “ sortir de
l‟usine ”, autrement dit, laisser le champ libre au patron, et de mettre en place une caisse de
solidarité. La campagne électorale bat son plein. Plusieurs candidats, dont la socialiste
Ségolène Royal, rendent visite aux grévistes aux portes de l‟usine. L‟illusion du battage
médiatique s‟installe. On se voit à la télé.
Puis, c‟est l‟érosion des bataillons déjà affaiblis des grévistes. Au fil des jours de grève, 300
d‟entre eux, la mort dans l‟âme, reprennent en catimini le travail. La solidarité de façade de la
majorité des ouvriers de l‟usine, ceux qui n‟ont jamais cessé de travailler, disparaît. Le
Comité de grève, sa démocratie interne, son ouverture, etc. n‟y peuvent rien. Pas plus
d‟ailleurs que les militants “ conscients ” de LO.
La défaite est dans les têtes mais on préfère parler de victoire “ morale ”. Le Comité
de grève disparaît naturellement avec la fin de la grève. Les syndicats prennent le relais. En
parfaite intelligence. Des sursauts d‟orgueil dans les ateliers se manifestent ici et là après la
reprise. Des grèves localisées apparaissent. Signe que les grévistes sortent battus mais pas
terrassés. Quant à leur expression politique indépendante dans l‟usine, elle est toujours
inexistante. A cet égard, la longue grève de six semaines aura été une nouvelle occasion
perdue. Trop faible et isolée, la lutte défensive d‟Aulnay n‟a pas produit d‟éléments organisés
de conscience collective révolutionnaire.
LO, de son côté, n‟a pas tort de se réjouir. Elle aura fait une nouvelle démonstration que
l‟autonomie politique de la classe ouvrière est l‟affaire des groupes politiques et pas des
98
travailleurs eux-mêmes. Dans la foulée, l‟organisation trotskiste a apporté au syndicat un petit
bol d‟oxygène supplémentaire au moyen de l‟exercice d‟une réelle démocratie ouvrière
formelle incarnée par le Comité de grève.
Une autre voie : les comités politiques
La voie des comités politiques d‟usine, de chantier, de bureau et de quartier est
radicalement différente. Elle suppose que des minorités d‟ouvriers étendent la lutte jusqu‟à lui
donner une forme politique explicite, par l‟organisation de comités. La compréhension, par
ces comités, de la nature générale de lutte de classes est emblématique de tout combat
défensif des travailleurs contre le capital.
Une séparation nette entre la lutte “ syndicale ” pour des revendications immédiates
organisées par des instituts ad hoc et la lutte politique contre la dictature du capital dirigée par
le parti dont émane la conscience révolutionnaire, ne traduit pas la réalité historique et
toujours actuelle de la lutte de classes. Les ouvriers apprennent la critique du système qui les
opprime en se battant pied à pied, sur leurs lieux d‟exploitation, pour se défendre contre tel ou
tel aspect particulier du système capitaliste.
Au cours de leur lutte, ils sont amenés à se doter d‟instruments divers, théoriques et
pratiques, pour affiner leur compréhension de l‟ennemi et des rapports sociaux qui les
accablent. La conscience, mieux, des éléments de conscience de soi, naissent ainsi des luttes
dites quotidiennes ou élémentaires. Ces éléments de conscience restent le plus souvent épars,
non exprimés, et encore moins traduits en organisation surtout quand, comme dans le cas
d‟Aulnay, l‟isolement et la faiblesse du camp des travailleurs en mouvement l‟emportent.
Mais il ne faut pas non plus sous-estimer le rôle négatif joué par les trop nombreux
représentants autoproclamés des ouvriers, de LO (dans le cas d‟Aulnay) aux autres gauchistes
(dans d‟autres luttes), en passant par les syndicats et les grands partis de gauche. Sans
exagérer l‟impact de leur action de pompiers politiques Ŕ les travailleurs ont su les balayer à
plusieurs occasions dans l‟histoire du mouvement ouvrier -, ces formations oeuvrent sans
relâche à ce que la double nature de la classe ouvrière, force de travail pour le capital et force
motrice du dépassement des sociétés divisées en classes opposées, se transforme en
opposition inconciliable.
Les communistes, en revanche, agissent pour que cette double nature devienne le
principal facteur de subversion du présent en transformant les nécessaires actions défensives
en préparation de l‟élan révolutionnaire et en oeuvrant à la constitution des organes
prolétariens du parti de classe. Ce processus n‟est en rien continu et ascendant. Il n‟est pas
encore partagé par les salariés. Les premières minorités de travailleurs qui parviennent à
s‟installer sur le terrain politique indépendant sont combattues par le capital, ses Etats et ses
appendices de gauche et d‟extrême gauche avec la plus grande détermination.
Des reculs incessants et des défaites répétées viennent interrompre la constitution du
prolétariat en classe pour soi. Pourtant, la classe ouvrière continue de vivre et de s‟étendre.
Son potentiel révolutionnaire ne peut pas être tari une fois pour toutes. Le capital lui-même a
bien appris la leçon en tentant régulièrement de l‟utiliser pour assurer son propre
développement. Mais la double nature de la classe ouvrière ne peut pas être supprimée. La
révolution pointe son nez chaque fois que les travailleurs s‟insurgent et luttent pour leurs
propres intérêts immédiats. Saisir cette réalité, la valoriser et la renforcer dans la mesure du
possible est la tâche spécifique des communistes aujourd‟hui.
LO et les comités de grève
Depuis toujours, l'organisation Lutte Ouvrière fait des comités de grève la pierre
angulaire de son action au sein des luttes de classe. Pour elle, cette forme d‟organisation
permet aux travailleurs d‟apprendre, naturellement grâce à l'intervention de l'organisation LO,
à “ diriger eux-mêmes leurs luttes, à les prendre en mains dans les moindres détails ”. La
formation trotskiste prétend que les comités de grève permettent aux salariés un
99
“ apprentissage du pouvoir ouvrier ”, développent “ la démocratie ouvrière ” dont ils sont
“ l'école ” et font que les mouvements soient “ plus efficaces ” en cas de collision avec les
organisations syndicales. Seule l'assemblée générale des grévistes est souveraine sur le comité
de grève, “ véritable gouvernement ouvrier de la grève ”, souligne LO.
Avec le temps, en renforçant sa présence dans les appareils syndicaux, LO a mis
beaucoup d'eau dans le vin de l'autonomie des comités de grève par rapport aux syndicats.
Dans un texte interne plus récent de celui cité plus haut, on lit que “ le comité de grève ne doit
pas apparaître comme une machine antisyndicale, mais comme une forme d'organisation à la
fois plus unitaire et donc plus efficace, parfaitement adaptée à une situation de lutte où tout le
monde, syndiqué ou non, participe ”.
Pourtant, dans le même écrit, LO définit toujours la fonction du syndicat comme
“ pompier de l'ordre social ”, incapable “ d'aller au bout des luttes et de leurs possibilités ”
car il ne veut aucunement “ compromettre réellement le fonctionnement de la machine
d'exploitation bourgeoise ”. Malgré cela, toutefois, en bons trotskistes, les militants de LO ne
veulent pas, “ dans la grève ”, adopter “ une attitude gauchiste, antisyndicale ”. Et ce afin de
“ tenir compte des sentiments des travailleurs et essayer d'entraîner les militants syndicaux et
les syndicats dans le comité de grève aussi loin que possible dans le mouvement, tout en
préparant les plus conscients au moment probable où les syndicats lâcheront le mouvement ”.
LO fournit une clé de lecture supplémentaire, décisive peut-être, de la relation entre syndicats
“ pompiers sociaux ” et comités de grève en déclarant que, “ dans un pays comme la France,
où les syndicats sont minoritaires dans la classe ouvrière, ils ne peuvent même pas prétendre
représenter les travailleurs lorsqu‟ils entrent en lutte ”. Les comités de grève, si l‟on s‟en
tient à ce constat apparemment incolore, s‟imposent afin de combler le défaut de
représentativité des “ pompiers sociaux ”. Ils seraient donc des simples supplétifs des
syndicats…. Ici, on n‟est probablement pas très loin de la vérité.
Quoi qu‟il en soit des relations des comités de grève avec les syndicats, l'apprentissage
du pouvoir ouvrier fait au travers de ces comités permettra de “ constituer l'avant-garde
ouvrière, consciente, expérimentée, appelée demain à jouer un rôle décisif dans les combats
de classe ”. Si l'on s'en tient à cela, le comité de grève, donc, est l'outil essentiel pour
l'apparition et la formation de véritables militants ouvriers. A aucun moment, cependant, LO
ne précise les tâches politiques qu'il assigne à ces organes. On dirait qu'il suffit que les
travailleurs prennent leurs mouvements en mains via ces comités et l'assemblée générale
souveraine en les poussant de l'avant le plus possible pour qu'il en naisse l'avant-garde
consciente et expérimentée, donc politique. Autrement dit, l'autonomie politique de la classe
ouvrière serait le produit direct de la généralisation des comités de grève et de la démocratie
ouvrière.
Quel que soit le moment de la longue histoire de LO, cette conception
fondamentalement syndicaliste de l'indépendance politique des travailleurs représente le fil
conducteur de son intervention dans les luttes. L'organisation trotskiste sous-estime
clairement la capacité des syndicats de faire leurs, lorsque leur emprise est sérieusement
menacée, les objectifs et même les formes de lutte les plus radicales des combats défensifs des
salariés. Parallèlement, LO surestime leur représentativité au sein de la classe en adoptant, au
fil du temps, la tactique entriste classique des trotskistes arrosée d'appels constants à l'unité
syndicale la plus large. Par-là, elle contribue à faire des comités de grève des Intersyndicales
élargies aux travailleurs, où les confédérations peuvent être représentées en tant que telles.
Elle oeuvre donc pour revitaliser les syndicats, définis pourtant par ailleurs comme des piliers
de l'ordre capitaliste. Mais ces critiques, certes fondées, ne suffisent pas à définir la
conception lénifiante et essentiellement syndicaliste que LO a de la lutte de classes et du
processus à l'organisation politique ouvrière.
100
VO/LO et les comités de grève
En la matière, et dans bien d'autres, l'élément fondateur est la grève d‟avril-mai 1947 à
l‟usine Renault de Billancourt.
Au fil du temps, VO/LO a un peu mythifié l'évènement qui ne se traduisit pas du tout par une
victoire revendicative, contrairement à ce qui a été propagé par la suite. Bois écrivait
d‟ailleurs dans La révolution prolétarienne ( revue dirigée par Pierre Monatte) de juin 1947
que : “ nous avons repris le travail avec l‟aumône de 3 francs de “prime” ”
Il n'empêche que politiquement, ce fut la grève la plus importante de l'immédiat après guerre
qui conduisit Auriol, président de la république, à virer les communistes du gouvernement
(avec le début de la guerre froide qui était là).
Cela dit, au niveau de l'organisation de la grève, son déclenchement et sa conduite, il y
a nombre d'éléments qui sans avoir besoin d'être enjolivés, étaient exemplaires ; et ont été
transmis comme tels à la génération des militants qui arrivaient à Voix Ouvrière (VO) dans
les années 60-68.
Les camarades (essentiellement Pierre Bois qui était celui en qui les ouvriers avaient le plus
confiance) avaient fait une assemblée du secteur Collas (départements 6 et 18) le mardi. Là,
ils avaient fait voter la grève et élire le Comité de grève (CG), préparé à l'avance évidemment,
et mandaté pour déclencher la grève. Ceci sans le syndicat évidemment. Le PCF était au
gouvernement, et à Billancourt, la CGT avait la haute main sur tout ce qui se passait dans
l‟usine.
Le mercredi, les camarades ont organisé la “ répétition générale ”, pour déclencher le
coup : chaque camarade du CG devait s'entourer de quelques gars sûrs et recevait une
affectation pour le matin du jour J : portes, compresseurs, distribution électrique, etc...
Le jour de la “ répétition ” a été fixé en fin de semaine, le jeudi ou vendredi, et ce jourlà,
et sur place, les gars ont appris (sauf le Comité de grève qui savait puisqu‟il l‟avait décidé),
que ce n‟était pas la répétition, mais le début de la grève. L‟ordre de grève était imprimé et
distribué aux ouvriers qui arrivaient, tous les moteurs étaient arrêtés, etc.. C‟était la grève.
Tout et dans le détail, avait été discuté à l‟avance entre Bois et Barta et le premier
cercle ; y compris le fait de démarrer en fin de semaine, ce qui permettait, si le coup ratait, de
tenir jusqu‟au vendredi soir et de reprendre le lundi avec le moins de casse possible.
Donc, ce schéma du CG indépendant du syndicat, organisant les ouvriers pour la grève
de manière autonome, a servi de tétine à laquelle ont biberonné les quelques dizaines de
militants VO de l‟époque.
Pas question de syndicats, représentation directe des grévistes par eux-mêmes,
assemblées avec pouvoir de décision, CG proposant et organisant l'application des décisions
de l‟assemblée. Le tout conçu selon le schéma bolcheviste, avec le ou les militants
professionnels qui raisonnent le moyen et le long terme et qui s'appuient sur la démocratie
directe et agissante des prolétaires.
Voilà ce qui a constitué la “ référence historique ” de VO/LO en matière de comité de
grève. Dans les décennies qui ont suivi, et encore maintenant, beaucoup de monde a discuté
des CG : la Ligue, LO, l'AMR, la CFDT, etc... Les seuls a y avoir toujours été hostiles, sans
nuances, sont les staliniens ; mais tout le monde y a mis des contenus plus ou moins
fantaisistes, y compris LO, selon les périodes et les besoins opportunistes de la direction.
Pendant des années, après 47, il n'y a pas eu de grève avec CG indépendant
(autonome). En France, ce sont les syndicats, et surtout la CGT, qui organisent les grèves, y
compris les grèves très dures (1948-51), quelquefois et même souvent, avec des
intersyndicales (alliances aux sommets entre syndicats avec ou sans participation des
ouvriers). Qui n'ont absolument rien à voir avec les CG, expression de l'organisation
autonome des ouvriers grévistes.
101
On ne trouvera nulle part quelque chose d'écrit sur cette conception car il n'y a jamais
rien eu d'écrit. C'est de la mémoire transmise (et il n'y a plus grand monde pour la
transmettre !)
Avant 68, nulle grève n'a été organisée en opposition aux syndicats avec CG autonome. Mai
68, n'en parlons pas. Nulle part de forme organisée indépendante des syndicats qui soit
représentative réellement et formellement de la volonté des grévistes.
Après 68, c'est là que les “ gauchistes ”„ ont beaucoup discuté des CG ; notamment les
“ conférences nationales ouvrières ” entre LO, le PSU, l‟AMR, etc… en 1972. Mais on
parlait de concepts, pas de réalité existante. Nous n‟avions nulle par de CG.
LO défendant l‟orthodoxie de la représentation directe des ouvriers indépendamment
des syndicats et le schéma de type 1947: et les autres défendant la nécessité d‟y intégrer les
“ forces organisées ” essentiellement les syndicats, pour être vraiment représentatifs de toutes
des composantes de la grève. Discussions à n'en plus finir dont on trouvera peut-être les traces
dans le journal LO de l‟époque, mais qui n‟étaient que des discussions de principe car jusque
là, il n‟y avait pas de CG, où que ce soit, avec ou sans les syndicats.
La première grève avec un comité représentatif indépendant des syndicats a été la
grève Chausson de 1973. Là, des camarades de LO (à la CFDT) avaient organisé les grévistes
en CG sans référence syndicale, complètement indépendant. C'était la bagarre ouverte avec
les staliniens (puissants) le gourdin à la main.. Il y avait deux groupes. Un de chaque côté de
la porte et qui, de toute évidence, étaient en guerre, l'un avec le CG, l'autre avec la CGT.
La même année, il y a eu la grève à l‟EDF de Brest, et là, c‟étaient des militants de la
LCR qui étaient en pointe, et qui avaient organisé un Comité de grève à leur façon, avec tous
les syndicats. Une brochure est parue à l‟époque sur cette grève.
Les années 70-78 ont été les années de forte activité gréviste; mais il y a eu très peu de CG
indépendants des syndicats. Pour la maison LO, on était ferme sur les principes. Les choses
ont évolué, en 1974, avec la grève des banques. LO avait décidé de présenter Arlette Laguiller
aux présidentielles (toute l'extrême gauche voulait Piaget, lui ne voulait pas).
La grève des banques est arrivée en pré-campagne électorale. C'est pendant la grève
qu‟Arlette Laguiller a déclaré sa candidature aux présidentielles. Ça s'est trouvé comme cela.
Il y avait un os : Arlette Laguiller était connue comme dirigeante du syndicat FO sur la boîte
et de “ pour que le CG ne soit pas confondu avec FO ” est sortie la formule : “ CG soutenu
par les syndicats FO-CGT etc. ”
Le “ CG soutenu par etc... ” a eu une influence importante pour pousser la grève au
bout de ses possibilités mais les syndicats CGT-CFDT, etc... ont été eux aussi une
composante importante de la direction de cette grève qui, dans la période, fut importante.
C'est donc là qu'est née la formule “ soutenu par les syndicats ” Formule qui d'ailleurs
convient très bien à la Ligue, la CFDT et tout le microcosme gauchiste.
Depuis, le peu de CG qui ont existé, ont le plus souvent repris cette formule. Évidemment,
puisque tous les militants de LO, à de très rares exceptions, sont devenus des responsables
syndicaux au moins localement. L'opportunisme organisationnel des dirigeants de LO n'a eu
aucun problème à généraliser la formule. Mais, encore une fois, même sous cette forme avilie,
il y a eu très peu de grèves avec CG, soutenu ou pas par les syndicats.
Sur le plan interne à l'organisation, les formulations, notamment les fiches servant de
trame à la formation des militants, ont été très variables en fonction de l'opportunité des
situations et de l'opportunisme de la direction. Ça a été des formulations de type Ligue :
“ englober toutes les composantes de la grève ”, à des formulations plus indépendantes
organisationnellement, mais jamais on n'a retrouvé des formulations comparables à l'avant
68 : “ autonomie représentative des grévistes par eux-mêmes, indépendante des syndicats ”
Toutes ces formulations ont été présentées comme le moyen d'organiser les grévistes
pour l'efficacité de la grève et par “ devoir moral ” vis à vis de “ nos conceptions ”. Lesquelles
102
sur le fond ? Organisation ouvrière autonome des grévistes ou organisation des grévistes
soutenue par les syndicats ? Ceci n'a jamais été rediscuté depuis 71-72. Et pour cause, dans les
faits, LO s'est rallié aux concepts sociaux-démocrates de la Ligue et autres “ gauchistes ”
En revanche, ce qui n'a jamais changé est la conception suivante : la grève est un instant
privilégié de la lutte des classes. Elle a un début et une fin. Que le CG se constitue avant ou
pendant la grève, avec ou sans le soutien des syndicats, de toutes les façons, il se dissout à la
fin de la grève.
Alors, à plusieurs reprises s'est posée la question : que faire ensuite ?
En 1947, Bois et les camarades, influencés en cela par Monatte, ont formé le SDR (Syndicat
Démocratique Renault qui a cessé d‟apparaître en 1950) pour répondre à cette situation. Des
ouvriers qui ne voulaient pas en rester là posaient la question. Barta, lui, n'était pas d'accord
et préconisait que les meilleurs ouvriers gagnés pendant la grève deviennent des cadres de
l'UC (Union Communiste), y compris en sortant de l'usine si possible, pour se former.
On sait ce qu'il est advenu du SDR. Il y a eu jusqu'à 1 000 adhérents (Monatte visait
les 5 000) MAIS, et c'est la toute la problématique, c'étaient des adhérents. Concrètement, tout
le travail organisationnel reposait sur moins d'une dizaine de militants, qui ont rapidement
succombé à la tâche. Ça a été la démonstration que l'esprit syndicaliste révolutionnaire de
Monatte, Rosmer, etc..., était bien mort. Tué par le stalinisme ; et la conception de
l'organisation d'adhérents, et non plus celle de l'organisation des prolétaires volontaires pour
chercher la voix de l'émancipation avait envahi la conscience ouvrière.
Ensuite, au fil des décennies, tout a été fait. A la fin de la grève des cheminots de 86,
LO a essayé de faire une organisation d'adhérents LO (cartes, timbres, etc...). Cela n'a pas
duré six mois.
Dans bien des cas, et jusqu'à maintenant, les seules suites sont : soit le groupe LO (le
futur parti), soit le syndicat que les militants dirigent. Les deux versions sans trop de succès.
Très rares sont les grèves ou le groupe LO se renforce. Et même syndicalement, il est rare que
le syndicat se renforce après la grève, victorieuse ou pas.
La dernière grève Citroën en est l'illustration, c'est la Ligue qui semble avoir recruté
deux ou trois militants, et la CGT n'a pas plus de monde, plutôt moins, bien qu'une partie de la
CFDT soit en train ou est passée à la CGT. À la dernière fête du syndicat, après la grève, il y
avait 20 ouvriers en moins que celle de l'an dernier (où la participation était déjà plus faible
que l'année précédente).
Les deux sources des erreurs de LO
Le démocratisme au coeur de la politique de LO
Le moralisme de LO transpire de tous ses pores. A ses yeux, lorsque les exploités ont
droit à la parole, ils ne peuvent jamais être emportés par les idées dominantes et, surtout, par
la puissante base matérielle de l‟idéologie ennemie, la concurrence entre travailleurs sur le
marché du travail et dans le procès de production. D‟après cette vision, aucune bataille
politique fondamentale ne traverse le corps prolétarien hormis celle pour la démocratie
ouvrière, véritable levier de la conscience ouvrière autonome.
“ L‟organisation des prolétaires en classe, et par suite en parti politique, est sans
cesse brisée par la concurrence des ouvriers entre eux ”, lit-on dans le Manifeste communiste.
L‟effort des travailleurs les plus conscients est défini par ce simple constat. Ils sont appelés,
en dépit des facteurs dissolvants permanents de l‟unité prolétarienne indépendante du capital,
à mener bataille pour l‟unification politique des classes opprimées dans une condition
minoritaire de grand isolement la plupart du temps.
Cette minorité, issue elle-même des pics de la lutte de classes, ne respecte pas, a priori
et par-dessus tout, la démocratie ouvrière. Dans certaines circonstances, ce mécanisme peut
être employé pour étouffer toute tentative de renversement de la situation de soumission au
103
capital. La mobilisation directe de la majorité des travailleurs par ceux d‟entre eux qui ont
délibérément lié leur sort à la survie de l‟ordre présent n‟est pas une exception. Surtout dans
les périodes historiques baignant dans une relative paix sociale. Dans ces périodes, les luttes
défensives ont plus de mal à générer des ferments d‟indépendance de classe et, par
conséquent, des éléments collectifs de conscience autonome.
Toutefois, c‟est déjà dans ces phases difficiles que d‟étroites minorités de travailleurs
insoumis se forment. La tâche des communistes est alors de préserver le maintien de ces
minorités en aidant celles-ci par tous les moyens disponibles à accroître leur conscience
révolutionnaire et à se doter d‟une organisation politique embryonnaire.
“ Le mouvement politique de la classe ouvrière a naturellement pour objectif la
conquête, pour elle, du pouvoir politique. Il va sans dire que, pour y parvenir, il faut une
organisation préalable, suffisamment développée, de la classe ouvrière, organisation qui
surgit des luttes économiques mêmes des ouvriers ”. (Karl Marx ; Lettre à Bolte ; novembre
1871)
La conscience et l‟organisation des minorités ouvrières radicales, incarnées dans ce que nous
nommons les comités politiques, ne tolèrent pas d‟être conditionnées par un quelconque
respect de l‟opinion et des formes collectives majoritaires. Elles connaissent une seule limite :
celle dictée par la nécessité absolue de préparer le terrain à la mutation révolutionnaire de
pans larges du mouvement prolétarien. Mue qui ne dépend pas, pour l‟essentiel, de l‟action
déterminée des minorités ouvrières révolutionnaires mais qui peut être franchement accélérée
par cette dernière.
“ Tous les mouvements sociaux du passé ont été le fait de minorités ou ont profité à
des minorités. Le mouvement prolétarien est le mouvement autonome de l‟immense majorité
dans l‟intérêt de l‟immense majorité ”. (Manifeste)
Aujourd‟hui, les luttes se situent sur un terrain très défensif. Isolées, elles peinent à
sécréter des éléments de conscience révolutionnaire partagée y compris par des secteurs très
minoritaires de travailleurs. De plus, bon nombre d‟entre elles sont menées par des secteurs
réduits de salariés, à l‟instar de celle d‟Aulnay. Le strict respect de la démocratie ouvrière
aurait imposé aux salariés en grève d‟arrêter très vite toute agitation.
Pire, le principe démocratique, s‟il avait été appliqué à la lettre aurait conseillé à ses
promoteurs de ne rien tenter du tout. Une minorité d‟ouvriers en colère en a décidé autrement.
A juste raison, jusqu‟au moment où elle a quitté le strict terrain de l‟usine pour s‟insérer dans
le débat électoral présidentiel en guise de succédané du combat à mener directement sur les
lignes pour arracher la nette majorité des salariés encore au travail au contrôle pressant et bien
ordonné de la maîtrise.
Dans ce cadre et incidemment, la tentative d‟impliquer d‟autres sites et d‟autres usines
dans le combat d‟Aulnay n‟a pu que révéler l‟extrême faiblesse des grévistes vis-à-vis de leur
ennemi le plus direct, la direction de „leur‟ usine. L‟ambiguïté de comportement de la
direction LO du comité de grève réside entièrement ici. D‟une part, elle en a été réduite à
appliquer la sacro-sainte démocratie ouvrière à une minorité de plus en plus petite. D‟autre
part, le véritable culte qu‟elle voue au respect de la loi de la majorité des travailleurs l‟a
conduite, face aux difficultés grandissantes et bien réelles rencontrées sur les lignes, à éviter
toute confrontation.
Dans ce dernier cas, cela aurait eu pour conséquence de remettre en cause sa vision
pacifiée de la lutte au sein de la classe exploitée. Il n‟était donc pas question de rechercher
une explication claire et directe entre grévistes et non-grévistes. Une telle explication aurait
pu prendre plusieurs formes, et pas nécessairement violentes : à l‟image d‟un piquet de grève
simplement „filtrant‟ aux portes. Rien de tout cela n‟a été proposé par les syndicalistes de LO
d‟Aulnay. Conséquence : l‟objectif permanent et universel de toute lutte, “ l‟union de plus en
104
plus étendue des travailleurs ” (Manifeste), n‟a pas été atteint malgré l‟adoption de la position
de l‟autruche vis-à-vis des non-grévistes.
Le syndicalisme forcené de LO
Dans le développement de la conception de LO des comités de grève, pourtant
considérés comme le lieu privilégié d‟apprentissage du “ pouvoir ouvrier ”, la question de la
formation et des instituts de la conscience politique collective autonome des travailleurs n‟est
jamais évoquée. Il n‟est pas non plus question de la relation dynamique entre luttes
défensives, „économiques‟, et lutte politique. Enfin, on n‟apprend pas grand-chose non plus
sur les relations entre syndicats d‟Etat - “ pompiers de l‟ordre social ”
Il n‟est guère dans notre intention de dresser une barrière, à la manière des léninistes
orthodoxes, entre luttes économiques et politiques. Toutefois, ces deux expressions de
l‟autonomie ouvrière ne sont pas réunies par un signe d‟équivalence. Karl Marx fournit
plusieurs pistes pour élucider ce rapport dynamique.
Dans la lettre à Bolte déjà citée, il qualifie tout d‟abord de mouvement politique “ tout
mouvement dans lequel la classe ouvrière s‟oppose, en tant que classe, aux classes
dominantes et s‟efforce d‟exercer sur celles-ci une pression du dehors ”. Trois éléments
caractérisent donc tout mouvement politique prolétarien :
La classe ouvrière se reconnaît en elle-même par delà les différences et les intérêts
matériels divergents.
La classe ouvrière se reconnaît pratiquement en tant que classe en s‟opposant aux
classes dominantes dans leur ensemble et pas seulement à certains secteurs de cellesci.
La classe ouvrière ne se cantonne pas à une opposition de Sa Majesté, faite de
l‟intérieur du système, en en respectant les limites structurelles. Elle exerce une
pression indépendante, en dehors du système, et refuse de se soumettre aux raisons des
classes dominantes.
Vitales pour améliorer le quotidien de l‟exploitation voire seulement retarder son
augmentation, les luttes économiques isolées des salariés sont à la fois le lieu naturel de
naissance des mouvements politiques indépendants du prolétariat et leur négation dialectique.
La résistance quotidienne, endémique, physiologique à l‟exploitation n‟est pas l‟objectif
principal des communistes, des ouvriers autonomes.
Dans Plus-value (1865), Karl Marx conseille les ouvriers de ne pas “ exagérer le
résultat final de cette lutte quotidienne ”. “ Qu‟ils ne l‟oublient pas ”, poursuit-il, “ Ils luttent
contre les effets et non contre les causes de ces effets ; ils ne peuvent que retarder le
mouvement descendant mais non en changer la direction ; ils n‟appliquent que des palliatifs,
mais sans guérir le mal ”.
Le premier facteur de différence entre luttes défensives et luttes politiques ouvrières se
trouve dans leurs contenus respectifs : correctifs du système pour les premières ; indifférents
aux compatibilités données du système ceux exprimés par les secondes.
Au XIXe siècle, la fameuse bataille internationale pour imposer la loi des 10 heures de
travail par jour rentrait à plein titre dans le cadre du mouvement politique prolétarien. La
revendication n‟était pas, en soi et absolument, incompatible avec la survie du capitalisme. La
preuve est amplement faite. En revanche, au moment où ce combat a été mené, la satisfaction
de cette revendication a remis en cause l‟organisation du travail, le procès général de
production, jusqu‟à la forme de représentation politique des classes.
Cette bataille, par son impulsion formidable, a permis le passage de la manufacture à
l‟industrie moderne et d‟une démocratie bourgeoise incomplète, pour la plupart réservée aux
couches les plus fortunées de la population, à la république démocratique moderne, fondée sur
le principe un homme, une voix. Le débouché de la bataille pour les 10 heures a été
incontestablement réformiste mais le mouvement qui l‟a portée avait des claires
105
caractéristiques révolutionnaires. Tout mouvement doit être prioritairement jugé à sa
dynamique et aux forces sociales qu‟il incarne et pas à son épilogue ou même, dans certaines
limites, à ses objectifs formalisés.
Outre ce premier facteur discriminant, les ouvriers, enchaîne Karl Marx, doivent
comprendre que “ le régime actuel, avec toutes les misères dont il les accable, engendre en
même temps les conditions matérielles et les formes sociales nécessaires pour la
reconstruction économique de la société ”. La société du capital a fait preuve, depuis
plusieurs siècles, d‟une énorme capacité spontanée ou planifiée de transformation et, surtout,
d‟adaptation aux pressions de la société civile et des classes opprimées. Jouer toute la partie
autour de revendications plus ou moins ingérable pour le capital, voue la lutte à un échec
assuré. La recherche de l‟objectif „fatal‟ pour le capital n‟est qu‟un mirage.
Sans donner davantage de détails, Marx identifie ici l‟un des points de force du
système actuel de domination de classe : sa propension à inventer des “ formes sociales
nécessaires pour la reconstruction ” de sa société. L‟élaboration et le perfectionnement
permanents de nouvelles formes, stratégies et instituts de commandement dans l‟usine et dans
la société s‟est révélée être l‟arme absolue pour la conservation du système existant. Ce travail
incessant invalide l‟espoir typiquement réformiste d‟obtenir, y compris au prix de la guerre de
classe la plus âpre, “ un salaire équitable pour une journée de travail équitable ”.
Ce mot d‟ordre à l‟apparence si raisonnable et légitime, Marx le définit ouvertement
comme “ conservateur ”. Il lui oppose celui, directement “ révolutionnaire ”, de l‟“ abolition
du salariat ”. Voilà fixées les limites, très étroites en vérité, placées par Marx à l‟horizon
revendicatif des salariés. Traduction : les objectifs avancés dans les luttes défensives ne
doivent jamais contredire le but politique général de la disparition du régime fondé sur le
travail salarié.
Et LO dans tout cela ? Voici sa réponse : “ Nous participons activement aux luttes des
travailleurs, même si ceux-ci présentent des revendications avec lesquelles nous ne sommes
pas d‟accord : primes ; indemnités diverses ; augmentations hiérarchisées ; etc. ”. Seules
sont exclues de son champ d‟action les luttes pour des revendications “ carrément
réactionnaires ”, type celles pour le licenciement des travailleurs immigrés.
Prisonniers de leur démocratisme à tout crin, après avoir défendu leur “ point de vue ”,
les militants de LO “ se soumettent à la décision des travailleurs et respectent les
revendications telles qu‟elles sont formulées par eux ”. C‟est le meilleur apprentissage du
syndicalisme : jamais (ou presque) minoritaires ; toujours à la traîne de la majorité. Quant au
“ point de vue ” spécifique à l‟organisation trotskiste défendu avant que les choses sérieuses
commencent, nous n‟en saurons pas davantage. Nous n‟en saurons rien non plus sur la
position de LO sur l‟orientation politique de la lutte et de l‟organisation défensive.
Les syndicats, jadis taxés de pompiers sociaux mais sans grandes conséquences
pratiques dans le rapport entre l‟organisation trotskiste et ces derniers, deviennent
progressivement dans les écrits et les discours de LO des organes neutres dirigés par des
bureaucrates qu‟il faut conquérir. Aucune critique sur leur fonction intrinsèque n‟est formulée
à leur encontre. Ni avant, à l‟époque des syndicats taxés de “ pompiers sociaux ”, ni après,
quand ils prétendront que les comités de grève ne doivent pas “ apparaître comme des
machines antisyndicales ”.
Pourtant Karl Marx avait été suffisamment explicite à cet égard :
“ Les syndicats agissent utilement en tant que centres de résistance aux empiètements du
capital ; ils se montrent en partie inefficaces par suite de l‟emploi peu judicieux qu‟ils font de
leur puissance. Ils manquent généralement leur but parce qu‟ils se bornent à une guerre
d‟escarmouches contre les effets du régime existant, au lieu de travailler en même temps à sa
transformation et de se servir de leurs forces organisées comme d‟un levier pour
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l‟émancipation définitive de la classe travailleuse, c‟est-à-dire pour abolir enfin le salariat ”.
(Plus-value ; 1865)
A l‟époque où Marx écrit ces lignes, les syndicats n‟avaient pas encore été absorbés
par l‟Etat capitaliste. Ils étaient encore des instituts ouvriers indépendants du soi-disant intérêt
général, traduction idéologique des intérêts exclusifs des classes dominantes. Même dans ces
circonstances, Marx n‟épargne pas la critique du syndicalisme de classe qui déconnectait les
luttes quotidiennes défensives des mouvements politiques du prolétariat. Il affirmait que les
organisations défensives des ouvriers étaient “ plus importantes en tant que force organisée
pour hâter l‟abolition du système même du salariat ” qu‟en tant qu‟instruments
“ indispensables dans la guerre d‟escarmouches quotidienne entre le capital et le travail ”.
(Résolutions de l‟AIT ; 1868)
Dit autrement et en tenant compte du contexte présent d‟intégration achevée depuis
près d‟un siècle des anciens syndicats de classe aux Etats des pays capitalistes les plus
développés, les organes ouvriers défensifs qui surgissent des luttes économiques les plus
déterminées doivent comprendre, en utilisant encore les mots de Karl Marx, “ leur pouvoir
offensif contre le système d‟esclavage du salariat et contre le mode de production actuel ”.
(idem) Il faut, en somme, qu‟“ en dehors de leurs buts primitifs ”, les syndicats (hier) et les
organes défensifs autonomes (aujourd‟hui) “ apprennent à agir de manière plus consciente en
tant que foyers d‟organisation de la classe ouvrière dans l‟intérêt puissant de leur
émancipation complète ”.
D‟instituts qui se chargent de l‟organisation de la résistance au capital, ces organes
sont appelés à devenir, dans et par les combats défensifs, les représentants formels du
processus de formation politique du prolétariat. Et ce en reconnaissant en priorité les limites
intrinsèques d‟une guerre qui s‟attaquerait aux seuls effets de l‟exploitation. De ces lieux
privilégiés de l‟émancipation ouvrière en devenir peuvent naître les embryons de
l‟organisation révolutionnaire préalable et stable du prolétariat, ce que nous appelons les
comités politiques.
Les organes défensifs autonomes, tels les comités de grève, sont éphémères car
expression directe de luttes qui ont un début mais aussi une fin. De plus, la grande capacité
actuelle d‟intégration à l‟Etat des organisations nouvelles de défense des travailleurs rend
pratiquement impossible la reconstitution de syndicats de classe durablement indépendants.
Toutefois, l‟apparition de ces instituts temporaires d‟expression ouvrière offre aux travailleurs
les plus déterminés la possibilité de se constituer, dans leur sillage, en minorité directement
organisée sur le terrain politique.
“ La coalition des forces ouvrières déjà obtenue par les luttes économiques doit aussi
servir de levier aux mains de cette classe dans sa lutte contre le pouvoir politique de ses
exploiteurs ”. Et encore : “ Dans l‟état militant de la classe ouvrière, son mouvement
économique et son action politique sont indissolublement unis ”. (Résolutions de l‟AIT ;
1871)
L‟articulation entre lutte économique et combat politique se fait tout d‟abord dans
l‟usine même, sur les lieux de travail, et ne se conçoit pas comme négation sèche de l‟une par
l‟autre ou inversement. La force et l‟extension du tissu de comités politiques dépendent ainsi
directement à la fois de la capacité à développer des mouvements défensifs amples et décidés
et de la volonté d‟unification politique que les minorités ouvrières conscientes issues sauront
alors exprimer.
Cette dynamique et cette dialectique vitale de la classe exploitée n‟intéressent guère
LO, ancrée à la conception typiquement sectaire que le parti politique prolétarien est le fruit
du recrutement et de l‟action éclairante du groupe et que la défense quotidienne des
travailleurs est de compétence exclusive des syndicats “ pompiers sociaux ” ou, parfois, de
comités de grève fugaces et dévitalisés à la manière de celui d‟Aulnay.
Flore Gambier- Messages : 11
Date d'inscription : 11/07/2015
Texte 2
Témoignage romancé d’une grève en 2007 dans une usine automobile parisienne, par un ouvrier trotskiste devenu anar
Je buvais souvent un verre avec Petar…
Je buvais souvent un verre avec Petar, un jour il me dit de but en blanc : la grève, elle va bientôt démarrer chez Carpedo. Deux mois avant, la rouge de Carpedo avait fait 80 pour cent aux élections professionnelles, ça annonçait la couleur. Comme c’étaient les staliniens qui avaient monté la rouge Carpedo, il y avait aucun contact avec les trotskistes de Bagnole-lès-Rancy. D’un côté ou de l’autre, 0 : sectarisme quand tu nous tiens…la grève démarre le lendemain. Petar m’appelle pour me le dire. Je préviens Gerbier et Sorel. Petar m’emmènera tous les matins en voiture voir les grévistes avant mon travail. Ce qui fait que je suis le seul de Bagnole-lès-Rancy à voir les grévistes, serrer leurs mains, discuter avec eux. J’échange mon numéro avec leurs chefs. Ils me disent avoir l’intention de rentrer au Ferrage, ils m’appelleront quand ils trouveront le moyen d’entrer. […]
Ils appellent pour me fixer un rencart, les chefs syndicaux ont trouvé une ouverture. Je préviens Sorel et Gerbier qui vient de se réveiller. L’heure approche, je me mets en délégation. Me voilà au rendez-vous. Je les vois débouler au Ferrage : leur chef m’embrasse. Un grand ouais ! général retentit : hourra ! hourra ! hourra !….Nous voilà débouler au Ferrage, criant : la force des travailleurs, c’est la grève ! la force des travailleurs, c’est la grève ! Bagnole-lès-Rancy avec nous !… on se dirige vers le Montage. Quelqu’un me tape sur le dos. Je me retourne, qui je vois ? Gerbier… après mon coup de fil, il s’est pas posé de questions, il a sauté de son lit, déboulé avec sa bagnole plein champignon sur l’autoroute. Nous voilà au Montage. Le reste du syndicat est là…Comme d’hab’ manifestation dans les ateliers, des ouvriers font grève la journée en solidarité. Le soir Petar m’appelle : les négociations viennent de finir avec la direction Carpedo. Résultat : cent euros d’augmentation, les jours de grève payés. Cette nouvelle aura des conséquences à Bagnole-lès-Rancy dans les jours à venir…
Vera Cruz avec Gary Cooper et Burt Lancaster
Dans la soirée, en sortant de la Filmothèque du Quartier latin. Je venais de revoir Vera Cruz (1954), avec deux icônes de mon enfance : Gary Cooper et Burt lancaster. Je compte pas les fois que j’ai vu ce western de Robert Aldrich depuis l’âge de huit ans, là c’était la première fois que je le voyais en vo. Un coup de fil de Gerbier m’annonce : la grève est déclenchée au Montage, ils demandent des augmentations de salaires comme à Carpedo ! Pointes-toi directement demain matin au Montage pour voir si ça prend pas aussi dans ton équipe !
Je me pointe directement au Montage en civil. Je dis pas le raffut…y avait foule d’ouvriers en grève. La direction a pas traîné : l’équipe de mouchards, huissier compris est déjà constituée. Cette fois y a quand même une nouveauté : une soi-disant beurette qui officie comme DRH, porte le keffieh palestinien pour faire croire aux jeunes : je suis avec vous ! Personne se laisse prendre à son jeu. Ses manières roulent aucun ouvrier. Tout le monde a vite fait de voir son jeu…
Je passe les détails à l’identique de 2005. Je vous amène directement à la première réunion du comité de grève. Il s’est refait tout seul dès que Sorel l’a proposé. Les mouchards infiltrés se grillent très vite, il aura suffi de formuler les revendications de la grève, pour qu’ils tombent. Le secrétaire du syndicat les Crétins dit : Demander 300 euros d’augmentation, c’est trop ! Pour obtenir quelque chose faut demander 50 euros ! La retraite à 55 ans, faut pas rêver ! Il se fait conspuer. À côté de moi Tahar le secrétaire d’ouest-Car, me glisse : C’est un fils de pute, qui est là pour casser la grève !
Le soir de la première journée arrive, je me balade au Montage. Les Grands sont partis faire leur réunion en douce. C’est mon droit, je veux pas aller à celle des Petits. Me revoilà en froid avec eux. Je ferai les suivantes à couteaux tirés. Avec ce que je vois ce soir pas de regrets d’avoir raté la première. À l’endroit où j’arrive, j’entends de la musique: des tam-tams, de la fanfare marocaine… Sur les chaînes les ouvriers font la fête: chantent, dansent… Quand ils me voient arriver, à leur visage je devine tout de suite : C’est le trotskiste qui vient nous casser les couilles ! Faire la leçon ! Nous dire ce qu’il faut faire ! Je danse, fais la fête avec eux… au début, ils sont étonnés. Après, l’un des musiciens me dit : D’où on vient, nous savons ce que veut dire crever de faim ! S’il faut on tiendra six mois, nous irons jusqu’au bout ! Jusqu’au bout ! sera un des slogans de la grève 2007. Le musicien rajoute : Nous avons notre tactique pour foutre l’usine en grève ! Leur tactique, je la verrai jamais. Jeanne, une militante des Grands, vient faire la morale : Faut pas faire la fête ! dit-elle, ajoutant : Mais discuter avec les ouvriers sur les chaînes pour les convaincre ! Ça jette un froid. À part, je dis à Jeanne : S’ils font ça, c’est pour convaincre à leur manière, qui sait, ça peut marcher ! Je redis ça aux Grands et Petits, ils me rient au nez. Après ça, ils disent qu’ils font confiance aux travailleurs. Qu’ils s’étonnent pas, si j’ai commencé à virer anar définitivement, comité de grève bidon ou pas. […]
Mes névroses et le dirigisme trotskiste
Mes névroses vous ramènent à la grève : à la réunion du comité ce matin, il est constaté que les limites de la grève sont atteintes dans l’usine, les petits groupes constitués pour convaincre de nouveaux grévistes recrutent de moins en moins de monde. En plus, de nombreux grévistes font grève chez eux. Pour moi conséquence de l’arrêt des fanfares, les ouvriers qui voulaient une grève festive, avaient forcément déchanté. Ils se disaient : avec la fanfare, du monde sortira ! Quand, ils ont vu que leur solution était pas retenue, la grève a été laissée aux professionnels… Plus d’un dira : il est bien naïf politiquement. À Lip, c’était bien l’imagination des ouvriers au pouvoir… À Bagnole-lès-Rancy, le comité de grève était encadré par des militants trotskistes, Grands et Petits confondus, qui faisaient la morale aux ouvriers quand ils étaient pas d’accord avec eux… Dirigisme trotskiste quand tu nous tiens.
Je poursuis le monologue intérieur, ça s’embrouille un peu dans ma tête, plus de cinq ans ont passé depuis, bien des événements… Selon le comité de grève, à peu près une semaine et demie après le début des hostilités, les limites du mouvement dans l’usine sont atteintes. Il faut s’adresser aux autres ouvriers des autres usines du groupe. Un car est loué pour aller à la Poisse, la plus grosse usine de la région parisienne. Je dis ça à Bill enthousiaste. Vous êtes pas assez nombreux qu’il me dit ajoutant : le plein a pas été fait dans l’usine ! Vous allez vous faire balader, comme vous l’auriez été avec les Stals !… À ce moment, je diverge avec lui. Comme il avait raison dans ces propos en y réfléchissant après coup… Sur le moment, je lui dis : on peut faire le même coup que Croissant Soissons, il y a quelques années ! Bill rétorque : ils étaient dix fois plus nombreux, bonne balade petit !
Nous voilà devant l’usine de la Poisse. Jamais vu une turne aussi grande comparaison à Bagnole-lès-Rancy, presque une PME en comparaison. Nous sommes noyés par l’immensité… L’équipe qui rentre prend nos tracts. Certains nous écoutent, au bout du compte, les ouvriers de la Poisse rentrent au chagrin…
L’usine de Saint-Glin-Glin
Dans la foulée, les jours précédents, il est décidé d’aller à Saint-Glin-Glin, plus petite boîte Saint-Glin-Glin. La rouge y a fait un carton aux dernières élections professionnelles… Saint-Glin-Glin en taille, c’est grand comme un atelier de Bagnole-lès-Rancy. Là ça sera plus épique. Plus drôle qu’à la Poisse. On y rentre dans la tôle. Je raconte les circonstances : en arrivant la grande porte est fermée. Des grévistes l’ouvrent en force… Je donne pas les noms de ceux qui ont ouvert, because des poursuites ont été engagées, après constat d’huissier. une fois le passage franchi, nous voilà dans la tôle. Le spectacle est grandiose à l’intérieur. Un sacré comité d’accueil est là. le banc, arrière-banc de nervis, mouchards, anti-ouvriers, anti-grève… sont là. Du cent pour cent garantie vermine, la fine fleur de la pourriture. Faut voir avec la haine qu’ils nous regardent. Ils auraient des fusils à la place des yeux, un sacré carnage qu’ils feraient…
Ce qui suit, est encore plus hallucinant… Périclès, un portugais, de ma vie jamais vu quelqu’un d’aussi paranoïaque, schizophrène… traité en hosto qu’il a été le Périclès. Je l’évite comme la peste. Je suis pas le seul chez les grévistes et pour cause. Le Périclès y va voir carrément le comité d’accueil, pour montrer ses photos de famille du Portugal. Faut voir le contraste. Un ouvrier qui fait voir ses photos comme un petit enfant montrant des chromos, des nervis médusés voyant tout ça… Y a pas intérêt à le contredire Périclès. Un chef du Montage en a fait les frais, il lui reprochait un boulot soi-disant mal fait. Le chef pourtant dur à cuire avait cru son dernier jour arrivé, après l’avoir vu en furie lui tomber dessus… À trois qu’ils avaient dû s’y mettre pour le stopper. Le chef y doit y réfléchir à deux fois à présent avant de chercher des noises sur le travail. Passé ce spectacle, on s’engage dans les ateliers. Peine perdue, à part les délégués, quelques syndiqués et encore nous soutiennent…une usine de plus qui nous suit pas.
Ça commence à tourner sérieusement en rond la grève. Faut chercher un deuxième souffle, il y a nécessité qu’une autre usine nous suive. le comité de grève a une idée lumineuse : aller voir Carpedo ! Après tout, c’est grâce à nous qu’ils ont gagné ! Ils nous doivent bien ça ! La meute de chiens nous suit, alors qu’on avance au Ferrage… Des fois qu’ils aient faim, des grévistes traînent devant eux des nonos attachés à une corde. Ils doivent tellement saliver à l’odeur des nonos qu’ils voient pas qu’on franchit la porte qui sépare le Ferrage de Carpedo. Ils restent en rade dehors. Dans Carpedo, le cortège avance au cri de : Carpedo, Bagnole-lès-Rancy, même patron, même combat !…. Des ouvriers, des chefs nous voient médusés. Le tournant de la grève approche. Un groupe d’ouvriers Carpedo s’est formé autour de leurs dégueulés. Les pontes syndicaux Carpedo entament un vague discours de soutien à notre grève… Faudra pas attendre plus. Plus tard, je demanderai aux ouvriers de Carpedo pourquoi, ils nous ont pas suivis ? Ils me diront que c’est leurs délégués, qui leur ont dit… Sarcastique, ma réponse : ils vous demandent d’aller vous jeter au fond d’un puits, vous y allez !…
Deux semaines de grève, ça sent le roussi, personne nous suit dans le groupe. Carpedo, on les avait bien aidés pour qu’ils gagnent ! Pour nous nada ! Pas même le geste d’une heure de débrayage. Sectarisme tout ça : les syndicalistes de cette tôle sont à la botte des staliniens qui voient bien que la grève de Bagnole-lès-Rancy est politique… preuve définitive de ce que j’avance, Perdraud, leur clancul de secrétaire national. En pleine grève de Bagnole-lès-Rancy, interrogé à la télé sur le fait que le privé bouge jamais. Le seul exemple qu’il donne de boîte du privé qui bouge : deux petites boîtes du Sud-ouest… une grosse boîte en grève, c’est rare, en plus qui demande : la retraite à 55 ans, 300 euros d’augmentation, ça pourrait redonner l’espoir. Les costards-cravates qui dirigent les syndicats, qui sont là que pour donner du désespoir, manger à la table des sinistres… disant : ah Monsieur, tout va bien, on les tient ces salauds de pauvres, passez-moi le caviar !… Sont surtout pas là pour le redonner ! Que non ! Que non !…
Le centralisme trotskiste et la naissance d’un anar
Le thème des Staliniens, je l’ai balancé à Sorel quand les Grands ont exclu les Petits de leur secte… les Petits avaient protesté que les Grands fassent alliance aux municipales avec les réformistes, les roses caviar, les Staliniens… tout ça contre des places de conseillers municipaux, des plats de lentilles… Sorel me dit : Centralisme démocratique, faut s’y plier ou c’est la porte ! Les bolcheviques avaient fait pire par tactique de Lénine, ils s’étaient alliés avec les Cadets pour avoir des places au parlement tsariste ! Bien que n’étant plus trotskiste mais cent pour cent anar, je lui rétorque : les staliniens sont les ennemis mortels des trotskistes, ils en ont même déjà tué !… Sorel s’arrange pas avec les décades passées à l’usine ; plus il prend de l’âge, plus il vire chef de secte…
Les boîtes sous-traitantes de l’usine, qu’on avait aidées dans leur grève, pas une nous soutiendra. SSS boîte de nettoyage qui avait fait grève pour la dignité. Leur patron voulait même pas leur donner des chaussures de sécurité. Pour en avoir, il fallait qu’ils en prennent dans les poubelles. Du haut de son yacht, des chaussures pour leur patron rapiat c’était déjà trop. Il a dû s’en faire des cheveux blancs : en plus, ils demandaient des augmentations de paye. Pour les aider à gagner, on est resté toute leur grève à les soutenir. Dormir avec eux pendant leurs piquets, des fois que les flics Bagnole-lès-Rancy viennent les déloger. Même le dimanche on venait.
J’y étais pas ce jour-là, à la peinture. On m’a raconté. Manifestation standard : grévistes SSS, syndicalistes de la boîte, Sorel aux avant-postes. Des cadres dont M. Puta directeur de la peinture sont là, collent Sorel. Il sent une bite contre son cul, il craque demande s’ils ont pas des tendances pédérastiques ! Ça s’envenime. Je passe les détails qui ont été tranchés par une demande de licenciement contre Sorel… les dirigeants des grandes entreprises c’est des : voleurs ! licencieurs ! exploiteurs !… Voleurs, j’affirme encore une fois preuve à l’appui. Les dirigeants de Bagnole-lès-Rancy allaient voler la retraite de leurs mouchards. Lors du dernier plan de départ, la préretraite à 55 ans faut plus la chercher… La préretraite maintenant, ça existe plus. La loi larbin à Clétencourt l’a définitivement ratiboisée. Avant la grève 2007, y en avait encore une, les vieux qui y ont eu droit sont les derniers à partir à 55 ans. Pour le reste faudra crever à la chaîne… Des anciens l’ont ratée à un mois près. Un lot de mouchards anti-rouges, qui nous ont pourri la vie, nous mouchardant en roue libre… allaient la rater, la préretraite. Prétexte qu’ils avaient truqué leur date de naissance pour rentrer dans l’usine. Pour l’avoir à présent, ils sont allés pleurer auprès de leur patron adoré avec leurs vraies dates de naissance. Malgré les services rendus le patron voulait rien entendre. Voyant que leur syndicat de larbin à force de ramper devant la direction est incapable de les défendre, c’est les rouges qu’ils sont venus voir. Des anciens de 82 veulent pas qu’on les aide. Ça se comprend, avec tout ce qu’ils les ont fait chier. Des collègues dont Gilbert se foutaient de ma gueule : ils vous ont pourri la vie et vous allez leur permettre de partir à la retraite, trop gentils, trop cons ! J’apostrophais les délégués maison, quand je les croisais en public : Heureusement, qu’on est là, vous êtes même pas capables de défendre vos syndiqués ! Avec le barouf fait boulevard Bérézinas, dans les journaux, les mouchards auront eu la retraite grâce à la rouge. Cet éclat leur est resté en travers de la gorge… D’après les rumeurs entendues boulevard Bérézinas, le PDG avait demandé la tête de Sorel. Du pain béni les événements de peinture.
Dimanche sur le parking de l’usine où l’on est en nombre. Sorel nous apprend qu’il y aura sûrement une demande de licenciement contre lui. La demande arrive lundi. Heureusement dans la soirée, SSS trouve une sortie honorable à sa grève, leur patron rapiat devra se serrer un peu la ceinture sur son yacht. Il bouffera un peu moins de caviar dans la semaine, les balayeurs SSS offriront un peu plus de jouets à leurs gosses… La grève SSS a été plus qu’épique. Des nuits à dormir avec eux à même le sol. Dans des coins sordides. Ils en ont du mérite. Certains d’entre eux avaient sûrement pas de papiers. Malgré ça, ils ont tenu tête et niqué un des plus gros patrons de France. Leur déléguée niveau vermine, elle tenait le haut du pavé… plus d’une fois, je l’ai chopée la Hortansine après avoir fait la navette avec les chiens de garde, le DrH du Montage, ils étaient là quasiment 24 heures sur 24. Après voir pris ses consignes chez ce beau linge, elle venait démoraliser les grévistes… Un jour l’un d’entre eux, un Hindou, après sa venue, voulait reprendre le travail. il a fallu que je lui dise que, pour ses enfants, il pouvait pas faire ça, rentré chez lui après deux semaines à dormir loin de chez lui, la queue entre les jambes…
Je suis à bout, les Grands, comme je suis plus de leur bord, ils m’auront bien pourri la vie. Rien que dans la grève SSS, ils étaient pas nombreux à me parler, me dire : Bonjour, ça va, avant de me dire : C’est ton tour de dormir avec les grévistes ! Pour demander quelque chose, y en avait toujours un pour venir me voir. Pour le reste nada la pougnette. Cerise sur le gâteau, à leur fête où malgré tout, j’y bossais gratos. Quand je les croisais, j’étais jamais dans leur champ de vision. Par contre à Hortansine, ils lui déroulaient le tapis rouge quand elle venait. Je me répète, j’ai pas le choix, tout net, je le dis : avec des comportements comme ça, qu’ils viennent pas s’étonner que je sois devenu cent pour sang anar ! Anti-trotskiste ! Anti-bolchevique ! Anti-marxiste ! Anti-communiste !… Marginal de la politique ! C’est eux qui m’ont marginalisé, au début en me parlant plus car j’avais rejoint les Petits. J’en ai souffert d’être isolé. Maintenant la marginalité politique, syndicale est devenue ma marque de fabrique. Je préfère les laisser entre eux…
Bill qui était un de leurs dirigeants, je délire, m’emporte, vitupère… J’ai pas le choix en y réfléchissant, je peux pas faire autrement. Les Grands, Petits, i’ étaient bien contents quand Bill passait ses week-ends, ses vacances… venait après son boulot chez Renault pour s’occuper de leur terrain. Il m’avait dit leur avoir même fait le tout-à-l’égout. Je dénonce des saloperies faites par des gens qui disent avoir vocation à changer le monde… À part la grande foule de ses vrais amis, ils étaient pas nombreux les Grands et les Petits de tout poil à son enterrement, à venir le voir quand il était atteint d’un cancer… après ça, ils peuvent parler de changer le monde. C’est des gens comme ça qui vont changer le monde ?
Bill a osé poser les bonnes questions en se demandant : Trotski, les trotskistes… se sont peut-être trompés sur l’analyse de la situation actuelle ? C’est un acte de salubrité de se poser des questions comme ça. Pour qu’une organisation sombre pas dans le stalinisme des plus sectaires.
Clarette Lavilliers, Tansancenot, la mère Marchais ancienne ministre des Sports…
Sorel, il se voyait viré. Il en aura fallu des débrayages, des prises de paroles sur le parking, des soutiens politiques : Clarette Lavilliers, Tansancenot, la mère Marchais ancienne ministre des Sports. De la part des autres syndicats, il aura eu son lot de calomnies… Grâce au battage fait, il aura réussi à sauver sa tête. Voyant les soutiens, Bagnole-lès-Rancy avait certainement pas voulu prendre le risque d’un licenciement politique…Maintenant, je m’interroge : pourquoi au bout de trois semaines de conflit, le mouvement a continué encore trois semaines ? Je raconte la fin des événements tels qu’ils reviennent à ma mémoire… Ce qui a relancé la grève après notre passage chez Carpedp, ça aura été une grève chez les sous-traitants de sièges directs pour l’usine… À Trifouille-lès-Compiègne. J’y suis allé une fois à Trifouille-lès-Compiègne voir leur grève. Toute leur boîte était à l’arrêt. Si ma mémoire me fait pas défaut, 80 pour cent de l’usine en grève. En discutant avec les grévistes, j’avais constaté quelque chose de pas minime, c’est qu’ils voulaient pas la fusionner avec nous leur grève. au contraire des patrons, pour les ouvriers, c’est chacun pour soi… Tout ça me fout un coup au moral, confirmé quand ils obtiendront ce qu’ils voulaient… les patrons : i’ sont pas cons ! Tout sauf abruti, un patron !…Pour diviser un mouvement, il est capable de lâcher quelque chose même temporairement, il sait qu’après, il niquera… C’est ce qui arrivera, aux ouvriers de Trifouille-lès-Compiègne quand, quelques mois après leur conflit, il leur dira : votre usine est fermée !… Pas con un patron, politique un patron !
Après ces événements, pour moi la suite de la grève ça devient vraiment du n’importe quoi. Trois semaines de n’importe quoi. Je raconte la fin: au comité de grève, ça s’écharpait limite les mains. Il y avait les grévistes qui voulaient bloquer en force les chaînes, stopper d’autorité l’usine… Il y avait ceux dirigés par les Grands et Petits trotskistes qui voulaient continuer à l’extérieur de l’usine… À ce moment, il y avait de moins en moins de grévistes qui venaient à l’usine. C’est un fait beaucoup qui venaient voulaient bloquer. Des syndicalistes d’Ouest-Car arguaient dans ce sens. Je me souviens d’un délégué Ouest-Car chaque fois qu’il intervenait en comité de grève c’était pour balancer tout le temps une rengaine identique : pour Ouest-Car, c’est jusqu’au bout !… Jusqu’au bout de quoi, il était bien incapable de le formuler. Passé les avatars du refus de la musique, à y réfléchir à présent : ceux qui faisaient grève chez eux, s’étaient mis en maladie… C’est qu’ils voulaient reprendre le travail, mais osaient pas s’exprimer. La pression du «jusqu’au bout» est la plus forte, la grève continue. Elle change de phase, les Grands et Petits emportent le morceau dans des réunions du comité de grève de plus en plus houleuses. Il y a des échanges de propos de plus en plus violents. Fallait voir l’électricité qui régnait en ces moments…
La grève, je la voyais perdue, j’étais pas le seul, Sorel m’avait dit : on va droit dans le mur ! À la télé malgré que Perdraud faisait pas de publicité, les JT commençaient à en parler. Même au 20 heures d’antenne1, PPD en parlait de la grève de Bagnole-lès-Rancy.
La mère Impériale en campagne présidentielle découvre des ouvriers !XXXX
Conséquence de tout ça, la grève va s’inviter dans la campagne des présidentielles qui vient tout juste de commencer. Des candidats vont venir nous voir sur le parking : Tensansenot, Clarette Lavilliers, le coupeur d’OGM, Adèle Aurore Marchais… Cerise sur le gâteau : la mère Impériale, future finaliste de la compétition… elle avait l’air de sortir de la messe, la mère Impériale, de découvrir que les usines c’est pas Neverland : Comment les patrons, ils sont méchants avec les ouvriers ! Because campagne électorale, elle se fait prendre en photo avec des grévistes. Elle va même jusqu’à nous demander devant les caméras d’antenne 1 si on l’aime notre entreprise ? À plusieurs nous répondons : on s’en fout ! on s’en fout ! Dans le brouhaha, il paraît que ce qui a été entendu à la télé c’est oui ! Faut dire que beaucoup étaient sous le charme de l’Impériale…
Maintenant, vient le temps des interrogations, des bilans… Pourquoi la grève a duré trois semaines encore ? les Grands et Petits savaient qu’elle était perdue, la grève. Qu’elle allait droit dans le mur. Deux hypothèses s’offrent à moi : Continuer de permettre aux ouvriers d’apprendre à diriger leurs luttes, ou bien inscrire la grève de Bagnole-lès Rancy dans le contexte de la campagne présidentielle ? Des trotskistes s’y présentaient, c’était l’occasion de montrer aux électeurs, aux citoyens qu’ils dirigeaient des luttes… Le pire, peut-être les deux. La grève de Bagnole-lès-Rancy aura été l’exemple de la schizophrénie trotskiste. Toutes les activités militantes tournées vers les élections pour au bout du compte faire 0,5 pour cent des voix…
Force est de dire qu’avec les circonstances qui vont suivre… je voyais des catastrophes arriver, la fin du syndicat… pire encore la fin des luttes à Bagnole-lès-Rancy. J’étais pas le seul. Au vu de la maîtrise des événements, les trotskistes : Grands et Petits, ils auront bien joué avec le feu. Plus d’un voyait la situation compromise, eux compris. Tout le monde va comprendre, ça va s’enchaîner en quatrième vitesse comme une farandole, un rigodon, une mauvaise suite… La campagne électorale est là, la grève passe en phase ballade des ouvriers pour collecter de l’argent pour payer la lutte. Il y aura même la création d’une carte de grévistes à pointer tous les jours pour toucher l’argent des collectes. Pour cela des délégations de grévistes seront envoyées dans les usines du groupe, chez Renault, dans les autres boîtes du 93, les mairies… Je peux pas m’empêcher de raconter l’épisode Renault, usine d’ingénieurs. Ça éclaire le reste de comment ça s’est fait les collectes. En gueulant à l’entrée, la solidarité aura pas beaucoup payé. Dans les locaux syndicaux, chez les notables de la boîte, c’est autre chose : une réception cinq étoiles avec rosbif, sauciflard, pâté de campagne du meilleur, ricard, whisky… ils savent recevoir, les syndicats de Renault. À l’appui un gros chèque pour soutenir la grève… un constat s’impose : les patrons tiennent les syndicalistes isolés dans leurs locaux syndicaux comme les tuniques bleues tenaient les indiens dans les réserves, tranquilles à picoler du whisky du matin au soir…
Les événements s’enchaînent, la farandole accélère… le gros des réunions du soir, c’est à présent : savoir combien ramènent les collectes aux caisses du comité de grève. Son extension n’est plus à l’ordre du jour, sauf encore pour quelques hurluberlus d’ouvriers qui demandent encore avec insistance, violence, passion… que la grève soit refaite dans l’usine. Pour l’instant, ils sont pas encore écoutés. Ça viendra avec la fin de la grève d’une manière surprenante…accélération de la farandole… Dans les derniers jours de la grève, il y aura du collectage de fric tous azimuts… Je passe les détails. La mairie de Paris aura même eu droit à notre visite massive, avec manifestation en plein Forum des Halles. Au nombre qu’ont était, c’était plus noyé qu’on était, de vrais naufragés d’une grève dans Paname… Les gens sont méchants, des ouvriers voyant qu’on allait voir Jean Delannoy, maire de Paris, se sont pas empêchés de dire qu’on allait voir le phoque de la capitale…Pittoresque qu’elle aura été cette journée dans les beaux quartiers, les touristes, divers badauds… auront vu devant le parvis de l’Hôtel de ville, de ses environs… des ouvriers demander de l’argent pour soutenir une grève. Au comité de grève, même si l’argent y rentre, la tension monte de plus en plus. Les syndiqués rouges, on apprend que les instances vont enfin venir écouter nos remarques, nos protestations, nos attentes…
Depuis le temps qu’on les attend… Ce qu’ils prennent dans la gueule au local… pire que de l’électricité dans l’air qu’il y a. Les répliques que nous donnent les pontes syndicaux illustrent le professionnalisme de la vermine… Ils doivent servir les mêmes baratins dans d’autres usines en grève. Les cinq notables en guise de bienvenue reçoivent un: vous êtes pas venus beaucoup nous aider pendant la grève ! Du fric de soutien la couleur en est absente ! Si vous nous apportez pas de l’aide conséquente, ça sera la fin des luttes à Bagnole-lès-Rancy ! Les grévistes vont nous cracher à la gueule !… Parmi ceux qui gueulent le plus, il y a Azouz Bakouch. En me souvenant de tout ça, je suis étonné. À part moi, les Grands à cette réunion, hormis donner le bilan de la grève, ils ont pas beaucoup gueulé. Gerbier était pas à la réunion, il y aurait été, le connaissant comme je le connais, il les aurait encore remis à leur place pire que moi. Sorel est même venu après la réunion pour me faire la morale, que j’aurais pas dû m’emporter… Comme je te l’ai envoyé valdinguer. La fin de la réunion devient de plus en plus électrique, Larchaoui se met à hurler, il tape de grands coups sur la table : vous abandonnez les immigrés ! En 82 Krasuk est venu nous soutenir ! Perdraud sa gueule on l’a jamais vue ! Il parle même pas de nous à la télé !… Le seul engagement que les pontes transformés en punching-ball nous donnent, c’est que Perdraud en personne viendra nous soutenir. Pour le reste, que se soit la fin du syndicat à Bagnole-lès-Rancy, qu’on finisse sur la paille, que nenni, que nenni, ça fera des emmerdeurs en moins…
Le chef syndical Perdraud
Perdraud au parking assène son discours ultra-réformiste, s’il doit y avoir des augmentations ça sera 300 euros bruts. Il précise bien bruts. Entendant ça, je gueule comme un malade : Net ! Net ! Net !…. Il se retourne vers moi, croyez-vous que l’enflure va changer son slogan pour faire plaisir à un gréviste. Nada, il précise toujours brut. À ce moment, je me mets à l’insulter : Vendu ! Bouffon!… Il faut que Larchaoui qui aime pas les bureaucrates comme moi me dise d’arrêter, vis-à-vis des grévistes, ça la fout mal qu’un délégué insulte son secrétaire national ! Larchaoui me sort ça, pour me convaincre.
Plus vite la farandole… la fin de la grève arrive, dans les dernières sorties opérées c’est : Paris ! Paris ! Paris !… on va en bouffer du Paris. À commencer par la médiation de la dernière chance au ministère du Chômage. Une délégation y est reçue, parmi les discussions qu’on a en attendant les camarades la certitude que les noms de tous les grévistes doivent être sur le bureau du ministre est plus qu’évoquée…Les grévistes sur les Champs-Élysées, fallait nous voir manifester, pour nous rendre aux dernières négociations, boulevard Bérézinas, à quelques centaines de manifestants sous l’arc de triomphe. La fin de la grève approche, la fin de la campagne présidentielle aussi. En pleine campagne électorale, les Grands apprécient pas beaucoup que je dise aux autres grévistes : Ça sert à rien de voter ! Seule la lutte compte ! Ils vont le dire à Gerbier. Ce dernier réplique tonitruant : Si vous avez quelque chose à dire, allez voir la personne concernée ! Pas un viendra m’exprimer son mécontentement…
Je raconte les derniers barouds d’honneur du conflit. Dans un des derniers comités de grève, Sorel finit par craquer, il écoute enfin les arguments des ouvriers qui demandent de tenter une dernière manif dans l’usine. Sorel prévient : il faudra pas venir pleurer s’il y a des demandes de licenciements en cas de provocations ou débordements !… Le matin de la manif dans l’usine, je vais saluer comme tous les jours mes collègues de boulot, leur donner des nouvelles de la grève. Si la grève a tenu six semaines, c’est pas seulement dû à la détermination des grévistes, à la campagne électorale… Dans les premières semaines, les plus importantes, la direction a pas réussi à avoir le nombre suffisant de volontaires du Ferrage pour aller faire le boulot des grévistes au Montage. Pour ceux qui ont accepté le sale boulot, j’aurais honte de me regarder dans une glace. la honte, ils l’ont déjà envers leurs collègues de travail. Aussi de la manière qu’ils sont transportés au Montage : tous les matins en fourgon comme des chiens… Les collègues, à qui je vais serrer la main tous les jours, m’ont à chaque fois précisé fièrement avoir toujours refusé d’y aller au Montage… Certains ont eu des échanges musclés avec les chefs : Mon poste, il est ici ! Je bouge pas d’ici ! Je suis pas un mouchard !… Si je vais au Montage, ça sera pas pour travailler mais pour casser, faire grève !… Dans une usine comme Bagnole-lès-Rancy, c’est pas rien de tenir des propos comme ça au chef. Là-bas la hantise des ouvriers aura toujours été : Si tu déplais à ta hiérarchie, s’ils m’ont dans le collimateur, j’aurais plus jamais d’augmentation… Grillé que je serais ! Les collègues avaient bien rigolé quand je m’étais pointé le jour qu’on avait été voir les grévistes à la Poisse… Ce jour-là, le manche à couilles de chef de l’époque… disait n’importe quoi pour discréditer les grévistes, comme quoi : Nous avions tenté de rentrer en force à l’usine de la Poisse ! Ils nous avaient refoulés comme des malpropres, à la Poisse ! Preuves à l’appui, ils montraient les chiffres de production de la Poisse… le chef voit ma gueule arriver dans la salle. Il devient tout blanc. Je m’emporte : avant de dire n’importe quoi… faut vérifier ce qu’on dit, nous n’avons jamais tenté de rentrer à la Poisse ! On a tout juste été dire bonjour ! Notre grève, est une grève propre… nous ne terrorisons personne ! Arrêtez de dire ça aux ouvriers !… Le chef se met à trembler. Quand je pars, j’entends des applaudissements…Le jour de la manif dans l’usine, des collègues me disent pour certains : Nous avons honte de travailler alors que vous êtes sans paye depuis plusieurs semaines ! Pour la manif dans l’usine nous viendrons ! Je raconte ça à des grévistes, réponse : ils disent toujours ça, pour se donner bonne conscience ! L’après-midi, ils sont là. Une preuve de plus qu’il était peut-être pas nécessaire de balader tous le temps les grévistes en dehors de l’usine. Il y aurait peut-être eu possibilité d’arrêter l’usine. À 3000 le rapport de force est pas le même pour s’adresser aux autres ouvriers du groupe.
Comment je suis devenu un petit-bourgeois individualisteXXXXX
Ces dilemmes auront fini par me faire craquer. Finir la grève dans la marginalité définitivement… J’étais pas d’accord : il aurait fallu d’abord tenter d’arrêter l’usine ! À l’extérieur, au nombre qu’on était, nous étions des pitres, des guignol’s band !… la grève je l’aurai finie dans le désarroi le plus total, la souffrance la plus totale…L’inconvénient avec les trotskistes de tout poil, c’est qu’une fois qu’ils décident une politique, ils écoutent plus les réticences de leurs militants. Pour eux, faut appliquer le centralisme démocratique : D’accord, pas d’accord, tu fais ce qui a été décidé ! Ou alors un véritable hallali s’abat sur toi. Jusqu’à ce que tu craques avec des noms d’oiseaux : C’est un petit-bourgeois ! Il est individualiste ! Il est démoralisé !… Comme si le fait d’être démoralisé venait de ce que l’on suive plus leur politique. J’aime la phrase que prononce Gérard Blain dans le film Jusqu’au bout de la nuit (1995) : Face à la société, je suis en état de légitime défense !… Cette phrase je me l’étais appliquée à moi-même en me disant : en rentrant dans l’usine, je suis en état de légitime défense ! Après la grève ce sera aussi le dimanche, que cette phrase sera d’actualité, le temps que j’irai encore à mes réunions de cellule, tellement c’était tendu… tellement, j’étais plus d’accord avec eux…
Bien qu’étant plus d’accord avec les Petits je les ai toujours défendus envers les Grands. En les quittant si j’avais arrêté d’être solidaire avec eux, peut-être que ça m’aurait permis de souffler un peu ? Les Grands auraient peut-être arrêté de m’isoler, de me regarder de biais parlant avec moi. À trop regarder de haut les militants qui sont pas d’accord avec eux, ils vont finir par nous attraper le vertige des imbéciles. Un militant des Grands un jour me voyant seul, marginal, se met à rigoler, chantant : Quand t’es dans le désert ! Quand t’es dans le désert ! Il croyait que j’étais encore avec les Petits qui venaient de se faire exclure. Je dis au vocaliste : Si ça t’arrivait à toi d’être viré après des années de militantisme, tu ferais quoi ? Tu serais bien seul ! Un silence et une émotion apparaissent.
La fin de la farandole va bientôt arriver. Après le succès relatif dans l’usine, il est décidé de tenter une grande manif dans paris. L’initiative vient pas des trotskistes mais d’un gréviste isolé. Nous voilà un groupe sur le parvis de la gare du Nord à s’adresser aux gens qui rentrent le soir du travail… À l’un d’eux qui me demande pourquoi on appelle à manifester samedi ? Je réponds : pour la retraite à 55 ans ! 300 euros d’augmentation ! Comme un Martien, qu’il me regarde. Je m’emporte contre un sympathisant des Grands. Il prend l’activité à la rigolade alors qu’il veut toujours être en grève. Pour une fois je deviens méchant, c’est rare pour être souligné : Si tu fais pas le forcing pour qu’il y ait du monde samedi à la manif, que c’est un bide, plus que nos yeux pour pleurer qu’il nous restera !
Fin de grève au bistrot
Même si j’ai fini la grève au bistrot. Pour la fin Gerbier dira de moi : il était tout le temps bourré ! Bien que j’avais démissionné de la grève. Le matin en arrivant à 7 heures à l’usine, il m’arrivait d’attaquer à l’absinthe. Les activités pouvant relancer l’espoir, jusqu’au bout je les aurais faites. Comme un dimanche matin passé sur le marché de ma ville à vendre des places pour le concert de soutien à la grève qui allait être organisé. Comme il fallait s’y attendre la manif du samedi est un bide total. Les partis se disant de gauche, avec les salariés, aux abonnés absents qu’ils sont ce jour-là. Idem pour une certaine extrême gauche : le destructeur d’OGM, Tansancenot, la mère Marchais… d’autres impératifs qu’ils avaient… pour parler de leur attitude, c’est pas le mot démission qu’il faut employer, mais trahison.
La rapine allait accéder au pouvoir. La manif de Bagnole-lès-Rancy pouvait constituer un début de protestation à l’arrogance, aux attaques qu’il allait faire contre le monde du travail. Qu’ils soient pas venus, tout est dit. Les syndicats non plus, ils étaient pas là. À part ça, ils sont là pour défendre les salariés.
Les choses sont claires à présent, dès lundi c’est reprise qu’il faut parler. L’appel à la reprise se fera sans moi. Je tire quand même mon chapeau aux Grands et Petits trotskistes. La reprise avec vote se fera sans trop de casse. Les irréductibles du jusqu’au bout auront été neutralisés ou repris en main. Le vote de reprise s’est quasiment fait à l’unanimité… La seule, l’unique question que je me pose, je suis pas le seul à me la poser : pourquoi l’ont-ils pas proposée avant la reprise ?
De Cyd Charisse à l’esprit de lutte
Ce jour-là plutôt que voter la fin d’une grève dont je savais depuis longtemps qu’elle était finie. J’ai préféré une part de rêve en allant voir au cinéma Party Girl (1958) avec Cyd Charisse et Robert Taylor, deux acteurs cinq étoiles. Dans la foulée, j’ai regardé également Le Port de la drogue (1953) de Samuel Fuller polar américain anarchiste des années 50, d’un anti communisme hallucinant. Un miroir paranoïaque de ce que je vivais en cette fin de grève...
Je buvais souvent un verre avec Petar…
Je buvais souvent un verre avec Petar, un jour il me dit de but en blanc : la grève, elle va bientôt démarrer chez Carpedo. Deux mois avant, la rouge de Carpedo avait fait 80 pour cent aux élections professionnelles, ça annonçait la couleur. Comme c’étaient les staliniens qui avaient monté la rouge Carpedo, il y avait aucun contact avec les trotskistes de Bagnole-lès-Rancy. D’un côté ou de l’autre, 0 : sectarisme quand tu nous tiens…la grève démarre le lendemain. Petar m’appelle pour me le dire. Je préviens Gerbier et Sorel. Petar m’emmènera tous les matins en voiture voir les grévistes avant mon travail. Ce qui fait que je suis le seul de Bagnole-lès-Rancy à voir les grévistes, serrer leurs mains, discuter avec eux. J’échange mon numéro avec leurs chefs. Ils me disent avoir l’intention de rentrer au Ferrage, ils m’appelleront quand ils trouveront le moyen d’entrer. […]
Ils appellent pour me fixer un rencart, les chefs syndicaux ont trouvé une ouverture. Je préviens Sorel et Gerbier qui vient de se réveiller. L’heure approche, je me mets en délégation. Me voilà au rendez-vous. Je les vois débouler au Ferrage : leur chef m’embrasse. Un grand ouais ! général retentit : hourra ! hourra ! hourra !….Nous voilà débouler au Ferrage, criant : la force des travailleurs, c’est la grève ! la force des travailleurs, c’est la grève ! Bagnole-lès-Rancy avec nous !… on se dirige vers le Montage. Quelqu’un me tape sur le dos. Je me retourne, qui je vois ? Gerbier… après mon coup de fil, il s’est pas posé de questions, il a sauté de son lit, déboulé avec sa bagnole plein champignon sur l’autoroute. Nous voilà au Montage. Le reste du syndicat est là…Comme d’hab’ manifestation dans les ateliers, des ouvriers font grève la journée en solidarité. Le soir Petar m’appelle : les négociations viennent de finir avec la direction Carpedo. Résultat : cent euros d’augmentation, les jours de grève payés. Cette nouvelle aura des conséquences à Bagnole-lès-Rancy dans les jours à venir…
Vera Cruz avec Gary Cooper et Burt Lancaster
Dans la soirée, en sortant de la Filmothèque du Quartier latin. Je venais de revoir Vera Cruz (1954), avec deux icônes de mon enfance : Gary Cooper et Burt lancaster. Je compte pas les fois que j’ai vu ce western de Robert Aldrich depuis l’âge de huit ans, là c’était la première fois que je le voyais en vo. Un coup de fil de Gerbier m’annonce : la grève est déclenchée au Montage, ils demandent des augmentations de salaires comme à Carpedo ! Pointes-toi directement demain matin au Montage pour voir si ça prend pas aussi dans ton équipe !
Je me pointe directement au Montage en civil. Je dis pas le raffut…y avait foule d’ouvriers en grève. La direction a pas traîné : l’équipe de mouchards, huissier compris est déjà constituée. Cette fois y a quand même une nouveauté : une soi-disant beurette qui officie comme DRH, porte le keffieh palestinien pour faire croire aux jeunes : je suis avec vous ! Personne se laisse prendre à son jeu. Ses manières roulent aucun ouvrier. Tout le monde a vite fait de voir son jeu…
Je passe les détails à l’identique de 2005. Je vous amène directement à la première réunion du comité de grève. Il s’est refait tout seul dès que Sorel l’a proposé. Les mouchards infiltrés se grillent très vite, il aura suffi de formuler les revendications de la grève, pour qu’ils tombent. Le secrétaire du syndicat les Crétins dit : Demander 300 euros d’augmentation, c’est trop ! Pour obtenir quelque chose faut demander 50 euros ! La retraite à 55 ans, faut pas rêver ! Il se fait conspuer. À côté de moi Tahar le secrétaire d’ouest-Car, me glisse : C’est un fils de pute, qui est là pour casser la grève !
Le soir de la première journée arrive, je me balade au Montage. Les Grands sont partis faire leur réunion en douce. C’est mon droit, je veux pas aller à celle des Petits. Me revoilà en froid avec eux. Je ferai les suivantes à couteaux tirés. Avec ce que je vois ce soir pas de regrets d’avoir raté la première. À l’endroit où j’arrive, j’entends de la musique: des tam-tams, de la fanfare marocaine… Sur les chaînes les ouvriers font la fête: chantent, dansent… Quand ils me voient arriver, à leur visage je devine tout de suite : C’est le trotskiste qui vient nous casser les couilles ! Faire la leçon ! Nous dire ce qu’il faut faire ! Je danse, fais la fête avec eux… au début, ils sont étonnés. Après, l’un des musiciens me dit : D’où on vient, nous savons ce que veut dire crever de faim ! S’il faut on tiendra six mois, nous irons jusqu’au bout ! Jusqu’au bout ! sera un des slogans de la grève 2007. Le musicien rajoute : Nous avons notre tactique pour foutre l’usine en grève ! Leur tactique, je la verrai jamais. Jeanne, une militante des Grands, vient faire la morale : Faut pas faire la fête ! dit-elle, ajoutant : Mais discuter avec les ouvriers sur les chaînes pour les convaincre ! Ça jette un froid. À part, je dis à Jeanne : S’ils font ça, c’est pour convaincre à leur manière, qui sait, ça peut marcher ! Je redis ça aux Grands et Petits, ils me rient au nez. Après ça, ils disent qu’ils font confiance aux travailleurs. Qu’ils s’étonnent pas, si j’ai commencé à virer anar définitivement, comité de grève bidon ou pas. […]
Mes névroses et le dirigisme trotskiste
Mes névroses vous ramènent à la grève : à la réunion du comité ce matin, il est constaté que les limites de la grève sont atteintes dans l’usine, les petits groupes constitués pour convaincre de nouveaux grévistes recrutent de moins en moins de monde. En plus, de nombreux grévistes font grève chez eux. Pour moi conséquence de l’arrêt des fanfares, les ouvriers qui voulaient une grève festive, avaient forcément déchanté. Ils se disaient : avec la fanfare, du monde sortira ! Quand, ils ont vu que leur solution était pas retenue, la grève a été laissée aux professionnels… Plus d’un dira : il est bien naïf politiquement. À Lip, c’était bien l’imagination des ouvriers au pouvoir… À Bagnole-lès-Rancy, le comité de grève était encadré par des militants trotskistes, Grands et Petits confondus, qui faisaient la morale aux ouvriers quand ils étaient pas d’accord avec eux… Dirigisme trotskiste quand tu nous tiens.
Je poursuis le monologue intérieur, ça s’embrouille un peu dans ma tête, plus de cinq ans ont passé depuis, bien des événements… Selon le comité de grève, à peu près une semaine et demie après le début des hostilités, les limites du mouvement dans l’usine sont atteintes. Il faut s’adresser aux autres ouvriers des autres usines du groupe. Un car est loué pour aller à la Poisse, la plus grosse usine de la région parisienne. Je dis ça à Bill enthousiaste. Vous êtes pas assez nombreux qu’il me dit ajoutant : le plein a pas été fait dans l’usine ! Vous allez vous faire balader, comme vous l’auriez été avec les Stals !… À ce moment, je diverge avec lui. Comme il avait raison dans ces propos en y réfléchissant après coup… Sur le moment, je lui dis : on peut faire le même coup que Croissant Soissons, il y a quelques années ! Bill rétorque : ils étaient dix fois plus nombreux, bonne balade petit !
Nous voilà devant l’usine de la Poisse. Jamais vu une turne aussi grande comparaison à Bagnole-lès-Rancy, presque une PME en comparaison. Nous sommes noyés par l’immensité… L’équipe qui rentre prend nos tracts. Certains nous écoutent, au bout du compte, les ouvriers de la Poisse rentrent au chagrin…
L’usine de Saint-Glin-Glin
Dans la foulée, les jours précédents, il est décidé d’aller à Saint-Glin-Glin, plus petite boîte Saint-Glin-Glin. La rouge y a fait un carton aux dernières élections professionnelles… Saint-Glin-Glin en taille, c’est grand comme un atelier de Bagnole-lès-Rancy. Là ça sera plus épique. Plus drôle qu’à la Poisse. On y rentre dans la tôle. Je raconte les circonstances : en arrivant la grande porte est fermée. Des grévistes l’ouvrent en force… Je donne pas les noms de ceux qui ont ouvert, because des poursuites ont été engagées, après constat d’huissier. une fois le passage franchi, nous voilà dans la tôle. Le spectacle est grandiose à l’intérieur. Un sacré comité d’accueil est là. le banc, arrière-banc de nervis, mouchards, anti-ouvriers, anti-grève… sont là. Du cent pour cent garantie vermine, la fine fleur de la pourriture. Faut voir avec la haine qu’ils nous regardent. Ils auraient des fusils à la place des yeux, un sacré carnage qu’ils feraient…
Ce qui suit, est encore plus hallucinant… Périclès, un portugais, de ma vie jamais vu quelqu’un d’aussi paranoïaque, schizophrène… traité en hosto qu’il a été le Périclès. Je l’évite comme la peste. Je suis pas le seul chez les grévistes et pour cause. Le Périclès y va voir carrément le comité d’accueil, pour montrer ses photos de famille du Portugal. Faut voir le contraste. Un ouvrier qui fait voir ses photos comme un petit enfant montrant des chromos, des nervis médusés voyant tout ça… Y a pas intérêt à le contredire Périclès. Un chef du Montage en a fait les frais, il lui reprochait un boulot soi-disant mal fait. Le chef pourtant dur à cuire avait cru son dernier jour arrivé, après l’avoir vu en furie lui tomber dessus… À trois qu’ils avaient dû s’y mettre pour le stopper. Le chef y doit y réfléchir à deux fois à présent avant de chercher des noises sur le travail. Passé ce spectacle, on s’engage dans les ateliers. Peine perdue, à part les délégués, quelques syndiqués et encore nous soutiennent…une usine de plus qui nous suit pas.
Ça commence à tourner sérieusement en rond la grève. Faut chercher un deuxième souffle, il y a nécessité qu’une autre usine nous suive. le comité de grève a une idée lumineuse : aller voir Carpedo ! Après tout, c’est grâce à nous qu’ils ont gagné ! Ils nous doivent bien ça ! La meute de chiens nous suit, alors qu’on avance au Ferrage… Des fois qu’ils aient faim, des grévistes traînent devant eux des nonos attachés à une corde. Ils doivent tellement saliver à l’odeur des nonos qu’ils voient pas qu’on franchit la porte qui sépare le Ferrage de Carpedo. Ils restent en rade dehors. Dans Carpedo, le cortège avance au cri de : Carpedo, Bagnole-lès-Rancy, même patron, même combat !…. Des ouvriers, des chefs nous voient médusés. Le tournant de la grève approche. Un groupe d’ouvriers Carpedo s’est formé autour de leurs dégueulés. Les pontes syndicaux Carpedo entament un vague discours de soutien à notre grève… Faudra pas attendre plus. Plus tard, je demanderai aux ouvriers de Carpedo pourquoi, ils nous ont pas suivis ? Ils me diront que c’est leurs délégués, qui leur ont dit… Sarcastique, ma réponse : ils vous demandent d’aller vous jeter au fond d’un puits, vous y allez !…
Deux semaines de grève, ça sent le roussi, personne nous suit dans le groupe. Carpedo, on les avait bien aidés pour qu’ils gagnent ! Pour nous nada ! Pas même le geste d’une heure de débrayage. Sectarisme tout ça : les syndicalistes de cette tôle sont à la botte des staliniens qui voient bien que la grève de Bagnole-lès-Rancy est politique… preuve définitive de ce que j’avance, Perdraud, leur clancul de secrétaire national. En pleine grève de Bagnole-lès-Rancy, interrogé à la télé sur le fait que le privé bouge jamais. Le seul exemple qu’il donne de boîte du privé qui bouge : deux petites boîtes du Sud-ouest… une grosse boîte en grève, c’est rare, en plus qui demande : la retraite à 55 ans, 300 euros d’augmentation, ça pourrait redonner l’espoir. Les costards-cravates qui dirigent les syndicats, qui sont là que pour donner du désespoir, manger à la table des sinistres… disant : ah Monsieur, tout va bien, on les tient ces salauds de pauvres, passez-moi le caviar !… Sont surtout pas là pour le redonner ! Que non ! Que non !…
Le centralisme trotskiste et la naissance d’un anar
Le thème des Staliniens, je l’ai balancé à Sorel quand les Grands ont exclu les Petits de leur secte… les Petits avaient protesté que les Grands fassent alliance aux municipales avec les réformistes, les roses caviar, les Staliniens… tout ça contre des places de conseillers municipaux, des plats de lentilles… Sorel me dit : Centralisme démocratique, faut s’y plier ou c’est la porte ! Les bolcheviques avaient fait pire par tactique de Lénine, ils s’étaient alliés avec les Cadets pour avoir des places au parlement tsariste ! Bien que n’étant plus trotskiste mais cent pour cent anar, je lui rétorque : les staliniens sont les ennemis mortels des trotskistes, ils en ont même déjà tué !… Sorel s’arrange pas avec les décades passées à l’usine ; plus il prend de l’âge, plus il vire chef de secte…
Les boîtes sous-traitantes de l’usine, qu’on avait aidées dans leur grève, pas une nous soutiendra. SSS boîte de nettoyage qui avait fait grève pour la dignité. Leur patron voulait même pas leur donner des chaussures de sécurité. Pour en avoir, il fallait qu’ils en prennent dans les poubelles. Du haut de son yacht, des chaussures pour leur patron rapiat c’était déjà trop. Il a dû s’en faire des cheveux blancs : en plus, ils demandaient des augmentations de paye. Pour les aider à gagner, on est resté toute leur grève à les soutenir. Dormir avec eux pendant leurs piquets, des fois que les flics Bagnole-lès-Rancy viennent les déloger. Même le dimanche on venait.
J’y étais pas ce jour-là, à la peinture. On m’a raconté. Manifestation standard : grévistes SSS, syndicalistes de la boîte, Sorel aux avant-postes. Des cadres dont M. Puta directeur de la peinture sont là, collent Sorel. Il sent une bite contre son cul, il craque demande s’ils ont pas des tendances pédérastiques ! Ça s’envenime. Je passe les détails qui ont été tranchés par une demande de licenciement contre Sorel… les dirigeants des grandes entreprises c’est des : voleurs ! licencieurs ! exploiteurs !… Voleurs, j’affirme encore une fois preuve à l’appui. Les dirigeants de Bagnole-lès-Rancy allaient voler la retraite de leurs mouchards. Lors du dernier plan de départ, la préretraite à 55 ans faut plus la chercher… La préretraite maintenant, ça existe plus. La loi larbin à Clétencourt l’a définitivement ratiboisée. Avant la grève 2007, y en avait encore une, les vieux qui y ont eu droit sont les derniers à partir à 55 ans. Pour le reste faudra crever à la chaîne… Des anciens l’ont ratée à un mois près. Un lot de mouchards anti-rouges, qui nous ont pourri la vie, nous mouchardant en roue libre… allaient la rater, la préretraite. Prétexte qu’ils avaient truqué leur date de naissance pour rentrer dans l’usine. Pour l’avoir à présent, ils sont allés pleurer auprès de leur patron adoré avec leurs vraies dates de naissance. Malgré les services rendus le patron voulait rien entendre. Voyant que leur syndicat de larbin à force de ramper devant la direction est incapable de les défendre, c’est les rouges qu’ils sont venus voir. Des anciens de 82 veulent pas qu’on les aide. Ça se comprend, avec tout ce qu’ils les ont fait chier. Des collègues dont Gilbert se foutaient de ma gueule : ils vous ont pourri la vie et vous allez leur permettre de partir à la retraite, trop gentils, trop cons ! J’apostrophais les délégués maison, quand je les croisais en public : Heureusement, qu’on est là, vous êtes même pas capables de défendre vos syndiqués ! Avec le barouf fait boulevard Bérézinas, dans les journaux, les mouchards auront eu la retraite grâce à la rouge. Cet éclat leur est resté en travers de la gorge… D’après les rumeurs entendues boulevard Bérézinas, le PDG avait demandé la tête de Sorel. Du pain béni les événements de peinture.
Dimanche sur le parking de l’usine où l’on est en nombre. Sorel nous apprend qu’il y aura sûrement une demande de licenciement contre lui. La demande arrive lundi. Heureusement dans la soirée, SSS trouve une sortie honorable à sa grève, leur patron rapiat devra se serrer un peu la ceinture sur son yacht. Il bouffera un peu moins de caviar dans la semaine, les balayeurs SSS offriront un peu plus de jouets à leurs gosses… La grève SSS a été plus qu’épique. Des nuits à dormir avec eux à même le sol. Dans des coins sordides. Ils en ont du mérite. Certains d’entre eux avaient sûrement pas de papiers. Malgré ça, ils ont tenu tête et niqué un des plus gros patrons de France. Leur déléguée niveau vermine, elle tenait le haut du pavé… plus d’une fois, je l’ai chopée la Hortansine après avoir fait la navette avec les chiens de garde, le DrH du Montage, ils étaient là quasiment 24 heures sur 24. Après voir pris ses consignes chez ce beau linge, elle venait démoraliser les grévistes… Un jour l’un d’entre eux, un Hindou, après sa venue, voulait reprendre le travail. il a fallu que je lui dise que, pour ses enfants, il pouvait pas faire ça, rentré chez lui après deux semaines à dormir loin de chez lui, la queue entre les jambes…
Je suis à bout, les Grands, comme je suis plus de leur bord, ils m’auront bien pourri la vie. Rien que dans la grève SSS, ils étaient pas nombreux à me parler, me dire : Bonjour, ça va, avant de me dire : C’est ton tour de dormir avec les grévistes ! Pour demander quelque chose, y en avait toujours un pour venir me voir. Pour le reste nada la pougnette. Cerise sur le gâteau, à leur fête où malgré tout, j’y bossais gratos. Quand je les croisais, j’étais jamais dans leur champ de vision. Par contre à Hortansine, ils lui déroulaient le tapis rouge quand elle venait. Je me répète, j’ai pas le choix, tout net, je le dis : avec des comportements comme ça, qu’ils viennent pas s’étonner que je sois devenu cent pour sang anar ! Anti-trotskiste ! Anti-bolchevique ! Anti-marxiste ! Anti-communiste !… Marginal de la politique ! C’est eux qui m’ont marginalisé, au début en me parlant plus car j’avais rejoint les Petits. J’en ai souffert d’être isolé. Maintenant la marginalité politique, syndicale est devenue ma marque de fabrique. Je préfère les laisser entre eux…
Bill qui était un de leurs dirigeants, je délire, m’emporte, vitupère… J’ai pas le choix en y réfléchissant, je peux pas faire autrement. Les Grands, Petits, i’ étaient bien contents quand Bill passait ses week-ends, ses vacances… venait après son boulot chez Renault pour s’occuper de leur terrain. Il m’avait dit leur avoir même fait le tout-à-l’égout. Je dénonce des saloperies faites par des gens qui disent avoir vocation à changer le monde… À part la grande foule de ses vrais amis, ils étaient pas nombreux les Grands et les Petits de tout poil à son enterrement, à venir le voir quand il était atteint d’un cancer… après ça, ils peuvent parler de changer le monde. C’est des gens comme ça qui vont changer le monde ?
Bill a osé poser les bonnes questions en se demandant : Trotski, les trotskistes… se sont peut-être trompés sur l’analyse de la situation actuelle ? C’est un acte de salubrité de se poser des questions comme ça. Pour qu’une organisation sombre pas dans le stalinisme des plus sectaires.
Clarette Lavilliers, Tansancenot, la mère Marchais ancienne ministre des Sports…
Sorel, il se voyait viré. Il en aura fallu des débrayages, des prises de paroles sur le parking, des soutiens politiques : Clarette Lavilliers, Tansancenot, la mère Marchais ancienne ministre des Sports. De la part des autres syndicats, il aura eu son lot de calomnies… Grâce au battage fait, il aura réussi à sauver sa tête. Voyant les soutiens, Bagnole-lès-Rancy avait certainement pas voulu prendre le risque d’un licenciement politique…Maintenant, je m’interroge : pourquoi au bout de trois semaines de conflit, le mouvement a continué encore trois semaines ? Je raconte la fin des événements tels qu’ils reviennent à ma mémoire… Ce qui a relancé la grève après notre passage chez Carpedp, ça aura été une grève chez les sous-traitants de sièges directs pour l’usine… À Trifouille-lès-Compiègne. J’y suis allé une fois à Trifouille-lès-Compiègne voir leur grève. Toute leur boîte était à l’arrêt. Si ma mémoire me fait pas défaut, 80 pour cent de l’usine en grève. En discutant avec les grévistes, j’avais constaté quelque chose de pas minime, c’est qu’ils voulaient pas la fusionner avec nous leur grève. au contraire des patrons, pour les ouvriers, c’est chacun pour soi… Tout ça me fout un coup au moral, confirmé quand ils obtiendront ce qu’ils voulaient… les patrons : i’ sont pas cons ! Tout sauf abruti, un patron !…Pour diviser un mouvement, il est capable de lâcher quelque chose même temporairement, il sait qu’après, il niquera… C’est ce qui arrivera, aux ouvriers de Trifouille-lès-Compiègne quand, quelques mois après leur conflit, il leur dira : votre usine est fermée !… Pas con un patron, politique un patron !
Après ces événements, pour moi la suite de la grève ça devient vraiment du n’importe quoi. Trois semaines de n’importe quoi. Je raconte la fin: au comité de grève, ça s’écharpait limite les mains. Il y avait les grévistes qui voulaient bloquer en force les chaînes, stopper d’autorité l’usine… Il y avait ceux dirigés par les Grands et Petits trotskistes qui voulaient continuer à l’extérieur de l’usine… À ce moment, il y avait de moins en moins de grévistes qui venaient à l’usine. C’est un fait beaucoup qui venaient voulaient bloquer. Des syndicalistes d’Ouest-Car arguaient dans ce sens. Je me souviens d’un délégué Ouest-Car chaque fois qu’il intervenait en comité de grève c’était pour balancer tout le temps une rengaine identique : pour Ouest-Car, c’est jusqu’au bout !… Jusqu’au bout de quoi, il était bien incapable de le formuler. Passé les avatars du refus de la musique, à y réfléchir à présent : ceux qui faisaient grève chez eux, s’étaient mis en maladie… C’est qu’ils voulaient reprendre le travail, mais osaient pas s’exprimer. La pression du «jusqu’au bout» est la plus forte, la grève continue. Elle change de phase, les Grands et Petits emportent le morceau dans des réunions du comité de grève de plus en plus houleuses. Il y a des échanges de propos de plus en plus violents. Fallait voir l’électricité qui régnait en ces moments…
La grève, je la voyais perdue, j’étais pas le seul, Sorel m’avait dit : on va droit dans le mur ! À la télé malgré que Perdraud faisait pas de publicité, les JT commençaient à en parler. Même au 20 heures d’antenne1, PPD en parlait de la grève de Bagnole-lès-Rancy.
La mère Impériale en campagne présidentielle découvre des ouvriers !XXXX
Conséquence de tout ça, la grève va s’inviter dans la campagne des présidentielles qui vient tout juste de commencer. Des candidats vont venir nous voir sur le parking : Tensansenot, Clarette Lavilliers, le coupeur d’OGM, Adèle Aurore Marchais… Cerise sur le gâteau : la mère Impériale, future finaliste de la compétition… elle avait l’air de sortir de la messe, la mère Impériale, de découvrir que les usines c’est pas Neverland : Comment les patrons, ils sont méchants avec les ouvriers ! Because campagne électorale, elle se fait prendre en photo avec des grévistes. Elle va même jusqu’à nous demander devant les caméras d’antenne 1 si on l’aime notre entreprise ? À plusieurs nous répondons : on s’en fout ! on s’en fout ! Dans le brouhaha, il paraît que ce qui a été entendu à la télé c’est oui ! Faut dire que beaucoup étaient sous le charme de l’Impériale…
Maintenant, vient le temps des interrogations, des bilans… Pourquoi la grève a duré trois semaines encore ? les Grands et Petits savaient qu’elle était perdue, la grève. Qu’elle allait droit dans le mur. Deux hypothèses s’offrent à moi : Continuer de permettre aux ouvriers d’apprendre à diriger leurs luttes, ou bien inscrire la grève de Bagnole-lès Rancy dans le contexte de la campagne présidentielle ? Des trotskistes s’y présentaient, c’était l’occasion de montrer aux électeurs, aux citoyens qu’ils dirigeaient des luttes… Le pire, peut-être les deux. La grève de Bagnole-lès-Rancy aura été l’exemple de la schizophrénie trotskiste. Toutes les activités militantes tournées vers les élections pour au bout du compte faire 0,5 pour cent des voix…
Force est de dire qu’avec les circonstances qui vont suivre… je voyais des catastrophes arriver, la fin du syndicat… pire encore la fin des luttes à Bagnole-lès-Rancy. J’étais pas le seul. Au vu de la maîtrise des événements, les trotskistes : Grands et Petits, ils auront bien joué avec le feu. Plus d’un voyait la situation compromise, eux compris. Tout le monde va comprendre, ça va s’enchaîner en quatrième vitesse comme une farandole, un rigodon, une mauvaise suite… La campagne électorale est là, la grève passe en phase ballade des ouvriers pour collecter de l’argent pour payer la lutte. Il y aura même la création d’une carte de grévistes à pointer tous les jours pour toucher l’argent des collectes. Pour cela des délégations de grévistes seront envoyées dans les usines du groupe, chez Renault, dans les autres boîtes du 93, les mairies… Je peux pas m’empêcher de raconter l’épisode Renault, usine d’ingénieurs. Ça éclaire le reste de comment ça s’est fait les collectes. En gueulant à l’entrée, la solidarité aura pas beaucoup payé. Dans les locaux syndicaux, chez les notables de la boîte, c’est autre chose : une réception cinq étoiles avec rosbif, sauciflard, pâté de campagne du meilleur, ricard, whisky… ils savent recevoir, les syndicats de Renault. À l’appui un gros chèque pour soutenir la grève… un constat s’impose : les patrons tiennent les syndicalistes isolés dans leurs locaux syndicaux comme les tuniques bleues tenaient les indiens dans les réserves, tranquilles à picoler du whisky du matin au soir…
Les événements s’enchaînent, la farandole accélère… le gros des réunions du soir, c’est à présent : savoir combien ramènent les collectes aux caisses du comité de grève. Son extension n’est plus à l’ordre du jour, sauf encore pour quelques hurluberlus d’ouvriers qui demandent encore avec insistance, violence, passion… que la grève soit refaite dans l’usine. Pour l’instant, ils sont pas encore écoutés. Ça viendra avec la fin de la grève d’une manière surprenante…accélération de la farandole… Dans les derniers jours de la grève, il y aura du collectage de fric tous azimuts… Je passe les détails. La mairie de Paris aura même eu droit à notre visite massive, avec manifestation en plein Forum des Halles. Au nombre qu’ont était, c’était plus noyé qu’on était, de vrais naufragés d’une grève dans Paname… Les gens sont méchants, des ouvriers voyant qu’on allait voir Jean Delannoy, maire de Paris, se sont pas empêchés de dire qu’on allait voir le phoque de la capitale…Pittoresque qu’elle aura été cette journée dans les beaux quartiers, les touristes, divers badauds… auront vu devant le parvis de l’Hôtel de ville, de ses environs… des ouvriers demander de l’argent pour soutenir une grève. Au comité de grève, même si l’argent y rentre, la tension monte de plus en plus. Les syndiqués rouges, on apprend que les instances vont enfin venir écouter nos remarques, nos protestations, nos attentes…
Depuis le temps qu’on les attend… Ce qu’ils prennent dans la gueule au local… pire que de l’électricité dans l’air qu’il y a. Les répliques que nous donnent les pontes syndicaux illustrent le professionnalisme de la vermine… Ils doivent servir les mêmes baratins dans d’autres usines en grève. Les cinq notables en guise de bienvenue reçoivent un: vous êtes pas venus beaucoup nous aider pendant la grève ! Du fric de soutien la couleur en est absente ! Si vous nous apportez pas de l’aide conséquente, ça sera la fin des luttes à Bagnole-lès-Rancy ! Les grévistes vont nous cracher à la gueule !… Parmi ceux qui gueulent le plus, il y a Azouz Bakouch. En me souvenant de tout ça, je suis étonné. À part moi, les Grands à cette réunion, hormis donner le bilan de la grève, ils ont pas beaucoup gueulé. Gerbier était pas à la réunion, il y aurait été, le connaissant comme je le connais, il les aurait encore remis à leur place pire que moi. Sorel est même venu après la réunion pour me faire la morale, que j’aurais pas dû m’emporter… Comme je te l’ai envoyé valdinguer. La fin de la réunion devient de plus en plus électrique, Larchaoui se met à hurler, il tape de grands coups sur la table : vous abandonnez les immigrés ! En 82 Krasuk est venu nous soutenir ! Perdraud sa gueule on l’a jamais vue ! Il parle même pas de nous à la télé !… Le seul engagement que les pontes transformés en punching-ball nous donnent, c’est que Perdraud en personne viendra nous soutenir. Pour le reste, que se soit la fin du syndicat à Bagnole-lès-Rancy, qu’on finisse sur la paille, que nenni, que nenni, ça fera des emmerdeurs en moins…
Le chef syndical Perdraud
Perdraud au parking assène son discours ultra-réformiste, s’il doit y avoir des augmentations ça sera 300 euros bruts. Il précise bien bruts. Entendant ça, je gueule comme un malade : Net ! Net ! Net !…. Il se retourne vers moi, croyez-vous que l’enflure va changer son slogan pour faire plaisir à un gréviste. Nada, il précise toujours brut. À ce moment, je me mets à l’insulter : Vendu ! Bouffon!… Il faut que Larchaoui qui aime pas les bureaucrates comme moi me dise d’arrêter, vis-à-vis des grévistes, ça la fout mal qu’un délégué insulte son secrétaire national ! Larchaoui me sort ça, pour me convaincre.
Plus vite la farandole… la fin de la grève arrive, dans les dernières sorties opérées c’est : Paris ! Paris ! Paris !… on va en bouffer du Paris. À commencer par la médiation de la dernière chance au ministère du Chômage. Une délégation y est reçue, parmi les discussions qu’on a en attendant les camarades la certitude que les noms de tous les grévistes doivent être sur le bureau du ministre est plus qu’évoquée…Les grévistes sur les Champs-Élysées, fallait nous voir manifester, pour nous rendre aux dernières négociations, boulevard Bérézinas, à quelques centaines de manifestants sous l’arc de triomphe. La fin de la grève approche, la fin de la campagne présidentielle aussi. En pleine campagne électorale, les Grands apprécient pas beaucoup que je dise aux autres grévistes : Ça sert à rien de voter ! Seule la lutte compte ! Ils vont le dire à Gerbier. Ce dernier réplique tonitruant : Si vous avez quelque chose à dire, allez voir la personne concernée ! Pas un viendra m’exprimer son mécontentement…
Je raconte les derniers barouds d’honneur du conflit. Dans un des derniers comités de grève, Sorel finit par craquer, il écoute enfin les arguments des ouvriers qui demandent de tenter une dernière manif dans l’usine. Sorel prévient : il faudra pas venir pleurer s’il y a des demandes de licenciements en cas de provocations ou débordements !… Le matin de la manif dans l’usine, je vais saluer comme tous les jours mes collègues de boulot, leur donner des nouvelles de la grève. Si la grève a tenu six semaines, c’est pas seulement dû à la détermination des grévistes, à la campagne électorale… Dans les premières semaines, les plus importantes, la direction a pas réussi à avoir le nombre suffisant de volontaires du Ferrage pour aller faire le boulot des grévistes au Montage. Pour ceux qui ont accepté le sale boulot, j’aurais honte de me regarder dans une glace. la honte, ils l’ont déjà envers leurs collègues de travail. Aussi de la manière qu’ils sont transportés au Montage : tous les matins en fourgon comme des chiens… Les collègues, à qui je vais serrer la main tous les jours, m’ont à chaque fois précisé fièrement avoir toujours refusé d’y aller au Montage… Certains ont eu des échanges musclés avec les chefs : Mon poste, il est ici ! Je bouge pas d’ici ! Je suis pas un mouchard !… Si je vais au Montage, ça sera pas pour travailler mais pour casser, faire grève !… Dans une usine comme Bagnole-lès-Rancy, c’est pas rien de tenir des propos comme ça au chef. Là-bas la hantise des ouvriers aura toujours été : Si tu déplais à ta hiérarchie, s’ils m’ont dans le collimateur, j’aurais plus jamais d’augmentation… Grillé que je serais ! Les collègues avaient bien rigolé quand je m’étais pointé le jour qu’on avait été voir les grévistes à la Poisse… Ce jour-là, le manche à couilles de chef de l’époque… disait n’importe quoi pour discréditer les grévistes, comme quoi : Nous avions tenté de rentrer en force à l’usine de la Poisse ! Ils nous avaient refoulés comme des malpropres, à la Poisse ! Preuves à l’appui, ils montraient les chiffres de production de la Poisse… le chef voit ma gueule arriver dans la salle. Il devient tout blanc. Je m’emporte : avant de dire n’importe quoi… faut vérifier ce qu’on dit, nous n’avons jamais tenté de rentrer à la Poisse ! On a tout juste été dire bonjour ! Notre grève, est une grève propre… nous ne terrorisons personne ! Arrêtez de dire ça aux ouvriers !… Le chef se met à trembler. Quand je pars, j’entends des applaudissements…Le jour de la manif dans l’usine, des collègues me disent pour certains : Nous avons honte de travailler alors que vous êtes sans paye depuis plusieurs semaines ! Pour la manif dans l’usine nous viendrons ! Je raconte ça à des grévistes, réponse : ils disent toujours ça, pour se donner bonne conscience ! L’après-midi, ils sont là. Une preuve de plus qu’il était peut-être pas nécessaire de balader tous le temps les grévistes en dehors de l’usine. Il y aurait peut-être eu possibilité d’arrêter l’usine. À 3000 le rapport de force est pas le même pour s’adresser aux autres ouvriers du groupe.
Comment je suis devenu un petit-bourgeois individualisteXXXXX
Ces dilemmes auront fini par me faire craquer. Finir la grève dans la marginalité définitivement… J’étais pas d’accord : il aurait fallu d’abord tenter d’arrêter l’usine ! À l’extérieur, au nombre qu’on était, nous étions des pitres, des guignol’s band !… la grève je l’aurai finie dans le désarroi le plus total, la souffrance la plus totale…L’inconvénient avec les trotskistes de tout poil, c’est qu’une fois qu’ils décident une politique, ils écoutent plus les réticences de leurs militants. Pour eux, faut appliquer le centralisme démocratique : D’accord, pas d’accord, tu fais ce qui a été décidé ! Ou alors un véritable hallali s’abat sur toi. Jusqu’à ce que tu craques avec des noms d’oiseaux : C’est un petit-bourgeois ! Il est individualiste ! Il est démoralisé !… Comme si le fait d’être démoralisé venait de ce que l’on suive plus leur politique. J’aime la phrase que prononce Gérard Blain dans le film Jusqu’au bout de la nuit (1995) : Face à la société, je suis en état de légitime défense !… Cette phrase je me l’étais appliquée à moi-même en me disant : en rentrant dans l’usine, je suis en état de légitime défense ! Après la grève ce sera aussi le dimanche, que cette phrase sera d’actualité, le temps que j’irai encore à mes réunions de cellule, tellement c’était tendu… tellement, j’étais plus d’accord avec eux…
Bien qu’étant plus d’accord avec les Petits je les ai toujours défendus envers les Grands. En les quittant si j’avais arrêté d’être solidaire avec eux, peut-être que ça m’aurait permis de souffler un peu ? Les Grands auraient peut-être arrêté de m’isoler, de me regarder de biais parlant avec moi. À trop regarder de haut les militants qui sont pas d’accord avec eux, ils vont finir par nous attraper le vertige des imbéciles. Un militant des Grands un jour me voyant seul, marginal, se met à rigoler, chantant : Quand t’es dans le désert ! Quand t’es dans le désert ! Il croyait que j’étais encore avec les Petits qui venaient de se faire exclure. Je dis au vocaliste : Si ça t’arrivait à toi d’être viré après des années de militantisme, tu ferais quoi ? Tu serais bien seul ! Un silence et une émotion apparaissent.
La fin de la farandole va bientôt arriver. Après le succès relatif dans l’usine, il est décidé de tenter une grande manif dans paris. L’initiative vient pas des trotskistes mais d’un gréviste isolé. Nous voilà un groupe sur le parvis de la gare du Nord à s’adresser aux gens qui rentrent le soir du travail… À l’un d’eux qui me demande pourquoi on appelle à manifester samedi ? Je réponds : pour la retraite à 55 ans ! 300 euros d’augmentation ! Comme un Martien, qu’il me regarde. Je m’emporte contre un sympathisant des Grands. Il prend l’activité à la rigolade alors qu’il veut toujours être en grève. Pour une fois je deviens méchant, c’est rare pour être souligné : Si tu fais pas le forcing pour qu’il y ait du monde samedi à la manif, que c’est un bide, plus que nos yeux pour pleurer qu’il nous restera !
Fin de grève au bistrot
Même si j’ai fini la grève au bistrot. Pour la fin Gerbier dira de moi : il était tout le temps bourré ! Bien que j’avais démissionné de la grève. Le matin en arrivant à 7 heures à l’usine, il m’arrivait d’attaquer à l’absinthe. Les activités pouvant relancer l’espoir, jusqu’au bout je les aurais faites. Comme un dimanche matin passé sur le marché de ma ville à vendre des places pour le concert de soutien à la grève qui allait être organisé. Comme il fallait s’y attendre la manif du samedi est un bide total. Les partis se disant de gauche, avec les salariés, aux abonnés absents qu’ils sont ce jour-là. Idem pour une certaine extrême gauche : le destructeur d’OGM, Tansancenot, la mère Marchais… d’autres impératifs qu’ils avaient… pour parler de leur attitude, c’est pas le mot démission qu’il faut employer, mais trahison.
La rapine allait accéder au pouvoir. La manif de Bagnole-lès-Rancy pouvait constituer un début de protestation à l’arrogance, aux attaques qu’il allait faire contre le monde du travail. Qu’ils soient pas venus, tout est dit. Les syndicats non plus, ils étaient pas là. À part ça, ils sont là pour défendre les salariés.
Les choses sont claires à présent, dès lundi c’est reprise qu’il faut parler. L’appel à la reprise se fera sans moi. Je tire quand même mon chapeau aux Grands et Petits trotskistes. La reprise avec vote se fera sans trop de casse. Les irréductibles du jusqu’au bout auront été neutralisés ou repris en main. Le vote de reprise s’est quasiment fait à l’unanimité… La seule, l’unique question que je me pose, je suis pas le seul à me la poser : pourquoi l’ont-ils pas proposée avant la reprise ?
De Cyd Charisse à l’esprit de lutte
Ce jour-là plutôt que voter la fin d’une grève dont je savais depuis longtemps qu’elle était finie. J’ai préféré une part de rêve en allant voir au cinéma Party Girl (1958) avec Cyd Charisse et Robert Taylor, deux acteurs cinq étoiles. Dans la foulée, j’ai regardé également Le Port de la drogue (1953) de Samuel Fuller polar américain anarchiste des années 50, d’un anti communisme hallucinant. Un miroir paranoïaque de ce que je vivais en cette fin de grève...
Flore Gambier- Messages : 11
Date d'inscription : 11/07/2015
Texte 1 début
Pour une plus grande compréhension de mes postes. je transmets le début du texte 1. Je pense que chacun s'y retouvera. Impossibilité de le poster avant, durée trrop longue...
CITROEN AULNAY, PRINTEMPS 2007 : RETOUR SUR LA GREVE
La grève de six semaines (du 28 février au 10 avril 2007) qui a eu lieu dans l‟usine
Citroën est caractéristique a plus d‟un titre d‟une minorité d‟ouvriers de production de l‟usine
PSA Peugeot-Citroën d‟Aulnay-sous-Bois, en banlieue Nord de Paris.
Voici une grève qui démarre de façon minoritaire, comme la plupart des grèves dans
l‟industrie automobile ces trente dernières années, et qui au bout de deux semaines ne s‟étend
pas, n‟affecte pratiquement plus la production et qui perdure pendant plus d‟un mois en
quittant l‟entreprise. Qu‟était-il possible de proposer et de faire au bout des deux premières
semaines ?
Voici une grève minoritaire où la direction adopte la position “ nous n‟empêchons pas
la grève mais vous ne bloquez pas la production ”, accord tacite respecté de part et d‟autre.
Voici une grève où les grévistes s‟organisent en comité de grève le plus démocratique
possible, et où, les dirigeants de la grève, les militants de Lutte Ouvrière (LO), jamais en
contradiction avec les grévistes, font le choix délibéré de faire durer la grève en semant les
illusions sur la publicité médiatique en période électorale, pour finalement ne rien obtenir en
fin de grève.
Voilà donc une grève qui mérite qu‟on y revienne en détail pour en faire non
seulement le bilan, pour que les grévistes insatisfaits, après coup, puissent préparer la
prochaine grève et pour montrer les limites des comités de grève s‟ils ne se transforment pas,
après la grève, en comité politique ouvrier.
Une partie de cette lettre comprend donc une critique politique de la pratique qu‟a eu Lutte
Ouvrière et telle qu‟elle l‟a parfaitement expliqué dans sa brochure “ Six semaines de lutte
pour les salaires à Peugeot-Citroën Aulnay ”
Cette lettre, outre une chronologie, contient quatre textes :
« Discussion en fin de grève », discuté avec des camarades de l‟usine qui ne
sont pas forcément d‟accord avec certaines de nos conclusions,
« Le comité de grève d‟Aulnay, un organisme inutile à la lutte politique
ouvrière », qui est notre appréciation sur l‟action du comité de grève,
« VO/LO et les comités de grève », a été rédigé par un ancien militant de Lutte
Ouvrière,
« Les deux sources des erreurs de LO », qui identifie les raisons théoriques de
la politique de LO, le démocratisme et le syndicalisme.
Chronologie
Fin février, la majorité des travailleurs des presses (un atelier situé à l‟intérieur de l‟usine de
Citroën Aulnay où la production a été sous-traitée à l‟entreprise turinoise Magnetto) se met en
grève et menace d‟arrêter toute l‟usine. Après quelques jours de grève l‟entreprise fait des
concessions importantes : 100 euros net d‟augmentation de salaire, 5 jours de congé
supplémentaires, l‟embauche de 10 travailleurs intérimaires et accorde même une prime de fin
de grève de 75 euros.
Mercredi 28 février ― La grève démarre sur les chaînes de montage dans l‟équipe de l‟après
midi. Quelques travailleurs discutent des résultats de la grève Magnetto et décident de se
mettre en grève. Débrayage de l‟équipe de nuit.
1er mars ― L‟équipe du matin décide de poursuivre la grève. Sous l‟impulsion de militants un
comité de grève est formé.
2 mars ― Il y a quelques centaines de grévistes à la prise du travail de l‟équipe du matin.
Gefco Survilliers, un sous-traitant en charge de la logistique se met également en grève.
5 mars ― Les grévistes mettent fin à leur répartition par équipe et décident de tous venir à
l‟usine aux heures de l‟équipe de jour.
92
6 mars. ― Manifestation de 300 grévistes de l‟usine d‟Aulnay à l‟usine Citroën de Saint-
Ouen (effectif 500). Les manifestants sont autorisés par la direction à traverser l‟usine mais le
travail reprend dès qu‟ils ont quitté l‟usine.
8 mars ― Les grévistes partent en manifestation à l‟usine de Poissy (effectif 7 500), mais
cette fois ils ne peuvent pénétrer à l‟intérieur. Seuls quelques douzaines de travailleurs de
Poissy débraient en soutien à leur camarade d‟Aulnay, principalement des délégués.
Création de la carte de gréviste.
9 mars ― Création d‟une caisse de grève.
A partir de ce jour et pour le reste de la grève, ballades quotidiennes en dehors de l‟usine vers
des marchés, mairies, etc. dont nous ne recensons que quelques exemples
12 mars ― Manifestation à la préfecture de Bobigny.
Organisation d‟une pétition en soutien aux grévistes à l‟intérieur de l‟usine d‟Aulnay : 1 200
non-grévistes vont la signer le premier jour.
13 mars ― Quelques centaines de grévistes manifestent à Paris et distribuent des tracts devant
le siège de PSA.
21 mars ― Le comité de grève élabore un “ programme d‟action en direction de l‟usine et des
habitants du département ”.
22 mars ― Les grévistes manifestent dans l‟atelier de Magnetto, mais sans réussir à entraîner
les ouvriers dans la lutte
9 au 22 mars ― Tentatives de débrayages ultra minoritaires dans diverse usines du groupe qui
restent incapables d‟affecter la production (Sochaux, Mulhouse, Trémery, Rennes,
Sevelnord).
24 mars ― Organisation d‟une manifestation à Paris avec un millier de participants.
26 mars ― PSA est condamné pour usage illégal de travailleurs intérimaires en remplacement
des grévistes.
27 mars ― Manifestation dans la ville d‟Aulnay. Grève chez deux fournisseurs, Lear et
Faurecia. La grève de Faurecia qui durera 4 jours aura de vraies conséquences : pendant toute
une période les voitures produites sortiront sans siège.
28 mars ― Débrayage de deux heures à Aulnay, appelé par les syndicats.
30 mars ― Nouvelle manifestation à Paris devant le siège de PSA avec la participation des
grévistes de Lear.
2 avril ― Premiers versements de la caisse de grève. Chaque gréviste reçoit de 70 à 200
euros.
4 avril ― Fin de la grève à Lear, les grévistes obtiennent une augmentation de 47 euros.
6 avril ― Nouveau débrayage à Aulnay. Les grévistes organisent un barbecue géant devant
l‟usine.
10 avril ― Dernière manifestation devant le siège de PSA à Paris.
Les grévistes décident de suspendre la grève.
Résultats :
4 jours et demi de grève payés et une prime exceptionnelle de 125 euros pour tous, grévistes
et non-grévistes.
Le tarif des transports d‟entreprise sera diminué.
Les jours de travail supplémentaires, samedi et jours fériés ne seront pas obligatoires.
Discussions en fin de grève
La grève chez Citroën, du 28 février au 10 avril 2007, pose bien des problèmes et les
conclusions qu‟en tire “ Lutte ouvrière ” dans la brochure sont bien insuffisantes et sélectives.
Pourquoi s‟occuper de cette brochure ? Parce qu‟il est notoire que les camarades qui
ont joué un rôle moteur dans cette grève sont presque tous, pas exclusivement, des militants
de LO existant à travers la CGT. En conséquence, ils portent la responsabilité de ce qu‟a fait
93
la grève (en bien et en moins bien). C‟est tout à leur honneur, certes, mais cela ne doit pas
nous dispenser d‟en discuter lucidement et de façon critique.
La grève a commencé spontanément sur les chaînes de montage, même si des militants
étaient présents. La CFDT, qui à signé un accord salarial la veille, est logiquement contre
mais va malgré tout suivre le mouvement pour ne pas se mettre plus à dos les travailleurs.
C‟est l‟annonce du succès clair et net des travailleurs de Magnetto qui a déclenché l‟arrêt des
chaînes. Évidemment, sur fond de grogne profonde et tenace depuis des années. En effet,
Citroën n‟a rien perdu de sa réputation historique et méritée de sale boîte : une entreprise qui
paye mal, une maîtrise sélectionnée à l‟ancienne pour ses convictions anti-ouvrières et
accessoirement pour ses compétences professionnelles, les deux allant rarement ensemble.
Très vite, il y avait 450 à 500 grévistes dans une usine qui compte 3 300 à 3 500
travailleurs en production. La grève est minoritaire, c‟est un constat ; ce n‟est ni une critique
ni un jugement de valeur. Les travailleurs ont raison de poser les gants quand ça ne va pas,
minoritaires ou pas. Et ceux à qui cela ne plaît pas n‟ont qu‟à poser les gants eux aussi, la
grève deviendra moins minoritaire.
Mais à partir de ce constat, il faut déterminer lucidement ce qu‟on fait pour que la
grève englobe le plus de monde possible. La force de la classe ouvrière face aux patrons, c‟est
la grève mais avec des grévistes, et la plus massive possible. Le nombre compte au moins
autant que la combativité. C‟est la conclusion qu‟ont pu tirer des générations de travailleurs
grévistes, bien souvent après des luttes formidables mais néanmoins défaites, comme la grève
des presses de Flins en 1978, vaincue pour n‟avoir pas entraîné la masse des travailleurs.
Les 500 camarades qui ont commencé la grève se devaient donc de trouver les moyens
d‟entraîner les autres ouvriers et d‟arrêter la production. Parce que d‟abord et avant tout, une
grève c‟est l‟arrêt de la production, l‟arrêt de la production de valeur. C‟est tellement évident
qu‟on ne le dit même plus, et pourtant c‟est la base à partir de laquelle il faut concevoir les
actions.
Les deux premiers jours donc, tout était arrêté ou presque. Et c‟est peut-être là qu‟on a
raté quelque chose ; si on s‟était installé sur les chaînes à 4 ou 500 gars et qu‟on y soit resté,
qu‟auraient pu faire les valets des patrons ?
Mais cela ne s‟est pas fait… Bon, on ne refait pas l‟histoire. Quand on démarre, on va
vite, très vite : on fonce pour essayer d‟entraîner d‟autres tronçons de la chaîne. C‟est bien
compréhensible, puisqu‟on veut être efficace immédiatement. On ne peut pas penser à tout,
tout de suite.
Toute la première semaine et jusqu‟au milieu de la deuxième, on a essayé de gagner de
nouveaux grévistes; on sentait que l‟ambiance de l‟usine n‟était pas défavorable, même les
non-grévistes, massivement, n‟étaient pas hostiles (mais ils n‟étaient pas en grève pour autant)
et quand la maîtrise voulait recruter dans les secteurs de maintenance pour remplacer les
grévistes, ça ne marchait pas. C‟est vrai que plusieurs fois la maîtrise a elle-même retiré les
non-grévistes vers d‟autres secteurs face à la pression des grévistes.
Mais alors, pourquoi subitement, dès la fin de la deuxième semaine et pendant tout le
reste de la grève, les dirigeants de la grève ont-ils poussé à sortir de l‟usine et des ateliers pour
aller à l‟extérieur, un peu partout ?
Soyons clairs, le comité de grève et la majorité des grévistes étaient d‟accord (pas tous
quand même, il y a des camarades qui ont senti qu‟on changeait d‟objectif). Et alors ?
L‟important est de déterminer dans quel sens tiraient les dirigeants de la grève. La démocratie
formelle, du genre : “ C‟est pas nous, c‟est les grévistes ! ”, c‟est de la foutaise.
Concrètement, les militants de LO ont fait ce qu‟il fallait pour que les ouvriers aillent ailleurs.
Et pourtant, si l‟on avait des chances d‟arrêter complètement l‟usine, c‟était en
continuant la pression, en trouvant les bons arguments, en gérant la grève avec ce seul
objectif : stopper la production, y compris, si la possibilité se présentait, de bloquer par la
94
force. Au lieu de cela, on a laissé les non-grévistes et la direction réorganiser les chaînes pour
les faire tourner et évidemment, c‟est ce qui s‟est passé.
Bien sûr il n‟est pas certain que nous aurions réussi à gagner une partie des nongrévistes.
Rien n‟est jamais joué d‟avance mais les préoccupations auraient été différentes et
on n‟aurait pas laissé les mains libres à la Direction et à sa maîtrise.
Les deux premières semaines, il y a eu 6 à 7 000 voitures non fabriquées. Mais dès la
troisième semaine, les chaînes sortaient 1 000 voitures/jour ; il n‟en manquait que 350 par
rapport à la production normale. Et comme les ventes ne sont pas terribles en ce moment …
Pour la direction, c‟était gérable. Ensuite, la production est montée à 1 200 voitures/jour.
Au bout de deux semaines, les grévistes avaient perdu l'espoir de gagner le moindre gréviste
supplémentaire et la majorité pensait qu'il était nécessaire de changer d'objectif, en
médiatisant la grève.
Dans la brochure, page 28, il est expliqué que “ …pour la direction, il faut que les
voitures sortent coûte que coûte ”. Bien sûr que les patrons, eux, ont une boussole. Ils savent
que la grève, si elle arrive à arrêter la production, c‟est mal barré pour eux. Pourquoi du côté
des grévistes et en particulier des dirigeants de la grève n‟y a-t-il pas cette volonté dans l‟autre
sens ?
Il y a six pages dans la brochure pour expliquer pourquoi il ne fallait pas bloquer les
chaînes et pourquoi il fallait sortir de l‟usine. Il est écrit, page 41, noir sur blanc : “ D‟ailleurs,
la direction de Citroën, elle-même, n‟aurait pas été mécontente d‟un tel blocage ” Et ce,
après avoir expliqué que la direction voulait sortir des voitures coûte que coûte. Si quelqu‟un
a une explication, on est preneur !
Toute l‟argumentation tourne autour de cette idée : bloquer la production, c‟est donner
des arguments aux huissiers et à la maîtrise pour sanctionner et briser la grève.
Mais soyons clairs : la plupart des grèves dans l‟automobile, depuis 40 ans, en France,
ont été minoritaires ; plus ou moins, c‟est vrai, et toutes se sont trouvées face à ce problème.
La grève, c‟est-à-dire ― répétons-le encore ― l‟arrêt de la production, se trouve
presque à chaque fois face aux agents patronaux patentés : huissiers, maîtrise, provocateurs,
etc. Et ça n‟est pas près de changer.
Si on ne veux pas gérer ce risque-là, alors il ne faut pas faire grève, ce n'est pas plus
compliqué que cela.
Et toute la validité justement des militants qui sont en pointe dans la grève, c‟est de gérer cela,
au profit de la grève.
Comment neutraliser la chefferie ?
Comment retourner les hésitants ?
Comment éviter les provocations ?
Tous les camarades, que ce soit à Renault ou à Sochaux, à Cléon, à Flins ou ailleurs
savent cela. La question n‟est pas de fuir, mais de s‟accrocher et de neutraliser l‟ennemi.
Quelquefois, on gagne, quelquefois on perd ou on finit sur des compromis, c‟est la lutte des
classes…
En fait, le changement d‟orientation de la grève dès la deuxième semaine est le résultat
d‟un choix conscient. Dès ce moment, Julien déclarait à l‟AFP (agence de presse) : “ en
revendiquant sur nos salaires, on s‟inscrit pleinement dans la campagne des présidentielles ”,
et il ajoutait que “ la lutte des salariés d‟Aulnay avait reçu le soutien d‟Arlette Laguiller et
d‟Olivier Besancenot ”
On comprend déjà mieux : la grève a été mise au service de la campagne électorale de
l‟extrême-gauche. Pour cela, il fallait que la presse en parle (ce qui n‟arrête pas la
production). Il fallait se faire voir partout : dans les gares, sur les marchés, etc. Pendant ce
temps, la direction et les non-grévistes sortaient 1200 voitures/jour. Il fallait aller aux portes
95
des autres usines (ce qui n‟a pas amené un gréviste de plus). Et tout ça pour que les candidats
de gauche et de moins gauche viennent se faire applaudir devant les caméras et les
journalistes. Même Royal y est allée, pour un peu on aurait eu Sarkozy.
Cela nous amène à quoi ? Du vent, du cinéma, mais pas le renforcement de la grève.
Au contraire, on pouvait constater chaque lundi qu‟on était moins nombreux que la semaine
précédente, jusqu‟à se retrouver à 200 à la fin.
Le 3 avril, alors qu‟il était évident que cette façon de mener la grève ne menait nulle
part, Mercier, le représentant CGT, déclarait sur RTL : “ le soutien des candidats aux
élections représente une aide importante face à la direction ”. Belles illusions ! Les chasseurs
de voix aux élections soutiennent les grévistes comme la corde soutient le pendu ; avec la
condition sous entendue que les grévistes abandonnent leur conscience de classe d‟ouvrier en
grève pour devenir des votants potentiels dans l‟anonymat des urnes.
Qu‟on se comprenne bien, il n‟est pas faux en soi que les ouvriers sortent de l‟usine
pour aller faire débrayer les camarades ailleurs. Mais encore faut-il qu‟il y ait des grévistes et
en nombre suffisant pour que ce soit un élément déclencheur. Quand 300 des 500 grévistes se
sont déplacés à Saint-Ouen, c‟était parfaitement juste. On pouvait espérer entraîner nos
camarades de Saint-Ouen, usine qui n‟est pas une grosse unité de production. Mais il a bien
fallu constater qu‟après le passage des grévistes dans les ateliers, l‟usine tournait à nouveau
normalement, comme si rien ne s'était passé.
On savait donc que la recherche d‟un éventuel élargissement à l‟extérieur d‟Aulnay
était illusoire. Quand ensuite on est allé à Poissy, cela n'aurait eu de sens que si on avait été
suffisamment nombreux, disons 2 ou 3 000 pour entrer dans l‟usine, bloquer les chaînes et
arrêter l‟usine. Cela aurait été une véritable extension de la grève mais on était bien loin de
cela. Et on le savait. Il ne s‟est rien passé, ni à Poissy ni ailleurs. Par contre, pendant ce
temps-là, nous n‟étions pas à l‟usine. Là où, le nerf de la guerre, la production, sortait de plus
en plus normalement.
Alors, au final, il nous reste quand même ce formidable sentiment d‟avoir fait un sacré
bras d‟honneur, à Citroën. Nous savons maintenant que nous sommes plusieurs centaines dans
l‟usine, armés d‟une véritable haine du système Citroën, et nous avons été capables de
l‟affirmer bien haut face aux valets patronaux. C‟est un acquis considérable, qu‟on a payé
cher, mais qui vaut bien des sacrifices. Cependant, on ne peut pas se contenter de ce jugement
de valeur.
En revanche, si les centaines de camarades concernés se mettent à réfléchir et à
discuter sur les différents aspects de ce qui a été fait, si on se sert de l‟expérience pour en tirer
les enseignements, alors, dans les mouvements à venir, on sera beaucoup plus forts. Citroën
aura beau aligner les huissiers, ses chefaillons ridicules, ses provocateurs et tous les crétins
qui marchent avec eux, c‟est le mouvement conscient des travailleurs en lutte qui aura le
dernier mot.
CITROEN AULNAY, PRINTEMPS 2007 : RETOUR SUR LA GREVE
La grève de six semaines (du 28 février au 10 avril 2007) qui a eu lieu dans l‟usine
Citroën est caractéristique a plus d‟un titre d‟une minorité d‟ouvriers de production de l‟usine
PSA Peugeot-Citroën d‟Aulnay-sous-Bois, en banlieue Nord de Paris.
Voici une grève qui démarre de façon minoritaire, comme la plupart des grèves dans
l‟industrie automobile ces trente dernières années, et qui au bout de deux semaines ne s‟étend
pas, n‟affecte pratiquement plus la production et qui perdure pendant plus d‟un mois en
quittant l‟entreprise. Qu‟était-il possible de proposer et de faire au bout des deux premières
semaines ?
Voici une grève minoritaire où la direction adopte la position “ nous n‟empêchons pas
la grève mais vous ne bloquez pas la production ”, accord tacite respecté de part et d‟autre.
Voici une grève où les grévistes s‟organisent en comité de grève le plus démocratique
possible, et où, les dirigeants de la grève, les militants de Lutte Ouvrière (LO), jamais en
contradiction avec les grévistes, font le choix délibéré de faire durer la grève en semant les
illusions sur la publicité médiatique en période électorale, pour finalement ne rien obtenir en
fin de grève.
Voilà donc une grève qui mérite qu‟on y revienne en détail pour en faire non
seulement le bilan, pour que les grévistes insatisfaits, après coup, puissent préparer la
prochaine grève et pour montrer les limites des comités de grève s‟ils ne se transforment pas,
après la grève, en comité politique ouvrier.
Une partie de cette lettre comprend donc une critique politique de la pratique qu‟a eu Lutte
Ouvrière et telle qu‟elle l‟a parfaitement expliqué dans sa brochure “ Six semaines de lutte
pour les salaires à Peugeot-Citroën Aulnay ”
Cette lettre, outre une chronologie, contient quatre textes :
« Discussion en fin de grève », discuté avec des camarades de l‟usine qui ne
sont pas forcément d‟accord avec certaines de nos conclusions,
« Le comité de grève d‟Aulnay, un organisme inutile à la lutte politique
ouvrière », qui est notre appréciation sur l‟action du comité de grève,
« VO/LO et les comités de grève », a été rédigé par un ancien militant de Lutte
Ouvrière,
« Les deux sources des erreurs de LO », qui identifie les raisons théoriques de
la politique de LO, le démocratisme et le syndicalisme.
Chronologie
Fin février, la majorité des travailleurs des presses (un atelier situé à l‟intérieur de l‟usine de
Citroën Aulnay où la production a été sous-traitée à l‟entreprise turinoise Magnetto) se met en
grève et menace d‟arrêter toute l‟usine. Après quelques jours de grève l‟entreprise fait des
concessions importantes : 100 euros net d‟augmentation de salaire, 5 jours de congé
supplémentaires, l‟embauche de 10 travailleurs intérimaires et accorde même une prime de fin
de grève de 75 euros.
Mercredi 28 février ― La grève démarre sur les chaînes de montage dans l‟équipe de l‟après
midi. Quelques travailleurs discutent des résultats de la grève Magnetto et décident de se
mettre en grève. Débrayage de l‟équipe de nuit.
1er mars ― L‟équipe du matin décide de poursuivre la grève. Sous l‟impulsion de militants un
comité de grève est formé.
2 mars ― Il y a quelques centaines de grévistes à la prise du travail de l‟équipe du matin.
Gefco Survilliers, un sous-traitant en charge de la logistique se met également en grève.
5 mars ― Les grévistes mettent fin à leur répartition par équipe et décident de tous venir à
l‟usine aux heures de l‟équipe de jour.
92
6 mars. ― Manifestation de 300 grévistes de l‟usine d‟Aulnay à l‟usine Citroën de Saint-
Ouen (effectif 500). Les manifestants sont autorisés par la direction à traverser l‟usine mais le
travail reprend dès qu‟ils ont quitté l‟usine.
8 mars ― Les grévistes partent en manifestation à l‟usine de Poissy (effectif 7 500), mais
cette fois ils ne peuvent pénétrer à l‟intérieur. Seuls quelques douzaines de travailleurs de
Poissy débraient en soutien à leur camarade d‟Aulnay, principalement des délégués.
Création de la carte de gréviste.
9 mars ― Création d‟une caisse de grève.
A partir de ce jour et pour le reste de la grève, ballades quotidiennes en dehors de l‟usine vers
des marchés, mairies, etc. dont nous ne recensons que quelques exemples
12 mars ― Manifestation à la préfecture de Bobigny.
Organisation d‟une pétition en soutien aux grévistes à l‟intérieur de l‟usine d‟Aulnay : 1 200
non-grévistes vont la signer le premier jour.
13 mars ― Quelques centaines de grévistes manifestent à Paris et distribuent des tracts devant
le siège de PSA.
21 mars ― Le comité de grève élabore un “ programme d‟action en direction de l‟usine et des
habitants du département ”.
22 mars ― Les grévistes manifestent dans l‟atelier de Magnetto, mais sans réussir à entraîner
les ouvriers dans la lutte
9 au 22 mars ― Tentatives de débrayages ultra minoritaires dans diverse usines du groupe qui
restent incapables d‟affecter la production (Sochaux, Mulhouse, Trémery, Rennes,
Sevelnord).
24 mars ― Organisation d‟une manifestation à Paris avec un millier de participants.
26 mars ― PSA est condamné pour usage illégal de travailleurs intérimaires en remplacement
des grévistes.
27 mars ― Manifestation dans la ville d‟Aulnay. Grève chez deux fournisseurs, Lear et
Faurecia. La grève de Faurecia qui durera 4 jours aura de vraies conséquences : pendant toute
une période les voitures produites sortiront sans siège.
28 mars ― Débrayage de deux heures à Aulnay, appelé par les syndicats.
30 mars ― Nouvelle manifestation à Paris devant le siège de PSA avec la participation des
grévistes de Lear.
2 avril ― Premiers versements de la caisse de grève. Chaque gréviste reçoit de 70 à 200
euros.
4 avril ― Fin de la grève à Lear, les grévistes obtiennent une augmentation de 47 euros.
6 avril ― Nouveau débrayage à Aulnay. Les grévistes organisent un barbecue géant devant
l‟usine.
10 avril ― Dernière manifestation devant le siège de PSA à Paris.
Les grévistes décident de suspendre la grève.
Résultats :
4 jours et demi de grève payés et une prime exceptionnelle de 125 euros pour tous, grévistes
et non-grévistes.
Le tarif des transports d‟entreprise sera diminué.
Les jours de travail supplémentaires, samedi et jours fériés ne seront pas obligatoires.
Discussions en fin de grève
La grève chez Citroën, du 28 février au 10 avril 2007, pose bien des problèmes et les
conclusions qu‟en tire “ Lutte ouvrière ” dans la brochure sont bien insuffisantes et sélectives.
Pourquoi s‟occuper de cette brochure ? Parce qu‟il est notoire que les camarades qui
ont joué un rôle moteur dans cette grève sont presque tous, pas exclusivement, des militants
de LO existant à travers la CGT. En conséquence, ils portent la responsabilité de ce qu‟a fait
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la grève (en bien et en moins bien). C‟est tout à leur honneur, certes, mais cela ne doit pas
nous dispenser d‟en discuter lucidement et de façon critique.
La grève a commencé spontanément sur les chaînes de montage, même si des militants
étaient présents. La CFDT, qui à signé un accord salarial la veille, est logiquement contre
mais va malgré tout suivre le mouvement pour ne pas se mettre plus à dos les travailleurs.
C‟est l‟annonce du succès clair et net des travailleurs de Magnetto qui a déclenché l‟arrêt des
chaînes. Évidemment, sur fond de grogne profonde et tenace depuis des années. En effet,
Citroën n‟a rien perdu de sa réputation historique et méritée de sale boîte : une entreprise qui
paye mal, une maîtrise sélectionnée à l‟ancienne pour ses convictions anti-ouvrières et
accessoirement pour ses compétences professionnelles, les deux allant rarement ensemble.
Très vite, il y avait 450 à 500 grévistes dans une usine qui compte 3 300 à 3 500
travailleurs en production. La grève est minoritaire, c‟est un constat ; ce n‟est ni une critique
ni un jugement de valeur. Les travailleurs ont raison de poser les gants quand ça ne va pas,
minoritaires ou pas. Et ceux à qui cela ne plaît pas n‟ont qu‟à poser les gants eux aussi, la
grève deviendra moins minoritaire.
Mais à partir de ce constat, il faut déterminer lucidement ce qu‟on fait pour que la
grève englobe le plus de monde possible. La force de la classe ouvrière face aux patrons, c‟est
la grève mais avec des grévistes, et la plus massive possible. Le nombre compte au moins
autant que la combativité. C‟est la conclusion qu‟ont pu tirer des générations de travailleurs
grévistes, bien souvent après des luttes formidables mais néanmoins défaites, comme la grève
des presses de Flins en 1978, vaincue pour n‟avoir pas entraîné la masse des travailleurs.
Les 500 camarades qui ont commencé la grève se devaient donc de trouver les moyens
d‟entraîner les autres ouvriers et d‟arrêter la production. Parce que d‟abord et avant tout, une
grève c‟est l‟arrêt de la production, l‟arrêt de la production de valeur. C‟est tellement évident
qu‟on ne le dit même plus, et pourtant c‟est la base à partir de laquelle il faut concevoir les
actions.
Les deux premiers jours donc, tout était arrêté ou presque. Et c‟est peut-être là qu‟on a
raté quelque chose ; si on s‟était installé sur les chaînes à 4 ou 500 gars et qu‟on y soit resté,
qu‟auraient pu faire les valets des patrons ?
Mais cela ne s‟est pas fait… Bon, on ne refait pas l‟histoire. Quand on démarre, on va
vite, très vite : on fonce pour essayer d‟entraîner d‟autres tronçons de la chaîne. C‟est bien
compréhensible, puisqu‟on veut être efficace immédiatement. On ne peut pas penser à tout,
tout de suite.
Toute la première semaine et jusqu‟au milieu de la deuxième, on a essayé de gagner de
nouveaux grévistes; on sentait que l‟ambiance de l‟usine n‟était pas défavorable, même les
non-grévistes, massivement, n‟étaient pas hostiles (mais ils n‟étaient pas en grève pour autant)
et quand la maîtrise voulait recruter dans les secteurs de maintenance pour remplacer les
grévistes, ça ne marchait pas. C‟est vrai que plusieurs fois la maîtrise a elle-même retiré les
non-grévistes vers d‟autres secteurs face à la pression des grévistes.
Mais alors, pourquoi subitement, dès la fin de la deuxième semaine et pendant tout le
reste de la grève, les dirigeants de la grève ont-ils poussé à sortir de l‟usine et des ateliers pour
aller à l‟extérieur, un peu partout ?
Soyons clairs, le comité de grève et la majorité des grévistes étaient d‟accord (pas tous
quand même, il y a des camarades qui ont senti qu‟on changeait d‟objectif). Et alors ?
L‟important est de déterminer dans quel sens tiraient les dirigeants de la grève. La démocratie
formelle, du genre : “ C‟est pas nous, c‟est les grévistes ! ”, c‟est de la foutaise.
Concrètement, les militants de LO ont fait ce qu‟il fallait pour que les ouvriers aillent ailleurs.
Et pourtant, si l‟on avait des chances d‟arrêter complètement l‟usine, c‟était en
continuant la pression, en trouvant les bons arguments, en gérant la grève avec ce seul
objectif : stopper la production, y compris, si la possibilité se présentait, de bloquer par la
94
force. Au lieu de cela, on a laissé les non-grévistes et la direction réorganiser les chaînes pour
les faire tourner et évidemment, c‟est ce qui s‟est passé.
Bien sûr il n‟est pas certain que nous aurions réussi à gagner une partie des nongrévistes.
Rien n‟est jamais joué d‟avance mais les préoccupations auraient été différentes et
on n‟aurait pas laissé les mains libres à la Direction et à sa maîtrise.
Les deux premières semaines, il y a eu 6 à 7 000 voitures non fabriquées. Mais dès la
troisième semaine, les chaînes sortaient 1 000 voitures/jour ; il n‟en manquait que 350 par
rapport à la production normale. Et comme les ventes ne sont pas terribles en ce moment …
Pour la direction, c‟était gérable. Ensuite, la production est montée à 1 200 voitures/jour.
Au bout de deux semaines, les grévistes avaient perdu l'espoir de gagner le moindre gréviste
supplémentaire et la majorité pensait qu'il était nécessaire de changer d'objectif, en
médiatisant la grève.
Dans la brochure, page 28, il est expliqué que “ …pour la direction, il faut que les
voitures sortent coûte que coûte ”. Bien sûr que les patrons, eux, ont une boussole. Ils savent
que la grève, si elle arrive à arrêter la production, c‟est mal barré pour eux. Pourquoi du côté
des grévistes et en particulier des dirigeants de la grève n‟y a-t-il pas cette volonté dans l‟autre
sens ?
Il y a six pages dans la brochure pour expliquer pourquoi il ne fallait pas bloquer les
chaînes et pourquoi il fallait sortir de l‟usine. Il est écrit, page 41, noir sur blanc : “ D‟ailleurs,
la direction de Citroën, elle-même, n‟aurait pas été mécontente d‟un tel blocage ” Et ce,
après avoir expliqué que la direction voulait sortir des voitures coûte que coûte. Si quelqu‟un
a une explication, on est preneur !
Toute l‟argumentation tourne autour de cette idée : bloquer la production, c‟est donner
des arguments aux huissiers et à la maîtrise pour sanctionner et briser la grève.
Mais soyons clairs : la plupart des grèves dans l‟automobile, depuis 40 ans, en France,
ont été minoritaires ; plus ou moins, c‟est vrai, et toutes se sont trouvées face à ce problème.
La grève, c‟est-à-dire ― répétons-le encore ― l‟arrêt de la production, se trouve
presque à chaque fois face aux agents patronaux patentés : huissiers, maîtrise, provocateurs,
etc. Et ça n‟est pas près de changer.
Si on ne veux pas gérer ce risque-là, alors il ne faut pas faire grève, ce n'est pas plus
compliqué que cela.
Et toute la validité justement des militants qui sont en pointe dans la grève, c‟est de gérer cela,
au profit de la grève.
Comment neutraliser la chefferie ?
Comment retourner les hésitants ?
Comment éviter les provocations ?
Tous les camarades, que ce soit à Renault ou à Sochaux, à Cléon, à Flins ou ailleurs
savent cela. La question n‟est pas de fuir, mais de s‟accrocher et de neutraliser l‟ennemi.
Quelquefois, on gagne, quelquefois on perd ou on finit sur des compromis, c‟est la lutte des
classes…
En fait, le changement d‟orientation de la grève dès la deuxième semaine est le résultat
d‟un choix conscient. Dès ce moment, Julien déclarait à l‟AFP (agence de presse) : “ en
revendiquant sur nos salaires, on s‟inscrit pleinement dans la campagne des présidentielles ”,
et il ajoutait que “ la lutte des salariés d‟Aulnay avait reçu le soutien d‟Arlette Laguiller et
d‟Olivier Besancenot ”
On comprend déjà mieux : la grève a été mise au service de la campagne électorale de
l‟extrême-gauche. Pour cela, il fallait que la presse en parle (ce qui n‟arrête pas la
production). Il fallait se faire voir partout : dans les gares, sur les marchés, etc. Pendant ce
temps, la direction et les non-grévistes sortaient 1200 voitures/jour. Il fallait aller aux portes
95
des autres usines (ce qui n‟a pas amené un gréviste de plus). Et tout ça pour que les candidats
de gauche et de moins gauche viennent se faire applaudir devant les caméras et les
journalistes. Même Royal y est allée, pour un peu on aurait eu Sarkozy.
Cela nous amène à quoi ? Du vent, du cinéma, mais pas le renforcement de la grève.
Au contraire, on pouvait constater chaque lundi qu‟on était moins nombreux que la semaine
précédente, jusqu‟à se retrouver à 200 à la fin.
Le 3 avril, alors qu‟il était évident que cette façon de mener la grève ne menait nulle
part, Mercier, le représentant CGT, déclarait sur RTL : “ le soutien des candidats aux
élections représente une aide importante face à la direction ”. Belles illusions ! Les chasseurs
de voix aux élections soutiennent les grévistes comme la corde soutient le pendu ; avec la
condition sous entendue que les grévistes abandonnent leur conscience de classe d‟ouvrier en
grève pour devenir des votants potentiels dans l‟anonymat des urnes.
Qu‟on se comprenne bien, il n‟est pas faux en soi que les ouvriers sortent de l‟usine
pour aller faire débrayer les camarades ailleurs. Mais encore faut-il qu‟il y ait des grévistes et
en nombre suffisant pour que ce soit un élément déclencheur. Quand 300 des 500 grévistes se
sont déplacés à Saint-Ouen, c‟était parfaitement juste. On pouvait espérer entraîner nos
camarades de Saint-Ouen, usine qui n‟est pas une grosse unité de production. Mais il a bien
fallu constater qu‟après le passage des grévistes dans les ateliers, l‟usine tournait à nouveau
normalement, comme si rien ne s'était passé.
On savait donc que la recherche d‟un éventuel élargissement à l‟extérieur d‟Aulnay
était illusoire. Quand ensuite on est allé à Poissy, cela n'aurait eu de sens que si on avait été
suffisamment nombreux, disons 2 ou 3 000 pour entrer dans l‟usine, bloquer les chaînes et
arrêter l‟usine. Cela aurait été une véritable extension de la grève mais on était bien loin de
cela. Et on le savait. Il ne s‟est rien passé, ni à Poissy ni ailleurs. Par contre, pendant ce
temps-là, nous n‟étions pas à l‟usine. Là où, le nerf de la guerre, la production, sortait de plus
en plus normalement.
Alors, au final, il nous reste quand même ce formidable sentiment d‟avoir fait un sacré
bras d‟honneur, à Citroën. Nous savons maintenant que nous sommes plusieurs centaines dans
l‟usine, armés d‟une véritable haine du système Citroën, et nous avons été capables de
l‟affirmer bien haut face aux valets patronaux. C‟est un acquis considérable, qu‟on a payé
cher, mais qui vaut bien des sacrifices. Cependant, on ne peut pas se contenter de ce jugement
de valeur.
En revanche, si les centaines de camarades concernés se mettent à réfléchir et à
discuter sur les différents aspects de ce qui a été fait, si on se sert de l‟expérience pour en tirer
les enseignements, alors, dans les mouvements à venir, on sera beaucoup plus forts. Citroën
aura beau aligner les huissiers, ses chefaillons ridicules, ses provocateurs et tous les crétins
qui marchent avec eux, c‟est le mouvement conscient des travailleurs en lutte qui aura le
dernier mot.
Flore Gambier- Messages : 11
Date d'inscription : 11/07/2015
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