L'Israël, l'Egypte et la Turquie
L'État sioniste perd ses deux principaux
alliés régionaux
Le processus de rébellions qui agite le Moyen Orient a des conséquences défavorables pour l'État colonial d'Israël. Le comble, ces vents contraires se sont combinés aussi avec deux autres changements défavorables pour Israël : l'affaiblissement géopolitique des États-unis - le « Grand Frère » - et la crise du consensus social à l'intérieur de l'État sioniste, qui s'exprime dans le mouvement des Indignés.
Presque simultanément, l'État de l'Israël a perdu ses deux principaux alliés régionaux : La Turquie et l'Égypte. C'est un fait d'importance indéniable.
Bien sur la position de force de l'Israël, comme enclave colonial-raciste dans le Moyen Orient, est produit de l'appui historique des puissances impérialistes occidentales, en premier lieu, des USA. Ils ont envoyé gratuitement à Israël des billions de dollars et des tonnes des plus modernes armements, comme aucun autre état n’a reçu. En réciprocité, Israël a accompli un rôle de premier ordre comme gendarme de ces puissances. Soit au moyen de guerres ou de simples menaces, la présence de ce «chien de garde» a été un facteur fondamental pour «discipliner» les bourgeoisies et les gouvernements d'une région qui est mondialement importante du point de vue colonisateur des impérialismes d'Occident.
Mais l'existence de ces grands parrains ne diminue pas l‘importance des alliés régionaux qu'avait l'Israël, ni de sa perte.
Fin d'une alliance de six décennies
La Turquie a établi relations diplomatiques avec Israël en 1949, seulement à une année de la proclamation de l'état. La Turquie a été non seulement le premier état avec une majorité de population musulmane qui a reconnu Israël, mais elle a développé des relations économiques, politiques et militaires étroites avec cet état. Israël a été le principal fournisseur d'armements de la Turquie et depuis Ankara on n’objectait jamais les outrages contre les palestiniens et autres peuples arabes. Ceci est arrivé au comble en 2000, avec la signature de un Traité de libre commerce, qui a transformé la Turquie en troisième marché des exportations d'Israël.
Le climat commençait à changer en 2003 avec l’arrivée de l’actuel premier ministre Recep Tayyip Erdogan, à la tête du AKP (Parti la Justice et du Développement). L'AKP, «islamiste modéré», est la version turque des partis démocrate-chrétiens de l'Europe, conservateurs et néo-libéraux.
Erdogan et l'AKP montent au gouvernement quand mondialement (et plus encore dans cette région) la «crise d'hégémonie» de l'impérialisme yankee débute. Là, comme dans d'autres régions, l'affaiblissement géopolitique progressif des USA va ouvrir les portes à toute sorte de «désobéissances» vis-à-vis de Washington… (et, dans ce cas, aussi son gendarme Israël). Les états (et surtout les «puissances régionales» comme la Turquie) commencent à faire «leur propre jeu».
La première expression de cela a été l'opposition de la Turquie à l'occupation d'Iraq par les USA. Donc, la critique des actes sauvages d'Israël a permis au gouvernement turc de se présenter comme champion des peuples islamiques, un rôle disparu avec l'écroulement de l'Empire Ottoman en 1918 à la fin de la Première Guerre Mondiale et la division des territoires arabes. Ainsi, sa politique a été définie comme «néo-ottomane».
Cette tendance a été marquée par un saut le 31 mars de l'année passée. Israël a effectué une attaque sanguinaire contre le navire marchand turc Mavi Marmara, qui dirigeait une flottille humanitaire d'aide à Gaza. Neuf citoyens turcs ont été assassinés par les pirates sionistes.
La vague de rejet international suite à ce nouveau crime d'Israël a été impressionnante, spécialement en Europe… et Erdogan et sa politique internationale ont tiré profit de cela. Depuis lors, il exige d’Israël trois points : 1º) excuse publique pour l'assaut et le décès des civils turcs dans l'attaque contre la flotte humanitaire, 2º) indemnisation des parents des victimes, 3º) fin du blocus de Gaza.
Dans les dernières semaines, Ankara a expulsé l'ambassadeur d'Israël et a interrompu aussi les relations commerciales et militaires. Erdogan a menacé de visiter personnellement Gaza et, en outre, d'envoyer la flotte turque à patrouiller devant les côtes des territoires palestiniens occupés par Israël.
Ses menaces, en partie, sonnent comme un bluff... et Erdogan a déjà effectué quelques pas en arrière. Mais l'important ce ne sont pas ces détails, mais le changement de situation régionale et mondiale qui se reflète dans la rupture de la Turquie avec l'Israël.
Le plus important : les masses égyptiennes expulsent les représentants diplomatiques d’Israël
Mais le plus significatif ne réside pas dans les hésitations d'Erdogan, mais la mobilisation révolutionnaire des masses égyptiennes, qu'ont imposé de fait la rupture des relations avec Israël.
Le 9 septembre passé, de grandes mobilisations de dizaines de milliers de manifestants ont parcouru à nouveau les rues du Caire. Une grosse partie des manifestants s'est dirigée en direction de l'ambassade sioniste, en criant : «A bas, à bas Israël !». Les manifestants commençaient en demandant de suivre l'exemple de la Turquie en suspendant les relations diplomatiques, commerciales et militaires, jusqu'à la rupture des Accords de Camp David de 1978 et la fin des exportations de gaz.
L'ambassade était entourée par un mur de protection. Les manifestants ont commencé à le démolir. Beaucoup de gens ont emmenés les pierres comme souvenir. «C’est notre petit mur de Berlin» a dit un chroniqueur d'Al-Ahram, le principal journal d'Egypte.
Ensuite les manifestants sont entrés à l'ambassade. Les soldats qui la gardaient, ont refusé de les réprimer. Depuis le bâtiment, les manifestants ont commencé à jeter par les fenêtres les papiers et les documents qu'ils ont trouvés. Beaucoup ont été repris et publiés sur Internet. Ils révèlent les liens étroits, la subordination et les négociations de hauts fonctionnaires et bourgeois égyptiens avec Israël.
La prise de l'ambassade par les manifestants a désespéré le gouvernement. Devant l'inaction des soldats, il a envoyé un fort contingent de la police. Se sont succédées des confrontations dures qui ont duré toute la nuit, avec trois morts et plus de mille blessés.
Ces faits, d'une part, reflètent une certaine radicalisation générale du processus entamé en janvier. Mais, plus spécifiquement, il s’agit du rôle infâme imposé à l'Égypte par Israël et les USA dans « les Accords de Camp David » de 1978. Dans cet accord, géré par les USA et signé par le dictateur précédent Anwar el-Sadat, l'Égypte non seulement a reconnu l'occupation coloniale de la Palestine, mais a assumé en outre la fonction « de geôlier suppléant » d'Israël. L'état égyptien collabore avec Israël dans le blocus de la Bande de Gaza, en fermant la partie qui la délimite avec l'Égypte.
La Bande de Gaza a été bien défini comme « le plus grand camp de concentration du monde ». Le blocus d'Israël concernant les aliments et médicaments, les bombardements chroniques et les massacres, forment un génocide « au ralenti ». Mais cette monstruosité ne pourrait pas fonctionner sans la collaboration de l'état égyptien !
Pour les masses arabes, Gaza c’est le plus irritant et pénible emblème de la barbarie d'Israël et de ses patrons d'Occident. Et pour les égyptiens il l'est encore beaucoup plus.
Dans cette situation, le gouvernement d'Israël n’a pas eu meilleure idée que de mettre le doigt dans la blessure. Pressé par les protestations sociales des Indignés, Netanyahou a cherché à provoquer un conflit. Il espérait, comme toujours, que les dissidences internes s’effacent en honneur de la défense de l'État colonial.
Après un « attentat terroriste » se produisant opportunément, Netanyahou a bombardé Gaza et le Sinaï le 19 août. Mais non seulement il a assassiné des palestiniens, mais aussi des soldats égyptiens. Le tir c'est retourné contre lui… et doublement. En Israël les demandes des Indignés ne faiblissent pas. Et en Égypte, il a délié une vague indignation et protestations qui ont terminé avec la prise de l'ambassade d’Israël au Caire et la fuite de tout le personnel diplomatique.
Cette fois, les choses n'ont pas fonctionné comme d'habitude : un signe des temps.
Israël dans un contexte inédit
Il y a plus de 40 ans, des militants marxistes d'Israël ont écrit un texte classique sur la nature de cette société et son État[1]. En polémiquant avec les visions schématiques d'autres marxistes, qui ne signalaient pas les différences essentielles d'Israël avec d'autres sociétés et états « normaux », ils soulignaient son caractère presqu'unique dans le monde, déterminé par le fait de d'être une société de colonisateurs, qui était soutenue en bonne mesure au prix de l'appui économique phénoménal, financier et militaire des USA et de l'Occident. Les différences et les contradictions de classe « normales » entre exploiteurs et exploités ne cessaient pas d'exister, mais ils s'effaçaient et se subordonnaient presque totalement à ce caractère particulier de la société et de l'État.
Tout ceci contribuait au blindage réactionnaire de cette société. Mais les auteurs signalaient que cette forteresse qui apparaissait comme inexpugnable, pouvait dans le futur avoir deux talons d'Achille : un, l'affaiblissement de l’indispensable appui impérialiste; l'autre, une irruption de luttes révolutionnaires dans le monde arabe.
Quarante ans plus tard, le déclin géopolitique des États-unis, la crise mondiale qui les frappe, de même que l'Europe, et le déclenchement de la révolte arabe, a créé un contexte inédit mondial et régional pour l'État d'Israël. Aussi, simultanément, pour la première fois de son histoire, a apparu quelque chose qui rassemble à la lutte des classes «normal» et ce n’est pas un fait mineur: protestations de colère.
[1] 1.- Moshe Machover, Haim Hanegbi and Akiva Orr, “The Class Nature of Israeli
Society”, New Left Review I/65, January-February 1971.
Claudio Testa
Socialismo o Barbarie, periódico, 15/09/11
http://www.socialismo-o-barbarie.org/medio_oriente_nuevo/110915_a_sobisraelegiptoturquia.htm