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Indigènes de la République

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Message  marxmarx Dim 29 Mar - 17:46

le forum FALO a favorisé l'islamophobe Riposte laïque

n'importe quoi

marxmarx

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Message  verié2 Dim 29 Mar - 17:50

marxmarx a écrit:
le forum FALO a favorisé l'islamophobe Riposte laïque
n'importe quoi
Dit de cette façon, c'est un peu caricatural, donc excessif. Il n'en reste pas moins que le FALO a été pendant très longtemps très indulgent envers un collaborateur régulier de Riposte laïque. L'un des dirigeants de RL avait d'ailleurs été invité à faire un forum à la fête de LO, sous le sigle de l'UFAL. Certes, RL n'avait pas encore fait son outing identitaire, mais son islamophobie obsessionnelle était déjà largement décelable derrière sa prétendue défense de la laïcité, tout comme celle de son collaborateur...

verié2

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Message  Carlo Rubeo Dim 29 Mar - 20:19

verié2 a écrit:
marxmarx a écrit:
le forum FALO a favorisé l'islamophobe Riposte laïque
n'importe quoi
Dit de cette façon, c'est un peu caricatural, donc excessif.

C'est vrai que c'est excessif si l'idée c'est de dire "favoriser" dans le sens de développer, étant donnée la faible audience des forums militants.
Mais "favoriser" dans le sens de donner une "tribune" complaisante (comme l'avait fait également Radio Libertaire) cela me semble très juste.
Carlo Rubeo
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Message  marxmarx Lun 30 Mar - 0:04

Le Falo n'a donné de tribune à personne. Le Falo est un forum accueillant tous ceux qui se sentent amis de Lo

Parmi les dizaines de participants, un était militant de l'UFAl et en relation avec Riposte laique (il n'en a jamais été adherent), après avoir été à la LCr durant des années
Il postait à tour de bras sur le FALo sans jamais avoir émis le moindre propos ambigu au niveau du racisme, en s'en tenant à une ligne socialo-laique
Quand l'evoluton de riposte laique vers l'extreme droite islamophobe est devenu évidente, il s'en est éloigné

Bref Les idées qu'ils défendaient ne sont ni celles du Falo et encore moins celles de Lo, mais il n'a jamais non plus été militant de riposte laique dont il critiquait l'ambiguité de la denonciation appuyée de l'islam, meme à l'epoque ou le masque de cette asso n'était pas tombé.

marxmarx

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Message  verié2 Lun 30 Mar - 11:26

marxmarx a écrit:Le Falo n'a donné de tribune à personne. Le Falo est un forum accueillant tous ceux qui se sentent amis de Lo

Parmi les dizaines de participants, un était militant de l'UFAl et en relation avec Riposte laique (il n'en a jamais été adherent), après avoir été à la LCr durant des années
Il postait à tour de bras sur le FALo  sans jamais avoir émis le moindre propos ambigu au niveau du racisme, en s'en tenant à une ligne socialo-laique
Quand l'evoluton de riposte laique vers l'extreme droite islamophobe est devenu évidente, il s'en est éloigné

Bref Les idées qu'ils défendaient ne sont ni celles du Falo et encore moins celles de Lo, mais il n'a jamais non plus été militant de riposte laique dont il critiquait l'ambiguité de la denonciation appuyée de l'islam, meme à l'epoque ou le masque de cette asso n'était pas tombé.
Si nous parlons bien du même intervenant - Jean-François Chalot, sous divers pseudos -, tu es mal informé. Celui-ci a défendu Riposte laïque très tardivement en lui trouvant toutes sortes d'excuses. Tu dis qu'il n'était pas "adhérent de RL", j'ignore ce que cela implique d'être adhérent, mais il en était un collaborateur très régulier. Ses articles sont d'ailleurs toujours disponibles dans les archives du site ! Alors que rien ne l'empêchait ni ne l'empêche d'exiger leur retrait. Ce qui aurait été un acte de dignité élémentaire.

De plus, non, il ne critiquait jamais "l'ambiguité" de RL et défendait lui-même des positions ultra-laïques parfois caricaturales. Il se disait par exemple partisan de faire des réflexions aux femmes voilées dans la rue, de leur demander d'ôter leur voile etc. Chalot était de toute évidence obsédé par l'Islam comme nombre de laïques non racistes dans le sens traditionnel du terme, c'est ce qui le liait à RL.

J'ignore ce que ce personnage est devenu, mais les animateurs du FALO ont fait preuve d'une très grande tolérance à son égard, alors qu'ils m'ont viré sans même un avertissement ni un courriel parce que je critiquais les positions de LO, en particulier son soutien à la campagne Gérin.

Je pense que LO a un peu évolué sur la question, et je m'en réjouis vivement, mais il me semble incontestable que LO a pendant longtemps eut les yeux de Chimène pour tous ceux qui s'en prenaient à l'Islam, que ce soit Riposte laïque (qui félicitait d'ailleurs LO...), Fadela Amara, des auteurs réactionnaires comme Djavann etc. Le cas d'André Gérin dont LO a soutenu la campagne islamophobe est caricatural. Ce maire PCF (à l'époque) n'était-il pas un ami déclaré du xénophobe ultra réactionnaire Raoult, qui a préfacé un de ses livres... sur les cités de banlieue ? (Pour ceux qui ne le sauraient pas, ce Raoult avait même été manifester avec une bande de fachos devant le siège de la CGT de Montreuil dans les années quatre-vingt. Le SO de la CGT avait d'ailleurs flanqué une bonne raclée à cette clique.)

LO n'a alors pas compris ce qui se dissimulait derrière cette prétendue défense de la laïcité et des droits des femmes.

verié2

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Message  verié2 Lun 30 Mar - 12:02

Voici ce qu'écrivait encore Chalot en octobre 2009 pour défendre Riposte laïque contre ce qu'il considérait comme des calomnies :
Quand je lis : « Riposte laïque use de la même méthode que l’extrême droite “expérimentée” comme ce fût le cas sur les Juifs dans les années 1930 et ensuite sur les Arabes : n’évoquer les uns et les autres que lorsqu’ils sont fautifs ou supposés être fautifs. Jamais, ô grand jamais, » je suis inquiet et effaré!

Je n’accepte pas et je n’accepterai pas que des apprentis sorciers puissent en arriver à entretenir une guerre fratricide et à fuir le terrain du débat.
En octobre 2009 :
À partir d'octobre 200925 Riposte laïque dénonce la tenue hebdomadaire sur la voie publique de prières musulmanes dans le quartier de la Goutte-d'Or (notamment Rue Myrha), à Paris, qui d'après elle ne sont pas autorisées, et surtout seraient l'œuvre d'un complot destiné à affirmer par le fait accompli une invasion islamique en France. (Wikipedia)

On trouve en effet un édito signé Cyrano qui dénonce ces prières de rue et "l'invasion islamique" en termes grotesques.

Respublica, site marqué par son laico-républicanisme islamophobe, mais proche des Chevénementistes et du PdG, dénonçait en effet l'évolution de RL.

Voici ce qu'écrivait de son côté Alternative Libertaire, mieux informée visiblement que LO :

(...) Certains animateurs locaux de l’UFAL, emmenés par deux ex-trotskistes, Pierre Cassen (Yvelines) et Jean-François Chalot (Seine-et-Marne), sautèrent le pas et s’engagèrent derrière Fanny Truchelut. Et nos « athées de gauche » de faire front commun avec l’extrême droite catholique, puisque qu’entre-temps Mme Truchelut avait accepté le soutien du MPF de Philippe de Villiers, et que Me Alexandre Varaut, n°2 du parti, la défendait gratuitement.

(...) En septembre 2007, Pierre Cassen et quelques proches créèrent le site Ripostelaique.com pour s’exprimer en toute liberté. Lui-même finit par démissionner avec fracas de l’UFAL en novembre 2008.
Glissement vers l’extrême droite

La brève histoire de Riposte laïque – deux ans – c’est celle d’un glissement effroyablement rapide vers l’extrême droite. D’une position de « laïcité sélective » principalement anti-islamique en 2007, RL est passée, fin 2009 à celle de « petit-blanc facho »

En mai 2014, Chalot était toujours accepté sur le FALO où il pouvait tenir des propos comme "La France... fille adoptive de l'Islam". Lesquels propos suscitaient la réprobation et l'ironie mais pas son éviction...

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Message  verié2 Lun 30 Mar - 12:27

On peut rappeler aussi que LO s'est présentée aux municipales 2008, à Vénissieux, sur la liste d'André Gérin :
Marie-Christine Seemann, 47 ans, enseignante, qui milite depuis une trentaine d’années au sein du parti d’extrême gauche (...)
Élue en 2008 sur la liste d’André Gerin (PCF)
Pourtant, un an avant, Gérin publiait son livre ultra nationaliste et xénophobe Les ghettos de la République préfacé par son ami (UMP droite forte) Eric Raoult. Et un an plus tard, en 2009, Gérin lançait sa grande campagne islamophobe. Détail révélateur, les animateurs de Riposte laïque étaient d'ailleurs auditionnés à cette occasion par la "commission Gérin" instituée par Sarkozy...

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Message  sylvestre Lun 30 Mar - 13:55

Très intéressante interview de Sadri Khiari, aujourd'hui l'un des principaux animateurs du PIR, sur le trotskysme en Tunisie, et donc, aussi, sur son parcours politique : http://www.contretemps.eu/interviews/sur-trotskisme-en-tunisie-entretien-sadri-khiari
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Message  MO2014 Lun 30 Mar - 14:14

sylvestre a écrit:Très intéressante interview de Sadri Khiari, aujourd'hui l'un des principaux animateurs du PIR, sur le trotskysme en Tunisie, et donc, aussi, sur son parcours politique : http://www.contretemps.eu/interviews/sur-trotskisme-en-tunisie-entretien-sadri-khiari

Merci. à lire pour mieux comprendre un itinéraire de la LCR aux Indigènes de la République.

Sadri Khiari : « L’entretien ci-dessous date d’août 2012. Je l’avais complètement oublié jusqu’à ce que des circonstances inutiles à relater ne me le remettent en mémoire. Il avait été conduit par un vieil ami, Saleh Mosbah, professeur de philosophie à l’Université de Tunis, qui avait l’intention de le proposer au bulletin de la Ligue de la gauche ouvrière (LGO), une organisation tunisienne qui regroupe, entre autres, de nombreux militants issus du groupe marxiste révolutionnaire auquel j’ai longtemps appartenu. C’est autour de cette expérience que tourne cet entretien qui aborde également des questions qui étaient d’actualité en Tunisie, en 2012, et qui dans un nouveau contexte le demeurent. Je l’ai très légèrement raccourci, mais je dois préciser que, même si les événements qui se sont déroulés par la suite ont pu m’amener à réviser partiellement certains jugements formulés dans l’entretien, je n’en ai rien modifié et, de toutes façons, il y a peu de choses que j’écrirais différemment aujourd’hui (Sadri Khiari, mars 2015). »

Saleh Mosbah. : Peux-tu reconstruire ta venue au trotskysme ?
Je voudrais d’abord remercier la « Tribune révolutionnaire » de porter attention à la mémoire du mouvement révolutionnaire marxiste en Tunisie, même si, force m’est de le reconnaitre, je n’y ai joué qu’un rôle marginal contrairement à mes ambitions de jeunesse. Pour répondre à ta question, je dois te dire d’où je viens. Je suis né deux ans après l’Indépendance, dans une famille de militants communistes (membres du PCT), d’un père musulman et d’une mère juive, tous deux tunisiens, non-religieux, bourgeois déclassés, très fortement imprégnés de culture française quoi que très attachés à l’indépendance tunisienne, comprise exclusivement comme indépendance politique et économique. Je suis en partie le produit de tout cela, c’est- à-dire, entre autre chose, de la colonisation. Très jeune admirateur de Lénine, je le suis toujours même si ce n’est pas nécessairement pour les mêmes raisons qu’à l’époque. Héritier d’un certain «élitisme » dont je ne me suis pas vraiment débarrassé, le regard polarisé parla France, largement extérieur à la société tunisienne sinon comme résidu de la période coloniale, j’étais de gauche comme on pouvait l’être à Paris, Rome ou Berlin, avec, comme cette même gauche à l’époque, une grande sensibilité à la question palestinienne. A Paris, Rome ou Berlin, on remettait en cause le stalinisme, c’est-à-dire l’idéologie et le système soviétique. Cette influence s’est ajoutée, lorsque j’étais adolescent, à la conscience très claire de la débâcle du Parti communiste tunisien. Arrivée à l’automne 1977 en France pour y poursuivre des études supérieures, je me suis « naturellement » inscrit à l’Université de Vincennes, réputée alors d’extrême-gauche, où j’ai immédiatement commencé à militer au sein d’un « Comité de défense des étudiants étrangers ». En parallèle, je cherchais à rencontrer des militants tunisiens pour m’engager à leurs côtés. Et c’est à travers un étudiant tunisien trotskiste – je pourrais le citer, mais je ne sais pas s’il en a envie – que j’ai connu la section française de la IVème internationale, la Ligue communiste révolutionnaire. Je dois avouer que leur propos m’a convaincu en à peu près trois minutes et quinze secondes. Ce n’est donc pas à travers un cheminement théorique et une réflexion sur les différentes gauches que je suis arrivé au trotskisme, mais parce que j’éprouvais un besoin urgent de m’engager politiquement et que le trotskisme qui m’était présenté correspondait à ce que j’étais et à ce que je voulais être : enraciné dans tous les idéaux d’émancipation, universaliste et internationaliste, antistalinien et assez libertaire, très gauchiste aussi, je dois dire. Ce qui me séduisait également, témoignant de mes contradictions personnelles, c’est bien sûr qu’un groupe lié à la IVème internationale existait en Tunisie et surtout que la IVème internationale

pensait la politique révolutionnaire en Tunisie ainsi que la libération de la Palestine, toute la Palestine !, dans le cadre de ce que nous appelions la« révolution socialiste arabe ». Je pleurais donc à l’évocation de nos camarades assassinés par la dictature baathiste en Irak ou mort au combat durant la guerre civile libanaise ; j’exultais des progrès annoncés de tel ou tel noyau trotskiste dans les pays arabes, et, plus généralement, je jouissais d’appartenir à une grande tribu de révolutionnaires qui mourraient et ressuscitaient dans tous les pays du monde. En vérité, je ne connaissais de la Tunisie que ce que publiaient nos camarades à Tunis et qui me semblent, aujourd’hui encore, bien raisonnables sur de nombreux plans. C’est en 1981 que je suis rentré en Tunisie, pressé de participer à la construction de la section tunisienne de la IV, toujours clandestine, dans un contexte que nous considérions très favorables. Et c’est à partir de là que j’ai commencé à connaître mon environnement tunisien réel, notamment lorsque j’ai pris la direction effective de notre organisation et que, rompant avec la timidité des anciens dirigeants, nous avons tenté de nous affirmer sur la scène étudiante et, sinon de sortir d’une clandestinité imposée, du moins de nous faire connaître en tant qu’organisation dans les milieux militants de gauche. A posteriori, je ne pense que cela ait été une erreur. Nous étions un petit groupe propagandiste et replié sur lui-même, plus une excroissance de la LCR française où tous nos militants avaient été formés, qu’un produit de l’histoire de la gauche tunisienne. Nous étions extrêmement gauchistes, mais cette ouverture sur l’extérieur a permis d’enrichir la gauche radicale tunisienne d’une tradition marxiste qu’elle rejetait depuis les délires vaguement trotskisants d’une frange du groupe « Perspectives ». Et, aujourd’hui, même si je m’en suis éloigné, il me semble positif que continue d’exister, aux côtés d’autres courants, une sensibilité se réclamant du trotskisme, formé à travers les luttes de classes en Tunisie et non plus sur la planète Mars. Mais, au risque de décourager les militants les plus jeunes, l’expérience du groupe auquel j’ai appartenu est loin d’avoir été un succès. Bien sûr les conditions n’étaient guère faciles et un trotskisme élémentaire, largement modelé par le gauchisme français, ne nous a pas aidés. Mais, pour les années où j’ai dirigé cette organisation, jusqu’aux alentours de 1993, la responsabilité de cet échec m’incombe. Il a bien fallu que je me rende à l’évidence : j’ai été un mauvais dirigeant. Ce qui est bien dommage parce que, malgré tout, bien des idées que nous portions auraient pu être fructueuses et, pour une part, le sont sans doute encore. Quoi qu’il en soit, il fallait bien essayer.
SM. : Quels ont été les rapports du groupe auquel tu appartenais avec le Rassemblement socialiste progressiste (RSP) de Nejib Chebbi ?
Pour en venir au RSP, qui est pour moi une vieille histoire, il y a deux épisodes reliés par une conviction qui, je le crois encore, était juste, en l’occurrence que le parti révolutionnaire que nous souhaitions construire ne se construirait pas à travers un processus linéaire et continue d’accumulation au sein de notre petit groupe ni au sein d’aucune des organisations d’extrême- gauche qui existaient alors. Même si parfois nous avons cédé à l’illusion narcissique d’être le noyau du futur parti révolutionnaire, je crois pouvoir dire que l’idée généralement prédominante en notre sein a été que si ce parti devait se construire ce serait à travers une dynamique historique complexe, qu’alimenteraient tout à la fois une radicalisation et une politisation de l’UGTT, en tant qu’espace hégémonique d’organisation des travailleurs, la formation au sein de cet espace d’une «avant-garde » ouvrière et une recomposition idéologique et organisationnelle des mouvements de la gauche radicale. Tout en construisant notre propre organisation, nous avons agi de manière à favoriser ces processus et leur
convergence. Au tournant 1981-1982, si tu te souviens de la situation d’alors, malgré la fin du cycle de mobilisation à l’échelle mondiale et la nouvelle offensive impériale qui se dessinait, en Tunisie, il semblait en quelque sorte que l’histoire nous donnait raison et je pense que cela aurait pu être le cas n’eut été les grosses erreurs des dirigeants de gauche et des syndicalistes les plus radicaux. Je demeure convaincu à ce jour qu’une occasion historique a été manquée et que le régime de Ben Ali en a été le prix. Bref, à cette époque-là une frange de militants, en rupture d’organisation, et des syndicalistes cherchaient de manière plus ou moins convergente à faire émerger un nouvel espace politique de gauche capable d’être un cadre de regroupement et de dépasser la sclérose idéologique et le sectarisme des organisations existantes. Nous étions en relation avec ces militants et ces syndicalistes et nous voulions encourager ce processus. C’est ainsi que lorsque certains d’entre eux, dont à l’époque Néjib Chabbi, Sihem Ben Sedrine, Salah Zeghidi, Omar Mestiri, Cherif Ferjani, Noura Borsali, et d’autres encore ont entamé des discussions pour donner forme à ce projet, nous nous y sommes investis, représentés officieusement par Abdelaziz Basti – duquel d’ailleurs, j’avais beaucoup appris- et moi-même. Je pense que c’était juste, pour le petit groupe que nous étions, de tenter cette expérience. Il ne faut pas juger de la trajectoire ultérieure des uns et des autres pour se faire aujourd’hui une opinion. La majorité des militants qui étaient impliqués étaient radicaux et même, le plus droitier, Néjib Chabbi, peut être considéré, à cette époque, comme ultragauchiste par rapport à ce qu’il est devenu. Malgré cela, avec d’autres militants, nous l’avions mis en minorité et il s’était retiré du projet. La dynamique de celui-ci a été brisée dans l’œuf par l’incarcération de plusieurs d’entre nous pendant quelques semaines et l’inculpation de beaucoup d’autres. Certains se sont découragés, comme il arrive toujours face à la répression, d’autres se sont ralliés à Néjib Chabbi autour d’une seule idée, la nécessité de profiter du coup de pub donné par les arrestations pour lancer un nouveau parti (le RSP), quitte à régler ultérieurement les divergences, d’autres encore, minoritaires, ont refusé de s’y associer. La deuxième expérience avec ces mêmes militants date, je crois, de deux années plus tard et, bizarrement, je m’en souviens beaucoup moins. Je suis incapable de me rappeler pourquoi nous avions décidé alors, non pas de nous dissoudre, mais d’intégrer en groupe le RSP. Avons-nous eu tort ou raison de le faire, je n’en sais rien. Je sais par contre que nous nous y sommes comportés comme des bovins, bourrés d’illusions que nous pourrions convaincre de nos thèses les nouveaux militants que la relative tolérance dont bénéficiait le RSP lui permettait d’attirer. Nous en sommes sortis assez rapidement quand d’autres perspectives de construction ont semblé s’offrir à nous. C’est, je crois, le début de l’Organisation des communistes révolutionnaires (OCR).
SM. : Peux-tu me parler des débuts de OCR ?
J’ai vécu la période de l’OCR avec beaucoup d’enthousiasme. Je ne suis pas certains cependant de l’enchaînement des faits dont je vais parler. Il faut donc prendre mes souvenirs avec précaution. S’étaient intégrés à nous quelques petits groupes et militants de différentes régions (sidi bouzid, jerissa, etc.), investis pour certains dans l’activité syndicale, ainsi que des étudiants qui étaient actifs dans plusieurs facultés. La plupart de ces militants étaient issus de couches populaires, parfois très défavorisés, vivant parfois en zone semi-rurale. C’était, à notre échelle, une véritable mutation tant dans la composition sociale des militants que dans leurs parcours politiques et leurs expériences de terrain. Je crois pouvoir dire qu’à cette époque nous étions particulièrement optimistes et activistes. Nous avons agi comme si nous
avions les responsabilités d’un parti révolutionnaire en miniature. Nous étions en outre focalisés par les autres groupes de la gauche radicale comme le PCOT et la « famille watad », que nous espérions pouvoir rapidement rattraper, en termes d’audience et de forces militantes. Je crois que cela a accentué notre tendance activiste qui implique nécessairement une multiplication des tâches, bien au-delà de nos capacités réelles, et par conséquent d’importantes difficultés d’organisation. Sans entrer dans le détail, nous étions également très propagandistes et particulièrement gauchistes, alors même que nous entrions dans une phase de crise et de reflux du mouvement des travailleurs. A travers l’UGTT ou les mouvements étudiants et lycéens, nos militants participaient bien sûr à toutes les batailles menées contre le pouvoir. C’est peut-être ce qu’il faut retenir, d’autant plus que beaucoup l’ont fait au détriment de leur vie professionnelle, scolaire et personnelle. Sur le plan politique, hélas, ce qui nous a caractérisés, c’était un manque de maturité. Ce qui nous a conduit très rapidement à une scission, suscitée, je dois le dire, par des divergences sur des questions qu’on aurait pu reporter à bien plus tard tant elles étaient secondaires dans le contexte politique de l’époque. Ces divergences portaient sur la notion trotskyste classique de « programme de transition » ainsi que sur les mots d’ordre de « gouvernement ouvrier et paysan» et d’assemblée constituante. Au bout d’un certain temps, nous nous sommes retrouvés mais la scission nous avait quand même coûté très cher. Nos activités se sont poursuivies par la suite, progressantes et stagnantes à la fois. Je crois que nous devons notamment de nous féliciter de n’avoir eu aucune illusion lors du coup d’Etat de Ben Ali. Nous n’avions aucune raison de regretter l’éviction de Bourguiba mais, pour autant, contrairement à beaucoup d’autres militants à gauche, nous n’avons jamais pensé que Ben Ali engagerait une quelconque « transition démocratique ». Vient la première guerre impérialiste contre l’Irak et nous avons bien sûr mobilisé toutes nos forces dans action de soutien à l’Irak. Sur cette question, nous étions d’ailleurs en divergence avec les positions de l’IVème internationale. Celle-ci dénonçait l’occupation du Koweït et, tout en s’opposant très vigoureusement à l’intervention militaire impérialiste, condamnait également le régime irakien. Quant à nous, sur le premier point, nous affirmions que l’occupation du Koweït était tout à fait légitime quoique engagée maladroitement, sans tenir compte du rapport des forces. Malgré cela, nous étions convaincus, qu’un retrait sous la menace américaine serait désastreux et vécu par les masses arabes comme une nouvelle défaite. Il est vrai que, comme beaucoup, nous nous sommes laissés aller à croire que l’armée irakienne et le peuple irakien résisteraient plus longtemps à une guerre et que, dans ce cas, la coalition regroupée autour des Etats-Unis ne tiendrait pas le coup tandis que se développerait une puissante mobilisation dans le monde arabe. C’était une grave erreur et a posteriori il apparaît évident qu’il aurait mieux valu que l’Irak cède aux injonctions américaines et se retire du Koweït. En même temps, il est certain que les Etats-Unis auraient rapidement trouvé un autre prétexte pour détruire l’Irak. Sur le deuxième point de divergence avec la IVème internationale, nous n’avions certes aucune sympathie pour la dictature baathiste mais nous pensions que, dans une situation de polarisation politique extrême, il fallait choisir son camp sans ambigüité et que la dénonciation du régime de Saddam Hussein, même accompagnée d’une opposition ferme à la guerre impérialiste, était complètement inaudible dans les pays arabes. Je pense toujours que, sur ce point, nous avions raison. Mais, d’une certaine manière, je ne pense pas que l’IVème internationale avait tort. En vérité, les divergences entre nous soulèvent un problème très important : le fait que, d’un même point de vue révolutionnaire, on peut défendre des positions différentes voire opposées dans des champs de lutte à la fois autonomes et intégrés. Ainsi, la position de l’IVème internationale, reflétait à mon avis la prédominance en son sein des sections euro-américaines, polarisées à juste titre par les impératifs de la mobilisation anti-guerre en Europe et aux Etats-Unis. Dans ces pays-là, c’était une politique révolutionnaire ; dans le monde arabe, cela aurait été une politique contre-révolutionnaire.
La fin rapide de la guerre en Irak a suscité une nouvelle crise en notre sein. Notre direction était divisée entre un courant qui faisait un bilan réaliste des conséquences de cette défaite et un autre, dont je faisais hélas partie, qui refusait d’accepter la défaite et continuait d’espérer un sursaut des masses arabes. Nous étions majoritaires ce qui nous a permis d’orienter l’action de l’organisation dans un sens encore plus activiste que ce n’était le cas ; je dirais même totalement aventuriste, et avons pris des risques absurdes, sans comprendre que le pouvoir avait entamé le tournant répressif qui allait conduire à l’instauration de la dictature policière. Là encore, nous en avons payé le prix fort en termes de répression. A cause de cet aveuglement, de nombreux camarades se sont retrouvés en prison et, avec le reflux général des mobilisations dans le pays, notre marge d’action s’est considérablement étiolée. C’est là qu’a commencé la décomposition de l’OCR comme organisation politique même si tel ou tel militant a pu s’en réclamer dans les années suivantes. Je me dois de rappeler aussi qu’au début des années 1990, nous avons dénoncé la violente répression des militants d’Ennahdha, alors que l’écrasante majorité de la gauche et de la gauche radicale, y compris ce qui prétendent aujourd’hui le contraire, l’ont approuvé explicitement ou ont préféré se taire. Je mentionne cette position, dont je suis fier, parce que cela met en évidence l’un de nos paradoxes, en l’occurrence la capacité à définir des positions pertinentes dont l’efficacité n’a pas pu se déployer en raison d’une incapacité à nous débarrasser d’une culture gauchiste.
SM. : Est-ce que tu peux être plus précis concernant les trois Congrès de l'OCR ?
Non
SM. : Je comprends. Revenons un peu en arrière. Tu as dit "les délires vaguement trotskisants d'une frange du groupe "Perspectives". Cette évaluation ne serait-elle pas sévère du point de vue de l'histoire de quelques individualités? Ce jugement peut-on l'étendre aux premiers qui ont été exclu du PCT en 1958 pour former le groupe Al Kifah ? Quelle était la nature exacte des aînés immédiats de OCR (c’est-à-dire ceux qui ont gardé la flamme entre 1966 et1981, comme le groupe Nidhal et d’autres).
Je te ferais d’abord remarquer que j’ai été tout aussi sévère pour notre groupe et pour moi- même. Cela dit, tu as raison ; c’était une affirmation péremptoire et sévère. Plus le souvenir d’une critique qu’une critique étayée. Je te réponds spontanément sans consulter aucun document et très probablement mon jugement ne peut s’étendre à toute la production ni à toutes les pratiques de ces militants. Je ne peux d’ailleurs qu’avoir le plus grand respect pour des militants qui ont tant donné d’eux-mêmes et ont subi les persécutions, la torture et le bagne, pour certains pendant de longues années. J’ajouterais que les publications de« Perspectives » ainsi que les textes de débat interne à cette organisation, bien qu’inégaux, sont, pour ce que j’en connais, ce qui a été écrit de plus sérieux dans l’histoire de la gauche radicale tunisienne, indépendamment de savoir si on en approuve les arguments ou non. S’il faut reconnaître aux militants qui se sont peu ou prou réclamés du trotskisme à la fin des années 1950, c’est d’abord d’avoir inauguré en Tunisie l’émergence d’une gauche
révolutionnaire. Cependant, la période d’al-kifah et des militants trotskisants qui ont participé à Perspectives, c’est, pour moi, la préhistoire de la gauche révolutionnaire tunisienne et, sauf si on est historien, je ne crois pas indispensable de l’étudier plus profondément. Les débats qui l’ont traversé ne me semblent plus avoir de pertinence pour l’action politique. Je me contenterais donc d’un commentaire très général qui vaut ce qu’il vaut. Pour faire de la politique-fiction, j’aurais préféré que le marxisme révolutionnaire apparaisse à partir du mouvement yousséfiste plutôt qu’à partir du parti communiste. Je sais que cela ce marxisme révolutionnaire s’est constitué en rupture avec le PCT mais, qu’on le veuille ou non, qu’il ait été possible ou non à cette époque que les choses se développent autrement, il n’en reste pas moins que le profond européocentrisme de cette tradition a fortement marqué la toute première génération de militants radicaux de gauche. Pour quelqu’un qui s’y intéresserait, je suis certain qu’il serait fructueux d’étudier leurs positions stratégiques à la lumière de ce constat. Cela demande aussi à être confirmé, mais on pourrait penser aussi que la vague plus ou moins maoïste qui les a submergé par la suite était pour une part, mais pas seulement, une réaction saine face à cet européocentrisme. Il est regrettable bien sûr que ce soient les formes les plus primaires d’un maoïsme en pleine dégénérescence stalinienne qui aient été retenues et non ce qu’il y a de plus intéressant dans la pensée politique du grand révolutionnaire chinois. En ce qui concerne l’OCR, elle est apparue sans lien direct avec les expériences trotskisantes antérieures sinon dans l’esprit de ceux qui, pour contester nos thèses, nous ont assimilés à elles.
SM. : Alors comment, politiquement et idéologiquement, se situent tes textes de la période 2000-2003 par rapport à l’expérience de l’OCR ?
La plupart des textes que j’ai produits entre la fin 1998 et 2003 sont des textes d’intervention liés à mon engagement au sein du Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT) et à RAID-Attac auxquels je me suis consacré ces années-là. Il en a y eu d’autres, centrés sur l’analyse d’un moment ou d’un aspect de la situation politique, mais généralement bornés par les conditions de leur publication sur des supports disons académiques. Tout ce qui me semblait intéressant dans ces textes, comme d’ailleurs dans certains que j’avais écrit étant encore à l’OCR, je l’ai repris dans « Tunisie : Le délitement de la cité » (dont le titre, pour le dire en passant, est de l’éditeur), en le retravaillant bien sûr. Ce livre, dont la forme tient compte d’un certains nombres d’impératifs liés à la nature non-militante de la maison d’édition qui a accepté de le publier, doit beaucoup évidemment à mon expérience antérieure, aux réflexions que nous avions eu au sein du mouvement trotskiste tunisien ainsi qu’à celles que j’ai eu par la suite, à travers d’autres expériences militantes. Je peux préciser aussi que je l’ai rédigé alors que je venais de terminer une thèse sur l’Etat et la notion de bonapartisme chez Marx, sujet que j’avais justement choisi parce que je pensais qu’il m’aiderait à réfléchir le système politique tunisien. En fait, ce travail universitaire m’a permis beaucoup plus que cela puisque, pour la première fois, j’ai travaillé sérieusement sur Marx, Engels et même Trotsky, Lénine et Gramsci ainsi que sur d’autres auteurs. Tout cela m’a beaucoup servi pour ce livre comme pour tout ce que j’ai pu faire par la suite. Quoiqu’il en soit, ce livre est en premier lieu le fruit d’un parcours et d’interrogations en tant que militant. Je dois dire que jusqu’à ce jour, je suis largement incapable de réfléchir et d’écrire sans lien avec une pratique militante et les problématiques qu’elles génèrent. Pour moi, s’il y a une « science-politique », elle ne saurait être autre chose qu’une science de la stratégie politique. C’est pourquoi
notamment elle ne peut seulement s’apprendre sur les bancs d’une bibliothèque ou à l’université. Elle ne peut être abstraite, conçue en dehors de tout engagement. C’est pourquoi aussi, dans ce livre, si parfois je feins une certaine neutralité, je m’inscris en réalité pleinement dans les controverses et les conflits qui ont traversé le champ politique tunisien, avec parfois aussi la contrainte tactique compréhensible de ne pas donner certaines informations ou de ne pas me montrer trop critique envers certains courants ou certaines personnalités. Sur le fond, ce livre qui se présente comme une analyse de l’Etat tunisien moderne, des dispositifs politiques propres au benalisme et des différents courants de l’opposition, pose un diagnostic et quelques pistes, qui étaient utiles à mon avis, pour la définition d’une stratégie. Le diagnostic central est que le benalisme représentait une tentative avortée de résoudre la crise du régime bourguibien entamée au tournant des années1970-1980 et que n’eut été les circonstances internationales prédominantes au lendemain de la première guerre contre l’Irak et les politiques combinées de la bureaucratie syndicale et des forces de l’opposition, il n’aurait pas tenu le coup aussi longtemps. Le livre tente ainsi une analyse de la faiblesse intrinsèque des mécanismes de pouvoir sur lesquels s’appuyait Ben Ali et notamment de ce qui est en même la logique de la crise du régime et une stratégie de pouvoir, en l’occurrence la dislocation de la société sous l’effet d’un entremêlement incontrôlé de bureaucratisme, de libéralisme économique et de prédation népotique. Or, une société qui se disloque ou se délite perd assurément la maîtrise de ses solidarités internes ; elle perd ces capacités de résistance et de contestation organisée ; elle est contrainte, un temps, de se tourner pour continuer d’exister vers le pouvoir central et ses relais locaux qui en tirent leur force avant d’être en quelque sorte contaminée par ce phénomène. A terme, cela ne pouvait qu’exploser dans les conditions que nous avons connu, comme je l’ai suggéré prudemment dans la conclusion du livre. Cette perspective rendait notamment inopérante toute tentative de réforme graduelle du régime. Tout au long de ce livre, j’ai voulu montrer que l’Etat tunisien et ses formes sont d’abord le produit de rapports de forces sociaux très instables et mouvants. Il y a eu dans l’histoire et ailleurs des rapports de forces peu fluctuants qui ont permis la stabilisation durable de systèmes politiques divers, mais, en Tunisie, c’est à la fois le cas et cela ne l’est pas. Je ne peux ici rentrer dans le détail mais ce qui est important, me semble-t-il, c’est que, chez nous, tout dépend de la politique de l’UGTT, à la fois institution du pouvoir et force d’opposition au pouvoir, tout dépend des stratégies suivies par les oppositions. Et cela a été encore plus vrai après que Ben Ali ait pris le pouvoir. C’est ce qui m’a incité, en m’appuyant sur les informations dont je disposais, à tenter de comprendre les dynamiques internes de ces dernières et je pense que, sur l’essentiel, je ne me suis pas trompé. Par contre, je pense avoir sous-estimé deux choses. La première, c’est l’effet du 11 septembre, le renfort qu’il a apporté au pouvoir et son impact sur l’orientation des oppositions. La seconde, c’est la capacité de régénération de tendances contestatrices au sein de l’UGTT. Enfin, il y a sans doute une lacune dans ce livre mais je n’en mesure pas l’importance. C’est la prise en compte des continuités coloniales. Il y ait certes questions de la permanence de la dépendance économique et politique, mais je suis conscient que cela ne saurait suffire. Combler cette lacune exigerait un nouveau travail auquel, un jour peut-être, quelqu’un s’attèlera.
SM. : Tes textes depuis 2003 et surtout depuis 2005 me semblent rompre sinon avec le marxisme en général, du moins le trotskisme. Me semble le confirmer ton activité au sein des Indigènes de la république après ton départ en France et la lecture que tu fais (cf. tes articles et interviews) de la révolution tunisienne
Ah bon ? Ta réaction m’étonne. En général, on me reproche plutôt le contraire, d’être trop marxiste et d’être un trotskiste tout à fait orthodoxe. En vérité, je ne sais pas du tout si Marx et Trotsky me reconnaîtraient comme un des leurs. Et malgré le respect que j’ai pour l’un et l’autre, je ne m’en soucie guère et, quand j’écris un texte ou que je réfléchi sur une question politique quelconque je ne me demande plus « suis-je bien marxiste et trotskyste ? », comme j’ai pu longtemps le faire. Je m’en fous. Lorsque je connaissais à peine leur œuvre, je tenais à leur être fidèle, maintenant que je la connais beaucoup mieux, même s’il y a longtemps que je n’y ai pas retravaillé, je pense pouvoir à la fois en tirer le meilleur profit et m’en écarter voire même faire carrément chambre à part. Et puis à quel Marx faut-il se référer pour être marxiste ? Faut-il se référer au Marx, produit des Lumières, de son européocentrisme, de sa conception de l’histoire, de son scientisme, ou au Marx qui en fait la critique voire qui bât en brèche les présupposés de ces idéologies ? Faut-il se référer au Marx admirateur de la révolution bourgeoise ou au Marx qui en fait une critique dévastatrice ? Faut-il se référer au Marx qui se laisse aller à l’économisme le plus outrancier ou au Marx qui met la politique aux commandes de l’histoire ?Au Marx qui approuve la colonisation de l’Inde et de l’Algérie ou au Marx qui soutient les mouvements de libération anticolonialistes ? Au Marx qui traite Abraham Lincoln comme un frère ou au Marx qui en démonte le caractère bourgeois? Au Marx qui pensait que l’histoire de tous les peuples du monde devait suivre la trajectoire de l’Europe occidentale ou au Marx qui suggérait que cela n’était pas nécessairement le cas ? On pourrait multiplier à l’infini ce type de questions sauf si, au-delà de ces questions, on pense qu’il existe un concept qui serait la vérité profonde du marxisme comme un philosophe de l’Antiquité grec pensait que la réalité manifeste n’était que l’incarnation imparfaite de concepts qui existeraient Dieu seul sait où. En tant que philosophe, tu devrais pouvoir me dire qui était ce philosophe.
Mais il s’en pose une autre aussi importante : que faire de toutes ces questions que Marx, concentré sur l’analyse du capitalisme, n’a pas abordé ou qu’il n’a fait qu’effleurer ?L’Etat, en premier lieu, les classes sociales, catégorie centrale chez lui qu’il n’a pourtant jamais définie, la nation, la culture, la religion, la relation de genre, et bien d’autres problématiques encore, dont toutes celles évidemment qui ne sont apparues qu’avec le développement ultérieur de la modernité capitaliste. Et je ne parle pas bien sûr des milliers d’interprétations de Marx qui ont été faites depuis et qu’on ne peut pas se contenter de balayer d’un revers de main comme s’il n’en existait qu’une seule de « fidèle », celle de Lénine et de Trotsky. Et Engels, que doit-on faire de lui qui a été en même temps le co-auteur de Marx et un interprétateur pas toujours « fidèle » lui non plus ? Doit-on le suivre quand il assimile caricaturalement le développement historique au processus d’évolution de la nature ? Doit-on le suivre quand il parle de « nations sans histoire » ? Quant à Trotsky, puisque ta question porte essentiellement sur lui, sa pensée politique me paraît avoir été assez homogène à partir de la révolution d’Octobre et son « assimilation » du « léninisme ».Mais, bien que reposant sur une base théorique forte, sa pensée est principalement orientée vers la résolution de questions stratégiques et tactiques en période d’ébullition révolutionnaire, une pensée surdéterminée à la fois par son expérience spécifique russe et par son combat contre le stalinisme triomphant. Sur toutes les questions de ce type qu’il a abordé on ne peut qu’être fasciné par l’intelligence politique redoutable qui est la sienne. Pour autant, je ne suis pas capable d’affirmer que les réponses qu’il a apportées aient toujours été les bonnes. Pour être un peu provocateur et faire encore de la politique fiction, je ne suis pas du tout sûr que si Trotsky avait dirigé le mouvement communiste chinois à la place de Mao, celui-ci aurait pu connaître le triomphe qui a été le sien en 1949. Je pense que Trotsky, comme Lénine, est une source incomparable d’enseignements pour réfléchir sur les questions stratégiques et tactiques mais je me garderais de dire qu’ils ne se sont jamais trompés dans leurs conclusions ou que ces conclusions sont toujours d’actualité aujourd’hui. Mais l’importance de Trotsky est aussi
ailleurs. Je pense en particulier à la force de ses analyses sur la montée du fascisme en Allemagne ; je pense aussi à la théorie de la révolution permanente, à la fois théorie et stratégie, ou à celle du stalinisme et de la nature de l’Etat stalinien. Là encore, je dois d’abord rappeler que je n’y suis pas revenu depuis longtemps, mais la fameuse notion d’« Etat ouvrier bureaucratiquement dégénéré » que je continue de considérer comme la théorisation la plus pertinente sur la question, me pose quand même un problème. Elle présuppose la possibilité d’un Etat ouvrier non-bureaucratique alors que la bureaucratie est la forme d’existence de l’Etat. Et je ne sais toujours pas ce que signifie un «Etat ouvrier ». Que signifie la classe ouvrière constituée en pouvoir d’Etat ? Au-delà, cela pose également une question plus générale à tout le marxisme, celui de la classe ouvrière et de son « noyau dur » le prolétariat industriel comme sujet prédestiné de la révolution sociale et de l’émancipation. Et puis il y a la question de la révolution permanente. C’est une théorie magnifique, fort utile pour analyser certaines dimensions fondamentales du développement des processus révolutionnaires. Ce sont notamment les commentaires de Marx sur la révolution française et ses textes sur les révolutions européennes de 1848.C’est aussi bien sûr de multiples textes de Trotsky avec évidemment ceux qui concernent la révolution russe. Cette théorie a en outre le mérite de battre en brèche le marxisme le plus économiste et la vision linéaire du développement historique mondiale dont la dernière étape aurait pour sujet la classe ouvrière industrielle. Mais si elle le bât en brèche, elle ne le remet toutefois pas en cause et demeure de ce point de vue là tout à fait européocentriste. En dernière instance, ne présuppose-t-elle pas - même si ce n’est pas par les mêmes chemins, si les articulations entre les classes au cours du processus ne sont pas identiques, si les dynamiques internes des révolutions diffèrent – que de toute façon les histoires vont converger vers une finalité commune et le prolétariat industriel aura le dernier mot. Cela apparait nettement dans certaines formules souvent employées à propos de la révolution permanente, concernant la possibilité de « bonds en avant » de l’histoire, de « saut », de «transcroissance», de « contournement » ou de raccourcissement des « étapes ».Autrement dit, la théorie de la révolution permanente dépasse très certainement en pertinence l’étapisme stalinien mais partage avec lui beaucoup de points communs. Surtout, elle a trop souvent, me semble-t-il, était interprétée par le mouvement trotskiste d’une façon gauchiste, confondant une théorie général, un outil d’analyse et de stratégie dans le moment révolutionnaire avec une méthode valable en tout lieu et en tout temps, que la conjoncture soit révolutionnaire ou ne le soit pas. Dire par exemple qu’il n’y a pas d’« étapes historiques »incontournables ne signifie pas qu’il n’y ait pas des étapes dans la lutte ou l’on peut être amené à faire exactement le contraire de ce que l’on ferait dans le moment révolutionnaire. Et les étapes peuvent même exister au cours du processus révolutionnaire lui-même ! Prenons le cas de la Tunisie. J’avoue que je trouve complètement absurde de débattre de la révolution permanente. Franchement, les groupes qui s’accrochent encore à l’étapisme stalinien sont tellement aveuglés par des dogmes, qui leurs servent plus de repères identitaires que d’outils dans la lutte, qu’ils sont « identitairement » incapables d’écouter le moindre argument. Je suis très sceptique quant au fait que leurs « théories » (je devrais plutôt dire leur « théologies ») expliquent vraiment leurs choix politiques. Tout au plus servent-elles de légitimation ou permettent de faire accepter par leurs militants certains tournants qui pourraient les embarrasser comme par exemple le soutien au camp moderniste libéral ou la mise en avant des revendications démocratiques au détriment des revendications sociales. Mais je pense aussi que la stratégie de la révolution permanente se heurte à un autre problème concret dans notre révolution ; un problème qui tient moins à la dynamique interne des forces qu’aux rapports de forces régionaux et mondiaux. Je le dis tout de suite, je ne sais pas quelle solution apporter à cette équation de la discordance entre rapports de forces internes et rapports de forces externes. Dans notre situation, il est tout à fait réaliste de fonder sa politique sur le pari stratégique d’une prise du pouvoir par les forces populaires. Y parvenir est évidemment très
compliqué et, aujourd’hui, difficilement accessible mais, comme disait je ne sais plus qui, le chemin qui mène de l’impossible au possible, c’est la lutte. Sauf qu’il y a les rapports de forces internationaux qui non seulement font obstacle à la réalisation d’un tel projet mais de surcroît, si les forces populaires parvenaient quand même au pouvoir, il y a de fortes chances qu’elles seraient écrasées en quinze jours. Certes, d’une certaine manière, la révolution permanente a raison de s’opposer à l’idée d’une autolimitation volontaire de la révolution qui pourrait se traduire en débâcle. Mais en même temps n’est-ce pas de l’aventurisme que de vouloir prendre le pouvoir dans le cadre des rapports de forces mondiaux actuels ? Cette question, on ne peut pas y répondre par la référence dogmatique à la théorie de la révolution permanente. Cela étant, je ne crois absolument pas qu’il faille relativiser ou mettre de côté les revendications sociales et je suis tout à fait opposé à une alliance avec les forces modernistes libérales. Mais ces deux questions ont très peu avoir avec la révolution permanente. Ce sont des choix politiques qui s’accordent parfaitement avec la simple révolution démocratique. L’augmentation des salaires, la lutte contre le chômage, le contrôle des prix, la préservation du secteur public, la protection du marché intérieur, l’intervention économique de l’Etat, sont des revendications économiques démocratiques même si évidemment elles bousculent le Capital. Comme je l’ai dit, je n’ai pas de solution à l’équation stratégique de la révolution tunisienne. C’est pourquoi – et en cela je suis « fidèle » à la stratégie de la révolution permanente et aux thèses qui étaient celle de l’OCR – je n’en vois de résolution possible que parce que la révolution tunisienne a enclenché un processus révolutionnaire à l’échelle arabe. Je le dis souvent : le principal acquis de la révolution tunisienne, c’est la révolution égyptienne. Car sans la révolution égyptienne, il n’y aurait pas ce processus révolutionnaire généralisé à l’échelle du monde arabe qui, malgré sa complexité extrême et les risques majeurs d’étouffement, et les centaines de milliers voire de millions de morts qui en résultera, hélas, peut seul donner des perspectives réelles aux masses populaires de nos pays.
Pour en revenir à mes textes depuis la révolution – en fait, il y en a un seul que je tiens pour important -, je ne saurais te dire non plus s’il est marxiste ou pas et cela m’importe peu. Il est vrai que j’y relativise la détermination économique du déclenchement de la révolution. Mais cela n’a rien en soit de non-marxiste même si cela ne concorde pas avec une des idées formulées par Marx à propos des révolutions où il les définit sommairement comme le moment où rapports de production et forces productives entrent en contradiction. Par ailleurs, je dois dire que je ne crois pas qu’une large mobilisation révolutionnaire du peuple n’ait jamais été motivée par de simples revendications socio-économiques. Personne ne prend le risque de mourir pour des augmentations de salaire. Il se peut qu’une telle revendication soit le point de départ d’une mobilisation mais jamais on n’a pu et on ne pourra voir se développer à l’échelle de tout un pays, un mouvement de masse, communiant dans la colère et l’esprit de sacrifice pour des revendications économiques. Comprendre la révolution tunisienne, c’est comprendre quel est ce facteur qui a réussi à provoquer un tel processus. J’ai essayé de proposer quelques pistes, guère plus que des pistes, dans les textes dont tu parles. Cela étant le texte le plus abouti que j’ai écrit sur la révolution tunisienne et ses développements jusqu’à la constituante (« Tunisie: commentaires sur la révolution à l’occasion des élections », publié en trois parties sur le site du Parti des indigènes de la république) est caractérisé – tout simplement parce que je ne sais pas réfléchir la politique autrement - par la prédominance d’une analyse en termes de rapports de forces entre les classes et par l’importance fondamentale que j’y ai volontairement apporté aux stratégies politiques des acteurs du conflit. Sans être en mesure de développer la question, j’ai essayé cependant d’y introduire un autre clivage qui me semble caractériser le processus révolutionnaire tunisien, en l’occurrence celui que je désignerai sous le terme générique de colonial et qui s’est incarné idéologiquement dans la prétendue opposition modernisme/islamisme. Ce clivage fait
intervenir en même temps que des intérêts de classes, d’autres intérêts que j’appellerai statutaires qui ont directement à voir avec la suprématie blanche à l’échelle internationale. J’ignore si existent chez Marx ou dans l’ancienne tradition marxiste des éléments permettant une approche de cette question. Ce qui me paraît certain par contre c’est qu’elle questionne fortement tout ce qu’il y a d’européocentriste dans le marxisme comme dans ce qu’on appelle les sciences, c’est-à-dire le savoir dominant à notre époque. De ce point, sans m’y attarder non plus, il ne fait guère de doute que le travail d’élaboration théorique et politique auquel je me suis attelé au sein des Indigènes de la république ne s’inscrit pas dans la matrice trotskiste. Mais Trotsky a développé sur la question noire aux Etats-Unis des positions d’une audace et d’une radicalité exceptionnelles pour le marxisme de son époque desquelles je ne peux pas ne pas m’inspirer en partie. D’autres militants trotskistes noirs ont également produit des textes dont tout le monde reconnait la richesse et la pertinence. Je pense notamment à C.L.R. James. Sans parler de tous les militants et auteurs qui ont pensé les questions raciales sinon à partir de Trotsky du moins à partir de Marx. Pour ma part, j’ai abordé nécessairement cette question à partir de ma culture militante, politique et théorique, avec ses insuffisances et ses contradictions. Si les marxistes s’y reconnaissent tant mieux pour eux, si ce n’est pas le cas, je ne crois pas que ce soit un problème. Ce qui m’importe, c’est de contribuer à la recherche de solutions politiques qui arment ceux qui sont opprimés. Il me faut tout de même préciser que les indigènes de la république ne sont pas une organisation marxiste mais regroupent des militants ayant souvent des références très différentes.
SM. : Connaissanttes analyses de naguère, quelle est actuellement ta manière de voir l'islamisme en général et l'islamisme tunisien en particulier ?
Je ne sais pas ce que tu appelles mes « analyses de naguère ». L’islam politique est un phénomène qui me perturbe depuis très longtemps et, tout en m’y accrochant, je n’étais pas à l’aise avec les analyses produites avec les seules catégories marxistes, telles que je les connaissais du moins. Je me souviens du choc positif que j’avais eu, dans les années 80, en découvrant un commentaire de Marx formulé à propos de la guérilla paysanne espagnole contre les armées de Napoléon où il soulignait sa nature à la fois progressiste et réactionnaire, progressiste dans la mesure où elle se battait contre l’occupation napoléonienne, et réactionnaire dans la mesure où il s’agissait d’une rébellion paysanne qui défendait la monarchie aristocratique et le pouvoir de l’Eglise en Espagne. Et, au final, Marx se félicitait que cette guérilla ait infligeait sa première défaite au nouvel Empire français. J’avais beaucoup apprécié dans ce commentaire la remise en cause – en fait, relative – de l’opposition binaire entre les catégories de «progressiste » et de « réactionnaire ». Je connaissais également les textes d’Engels rassemblés sous le titre « La guerre des paysans en Allemagne » qui analyse ces mouvements révolutionnaires menés sous le drapeau de la religion. Au sein de la IVème internationale, dont je lisais les publications, on s’intéressait beaucoup et avec sympathie à la théologie chrétienne de libération en Amérique latine. Un peu plus tard, j’avais lu aussi un livre de Michaël Lowi et d’un autre auteur dont j’ai oublié le nom, sur le romantisme comme idéologie politique opposé au capitalisme et à la modernité, également impossible à saisir à l’aide de l’opposition progressistes/réactionnaires. En ce qui concerne mon propre travail en Tunisie, j’avais réalisé une petite étude universitaire dans les années 1980 sur la formation de l’Etat tunisien entre1954 et 1959 et, à mon grand étonnement, je m’étais aperçu que l’opposition progressiste/réactionnaire ne fonctionnait pas pour
comprendre les conflits politiques de cette époque et que le camp porté au compromis avec la France colonial était aussi le camp dirigé par les forces portés par le premier développement du capitalisme, y compris le prolétariat, et le camp qui réclamait l’indépendance, le yousséfisme, était en gros un rassemblement des classes que le capitalisme menaçait. Alors que le premier défendait un projet moderniste, le second restait attaché à des idées conservatrices et considérées comme réactionnaires. Il me semblait évident – et mon avis n’a pas changé là-dessus – que les militants révolutionnaires de cette époque devaient faire partie du camp yousséfiste. En ce qui concerne plus particulièrement l’islam politique, jusqu’à la fin des années 1980, malgré mes interrogations de plus en plus nombreuses, j’ai persisté à tenter de comprendre son extension rapide en Tunisie en gros comme une simple réaction petite- bourgeoise, hostile à la classe ouvrière et tirant parti à la fois de la crise du régime et de l’incapacité de la classe ouvrière à travers l’UGTT à imposer ses propres solutions à cette crise. Par ailleurs, il ne faisait pas de doute que l’islamisme tunisien était lié à la montée de ce courant à l’échelle régionale, depuis le début des années 1970, provoqué par la défaite du nationalisme arabe et par le soutien américano-saoudien. Il n’est pas faux qu’en Tunisie comme ailleurs dans le monde arabe, le courant islamique a longtemps été utilisé pour briser le nationalisme arabe et les mouvements de gauche. Dans un nouveau contexte, c’est d’ailleurs encore le cas. Il n’en demeure pas moins que, pour moi, l’adversaire principal a toujours été le pouvoir en place et je me souviens avoir observé avec écœurement dès 1989, de nombreux opposants de gauche, parfois radicaux en tant que tels, glisser progressivement vers le pouvoir par opposition au parti de Ghanouchi. De même, lors du coup d’Etat militaire en Algérie, en 1990, destiné à bloquer les portes du pouvoir au FIS, j’étais, à l’inverse d’autres dirigeants de l’OCR, favorable à une dénonciation vigoureuse de ce coup d’Etat. De même, comme il me semble l’avoir déjà évoqué, j’ai toujours condamné la répression des islamistes en Tunisie. J’ajouterais que tisser des alliances avec Ennahdha pour les libertés et contre la dictature de Ben Ali ne m’a jamais posé de problèmes et, dans les années 2000, j’ai regretté qu’Ennahdha fasse des choix ambigües vis-à-vis du régime et, en dehors de brefs moments, elle ait privilégié l’alliance avec les forces démocratiques les plus flottantes politiquement plutôt, pour citer cet exemple, à Moncef Marzouki auquel on doit reconnaître sa position démocratique radicale par rapport à Ben Ali. Pour en revenir à l’analyse de l’islam politique en Tunisie que j’ai résumé plus haut, je ne dirais pas qu’elle ne reflète pas une part de la réalité. Elle se fonde sur certains faits qui étaient effectivement observables et suggère des dynamiques socio-politiques qu’on pouvait également reconnaître. Elle n’en demeure pas moins trop générale, simpliste et lacunaire et reste trop largement inspiré par les analyses marxistes des conflits sociaux en Europe. Au début des années 2000, j’avais essayé d’être plus précis et nuancé comme en témoigne nettement les pages que j’ai consacrées à cette question dans « Le délitement de la cité ». J’avais souligné notamment une chose qui est en fait une évidence souvent occultée, à savoir qu’il n’y a pas un islamisme comme il n’y a pas un communisme ou une gauche et que, y compris les courants dont l’histoire s’enracine dans la confrérie des frères musulmans égyptiens et qui gardent à ce jour des attaches très fortes avec elle, sont travaillés par des dynamiques internes puissantes déterminées en particulier dans les spécificités de leur ancrage local et de leurs parcours politiques. Avec son expansion et son enracinement dans des réalités hétérogènes, l’islam politique ne pouvait que connaître d’importantes différenciations très importantes qui interdisent d’en parler comme d’un seul bloc réactionnaire, dépourvue d’historicité. Une telle idée, pour basique qu’elle soit, mérite encore hélas d’être rappelée. Dans ce livre, j’avais noté également la prédominance croissante dans leurs politiques, et notamment à partir des années 90, des logiques nationales sur leurs solidarités transnationales et la puissance intégratrice des systèmes politiques et des Etats qui forceraient de nombreux mouvements de l’islam politique à rentrer en quelque sorte dans le moule, quitte à renoncer à des pans entiers de leur identité fondamentale et de leur programme
d’origine, selon un processus largement analogue à celui qui a vu les partis de la social- démocratie révolutionnaire et du mouvement communiste être absorbés par la force intégratrice des Etats. En témoignent d’ailleurs, la trajectoire des grands partis de l’islam politique en Turquie, en Jordanie, au Maroc, en Egypte et désormais aussi en Tunisie. Sans parler de la facilité avec laquelle, lorsqu’ils sont au pouvoir, ils s’intègrent, comme hélas la plupart des partis au pouvoir, aux institutions et à la logique du système inter-étatique mondiale dominé par l’impérialisme. Alors, et Ennahdha dans tout ça ? Eh bien, je pense qu’Ennahdha, malgré son hétérogénéité actuelle, est typique de ces partis de l’islam politique qui sont incapables de résister aux charmes de la gestion ou de la participation à la gestion de l’Etat bourgeois colonial tunisien. Loin d’être un parti « réactionnaire moyen-âgeux », c’est un parti tout à fait moderne, ce qui à mes yeux n’a aucune connotation positive. Il est bien sûr contraint de gérer les pressions multiples d’une base transclassiste et aux idéologies plus ou moins radicales, d’autant plus fortes que nous sommes en période révolutionnaire et que ce parti sort d’une longue période de clandestinité et de répression, mais sa dynamique fondamentale, impulsée par des directions pressées d’arriver aux affaires et aux biens matériels et symboliques terrestres, reste celle d’une intégration à ce Etat bourgeois colonial toujours en place. Démocratique ou pas ? Cela n’est que très secondairement lié à l’idéologie probablement fortement autoritaire que partagent ses cadres comme la majorité des forces politiques tunisiennes, indépendamment des références qui sont les leurs. Cela dépend, dans le cas d’Ennahdha comme dans celui de ces autres forces, des rapports de forces sociaux. Si le choix économique libéral est menacé par les revendications et les mobilisations populaires et si ces dernières sont incapables de défendre les dispositifs démocratiques, nulle doute que ces acquis de la révolution seront ébréchés et si nécessaires remis en cause, par Ennahdha ou par d’autres. Ce qui aujourd’hui s’oppose à la démocratie, ce n’est pas l’islamisme comme idéologie politique religieuse, c’est le libéralisme. Tout cela bien sûr est dit très rapidement et de manière schématique qui occulte d’autres dimensions du problème, mais je voudrais pour finir soulever une dernière question. Une question parce que pour commencer à y répondre, il faudrait faire tout un travail qui n’a pas été fait. L’hypothèse dont part mon interrogation est que l’influence croissante de l’islam politique en Tunisie depuis les années 80 ne peut être rattachée seulement aux développements de la lutte des classes mais s’articule également à une question coloniale non-résolue à ce jour. Je ne crois pas naturellement que Ennahdha soit un mouvement anticolonial et anti-impérialiste mais je pense qu’il faudrait se demander dans quelle mesure il a pu, et il peut encore sans doute, constituer la médiation contradictoire à travers laquelle a resurgi la question coloniale à la faveur de la crise du régime instauré par Bourguiba sous l’ombre protectrice de la France. Il me semble que, loin d’être seconde, une telle question peut avoir des implications très importantes en termes stratégiques. Je m’interroge ainsi sur la possibilité et le contenu de l’intégration dans la démarche de la gauche d’une politique décoloniale susceptible d’actionner à son profit les ressorts qui ont donné à Ennahdha l’élan dont elle a bénéficié et de contester l’hégémonie morale et culturelle qu’elle a conquise sur de larges fractions des masses populaires. Je le dis avec d’autant plus d’insistance que j’observe avec inquiétude que de plus en plus des pans entiers de la gauche, inquiets pour une modernité qui n’est en fait qu’une forme de la domination coloniale, subit le magnétisme du pôle bourgeois moderniste, lequel, soit dit en passant, pourrait très bien demain co-gérer avec Ennahdha et bien sûr l’appareil destourien toujours en place, une offensive contre les mobilisations populaires.
Août 2012

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Message  verié2 Lun 30 Mar - 15:04

à lire pour mieux comprendre un itinéraire de la LCR aux Indigènes de la République
Ce que je comprends, c'est surtout qu'on a affaire à un intellectuel un peu éclectique marqué par l'échec de ses expériences en Tunisie et qui ne croit plus à la capacité du prolétariat de s'emparer du pouvoir et de le conserver.
Khiari
n’est-ce pas de l’aventurisme que de vouloir prendre le pouvoir dans le cadre des rapports de forces mondiaux actuels ?
Il faut en effet une audace inouie pour se lancer dans l'aventure révolutionnaire et aussi croire que la révolution peut s'étendre à d'autres pays.
si les forces populaires parvenaient quand même au pouvoir, il y a de fortes chances qu’elles seraient écrasées en quinze jours.
Avec un raisonnement de ce genre, il est clair qu'un homme comme Castro, qui n'est pourtant pas un révolutionnaire prolétarien, n'aurait jamais pris le pouvoir.

Khiari, par volonté de "réalisme", semble donc se replier sur des solutions "étapistes" sans le dire parfaitement clairement, comme beaucoup d'autres avant lui. Ce qui peut conduire à soutenir toutes sortes de forces hostiles à la classe ouvrière.

Son itinéraire ne me semble pas particulièrement original, beaucoup d'autres l'ont suivi avant lui. Je lui trouve un mérite : celui de la franchise.

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Message  MO2014 Lun 30 Mar - 17:00

oui tes caractérisations (à partir de bout de phrase) d'un militant qui a consacré sa vie à l'anti impérialisme et l'anti-colonialisme... Tu en a le droit et personne ne te le contestera. Cependant quand tu en auras fait le dixième de son engagement tu seras peut être un poil plus crédible pour asséner tes sentences. Car tes procédés pour discréditer ne nous fera pas oublier l'essentiel : notre frère Sadri a consacré son militantisme à la lutte contre le colonialisme et la lutte contre l'impérialisme.

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Message  sylvestre Lun 30 Mar - 17:09

MO2014 a écrit:Cependant quand tu en auras fait le dixième de son engagement

Merci d'éviter ce genre de remarques, d'ailleurs toujours hasardeuses. Personne sur ce forum ne peut préjuger des contributions passées ou actuelles de chacun de nous dans "la vraie vie".

D'autre part, même sans avoir eu leur courage, et tout en le reconnaissant, rien ne doit nous empêcher d'essayer d'évaluer la justesse ou non de l'orientation d'un Blanqui, d'un Trotsky, d'un Guevara.... pour ne parler que de ceux qui peuvent trouver des partisans ici.
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Message  MO2014 Lun 30 Mar - 17:41

sylvestre a écrit:
MO2014 a écrit:Cependant quand tu en auras fait le dixième de son engagement

Merci d'éviter ce genre de remarques, d'ailleurs toujours hasardeuses. Personne sur ce forum ne peut préjuger des contributions passées ou actuelles de chacun de nous dans "la vraie vie".

D'autre part, même sans avoir eu leur courage, et tout en le reconnaissant, rien ne doit nous empêcher d'essayer d'évaluer la justesse ou non de l'orientation d'un Blanqui, d'un Trotsky, d'un Guevara.... pour ne parler que de ceux qui peuvent trouver des partisans ici.

Ce sont les règles ici je retire donc ce que j'ai écrit sur les contributions passées de verié2 qui n'étaient que spéculation de ma part.
Pour le reste, traiter un militant qui a consacré sa vie à la lutte anti impérialiste de : d'intellectuel déçu, d'anti marxiste, de nationaliste, de réformiste, et de potentiel ennemi de la classe ouvrière, en 16 lignes dont 5 de citations ce n'est pas "hasardeux" c'est du dénigrement plus proche de l'insulte que du débat politique.

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Message  verié2 Lun 30 Mar - 18:03

MO2014
traiter un militant qui a consacré sa vie à la lutte anti impérialiste de : d'intellectuel, d'anti marxiste, de nationaliste, de réformiste, et de potentiel ennemi de la classe ouvrière, en 16 lignes dont 5 de citations ce n'est pas "hasardeux" c'est du dénigrement plus proche de l'insulte que du débat politique.
Je ne discute pas des états de service de Khiari, mais des propos les plus significatifs qu'il tient dans ce long texte éclectique. C'est parfaitement son droit de cesser de se revendiquer de l'apport de Marx, Lénine, Trotsky et de penser que la prise de pouvoir par le prolétariat est non seulement quasi impossible mais négative dans la période actuelle car elle attirerait la répression. C'est ce qu'il dit explicitement.

C'est un point de vue défaitiste assez classique, dont les origines peuvent être diverses, notamment le découragement. Et c'est un point de vue erroné, car les travailleurs, et les masses populaires en général, quand ils entrent en lutte n'attendent ni notre autorisation ni une analyse de la situation internationale de nature à leur garantir qu'ils ne subiront pas une terrible répression. L'utilité des révolutionnaires est de donner des perspectives à ces luttes, avec une conscience plus claire de la situation, grâce à l'expérience des mouvements passés, et de favoriser des formes d'organisation qui donnent davantage de chances de remporter la victoire. Mais ce n'est pas eux qui décident de "lancer la révolution".

Le danger de positions comme celles que semble défendre Khiari, c'est en effet, je le répète, soit de freiner les travailleurs, de rester à l'écart de leur mouvement parce qu'on pense qu'ils n'ont aucune chance de vaincre durablement, soit de se rallier à d'autres forces dont on pense qu'elles ont davantage de chance de succès.

Il est clair que, quand on ne croit plus à la possibilité de révolution prolétarienne et qu'on veut néanmoins "faire quelque chose", on se tourne inévitablement vers ce qui semble "le moins pire", par exemple pour nombre d'ex gauchistes français, vers la défense de la démocratie et de la république...

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Message  MO2014 Lun 30 Mar - 18:35

verié2 a écrit:
MO2014
traiter un militant qui a consacré sa vie à la lutte anti impérialiste de : d'intellectuel, d'anti marxiste, de nationaliste, de réformiste, et de potentiel ennemi de la classe ouvrière, en 16 lignes dont 5 de citations ce n'est pas "hasardeux" c'est du dénigrement plus proche de l'insulte que du débat politique.
Je ne discute pas des états de service de Khiari, mais des propos les plus significatifs qu'il tient dans ce long texte éclectique. ...C'est ce qu'il dit explicitement.
...
Il est clair que, quand on ne croit plus à la possibilité de révolution prolétarienne et qu'on veut néanmoins "faire quelque chose", on se tourne inévitablement vers ce qui semble "le moins pire", par exemple pour nombre d'ex gauchistes français, vers la défense de la démocratie et de la république...

Tissu  de mensonges contredit par le texte même de Sadri et encore plus par ces actes. Après son engagement courageux et dédié à la construction d'un parti révolutionnaire qu'a t il fait ? A-t-il prôné le renoncement comme tu l'affirmes ? Non ! Il a poursuivi son combat anti-impérialiste sous une nouvelle forme par la construction du mouvement puis du Parti des Indigènes de la République qui met au centre de son combat la lutte contre la République qui reste coloniale. Il a poursuivi son combat contre l'état sioniste en solidarité avec la population palestinienne. Inlassablement il a lutté contre les discriminations raciste et systémique de l'Etat français.
Alors pourquoi tant de mensonges ? Pourquoi salir un militant par des calomnies démenties par ses écrits et ses actions ? Par vide politique, tu ne sais pas t'opposer à l'organisation politique autonome des populations issues de l'immigration alors tu inventes comme comme l'islamophoque LO, que le PIR était une organisation de sociologues en manque de reconnaissance, une organisation nationaliste petite bourgeoise et communautariste...
Nous continuerons avec Sadri à articuler race et classe car les sont liés dans un destin commun contre ce système. Nous ne serons pas détournés de ces tâches par ceux qui essentialisent une classe ouvrière abstraite en niant l'existence d'une partie d'elle même, pour mieux soutenir par les loi racistes et islamophobes.

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Message  verié2 Lun 30 Mar - 18:49

MO2014
Alors pourquoi tant de mensonges ?
J'ai commenté ce que Khiari a écrit. Au lieu de répondre sur le fond, en nous donnant par exemple ton interprétation de ces propos, tu te lances une fois de plus dans des diatribes.
Chacun pourra lire et juger.
Après son engagement courageux et dédié à la construction d'un parti révolutionnaire
Ai-je remis en cause l'engagement de Khiari ? Les gens qui ont mené pendant toute une partie de leur vie une lutte opiniâtre voire courageuse, puis ont abandonné le marxisme et le mouvement ouvrier sont très nombreux.

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Message  MO2014 Lun 30 Mar - 19:09

Si Sadri a abandonné quelque chose c'est TA conception du marxisme et TA conception du mouvement ouvrier, celle qui considère que les loi qui discriminent les musulmanes ne doivent pas forcément être combattues mais relève de la tactique. Sadri appréhende le mouvement ouvrier tel qu'il est avec une partie importante issue de l'immigration et réduite au silence et niée par nombre d'organisations que tu considères ouvrières. Tes mensonges et calomnies récurrentes n'effaceront rien mais il est inutile de te demander de procéder autrement car tu n'as rien à dire sur le fond... à se demander si tu as lu te texte de Sadri.

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Message  verié2 Lun 30 Mar - 19:12

MO2014
Si Sadri a abandonné quelque chose c'est TA conception du marxisme et TA conception du mouvement ouvrier, celle qui considère que les loi qui discriminent les musulmanes ne doivent pas forcément être combattues mais relève de la tactique.
Mes commentaires ne portent pas sur cette question. Fais l'effort de lire ce que j'ai écrit, ce qu'a écrit Khiari et d'éviter de "répondre" sur un autre sujet.

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Message  MO2014 Lun 30 Mar - 22:57

verié2 a écrit:
MO2014
Si Sadri a abandonné quelque chose c'est TA conception du marxisme et TA conception du mouvement ouvrier, celle qui considère que les loi qui discriminent les musulmanes ne doivent pas forcément être combattues mais relève de la tactique.
Mes commentaires ne portent pas sur cette question.

Tes commentaires ? ... qui démontrent ton ignorance de l'histoire et de la situation politique en Tunisie.  Tes réponses sont celles de quelqu'un qui vient de lire rapidement un bouquin genre "le marxisme pour les nuls", sans répondre sur les éléments concrets tangibles réels sur la situation en Tunisie donnés par Sadri, mais pour uniquement insister sur des principes comme le rôle historique du prolétariat dans un processus révolutionnaire ... Tu n'as rien d'autre à dire ? Tu parles de qui ? D'un militant qui s'est engagé des années au sein du prolétariat tunisien ...  Rolling Eyes
Ce que tu as écris c'est une condamnation calomnieuse en un dizaine de lignes de toute la vie d'un militant anti colonialiste dont une accusation de son évolution vers le républicanisme qui  démontre largement que tu n'as rien lu de son interview. Tu feins d'ignorer tout de son militantisme et de ses engagements et tu préfères le calomnier : intellectuel déçu, anti marxiste,  nationaliste, réformiste, potentiel ennemi de la classe ouvrière. C'est bien ça !

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Message  verié2 Mar 31 Mar - 8:47

MO2014, relis ton post, tu constateras, si tu as un minimum de recul par rapport à toi-même, que tu parles pour ne rien dire et que tu répètes tout le temps la même chose.
Assumes au moins les propos de Khiari et essaies de nous les expliquer.

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Message  sylvestre Mar 31 Mar - 10:12

Le culte de la personnalité, les couplets sur les dirigeants qui "en ont beaucoup plus fait que toi" ne sont jamais une bonne base pour la discussion, pas plus à LO qu'au PIR.
Il se trouve que j'ai côtoyé un peu Sadri à la LCR, comme peut-être d'autres participants à ce forum. C'était un camarade valeureux, mais avec des lacunes politiques, comme nous tous....
Je me souviens qu'il avait en particulier exprimé de la surprise lorsque des camarades avaient parlé de s'"affronter à l'Etat" - ou de le détruire, je ne me souviens plus. J'avais trouvé ça très curieux pour quelqu'un normalement familier de la théorie marxiste, depuis Lénine en particulier.
Et il y a indéniablement dans le projet politique du PIR, au-delà de ses nombreux mérites, quelque chose de profondément réformiste. L'idée même de "décoloniser la république" signifie qu'on pense possible de le faire sans changer son caractère impérialiste, c'est à dire au fond sa nature d'Etat capitaliste. Le fait que le PIR pointe très utilement de nombreux manquements de la gauche révolutionnaire contemporaine française ne signifie pas qu'il présente une alternative convaincante d'un point de vue global.
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Message  MO2014 Mar 31 Mar - 10:51

sylvestre a écrit:
Et il y a indéniablement dans le projet politique du PIR, au-delà de ses nombreux mérites, quelque chose de profondément réformiste. L'idée même de "décoloniser la république" signifie qu'on pense possible de le faire sans changer son caractère impérialiste, c'est à dire au fond sa nature d’État capitaliste. Le fait que le PIR pointe très utilement de nombreux manquements de la gauche révolutionnaire contemporaine française ne signifie pas qu'il présente une alternative convaincante d'un point de vue global.

Une précision: nous n'employons pas, à ma connaissance, la formule "décoloniser la république".

Je suis bien d'accord avec toi nul n'est parfait et chacun a ses lacunes qui de toutes façons apparaitront dans l'expression d'untel ou untel sur tel ou tel sujet. L'humilité et la camaraderie devraient être la règle de débat mais c'est souvent celui qui insulte, calomnie sans argumenter qui choisi sa forme.

Le réformisme n'est pas critiquable en soi, c'est le cas du féminisme, des organisations de lutte contre le discriminations, des associations anti-racistes...etc. plus généralement d'une grande quantités d organisations sur les terrains économiques et sociaux. Alors est-ce que le PIR est réformiste ou révolutionnaire ? J'ai je regret de dire que ce n'est une question que je me pose à chaque fois que je manifeste en Solidarité avec la Palestine, à chaque fois que je lutte contre l'islamophobie et ses discriminations... ni à chaque étape de mon combat politique. Ce n'est pas non plus ici que ce débat se tranchera.
Au delà des actions et des parcours militants restent les écrits. Le PIR où les débats sont nombreux avait publié un texte (encore de notre grand timomier Sadri  Laughing ) sur les questions que tu soulèves et ce texte montrait très la spécificité du PIR sur l'anti-impérialisme qui ne devait pas qu'être extérieur mais aussi "intérieur" dans son sens décolonial (je serais curieux d'avoir ton avis la dessus) :

Internationalisme décolonial, antiracisme et anticapitalisme
par Sadri Khiari    

Intervention de Sadri Khiari au Colloque « Penser l’émancipation » qui s’est tenu à l’Université de Lausanne (Suisse) les 25 et 27 octobre 2012.

Il y aurait beaucoup à dire – à apprécier et à critiquer – sur l’internationalisme tel qu’il a été porté par le mouvement ouvrier, et notamment par ses tendances les plus radicales, au cours du siècle dernier. Idéal généreux d’émancipation humaine, il a connu des moments glorieux dont il m’est difficile de parler sans émotion. Les deux exemples qui me viennent immédiatement à l’esprit sont l’extraordinaire mouvement de solidarité suscité par la révolution espagnole et, évidemment, puisque cela me concerne directement, le soutien apporté par de nombreux mouvements internationalistes, communistes ou anarchistes, aux luttes anticolonialistes.

Juste une précision : à ma connaissance nous n'employons pas la formule ""décoloniser la république".

Je pourrais évoquer quantité d’autres exemples. Il se trouve qu’un ami m’a envoyé récemment un court extrait d’un texte de Trotsky datant de mai 1938 que je mourrais d’envie de partager à mon tour sans en trouver l’occasion. Cette conférence me la fournit. Le voici, il est magnifique : « Supposons que, dans la colonie française d’Algérie, éclate demain une rébellion, sous la bannière de l’indépendance nationale et que le gouvernement italien, poussés par ses propres intérêts impérialistes, livre des armes aux insurgés. Quel devrait être dans ce cas, le comportement des ouvriers italiens ? J’ai délibérément pris l’exemple d’une révolte contre un impérialisme démocratique et d’ingérence en faveur de rebelles par un impérialisme fasciste. Les ouvriers italiens doivent-ils empêcher l’envoi d’un navire avec des armes pour les Algériens ? Supposons qu’un quelconque gauchiste réponde à cette question par l’affirmative. Tout révolutionnaire, de concert avec les ouvriers italiens et les Algériens rebelles, rejetterait avec indignation cette réponse. Même si dans l’Italie fasciste à ce moment éclate une grève générale des marins, dans ce cas les grévistes doivent faire une exception en faveur des navires qui apportent de l’aide aux esclaves coloniaux, sinon ils seraient des syndicalistes jaunes, et non des ouvriers révolutionnaires [1]. »

En ces temps de guerres impériales, d’interventions ou de menaces d’intervention impérialistes ici ou là, ces phrases pourraient être longuement commentées, tant du point de vue des militants de gauche agissant dans le cadre d’un Etat impérialiste que du point de vue des militants agissants dans un pays en révolution auxquels un Etat impérialiste, en fonction de ses propres calculs, fournit une aide militaire. Mais là n’est pas le sujet de cette communication. Je me bornerais ici à souligner une des idées fortes de ce paragraphe, en l’occurrence : la priorité absolue que devraient donner les ouvriers au soutien à la lutte anticoloniale menée dans un pays dominé y compris lorsque ce soutien se fait au détriment de leurs propres luttes et risquent de les diviser eux-mêmes. Bon, je m’arrête pour en venir à ce dont je voudrais parler ici et qui n’est pas nécessairement sans rapports.

La question coloniale, sous une forme renouvelée, se pose désormais au cœur des métropoles impériales. Elle s’était déjà posé de cette manière aux Etats-Unis à travers la question noire. A propos de l’esclavage et de la guerre de sécession Marx avait proposé, quant à lui, des réponses inspirées d’une approche internationaliste. Au XXème siècle, le Parti communiste américain et les organisations trotskistes avaient également abordé de front cette problématique. Les Afro-américains, hélas, ne sont toujours pas sortis de l’auberge. La domination raciale, ce colonialisme intérieur, est toujours omniprésente aux Etats-Unis. Elle se double de plus en plus d’une autre forme de conflictualité raciale engendré par l’afflux massif de populations immigrées, originaires notamment des pays d’Amérique Latine.

C’est cela la forme nouvelle de colonialisme surgie au cours de ces dernières décennies et qui interroge profondément l’internationalisme traditionnel : l’émigration massive de populations du sud vers les métropoles impériales, leur stabilisation et leur reproduction. J’aborderai plus particulièrement cette question à partir du cas de la France où la gauche radicale a une fâcheuse tendance à oublier dans ses réflexions stratégiques l’importance décisive de populations opprimées issues des anciennes colonies et de ses « territoires d’Outre-mer ».

La gauche radicale ne méconnait pas totalement le lien étroit qui associe l’oppression subies par les populations issues de l’immigration et la domination impérialiste néo-coloniale. Elle n’en retient cependant qu’une des facettes, occultant ce qu’expliquait pourtant le sociologue Abdelmalek Sayyed, en l’occurrence que l’immigré n’est jamais seulement un immigré. Il demeure un émigré, indissociablement émigré-immigré. Lorsqu’en outre, il est originaire d’un pays colonisé ou dépendant et qu’il s’installe dans un Etat impérial, comme la France, un Etat producteur, en son propre sein, de hiérarchies raciales, l’émigré-immigré se déplace, en fait, dans un même continuum de relations de pouvoir marquées par la colonialité. Alors même qu’il s’insère dans la trame du pouvoir capitaliste, il reste, dans son statut social, politique, culturel, symbolique, pris, enserré dans les rapports coloniaux ou néo-coloniaux de domination. En cela, il se distingue réellement des immigrations intra-européennes. En cela, contrairement à ces dernières, il transmet à sa descendance son propre mouvement d’émigration-immigration et le rapport colonial qui en est la matrice. Pour la gauche radicale, cependant, une fois en France, l’immigré n’est plus qu’immigré et les générations qui le prolongent des Français comme les autres, non pas soumis aux rapports impérialistes néo-colonialistes mais à un manque de droits, à des préjugés racistes et aux discriminations qui en seraient la conséquence.

A cette incompréhension de la spécificité de l’immigration issue des anciennes colonies s’ajoute une vision réductrice de la notion de racisme. L’une des dimensions du rapport néo-colonial qui échappe, en effet, à la gauche, c’est qu’il perpétue également le rapport racial produit par la colonisation. Cette dernière, identifiée généralement à une période révolue de l’expansion impériale, est comprise par la gauche comme occupation de territoire, comme une forme d’oppression nationale doublée d’une exploitation de type capitaliste. Or, c’est sous l’angle des rapports sociaux qu’elle a développés qu’il faut appréhender la colonisation. Et l’une des caractéristiques sinon la caractéristique fondamentale de ces rapports sociaux, c’est leur racialisation. Le colonialisme moderne, en effet, cette forme sociale qui a accompagné la modernité capitaliste et étatique, c’est la construction d’une hiérarchisation sociale mondiale basée sur la notion de race, c’est la constitution d’une stratification statutaire des pouvoirs, fondement de la suprématie blanche, à tous les niveaux du lien social. On peut l’appeler colonialité ou racialité des rapports de pouvoir, elle continue d’être reproduite à l’échelle internationale par les nouvelles formes de domination impérialiste, indépendamment de l’occupation de territoires.

Dans son écrasante majorité, cependant, la gauche persiste à interpréter le racisme d’un point de vue moral. Il serait une idéologie venant d’un passé pré-moderne, toujours vivace, l’expression de la haine de l’Autre, du rejet de la différence, d’une intolérance qui viendrait des âges les plus obscures, une disposition qu’attiseraient les forces les plus réactionnaires, relayées de manière démagogique par la bourgeoisie pour diviser les classes populaires.

L’incapacité à saisir le racisme dans la profondeur de ses rapports avec le capitalisme et l’impérialisme, n’est pas sans conséquences sur l’action que la gauche radicale mène sur le front de la lutte antiraciste. Elle se borne ainsi à une attitude pédagogique (« L’ennemi, c’est le banquier, pas l’immigré »), et agit contre les différents types de discriminations comme le ferait n’importe quelle association de défense des droits de l’homme, tout en l’accompagnant parfois d’un discours anticapitaliste. La démarche d’ensemble vise à favoriser l’intégration de tous dans la lutte considérée comme principale, en l’occurrence la lutte anticapitaliste.

Cette stratégie, finalement plus droitsdelhommiste qu’anticapitaliste ou internationaliste, a cependant lamentablement échoué. Les couches subalternes blanches sont de plus en plus sensibles à la rhétorique raciale, dans ses expressions nouvelles, tandis que les populations issues de l’immigration regardent la gauche, y compris la gauche radicale, avec méfiance. L’illusoire « Français, immigrés, même patron, même combat », version hexagonale du « prolétaires de tous les pays unissez-vous », ne fait recette ni chez les uns ni chez les autres. Ce n’est pas par hasard.

La gauche vitupère, donc, contre les forces politiques racistes, accusées d’opposer les travailleurs blancs aux travailleurs issus de l’immigration. Elle n’a pas tort. Ou seulement pour une part. Elle fait le même reproche aux mouvements qui, comme le Parti des indigènes de la république, affirment la nécessité de l’indépendance politique des populations issues de l’immigration. Elle a tort. Complètement. Elle ne perçoit pas, en effet, que, outre d’autres formes de hiérarchisations sociales propres notamment aux logiques capitalistes ou patriarcales, le monde du travail est déjà divisés, stratifiés, par les rapports raciaux et que les classes populaires blanches, en tant que groupe, que collectif, et non pas comme somme d’individus, ont des privilèges par rapport à l’ensemble des populations des anciennes colonies.

Ce sont ces privilèges, reposant sur la domination impériale et les rapports raciaux qui la prolongent en métropole, qui hiérarchisent les classes populaires et développent en leur sein des conflictualités qu’entretiennent à leur profit les classes dirigeantes. Dans l’entreprise comme dans les quartiers populaires, nous n’avons pas seulement les prolétaires, travailleurs, précaires ou chômeurs, qui s’opposent aux classes supérieures. Nous avons également les prolétaires blancs qui défendent leurs maigres privilèges de Blancs ou de « vrais Français » face aux prolétaires issus des colonies. La convergence entre les deux, induite par leur confrontation objective à un même système capitaliste, n’existe qu’à l’état de potentiel, un potentiel dont la réalisation se heurte à la barrière raciale qui structure l’ensemble du corps social. Loin d’être une vertu immanente aux rapports de production capitaliste, l’unité de classe ne saurait prendre forme autrement qu’en termes d’alliances conflictuelles qui dépendent pour exister de l’action stratégique, c’est-à-dire à la fois de la capacité des populations issues de l’immigration à s’organiser de manière indépendante autour de leurs propres enjeux et de la capacité des forces prolétariennes blanches à intégrer une démarche internationaliste.

Nous en sommes cependant encore loin. Car, l’internationalisme réclame à son tour d’être revisité.  La gauche française a tenté de prendre la mesure des mutations impliquées par la dernière mondialisation et par la construction de l’Union européenne pour concevoir de nouvelles politiques en France, intégrées dans un projet internationaliste renouvelé, dont elle a cru un temps trouver l’ébauche au sein de l’altermondialisme. Il est vrai que l’internationalisme doit revêtir une nouvelle formulation. Il ne peut plus être compris uniquement en termes de  solidarité entre les prolétariats par delà les frontières ni même en termes de convergence du prolétariat des Etats dominants avec les peuples colonisés et opprimés. On n’en trouvera pas cependant l’alternative si on fait l’impasse sur les transformations internes à l’Hexagone provoquées par l’afflux des populations originaires des anciennes colonies et leur enracinement en France. Cela peut sembler paradoxal mais les différentes mondialisations historiques, qui dans leurs logiques et dans leurs formes ne se sont sans doute pas succédées mais superposées, n’ont pas seulement développé des formes de globalisation de la lutte des classes dans un espace dépourvu pour partie de frontières, elles ont aussi juxtaposé des espaces et internalisé des frontières. Il est important, de ce point de vue là, de saisir les modalités et l’ampleur des bouleversements qu’implique l’internalisation des rapports coloniaux dans l’espace français. Non pas qu’ils en étaient complètement extérieurs à l’époque de l’Empire, mais, aujourd’hui, les rapports entre groupes racialisés, dominants et dominés (qu’autrefois, dans les territoires occupés, on appelait colons et colonisés), se tissent à la fois sur deux territoires – les pays dépendants et la puissance dominante – et sur un même territoire, le territoire français, lui-même reconfiguré, en fonction d’enjeux raciaux. Avec le territoire, c’est l’ensemble des relations sociales, des conflictualités et des enjeux politiques au sein de l’Hexagone, qui est profondément remodelé.

Autrement dit, une stratégie de classe dans les limites de l’espace politique français ne peut se concevoir qu’internationaliste et un internationalisme revu et corrigé doit intégrer nécessairement une nouvelle dimension, à savoir le déplacement partiel de l’espace de la lutte décoloniale et anti-impérialiste sur le territoire français où il se superpose et croise l’espace de la lutte des classes. Il faut désormais substituer à un internationalisme, conçu comme un rapport au-delà des frontières, un internationalisme domestique dont la question raciale, dans toutes ses dimensions, serait centrale. En un mot, un internationalisme décolonial.

Or, penser un internationalisme décolonial implique de rompre avec l’économisme profond qui caractérise l’acception du capitalisme qui me semble hégémonique encore au sein de la gauche radicale française. Une telle rupture aurait des conséquences importantes et positives sur sa manière de concevoir la lutte anticapitaliste. Le capitalisme est en effet principalement saisi, en France, à travers ses modalités économiques d’exploitation et la lutte politique anticapitaliste est principalement appréhendée comme une lutte contre l’exploitation capitaliste. Les rapports immédiats de production qui, selon Marx, détermineraient « en dernière instance » l’ensemble d’une formation sociale donnée, tendent ainsi à devenir la première instance de la politique. On le sait, pourtant, et Marx lui-même ne s’est pas privé de le répéter, que le Capital n’est pas qu’un rapport de production. C’est beaucoup d’autres choses. Et la lutte contre le capitalisme, si elle doit briser le rapport d’exploitation, doit briser ou démanteler aussi beaucoup d’autres choses. Plus encore, je dirais que la lutte politique a d’abord pour objet le pouvoir d’Etat et non pas le pouvoir dans l’usine.

N’importe quel militant appartenant à la gauche radicale me reprochera de formuler ainsi des évidences et, certes, on trouvera dans la littérature et dans la pratique des différents mouvements de la gauche radicale une certaine attention à d’autres dimensions de la société bourgeoise. Elles demeurent cependant subordonnées à la question du capitalisme comme rapport d’exploitation et n’acquièrent de réelles légitimités qu’après avoir subi une mise en forme qui les « articulerait » à ce rapport d’exploitation. Le féminisme, pour donner cet exemple, a en gros trouvé les moyens de cette mise en forme, aidé par la puissance des mouvements de femmes dans les années 1970 et par les nombreuses femmes présentes dans les organisations de gauche. La lutte antiraciste, non. Elle y parvient d’autant moins que, bien que victimes directes des rapports de production capitalistes, les populations issues de l’immigration semblent n’en n’avoir rien à battre. Le principal de leur combat est ailleurs. Il se développe autour de questions dont la gauche radicale ne saisit pas toujours le rapport avec la domination du capital ou qui lui paraissent sinon négligeables du moins secondes. Elles se résument en trois mots : dignité, respect, honneur. Que signifient politiquement ces trois mots ? Ils expriment la volonté d’en finir avec un statut ; un statut non-dit mais furieusement actif ; un statut qui n’est pas immédiatement lié à l’exploitation économique mais à toutes les dimensions du lien social ; le statut de race inférieure. Alors qu’un militant blanc anticapitaliste devrait y voir une mise en cause du Capital et de l’Etat bourgeois impérial à partir d’une autre perspective, il y voit une inversion dommageable des priorités, quand il n’aperçoit pas dans certaines revendications des populations immigrées (ainsi du droit de pratiquer leurs cultes comme ils l’entendent), une menace contre les acquis du mouvement ouvrier ou, dans les revendications culturelles, une entreprise de diversion encouragée par la bourgeoisie.

La conséquence d’une telle myopie, on en a eu un exemple ahurissant, il y a quelques années lorsque la majorité de la gauche radicale s’est alliée de fait aux partis bourgeois pour interdire le port du voile musulman à l’école. Plus généralement, ce qu’il faut noter pour le regretter, c’est l’impasse stratégique que révèle l’indifférence dramatique de la gauche radicale à l’égard d’une fraction importante du prolétariat des quartiers populaires, en l’occurrence les non-blancs.

Certes depuis la révolte de novembre 2005, la gauche radicale, à l’instar de tous les partis, semblent s’y intéresser plus que ce n’était le cas auparavant. Il n’en demeure pas moins qu’elle n’est pas prête à prendre en compte ce qui fait sa spécificité en tant que groupe dominé racialement, c’est-à-dire notamment ses revendications les plus importantes telles qu’il les exprime lui-même, sa culture de résistance dans ce qu’elle a de particulier, les formes et les contenus à travers lesquels il se politise et se radicalise, enfin sa volonté affirmée d’autonomie politique. Tout cela, qu’un internationalisme décolonial permettrait d’appréhender et de reconnaître, est perçu comme infra-politique, non-anticapitaliste, régressif voire parfois réactionnaire par la majorité de la gauche radicale.

Plutôt que de procéder aux révisions qui s’imposent, cette dernière fait généralement le choix conservateur de l’entre-soi blanc où l’on est sûr de parler le même langage, d’avoir les mêmes valeurs et de partager les mêmes enjeux. A la recomposition stratégique, peut-être douloureuse, qui permettrait de construire des passerelles entre le prolétariat blanc et le prolétariat non-blanc, elle ne cesse de préférer la recomposition tactique entre Blancs. Que d’exemples pourrais-je donner, en effet, de tentatives de recomposition qui ont vu, ces dernières années, se regrouper, se séparer, se rassembler à nouveau, différentes composantes de la « gauche de la gauche », sacrifiant systématiquement la question raciale et anti-impérialiste sur l’autel de l’unité, pour finalement se retrouver bon gré mal gré contraintes de s’allier au sein d’un Front de gauche, charpenté par des forces antilibérales, certes, mais également nationales-républicaines !

Si, comme je le crois, l’objectif politique de la gauche radicale est de prendre le pouvoir pour démanteler les mécanismes du capital, alors elle n’a pas d’autres choix, quitte à perdre certains alliés au sein du monde blanc, que de se tourner vers les catégories à la fois les plus exploitées et les plus opprimées que sont les masses prolétariennes issues des anciennes colonies et aux conditions que fixeront celles-ci. C’est la condition d’un nouveau bloc social révolutionnaire qui, pour continuer à parler comme on le faisait dans les années 60, sera décolonial ou ne sera point !

Sadri Khiari, intervention au colloque « Penser l’émancipation » – Lausanne, 25-27 octobre 2012


Dernière édition par MO2014 le Mar 31 Mar - 11:36, édité 2 fois (Raison : Oublie d'une précision dur "décoloniser la république")

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Message  verié2 Mar 31 Mar - 11:24

la priorité absolue que devraient donner les ouvriers au soutien à la lutte anticoloniale menée dans un pays dominé y compris lorsque ce soutien se fait au détriment de leurs propres luttes et risquent de les diviser eux-mêmes.(Exemple des dockers italiens donné par Trotsky)
Trotsky a donné un exemplaire particulier, dans un contexte précis, et n'en a pas fait une généralité. Le problème qui se pose d'une façon plus générale est la jonction des luttes anti-coloniales avec les luttes des travailleurs des pays impérialistes, pas d'opposer les unes et les autres. Certes, il peut y avoir des contradictions d'intérêts immédiats, par exemple entre ceux des ouvriers qui fabriquent des armes et ceux des peuples colonisés qui reçoivent les bombes, mais, dans le cadre de luttes d'ampleur, dépassant le cadre corporatiste, ces contradictions disparaissent.
Dans son écrasante majorité, cependant, la gauche persiste à interpréter le racisme d’un point de vue moral.
La "gauche" sans doute, l'extrême-gauche marxiste certainement pas. Il en va d'ailleurs de même de la lutte contre le fascisme.
La domination raciale, ce colonialisme intérieur, est toujours omniprésente aux Etats-Unis. Elle se double de plus en plus d’une autre forme de conflictualité raciale engendré par l’afflux massif de populations immigrées, originaires notamment des pays d’Amérique Latine.
C’est cela la forme nouvelle de colonialisme surgie au cours de ces dernières décennies et qui interroge profondément l’internationalisme traditionnel
Ca ne remonte pas aux dernières décennies, mais bien avant. Les derniers immigrés arrivés se sont généralement retrouvés en bas de l'échelle sociale et discriminés. (Sauf les Noirs qui y sont en partie restés.) Irlandais, italiens ont aussi été discriminés.

En France, le massacre des Italiens de 1893, montre que le racisme violent n'a pas été réservé aux populations issues de l'Empire colonial, de même que le sort des Polonais expulsés dans des années trente. Sans compter les Juifs qui ne venaient pas non plus de l'Empire colonial.
le déplacement partiel de l’espace de la lutte décoloniale et anti-impérialiste sur le territoire français
D'où l'objectif réformiste du PIR de "décoloniser la république" souligné par Sylvestre. Objectif tout aussi absurde que celui de faire disparaître toute trace de sexisme ou... de croyances religieuses dans le cadre de l'Etat capitaliste.

Certes, l'organisation indépendante, ou partiellement indépendante, de certaines catégories discriminées peut tout à fait se justifier quand leurs problèmes ne sont pas pris en compte par les organisations existantes dominées par d'autres catégories. Ce qui peut être vrai d'ailleurs pour des OS quand le syndicat est tenu par des professionnels qualifiés corporatistes. Après tout, l'exécution est organisée syndicalement de façon indépendante de l'encadrement...

Mais l'objectif doit rester l'unité de la classe dans la lutte contre l'exploitation capitaliste et non l'établissement d'une utopique république "décolonisée". D'autant que la situation des catégories discriminée n'est pas équivalente à celle d'un peuple soumis à l'oppression coloniale.

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Message  sylvestre Mar 31 Mar - 12:58

MO2014 a écrit:

Une précision: nous n'employons pas, à ma connaissance, la formule "décoloniser la république".

Vous l'utilisez. Encore tout récemment :

PIR a écrit:C’est pourquoi 10 ans plus tard, le 8 mai 2015, c’est avec émotion et fierté que le parti des Indigènes de la République célébrera son 10ème anniversaire.

L’occasion pour nous de dresser notre bilan politique, de l’inscrire au patrimoine des luttes de l’immigration postcoloniale, sur la voie de notre longue marche pour décoloniser la république.

MO2014 a écrit:Le réformisme n'est pas critiquable en soi, c'est le cas du féminisme, des organisations de lutte contre le discriminations, des associations anti-racistes...etc. plus généralement d'une grande quantités d organisations sur les terrains économiques et sociaux. Alors est-ce que le PIR est réformiste ou révolutionnaire ? J'ai je regret de dire que ce n'est une question que je me pose à chaque fois que je manifeste en Solidarité avec la Palestine, à chaque fois que je lutte contre l'islamophobie et ses discriminations... ni à chaque étape de mon combat politique. Ce n'est pas non plus ici que ce débat se tranchera.

Dans la mesure où ce forum s'intitule Forum des Marxistes (ce qui en soi devrait être suffisant, mais nous avons décidé de bien souligner la question) Révolutionnaires, tu comprendras que nous trouvons que la question a une certaine importance.
Rappelons simplement sans entrer dans un débat qui aurait plus sa place dans "Histoire et Théorie" que la tradition marxiste considère qu'en tant que révolutionnaires nous devons lutter pour des réformes, mais sans y limiter notre
horizon, et en ayant toujours en vue ce qui permet de renforcer l'unité et la force de la classe ouvrière mondiale, seule force capable d'extirper les racines de l'exploitation et de l'oppression. Et donc que les forces réformistes ne sont pas nos ennemies, sauf quand elles prennent le parti de défendre l'ordre dominant contre des forces révolutionnaires. Le PIR est loin d'avoir eu l'occasion de faire pareille chose. Il s'agit donc de débats entre forces partageant des buts communs, mais qui peuvent en avoir de distincts aussi, ou des stratégies différentes pour les mêmes buts.

Au delà des actions et des parcours militants restent les écrits. Le PIR où les débats sont nombreux avait publié un texte (encore de notre grand timomier Sadri  Laughing ) sur les questions que tu soulèves et ce texte montrait très la spécificité du PIR sur l'anti-impérialisme qui ne devait pas qu'être extérieur mais aussi "intérieur" dans son sens décolonial (je serais curieux d'avoir ton avis la dessus) :

Internationalisme décolonial, antiracisme et anticapitalisme
par Sadri Khiari    


Oui, c'est un des meilleurs textes de Khiari à mon sens, et cette question de l'aspect "intérieur" de la lutte contre les pratiques et les mentalités coloniales me semble tout à fait importante. Là-dessus je ne vois pas de désaccord.
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Message  verié2 Mar 31 Mar - 14:02

lutte contre les pratiques et les mentalités coloniales
On ne peut qu'être d'accord. Là où le bas blesse, c'est si on considère que la situation des "indigènes" est assimilable à celle des peuples colonisés. Dans ce cas, pourquoi ne pas mener une lutte de libération nationale les armes à la main ? Et il ne devrait plus être question de "décoloniser" l'Etat, c'est à dire le réformer. Car il faut rappeler que seules les luttes armées ont mis fin aux situations coloniales (Vietnam, Angola, Algérie etc). Dans la plupart des pays où il n'y a pas eu de lutte armée victorieuse, ou bien où cette lutte a été écrasée (Cameroun par exemple), une situation néo-coloniale a succédé à la situation coloniale...

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