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Indigènes de la République

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Indigènes de la République - Page 22 Empty Re: Indigènes de la République

Message  MO2014 Jeu 22 Sep - 11:49


Les combats de l’antiracisme politique
19 septembre 2016 / Jean-Yves BOURGAIN

Mobilisés contre le « racisme d’État » et partisans de « l’auto-organisation », les militants de l’antiracisme politique sont de plus en plus présents sur la place publique. Pointant les contradictions des discours officiels, ils souhaitent mettre les institutions françaises face à leurs responsabilités, se posant en héritiers des luttes antiesclavagistes et anticolonialistes.

« Pas de justice, pas de paix », entonnent les milliers de manifestants venus vendredi 22 juillet dernier à Beaumont-sur-Oise (Val d’Oise) commémorer la mort d’Adama Traoré, 24 ans, survenue trois jours plus tôt suite à son interpellation par les gendarmes. Simultanément, des manifestants répondent dans plusieurs villes de France à l’appel lancé par la famille endeuillée : place de la Victoire à Bordeaux, place Guichard à Lyon, quartier Saint-Jacques à Clermont-Ferrand, place Arnaud-Bernard à Toulouse et parc Victor Thuillat à Limoges. Les informations sur ces différentes manifestations ont été centralisées la veille sur la page Facebook du collectif Urgence notre police assassine, dirigé par Amal Bentounsi et celle de Sihame Assbague, ancienne porte-parole du collectif Stop le contrôle au faciès.

Ces deux femmes figuraient sur « le banc des accusés » lors du « meeting-procès de l’antiracisme politique » organisé le 25 mai 2016 à la Bourse du travail de Saint-Denis, aux côtés d’une quinzaine d’autres militants. « Ce genre d’événements est le moyen de créer une nouvelle force politique et, progressivement, un nouveau rapport de force en consolidant les liens entre toutes les organisations présentes ce soir », expliquait alors Louisa, militante du Parti des indigènes de la République (PIR). Aux côtés du PIR et des collectifs Urgence notre police assassine et Stop le contrôle au faciès, on retrouvait également à la tribune Les Indivisibles, la Brigade anti-négrophobie, le Front uni des immigrations et des quartiers populaires, l’Union juive française pour la paix, La Voix des Rroms, le Labo décolonial, Génération Palestine, le Camp d’été décolonial et le Collectif anti-guerres.

Qui sont ces organisations réunies le 25 mai dernier sous le même mot d’ordre d’« antiracisme politique » ? Quel est ce courant qui émerge sur la scène politique française depuis la Marche des femmes pour la dignité et contre le racisme qui avait rassemblé des milliers de personnes à Paris le 31 octobre 2015 ? Quels sont leurs modes d’action concrets pour transformer cette société qu’ils trouvent hiérarchisée et discriminante ?

« Racisme institutionnel » (« racisme structurel » ou encore « racisme systémique »), « racisés », « décolonial », « négrophobie », « islamophobie »… les partisans de l’antiracisme politique imposent progressivement un nouveau vocabulaire dans les débats publics. Mais si ces nouveaux mouvements mènent une véritable « bataille des mots » (dixit Saimir Mile, président de l’association La voix des Rroms), ils créent aussi des pôles juridiques pour défendre les victimes de discriminations, organisent des opérations de boycott, occupent des espaces publics et médiatiques, créent des espaces de non-mixité au nom de l’auto-organisation ou animent des formations à l’histoire du racisme et des luttes anticolonialistes.

Prendre l’État aux mots : « Faire appliquer des règles qui existent déjà » (Saimir Mile, président de La voix des Rroms)

« Notre association cherche à assurer un accès normal au droit pour les populations rroms », explique Saimir Mile, président de La voix des Rroms. Par exemple, dans le cas d’un refus d’ouverture de compte bancaire sans justification, on fait pression sur la banque en question via le Défenseur des droits (institution de l’État créée en 2011 et chargée de permettre l’égalité de tous et toutes dans l’accès aux droits) jusqu’à ce que le compte soit ouvert. »

« Nous avons mis en place un pôle juridique pour créer de la jurisprudence, poursuit-il. On s’est inspiré du CCIF qui a mis en place la même démarche et reçoit de plus en plus de dossiers. » Le rapport d’activité 2016 du CCIF (Collectif contre l’islamophobie en France, créé en 2003 et présidé par Samy Debah) fait état de 220 dossiers en cours de traitement. « Selon eux, 90 % des cas ont été résolus sans avoir recours à la justice. On cherche seulement à faire appliquer des règles qui existent déjà. Les structures auxquelles on a affaire le savent, du coup elles ont tout intérêt à coopérer… », explique encore le président de La voix des Rroms.

Première appelée « à la barre » lors du meeting-procès du 25 mai, Amal Bentounsi dirige le collectif de familles de victimes Urgence notre police assassine depuis que son frère Amine, alors en cavale, a été tué d’une balle dans le dos par un policier le 22 avril 2012 à Noisy-le-Sec. Le policier en question, Damien Saboundjian, ayant été acquitté par la Cour d’assises de Seine-Saint-Denis le 15 janvier dernier, Amal Bentounsi pointe au meeting « la responsabilité de l’État dans l’impunité des crimes policiers ». Sur le site web de son collectif, un « recensement fait à partir de ce qui est diffusé dans la presse » identifie 140 victimes de bavures policières entre 2005 et 2015 (98 morts et 42 blessés), précisant que « cette liste n’est pas exhaustive ».

Des rassemblements sont fréquemment organisés pour dénoncer les violences policières, comme le 18 mai 2015 devant le tribunal de Rennes qui avait prononcé la relaxe des policiers impliqués dans la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré en 2005 à Clichy-sous-Bois (la relaxe vient d’être confirmée en appel le 22 juin dernier à Rennes). Le 18 juin 2016, a également lieu dans le XXe arrondissement de Paris la commémoration de la mort de Lamine Dieng, survenue en 2007 dans un fourgon de police et pour laquelle la justice avait prononcé un premier non-lieu en mai 2014, confirmé le 17 juin dernier par la Cour d’appel de Paris : la famille a décidé de se pourvoir en cassation.

Le 23 juillet dernier, lendemain de la marche blanche nationale pour Adama Traoré, un millier de personnes ont marché de la Fontaine des Innocents à l’ambassade des Etats-Unis (Paris) au rassemblement Black Lives Matter France. Parmi les mouvements présents figurait le collectif Ferguson in Paris, fondé en septembre 2014 suite au meurtre de Michael Brown par la police américaine. Selon sa page Facebook, ce mouvement « a pour ambition de sensibiliser la population sur les dysfonctionnements du système étatique, de dénoncer les violences policières mais aussi d’apporter des solutions à ces maux. Ferguson in Paris cherche à démontrer qu’en France tout comme aux Etats-Unis et partout dans le monde, les mêmes populations subissent l’oppression d’un système (néo)colonialiste, capitaliste et que bien que les contextes soient différents selon les pays, les schémas d’oppression restent les mêmes, schémas que nous dénonçons et essayons d’enrayer. »

Le collectif Stop le contrôle au faciès a mis en place un numéro d’urgence à contacter en cas de contrôle policier abusif. Sur son site web, on peut lire : « À chaque contrôle hors véhicule et sans motif, retenez la date, l’heure, le lieu, le contexte du contrôle, le motif annoncé, le déroulement et le comportement du policier, et envoyez le sms « CONTRÔLE » au 07 60 19 33 81. Le Collectif vous rappellera en 24 heures pour faire valoir vos droits et vous inclure dans cette action inédite en France. » Franco Lollia, membre du collectif, explique : « Un accompagnement est proposé aux victimes de contrôles abusifs. Au cas où le contrôle s’avère vraiment grave, un contact gratuit avec un avocat est mis en place. »

Le collectif Stop le contrôle au faciès va jusqu’à poursuivre l’État en justice via son pôle juridique. Le 24 juin 2015, pour la première fois en France, l’Etat a même été condamné pour contrôle au faciès. La Cour d’appel de Paris a en effet estimé qu’il avait commis une faute lourde et qu’il était redevable de 1 500 euros de dommages et intérêts à cinq des treize plaignants.

Montrer les contradictions des discours officiels : « Faire bugger le système » (Franco Lollia, porte-parole de la Brigade anti-négrophobie)

Également cofondateur et porte-parole de la Brigade anti-négrophobie (BAN) présente en première ligne au rassemblement Black Lives Matter France, Franco Lollia est connu pour avoir été expulsé par la police de la commémoration officielle de l’abolition de l’esclavage au jardin du Luxembourg le 10 mai dernier (ainsi que lors des éditions des années précédentes). Son seul tort : avoir porté un T-shirt à l’effigie de la BAN.

« La police n’a pas su réagir face à la contradiction qu’on a fait surgir silencieusement ce jour-là, explique-t-il au téléphone. Le sens révolutionnaire de la journée de commémoration avait été complètement effacé par l’État, qui voulait se poser en pouvoir bienfaisant et humaniste qui aurait libéré les Noirs. Toutes les luttes menées contre l’État français pour le forcer à abolir l’esclavage étaient passées sous silence lors de cette mascarade de cérémonie. Et nous, juste avec un T-shirt, on l’a mis en évidence ! »

« Le système est vicié, on ne peut pas le réformer, poursuit Franco Lollia. Il faudrait le détruire mais nous n’en avons pas les moyens. En face, c’est un rouleau compresseur, la propagande est trop forte. Tout ce qu’on peut faire, c’est poser des actes de résistance pour faire bugger le système ».

Montrer les contradictions des discours officiels, c’est également la tâche que s’est donnée l’association Les indivisibles, présidée par Amadou Ka (également invité au meeting-procès du 25 mai) qui décortique tous les discours diffusés dans les médias et récompense chaque année lors de la cérémonie des Y’a bon Award « les phrases les plus racistes de l’année ». L’édition 2015 a distingué le journaliste Philippe Tesson (pour avoir dit : « C’est pas les musulmans qui amènent la merde en France ? »), le ministre Michel Sapin (pour avoir trouvé un nom maghrébin « un peu racaille ») ou encore le journaliste Philippe Val (qui considère que la colonisation a donné « à des Arabes, des Africains et des Indochinois le goût de la démocratie et de la culture »).

L’association La voix des Rroms dénonce aussi les contradictions des lois dites « sur les gens du voyage » qui sont, selon Saimir Mile, « des véritables monstres juridiques : en plus d’établir des quotas ethniques censés ne pas exister dans la République indivisible (la loi du 3 janvier 1969 prévoit que les communes accueillent au maximum 3 % de « gens du voyage », ndlr), elles créent de la confusion et des tensions entre trois populations aux modes de vie bien différents : les sédentaires qui vivent en caravane, les forains et autres populations nomades qui sillonnent les routes et les sédentaires cantonnés aux bidonvilles faute de pouvoir accéder à de véritables logements, qui sont ballotés de démantèlements en démantèlements… »

Occuper le maximum d’espaces
« Faire notre place ! » (un sympathisant du Front uni des immigrations et quartiers populaires)

Manifestations, rassemblements, meetings, projections-débats… les mouvements de l’antiracisme politique font en sorte d’être le plus visible possible.

La Brigade anti-négrophobie organise souvent des « opérations coup de poing » telle que l’occupation du magasin Guerlain sur les Champs-Elysées en octobre 2010 suite aux propos de Jean-Paul Guerlain au journal télévisé de France 2 (« Pour une fois, je me suis mis à travailler comme un nègre. Je ne sais pas si les nègres ont toujours tellement travaillé, mais enfin… »). La BAN a également occupé plusieurs studios de télévision : « Toutes nos occupations ont été filmées par les caméras de ces chaînes de télé, pourtant les images n’ont jamais été diffusées… Pourquoi ? », interroge Franco Lollia.

Le 15 mai dernier, sur le parvis de la Basilique de Saint-Denis, la 4e session de la Fête de l’insurrection gitane célébrait l’acte de résistance des hommes et femmes du camp des familles tziganes d’Auschwitz-Birkenau qui avaient réussi, le 16 mai 1944, à repousser les gardes SS venus pour les conduire aux chambres à gaz.

De nombreux mouvements antiracistes participent aussi activement à la campagne BDS (pour boycott, désinvestissement, sanction) lancée contre l’État israélien en 2005 par des membres de la société civile palestinienne, puis suivie par des militants du monde entier. Des opérations de boycott de produits ou de services israéliens sont régulièrement organisées dans les supermarchés, les salons de tourisme ou les événements sportifs. C’est le cas des douze militants condamnés en octobre 2015 par la Cour de cassation française pour avoir appelé au boycott en 2009 et 2010 devant un supermarché de Mulhouse (Haut-Rhin).

Leyla Larbi, de l’association Génération Palestine, explique au meeting-procès de Saint-Denis que cette décision de justice constitue « une criminalisation de la solidarité. L’État français, qui prétend appliquer les droits de l’homme, soutient ici ouvertement la politique d’apartheid d’un État qui viole constamment le droit international ! » Et la militante de rappeler qu’en 1975, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté la résolution 3379 assimilant le sionisme à « une forme de racisme et de discrimination raciale ».

Le 6 mai, au Centre Attiéké de Saint-Denis (ancienne Sécurité sociale transformée en squat pour loger des familles expulsées), se tenait la première réunion publique de la section 93 du Front uni des immigrations et des quartiers populaires (FUIQP). Une cinquantaine de curieux, jeunes trentenaires pour la plupart, assis sur des fauteuils récupérés, écoutent attentivement les huit intervenants venus présenter le mouvement fondé à Ivry-sur-Seine le 17 janvier 2012 par la réunion d’une vingtaine d’associations et qui se veut « à la fois antiraciste, antisioniste, anticolonialiste, anticapitaliste et féministe ». Lors de cette réunion, un membre du public insiste sur la présence des « racisés » dans l’espace public : « Nous devons occuper le terrain, faire notre place. Que ce soit par des manifs, des rassemblements, des réunions publiques ou autres. Nous devons travailler à être plus visibles… »

S’auto-organiser :
« Déracialiser la société » (Houria Bouteldja, porte-parole du Parti des indigènes de la République)

L’une des particularités des mouvements de l’antiracisme politique est leur souhait de regrouper et mobiliser les « racisés », comprenez par là « tous ceux qui, du fait de leur couleur de peau, de leur origine ou de leur religion, sont perçus comme différents et sont discriminés au sein de la société, subissant ainsi le racisme structurel, explique Farid, un militant du FUIQP, lors de la réunion du 6 mai. Le racisme structurel, c’est l’héritage direct de la suprématie blanche et de la hiérarchisation raciale imposées par les Européens depuis l’invasion de l’Amérique, suivie du commerce triangulaire et de la colonisation. »

Dans ce contexte où la couleur de peau serait progressivement devenue un marqueur social, créant ainsi des « races sociales », beaucoup de militants de l’antiracisme politique appellent, à l’instar du Black Panther Party américain dans les années 1960, à « l’autodéfense » et à « l’auto-organisation ». C’est le cas de Lamia, qui, lors de la réunion du FUIQP, dénonce « le racisme dans les milieux de gauche et d’extrême-gauche » qu’elle a beaucoup fréquentés et évoque la nécessité de « construire des espaces de non-mixité, réservés aux racisés, pour définir des agendas autonomes ». Ces espaces permettraient aux « racisés » de se retrouver entre eux et d’échanger sur les discriminations qu’ils subissent.

Le Camp d’été décolonial, qui s’est tenu du 25 au 28 août 2016 en Champagne-Ardenne, se présente ainsi sur son site web comme « une formation à l’antiracisme politique accessible à toute personne subissant à titre personnel le racisme d’État français », et donc inaccessible aux « blancs ». Interpellée par le député Bernard Debré le 27 avril à l’Assemblée nationale sur la tenue de ce camp, la ministre de l’Éducation Najat Vallaud-Belkacem a déclaré : « Je condamne absolument la tenue de réunions comme celle de ce camp d’été que vous évoquez. Ces initiatives (…) confortent une vision racisée et raciste de la société qui n’est pas la nôtre. Ces initiatives sont inacceptables parce qu’au bout de ce chemin-là, il n’y a que le repli sur soi, la division communautaire et le chacun chez soi. »

De même, lors de l’émission Ce soir ou jamais diffusée sur France 2 le 18 mars dernier et consacrée à l’antiracisme, le politologue Thomas Guénolé déclarait face à Houria Bouteldja, porte-parole du Parti des indigènes de la République : « Une partie de l’antiracisme, et cela me fait beaucoup de peine de dire cela, est devenue raciste. Je parle de vous, Madame Bouteldja… » Or, selon Houria Bouteldja, également « appelée à la barre » le 25 mai, l’objectif de l’antiracisme politique serait au contraire de « déracialiser la société et se déracialiser pour devenir des frères et sœurs en humanité. Il faut aller chercher le petit Hitler qui se cache en chacun de nous ». Franco Lollia, de la BAN, explique que « pour pouvoir se décoloniser, il faut d’abord reconnaître qu’on est colonisé. Il faut ensuite tirer l’antidote du poison. » L’auto-organisation serait donc un moyen de lutte, et non une fin en soi.

De même, Nargesse Bibimoune, membre du FUIQP, évoque à la tribune du meeting-procès du 25 mai « un communautarisme libérateur, un réflexe de survie. L’objectif est de ne plus être systématiquement perçus comme des racisés parmi les blancs mais comme des hommes et des femmes parmi des hommes et des femmes ». Le constat de l’existence de « races sociales » s’inscrirait donc dans un esprit de dénonciation et non de légitimation.

« Le mythe de l’égalité républicaine selon lequel les races sociales n’existeraient pas dans notre société est mis à mal par la blanchité des médias et des sphères de décision qui révèle un communautarisme blanc bien réel, une non-mixité que nous subissons », lance Farah Medarbi, membre du Groupe non-mixte racisé de l’Université Paris VIII, lors de son plaidoyer à la Bourse du travail de Saint-Denis. « Je plaide coupable d’avoir arraché la parole à ceux qui nous bâillonnent depuis bien trop longtemps, poursuit-elle. Nous devons encourager l’empowerment des racisés dans un contexte d’invisibilisation des thématiques de la race. » Le Groupe non-mixte racisé auquel elle appartient organise ainsi des « groupes de parole non-blanche » interdits aux orateurs blancs « omniprésents dans les médias et les conférences traditionnelles » mais ouverts à des auditeurs de toutes les couleurs – y compris les blancs.

Le sociologue Éric Fassin, ironiquement « accusé » le soir du 25 mai d’être « un traître à sa race », défend aussi ce qu’il appelle « le paradoxe minoritaire : il s’agit de prendre la parole en tant que minorité pour ne plus être traité comme une minorité ». Face à cela, il propose un « paradoxe de la majorité, qui consisterait à prendre la parole en tant que blanc pour dire qu’on ne partage pas le fantasme d’une France blanche ».

Rachid, membre du Comité anti-impérialiste pour la libération de Georges-Ibrahim Abdallah (militant palestinien libérable depuis 1999 mais toujours emprisonné en France aujourd’hui) résume lors de la réunion publique du FUIQP : « La question de l’autonomie des luttes, qui n’a jamais été acceptée par les mouvements de gauche traditionnels, est fondamentale pour poser la question : “Qui a le droit de parler ou de décider ?” et y répondre d’une façon nouvelle. Il ne faut pas se battre pour qu’une élite indigène prenne le pouvoir au sein d’un système raciste, mais plutôt pour que les victimes du racisme posent les cadres d’une nouvelle société. »

Transmettre et écrire une autre histoire :

« Il faut en finir avec le roman national et transmettre une autre histoire, celle du racisme d’État et des luttes antiesclavagistes et anticolonialistes » estime Kamel Badaoui, militant du FUIQP, lors de la même réunion. Fania Noël, du Camp d’été décolonial, lance quant à elle au meeting-procès du 25 mai : « J’ai beaucoup lu sur l’histoire, mais pas grâce à l’Éducation nationale ! ».

Le même soir, plusieurs intervenants égrainent les références historiques : Nargesse Bibimoune, du FUIQP, rappelle qu’une Brigade Nord-africaine patrouillait dans les rues de Paris jusqu’en 1945 ; Franco Lollia déplore la « présomption de culpabilité qui pèse sur les Noirs depuis le Code noir » promulgué en 1685 sous Louis XIV ; Emmeline Fagot, de l’Union juive française pour la paix, rappelle que le décret Crémieux avait accordé la citoyenneté française aux Juifs d’Algérie le 24 octobre 1870 et martèle : « Nous refusons d’être dissociés des autres minorités racisées, nous ne voulons plus être les enfants chéris de la République mais des Juifs pleinement assumés ».

Le FUIQP et le Parti des Indigènes de la République organisent régulièrement des formations sur l’histoire du racisme et du colonialisme. Chaque jour, sur sa page Facebook, le FUIQP dresse le portrait d’un résistant au colonialisme ou commémore un événement en lien avec la décolonisation.

En 2014, le PIR a organisé une conférence sur « L’invention de la race blanche », réunissant Maboula Soumahoro, spécialiste en civilisation américaine, et Felix Boggio Ewanjé-Epée, doctorant en économie. Cette conférence (disponible sur Youtube) raconte un épisode de l’histoire des États-Unis durant lequel les ouvriers blancs en provenance d’Europe ont été utilisés par le pouvoir colonial anglais pour surveiller les esclaves noirs et ainsi briser les révoltes qui commençaient à réunir ouvriers blancs et esclaves noirs contres les propriétaires terriens. La conférence montre ainsi comment les races auraient été inventées pour éviter les solidarités de classe.

Selon Franco Lollia, « ces hiérarchisations raciales sont toujours d’actualité aujourd’hui » et le combat pour l’égalité n’est pas qu’une affaire de mots : « Est-ce que les gens de gauche censés être nos alliés comprennent ce que signifie l’égalité ? Des crimes et des pillages ont été commis. Est-ce qu’ils sont vraiment prêts à réparer ? Si on a enlevé le poumon d’un enfant innocent pour le mettre dans le corps d’un riche malade et que ce dernier l’apprend, que décide-t-il ? De le garder ou de s’amputer, quitte à redevenir malade ? Là serait la justice, là serait la véritable égalité. Cette égalité risque de faire très mal… »
https://jybourgain.wordpress.com/2016/09/19/les-combats-de-lantiracisme-politique/

MO2014

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Message  MO2014 Mer 26 Oct - 17:48


Houria Bouteldja : « Pour nous la question raciale est sociale »
04 octobre 2016 à 08h29
Par Jean-Sébastien Josset

En dix ans, les idées de la cofondatrice du Parti des indigènes de la République, qui milite en France pour dénoncer le sort réservé aux descendants de l'immigration coloniale, ont fait du chemin.

Sorti en mars dernier, le dernier essai d’Houria Bouteldja, Les Blancs, les Juifs et nous, a déchaîné les passions dans la presse française. La militante a été une nouvelle fois accusée d’antisémitisme, d’homophobie et de racisme antiblanc. Houria Bouteldja s’en défend et préfère, elle, examiner l’impérialisme blanc colonial toujours à l’oeuvre dans la structuration du monde contemporain. Contre Sartre, elle convoque Genet, Baldwin ou encore Fanon, et appelle à la construction d’un « amour révolutionnaire », moteur de l’antiracisme politique.

Les Blancs, les Juifs et nous va être prochainement publié aux États-Unis chez Semiotext(e), la maison d’édition new-yorkaise de Assata Shakur et Mumia Abu Jamal, mais qui a publié dans le passé des penseurs français tels que Gilles Deleuze, Félix Guattari, Jean Baudrillard, Paul Virilio ou encore Michel Foucault. Pour Jeune Afrique, Houria Bouteldja revient sur dix années de militantisme et sur les questions qui fâchent la société française.

Jeune Afrique : Comment êtes vous entrée en politique ?

Houria Bouteldja : Je suis entrée en politique en 2003 pour dénoncer la loi portant sur l’interdiction du voile à l’école. Mais elle a été votée. Ensuite en janvier 2005 avec un petit groupe on a lancé l’Appel des indigènes de la République pour dénoncer le sort des populations issue de l’immigration coloniale. Et le parti est issu de cette appel-là, il y a 11 ans maintenant.

Comment a-t-il été perçus à ses débuts ?

On a toujours été mal perçus. L’appel a beaucoup divisé la gauche.Tout le monde s’et dressé contre nous. L’hebdomadaire Marianne fait des unes contre l’appel. Mais nous avons quand même reçu des soutiens avec la signature de nombreux indigènes, de personnalités venant du bureau politique du Parti communiste, des Verts, de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR).

Depuis, les choses ont tellement évolué dans le débat public sur la question postcoloniale que la plupart des militants de gauche auraient honte aujourd’hui de ne pas signer cet appel. Il y a toujours eu une opinion extrêmement islamophobe, réactionnaire, ultra républicaine et laïcarde, autant au niveau des micro résistances il y a des choses qui s’organisent, une pensée qui se développe, se construit et gagne du terrain. Avec le PIR nous avons été les précurseurs de ces mouvements.

Un nouveau drame lié aux violences policières est survenu avec la mort d’Adama Traoré, lors de son arrestation par les gendarmes pour un contrôle d’identité à Beaumont-sur-Oise. Quel est votre sentiment sur cette affaire ?

À ce jour, les circonstances de la mort d’Adama Traoré n’ont pas encore été éclaircies puisque les témoignages des gendarmes se contredisent. Pire, aucun d’entre eux ne fait l’objet de poursuites. Les atermoiement des autorités judiciaires tout comme celles de la gendarmerie témoignent de ce que subissent les familles de victimes de violences et de crimes policiers depuis plusieurs décennies.

La plupart du temps, les auteurs sont innocentés et les affaires classées sans suite. Le parallèle avec les États-Unis est flagrant ce qui explique les rapprochements récents entre les collectifs contre les violences en France et le mouvement Black Lives Matter. Il est dommage que le mouvement social dans son ensemble ne soit pas suffisamment conscient du désespoir des familles et du sentiment d’abandon d’une partie du peuple, celui qui n’est pas réputé d’ascendance gauloise. Cette impunité ne peut plus durer.

Votre dernier essai, Les Blancs, les Juifs et nous, a déclenché une avalanche de critiques. Comment expliquez-vous ces réactions ?

Les journalistes n’ont pas eu besoin de le lire, ils avaient surtout besoin de formuler une opinion qui adhère à l’hostilité contre nous. Il y a une paresse intellectuelle incroyable.

Comment expliquez-vous cette incompréhension de la gauche ?

Ils font partie de ceux qui pensent que en dehors de la lutte des classes il n’y a rien qui vaille le coup. Ils sont fiers d’eux-mêmes. Et, pour reprendre le vocabulaire sociologique, ils pensent qu’il ne peuvent pas être objectivés, a fortiori par la question blanche.

Quel est le socle de votre réflexion politique ?

Nous ne sommes pas des universitaires, nous sommes des militants. Nous sommes face à une situation d’inégalité sociale sans précédent. Il y a une sous citoyenneté des indigènes de la République, des sujets postcoloniaux, qui sont victimes d’un racisme structurel. Ce qui nous inspire c’est cela.

Mais nous sommes aussi des militants qui avons une culture politique héritée des luttes qui nous ont précédées. Celles contre le colonialisme et l’esclavage, les luttes de l’immigration en France, les mouvements ouvriers ou encore les luttes contre les inégalités. Et évidemment nous sommes inspirés par ceux qui ont accompagné ces mouvements avec leur pensée comme Fanon, Césaire, Malcom X, Baldwin…

En subordonnant votre lecture du social à la question raciale, ne risquez vous pas d’occulter la complexité du réel ?

La question raciale est la question occultée, et nous l’investissons. Dire que nous n’abordons pas la question sociale, c’est ridicule. Pour nous la question raciale est sociale. Ceux qui meurent des violences policières, ce sont des enfants de prolo. Les filles qui sont exclues de l’école parce qu’elles portent le voile, ce sont des filles de prolo.

À gauche, ils voudraient qu’on utilise leurs mots , « lutte des classes », « capitalisme ». Mais quand on lutte contre les discriminations raciales, cela veut dire qu’on lutte contre le chômage, la pauvreté, les violences policières. On ne milite pas pour les femmes saoudiennes qui viennent faire leurs courses sur les Champs Elysées !

À lire aussi :
France : abattu par la police, Babacar Guèye a été accusé de tentative de meurtre par deux des policiers

On vous a également reproché votre discours sur les luttes LGBT. Notamment d’avoir présenté l’homosexualité comme une pratique imposée par les dominants dans les banlieues…

C’est tellement bête. Je ne vois pas comment on peut dire une chose pareille. Mes propos ont été déformés dans la presse. J’ai simplement dit que les identités LGBT sont un phénomène nouveau en Europe, au 19e siècle ça n’existait pas. Elles sont essentiellement européennes. Il faut distinguer la pratique homosexuelle et l’identité sociale homosexuelle. Celle-ci n’est pas reconnue et nommée dans tous les pays. Dans certains pays il y a une reconnaissance sociale d’un phénomène sans que cela soit politisé, lié à des revendications ou à une demande d’identification. Et, dans d’autres pays c’est l’inverse, comme en Occident.

Dans les quartiers populaires, la lutte LGBT n’est pas une thématique importante ?

De la même manière qu’il y a la France des cathos, – conservatrice et opposée au mariage pour tous -, et la France favorable au mariage pour tous, il y a la France des quartiers, qui est ni pour ni contre. Il y a un autre espace-temps qui est celui des quartiers où la politisation de la sexualité n’existe pas, en tous cas pas au point d’en faire des mouvements. Il n’y a pas de Marais aux Minguettes. Et que ceux qui prétendraient le contraire, me disent où il se trouve. Nous disons simplement qu’à partir du moment où la question LGBT n’est pas politisée par les principaux concernés, on n’a pas à civiliser la sexualité indigène.

Si les femmes et les homos dans les quartiers ont un agenda, il faut le respecter.

Faisons le parallèle avec le féminisme. Il n’y a pas de grand mouvements féministes dans les banlieues, parce que le problème ne s’y pose pas de la même façon qu’à Paris. S’il n’y a pas de mouvement ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas de problèmes. Nous disons simplement que si les femmes et les homos dans les quartiers ont un agenda, il faut le respecter.

Dans votre essai, vous expliquez aussi comment lorsque l’Occident impose ses valeurs comme des valeurs universelles il contribue à l’”ensauvagement” des sujets. Notamment en Afrique avec l’instrumentalisation des luttes LGBT…

Notre propos est en effet d’anticiper cet « ensauvagement ». En Afrique, pendant la colonisation, il y a eu des campagne évangélistes pour civiliser la sexualité des Africains sur un modèle hétérosexiste. Puis, aujourd’hui on a les mouvements LGBT qui veulent libérer les homosexuels africains. En fait on reproduit les batailles idéologiques du monde blanc sur le terrain africain. Or il se trouve qu’avant la colonisation, la sexualité était extrêmement diverse sur le continent africain comme partout sur terre. Mais cette diversité des sexualités a été écrasée par le colonialisme. Et aujourd’hui, partout où on a “ensauvagé” l’indigène, on veut le protéger en disant aux Ougandais ou aux Sénégalais comment ils doivent gérer leur situation. Il est logique que des Africains aient envie de rejeter ces normes occidentales. Nous, nous disons qu’il faut prévenir et ne pas attendre que les gens se fassent tuer. Il faut prévenir l’impérialisme des deux côtés, donc y compris du côté hétérosexiste, et laisser la sexualité des Africains s’épanouir tel qu’il le souhaitent eux. Mais pas selon des normes européennes. On entendra alors peut-être mieux la voix des principaux concernés.

Et dans les quartiers populaires ?

Pour le moment c’est le statu quo. Les indigènes homo savent faire avec les codes. Je ne dis pas que la vie des femmes et des homos est facile. Mais je dis qu’il y a un équilibre, et qu’il faut le préserver. Il y a des revendications significatives qui datent depuis 30 ou 40 ans, comme le chômage et la pauvreté. Occupons-nous déjà de ça.

Avez-vous des objectifs politiques ?

Notre objectif est d’organiser la résistance politique, qu’elle passe par nous ou par des collectifs plus larges. Notre objectif c’est d’être une alternative à la violence. Nous voulons canaliser la colère dans un projet politique.
Jean-Sébastien Josset
http://www.jeuneafrique.com/361043/societe/houria-bouteldja/

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Message  MO2014 Lun 31 Oct - 14:13


Marche de la Dignité 2015. Un an après : un bilan politique
Publié le 31 octobre 2016 par PIR

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Partie 1 : Le bilan

Souvenons-nous. Il y a un an, jour pour jour, plus de 13 000 personnes foulaient le pavé parisien de Barbès à Bastille, liguées comme un seul corps derrière ces mots d’ordre mémorables : « Dignité, Justice, Réparations ». Au regard d’une mobilisation qui s’est constituée sur la base d’une dénonciation ferme des crimes policiers à caractère raciste et du racisme d’État sous ses trois principales formes : l’islamophobie, la négrophobie, la rromophobie, la Marche de la Dignité du 31 octobre 2015 avait retentit d’un succès éclatant. D’autant plus éclatant qu’il était à mettre sur la balance avec la manifestation contre le racisme du 21 mars 2015, organisée quelques mois plus tôt par différents partis traditionnels, qui avait peiné à rassembler plus de 5 000 personnes malgré le soutien de toutes les composantes de la gauche.

Cependant, s’il fallait mesurer la réussite de cette Marche, c’était bien à partir de son caractère résolument politique, de la radicalité de ses mots d’ordre, de la totale autonomie de son instance décisionnelle, verrouillée entre les mains des organisations indigènes, des limites matérielles imposées par cette même indépendance, de l’hostilité quasi générale des organisations politiques qui, pour certaines qui ont exprimé leur soutien, ont traîné les pieds pour mobiliser leurs militants. Certes, il y a eu des centaines de militants du NPA et d’Ensemble et quelques figures politiques tels que Éric Coquerel (Parti de Gauche), Clémentine Autain (Ensemble), Philippe Poutou (NPA), et même Pouria Amirshahi (PS) mais la plupart sont partis avant la fin de la Marche. En outre, la Marche s’insérait dans un nouveau cycle de mobilisations de l’immigration dont les manifestations Gaza de l’été 2014 en étaient l’un des phénomènes les plus représentatifs : 40 000 personnes dans les rues de Paris, mobilisées par des collectifs autonomes face à une restructuration du pouvoir raciste devenu plus explicitement sioniste. Dans la même lignée, citons la mobilisation contre Exhibit B, organisée un an plus tôt pour exiger la déprogrammation de l’exposition négrophobe de l’artiste sud-africain Brett Bailey ou la mise en place annuelle d’un Forum international contre l’islamophobie, réunissant chaque année plus d’une dizaine d’organisations et de collectifs.



La radicalité de « l’antiracisme politique » porté par la Marche procédait alors d’une clarification significative des luttes de l’immigration. Tout d’abord, la constitution et l’assomption d’un organe décisionnel non-blanc à la tête de la Marche de la Dignité avait fait l’objet d’un consensus inédit parmi les associations de l’immigration et des quartiers. Aucune d’entre elle n’avait rejeté la question raciale comme champ d’organisation stratégique. Par ailleurs, la question de « l’autonomie des mouvements de l’immigration » pénétrait peu à peu – de manière amplement problématique – certaines franges de l’extrême-gauche. Néanmoins, si « l’autonomie » des mouvements de l’immigration faisait alors office de revendication assumée et soutenue par la gauche radicale, il fallait surtout en saisir sa signification réelle.



Le dépassement du spectre de la récupération



S’apparentant – à raison – au seul remède efficace pour neutraliser le spectre de la « récupération » politique, la revendication d’« autonomie » finissait de planter son drapeau dans nos milieux. Néanmoins, sur le chemin de l’autonomie, la tentation du « confort des marges » et de son corollaire, le sectarisme, tendaient ses bras à ceux qui espérant n’avoir jamais à se « souiller » au contact du champ politique blanc se condamnaient dans le même moment à demeurer à sa périphérie, sans jamais pouvoir y influer. L’autonomie telle que revendiquée par la Marche de la Dignité avait ceci d’historique qu’elle s’inscrivait très clairement dans la constitution d’un rapport de forces avec les forces politiques blanches. Elle s’imposait alors comme le manifeste d’un antiracisme indigène qui ne se contentait plus d’un statut revendicatif ou protestataire. Par exemple, quand la MAFED a obtenu et s’est réjouit du soutien du Parti communiste, alors que la mairie PC de la Courneuve venait de procéder au démantèlement désastreux du plus vieux bidonville de France où vivaient près de 300 familles rroms, elle savait qu’elle ne se faisait pas « récupéré ». Elle s’est satisfaite que le PC ait été contraint de s’aligner derrière un agenda politique qui l’accusait en substance de participer lui-même au racisme d’État, et en l’occurrence à la rromphobie. Pour autant, il n’était pas non plus seulement question de limiter l’exercice du rapport de force à la simple imposition des thématiques indigènes au sein des organisations. La recomposition des forces politiques autour des revendications indigènes n’aura toujours de sens que si elle est accompagnée du renforcement d’un front de l’immigration, constituée en force politique organisée. C’est là un point qui tendait à s’affirmer et la Marche de la Dignité en aura incontestablement été l’un des ferments stratégiques. Ce front unitaire, composé des communautés afro-descendantes, arabes, musulmanes et rroms, a élargi la question de la légitimité des « premiers concernés » au sein d’une lutte antiraciste qui ne s’envisage plus seulement comme un simple « dysfonctionnement » parcellaire de la République.



La persistance du chantage à l’exemplarité



Par ailleurs, une tendance majoritaire des soutiens blancs et de certains indigènes s’était exprimé par la mise en avant dans leur récit de la Marche d’une dynamique « intersectionnelle » qui aurait structuré la composition du MAFED, quitte à minorer, ignorer, voire regretter l’autre dynamique purement antiraciste, non-articulatoire, pourtant seul véritable point de ralliement officiel. L’articulation avait pris la forme d’une bataille d’arrière-gardes fraternalistes qui maintenait, par ailleurs, la traditionnelle injonction à l’exemplarité réservée aux mouvements de l’immigration.



À ce titre, la distinction par les soutiens blancs, soucieux d’avoir à justifier leur présence ou leur absence à la Marche, entre les bons et les « mauvais indigènes » avait ainsi fait osciller le sort du PIR entre une occultation totale, une relativisation excessive sous le louvoiement du type « on ne peut pas être d’accord avec tout le monde », et une campagne de diabolisation. Il était dès lors regrettable de constater que la fonction de ces diverses stratégies, si elles n’avaient fait que confirmer l’indépendance politique du PIR en termes de contenu et d’organisation, avait contraint certaines des organisations partenaires à se justifier ou à éluder la question sans oser prendre clairement la défense du PIR, qui demeure la seule attitude de principe capable de garantir la force et la cohésion d’un front de l’immigration.



« Le PIR est partout, le PIR est nulle part »



L’évocation obsessionnelle dont nous avons été l’objet, aussi bien dans le traitement médiatique de la Marche que dans les débats internes aux organisations qui ont soutenu ou non l’initiative, n’est pas à relayer au statut d’une simple bataille de « chapelles ». La cristallisation des tensions, silences gênés et défenses feintes autour du PIR a une fonction politique qu’il faut analyser comme tel. Qu’a-t-il été reproché au PIR qui n’avait pas été reproché au moins une fois aux autres organisations « islamo-gauchistes » présentes dans l’organisation de cette Marche ? L’antisémitisme, le racisme anti-blanc et le communautarisme ? Ces trois procès, traditionnellement réservés aux mouvements de l’immigration à partir du moment où ils luttent contre le sionisme, le racisme institutionnel et cherchent à s’auto-organiser, semblent avoir un impact différencié lorsqu’il vise le PIR et – d’une autre manière – des personnalités tels que Tariq Ramadan, Ismahane Chouder, Saïd Bouamama ou encore le rappeur Médine. En vérité, ce n’est pas à partir de désaccords idéologiques que le PIR suscite tant de crispations mais à cause de l’instrument politique qu’il incarne. Sa forme « parti » alarme car il est la matérialisation avant l’heure de la puissance indigène en cours d’organisation. Qu’il ait joué un rôle important dans l’organisation de la Marche n’a pas à être honteusement occulté. Le PIR poursuit depuis sa création l’ambition déclarée d’un front commun de l’immigration. Il ne s’agit ni d’une conspiration machiavélique ni d’une manipulation de l’intérieur. Il est un projet politique qui ne sera rendu possible qu’avec le ralliement des autres organisations de l’immigration. Qu’on ne s’y trompe pas : demander aux organisations de l’immigration de faire le ménage en se désolidarisant ou en se justifiant de leur collaboration avec le PIR n’a pas d’autre visée que de disqualifier la perspective d’une force politique indigène qui n’aurait pas seulement la forme de mobilisations unitaires successives mais d’une véritable organisation des forces de l’immigration.



La République accusée



La présence dans le cortège de portraits des grandes figures de la résistance anticoloniale telles que Frantz Fanon, Malcolm X, Djamila Bouhired, Leila Khaled, Yasser Arafat marquait la reconnaissance du continuum colonial dans la structuration actuelle des rapports sociaux. L’historicisation du racisme d’État conférait à ce nouvel antiracisme une dimension proprement accusatrice de la République jusque dans ses fondements. Il ne s’agissait plus désormais pour les enfants de l’immigration postcoloniale d’aller quérir « l’égalité », revendication qui a fini par servir les intérêts d’une idéologie intégrationniste, exhortant les immigrés à « devenir des Français comme les autres », c’est-à-dire à se conformer au modèle identitaire et normatif d’une France blanche. En ceci, la « Dignité » s’inscrivait dans un contexte mondial de contestation de l’hégémonie blanche et de la domination des pays du Nord sur les pays du Sud, illustrée notamment par le parrainage d’Angela Davis, le soutien de Djamila Bouhired, d’Aminata Traoré, Leila Shahid, et de mouvements tels que le Black Lives Matter…



Des femmes en tête



L’autre grande caractéristique de la Marche de la Dignité résidait dans le choix de la non-mixité du collectif organisateur. Si elle a globalement suscité l’enthousiasme des soutiens blancs, contrairement au critère jugé « discriminatoire » de la race sociale, elle a pu faire l’objet d’un malentendu quant à sa supposée dimension « féministe », bien que cette dernière ne soit jamais apparue ni dans l’appel ni dans les communications officielles du MAFED. En prenant le contrepied de l’idéologie républicaine, à l’origine de multiples instrumentalisations des femmes de l’immigration contre les hommes de leurs communautés, la solidarité des femmes du MAFED aux hommes victimes des crimes policiers a réalisé le coup de force de détourner la politisation du genre au profit des intérêts des mouvements de l’immigration et de donner à voir la réalité de l’implication des femmes dans les luttes sur les violences policières et le racisme d’État (1). Ce renversement magistral n’a, par ailleurs, rien d’artificiel. Alors que les hommes de l’immigration subissent une continuelle et intense politique de répression policière qui les précarise et limite leur capacité d’organisation, ce sont naturellement des femmes qui ont investi le terrain de la lutte contre les violences policières en s’interposant entre les hommes et la police d’État. Au-delà de la question des crimes policiers, il convient de rappeler que la matérialisation de l’islamophobie d’État via la loi anti-voile 2004 et l’affaire des nounous voilées a visé spécifiquement les femmes musulmanes, ce qui a finit de rompre le lien déjà érodé entre elles et l’État français, entraînant inévitablement leur politisation. En vérité, si le MAFED était aussi composé de groupes féministes qui avaient leurs revendications propres, son réel rapport avec le féminisme, c’était d’abord l’absence totale de soutien des organisations féministes traditionnelles, qui n’est pas sans signification. Là encore, la question de l’islamophobie était à l’origine, chez elles, de crises internes, à l’image d’Osez le féminisme qui venait d’essuyer la même année le départ de militantes mettant en cause les relents islamophobes de l’association. Boomberang renvoyé à la figure d’associations telle que Ni Putes Ni Soumises, dont la complicité avec le pouvoir raciste a fini par lui faire perdre toute crédibilité et légitimité dans les quartiers, le MAFED aura imposé dans sa scénographie l’image redoutable d’un peloton de femmes de l’immigration brandissant une banderole de tête où sont affichés les portraits d’hommes victimes des crimes policiers racistes depuis plusieurs décennies.



Dans la lignée des « absences qui en disaient long », il faut souligner celle des organisations antiracistes traditionnelles qui confirmaient leur désertion des milieux de l’immigration. En refusant de s’associer à ces mobilisations, la LDH et le MRAP ont, par la négative, manifesté leur refus de céder les rênes de l’antiracisme aux indigènes et leur volonté de sauver leur leadership. Alors que la première s’acharne encore à vouloir faire condamner pour « antisémitisme » des militants honnêtes de BDS, le second flirte, depuis la disparition son ex-président Mouloud Aounit, avec une ligne politique douteuse en s’évertuant à faire reconnaître la réalité du « racisme anti-blancs » et en s’éloignant de la lutte contre l’islamophobie.



Le PS inquiet



« Au PS, la participation à la Marche de la Dignité fait débat » (2) : la bonne nouvelle nous venait de l’hebdomadaire Marianne. Au centre du débat, la présence dans le cortège d’élus de la gauche et notamment du député socialiste Pouria Amirshahi, chahuté pour s’être associé à une initiative dans laquelle le PIR était partie prenante. Cette dissidence au sein du PS se situait sur une ligne de crête entre la volonté de réinvestir les milieux issus de l’immigration en s’adaptant à son nouveau visage, plus radical, anti-intégrationniste, soucieux de son autonomie et celle de sauver la gauche socialiste de sa débâcle annoncée à l’approche des régionales. À cet égard, la Marche, ouvertement anti-PS, et qui avait vocation à s’adresser aux banlieues où se joue une part importante de la campagne, leur est apparue comme une vaste opposition, réunissant toutes les forces à la gauche de la gauche, elles-mêmes en pleine campagne pour les régionales.

Il est en effet remarquable de constater que les interventions publiques les plus critiques contre la Marche n’émanaient pas de franges groupusculaires ou d’éditocrates isolés mais bel et bien de l’appareil institutionnel. En témoignent la ténacité féroce avec laquelle Gilles Clavreul, délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l’antisémitisme (Dilcra), s’est évertué à faire campagne contre la Marche, en multipliant les procès d’antisémitisme, de communautarisme et d’homophobie et celle du franc-tireur de Claude Bartolone, Pierre Kanuty. Par ailleurs, l’annonce d’une nouvelle « plateforme » lancée par Pouria Amirshahi, « mouvement commun », qui se voulait le pendant français du parti espagnol Podemos (signataire de la Marche), indiquait déjà une réfection en cours au sein du PS, notamment sur la question des banlieues et du racisme. Il fallait, cependant, l’accueillir pour ce qu’elle est : le résultat d’un rapport de force imposé par le nouvel antiracisme indigène et l’amorce d’une riposte naturelle avec laquelle le front de l’immigration devra manœuvrer stratégiquement, avec la même intransigeance formulée en 2014 sous la forme du « serment de Gaza » (3). Car l’adversaire le plus redoutable du PS, c’est bien cette auto-organisation des quartiers avec laquelle il est contraint aujourd’hui de composer, mais qu’il invitait en filigrane à saboter à la source : « Ceux-là même qui s’inquiètent de voir un certain nombre de partis ou de collectifs progresser et s’auto-organiser, ne peuvent s’en prendre qu’aux causes de cette progression, c’est-à-dire le recul de la République, de l’État et des partis dans les quartiers populaires.”, (4) expliquait Pouria Amirshahi, qui n’a même pas eu la ruse de retourner la critique « anti-républicaniste » des quartiers en valorisant leur politisation. Le recul de la République, c’est l’auto-organisation des quartiers ? Soit. Dans ce cas, nous disions : continuons à la faire reculer !



Partie 2 :

L’an d’après



La Marche de la Dignité n’a enfanté aucun monstre. Nulle récupération, nulle succursale socialiste façon SOS Racisme, nul vautour apparatchik n’a pu y grappiller sa pitance. De son annonce par Amal Bentounsi lors des 10 ans du PIR, en mai 2015, à son accomplissement sur la place de la Bastille, elle aura été – le plus scrupuleusement du monde – maintenue entre les mains de l’immigration postcoloniale et des quartiers populaires. Si elle n’a pas donné naissance à une « structure » formelle, elle a engagé l’élaboration d’un nouveau territoire où se rejoignent les organisations antiracistes indigènes désormais reconnues sous le label « antiracisme politique ». C’est là son butin le plus estimable : avoir permis la confluence solidaire des forces de l’immigration autour d’un projet politique commun. Survenue par le renforcement des liens entre les organisations et les militants jusqu’alors dispersés dans leur front de lutte respectif, cette convergence a su témoigner de sa stabilité dans le temps par les mobilisations organisées par ce même front l’année qui a suivi la Marche, dans un contexte particulièrement répressif. Par ailleurs, au-delà des bénéfices organisationnelles, la Marche a permis – au prix de bon nombre d’anathèmes – d’attirer un public plus large vers des notions jusqu’alors inaudibles dans le débat public telles que les « races sociales », « la blanchité », « le racisme d’État », la « pensée décoloniale », entraînant ainsi une restructuration idéologique des milieux de l’immigration dans le sens d’une dynamique plus radicale et plus audacieuse.

Bien entendu, cela était sans compter les attentats du 13 novembre 2015 qui allaient bouleverser la donne. Il faut le reconnaître, les tragiques événements de novembre 2015 ont porté un coup sévère, à la dynamique engagée par la Marche, en renforçant les moyens coercitifs de l’État vis-à-vis de mouvements dits « islamo-gauchistes ». Un véritable arsenal de guerre intérieure – état d’urgence, des milliers de perquisitions dans les familles, les commerces, les associations et les lieux de culte musulmans, des centaines d’assignations à résidence… – s’est déployé à des fins d’intimidation de la communauté musulmane et des organisations qui travaillent à la défense de ses intérêts. À l’extérieur, le renforcement des bombardements en Irak, en Syrie et en Afrique poursuivait son massacre dans un esprit de revanche, dépêchant sur les routes de l’exil des millions de réfugiés. Face à cette offensive islamophobe hors-du-commun, un collectif d’associations, dont les organisations de l’antiracisme politique, ainsi que des personnalités ripostaient en appelant à un grand meeting à la Bourse du Travail de Saint-Denis le 11 décembre 2015. Intitulé « Pour une politique de paix, de justice et de dignité », le meeting, qui a fait salle comble, réunissait des personnalités telles que Tariq Ramadan, Salma Yaqoob, Ismahane Chouder, Alain Gresh, Michel Tubiana, Laurence Blisson, Omar Slaouti et des organisations telles que le CCIF, le PIR, la BAN, le FUIQP, La Voix des Rroms, l’UJFP… autour d’une dénonciation ferme de la politique islamophobe, liberticide et impérialiste menée par le gouvernement socialiste. En pleine campagne régionale, l’événement avait alors poussé le Premier ministre Manuel Valls à intervenir, fustigeant publiquement Clémentine Autain, porte-parole d’Ensemble, coupable non pas d’avoir signé l’appel au meeting mais seulement d’avoir laissé publier l’information sur le site d’Ensemble ! Les chances électorales du PS étant presque réduites à se reposer sur le chantage du « vote utile » face à la menace du FN, le refus franc d’appeler à voter PS exprimé par les organisateurs lors de ce meeting a su toucher un point sensible au plus haut sommet de l’État. Il n’était désormais plus question de servir de vivier de voix opportunément mis à disposition des partis de gauche comme de droite. La percée historique du FN lors des régionales 2015 ne se sera pas fait attendre et, avec elle, la nécessité d’une nouvelle force rivale, indépendante de l’échiquier traditionnel. Les cartes ainsi rebattues, les antiracistes politiques seraient désormais les seuls à même d’engager un rapport de force dans cette nouvelle configuration.

La séquence qui allait suivre a été riche d’enseignement sur l’imperméabilité des luttes de la gauche blanche et des quartiers populaires. Alors que les mobilisations des organisations non-blanches se sont multipliées pour dénoncer l’islamophobie, la négrophobie d’État (dont les propos racistes de la ministre Laurence Rossignol) et les guerres impérialistes sans provoquer de soulèvement massif de la population, la loi El-Khomri a rencontré un imposant mouvement de contestation, débouchant sur le mouvement Nuit Debout. Ce dernier, dont l’homogénéité sociale n’a échappé à personne, à commencer par lui-même, s’est trouvé affaibli par l’absence des habitants des quartiers populaires. Alors que l’appel à la « convergence » se mettait à traverser toutes les bouches, le PIR répondait dans un communiqué amplement discuté : « le paradis pour tous ou l’enfer pour tous ! » Analysant l’échec de la convergence voulue par le mouvement Nuit Debout, le PIR lançait alors un défi : « Nous ne grossirons pas vos rangs pour garantir vos privilèges. Notre histoire nous a assez appris à décliner l’invitation. C’est à vous de venir grossir les nôtres et nous convaincre de votre capacité à sortir du consensus postcolonial et raciste en défendant nos exigences fondamentales. » (4)

Nous le remarquions déjà, la chronologie de ces deux séquences (État d’urgence/Loi El Khomri) n’était pas anodine. Les milieux blancs étaient en train de payer pour leur indifférence passée vis-à-vis d’un état d’urgence qui ne les touchait pas directement. Renforcé par son offensive dans les QP, l’État, impunément radicalisé dans sa tendance autoritaire, avait gagné du terrain.

Subissant des campagnes de dénigrement et des attaques de plus en plus frontales, les organisations de l’antiracisme politique appelaient ainsi à un meeting le 25 mai dernier à la Bourse du Travail de Saint-Denis, sous forme d’un grand procès public : « L’antiracisme politique face aux inquisiteurs». Au-delà de la volonté de préserver la dynamique décoloniale de la Marche de la Dignité en renforçant la cohésion d’un front de plus en plus unitaire, il était question d’œuvrer à une politique d’alliance avec le mouvement social « le plus pugnace possible », en évitant le piège de la convergence comme simple incantation abstraite : « Les classes subalternes blanches et descendantes de colonisés partagent, certes, des tas de problèmes qui dessinent un espace politique commun, mais les unes et les autres ne vivent pas sous les mêmes régimes d’exception, dans les mêmes imaginaires, avec la même mémoire des luttes, avec les mêmes clivages, les mêmes trahisons ni les mêmes victoires. Ces différends ne sont pas à mettre de côté, ils sont à mettre sur la table – des négociations. C’est à cette condition que nous ferons bloc. »

Des meetings de l’antiracisme politique à la Bourse du Travail de Saint-Denis au camp d’été décolonial, réunissant pendant plusieurs jours près de deux cent militants de l’immigration autour de thématiques liées à l’antiracisme politique – le processus initié par la Marche de la Dignité a prouvé son succès en survivant à un contexte politique particulièrement rude.

Mais l’Histoire ne s’arrête jamais. Alors que la mort tragique d’Adama Traoré, jeune homme noir tué entre les mains de la gendarmerie a déclenché une mobilisation importante des habitants de quartiers, le cauchemar des attentats du 14 juillet à Nice a renforcé jusqu’à l’extravagance l’offensive contre les populations issues de l’immigration postcoloniale : ratonnades en Corse, polémique sur le burkini, discours négationnistes de représentants politiques réhabilitant la colonisation et l’esclavage… Déjà les émanations nauséabondes de la campagne présidentielle qui s’annonce se font sentir. Plus que jamais, les liens que nous avons construits, et réussi à maintenir jusqu’ici, doivent nous permettre de développer une réponse politique à l’échelle des enjeux de notre temps. Alors que tout le champ politique est bouleversé par la montée du FN et des questions identitaires, par la recomposition des partis traditionnels autour de ces dernières, nous avons plus que jamais l’occasion d’avancer stratégiquement nos pions.

Quel sera le rôle de l’antiracisme politique et du mouvement décolonial dans la campagne présidentielle qui s’annonce cynique et sans merci à l’égard des indigènes et des quartiers ? Va-t-il se montrer pugnace, poursuivre son développement et s’imposer comme une force qui compte ? C’est le pire que nous lui souhaitons.



PIR

Notes

Les militantes du PIR, Femmes de l’immigration : quel genre de militantes sommes-nous?
Bruno Rieth, Au PS, la participation à la « Marche de la dignité fait débat.
Communiqué du PIR, Présidentielles 2017 : Notre serment de Gaza au parti socialiste.
Communiqué du PIR, Nuit (blanche) Debout : comment sortir de l’entre-soi?




MO2014

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Message  Lorry Mer 30 Nov - 0:42

Pour faire plaisir à Bouteldja et au PIR (et plus modestement à MO2014, épris, comme on le sait, d'égalité et de liberté):

http://www.parismatch.com/Culture/Art/Photographie-Ni-Allah-ni-maitre-une-vie-d-amour-et-d-atheisme-1128557#

Sami et Sabrine forment un jeune couple tunisien d’une vingtaine d’années. Il y a 4 ans de ça, Sabrine était étudiante en art et Sami gagnait relativement bien sa vie. Pour eux, la laïcité est une raison d’être. Leurs convictions politiques et religieuses leur valent d’être menacés par les islamistes radicaux tunisiens. En danger, ils décident de quitter leur pays pour rejoindre la Serbie. Mai 2013 marque alors un tournant dans leurs existences. Désespérés ils contactent Delphine Bauer pour demander de l’aide. Cette journaliste et Corentin Fohlen leur apportent alors la seule aide qu’il puisse leur apporter : raconter leur histoire. Corentin les suit durant tout leur périple depuis 2013 pour faire connaître leur combat, les difficultés, les échecs, les nuits dans les métros, les cigarettes de désespoir, les moments de joie et surtout leur amour qui triomphe de tout. « Sami et Sabrine sont un couple soudé. Soudé dans leur militantisme, soudé dans leur amour. Ils ont vécu et partagé la fuite, les menaces, les coups, la peur, le froid, la faim. Ils ont la conviction des utopistes, et l'énergie des réalistes. Ils ont soif de cette liberté, ils ne font pas de concession, sont militants jusqu'au sacrifice, engagés jusqu'au bout de la nuit. Je suis très admiratif car après tant de barrages dressés sur leur parcours, ils y croient encore. Ils sont une vraie leçon d'engagement. »

Lorry

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Message  MO2014 Mer 30 Nov - 1:12

Quel est le lien entre cet article de Paris Match et le Parti de Indigènes de la République ou mes propos ? Personne ne le saura. Lorry vient régulièrement déposer une provocation, souvent islamophobe et raciste, puis disparait quelques jours et revient pour refaire la même chose. Il s'est déjà fait exclure du forum avec divers blazes (dont le sinistre hadrien) mais il poursuit inlassablement son entreprise de démolition en ignorant tout de l'histoire du PIR et du trotskisme en Tunisie.  Contrairement à Lorry qui n'a jamais fait quoi que ce soit en Tunisie pour la révolution, il se trouve que Sadri Khiari, membre cofondateur du PIR, est aussi l’un des anciens animateurs de la IVe Internationale en Tunisie. Pour mesurer le gouffre qui sépare un Lorry qui s’extasie devant un article de Paris Match et Sadri Khiary, un révolutionnaire de la 4ème internationale en Tunisie, un militant inlassable du colonialisme voici une interview de 2012 retraçant une partie de parcours de Sadri Khiary :

Sadri Khiari,

Saleh Mosbah : Peux-tu reconstruire ta venue au trotskysme ?

Je voudrais d’abord remercier la « Tribune révolutionnaire » de porter attention à la mémoire du mouvement révolutionnaire marxiste en Tunisie, même si, force m’est de le reconnaître, je n’y ai joué qu’un rôle marginal contrairement à mes ambitions de jeunesse. Pour répondre à ta question, je dois te dire d’où je viens. Je suis né deux ans après l’Indépendance, dans une famille de militants communistes (membres du PCT), d’un père musulman et d’une mère juive, tous deux tunisiens, non-religieux, bourgeois déclassés, très fortement imprégnés de culture française quoique très attachés à l’indépendance tunisienne, comprise exclusivement comme indépendance politique et économique. Je suis en partie le produit de tout cela, c’est-à-dire, entre autre chose, de la colonisation. Très jeune admirateur de Lénine, je le suis toujours même si ce n’est pas nécessairement pour les mêmes raisons qu’à l’époque. Héritier d’un certain « élitisme » dont je ne me suis pas vraiment débarrassé, le regard polarisé par la France, largement extérieur à la société tunisienne sinon comme résidu de la période coloniale, j’étais de gauche comme on pouvait l’être à Paris, Rome ou Berlin, avec, comme cette même gauche à l’époque, une grande sensibilité à la question palestinienne. A Paris, Rome ou Berlin, on remettait en cause le stalinisme, c’est-à-dire l’idéologie et le système soviétique. Cette influence s’est ajoutée, lorsque j’étais adolescent, à la conscience très claire de la débâcle du Parti communiste tunisien. Arrivée à l’automne 1977 en France pour y poursuivre des études supérieures, je me suis « naturellement » inscrit à l’Université de Vincennes, réputée alors d’extrême-gauche, où j’ai immédiatement commencé à militer au sein d’un « Comité de défense des étudiants étrangers ». En parallèle, je cherchais à rencontrer des militants tunisiens pour m’engager à leurs côtés. Et c’est à travers un étudiant tunisien trotskyste – je pourrais le citer, mais je ne sais pas s’il en a envie – que j’ai connu la section française de la IVème internationale, la Ligue communiste révolutionnaire. Je dois avouer que leur propos m’a convaincu en à peu près trois minutes et quinze secondes. Ce n’est donc pas à travers un cheminement théorique et une réflexion sur les différentes gauches que je suis arrivé au troskisme, mais parce que j’éprouvais un besoin urgent de m’engager politiquement et que le trotskysme qui m’était présenté correspondait à ce que j’étais et à ce que je voulais être : enraciné dans tous les idéaux d’émancipation, universaliste et internationaliste, antistalinien et assez libertaire, très gauchiste aussi, je dois dire. Ce qui me séduisait également, témoignant de mes contradictions personnelles, c’est bien sûr qu’un groupe lié à la IVème internationale existait en Tunisie et surtout que la IVème internationale pensait la politique révolutionnaire en Tunisie ainsi que la libération de la Palestine, toute la Palestine !, dans le cadre de ce que nous appelions la « révolution socialiste arabe ». Je pleurais donc à l’évocation de nos camarades assassinés par la dictature baathiste en Irak ou mort au combat durant la guerre civile libanaise ; j’exultais des progrès annoncés de tel ou tel noyau trotskyste dans les pays arabes, et, plus généralement, je jouissais d’appartenir à une grande tribu de révolutionnaires qui mourraient et ressuscitaient dans tous les pays du monde. En vérité, je ne connaissais de la Tunisie que ce que publiaient nos camarades à Tunis et qui me semblent, aujourd’hui encore, bien raisonnables sur de nombreux plans. C’est en 1981 que je suis rentré en Tunisie, pressé de participer à la construction de la section tunisienne de la IV, toujours clandestine, dans un contexte que nous considérions très favorables. Et c’est à partir de là que j’ai commencé à connaître mon environnement tunisien réel, notamment lorsque j’ai pris la direction effective de notre organisation et que, rompant avec la timidité des anciens dirigeants, nous avons tenté de nous affirmer sur la scène étudiante et, sinon de sortir d’une clandestinité imposée, du moins de nous faire connaître en tant qu’organisation dans les milieux militants de gauche. A posteriori, je ne pense que cela ait été une erreur. Nous étions un petit groupe propagandiste et replié sur lui-même, plus une excroissance de la LCR française où tous nos militants avaient été formés, qu’un produit de l’histoire de la gauche tunisienne. Nous étions extrêmement gauchistes, mais cette ouverture sur l’extérieur a permis d’enrichir la gauche radicale tunisienne d’une tradition marxiste qu’elle rejetait depuis les délires vaguement trotskisants d’une frange du groupe « Perspectives ». Et, aujourd’hui, même si je m’en suis éloigné, il me semble positif que continue d’exister, aux côtés d’autres courants, une sensibilité se réclamant du trotskisme, formé à travers les luttes de classes en Tunisie et non plus sur la planète Mars. Mais, au risque de décourager les militants les plus jeunes, l’expérience du groupe auquel j’ai appartenu est loin d’avoir été un succès. Bien sûr les conditions n’étaient guère faciles et un trotskisme élémentaire, largement modelé par le gauchisme français, ne nous a pas aidé. Mais, pour les années où j’ai dirigé cette organisation, jusqu’aux alentours de 1993, la responsabilité de cet échec m’incombe. Il a bien fallu que je me rende à l’évidence : j’ai été un mauvais dirigeant. Ce qui est bien dommage parce que, malgré tout, bien des idées que nous portions auraient pu être fructueuses et, pour une part, le sont sans doute encore. Quoi qu’il en soit, il fallait bien essayer.

SM. : Quels ont été les rapports du groupe auquel tu appartenais avec le Rassemblement socialiste progressiste (RSP) de Nejib Chebbi ?

Pour en venir au RSP, qui est pour moi une vieille histoire, il y a deux épisodes reliés par une conviction qui, je le crois encore, était juste, en l’occurrence que le parti révolutionnaire que nous souhaitions construire ne se construirait pas à travers un processus linéaire et continue d’accumulation au sein de notre petit groupe ni au sein d’aucune des organisations d’extrême-gauche qui existaient alors. Même si parfois nous avons cédé à l’illusion narcissique d’être le noyau du futur parti révolutionnaire, je crois pouvoir dire que l’idée généralement prédominante en notre sein a été que si ce parti devait se construire ce serait à travers une dynamique historique complexe, qu’alimenteraient tout à la fois une radicalisation et une politisation de l’UGTT, en tant qu’espace hégémonique d’organisation des travailleurs, la formation au sein de cet espace d’une « avant-garde » ouvrière et une recomposition idéologique et organisationnelle des mouvements de la gauche radicale. Tout en construisant notre propre organisation, nous avons agi de manière à favoriser ces processus et leur convergence. Au tournant 1981-1982, si tu te souviens de la situation d’alors, malgré la fin du cycle de mobilisation à l’échelle mondiale et la nouvelle offensive impériale qui se dessinait, en Tunisie, il semblait en quelque sorte que l’histoire nous donnait raison et je pense que cela aurait pu être le cas n’eut été les grosses erreurs des dirigeants de gauche et des syndicalistes les plus radicaux. Je demeure convaincu à ce jour qu’une occasion historique a été manquée et que le régime de Ben Ali en a été le prix. Bref, à cette époque-là une frange de militants, en rupture d’organisation, et des syndicalistes cherchaient de manière plus ou moins convergente à faire émerger un nouvel espace politique de gauche capable d’être un cadre de regroupement et de dépasser la sclérose idéologique et le sectarisme des organisations existantes. Nous étions en relation avec ces militants et ces syndicalistes et nous voulions encourager ce processus. C’est ainsi que lorsque certains d’entre eux, dont à l’époque Néjib Chabbi, Sihem Ben Sedrine, Salah Zeghidi, Omar Mestiri, Cherif Ferjani, Noura Borsali, et d’autres encore ont entamé des discussions pour donner forme à ce projet, nous nous y sommes investis, représentés officieusement par Abdelaziz Basti – duquel d’ailleurs, j’avais beaucoup appris – et moi-même. Je pense que c’était juste, pour le petit groupe que nous étions, de tenter cette expérience. Il ne faut pas juger de la trajectoire ultérieure des uns et des autres pour se faire aujourd’hui une opinion. La majorité des militants qui étaient impliqués étaient radicaux et même, le plus droitier, Néjib Chabbi, peut être considéré, à cette époque, comme ultra-gauchiste par rapport à ce qu’il est devenu. Malgré cela, avec d’autres militants, nous l’avions mis en minorité et il s’était retiré du projet. La dynamique de celui-ci a été brisée dans l’œuf par l’incarcération de plusieurs d’entre nous pendant quelques semaines et l’inculpation de beaucoup d’autres. Certains se sont découragés, comme il arrive toujours face à la répression, d’autres se sont ralliés à Néjib Chabbi autour d’une seule idée, la nécessité de profiter du coup de pub donné par les arrestations pour lancer un nouveau parti (le RSP), quitte à régler ultérieurement les divergences, d’autres encore, minoritaires, ont refusé de s’y associer. La deuxième expérience avec ces mêmes militants date, je crois, de deux années plus tard et, bizarrement, je m’en souviens beaucoup moins. Je suis incapable de me rappeler pourquoi nous avions décidé alors, non pas de nous dissoudre, mais d’intégrer en groupe le RSP. Avons-nous eu tort ou raison de le faire, je n’en sais rien. Je sais par contre que nous nous y sommes comportés comme des bovins, bourrés d’illusions que nous pourrions convaincre de nos thèses les nouveaux militants que la relative tolérance dont bénéficiait le RSP lui permettait d’attirer. Nous en sommes sortis assez rapidement quand d’autres perspectives de construction ont semblé s’offrir à nous. C’est, je crois, le début de l’Organisation des communistes révolutionnaires (OCR).

SM. : Peux-tu me parler des débuts de OCR ?

J’ai vécu la période de l’OCR avec beaucoup d’enthousiasme. Je ne suis pas certains cependant de l’enchaînement des faits dont je vais parler. Il faut donc prendre mes souvenirs avec précaution. S’étaient intégrés à nous quelques petits groupes et militants de différentes régions (sidi bouzid, jerissa, etc.), investis pour certains dans l’activité syndicale, ainsi que des étudiants qui étaient actifs dans plusieurs facultés. La plupart de ces militants étaient issus de couches populaires, parfois très défavorisés, vivant parfois en zone semi-rurale. C’était, à notre échelle, une véritable mutation tant dans la composition sociale des militants que dans leurs parcours politiques et leurs expériences de terrain. Je crois pouvoir dire qu’à cette époque nous étions particulièrement optimistes et activistes. Nous avons agi comme si nous avions les responsabilités d’un parti révolutionnaire en miniature. Nous étions en outre focalisés par les autres groupes de la gauche radicale comme le PCOT et la « famille watad », que nous espérions pouvoir rapidement rattraper, en termes d’audience et de forces militantes. Je crois que cela a accentué notre tendance activiste qui implique nécessairement une multiplication des tâches, bien au-delà de nos capacités réelles, et par conséquent d’importantes difficultés d’organisation. Sans entrer dans le détail, nous étions également très propagandistes et particulièrement gauchistes, alors même que nous entrions dans une phase de crise et de reflux du mouvement des travailleurs. À travers l’UGTT ou les mouvements étudiants et lycéens, nos militants participaient bien sûr à toutes les batailles menées contre le pouvoir. C’est peut-être ce qu’il faut retenir, d’autant plus que beaucoup l’ont fait au détriment de leur vie professionnelle, scolaire et personnelle. Sur le plan politique, hélas, ce qui nous a caractérisé, c’était un manque de maturité. Ce qui nous a conduit très rapidement à une scission, suscitée, je dois le dire, par des divergences sur des questions qu’on aurait pu reporter à bien plus tard tant elles étaient secondaires dans le contexte politique de l’époque. Ces divergences portaient sur la notion trotskyste classique de « programme de transition » ainsi que sur les mots d’ordre de « gouvernement ouvrier et paysan » et d’assemblée constituante. Au bout d’un certain temps, nous nous sommes retrouvés mais la scission nous avait quand même coûté très cher. Nos activités se sont poursuivies par la suite, progressantes et stagnantes à la fois. Je crois que nous devons notamment de nous féliciter de n’avoir eu aucune illusion lors du coup d’État de Ben Ali. Nous n’avions aucune raison de regretter l’éviction de Bourguiba mais, pour autant, contrairement à beaucoup d’autres militants à gauche, nous n’avons jamais pensé que Ben Ali engagerait une quelconque « transition démocratique ». Vient la première guerre impérialiste contre l’Irak et nous avons bien sûr mobilisé toutes nos forces dans action de soutien à l’Irak. Sur cette question, nous étions d’ailleurs en divergence avec les positions de la IVème internationale. Celle-ci dénonçait l’occupation du Koweït et, tout en s’opposant très vigoureusement à l’intervention militaire impérialiste, condamnait également le régime irakien. Quant à nous, sur le premier point, nous affirmions que l’occupation du Koweït était tout à fait légitime quoique engagée maladroitement, sans tenir compte du rapport des forces. Malgré cela, nous étions convaincus, qu’un retrait sous la menace américaine serait désastreux et vécu par les masses arabes comme une nouvelle défaite. Il est vrai que, comme beaucoup, nous nous sommes laissés aller à croire que l’armée irakienne et le peuple irakien résisteraient plus longtemps à une guerre et que, dans ce cas, la coalition regroupée autour des États-Unis ne tiendrait pas le coup tandis que se développerait une puissante mobilisation dans le monde arabe. C’était une grave erreur et a posteriori il apparaît évident qu’il aurait mieux valu que l’Irak cède aux injonctions américaines et se retire du Koweït. En même temps, il est certain que les États-Unis auraient rapidement trouvé un autre prétexte pour détruire l’Irak. Sur le deuxième point de divergence avec la IVème internationale, nous n’avions certes aucune sympathie pour la dictature baathiste mais nous pensions que, dans une situation de polarisation politique extrême, il fallait choisir son camp sans ambigüité et que la dénonciation du régime de Saddam Hussein, même accompagnée d’une opposition ferme à la guerre impérialiste, était complètement inaudible dans les pays arabes. Je pense toujours que, sur ce point, nous avions raison. Mais, d’une certaine manière, je ne pense pas que la IVème internationale avait tort. En vérité, les divergences entre nous soulèvent un problème très important : le fait que, d’un même point de vue révolutionnaire, on peut défendre des positions différentes voire opposées dans des champs de lutte à la fois autonomes et intégrés. Ainsi, la position de la IVème internationale, reflétait à mon avis la prédominance en son sein des sections euro-américaines, polarisées à juste titre par les impératifs de la mobilisation anti-guerre en Europe et aux États-Unis. Dans ces pays-là, c’était une politique révolutionnaire ; dans le monde arabe, cela aurait été une politique contre-révolutionnaire.

La fin rapide de la guerre en Irak a suscité une nouvelle crise en notre sein. Notre direction était divisée entre un courant qui faisait un bilan réaliste des conséquences de cette défaite et un autre, dont je faisais hélas partie, qui refusait d’accepter la défaite et continuait d’espérer un sursaut des masses arabes. Nous étions majoritaires ce qui nous a permis d’orienter l’action de l’organisation dans un sens encore plus activiste que ce n’était le cas ; je dirais même totalement aventuriste, et avons pris des risques absurdes, sans comprendre que le pouvoir avait entamé le tournant répressif qui allait conduire à l’instauration de la dictature policière. Là encore, nous en avons payé le prix fort en termes de répression. A cause de cet aveuglement, de nombreux camarades se sont retrouvés en prison et, avec le reflux général des mobilisations dans le pays, notre marge d’action s’est considérablement étiolée. C’est là qu’a commencé la décomposition de l’OCR comme organisation politique même si tel ou tel militant a pu s’en réclamer dans les années suivantes. Je me dois de rappeler aussi qu’au début des années 1990, nous avons dénoncé la violente répression des militants d’Ennahdha, alors que l’écrasante majorité de la gauche et de la gauche radicale, y compris ce qui prétendent aujourd’hui le contraire, l’ont approuvé explicitement ou ont préféré se taire. Je mentionne cette position, dont je suis fier, parce que cela met en évidence l’un de nos paradoxes, en l’occurrence la capacité à définir des positions pertinentes dont l’efficacité n’a pas pu se déployer en raison d’une incapacité à nous débarrasser d’une culture gauchiste.

SM. : Est ce que tu peux être plus précis concernant les trois Congrès de l’OCR ?

Non.

SM. : Tu parles de décomposition de l’OCR, ce qui signifie l’absence de toute décision politique et organisationnelle d’autodissolution et justifie que d’aucuns aient continué une certaine activité légitime au nom de cette organisation. En ce qui te concerne, peut-on parler du choix d’une « errance politique » à partir de 1992 jusqu’en 1998 plutôt que de continuer dans le même esprit ?

Contrairement à ce que tu dis, je n’ai pas fait de choix d’errance, comme tu dis, ni d’ailleurs aucun choix. J’ai en quelque sorte suivi le mouvement de décomposition de notre organisation et à un moment donné, il a bien fallu que je constate que je n’étais plus organisé. Dire que j’ai une responsabilité particulière dans cette décomposition est par contre tout à fait justifié dans la mesure où j’en étais de fait le principal dirigeant. Une organisation politique, ce n’est pas une bande de copains qui sont proches politiquement et se voient régulièrement, c’est une identité politique commune, c’est des militants et des instances dont l’articulation assure le fonctionnement d’ensemble dans un but donné. Selon mes souvenirs, à partir de 93/94, la mécanique de l’OCR ne fonctionne plus, ses instances ne se réunissent plus en tant que telles, des militants continuent d’être actifs mais en toute indépendance, chacun pour soi. C’est cela que j’appelle une décomposition. Il n’y a donc effectivement pas eu de décision d’autodissolution et il ne pouvait justement pas y en avoir puisque les structures ne fonctionnaient plus. Que certains militants qui ont maintenu une activité militante inorganisée aient continué à se revendiquer de l’OCR, ce n’est ni légitime ni illégitime puisque les structures qui constituaient l’OCR n’existaient plus, or seules ces structures auraient été habilités à dire ce qui est légitime et ce qui ne l’est pas. Dire je représente une organisation qui dans la réalité n’existe plus, c’est un mensonge et rien n’empêche de mentir si on juge que c’est politiquement utile. Dire je me revendique d’une identité politique qui était celle de l’OCR, c’est autre chose et tout un chacun, même s’il n’a jamais été à l’OCR, peut le faire à sa guise. Quant au nom de l’OCR, il appartient évidemment à tout le monde. En 2000, lorsque Taoufik Ben Brick a fait une longue grève de la faim qui a obligé Ben Ali à satisfaire sa principale revendication c’est-à-dire avoir le droit de quitter le territoire à sa guise, Jalel Zoghlami qui faisait déjà partie de l’OCR dans les années 1980, a tenté de ressusciter cette organisation. J’ignore dans quel état d’esprit il a fait cela, s’il y avait des militants et si des structures ont effectivement fonctionné qui l’ont désigné comme porte-parole. Je ne vois pas, en tous les cas, au nom de quelle légitimité qui me serait propre, j’aurais pu lui contester le droit de le faire. Par contre, la IVème internationale dont les instances avaient accepté l’OCR, fondée dans les années 80, comme sa section en Tunisie peut évidemment, si elle le souhaite, ne pas reconnaître la continuité d’une organisation et lui contester le statut de section. Je précise que ce statut n’est pas donné à des individus mais à des structures. J’ignore si la question s’est posée ou non lorsque Jalel Zoghlami a voulu relancer l’OCR et, étant alors en dehors de tout cela, je n’ai pas à avoir d’avis là-dessus. En réalité, la question n’est plus l’appartenance à la IVème internationale, considérablement affaiblie depuis des années et dont le rôle en tant qu’organisation mondiale semble s’être épuisée. La question est celle de l’opportunité ou non, en Tunisie aujourd’hui, de construire une organisation autour d’une identité exclusivement trotskyste. J’ai cru comprendre que ce n’était pas le projet de la LGO, ce qui me paraît être la bonne voie.

SM. : Revenons un peu en arrière. Tu as dit « les délires vaguement trotskisants d’une frange du groupe « Perspectives » ». Cette évaluation ne serait-elle pas sévère du point de vue de l’histoire de quelques individualités ? Ce jugement peut-on l’étendre aux premiers qui ont été exclu du PCT en 1958 pour former le groupe Al Kifah ? Quelle était la nature exacte des aînés immédiats de OCR (c’est-à-dire ceux qui ont gardé la flamme entre 1966 et 1981, comme le groupe Nidhal et d’autres).

Je te ferais d’abord remarquer que j’ai été tout aussi sévère pour notre groupe et pour moi-même. Cela dit, tu as raison ; c’était une affirmation péremptoire et sévère. Plus le souvenir d’une critique qu’une critique étayée. Je te réponds spontanément sans consulter aucun document et très probablement mon jugement ne peut s’étendre à toute la production ni à toutes les pratiques de ces militants. Je ne peux d’ailleurs qu’avoir le plus grand respect pour des militants qui ont tant donné d’eux-mêmes et ont subi les persécutions, la torture et le bagne, pour certains pendant de longues années. J’ajouterais que les publications de « Perspectives » ainsi que les textes de débat interne à cette organisation, bien qu’inégaux, sont, pour ce que j’en connais, ce qui a été écrit de plus sérieux dans l’histoire de la gauche radicale tunisienne, indépendamment de savoir si on en approuve les arguments ou non. S’il faut reconnaître aux militants qui se sont peu ou prou réclamés du trotskisme à la fin des années 1950, c’est d’abord d’avoir inauguré en Tunisie l’émergence d’une gauche révolutionnaire. Cependant, la période d’al-kifah et des militants trotskisants qui ont participé à « Perspectives », c’est, pour moi, la préhistoire de la gauche révolutionnaire tunisienne et, sauf si on est historien, je ne crois pas indispensable de l’étudier plus profondément. Les débats qui l’ont traversés ne me semblent plus avoir de pertinence pour l’action politique. Je me contenterais donc d’un commentaire très général qui vaut ce qu’il vaut. Pour faire de la politique-fiction, j’aurais préféré que le marxisme révolutionnaire apparaisse à partir du mouvement yousséfiste plutôt qu’à partir du parti communiste. Je sais que cela ce marxisme révolutionnaire s’est constitué en rupture avec le PCT mais, qu’on le veuille ou non, qu’il ait été possible ou non à cette époque que les choses se développent autrement, il n’en reste pas moins que le profond européocentrisme de cette tradition a fortement marqué la toute première génération de militants radicaux de gauche. Pour quelqu’un qui s’y intéresserait, je suis certain qu’il serait fructueux d’étudier leurs positions stratégiques à la lumière de ce constat. Cela demande aussi à être confirmé, mais on pourrait penser aussi que la vague plus ou moins maoïste qui les a submergé par la suite était pour une part, mais pas seulement, une réaction saine face à cet européocentrisme. Il est regrettable bien sûr que ce soient les formes les plus primaires d’un maoïsme en pleine dégénérescence stalinienne qui aient été retenues et non ce qu’il y a de plus intéressant dans la pensée politique du grand révolutionnaire chinois. En ce qui concerne l’OCR, elle est apparue sans lien direct avec les expériences trotskisantes antérieures sinon dans l’esprit de ceux qui, pour contester nos thèses, nous ont assimilés à elles.

SM. : Alors comment, politiquement et idéologiquement, se situent tes textes de la période 2000-2003 par rapport à l’expérience de l’OCR ?

La plupart des textes que j’ai produits entre la fin 1998 et 2003 sont des textes d’intervention liés à mon engagement au sein du Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT) et à RAID-Attac auxquels je me suis consacré ces années-là. Il en a y eu d’autres, centrés sur l’analyse d’un moment ou d’un aspect de la situation politique, mais généralement bornés par les conditions de leur publication sur des supports disons académiques. Tout ce qui me semblait intéressant dans ces textes, comme d’ailleurs dans certains que j’avais écris étant encore à l’OCR, je l’ai repris dans « Tunisie : Le délitement de la cité » (dont le titre, pour le dire en passant, est de l’éditeur), en le retravaillant bien sûr. Ce livre, dont la forme tient compte d’un certains nombres d’impératifs liés à la nature non-militante de la maison d’édition qui a accepté de le publier, doit beaucoup évidemment à mon expérience antérieure, aux réflexions que nous avions eu au sein du mouvement trotskyste tunisien ainsi qu’à celles que j’ai eu par la suite, à travers d’autres expériences militantes. Je peux préciser aussi que l’ai rédigé alors que je venais de terminer une thèse sur l’État et la notion de bonapartisme chez Marx, sujet que j’avais justement choisi parce que je pensais qu’il m’aiderait à réfléchir le système politique tunisien. En fait, ce travail universitaire m’a permis beaucoup plus que cela puisque, pour la première fois, j’ai travaillé sérieusement sur Marx, Engels et même Trotsky, Lénine et Gramsci ainsi que sur d’autres auteurs. Tout cela m’a beaucoup servi pour ce livre comme pour tout ce que j’ai pu faire par la suite. Quoiqu’il en soit, ce livre est en premier lieu le fruit d’un parcours et d’interrogations en tant que militant. Je dois dire que jusqu’à ce jour, je suis largement incapable de réfléchir et d’écrire sans lien avec une pratique militante et les problématiques qu’elles génèrent. Pour moi, s’il y a une « science-politique », elle ne saurait être autre chose qu’une science de la stratégie politique. C’est pourquoi notamment elle ne peut seulement s’apprendre sur les bancs d’une bibliothèque ou à l’université. Elle ne peut être abstraite, conçue en dehors de tout engagement. C’est pourquoi aussi, dans ce livre, si parfois je feins une certaine neutralité, je m’inscris en réalité pleinement dans les controverses et les conflits qui ont traversé le champ politique tunisien, avec parfois aussi la contrainte tactique compréhensible de ne pas donner certaines informations ou de ne pas me montrer trop critique envers certains courants ou certaines personnalités. Sur le fond, ce livre qui se présente comme une analyse de l’État tunisien moderne, des dispositifs politiques propres au benalisme et des différents courants de l’opposition, pose un diagnostic et quelques pistes, qui étaient utiles à mon avis, pour la définition d’une stratégie. Le diagnostic central est que le benalisme représentait une tentative avortée de résoudre la crise du régime bourguibien entamée au tournant des années 1970-1980 et que n’eut été les circonstances internationales prédominantes au lendemain de la première guerre contre l’Irak et les politiques combinées de la bureaucratie syndicale et des forces de l’opposition, il n’aurait pas tenu le coup aussi longtemps. Le livre tente ainsi une analyse de la faiblesse intrinsèque des mécanismes de pouvoir sur lesquels s’appuyait Ben Ali et notamment de ce qui est en même la logique de la crise du régime et une stratégie de pouvoir, en l’occurrence la dislocation de la société sous l’effet d’un entremêlement incontrôlé de bureaucratisme, de libéralisme économique et de prédation népotique. Or, une société qui se disloque ou se délite perd assurément la maîtrise de ses solidarités internes ; elle perd ces capacités de résistance et de contestation organisée ; elle est contrainte, un temps, de se tourner pour continuer d’exister vers le pouvoir central et ses relais locaux qui en tirent leur force avant d’être en quelque sorte contaminée par ce phénomène. À terme, cela ne pouvait qu’exploser dans les conditions que nous avons connu, comme je l’ai suggéré prudemment dans la conclusion du livre. Cette perspective rendait notamment inopérante toute tentative de réforme graduelle du régime. Tout au long de ce livre, j’ai voulu montrer que l’État tunisien et ses formes sont d’abord le produit de rapports de forces sociaux très instables et mouvants. Il y a eu dans l’histoire et ailleurs des rapports de forces peu fluctuants qui ont permis la stabilisation durable de systèmes politiques divers, mais, en Tunisie, c’est à la fois le cas et cela ne l’est pas. Je ne peux ici rentrer dans le détail mais ce qui est important, me semble-t-il, c’est que, chez nous, tout dépend de la politique de l’UGTT, à la fois institution du pouvoir et force d’opposition au pouvoir, tout dépend des stratégies suivies par les oppositions. Et cela a été encore plus vrai après que Ben Ali ait pris le pouvoir. C’est ce qui m’a incité, en m’appuyant sur les informations dont je disposais, à tenter de comprendre les dynamiques internes de ces dernières et je pense que, sur l’essentiel, je ne me suis pas trompé. Par contre, je pense avoir sous-estimé deux choses. La première, c’est l’effet du 11 septembre, le renfort qu’il a apporté au pouvoir et son impact sur l’orientation des oppositions. La seconde, c’est la capacité de régénération de tendances contestatrices au sein de l’UGTT. Enfin, il y a sans doute une lacune dans ce livre mais je n’en mesure pas l’importance. C’est la prise en compte des continuités coloniales. Il y ait certes questions de la permanence de la dépendance économique et politique, mais je suis conscient que cela ne saurait suffire. Combler cette lacune exigerait un nouveau travail auquel, un jour peut-être, quelqu’un s’attèlera.

SM. : Tes textes depuis 2003 et surtout depuis 2005 me semblent rompre sinon avec le marxisme en général, du moins le trotskisme. Me semble le confirmer ton activité au sein des indigènes de la République après ton départ en France et la lecture que tu fais (cf. tes articles et interviews) de la révolution tunisienne…

Ah bon ? Ta réaction m’étonne. En général, on me reproche plutôt le contraire, d’être trop marxiste et d’être un trotskyste tout à fait orthodoxe. En vérité, je ne sais pas du tout si Marx et Trotsky me reconnaîtraient comme un des leurs. Et malgré le respect que j’ai pour l’un et l’autre, je ne m’en soucie guère et, quand j’écris un texte ou que je réfléchi sur une question politique quelconque je ne me demande plus « suis-je bien marxiste et trotskyste ? », comme j’ai pu longtemps le faire. Je m’en fous. Lorsque je connaissais à peine leur œuvre, je tenais à leur être fidèle, maintenant que je la connais beaucoup mieux, même s’il y a longtemps que je n’y ai pas retravaillé, je pense pouvoir à la fois en tirer le meilleur profit et m’en écarter voire même faire carrément chambre à part. Et puis à quel Marx faut-il se référer pour être marxiste ? Faut-il se référer au Marx, produit des Lumières, de son européocentrisme, de sa conception de l’histoire, de son scientisme, ou au Marx qui en fait la critique voire qui bât en brèche les présupposés de ces idéologies ? Faut-il se référer au Marx admirateur de la révolution bourgeoise ou au Marx qui en fait une critique dévastatrice ? Faut-il se référer au Marx qui se laisse aller à l’économisme le plus outrancier ou au Marx qui met la politique aux commandes de l’histoire ? Au Marx qui approuve la colonisation de l’Inde et de l’Algérie ou au Marx qui soutient les mouvements de libération anticolonialistes ? Au Marx qui traite Abraham Lincoln comme un frère ou au Marx qui en démonte le caractère bourgeois ? Au Marx qui pensait que l’histoire de tous les peuples du monde devait suivre la trajectoire de l’Europe occidentale ou au Marx qui suggérait que cela n’était pas nécessairement le cas ? On pourrait multiplier à l’infini ce type de questions sauf si, au-delà de ces questions, on pense qu’il existe un concept qui serait la vérité profonde du marxisme comme un philosophe de l’Antiquité grec pensait que la réalité manifeste n’était que l’incarnation imparfaite de concepts qui existeraient Dieu seul sait où. En tant que philosophe, tu devrais pouvoir me dire qui était ce philosophe.

Mais il s’en pose une autre aussi importante : que faire de toutes ces questions que Marx, concentré sur l’analyse du capitalisme, n’a pas abordé ou qu’il n’a fait qu’effleurer ? L’État, en premier lieu, les classes sociales, catégorie centrale chez lui qu’il n’a pourtant jamais définie, la nation, la culture, la religion, la relation de genre, et bien d’autres problématiques encore, dont toutes celles évidemment qui ne sont apparues qu’avec le développement ultérieur de la modernité capitaliste. Et je ne parle pas bien sûr des milliers d’interprétations de Marx qui ont été faites depuis et qu’on ne peut pas se contenter de balayer d’un revers de main comme s’il n’en existait qu’une seule de « fidèle », celle de Lénine et de Trotsky. Et Engels, que doit-on faire de lui qui a été en même temps le co-auteur de Marx et un interprétateur pas toujours « fidèle » lui non plus ? Doit-on le suivre quand il assimile caricaturalement le développement historique au processus d’évolution de la nature ? Doit-on le suivre quand il parle de « nations sans histoire » ? Quant à Trotsky, puisque ta question porte essentiellement sur lui, sa pensée politique me paraît avoir été assez homogène à partir de la révolution d’Octobre et son « assimilation » du « léninisme ». Mais, bien que reposant sur une base théorique forte, sa pensée est principalement orientée vers la résolution de questions stratégiques et tactiques en période d’ébullition révolutionnaire, une pensée surdéterminée à la fois par son expérience spécifique russe et par son combat contre le stalinisme triomphant. Sur toutes les questions de ce type qu’il a abordé on ne peut qu’être fasciné par l’intelligence politique redoutable qui est la sienne. Pour autant, je ne suis pas capable d’affirmer que les réponses qu’il a apportées aient toujours été les bonnes. Pour être un peu provocateur et faire encore de la politique fiction, je ne suis pas du tout sûr que si Trotsky avait dirigé le mouvement communiste chinois à la place de Mao, celui-ci aurait pu connaître le triomphe qui a été le sien en 1949. Je pense que Trotsky, comme Lénine, est une source incomparable d’enseignements pour réfléchir sur les questions stratégiques et tactiques mais je me garderais de dire qu’ils ne se sont jamais trompés dans leurs conclusions ou que ces conclusions sont toujours d’actualité aujourd’hui. Mais l’importance de Trotsky est aussi ailleurs. Je pense en particulier à la force de ses analyses sur la montée du fascisme en Allemagne ; je pense aussi à la théorie de la révolution permanente, à la fois théorie et stratégie, ou à celle du stalinisme et de la nature de l’État stalinien. Là encore, je dois d’abord rappeler que je n’y suis pas revenu depuis longtemps, mais la fameuse notion d’« État ouvrier bureaucratiquement dégénéré » que je continue de considérer comme la théorisation la plus pertinente sur la question, me pose quand même un problème. Elle présuppose la possibilité d’un État ouvrier non-bureaucratique alors que la bureaucratie est la forme d’existence de l’État. Et je ne sais toujours pas ce que signifie un « État ouvrier ». Que signifie la classe ouvrière constituée en pouvoir d’État ? Au-delà, cela pose également une question plus générale à tout le marxisme, celui de la classe ouvrière et de son « noyau dur » le prolétariat industriel comme sujet prédestiné de la révolution sociale et de l’émancipation. Et puis il y a la question de la révolution permanente. C’est une théorie magnifique, fort utile pour analyser certaines dimensions fondamentales du développement des processus révolutionnaires. Ce sont notamment les commentaires de Marx sur la révolution française et ses textes sur les révolutions européennes de 1848. C’est aussi bien sûr de multiples textes de Trotsky avec évidemment ceux qui concernent la révolution russe. Cette théorie a en outre le mérite de battre en brèche le marxisme le plus économiste et la vision linéaire du développement historique mondiale dont la dernière étape aurait pour sujet la classe ouvrière industrielle. Mais si elle le bât en brèche, elle ne le remet toutefois pas en cause et demeure de ce point de vue là tout à fait européocentriste. En dernière instance, ne présuppose-t-elle pas – même si ce n’est pas par les mêmes chemins, si les articulations entre les classes au cours du processus ne sont pas identiques, si les dynamiques internes des révolutions diffèrent – que de toute façon les histoires vont converger vers une finalité commune et le prolétariat industriel aura le dernier mot. Cela apparait nettement dans certaines formules souvent employées à propos de la révolution permanente, concernant la possibilité de « bonds en avant » de l’histoire, de « saut », de « transcroissance », de « contournement » ou de raccourcissement des « étapes ». Autrement dit, la théorie de la révolution permanente dépasse très certainement en pertinence l’étapisme stalinien mais partage avec lui beaucoup de points communs. Surtout, elle a trop souvent, me semble-t-il, était interprétée par le mouvement trotskyste d’une façon gauchiste, confondant une théorie général, un outil d’analyse et de stratégie dans le moment révolutionnaire avec une méthode valable en tout lieu et en tout temps, que la conjoncture soit révolutionnaire ou ne le soit pas. Dire par exemple qu’il n’y a pas d’« étapes historiques » incontournables ne signifie pas qu’il n’y ait pas des étapes dans la lutte ou l’on peut être amené à faire exactement le contraire de ce que l’on ferait dans le moment révolutionnaire. Et les étapes peuvent même exister au cours du processus révolutionnaire lui-même ! Prenons le cas de la Tunisie. J’avoue que je trouve complètement absurde de débattre de la révolution permanente. Franchement, les groupes qui s’accrochent encore à l’étapisme stalinien sont tellement aveuglés par des dogmes, qui leurs servent plus de repères identitaires que d’outils dans la lutte, qu’ils sont « identitairement » incapables d’écouter le moindre argument. Je suis très sceptique quant au fait que leurs « théories » (je devrais plutôt dire leur « théologies ») expliquent vraiment leurs choix politiques. Tout au plus servent-elles de légitimation ou permettent de faire accepter par leurs militants certains tournants qui pourraient les embarrasser comme par exemple le soutien au camp moderniste libéral ou la mise en avant des revendications démocratiques au détriment des revendications sociales. Mais je pense aussi que la stratégie de la révolution permanente se heurte à un autre problème concret dans notre révolution ; un problème qui tient moins à la dynamique interne des forces qu’aux rapports de forces régionaux et mondiaux. Je le dis tout de suite, je ne sais pas quelle solution apporter à cette équation de la discordance entre rapports de forces internes et rapports de forces externes. Dans notre situation, il est tout à fait réaliste de fonder sa politique sur le pari stratégique d’une prise du pouvoir par les forces populaires. Y parvenir est évidemment très compliqué et, aujourd’hui, difficilement accessible mais, comme disait je ne sais plus qui, le chemin qui mène de l’impossible au possible, c’est la lutte. Sauf qu’il y a les rapports de forces internationaux qui non seulement font obstacle à la réalisation d’un tel projet mais de surcroît, si les forces populaires parvenaient quand même au pouvoir, il y a de fortes chances qu’elles seraient écrasées en quinze jours. Certes, d’une certaine manière, la révolution permanente a raison de s’opposer à l’idée d’une autolimitation volontaire de la révolution qui pourrait se traduire en débâcle. Mais en même temps n’est-ce pas de l’aventurisme que de vouloir prendre le pouvoir dans le cadre des rapports de forces mondiaux actuels ? Cette question, on ne peut pas y répondre par la référence dogmatique à la théorie de la révolution permanente. Cela étant, je ne crois absolument pas qu’il faille relativiser ou mettre de côté les revendications sociales et je suis tout à fait opposé à une alliance avec les forces modernistes libérales. Mais ces deux questions ont très peu avoir avec la révolution permanente. Ce sont des choix politiques qui s’accordent parfaitement avec la simple révolution démocratique. L’augmentation des salaires, la lutte contre le chômage, le contrôle des prix, la préservation du secteur public, la protection du marché intérieur, l’intervention économique de l’État, sont des revendications économiques démocratiques même si évidemment elles bousculent le Capital. Comme je l’ai dit, je n’ai pas de solution à l’équation stratégique de la révolution tunisienne. C’est pourquoi – et en cela je suis « fidèle » à la stratégie de la révolution permanente et aux thèses qui étaient celle de l’OCR – je n’en vois de résolution possible que parce que la révolution tunisienne a enclenché un processus révolutionnaire à l’échelle arabe. Je le dis souvent : le principal acquis de la révolution tunisienne, c’est la révolution égyptienne. Car sans la révolution égyptienne, il n’y aurait pas ce processus révolutionnaire généralisé à l’échelle du monde arabe qui, malgré sa complexité extrême et les risques majeurs d’étouffement, et les centaines de milliers voire de millions de morts qui en résultera, hélas, peut seul donner des perspectives réelles aux masses populaires de nos pays.

Pour en revenir à mes textes depuis la révolution – en fait, il y en a un seul que je tiens pour important –, je ne saurais te dire non plus s’ils est marxistes ou pas et cela m’importe peu. Il est vrai que j’y relativise la détermination économique du déclenchement de la révolution. Mais cela n’a rien en soit de non-marxiste même si cela ne concorde pas avec une des idées formulées par Marx à propos des révolutions où il les définit sommairement comme le moment où rapports de production et forces productives entrent en contradiction. Par ailleurs, je dois dire que je ne crois pas qu’une large mobilisation révolutionnaire du peuple ait jamais été motivée par de simples revendications socio-économiques. Personne ne prend le risque de mourir pour des augmentations de salaire. Il se peut qu’un telle revendication soit le point de départ d’une mobilisation mais jamais on n’a pu et on ne pourra voir se développer à l’échelle de tout un pays, un mouvement de masse, communiant dans la colère et l’esprit de sacrifice pour des revendications économiques. Comprendre la révolution tunisienne, c’est comprendre quel est ce facteur qui a réussi à provoquer un tel processus. J’ai essayé de proposer quelques pistes, guère plus que des pistes, dans les textes dont tu parles.

Cela étant le texte le plus abouti que j’ai écris sur la révolution tunisienne et ses développements jusqu’à la constituante (« Tunisie : commentaires sur la révolution à l’occasion des élections », publié en trois parties sur le site du Parti des indigènes de la république) est caractérisé – tout simplement parce que je ne sais pas réfléchir la politique autrement – par la prédominance d’une analyse en termes de rapports de forces entre les classes et par l’importance fondamentale que j’y ai volontairement apporté aux stratégies politiques des acteurs du conflit. Sans être en mesure de développer la question, j’ai essayé cependant d’y introduire un autre clivage qui me semble caractériser le processus révolutionnaire tunisien, en l’occurrence celui que je désignerai sous le terme générique de colonial et qui s’est incarné idéologiquement dans la prétendue opposition modernisme/islamisme. Ce clivage fait intervenir en même temps que des intérêts de classes, d’autres intérêts que j’appellerai statutaires qui ont directement à voir avec la suprématie blanche à l’échelle internationale. J’ignore si existent chez Marx ou dans l’ancienne tradition marxiste des éléments permettant une approche de cette question. Ce qui me paraît certain par contre c’est qu’elle questionne fortement tout ce qu’il y a d’européocentriste dans le marxisme comme dans ce qu’on appelle les sciences, c’est-à-dire le savoir dominant à notre époque. De ce point, sans m’y attarder non plus, il ne fait guère de doute que le travail d’élaboration théorique et politique auquel je me suis attelé au sein des Indigènes de la république ne s’inscrit pas dans la matrice trotskyste. Mais Trotsky a développé sur la question noire aux États-Unis des positions d’une audace et d’une radicalité exceptionnelles pour le marxisme de son époque desquelles je ne peux pas ne pas m’inspirer en partie. D’autres militants trotskystes noirs ont également produit des textes dont tout le monde reconnait la richesse et la pertinence. Je pense notamment à C.L.R. James. Sans parler de tous les militants et auteurs qui ont pensé les questions raciales sinon à partir de Trotsky du moins à partir de Marx. Pour ma part, j’ai abordé nécessairement cette question à partir de ma culture militante, politique et théorique, avec ses insuffisances et ses contradictions. Si les marxistes s’y reconnaissent tant mieux pour eux, si ce n’est pas le cas, je ne crois pas que ce soit un problème. Ce qui m’importe, c’est de contribuer à la recherche de solutions politiques qui arment ceux qui sont opprimés. Il me faut tout de même préciser que les indigènes de la république ne sont pas une organisation marxiste mais regroupent des militants ayant souvent des références très différentes.

SM. : Connaissant tes analyses de naguère, quelle est actuellement ta manière de voir l’islamisme en général et l’islamisme tunisien en particulier ?

Je ne sais pas ce que tu appelles mes « analyses de naguère ». L’islam politique est un phénomène qui me perturbe depuis très longtemps et, tout en m’y accrochant, je n’étais pas à l’aise avec les analyses produites avec les seules catégories marxistes, telles que je les connaissais du moins. Je me souviens du choc positif que j’avais eu, dans les années 80, en découvrant un commentaire de Marx formulé à propos de la guérilla paysanne espagnole contre les armées de Napoléon où il soulignait sa nature à la fois progressiste et réactionnaire, progressiste dans la mesure où elle se battait contre l’occupation napoléonienne, et réactionnaire dans la mesure où il s’agissait d’une rébellion paysanne qui défendait la monarchie aristocratique et le pouvoir de l’Église en Espagne. Et, au final, Marx se félicitait que cette guérilla ait infligeait sa première défaite au nouvel Empire français. J’avais beaucoup apprécié dans ce commentaire la remise en cause – en fait, relative – de l’opposition binaire entre les catégories de « progressiste » et de « réactionnaire ». Je connaissais également les textes d’Engels rassemblés sous le titre « La guerre des paysans en Allemagne » qui analyse ces mouvements révolutionnaires menés sous le drapeau de la religion. Au sein de la IVème internationale, dont je lisais les publications, on s’intéressait beaucoup et avec sympathie à la théologie chrétienne de libération en Amérique latine. Un peu plus tard, j’avais lu aussi un livre de Michael Löwy et d’un autre auteur dont j’ai oublié le nom, sur le romantisme comme idéologie politique opposé au capitalisme et à la modernité, également impossible à saisir à l’aide de l’opposition progressistes/réactionnaires. En ce qui concerne mon propre travail en Tunisie, j’avais réalisé une petite étude universitaire dans les années 1980 sur la formation de l’État tunisien entre 1954 et 1959 et, à mon grand étonnement, je m’étais aperçu que l’opposition progressiste/réactionnaire ne fonctionnait pas pour comprendre les conflits politiques de cette époque et que le camp porté au compromis avec la France colonial était aussi le camp dirigé par les forces portés par le premier développement du capitalisme, y compris le prolétariat, et le camp qui réclamait l’indépendance, le yousséfisme, était en gros un rassemblement des classes que le capitalisme menaçait. Alors que le premier défendait un projet moderniste, le second restait attaché à des idées conservatrices et considérées comme réactionnaires. Il me semblait évident – et mon avis n’a pas changé là-dessus – que les militants révolutionnaires de cette époque devaient faire partie du camp yousséfiste. En ce qui concerne plus particulièrement l’islam politique, jusqu’à la fin des années 1980, malgré mes interrogations de plus en plus nombreuses, j’ai persisté à tenter de comprendre son extension rapide en Tunisie en gros comme une simple réaction petite-bourgeoise, hostile à la classe ouvrière et tirant parti à la fois de la crise du régime et de l’incapacité de la classe ouvrière à travers l’UGTT à imposer ses propres solutions à cette crise. Par ailleurs, il ne faisait pas de doute que l’islamisme tunisien était lié à la montée de ce courant à l’échelle régionale, depuis le début des années 1970, provoqué par la défaite du nationalisme arabe et par le soutien américano-saoudien. Il n’est pas faux qu’en Tunisie comme ailleurs dans le monde arabe, le courant islamique a longtemps été utilisé pour briser le nationalisme arabe et les mouvements de gauche. Dans un nouveau contexte, c’est d’ailleurs encore le cas. Il n’en demeure pas moins que, pour moi, l’adversaire principal a toujours été le pouvoir en place et je me souviens avoir observé avec écœurement dès 1989, de nombreux opposants de gauche, parfois radicaux en tant que tels, glisser progressivement vers le pouvoir par opposition au parti de Ghanouchi. De même, lors du coup d’État militaire en Algérie, en 1990, destiné à bloquer les portes du pouvoir au FIS, j’étais, à l’inverse d’autres dirigeants de l’OCR, favorable à une dénonciation vigoureuse de ce coup d’État. De même, comme il me semble l’avoir déjà évoqué, j’ai toujours condamné la répression des islamistes en Tunisie. J’ajouterais que tisser des alliances avec Ennahdha pour les libertés et contre la dictature de Ben Ali ne m’a jamais posé de problèmes et, dans les années 2000, j’ai regretté qu’Ennahdha fasse des choix ambigües vis-à-vis du régime et, en dehors de brefs moments, elle ait privilégié l’alliance avec les forces démocratiques les plus flottantes politiquement plutôt, pour citer cet exemple, à Moncef Marzouki auquel on doit reconnaître sa position démocratique radicale par rapport à Ben Ali. Pour en revenir à l’analyse de l’islam politique en Tunisie que j’ai résumé plus haut, je ne dirais pas qu’elle ne reflète pas une part de la réalité. Elle se fonde sur certains faits qui étaient effectivement observables et suggère des dynamiques socio-politiques qu’on pouvait également reconnaître. Elle n’en demeure pas moins trop générale, simpliste et lacunaire et reste trop largement inspiré par les analyses marxistes des conflits sociaux en Europe. Au début des années 2000, j’avais essayé d’être plus précis et nuancé comme en témoigne nettement les pages que j’ai consacrées à cette question dans « Le délitement de la cité ». J’avais souligné notamment une chose qui est en fait une évidence souvent occultée, à savoir qu’il n’y a pas un islamisme comme il n’y a pas un communisme ou une gauche et que, y compris les courants dont l’histoire s’enracine dans la confrérie des frères musulmans égyptiens et qui gardent à ce jour des attaches très fortes avec elle, sont travaillés par des dynamiques internes puissantes déterminées en particulier dans les spécificités de leur ancrage local et de leurs parcours politiques. Avec son expansion et son enracinement dans des réalités hétérogènes, l’islam politique ne pouvait que connaître d’importantes différenciations très importantes qui interdisent d’en parler comme d’un seul bloc réactionnaire, dépourvue d’historicité. Une telle idée, pour basique qu’elle soit, mérite encore hélas d’être rappelée. Dans ce livre, j’avais noté également la prédominance croissante dans leurs politiques, et notamment à partir des années 1990, des logiques nationales sur leurs solidarités transnationales et la puissance intégratrice des systèmes politiques et des États qui forceraient de nombreux mouvements de l’islam politique à rentrer en quelque sorte dans le moule, quitte à renoncer à des pans entiers de leur identité fondamentale et de leur programme d’origine, selon un processus largement analogue à celui qui a vu les partis de la social-démocratie révolutionnaire et du mouvement communiste être absorbés par la force intégratrice des États. En témoignent d’ailleurs, la trajectoire des grands partis de l’islam politique en Turquie, en Jordanie, au Maroc, en Égypte et désormais aussi en Tunisie. Sans parler de la facilité avec laquelle, lorsqu’ils sont au pouvoir, ils s’intègrent, comme hélas la plupart des partis au pouvoir, aux institutions et à la logique du système interétatique mondiale dominé par l’impérialisme. Alors, et Ennahdha dans tout ça ? Eh bien, je pense qu’Ennahdha, malgré son hétérogénéité actuelle, est typique de ces partis de l’islam politique qui sont incapables de résister aux charmes de la gestion ou de la participation à la gestion de l’État bourgeois colonial tunisien. Loin d’être un parti « réactionnaire moyenâgeux », c’est un parti tout à fait moderne, ce qui à mes yeux n’a aucune connotation positive. Il est bien sûr contraint de gérer les pressions multiples d’une base transclassiste et aux idéologies plus ou moins radicales, d’autant plus fortes que nous sommes en période révolutionnaire et que ce parti sort d’une longue période de clandestinité et de répression, mais sa dynamique fondamentale, impulsée par des directions pressées d’arriver aux affaires et aux biens matériels et symboliques terrestres, reste celle d’une intégration à ce État bourgeois colonial toujours en place. Démocratique ou pas ? Cela n’est que très secondairement lié à l’idéologie probablement fortement autoritaire que partagent ses cadres comme la majorité des forces politiques tunisiennes, indépendamment des références qui sont les leurs. Cela dépend, dans le cas d’Ennahdha comme dans celui de ces autres forces, des rapports de forces sociaux. Si le choix économique libéral est menacé par les revendications et les mobilisations populaires et si ces dernières sont incapables de défendre les dispositifs démocratiques, nulle doute que ces acquis de la révolution seront ébréchés et si nécessaires remis en cause, par Ennahdha ou par d’autres. Ce qui aujourd’hui s’oppose à la démocratie, ce n’est pas l’islamisme comme idéologie politique religieuse, c’est le libéralisme. Tout cela bien sûr est dit très rapidement et de manière schématique qui occulte d’autres dimensions du problème, mais je voudrais pour finir soulever une dernière question. Une question parce que pour commencer à y répondre, il faudrait faire tout un travail qui n’a pas été fait. L’hypothèse dont part mon interrogation est que l’influence croissante de l’islam politique en Tunisie depuis les années 80 ne peut être rattachée seulement aux développements de la lutte des classes mais s’articule également à une question coloniale non-résolue à ce jour. Je ne crois pas naturellement que Ennahdha soit un mouvement anticolonial et anti-impérialiste mais je pense qu’il faudrait se demander dans quelle mesure il a pu, et il peut encore sans doute, constituer la médiation contradictoire à travers laquelle a resurgi la question coloniale à la faveur de la crise du régime instauré par Bourguiba sous l’ombre protectrice de la France. Il me semble que, loin d’être seconde, une telle question peut avoir des implications très importantes en termes stratégiques. Je m’interroge ainsi sur la possibilité et le contenu de l’intégration dans la démarche de la gauche d’une politique décoloniale susceptible d’actionner à son profit les ressorts qui ont donné à Ennahdha l’élan dont elle a bénéficié et de contester l’hégémonie morale et culturelle qu’elle a conquise sur de larges fractions des masses populaires. Je le dis avec d’autant plus d’insistance que j’observe avec inquiétude que de plus en plus des pans entiers de la gauche, inquiets pour une modernité qui n’est en fait qu’une forme de la domination coloniale, subit le magnétisme du pôle bourgeois moderniste, lequel, soit dit en passant, pourrait très bien demain cogérer avec Ennahdha et bien sûr l’appareil destourien toujours en place, une offensive contre les mobilisations populaires.

MO2014

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Indigènes de la République - Page 22 Empty Re: Indigènes de la République

Message  MO2014 Mer 30 Nov - 1:21

Sur la situation actuelle régnant en Tunisie voici un article publié par Contretemps (revue de critique communiste) qui republiait un texte de Sadri Khiari daté de mars 2015, d’abord paru sur le site Tunisia in Red, précédé pour l’occasion d’une introduction inédite de l’auteur écrite en février 2016.



Introduction (février 2016)

Résistance et désespoir ; comment faire la part des choses dans la révolte qui a embrasé les bourgs et les petites villes des régions rurales et semi-rurales du pays en janvier dernier ? Cinq ans après le début de la révolution, presque jour pour jour. Un scénario similaire. Des raisons identiques. Alors que nombreux s’empressent de l’enterrer, la révolution défaite bouscule ses fossoyeurs : nul ne sera à l’abri !

Kasserine, centre-ouest de la Tunisie, à proximité de la frontière algérienne, à près de 300 km de la capitale. Le 17 janvier, un jeune chômeur, Ridha Yahiaoui, se donne la mort. Il n’était pas le premier. D’autres l’avaient précédé. Le 17 décembre 2010, à Sidi Bouzid, Mohamed Bouazizi s’immole par le feu. Le pays se soulève. L’ensemble du monde arabe sort de décennie de torpeur et de désarroi. C’est en soi une victoire. La révolution commence. Cinq ans plus tard, partie de Kasserine, la révolte se déchaine à nouveau pour s’étendre à toutes ces régions qu’il est convenu d’appeler l’« intérieur » du pays, sa zone obscure et mal aimée. Marches, occupation de l’espace, sit-in, blocage des routes, grèves, jeûnes, tous les registres de la protestation sont mobilisés. La révolution recommence. Mais elle recommence pour ne pas durer. Elle recommence sans les gros bataillons de la classe ouvrière organisés dans les grandes villes côtières, sans la petite-bourgeoisie de Tunis, de Sfax et d’ailleurs, sans bien sûr ces franges de la bourgeoisie qui n’avaient pas été mécontentes, cinq ans plus tôt, de voir déguerpir ces deux ploucs, Ben Ali et sa femme, coupables de s’enrichir à leurs dépens. Elle recommence presque pour l’honneur, éreintée par les revers et les lâchetés. La révolution a envie de vomir lorsqu’elle voit ses anciens dirigeants. A l’échelle du monde arabe, le seul espace où, sans doute, elle pouvait vaincre autrement que comme une révolution politique a minima, elle a vaincu puis perdue, ensevelie, écrasée, disloquée par les forces contre-révolutionnaires dont Daech n’est que l’excroissance monstrueusement caricaturale qui suce le sang de la révolution dont elle se nourrit. Et la Tunisie, quoiqu’on dise, n’a pas échappé à cette violence.

La contre-révolution, désormais au pouvoir, s’est adossée à la violence et aux massacres qui ont brisé la révolution dans les autres États arabes. Elle s’est appuyée sur la violence, un temps contenu, des forces de police et de répression, sur la violence des groupes « jihadistes» que les impasses de la révolution ont alimenté, sur celle enfin de la misère qu’engendre la grève terrible menée par le patronat et qu’on appelle « chute de l’investissement », « crise économique », « manque de confiance », une grève politique qui appelait une réponse politique, répressive, et non cette fameuse « réconciliation économique » qui, sous une forme ou une autre, finira par être imposée. Car Ben Ali n’est pas là mais les benalistes sont à nouveau au pouvoir, présents et de plus en plus présents. Certes, ils se déchirent pour le partage du gâteau et, pour l’instant, ne semblent guère enclins à remettre en cause les principales formes démocratiques conquises par la révolution comme, en France, selon Marx, les fractions royalistes de 1848 ne pouvaient gouverner ensemble que dans la république. Mais aujourd’hui ce sont bien les réseaux d’affairistes, de bandits, de bureaucrates et d’hommes d’État, forgés sous Ben Ali, qui donnent le la, même s’ils se savent toujours tributaires des changements profonds introduits par la révolution. Ils sont contraints ainsi de partager le pouvoir, de le négocier, avec les principales forces politiques issues de la révolution et en particulier le parti islamiste Ennahdha. De même doivent-ils tenir compte des intérêts propres de l’UGTT. Mais si les premiers, comme cela était prévisible, s’intègrent avec bonheur dans les institutions de l’État et dans les réseaux de la classe dominante, le rôle de la Centrale ouvrière dans la réintégration des anciens réseaux benalistes au pouvoir, alors même qu’elle s’est engagée dans les mobilisation qui ont conduit à la chute du dictateur, peut sembler problématique. De même en est-il de l’indifférence voire l’hostilité plus ou moins voilée qu’elle a témoigné vis-à-vis de la révolte de janvier dernier. On ne peut déchiffrer cet apparent paradoxe si l’on n’appréhende l’UGTT que comme un grand syndicat bureaucratique tel qu’on les connaît en Europe. Par bien des aspects, le syndicalisme tunisien s’apparente assurément à ces modèles ; on peut y reconnaître aussi les formes corporatistes-mafieuses de certains syndicats américains, mais il ne se résume pas à cela.

La bureaucratie syndicale est un héritage du régime bourguibien dont elle a été une institution fondamentale, malgré les conflits parfois violents qui ont émaillé leurs relations depuis l’Indépendance. L’un des fondements du « bonapartisme » bureaucratique bourguibien se situe en effet dans une politique de « modernisation » et de « développement », ancrée dans les hiérarchies impériales du système interétatique postcolonial, reposant notamment sur la subalternisation socio-raciale – économique, politique, culturelle… – des populations rurales et semi-rurales de l’Ouest et du Sud, au profit des grandes villes de l’Est du pays, de la bureaucratie, de la bourgeoisie en développement et, de manière plus ambivalente, du prolétariat urbains. L’UGTT a constitué un engrenage essentiel de cette infrastructure/superstructure en tant que médiation entre d’une part le prolétariat principalement urbain et les échelons inférieurs de la bureaucratie et, d’autre part, l’État bourguibien. Elle demeure partie prenante d’une syntaxe socio-raciale qui perdure jusqu’à nos jours, complexifiée désormais par l’exode rurale massif vers l’espace côtier et par-delà les transformations du système politique et les processus de libéralisation économique en cours. Bien qu’elle continue d’imposer quelques limites à l’exploitation du travail et que de nombreuses structures syndicales manifestent une réelle combativité, du point de vue de la révolution, l’UGTT fait partie du problème et non de la solution.

Et cela non pas seulement parce qu’elle est une organisation bureaucratique et réformiste, porté au compromis. La résolution de l’équation révolutionnaire en Tunisie ne se situe en effet ni dans le conflit politique autour de la forme démocratique ou non de l’État moderne ni seulement dans la lutte des classes entre le prolétariat et la bourgeoisie. Elle est bien dans cette ambition que l’euphémisme d’ « équilibre régionale », slogan récurrent depuis le début de la révolution, dit sans la dire ou pour mieux l’étouffer. Bien plutôt que dans l’encouragement à l’investissement industriel et à la « modernisation » des « régions de l’intérieur » qui est le sens généralement donné, y compris à gauche, à la formule d’ « équilibre régional », le nœud de la révolution se situe dans l’articulation entre la « question paysanne » (la terre et l’eau !) et la « question raciale » qui distord, comme j’ai essayé de le montrer dans l’article qui suit, les coordonnées de la lutte des classes. La révolte rapidement étouffée de janvier dernier est venue ainsi rappeler que l’oppression des « régions de l’intérieur » est au cœur du processus qui s’est développé depuis décembre 2010 et non pas une simple question annexe, sans implication autre sur la stratégie révolutionnaire que la revendication inopérante d’une distribution équitable des ressources et des investissements. La « réforme agraire » dont on parle (de moins en moins, du reste) depuis des décennies dans la gauche tunisienne, est irréalisable sans un bouleversement complet des rapport entre l’Est et l’Ouest du pays et le démantèlement de la pyramide raciale qu’a reproduit l’État indépendant, autrement dit sans s’inscrire dans une perspective décoloniale et anticapitaliste, condition d’une alliance de classes révolutionnaire. De même qu’une réforme urbaine concernant les « banlieues » pauvres des grandes villes où s’agglomèrent les enfants de l’exode rurale ne saurait se réduire à une lutte contre le chômage comprise non comme une relance de l’investissement capitaliste mais en lien étroit avec la nécessaire réforme agraire.

Il est regrettable hélas que, représenté principalement par le Front populaire, la gauche réformiste, largement intégrée par ailleurs à l’appareil de l’UGTT et autres institutions civiles de l’État ainsi qu’au dispositif impérial des ONG, privilégie à une politique décoloniale de classe, le rassemblement des forces susceptibles de promouvoir la « modernité ». Le cycle de crises, de guerres et de révolutions qui s’est ouvert dans le monde arabe en 2011 verra-t-il se former une alternative révolutionnaire à la vieille gauche moderniste ? Résistance ou désespoir ?… Je ne sais pas.

Sadri Khiari, février 2016.


La contre-révolution rampante (mars 2015)

La Tunisie serait-elle une formidable « exception », la seule fleur du « Printemps arabe » qui aurait éclose ? Au terme de quatre années de bouleversements, de crises, de violences, aurait-elle finalement été le seul pays de la région à ne pas sombrer dans un chaos mortifère pour enfin réussir sa « transition démocratique », et offrir au peuple une citoyenneté longtemps attendue ? Un tel optimisme ne paraît pas confirmé par les faits.



La défaite des classes populaires

Les faits, ce sont d’abord les rapports de forces issus des dernières élections législatives et présidentielles. Ce double scrutin a en effet constitué un moment majeur du renversement des équilibres politiques tels qu’il s’étaient exprimés lors des élections à l’Assemblée constituante d’octobre 2011 par la conquête du pouvoir par des formations de l’opposition démocratique à Ben Ali, le parti islamiste, Ennahdha, et ses alliés – la Troïka1 – tandis que les réseaux de l’ancien régime poursuivaient leur décomposition entamée lors de la chute du dictateur et se voyaient exclus du champ politique. Imposée par la mobilisation populaire, la Constituante, et à sa suite l’élection à la présidence de la république de Moncef Marzouki, la figure sans doute alors la plus radicale du mouvement démocratique, s’inscrivaient ainsi dans le prolongement de la dynamique révolutionnaire.2

A l’inverse, les élections de l’automne dernier ont consacré la défaite des classes populaires et notamment des couches les plus pauvres et les plus méprisées des régions de l’intérieur du pays et de la périphérie des grandes villes de l’est et du nord, qui se sont largement abstenues, ont voté pour Ennahdha lors des législatives ou se sont momentanément et partiellement reconnues dans la démagogie populiste de Moncef Marzouki, à l’occasion des présidentielles. Surtout, sans pour autant que les nouveaux rapports de forces ne permettent une restauration pure et simple de l’ancien régime, ces élections ont ramené au pouvoir les secteurs prédominants des réseaux qui lui étaient liés, rassemblés pour la plupart autour et au sein d’un parti récemment créé, Nida Tounes – qui regroupe également des groupe et des personnalités issues des mouvements démocratique et de gauche – et autour de la personnalité d’un homme, Beji Caïd Essebsi, 88 ans, figure des vieilles familles bourgeoises de la Capitale, dont le parcours s’identifie à l’histoire de l’État tunisien indépendant jusqu’à nos jours. Béji Caïd Essebsi est désormais président de la république3, son parti a remporté une majorité conséquente à l’assemblée.4

Il contrôle largement le nouvel Exécutif – en particulier le tout puissant ministère de l’Intérieur -, constitué avec d’autres formations libérales, des représentants des nouvelles élites technocratiques, et, à des postes secondaires, quelques figures réputées de gauche ainsi que des représentants d’Ennahdha.

Les objectifs réels des nouvelles autorités peuvent se dire en quelques mots : rétablir l’ordre et la sécurité politique des classes dominantes et des réseaux mafieux, défaire les mouvements de contestation démocratiques et sociaux, rassurer la bourgeoisie locale ainsi que les investisseurs étrangers et les grandes institutions financières internationales, rassurer également les généraux algériens et réinsérer la Tunisie dans l’axe régional autour de l’Arabie saoudite et de l’Egypte. Tout cela avec la bénédiction de l’Union européenne – notamment la France – et des Etats-Unis.

Sans rentrer dans le détail, la défaite des différentes composantes de la Troïka s’explique notamment par leur incapacité – leur absence de volonté plus exactement – à approfondir le processus révolutionnaire entamé en décembre 2010, c’est-à-dire, en premier lieu, à s’appuyer sur la radicalité populaire pour neutraliser définitivement l’ensemble des réseaux et des centres de pouvoir liés à l’ancien régime. Tout en s’emparant de certains postes de responsabilité, la stratégie prédominante de la Troïka a consisté, au contraire, à s’associer certaines franges de ces réseaux et de la bourgeoisie d’affaire. Ennahdha s’est attachée, en outre à verrouiller à son profit la nouvelle constitution et à mener des batailles, finalement perdues, sur la place de la référence islamique dans les institutions et la société. La sanction d’une telle politique ne s’est pas faite attendre : ce n’est pas la Troïka qui a récupéré les réseaux issus de l’ancien régime mais ceux-ci qui ont récupéré la majorité de l’opposition démocratique et de gauche ! Plus encore, inquiète d’une évolution à l’égyptienne, subissant de multiples pressions étrangères, bousculée par une stratégie de la tension mobilisant des groupes « jihadistes » qui a nourri une demande « sécuritaire » dans l’ensemble de la société, Ennahdha a finalement fait le choix de se rallier au vainqueur. Deuxième force à l’Assemblée, le parti islamiste a apporté un appui implicite à Beji Caïd Essebsi à l’occasion des élections présidentielles et ses députés ont voté en faveur du Premier ministre désigné par le nouveau président. Ennahdha participe en outre au gouvernement mis en place par le parti majoritaire. En vérité, une telle issue avait été préparée bien avant les élections. Le seul mystère concernait les termes exacts du compromis à établir.



Paradoxes de gauche

On doit s’interroger par contre sur la convergence paradoxale autour de Nida Tounes d’une large frange des « classes moyennes », en particulier dans les grandes villes du Nord, du puissant mouvement syndical regroupé principalement au sein de l’UGTT5, du mouvement démocratique, et des formations classées à gauche de l’échiquier politique et en particulier du Front populaire, un rassemblement hétéroclite de formations de gauche et nationalistes arabes6. Comment peut-on prétendre défendre la révolution contre les menaces qu’a fait effectivement peser sur elle Ennahdha et s’allier avec des forces de l’ancien régime ? Une mobilisation, si ample et durable, si massive, des sphères démocratiques, de gauche, féministes et syndicales, « oubliant » leurs mots d’ordre au profit d’un soutien presque sans faille à Nida Tounes ne peut être la simple expression d’une « erreur de direction » ou des ambitions personnelles de quelques dirigeants. On ne peut non plus retenir l’argument selon lequel les enjeux de la révolution se seraient métamorphosés, à partir des élections à la Constituante, pour s’articuler autour d’un conflit historique fondamental, une alternative radicale de civilisation opposant islamisme et modernité. Cet argument pourtant, parce qu’il a largement structuré la distribution des forces, voyant l’un et l’autre camp rassembler quantité d’intérêts de classes contradictoires, ne peut être pris à la légère.

On doit se demander quels conflits réels il recouvre, quels rapports sociaux de domination se sont combinés aux luttes démocratiques, de classes et de genres7 de telle sorte que le soutien à Nida Tounes apparaisse comme une défense de la « modernité » contre un islam politique prétendument despotique et « moyen-âgeux » ?

C’est sur ces questions que je me pencherai dans les limites de cet article. J’essayerai d’articuler deux hypothèses, l’une qui introduit dans les conflictualités produites par la révolution, la détermination de la domination impériale comme constitutive de l’État et de la société tunisienne, l’autre, à partir de Gramsci, prenant en compte le rôle des intellectuels dans ces conflictualités. Tout en sachant que de nombreux développements seraient nécessaires pour étayer mon propos, il me semble que cette approche ouvre des pistes intéressantes concernant certaines dynamiques politiques qui peuvent sembler paradoxales si on cherche à les expliquer uniquement en termes de lutte de classes ou de conflits autour de la forme de l’État.



Les mèches blondes de la modernité

Je suis convaincu pour ma part que les développements de la révolution en Tunisie ne peuvent être appréhendés sans prendre en compte l’intériorité de la domination impériale. Celle-ci n’agit pas seulement en développant des rapports de classes dans le contexte d’un pays dépendant ; elle les intègre dans les rapports statutaires spécifiques, produits dans la matrice coloniale, en l’occurrence ce que j’appelle les races sociales8, c’est-à-dire les races en tant que construction sociale, les races en tant qu’elles sont l’une des formes d’existence de la domination impériale euro-américaine, toujours bien présente, qui, en fonction de distinctions d’ordre naturel ou culturel, place le groupe réputé blanc-chrétien-européen au sommet d’une hiérarchie pyramidale des peuples. Désormais non formulée explicitement ou fortement euphémisée en termes de différences de « développement » ou de culture, masquée surtout par les indépendances politiques et l’égalité apparentes des États-nation au sein du système interétatique mondial, la racialisation des rapports sociaux, en tant que phénomène global qui traverse les frontières, est constitutive des formes de présence impériale au sein même des différents États. Autrement dit, dans des formes parfois frontales, souvent diffuses, indirectes, médiées par d’autres conflictualités, masquées par la forme État-nation, elle est agissante au sein même des luttes politiques locales. Je me limiterai à évoquer l’une de ses formes, dont l’articulation à d’autres enjeux est complexe, en l’occurrence l’identification entre honneur social et accès à la blancheur : être reconnu comme Blancs ou tout simplement comme plus blancs que d’autres, c’est-à-dire correspondre au système normatif dominant dans les Etats impérialistes, y compris aux formes de contestations qu’il a généré, devient un critère de valorisation, de distinction et de hiérarchisation qui double et parfois déborde les fractures de classe.

De même, combinée au sentiment national, l’adhésion fut-elle superficielle ou partielle à la blancheur9 apparaît comme nécessaire pour hisser la nation dans la hiérarchie raciale globalisée.

Mon hypothèse complémentaire est que les intellectuels, au sens de Gramsci, constituent une médiation fondamentale de la race. Rappelons que ce concept d’intellectuels ne renvoie pas à la qualité propre de certaines formes de travail (manuelles ou intellectuelles). Il vise à cerner la position dans l’ensemble des articulations sociales, et notamment dans les rapports entre les classes fondamentales de la société capitaliste, de cette catégorie particulière, constituée de tous ceux dont le rôle consiste, à quelque niveau que ce soit et selon de multiples modalités, à assurer l’organisation et la direction administrative, politique et idéologique de la société. Ils sont les « fonctionnaires des superstructures », se distribuant dans la machine d’État (y compris ses institutions de coercition) et la « société civile10». Expression « organique » des classes, ils développent, de par les attributs de leur fonction sociale, des dynamiques de « caste », à la fois autonomes et hétéronomes par rapport aux classes. Dans le sens spécifique que lui donne Gramsci, la catégorie d’intellectuels est constitutive de l’État moderne en tant qu’il est propre au capitalisme et par conséquent, immédiatement inscrit dans le marché mondial.

Gramsci tente d’analyser leur fonction et leur rôle en Italie, État européen moderne, constitué « tardivement » et en position subalterne dans l’architecture inter-Etatique des Etats impériaux. Il n’aborde pas, par contre, l’État moderne en tant qu’il est inséré dans le système inter-étatique mondial et prend forme historiquement dans les rapports coloniaux. Néanmoins, son approche peut être éclairante en ce qui concerne la constitution des Etats modernes issus de la décolonisation, avec cette différence majeure que ces Etats se sont constitués aussi en position subalterne en tant qu’expressions des rapports coloniaux et postcoloniaux. « Le rapport des intellectuels au monde de la production, écrit-il, n’est pas un rapport immédiat, comme c’est le cas pour les groupes sociaux fondamentaux, mais un rapport qui est ‘médiatisé’, à des degrés divers, par tout le tissu social, par l’ensemble des superstructures11. » Cette thèse, appliquée aux Etats dont le « tissu social » et les « superstructures » relèvent pour une part de la domination impériale double les déterminations de classe du groupe intellectuel d’une autre détermination qui s’ancre, elle, dans la différenciation raciale.

La domination raciale plonge en effet ses racines dans l’État, sa rationalité, son droit, son insertion en position inférieure dans le système inter-étatique mondial mais également dans les autres dimensions de l’hégémonie, les normes, les codes, la culture, et plus généralement tout ce qui relève de l’éthique, dont les intellectuels sont les intermédiaires privilégiés. Les intellectuels pourraient donc être saisis à travers les conflictualités propres aux rapports coloniaux que j’appelle luttes des races sociales. Dans la société coloniale-raciale, notamment dans ses formes contemporaines, ils constituent une instance d’autant plus importante que les races, comme statuts, s’inscrivent immédiatement dans les superstructures. Les intellectuels sont donc également les « fonctionnaires » de la race, concomitamment à leur rôle dans les rapports de classes et parfois de manière transversale à ces rapports de classes. Leur autonomie relative par rapport aux rapports de production s’en trouverait dès lors amplifiée.



La diagonale raciale dans le contexte tunisien

Il faudrait étudier de manière précise les modalités à partir desquelles dans les périodes coloniales et postcoloniales la pyramide raciale a été constitutive des structures « autochtones » de la société et de l’État tunisien. Cela n’est certes pas le lieu de tenter une telle analyse. On peut cependant faire un rapprochement entre la situation tunisienne et les remarques de Gramsci concernant le rôle que les intellectuels italiens ont été amenés à jouer dans l’instauration de l’État moderne, alors qu’ils ont acquis une capacité politique fortement autonome en raison de la faiblesse organique de la bourgeoisie et des caractères propres du capitalisme italien, produits de facteurs exogènes. Le parallèle avec la formation de l’État tunisien contemporain saute aux yeux. Nous sommes, en effet, face à une constante de l’État tunisien et de l’économie modernes : consécutif à la faiblesse des « classes fondamentales » du capitalisme, le rôle déterminant, voire prééminent, du groupe intellectuel dans la reconstruction postcoloniale tant des superstructures que des infrastructures. C’est, de surcroît, en accédant massivement au statut d’intellectuel qu’une partie des masses populaires a été détachée des rapports sociaux « traditionnels » pour être intégrée à l’économie moderne, longtemps capitaliste d’État. L’UGTT, cette grande centrale syndicale dont l’histoire se confond largement avec celle de l’ancien régime, est, en outre, moins une organisation ouvrière qu’une organisation intellectuelle, toujours au sens gramscien, contribuant notamment à l’absorption par la logique d’État de ceux qui auraient pu constituer les intellectuels organiques du prolétariat. Bien entendue, cela n’exclut pas des conflictualités parfois violentes qui expriment pour une part – mais pas uniquement – les luttes de classes.

On pourrait analyser également le caractère problématique de l’« organicité » de cette « caste intellectuelle », constituée dans une large mesure comme produit dégradé de l’Occident, c’est-à-dire notamment des rapports de production et des superstructures qui lui ont été « empruntés ». Il en résulte ce que l’on peut appeler une organicité « hybride » au point qu’il semble légitime d’affirmer que les fonctionnaires des superstructures en Tunisie, et notamment ceux dont la fonction est la plus déterminante dans la logique d’ensemble12, sont à la fois les médiations du monde blanc, celles des tensions générées par la subordination de l’État tunisien au sein du système interétatique mondial, et enfin celle des conflictualités sociales plus ou moins endogènes. Si les « intellectuels traditionnels », selon Gramsci, sont les intellectuels d’un monde en crise qui prouve quotidiennement son obsolescence, alors les intellectuels traditionnels de la Tunisie ne sont autres que les intellectuels formés dans la modernité blanche. Je n’ignore pas non plus la persistance d’une couche intellectuelle plus ou moins attachée à des formes sociales dont l’histoire s’enracine sans doute dans la Tunisie précoloniale et coloniale. Mais cette couche, hybride, est elle-même largement intégrée à l’État en position subalterne et, il est vrai, dans un rapport qui n’est pas toujours sans tensions. On doit ajouter toutefois que cette couche n’a plus aucun rôle historique autonome. Et en cela, même si elle est représentée pour une part au sein d’Ennahdha, il me parait erroné d’identifier ce parti à la pré-modernité, à moins bien sûr de considérer que la référence à l’islam comme socle de valeurs et de pratiques soit synonyme d’archaïsme.



Les ambivalences d’Ennahdha

Tout rapport de domination est aussi un rapport de résistance, celle-ci fut-elle timide, partielle, contradictoire voire carrément absurde. Il en va de même du rapport de domination raciale. Cette résistance prend des formes multiples en Tunisie, à travers l’anti-impérialisme traditionnel de la gauche radicale, le nationalisme arabe, la référence politique à l’islam ainsi que les différentes expressions de l’anti-occidentalisme, présentes dans toutes les strates de la société. Ce qui les caractérise, c’est leurs ambivalences voire leurs contradictions. Ainsi, malgré les apparences, Ennahdha n’échappe pas non plus à l’attraction blanche. Il n’est guère besoin de revenir longuement sur son histoire pour constater le double mouvement qui est le sien d’affirmation d’une identité – reconstruite – propre aux peuples musulmans, censée permettre le redressement de la Umma islamique face au monde occidental, et d’intégration profonde dans les formes constitutives fondamentales de ce dernier, à vrai dire bien plus déterminante sur sa trajectoire et la politique qui est la sienne aujourd’hui que sa dimension identitaire, désormais simple rhétorique du Retour, réduite à des question de mœurs et à la préservation d’un modèle familiale supposée originel. Disons-le sans détour, Ennahdha est un parti bourgeois, moderne, tel que peut l’être un parti bourgeois dans un État subalterne. Dans son cadre idéologique, il a pour principal horizon, en effet, la défense des formes capitalistes et de l’État bureaucratique moderne. Il demeure, à sa manière, sous l’emprise du mode de pensée hégémonique de la modernité occidentale (technologisme et scientisme, productivisme, conception instrumentale de la nature, culte de l’entreprise et du marché libre, etc.). Contrairement à ce qui a bien souvent été avancé dans la gauche et le mouvement démocratique pour justifier leur appui au parti de l’actuel président de la république, Ennahdha n’a pas d’identité « anti-démocratique » ni un penchant irrésistible au despotisme. Pour le dire schématiquement, comme tout parti constitutif de l’État moderne, il est démocratique quand les rapports de forces – y compris dans leurs dimensions éthiques – au sein des classes dominantes et de l’ensemble de la société le lui imposent, il l’est beaucoup moins quand ces rapports de forces ne le lui imposent pas.

Bien évidemment ces quelques remarques ne suffisent pas à caractériser Ennahdha. En plus de quatre décennies d’existence et malgré la répression, Ennahdha est, en effet, parvenue, à conquérir une vaste influence populaire. Et ce n’est pas en raison de sa fascination contradictoire pour la modernité capitaliste que, contrairement aux autres forces de l’opposition à l’ancien régime, ce parti a réussi à battre en brèche l’hégémonie du couple parti destourien/UGTT pour devenir finalement la principale force politique de contestation. C’est plus probablement par la dimension identitaire de son message – largement identifié à un retour à une tradition malmenée par le bourguibisme ainsi qu’à une revalorisation du monde musulman face à la hiérarchie eurocentrée des cultures et des forces matérielles –, articulée à un message à forte dimension sociale en direction des franges de la population – pas toujours les plus pauvres – humiliées, stigmatisées pour leurs valeurs « archaïques », intégrées au capitalisme dans des formes subordonnées, marginalisées voire vouées à disparaître. C’est là encore que s’est trouvée, récemment, une part importante des ressources à l’opposition au processus en cours de restauration partielle de l’ancien régime. C’est dans cette base sociale également que s’est développée l’influence des courants les plus radicaux et sectaires de l’islam politique. Autrement dit, un entremêlement de dispositions révolutionnaires démocratiques et sociales et de potentialités contre-révolutionnaires. Une catégorisation de type sociologique ne dit cependant qu’en partie la réalité d’un parti. De multiples conflictualités, parfois très localisées, participent de l’attractivité d’une force politique. De même, le tropisme exercé par sa puissance polarise diverses couches sociales qui ne sont pas sans influence sur le chemin qu’elle emprunte. C’est évidemment le cas d’Ennahdha, en particulier depuis la révolution et plus encore depuis son accession au pouvoir. C’est également le cas de Nida Tounes, le centre de gravité avec l’UGTT, de l’arc de forces qui s’est constituée en défense de la « modernité ».



Le front des « modernes »

L’ancrage de Nida Tounes, dont le principe constitutif a été la défense et la promotion d’une modernité faite de normes institutionnelles, de valeurs et d’un mode de vie privilégiant le modèle occidental contemporain, se situe incontestablement dans les sphères prédominantes de la bourgeoisie et de la moyenne bourgeoisie du secteur des services et de la culture, ainsi que de la bureaucratie étatique et notamment de l’appareil répressif, autour desquels s’agglomèrent toutes sortes de groupes sociaux qui ont tiré pouvoir et privilèges de leur proximité aux instances du système destourien/RCDistes.13 Expression bureaucratique du salariat, inséré toujours largement dans la fonction publique et dans une mesure grandissante dans le secteur des services modernes, l’UGTT exerce également un tropisme bien au-delà de sa sphère d’influence immédiate. Pour sa part, la gauche trouve une audience limitée mais non-négligeable au sein des couches intellectuelles mais également des jeunes travailleurs et chômeurs. Ce large front moderniste, transclassiste, semble donc s’enraciner, plus encore que ce n’est le cas pour Ennahdha, dans les secteurs de la population insérés positivement dans le développement des rapports sociaux et de l’État capitalistes, ainsi que dans la superstructure de la modernité occidentale qui leur est associée. Cette articulation, particulièrement déterminante dans le rassemblement « moderniste », constitue la matrice de l’hégémonie persistante du bourguibisme, du nom de celui qui fut le Prince et le plus « grand intellectuel » de la Tunisie indépendante, le seul, peut-être en dehors du leader islamiste, Ghanouchi, pour évoquer encore une fois les catégories de Gramsci.

Depuis le début de la révolution, les principales conflictualités sociales – rapports de forces entre les classes et entre les genres – semblent distordues par les rapports de forces entre les différentes couches intellectuelles. J’entends par là que ces conflictualités sont courbées, pliées, partiellement soumises aux relations à la fois solidaires et antagoniques que les couches intellectuelles tissent entre elles et avec les différentes classes sociales, relations qui se modèlent aussi dans la matrice des hiérarchies raciales mondiales telles qu’elles se réfractent localement. Dès les premiers moments du processus révolutionnaires, les intellectuels ont joué un rôle décisif pour finir par accaparer le champ politique, exerçant une pression d’autant plus grande sur les luttes des classes populaires que celles-ci ont commencé à se désagréger dans la confusion. Les couches intellectuelles, par contre, ont gagné en autonomie à mesure qu’elles ont évincé les classes populaires du champ politique, substituant aux revendications de ces dernières, leurs propres enjeux et leurs propres antagonismes. Dans les termes de l’opposition entre islamisme versus modernité, ce sont ainsi les intérêts et les préoccupations des différents secteurs de la caste intellectuelle et notamment les raisons d’ordre statutaires raciales qui se sont imposés, enchevêtrées de manière complexe aux multiples différenciations sociales qui structurent le champ politique tunisien. L’inscription dans la modernité a constitué notamment un critère essentiel de distinction par rapport aux franges de la population les plus déshérités du centre et du sud du pays (ou qui en sont originaires) et aux secteurs des intellectuels et de la petite-bourgeoisie considérés comme pré-modernes et traditionnels, associés abusivement à l’islam politique. De ce point de vue, l’engagement de la gauche, du mouvement syndical et des sphères démocratiques en défense de la modernité, au prix d’une alliance avec les réseaux de l’ancien régime, semble faire écho, d’une part, à la crainte des couches intellectuelles qui les animent de voir remis en cause ce dispositif de distinction et, d’autre part, par la conviction que la modernité blanche serait l’expression et la condition du progrès social. Ainsi, par delà les manœuvres des principaux centres impérialistes et de leurs alliés régionaux, l’internalisation des stratifications raciales mondiales aura constitué un dispositif fondamental de la contre-révolution rampante.

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Message  topaze Sam 24 Déc - 12:58

Communiqué de solidarité du CCI

https://fr.internationalism.org/icconline/201612/9505/communique-solidarite-face-a-violence-haineuse-des-racialistes-fanatiques

Topaze. Lecteur de Révolution Internationale

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Message  Lorry Sam 24 Déc - 15:29

topaze a écrit:Communiqué de solidarité du CCI

https://fr.internationalism.org/icconline/201612/9505/communique-solidarite-face-a-violence-haineuse-des-racialistes-fanatiques

Topaze. Lecteur de Révolution Internationale

Un extrait hélas édifiant de ce communiqué:

Voici les faits relatés par les agressés eux-mêmes : « Vendredi 28 octobre se tenait sur Marseille, dans le local militant « Mille Bâbords », une réunion publique autour du texte « Jusqu’ici tout va bien ? »2. La discussion n’avait pas encore commencé lorsqu’un groupe d’une trentaine de personne a fait irruption dans le lieu. Ce groupe entendait empêcher la discussion prévue (…). Après l’encerclement de l’assistance sous forme de happening, dans un simulacre de nasse, des cris et slogans divers ont fusé : « Notre race existe », « Ce débat n’aura pas lieu », « Pas l’histoire vous ne referez », « Votre avis on s’en fout », « Regardez vos privilèges », (…) Aux insultes ont succédé les boules puantes, et des coups répétés, dont certains au visage avec arme, des chaises ont été jetées sur l’assistance, les tables ont été systématiquement jetées au sol, y compris sur une personne en béquille, du gaz lacrymogène a été répandu dans le local et des personnes ont été gazées au visage (yeux et bouche). Les tables de presse, la bibliothèque de Mille bâbords ont été saccagées, des revues et des livres jetés et piétinés. Et pour terminer, ils ont défoncés la vitrine du local. (…) Malgré cette attaque, une intéressante discussion a finalement pu se tenir, comme ce sera le cas partout et à chaque fois que cela s’avérera nécessaire. Face à ces actes extrêmement graves, dont le but avoué est d’empêcher toute discussion critique sur le racialisme, chacun, politiquement et pratiquement, est appelé à prendre ses responsabilités. N’hésitez pas à contacter Mille Bâbords pour leur apporter tout votre soutien3. Des organisateurs et des participants à la soirée. » (in « Marseille : Descente racialiste à Mille Bâbords. Tentative de mise à sac, coups, gazage et vitrine détruite »).

Les agresseurs ont durant l’attaque distribué un tract intitulé « Anti-racialistes et anti-racialisatrices, stay et protect your home »4 dans le quel ils crachaient toute leur haine : « Anti-racialisateurs et anti-racialisatrices vous n'aurez jamais la parole, vous n'aurez jamais notre écoute parce que : Le capitalisme se fonde sur le pillage, l'esclavage et le colonialisme. « L'abolition de l'esclavage » et les « décolonisations » n'ont pas démoli le racisme structurel et ses répercussions pour le moins d'actualité. Les privilèges des pays occidentaux impérialistes demeurent à un niveau international. Nous refusons votre vision européano-centrée et réactionnaire de la lutte des classes. Il vous suffirait de sortir de votre entre-soi confortable pour voir la réalité dans les rues de Marseille. Nous refusons votre course à l'opprimé et votre incapacité à reconnaître vos privilèges de petits gauchistes blancs de classe moyenne. Nous n'avons pas de temps à perdre avec les négationnistes. Nous saboterons toutes vos initiatives. Nous revendiquons notre autodétermination, notre émancipation, notre libération par nous-mêmes et pour nous-mêmes. Nous n'avons pas besoin de votre validation quant aux termes que nous utilisons pour définir qui nous sommes, ce que nous sommes et ce pour quoi nous luttons. En somme on vous chie dessus bande de racistes réactionnaires négationnistes néo-colons.... Finalement il va vous falloir assumer : Vous n'êtes qu'un des bras armé (de vos claviers) de la république laïcarde qui nous fait gerber ! »5.

Durant les jours qui avaient précédé cette réunion, de nombreux appels à casser du « gouaires »avaient été lancés sur les réseaux sociaux. Il s'agit donc d'un acte prémédité et concerté.

Ces agresseurs appartiennent à un courant particulier du racialisme principalement représenté par le Mouvement des Indigènes de la République, dont Houria Bouteldja est l'une des personnalités la plus visible. Le titre de son dernier livre résume à lui seul l’axe central de ce courant de non-pensée : « Les blancs, les juifs et nous ». Un ouvrage immonde qui tente de nier la lutte des classes pour la remplacer par une guerre des races (« Je vous le concède volontiers, vous n'avez pas choisi d'être blancs. Vous n'êtes pas vraiment coupables. Juste responsables » affirme ainsi Madame Bouteldja.). Nous reprenons à notre compte cette idée défendue dans le texte de Mille Babords « Jusqu’ici tout va bien ? » : « le racialisme ne peut mener qu’à la guerre de tous contre tous ». Ceci d'autant plus que "la guerre de tous contre tous" est déjà une réalité et que la violence ne fait que s'accroître. Dans ce sens, il est nécessaire de s'y préparer et important d'en débattre.

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Message  Lorry Sam 24 Déc - 17:09

Et ce texte qui commente la production antisémite de Bouteldja:

https://tuttovabene.noblogs.org/

On ne peut malheureusement pas encore donner tort à l’éditeur classé à l’extrême gauche du dernier pamphlet explicitement antisémite d’Houria Bouteldja Les Blancs, les juifs et nous, qui n’a pas suscité de réaction à la hauteur de son caractère ignoble. Les catégories et le vocabulaire de l’idéologie racialisatrice, repris depuis quelques temps dans les organisations et milieux politiques qui vont de l‘extrême gauche jusqu’aux libertaires, sont en train de devenir la norme et d’instaurer une hégémonie. Ce vocabulaire s’est imposé insidieusement, sans être ni discuté ni argumenté. D’ailleurs, nombreux sont ceux qui sont dans l’incapacité de soutenir politiquement ces positions intenables, à part à coup d’affirmations tautologiques et de fausses évidences. Un glissement sémantique a déjà largement opéré : les termes de « race », « blancs », « non-blancs », « racisés », « racialisation », « décolonial » sont devenus du jour au lendemain des catégories d’analyse jugées pertinentes, nécessaires, et sont même promus comme instruments d’une perspective d’émancipation, là où nous y voyons une faillite catastrophique.

Dans une époque de crise généralisée propice à la confusion, dans laquelle prospèrent des courants contre-révolutionnaires, menaçants voire meurtriers comme les rouges-bruns, les boutiquiers racistes Soral et Dieudonné ou différentes variantes de l’islam politique, certains ne trouvent donc rien de mieux à faire que de ressusciter la théorie des races en réhabilitant les assignations culturelles, sociales et religieuses dans la droite ligne de l’ethno-différentialisme de la nouvelle droite. Le retournement est allé au point que le simple questionnement de l’idéologie racialiste devient impossible, tant dans les réunions publiques que sur les sites internet des milieux militants, qui opèrent à cet endroit une véritable censure. L’ensemble prospère et tient notamment par un chantage à la culpabilité que manient très bien les tenants de cette idéologie. Ironiquement, aujourd’hui, refuser les termes de « race » ou « d’islamophobie » expose à l’infamante accusation de racisme, visant à étouffer ainsi toute possibilité de débat, de critiques et de refus. Certains anarchistes en sont rendus à proscrire le slogan « ni dieu ni maître » sous prétexte d’« islamophobie » et certains marxistes pensent que pour être antiraciste il est urgent d’ajouter la « race » à la classe. De fait le terme de « race » qui était jusqu’à peu l’apanage de l’extrême droite se retrouve aujourd’hui à toutes les sauces. La promotion des identités, le communautarisme culturel ou religieux n’ont jamais eu d’autres fonctions que de maintenir la paix sociale.

Le clivage à l’œuvre autour de ces questions se doit donc d’être clarifié et travaillé de manière réfléchie. À plus forte raison dans la situation actuelle, le racialisme ne peut mener qu’à la guerre de tous contre tous. Cette offensive politique est lourde de conséquence pour tous, et d’un point de vue révolutionnaire c’est un point de rupture. Où en serons nous dans quelque temps si elle s’avérait victorieuse ? Tôt ou tard, il va bien falloir choisir son camp et le plus tôt sera le mieux.


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Message  MO2014 Sam 24 Déc - 17:59

Les thèses identitaires anonymes hébergées par des sites anonymes sont relayées ici par plusieurs individus comme LOrry qui ne contribuent au FMR que pour injurier et calomnier les organisations décoloniales ou anti-racistes. Il suffit de lire ou de connaitre un minimum le PIR pour savoir que ses thèses et ses formes d'actions n'ont absolument rien à voir avec ce qui est racontés ci dessus. Mais les trolls laïcistes et islamophobes continueront de s'exprimer ici un jour par mois pour dénigrer les militants et les organisations anti-racistes puis disparaitront comme d'hab pendant les 30 jours restants.

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Message  Lorry Sam 24 Déc - 18:11

anonymes hébergées par des sites anonymes

Encore un gros mensonge du dénommé MO2014.

AUCUN ANONYMAT, LES SITES SONT ANNONCES ET VÉRIFIABLES..

https://tuttovabene.noblogs.org/

https://fr.internationalism.org/icconline/201612/9505/communique-solidarite-face-a-violence-haineuse-des-racialistes-fanatiques

C'est pas beau, les vilains (et mauvais) mensonges pour faire oublier  que Bouteldja est le pir sont de plus en plus démasqués et dénoncés pour ce qu'ils sont. Very Happy
des réactionnaires racistes, antisémites, sexistes, homophobes et anticommunistes.....

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Message  MO2014 Sam 24 Déc - 18:26

"noblogs "est un site d'hébergement d'activistes pro anonymous. Il fait semblant de l'ignorer et comme ces sites cela lui permet d'injurier et d'insulter comme il le fait ici une fois par mois les  organisations anti-racistes et décoloniales.

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Message  Lorry Sam 24 Déc - 19:03

MO2014 a écrit:"noblogs "est un site d'hébergement d'activistes pro anonymous. Il fait semblant de l'ignorer et comme ces sites cela lui permet d'injurier et d'insulter comme il le fait ici une fois par mois les  organisations anti-racistes et décoloniales.

Si c'était ça l'antiracisme, moi je serais archevêque..... Very Happy Very Happy Very Happy

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Message  MO2014 Dim 25 Déc - 2:15

Lorry a écrit:
MO2014 a écrit:"noblogs "est un site d'hébergement d'activistes pro anonymous. Il fait semblant de l'ignorer et comme ces sites cela lui permet d'injurier et d'insulter comme il le fait ici une fois par mois les  organisations anti-racistes et décoloniales.

Si c'était ça l'antiracisme, moi je serais archevêque..... Very Happy Very Happy Very Happy

OUI archevêque car question croisade LOrry est un champion Twisted Evil Twisted Evil Twisted Evil

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Message  Lorry Dim 25 Déc - 3:09

question croisade LOrry est un champion

Merci. Mais pas trop de flagorneries s'il te plait, je n'ai pas cette prétention.
Si je peux modestement à faire reculer tous les réacs, racistes, antisémites et diviseurs des classes populaires, c'est déjà pas mal.
Le PIR n'est, face aux intérêts des travailleurs, qu'une misérable clique de petits-bourgeois bavards et hargneux, bien moins influents et dangereux que leurs alter ego du FN.
Simplement, essayons de combattre pour l'unité ouvrière, toutes catégories, origines, cultures ou nationalités confondues, face aux vrais ennemis, les capitalistes.
Allez, MO2014, c'est Noël, ouvre les yeux, quitte cette cette clique réac et anticommuniste et rejoins les combats ouvriers.
Je suis sûr que tu en es capable car la croisade qui compte, c'est contre la bourgeoisie et son système.
Réoriente ta magnifique énergie et mets la au service de l'unité des exploités pour le socialisme universel.
Rien que de penser à ce formidable ralliement, je ressens une grande émotion en cette belle nuit de Noêl Embarassed
Il est toujours temps de comprendre, MO, réfléchis....et toi aussi, je suis sûr que tu peux devenir un beau champion .... sunny

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Message  MO2014 Dim 25 Déc - 11:39

Lorry a écrit: moi je serais archevêque

Prêchi-Prêcha... un de plus pour tenter pourrir ce fil de discussion mais patience, bientôt le troll de noël relayeur des thèses islamophobes va disparaitre pour plusieurs semaines pendant que nous préparerons, entre autres, la marche pour la dignité du 19 mars à laquelle évidemment il ne participera pas. Rolling Eyes Rolling Eyes Rolling Eyes

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Message  Lorry Dim 25 Déc - 13:24


Prêchi-Prêcha...

Mais je ne désespère pas de t'amener dans le chemin de la lutte de classe. Et pourquoi pas, un jour, vers les idées du socialisme UNIVERSEL....Joyeux Noël, MO2014 mais surtout, pas trop d'excès; et retrouve calme et sérénité, propices à une salutaire reconversion .... santa

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Message  MO2014 Jeu 29 Déc - 0:19

"L'islamophobie comme axe majeur de la contre-révolution coloniale" :


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