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Extrême-gauche et LGBT dans les années 70

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Extrême-gauche et LGBT dans les années 70 - Page 3 Empty Re: Extrême-gauche et LGBT dans les années 70

Message  Byrrh Mer 9 Jan - 13:51

verié2 a écrit:2)LO a considéré l'homosexualité comme une pathologie et n'est pas revenue par écrit sur cette question - du moins à ma connaissance. Byrrh, qui connait mieux le sujet, pourra préciser.
J'aurais aimé lire de la part de LO un texte public exprimant clairement l'idée que l'homosexualité n'est pas une pathologie, mais un tel texte n'existe pas.
De même, j'aurais souhaité que LO reconnaisse que la lutte contre les préjugés anti-homosexuels n'est pas seulement un combat démocratique, mais également un combat contre une idéologie de diversion et de division des exploités, et qu'il doit être par conséquent un combat de classe. Et je renvoie ceux qui me liront aux documents sur l'ouvrier Maurice Cherdo, par lesquels débute ce fil.


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Message  Byrrh Mer 9 Jan - 13:55

sylvestre a écrit:Qui a vu ce documentaire ?
Ce film n'est pas très bon, mais on peut y voir quelques archives intéressantes. De ce point de vue, il est cependant moins riche que le documentaire d'Yves Jeuland Bleu, blanc, rose (2002).

En juin dernier, France 3 avait diffusé un autre documentaire, Histoire(s) d'homos : http://programmes.france3.fr/documentaires/index.php?page=doc&programme=docs-interdits&id_article=2869
Pas bien terrible non plus. Au début, on peut voir un extrait d'une interview de Maurice Cherdo en 1983, mais cet extrait ne dure que trente secondes...

Un documentaire américain qui mériterait d'être édité en France : Out at work (1996), basé sur les témoignages de travailleurs confrontés aux discriminations homophobes (un ouvrier de l'automobile, une cuisinière dans une chaîne de restauration, un employé de bibliothèque). Je dispose du DVD américain de ce docu : celles et ceux qui sont intéressés peuvent me contacter par MP.

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Message  lomours Mer 9 Jan - 14:30

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Message  sylvestre Mer 9 Jan - 15:21

Byrrh a écrit:
Un documentaire américain qui mériterait d'être édité en France : Out at work (1996), basé sur les témoignages de travailleurs confrontés aux discriminations homophobes (un ouvrier de l'automobile, une cuisinière dans une chaîne de restauration, un employé de bibliothèque). Je dispose du DVD américain de ce docu : celles et ceux qui sont intéressés peuvent me contacter par MP.

J'en profite pour recommander The Stonewall uprising, que j'ai trouvé très bien sur le contexte, les événements eux-mêmes, et leur suite.
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Message  alexi Jeu 10 Jan - 0:37

REPONSE DE ROUGE

Camarades,
1) Nous avons toujours condamné la répression contre les homosexuels. Tant dans nos textes programmatiques que dans la pratique (à propos des persécutions dont ils ont été victimes à Cuba ou à propos des incidents survenus à la fête de Lutte Ouvrière l’an passé).

De quels incidents s'agit-il ?

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Message  Byrrh Jeu 10 Jan - 0:47

alexi a écrit:
REPONSE DE ROUGE

Camarades,
1) Nous avons toujours condamné la répression contre les homosexuels. Tant dans nos textes programmatiques que dans la pratique (à propos des persécutions dont ils ont été victimes à Cuba ou à propos des incidents survenus à la fête de Lutte Ouvrière l’an passé).

De quels incidents s'agit-il ?
Aucune idée, je n'ai pas encore trouvé d'infos à ce sujet.

Mais cela me fait penser à un autre incident : http://www.revuemasques.fr/images/Lutte-ouvriere/Doc-27-LO.jpg

COMMUNIQUE DE PRESSE (25 mai 1979)

Lors du meeting Ligue Communiste Révolutionnaire - Lutte Ouvrière, à la Mutualité, le jeudi 25 Mai, le service d’ordre de Lutte Ouvrière a expulsé « manu militari » 3 membres du collectif de rédaction de « Masques, revue des homosexualités », qui tenaient une table dans le hall d’entrée.

Nous nous étonnons qu’à l’heure où A. Laguiller et A. Krivine écrivent au Président de la République pour protester contre les entraves à l’expression des minorités dans la campagne pour les élections européennes, ce droit à l’expression soit refusé, dans leur propre meeting à une autre minorité…
N’est-il pas contradictoire de demander quelques minutes de télévision aux partis de gauche et de refuser 4 m2 à Masques ?

N’est-il pas paradoxal de se revendiquer de la « démocratie ouvrière » et d’utiliser la violence pour faire taire ceux et celles qui pensaient pouvoir en bénéficier ?
Il nous paraît surprenant qu’on puisse se réclamer du socialisme et utiliser des méthodes comparables à celles du pouvoir en place lorsqu’il interdit certains journaux ou manifestations d’homosexuel(le)s (festival de Rennes, Université d’été à Marseille) ou instaure des interdictions professionnelles (cf. : la radiation de Jean Rossignol de l’éducation nationale).

Nous revendiquons, partout, car la liberté ne se divise pas, l’ensemble des droits démocratiques reconnus aux hétérosexuels. Et pour les obtenir nous ne faisons confiance à personne.
Il y a tout juste 10 ans, le 27 Juin 1969, à New York, les homosexuels affrontaient la police à Christopher Street, revendiquant par ce geste le refus de la clandestinité et de la discrimination, et surtout la volonté d’être homosexuel au grand jour. Dans un mois à Paris, comme dans le monde entier, nous fêterons cet anniversaire qui marque la naissance du mouvement « Gai ».
N’en déplaise à tous ceux qui prétendent nous faire rentrer dans le ghetto qu’ils nous imposent.

Masques, Revue des homosexualités :
C/O librairie Anima, 3 rue Ravignan, 75018 Paris

---------------

RAPPEL DES FAITS

- Il y a 15 jours, Masques demandait à un responsable de la LCR l’autorisation de tenir une table au meeting du 25 ; il fut répondu verbalement que « cela ne posait aucun problème ».
- Lors du meeting, alors que notre présence ne suscitait aucun problème, un responsable de Lutte Ouvrière nous ordonnait de partir en nous proposant de vendre Masques au stand de librairie tenu par les organisateurs. Nous avons refusé et tenté d’expliquer que cette table était surtout un lieu de contact et de discussion. En vain.
- Quelques minutes après une trentaine d’individus entourèrent la table et nous arrachèrent le matériel. Une courte bagarre s’ensuivit : de nombreux participants au meeting ayant tenté d’empêcher notre expulsion.

JOECKER Jean-Pierre
254.33.49
66 Bd Rochechouart (18e)

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Message  ottokar Jeu 10 Jan - 10:34

Semblera-t-il incongru de rappeler sur ce fil que LO s'est créée "pour que Mai 68 féconde et régénère le mouvement ouvrier" et pas pour renouveler les pratiques sexuelles...

Les révolutions et les grands évènements sociaux sont des périodes libératrices, Mai 68 n'a pas fait exception et c'est une bonne chose. Mais pour LO (comme pour les membres d'un "forum marxiste", non ?) je crois ce n'était pas l'essentiel. Krivine, Arlette, et bien d'autres sont restés des combattants. Que sont devenus les fondateurs de la revue "Tout" évoquée plus haut ? Des notables, PS au mieux ? Des publicitaires ?

Les citations montrent que LO a toujours été contre la répression sous toutes ses formes et n'a jamais proféré les niaiseries réactionnaires des staliniens sur la famille, la pilule, l'avortement, etc.

Et dire que les expressions et les conceptions sont le reflet d'une époque n'est qu'une banalité. Marx écrirait-il encore de la même façon la question juive ? Engels écrirait-il de la même façon l'Origine de la Famille ou Dialectique de la Nature (même si l'axe demeurerait le même). Une Internationale communiste prendrait-elle une résolution comme dans les années 20 ou sur la "question nègre" ? Et sur un autre plan, Ken Loach referait-il son "Family life", liant schizophrénie et répression familiale ?

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Message  verié2 Jeu 10 Jan - 11:05

Ottokar
dire que les expressions et les conceptions sont le reflet d'une époque n'est qu'une banalité. Marx écrirait-il encore de la même façon la question juive ?
C'est une banalité, donc une "vérité"... très générale. Or ce qui caractèrise, en principe les révolutionnaires qui se revendiquent du marxisme, même s'ils ne peuvent échapper complètement à leur époque, c'est tout de même d'être un peu en avance sur elle, grâce à la lucidité que leur apporte leur compréhension des phénomènes sociaux. Or, entre Marx et le mouvement trotskyste, il s'est écoulé beaucoup de temps, de nombreux événements sont survenus, entre autres la révolution de 1917.

Les bolcheviks, en dépit de l'arriération de la société russe et de la pression que cette arriération pouvait exercer sur eux, étaient très en avance sur toutes les questions concernant la sexualité. Le stalinisme a représenté sur ce terrain (comme sur beaucoup d'autres) une véritable régression qui a contaminé l'ensemble du mouvement ouvrier. Les Trotskystes n'ont pas été totalement épargnés. Ce qu'on peut reprocher à une partie d'entre eux, c'est de ne même pas avoir retrouvé après un demi siècle le niveau de compréhension qui était celui des Bolcheviks. En Mai 68, ils étaient donc, non seulement en retard sur leur temps, mais en retard sur les précurseurs révolutionnaires. Notamment en reprenant les théories réactionnaires à prétentions "scientifiques" qui définissent l'homosexualité comme une pathologie.

Dans leur cas, dire que le discours était le "reflet d'une époque"... de recul n'est donc pas vraiment une circonstance atténuante. Marx, pour en revenir à lui, s'il n'avait pas atteint le niveau de conscience qu'on peut avoir aujourd'hui sur certaines questions, restait tout de même en avance sur son époque sur les questions de moeurs ou de racisme. Ce n'était pas vraiment le cas de LO et de l'OCI dans les années soixante-dix, du moins sur l'homosexualité...

De plus, ce qu'on peut reprocher à LO, c'est d'avoir changé de discours sous la pression... de l'époque, sans jamais rendre compte de ses positions passées, sans se prononcer clairement sur ses erreurs. C'est d'ailleurs pourquoi les camarades de LO n'apprécient pas qu'on leur rappelle ces positions et qu'on ressorte ces textes des années soixante-dix dont ils ne doivent pas être très fiers aujourd'hui.

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Message  Byrrh Jeu 10 Jan - 12:32

ottokar a écrit:Semblera-t-il incongru de rappeler sur ce fil que LO s'est créée "pour que Mai 68 féconde et régénère le mouvement ouvrier" et pas pour renouveler les pratiques sexuelles...
"Pratiques sexuelles" ? L'homosexualité est une orientation sexuelle, qui s'impose à des individus sans qu'ils aient pu la choisir, comme l'hétérosexualité ou la bisexualité s'imposent à d'autres. On ne choisit pas d'être homosexuel, ce n'est pas un "caprice" ou une "fantaisie". Il faudrait être sacrément masochiste pour choisir une différence qui suscite autant de mépris et de racisme dans la société.

ottokar a écrit:Les révolutions et les grands évènements sociaux sont des périodes libératrices, Mai 68 n'a pas fait exception et c'est une bonne chose. Mais pour LO (comme pour les membres d'un "forum marxiste", non ?) je crois ce n'était pas l'essentiel. Krivine, Arlette, et bien d'autres sont restés des combattants. Que sont devenus les fondateurs de la revue "Tout" évoquée plus haut ? Des notables, PS au mieux ? Des publicitaires ?
Qu'est devenu Maurice Cherdo, dont il est question au début de ce fil ? Il a profité de sa retraite pendant à peu près cinq ans, puis il est mort, comme beaucoup d'autres ouvriers usés par le travail et sans doute à cause des saletés qui se sont accumulées dans ses poumons ou dans son sang pendant ses décennies d'usine.
Les petits-bourgeois du FHAR, de "Tout" ou de la revue "Masques" sont bien utiles à certains pour essayer de discréditer la question homosexuelle, et pour feindre d'ignorer l'existence des lesbiennes et des gays des classes laborieuses qui sont, il est vrai, les plus invisibilisés et les plus vulnérables face à l'oppression spécifique qu'ils subissent.

"Ce que je voudrais dire surtout c’est contre le PC qui dit que c’est petit-bourgeois d’être homo, qu’on est des malades mentaux ; moi dans la boîte où je suis, il y en a plusieurs, aussi bien parmi les ouvriers et les autres, on ne peut pas dire qu’ils sont malades ; la sexualité c’est comme celui qui aime bien salé, l’autre poivré et celui qui aime des gâteaux ; c’est le 6ème sens." — "Quand en aura-t-on fini du racisme contre les homosexuels ? Ce racisme qui fait croire que les homos sont des riches désœuvrés et pas des ouvriers." — "Pourquoi la candidature d’un ouvrier homosexuel à Nanterre-Suresnes ? Pour prouver que les homosexuels, hommes et femmes ne sont pas que des artistes ou des bourgeois, pour dire qu’ils ne sont pas des malades, des obsédés sexuels." (Maurice Cherdo, 1981)

ottokar a écrit:Les citations montrent que LO a toujours été contre la répression sous toutes ses formes et n'a jamais proféré les niaiseries réactionnaires des staliniens sur la famille, la pilule, l'avortement, etc.
Les documents rassemblés sur ce fil montrent que Lutte ouvrière a pendant de longues années présenté l'homosexualité comme un comportement méprisable ou une anomalie. Les déclarations - assez platoniques et abstraites - de Lutte ouvrière contre la répression ne peuvent excuser ce discours. D'ailleurs, même une Christine Boutin est capable de verser de très chrétiennes larmes de crocodile sur les pauvres homosexuels qui souffrent, et de prétendre qu'elle n'est pas homophobe, tout en exprimant les idées qu'on lui connaît. Il n'est pas nécessaire d'user de ses poings ou d'employer des mots vulgaires envers les homosexuel(le)s pour être homophobe.

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Message  alexi Jeu 10 Jan - 21:25

Ottokar :
Que sont devenus les fondateurs de la revue "Tout" évoquée plus haut ? Des notables, PS au mieux ? Des publicitaires
Drôle d'argument confused
Tu penses à Daniel Guérin ?!

alexi

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Message  ottokar Jeu 10 Jan - 22:45

alexi a écrit:
Ottokar :
Que sont devenus les fondateurs de la revue "Tout" évoquée plus haut ? Des notables, PS au mieux ? Des publicitaires
Drôle d'argument confused
Tu penses à Daniel Guérin ?!

Non, je pensais à Roland Castro, mitterandolâtre et Guy Hocquenghem dont les combats se sont éloignés de la révolution sociale (pour ne même pas parler de mouvement ouvrier).

Bon, mais j'arrête, cela ne sert à rien de part et d'autre...

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Message  Byrrh Jeu 10 Jan - 23:01

Ottokar veut noyer le poisson.

Des petits-bourgeois d'extrême gauche qui ont préféré leur carrière à la révolution sociale, il y en a des wagons entiers (et la plupart, d'ailleurs, ne se sont pas mêlés des luttes homosexuelles). Et alors ? Qui les défend sur ce fil ? Qui les prend pour référence ?

Quel est le rapport avec les positions réactionnaires qu'exprimait LO dans les années 70 sur ce qu'est l'homosexualité ? Les bouffonneries du FHAR et l'évolution de certains gauchistes parisiens ne peuvent suffire à les justifier. A vrai dire, elles sont injustifiables pour des révolutionnaires ; elles devraient seulement donner lieu à une autocritique.

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Message  tomaz Ven 11 Jan - 11:58


a la lecture du pamphlet de Guy Hocquenghem "lettre ouverte a ceux qui sont passés du col mao au rotari", on ne peux pas dire que celui ci est retourné sa veste et profité des prébendes du ps. Enfin a ma connaissance, en 1986, j'étais bien jeune...
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Message  ottokar Ven 11 Jan - 16:09

explication de textes pour mal-comprenants ou lecteurs trop rapides

1. Je répondais à Alexi qui m'opposait Daniel Guérin
2. J'ai écrit de Guy Hocquenghem que ses "combats se sont éloignés de la révolution sociale (pour ne même pas parler de mouvement ouvrier)"

Rien de plus, rien de moins.

Mais que cela n'empêche pas les amoureux du dernier mot d'en rajouter une couche...

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Message  Byrrh Ven 11 Jan - 17:50

Sur un autre forum, Ottokar se plaît à qualifier la question homosexuelle de "sociétale", ce qui n'a rien d'original, on retrouve cette opinion chez beaucoup de gens qui ne subissent pas l'homophobie. Mais j'aimerais tout de même savoir si, pour Ottokar, le fait que les Noirs de Montgomery (USA) n'avaient pas le droit de s'asseoir à l'avant des bus avant 1956 relève du "sociétal". Je pense que non.

A propos du racisme, voici ce que Lutte ouvrière a fort justement écrit, et qu'elle a toujours été incapable d'écrire à propos de l'oppression spécifique vécue par la fraction homosexuelle du prolétariat (extrait de la brochure Le racisme, texte d'un diaporama organisé en juin 1976 par Lutte ouvrière) :

Le racisme, c'est tous les jours qu'il se manifeste : dans notre quartier, sur les murs, dans les faits divers des journaux.

Ce sont surtout des réflexions, mais aussi des agressions, et parfois même des crimes racistes.

Par exemple, le 16 mars 1975, à Vanves, notre camarade Mohamed Bechir Rassaa fut abattu par une bande raciste.

(...)

La société capitaliste sécrète le racisme par tous ses pores. Et c'est elle qui en est responsable, même si les bourgeois eux-mêmes ne sont pas forcément racistes. Giscard peut recevoir avec chaleur des chefs d'Etat de pays africains ou même à sa table, pour le petit-déjeuner, les éboueurs de la rue Saint-Honoré.

Les bourgeois, parce qu'ils ont accès à la culture, peuvent plus facilement que d'autres couches sociales échapper aux préjugés racistes. Alors que dans les couches les plus pauvres de la population, où l'inculture favorise l'existence de préjugés racistes, ceux-ci sont d'autant plus répandus qu'ils constituent une tentative de s'élever dans l'échelle sociale en rabaissant les autres.

Certains méprisent les travailleurs immigrés, comme ils maltraitent leur femme, parce qu'ils veulent se venger sur les gens qu'ils considèrent comme leurs inférieurs de ce que leur font subir leur patron ou leur chef.

(...)

Ceux qui sont racistes ne peuvent être que de sinistres imbéciles. Et si tous ne rêvent pas de voir s'ouvrir à nouveau les camps de la mort, les idées qu'ils propagent ne peuvent que permettre à l'exploitation de se perpétuer.

Le racisme empoisonne la conscience de la classe ouvrière, dans la lutte contre l'exploitation capitaliste. Il est donc capital de ne pas permettre au racisme de prospérer.

Et ce n'est qu'en détruisant la société capitaliste qu'on pourra en détruire les racines.

Car il n'y a que dans une société où aura disparu l'exploitation, que la barbarie raciste aura aussi définitivement disparu.
Au-delà de l'ironie dont il se sert pour ne pas répondre aux questions qu'on lui pose, je pense qu'Ottokar acceptera que le dernier mot soit laissé à Lénine. Cette courte et célèbre citation correspondrait assez à ce que fut l'attitude de Lutte ouvrière à l'égard des homosexuels... et à ce qu'elle est encore dans une certaine mesure, cette organisation n'étant guère pressée de reconnaître que l'homophobie fait partie des principales idéologies qui entretiennent la division des exploités.

« Parmi nos camarades, il y en a encore beaucoup dont on peut dire malheureusement : "grattez un peu le communiste et vous trouverez le philistin". Certes, il faut gratter à l’endroit sensible : sa mentalité à l’égard de la femme. »


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Message  verié2 Ven 11 Jan - 19:40

Byrrh
Ottokar se plaît à qualifier la question homosexuelle de "sociétale"
Cette fois, je vais me faire le défenseur d'Ottokar. Je ne pense pas qu'en employant l'épithète "sociétale", il entende manifester son mépris pour cette question et je suppose qu'il veut dire qu'il s'agit d'un sujet de société "interclassiste" qui ne mobilise pas directement les salariés contre les patrons, vu qu'il y a des homosexuels dans toutes les classes et catégories de la société. Il met un peu cette question sur le même plan que le féminisme. Ni le combat féministe ni le combat contre l'homophobie ne sont par nature des combats de classe, même si nous sommes bien d'accord sur leur importance. D'ailleurs, le combat antiraciste aux Etats Unis ne mobilisait pas non plus systématiquement les ouvriers contre les patrons, même s'il y avait bien évidemment davantage d'ouvriers noirs que de patrons noirs.

Alors, certes, à LO, les combats féministes comme anti-racistes organisés(comités, organisations spécifiques etc), (ne parlons pas du combat contre l'homophobie...) ont toujours été considérés comme des activités non prioritaires par rapport à l'intervention visant à s'implanter dans les entreprises. Ce qui n'empêchait pas LO d'inciter ses militants à combattre le racisme et le sexisme au jours le jour partout où ils étaient présents - pas l'homophobie, certes, sauf sans doute depuis une période relativement récente.

Pour conclure, il me semble qu'on peut se mettre d'accord pour considérer qu'il s'agit de luttes à caractère démocratique dont la partie la plus consciente de la classe ouvrière devrait prendre la tête.



Dernière édition par verié2 le Ven 11 Jan - 19:56, édité 1 fois

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Message  alexi Sam 12 Jan - 0:16

Ottokar :
Que sont devenus les fondateurs de la revue "Tout" évoquée plus haut ? Des notables, PS au mieux ? Des publicitaires

Non, je pensais à Roland Castro, mitterandolâtre

Roland Castro a participé à la Revue Masques ?

Edit : Désolé, j'ai lu trop vite, j'étais resté sur la création de la revue Masques alors qu'Ottokar avait glissé vers la revue "TOUT !".


Dernière édition par alexi le Sam 12 Jan - 12:06, édité 1 fois

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Message  Byrrh Dim 13 Jan - 14:04

Ma réponse au dernier message de Verié et la suite des discussions sur ce thème ont été déplacées sur le nouveau fil Luttes anti-sexistes et combats de classe.

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Message  Byrrh Mar 15 Jan - 22:30

« Ces hommes qui s’aiment », reportage réalisé par Patricia Charnelet, Dominique Fernandez, Jean Le Bitoux et Jacques Aubertin, diffusé le 5 novembre 1979 sur Antenne 2 dans le magazine Question de temps. Avec les Dossiers de l'écran en 1975, une des très rares émissions à avoir donné la parole à des homosexuels à la télévision française pendant les années 1970.

On peut y voir brièvement Jacques Fortin, à l'époque militant de la LCR, aujourd'hui au NPA.


1979 "ces hommes qui s'aiment" Antenne 2 par jeanrossignol

Extraits du reportage :

[Dominique Fernandez :] « Si l’opinion publique tolère les homosexuels quand ils sont écrivains, peintres ou décorateurs, elle les rejette avec mépris dès qu’ils n’appartiennent pas au milieu littéraire ou artistique. (…) Le nombre crée la force, ceci dit nous avons cherché des témoignages, des gens qui accepteraient de témoigner à visage découvert, on n’en a trouvé que douze dans toute la France. Parce que les risques sont tellement grands, d’abord dans le métier, et ceux qui vont parler aujourd’hui vraiment courent de sérieux risques, dont ils peuvent subir dès demain les conséquences : ils peuvent être renvoyés de leur travail, tout simplement. Et puis les rapports avec la famille, qui sont très douloureux, parce que la plupart des homosexuels sont forcés de cacher leur nature, leur vérité profonde, aux êtres qui leur sont le plus cher. Et d’habitude, les parents, quand ils apprennent la vérité sur leur fils, ou bien le mettent à la porte tout simplement, ou bien l’envoient chez le psychiatre, et tous essaient de le faire changer. »

[Voix off :] « En milieu ouvrier, l’issue n’est pas la sublimation, réservée aux étudiants et aux intellectuels, mais le mariage, pour ainsi dire obligatoire. »

[Témoignage d’Hervé, ouvrier :] « Il y a une pression sociale qui est très très très très forte : la famille, le milieu social… Si vous n’êtes pas marié et si vous n’êtes pas dans le genre dragueur, on vous regarde, on se pose des questions, on vous agresse, etc. Et c’est pour ça que d’ailleurs la plupart des homosexuels ouvriers sont mariés. Après la trentaine, ils sont mariés pour la plupart, car autrement c’est pas possible. Il leur faut une caution… Tous ceux que j’ai rencontrés étaient mariés. »

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Message  alexi Dim 24 Fév - 13:02

Le film Les invisibles dont on a parlé sur ce fil vient de recevoir le césar du meilleur documentaire.

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Message  Byrrh Mar 16 Avr - 10:16

alexi a écrit:Le film Les invisibles dont on a parlé sur ce fil vient de recevoir le césar du meilleur documentaire.
Le DVD de cet excellent documentaire sera disponible à partir du 2 mai prochain : http://www.amazon.fr/Les-invisibles-S%C3%A9bastien-Lifshitz/dp/B00A7YEFVY

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Extrême-gauche et LGBT dans les années 70 - Page 3 Empty Re: Extrême-gauche et LGBT dans les années 70

Message  Byrrh Jeu 19 Déc - 8:45

Moins en rapport avec le titre actuel du fil qu'avec les documents reproduits dans les premières pages :

TALBOT

Walid, mutant dans la tourmente industrielle


Article publié dans le n°102 de Gai Pied Hebdo du 14 janvier 1984.

« Walid, ça veut dire fils du prince ! » Sa chambre n’est pas un palais mais son sourire est un soleil. La banlieue de Sartrouville figure quant à elle un décor de « mille et un cauchemars ». Son royaume ? Six mètres carrés entre deux cloisons que se disputent un lit, une petite table, un frigo sous la télé, et un tapis sur lequel se serrent les copains pour boire le thé.

Etonné au début de voir rappliquer un journaliste de Gai Pied, on a très vite sympathisé. Walid raconte. Débarqué du sud marocain en 73, il avait été recruté chez lui par le Joint Français, une de ces nombreuses entreprises industrielles alors en quête d’une main d’œuvre bon marché. Ses muscles et la corne de ses mains lui ont servi de passeport pour cet eldorado français qu’on lui faisait miroiter à coups de promesses, de bon salaire, de formation professionnelle (prévue dans le contrat d’embauche et qui n’a jamais existé), et de logement moderne. Son mirage s’est brisé comme un miroir confronté à une image réelle, faite de labeur servile, d’humiliations et d’isolement extrême… après un an à peine. Pourtant, ça a été dur de partir ! Quitter les siens à vingt ans, s’exiler pour travailler et nourrir la famille restée dans le besoin au pays, laisser ses amoureux en pleurs pour suer en trois-huit sur une presse, avec comme seul « voyage » les neuf kilomètres qui séparent l’usine Talbot de Poissy du Foyer. Ce parcours désuet, Walid ne l’effectuera d’ailleurs plus jamais : il fait partie des 1905 licenciés.

La vraie vie

Contrairement à certains de ses collègues, lui ne veut pas retourner au pays. D’accord, sa femme l’attend « là-bas »… Mais il n’est pas pressé. « A trente ans, on doit encore en profiter ! ». Ici, il a de nombreux copains gais. « A mon travail, personne ne sait, et au foyer il faut être très discret. On dit que tous les Arabes sont pédés, c’est faux ! C’est très mal vu au contraire, après on n’est plus un homme, dans ta famille, partout, tu es renié. (…) Certains tirent leur coup en cachette puis le regrettent… C’est tellement impossible de vivre “sans” et d’être en même temps toujours espionné par Mahomet ! ». La violence du désir fait parfois voler en éclats tous les préceptes, et Walid lui est très fier d’aimer ses « frères », même si « la plupart sont des mecs européens, surtout des Français. » Rencontrer, discuter, aimer les garçons, c’est sa façon à lui d’égayer d’un peu de couleur sa grisaille quotidienne. Sa tranche de « vraie vie, de bonheur », il l’engloutit avidement à Paris, presque tous les week-ends, il va dans les endroits où l’on veut bien le laisser entrer, « le BH, le Central, le Manhattan, le 18, la Mendigotte… sans doute parce que je suis encore beau et jeune », rajoute-t-il en rigolant. « Là-bas, on ne peut pas vivre avec un garçon, sauf si t’es étudiant. A 29 ans, je me suis senti obligé de prendre une femme, mais mon rêve c’est d’habiter avec quelqu’un qui me plaira suffisamment. »

La radio annonce une négociation tripartite (syndicat, patron, gouvernement) pour mardi. « Tiens, la CFDT recule ! ». Le film catastrophe des infos défile sur la bande son de son petit transistor ; au mot « Liban » il coupe, « Y’en a marre, la guerre, toujours la guerre ; moi aussi, je suis en plein dedans ! »

Des boulons plein la gueule


Sa guerre à lui a commencé dès qu’il est entré chez Talbot, il y a six ans, obligé, s’il voulait éviter les « ennuis », de prendre sa carte au syndicat-maison, la lourdement réputée CSL. Personne ne lui laisse oublier qu’il est arabe, il doit fermer sa gueule et visser, toujours visser, en pensant que quand même, à côté du Maroc, la France est toujours l’Amérique ! « Si je retourne, je n’aurai pas de travail, mon pays est très pauvre et sans libertés. J’ai la chance de savoir un peu lire et écrire, je suis d’accord pour suivre une formation de mécanicien auto, puisque je n’ai pas le niveau pour l’électricité. » La loi du retour, il ne veut pas en entendre parler. Son regard doux se fait dur, sa voix timide – presque résignée – soudain s’enflamme. « Je suis à la CGT depuis juin 82, j’ai lutté avec elle pour imposer la liberté syndicale, maintenant je paie ; je ne regrette rien. Le gouvernement a fait une connerie en négociant sans nous ; si il fait comme ça à l’avenir, c’est pas un vrai gouvernement socialiste ! Moi, j’y connais rien en politique, seulement ce que je vois c’est que depuis juin 82, la Maîtrise est moins arrogante, ils font au moins semblant de nous respecter ! Et des boulons, je suis encore prêt à en recevoir plein la gueule si ça doit servir à nous faire respecter ! Ici, on aura au moins appris à ouvrir nos gueules, à cesser d’être obligé de fayoter. »

Walid a mis une cassette de Oum Kalsoum pour casser le silence et couvrir le bruit du lavabo d’à côté. « Heureusement que j’ai ça ! Quand je suis sur la chaîne, je pense à mes amis, au pays, je chante dans ma tête. » Ah, le pouvoir réel de la musique sur l’émotion des hommes ! Oui, je sais… Cliché. Qu’est-ce que vous voulez qu’on y fasse si certaines voix font trembler nos colonnes ?!

Dans le train du retour, j’ai bien failli pleurer, n’était l’irruption opportune du camarade-contrôleur qui m’a puni de m’être égaré… Je revoyais le visage fier de Walid dans l’embrasure de la porte : « Surtout, n’oublie pas, pédé ou pas… jamais baisser les bras, toujours garder la tête haute ! »

Marco Lemaire

Byrrh

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Message  Byrrh Sam 23 Mai - 17:26

Un échange vif, mais tout de même assez civilisé, entre un rédacteur de la revue syndicaliste-révolutionnaire La Révolution prolétarienne et Daniel Guérin, à l'occasion de la sortie de son Autobiographie de jeunesse en 1972. Les thèmes évoqués dans cet échange sont plus larges que le sujet de ce fil, mais je publie tout de même ces textes ici.

La Révolution prolétarienne N°585, septembre 1972

AUTOBIOGRAPHIE DE JEUNESSE
de Daniel GUERIN (P. Belfond, édit.)


En écrivant une autobiographie, d’ailleurs remarquable par son courage et sa franchise, Daniel Guérin nous invite à lui dire ce que nous autres, qui venons de tout autres horizons que le sien, pensons de son attitude et de ses mobiles. C’est ce que je fais avec, je crois, autant de franc parler que lui-même. Cela pourrait être l’occasion d’intéressants échanges d’idées sur le rôle des intellectuels bourgeois dans le mouvement ouvrier. Et tant pis si je suis taxé d’ouvriériste.

Voilà l’ouvrage le plus révélateur sur la structure réelle de la société française que j’aie lu depuis fort longtemps. L’ouvrage aussi qui jette la lumière la plus crue sur les causes profondes de l’impuissance chronique de la gauche française si assurée en parole, si faible dans l’action. Un ouvrage qui m’a fait rire de bon cœur, non pas tant de l’auteur, toujours sérieux et imperturbablement convaincu de son talent et de sa vitalité, que de moi-même.

Bien que cette méthode soit quelque peu inhabituelle, on me permettra, pour mieux rendre compte d’une autobiographie, de commencer par quelques confidences. Je n’ai jamais rencontré Daniel Guérin et je n’avais aucune idée de sa personnalité propre ni de ses origines sociales avant de lire son livre. Tout ce que je savais de lui c’est qu’il était l’auteur d’une très solide étude Fascisme et grand capital qui fit date dans les années trente et de quantité de livres et d’articles développant un point de vue très proche de celui des libertaires sur toutes sortes de questions sociales. Je savais aussi que Daniel Guérin avait dû, à plusieurs reprises, trouver refuge à l’étranger. Comme j’avais souvent vu aussi sa signature au sommaire de « la R.P. » je supposais que Daniel Guérin était, comme on dit un « copain ». Nos « copains », pour la plupart militants autodidactes, ont en général pas mal roulé leur bosse, chassés de leurs emplois, et souvent de leur pays, par suite de leur activité syndicale, de leur participation active à des grèves ou autres formes de protestation contre l’ordre établi. Aussi depuis peu j’achetais la plupart des ouvrages que Daniel Guérin proposait, par circulaire, me disant qu’ainsi je venais un peu en aide à un vieux « copain » sans doute victime de la répression bourgeoise.

La lecture de son Autobiographie de jeunesse m’a ouvert les yeux, m’a donné la mesure de ma naïveté en m’obligeant à regarder en face les véritables mobiles et la formation intellectuelle d’un homme qui passe parfois pour un porte-parole des aspirations et des points de vue de la classe ouvrière. Rien de moins prolétarien, rien de plus éloigné des conditions matérielles et du climat affectif de la vie ouvrière que l’enfance et la jeunesse protégées de Daniel Guérin. Il est né et a grandi au sein d’une famille de grande bourgeoisie parisienne dont la fortune reposait sur l’exploitation d’une importante affaire de librairie. Sa mère était née d’Eichthal, fille du célèbre Saint-Simonien, disciple aimé du père Enfantin, Daniel Halévy était son oncle tout comme son professeur à l’école des sciences politiques, Elie Halévy. Son père était de vieille souche parisienne. Cette famille bourgeoise, solidement installée dans un immeuble du 22-24, boulevard Saint-Michel, poussait ses ramifications dans tous les milieux dirigeants, en France aussi bien qu’à l’étranger. Le clan familial avait des antennes partout et le jeune Daniel Guérin, n’importe où il allait dans le monde entier, trouvait des relations, des correspondants prêts à lui rendre service et lui faciliter les choses.

C’est ainsi que Daniel Guérin put faire son service militaire avec des galons d’officier de réserve et que, très jeune, il fut introduit dans les milieux littéraires et devint l’ami de François Mauriac.

Au sein de cette famille bourgeoise, que Daniel Guérin se plaît à qualifier d’« humaniste », les tensions ne manquaient pas bien que sa prospérité semble n’avoir jamais été mise en cause. Des incompatibilités, d’ordre affectif surtout, divisaient ses membres. Un sens aigu des affaires et de ce qu’il faut pour réussir dans le monde nuisait à la spontanéité et à la sincérité des rapports entre les personnes. La rigueur et la froideur d’une mère frustrante et sans doute castratrice ont fait de Daniel Guérin un révolté contre son sexe et sa classe. L’émoi sexuel qu’il ressent au contact des jeunes ouvriers virils et sans façons qu’il côtoie dès son début dans les affaires, lui révèle son homosexualité. La transgression manifeste sa liberté qui lui permet d’échapper à l’atmosphère raréfiée de son milieu social et de découvrir la fraternité, la sincérité, la chaleur humaine qui caractérisent les rapports personnels dans la classe ouvrière. Il multiplie les aventures. Les rapports vénaux ne lui paraissent pas moins satisfaisants que les autres. En même temps qu’il découvre en lui-même un extraordinaire appétit de chair fraîche, que la possession de corps toujours nouveaux ne parvient pas à assouvir. La révélation qu’il a, alors de la grande fraternité prolétarienne, incite Daniel Guérin à se détourner de son milieu, à renoncer à ses goûts artistes et même à faire une carrière confortable et facile de fils de famille. Il se range du côté des damnés de la terre pour mieux fraterniser avec eux et pour faire servir sa culture, ses connaissances, ses relations mondaines dans les milieux dirigeants à la lutte contre le scandale social et colonial.

Voilà, tout au moins, ce que Daniel Guérin nous dit avoir voulu faire, ce qu’il a cru faire de sa vie. Pour l’observateur extérieur à son itinéraire personnel et aux mouvements de sa sensibilité sexuelle, l’enseignement de son livre n’est pas tout à fait celui que l’auteur veut en tirer. À le lire on est frappé par l’étendue et la complexité des grandes familles dont les antennes se ramifient dans toutes les branches essentielles de l’activité. L’efficacité pratique de la solidarité qui lie tous les membres du clan et au-delà tous ceux qui sont passés par le même moule est extraordinaire. Nulle porte ne se ferme longtemps devant eux et c’est d’emblée qu’ils pénètrent là où un homme d’origine modeste ne saurait parvenir ni être introduit au terme de toute une vie d’efforts. Lorsqu’on mesure la puissance des dynasties bourgeoises, on comprend mieux comment leur existence renforce l’inégalité des chances devant la vie.

À lire Daniel Guérin on s’aperçoit aussi que l’ouvrier musclé et bon enfant qu’il aime n’est qu’un archétype idéal, l’antithèse même des bourgeois cérébraux et calculateurs qu’il a rencontrés dans son milieu familial. Il laisse complètement de côté l’ouvrier réel, débilité et affaibli par sa condition même, isolé, doutant de soi. Il ignore aussi tout un prolétariat surmené et puritain jusqu’au rigorisme en confondant un peu vite des éléments marginaux, sinon tout à fait en marge, avec la classe ouvrière tout entière.

La rhétorique apprise à Louis-le-Grand et à l’Ecole Libre des Sciences Politiques a pu servir à Daniel Guérin lorsqu’il s’est agi pour lui d’amplifier et d’exalter l’image qu’il s’était choisie de l’ouvrier archétypal. Pourtant, même si cet ouvrier avait existé, qu’aurait pu le prolétariat au torse développé et aux muscles d’acier contre ces monstres froids que sont les grandes affaires et les forces politiques qui dominent notre époque ?

Rien de plus étranger aussi à la mentalité moyenne de l’ouvrier français que ce trait qui se manifeste presque à chaque page de l’autobiographie de Daniel Guérin : sa certitude d’être plus fort, plus énergique, plus actif, plus intelligent que quiconque, sa certitude de savoir briller pour plaire et finalement dominer qui révèle un immense orgueil biologique.

On comprend certes bien pourquoi l’auteur s’est senti revivre et confirmé dans ses goûts, en mai 1968, lors de la dernière flambée du gauchisme en France. Son rêve de libération sexuelle et sociale semblait pour une fois tout près de s’incarner dans la réalité, de prendre pied dans la vie quotidienne. Mais hélas, il nous a bien fallu déchanter et nous rendre compte que la spontanéité créatrice des masses restait et resterait sans lendemain tant que la classe ouvrière n’aurait pas élaboré dans son sein même, forgé dans ses rangs, les institutions et les cadres de la société nouvelle communautaire et fraternelle, susceptible de remplacer l’injuste et brutale foire d’empoigne capitaliste. Les intellectuels d’origine bourgeoise, du type Daniel Guérin, qui ont le « cœur » à gauche, ne nuisent-ils pas plus finalement à la classe ouvrière qu’ils ne l’aident à se comprendre et à s’exprimer, en substituant à la lente et difficile découverte de soi-même et de ses propres limites, une vision trop exaltée et sans doute fausse de sa puissance collective qui ne repose sur rien d’autre en dernière analyse que les fantaisies d’une adolescence bourgeoise trop soumises aux autorités familiales.

Pierre AUBERY.

(Daniel Guérin, prévenu de cet article, répondra dans le prochain numéro.)

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La Révolution prolétarienne N°586, octobre 1972
« AUTOBIOGRAPHIE DE JEUNESSE »
Réponse de Daniel GUÉRIN


Je ne ferai qu’une brève réponse à une agression qui ne mérite pas que les lecteurs de la R.P., non plus que le militant visé, s’y attardent.

1°) Mais non, je n’ai pas de sympathie seulement pour l’ouvrier « musclé » et « marginal », que je n’ai jamais confondu « avec la classe ouvrière tout entière ». Malheureusement, à l’imprimerie, une ligne a sauté au bas de l’avant-dernière page de mon autobiographie de jeunesse. Elle eût, peut-être, dispensé mon censeur d’un de ses blâmes. Il était dit, dans cette ligne que mes penchants « seront transposés car ils se porteront sur l’ensemble du prolétariat en lutte ».

Depuis 1930, je me trouve avoir déserté la grande bourgeoisie d’où je suis sorti pour essayer de me mettre au service de « la classe ouvrière tout entière ». Voilà, comme dit avec peu d’indulgence Pierre Aubery, ce que j’ai « cru faire » de ma vie.

2°) Mais si, l’enseignement de mon livre est « tout à fait celui que l’auteur veut en tirer ». J’ai trop connu, en effet, la grande bourgeoisie du dedans pour ne pas cesser, ma vie durant, de la démasquer et de la combattre, ce pour quoi, comment s’en étonner, elle me tient – c’est le moins que l’on puisse dire – rigueur. En me lisant, Aubery, et peut-être en même temps que lui des ouvriers révolutionnaires, auront pu la mieux connaître, la mieux exécrer et un jour prochain, la mieux anéantir.

3°) Des types de mon genre, selon Aubery, « nuiraient » à la classe ouvrière ? J’ai toujours cru, au contraire, que ce dont le prolétariat a le plus besoin, c’est de vérité : vérité, quant au mécanisme social, vérité aussi quant au comportement sexuel que la société de classe a longtemps dissimulé sous un voile d’hypocrisie. En essayant de la « franchise », effort que veut bien tout de même me reconnaître l’agresseur en question, je souhaiterais encore servir, à ma façon, la classe ouvrière – une classe qui, au surplus, comme toutes les autres, contient un pourcentage non négligeable, et plus important qu’on l’imagine, d’homosexuels. Ces camarades se heurtent dans leur milieu et leur lieu de travail à un préjugé plus tenace encore et plus humiliant qu’au sein des autres couches sociales. Le Front homosexuel d’action révolutionnaire, depuis sa naissance dans la coulée de mai 1968, les a quelque peu aidés, déjà, à relever la tête.
*
*   *
P.S. – Puis-je ajouter ceci : Aubery dit, avec mordant, que ma famille bourgeoise, je me « plais » à la qualifier d’« humaniste ». Il fallait tout de même faire la distinction entre la tribu familiale aux antennes partout ramifiées et les quelques isolés de mon entourage immédiat, épris, eux, d’art, de littérature et de musique et qui défendirent Dreyfus tandis que le reste de la tribu hurlait à la mort contre le « traître juif ». Mais il est vrai que, par leurs avoirs en banque, ces « humanistes » ne se distinguaient point des capitalistes apparentés, à cette différence près qu’ils acquéraient, eux, des Degas, des Renoir, des Toulouse-Lautrec, des gravures de Gauguin, des dessins et statuettes de Maillol, qu’ils publiaient des livres ou des poèmes, ou des ouvrages de philosophie. Qui leur en fournissait les moyens ? La plus-value extorquée par la tribu au prolétariat.

Un dernier mot : aujourd’hui un appel téléphonique me donne, après le Monde, des précisions navrantes sur le suicide, à Fresnes, d’un jeune détenu qui ne sortait certainement pas de la bourgeoisie. Il s’est donné la mort après avoir purgé une semaine de « mitard » pour homosexualité. D.G.

Byrrh

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