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Luttes anti-sexistes et combats de classe

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Message  Byrrh Ven 11 Jan - 20:57

(Sujet issu du fil Extrême gauche et LGBT dans les années 70.)

verié2 a écrit:Pour conclure, il me semble qu'on peut se mettre d'accord pour considérer qu'il s'agit de luttes à caractère démocratique dont la partie la plus consciente de la classe ouvrière devrait prendre la tête.
Il y a là un désaccord radical entre nous. Qu'il y ait des femmes, des non-Blancs et des homosexuels dans toutes les classes, c'est un fait, mais l'intensité de l'oppression subie en fonction de la classe sociale à laquelle on appartient est un critère déterminant, qui fait que les combats contre le sexisme, le racisme et l'homophobie ne sont pas que des questions strictement démocratiques.*

Ce sont également des questions d'ordre stratégique, qui touchent directement à la cohésion des classes laborieuses, à l'élévation de la conscience de classe, à la capacité des travailleurs les plus conscients à combattre les idéologies des classes dominantes dans chacun des domaines de la vie où elles s'immiscent.

J'ajouterai que seul le socialisme pourra faire disparaître les racines de ces idéologies, ce que les réformes démocratiques conquises dans le cadre du capitalisme ne pourront jamais réaliser. D'ailleurs, les marxistes d'aujourd'hui - ou plutôt devrais-je dire les marxistes français d'aujourd'hui, les militants d'autres pays ne nous ayant pas attendus pour le faire - devraient avoir la démarche de mener sur l'homophobie les mêmes recherches historiques et théoriques que sur l'oppression des femmes, des peuples coloniaux et des minorités ethniques. L'oppression des homosexuels est une conséquence évidente de la division sexuelle du travail et de ses implications idéologiques, et cela mériterait d'ête creusé.

EDIT : il y a une fâcheuse tendance, en France en tout cas, à séparer la lutte économique des travailleurs des combats contre des questions spécifiques qui touchent certains secteurs des classes laborieuses (racisme, oppression des femmes, des homosexuels), alors que pour moi ces différentes dimensions sont simultanées. L'oppression spécifique vécue par une travailleuse ou un travailleur en raison de son genre, de sa couleur de peau ou de son orientation sexuelle agit comme un "exhausteur" du vécu de son exploitation économique, et réciproquement, le fait d'être un travailleur sous-payé, pressurisé et menacé de licenciement est un "exhausteur" du vécu de l'oppression spécifique. Tout ça peut sembler péniblement jargonneux, et à cette heure-ci, je ne trouve plus mes mots, mais je pense que les choses vous paraîtront plus limpides le jour où un conflit social d'ampleur aura pour point de départ une révolte en rapport avec des questions d'humiliation, de domination pas uniquement économique, etc. Une oppression, y compris une oppression d'ordre économique, ne se mesure pas qu'en termes de calories et de pouvoir d'achat perdus, mais également en termes de violences psychologiques et physiques.

----------------------------
* Et j'en profite pour énoncer ce lieu commun : chacun conviendra que la notion de combat contre le racisme ne correspond pas à une seule réalité, tant ce combat peut être différent en fonction de qui le mène, en l'occurrence une association réformiste ou une organisation de travailleurs révolutionnaires. Les révolutionnaires ne combattent pas le racisme pour les mêmes raisons, par exemple, que la bourgeoisie "humaniste", ou du moins pas uniquement. Est-ce que je suis assez clair ?
Il doit en être de même concernant le combat contre l'idéologie anti-homosexuelle.


Dernière édition par Byrrh le Lun 14 Jan - 21:51, édité 5 fois

Byrrh

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Message  verié2 Sam 12 Jan - 10:30

Byrrh
Ce sont également des questions d'ordre stratégique, qui touchent directement à la cohésion des classes laborieuses, à l'élévation de la conscience de classe, à la capacité des travailleurs les plus conscients à combattre les idéologies des classes dominantes dans chacun des domaines de la vie où elles s'immiscent.

J'ajouterai que seul le socialisme pourra faire disparaître les racines de ces idéologies, ce que les réformes démocratiques conquises dans le cadre du capitalisme ne pourront jamais réaliser.
(...)
il y a une fâcheuse tendance, en France en tout cas, à séparer la lutte économique des travailleurs des combats contre des questions spécifiques qui touchent certains secteurs des classes laborieuses (racisme, oppression des femmes, des homosexuels), alors que pour moi ces différentes dimensions sont simultanées
Dire qu'il s'agit d'un combat à caractère démocratique n'implique pas de nier l'importance de ce combat. Pour prendre un autre exemple, sous un régime dictatorial ou même seulement très "autoritaire", le combat pour la liberté d'expression, d'organisation etc est évidemment stratégique, dans un pays colonisé, par exemple la Palestine, le combat pour disposer d'un Etat national est stratégique lui aussi. Le point de vue traditionnel des communistes révolutionnaires, hérité des premiers congrès de l'Internationale, est que la classe ouvrière doit prendre la tête de ces combats. Pourquoi n'en serait-il pas de même de la lutte contre l'oppression raciale, religieuse, l'oppression des femmes et des homosexuels ?

Nous sommes bien d'accord que les grands mouvements de révolte de la classe ouvrière n'ont pas nécessairement comme point de départ une lutte purement économique. L'histoire a vu ces mouvements connaître toutes sortes de causes. Des brimades, une discrimination contre des femmes ou des homosexuels dans une entreprise ou un quartier pourraient parfaitement être le point de départ d'une lutte d'ampleur. Il ne faut pas en effet avoir une vue purement économiste de la lutte de classes. Aux Etats Unis, sous l'apartheid, il y a eu ainsi un mouvement de classe d'ouvriers noirs, peu connu, qui est relaté dans le superbe film de Whitaker Légitime défense - ce mouvement avait même un caractère religieux !

Donc, dire que le combat contre l'oppression sexiste est "démocratique" n'implique nullement de le remiser au rayon des accessoires.

Sur le fait que ces oppressions ne pourront pas disparaître sous le capitalisme, je serais plus prudent. Le capitalisme est tout de même capable d'intégrer beaucoup de choses, même si toutes ces divisions lui sont utiles pour perpétrer sa domination. Il me semble que l'oppression des femmes et des homosexuels, qui lui est liée, est avant tout le produit des civilisations patriarcales - et c'est là qu'elle est encore la plus forte aujourd'hui. La survie de la famille patriarcale et des idéologies qu'elle a engendrées n'est pas une nécessité pour le capitalisme. Tout dépend donc combien de temps durera encore le capitalisme, quelles crises il connaîtra etc.

Derrière cette idée de l'incapacité du capitalisme à satisfaire des revendications démocratiques, il y a l'idée que ces luttes sont en elles-mêmes révolutionnaires (positions défendues par différents groupes dans les années soixante-dix), ce que je ne crois pas - et encore une fois, dire cela ne revient pas à les mépriser, ni même à les minimiser.

verié2

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Message  Toussaint Dim 13 Jan - 5:49

Ni le combat féministe ni le combat contre l'homophobie ne sont par nature des combats de classe, même si nous sommes bien d'accord sur leur importance.

Ceci est radicalement faux.

« L’histoire nous apprend bien des choses sur l’asservissement de la femme à l’homme et des deux à l’exploiteur, et sur les efforts des travailleurs qui, cherchant au prix du sang à secouer le joug, n’arrivaient en réalité qu’à changer de chaînes. L’histoire, en définitive, ne nous raconte pas autre chose. Mais comment libérer effectivement l’enfant, la femme et l’homme, voilà sur quoi nous manquons d’exemples positifs. » (Léon Trotski, La Révolution trahie)

Lorsque Léon Trotsky parle d'asservissement, il parle en tant que marxiste mais il est russe, et le mot d'asservissement ne renvoie pas à une question "sociétale", mais à des relations d'exploitation autant que de domination. Et distinguer le combat contre l'homophobie du combat féministe est juste dans une certaine mesure si l'on se rend compte qu'il ne peut y avoir de féminisme sans une lutte acharnée contre l'homophobie. Un autre féminisme serait une farce. Et tout groupe qui caractérise les homosexuels comme des malades, par exemple, est bien évidemment un groupe qui n'a pas rompu avec le sexisme et reste propagateur de préjugés. Les gens qui disent qu'une femme est un "travailleur de sexe féminin" sont loin de s'être émancipés du sexisme et de l'essentialisme biologique (à l'opposé de toute analyse matérialiste de la question de l'émancipation féminine), ce n'est pas un hasard si l'on trouve parfois des gens qui prolongent cette analyse en disant que l'homosexualité est un produit du capitalisme et donc une pathologie. Là aussi, parler de capitalisme pour expliquer l'homosexualité est évidemment stupide et d'une ignorance crasse, mais représente aussi une détermination exclusivement biologique du comportement sexuel, selon une idée fantasmée de cette détermination biologique qui ne se vérifie ni chez l'humain, ni chez les singes, par exemple. C'est une définition essentialiste de la différenciation sexuelle et de l'orientation sexuelle. En dernière analyse cela renvoie à la création d'une nature féminine et d'une nature masculine, une conception d'origine religieuse, c'est à dire obscurantiste... Very Happy

Le combat féministe est partie prenante du combat pour l'unité de la classe ouvrière, contre l'exploitation du travail. Il ne peut y avoir de disparition de la propriété privée et avancée vers le communisme sans une véritable émancipation de la femme. Les femmes ne sont pas une minorité opprimée, ni une nation dominée, ni un peuple sous dictature. La domination patriarcale n'est pas du tout étrangère à la faiblesse du mouvement ouvrier qui peine à représenter une classe ouvrière massivement féminisée. La réticence des organisations ouvrières à prendre à bras le corps la question de la défense de l'égalité de genre est fondamentale dans l'évolution de certains métiers, mais aussi des reculs importants comme la généralisation du temps partiel, que cette immonde Aubry nous présentait comme une possiblité (sic) pour les femmes d'élever les enfants sans cesser de travailler... On ne va pas citer tous les exemples. Dans les années 60 et 70, 80 et même aujourd'hui les préjugés dans le mouvement ouvrier jouent un rôle de division et d'exclusion de femmes et d'homosexuels et représentent un affaiblissement de la lutte de la classe.

La haine des homosexuels, c'est aussi la haine des femmes. Et la lutte LGBT est uen lutte qui remet en question radicalement la propriété des êtres humains. La disparition du pouvoir de la bourgeoisie et la cosntruction du pouvoir des travailleurs ne feront pas disparaître l'homophobie ni le machisme. En revanche ledit pouvoir des travailleurs et la construction d'une société sans classe sont impossibles à mener à bien sans émancipation des femmes et disparition de l'homophobie. La discrimination et la stigmatisation, l'appropriation et l'exploitation sont intimement liés historiquement.
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Message  verié2 Dim 13 Jan - 10:56

« L’histoire nous apprend bien des choses sur l’asservissement de la femme à l’homme et des deux à l’exploiteur, et sur les efforts des travailleurs qui, cherchant au prix du sang à secouer le joug, n’arrivaient en réalité qu’à changer de chaînes. L’histoire, en définitive, ne nous raconte pas autre chose. Mais comment libérer effectivement l’enfant, la femme et l’homme, voilà sur quoi nous manquons d’exemples positifs. » (Léon Trotski, La Révolution trahie)
Je ne vois pas en quoi cette citation de Trotsky contredirait ce que j'ai écrit plus haut. Shocked
Toussaint
Le combat féministe est partie prenante du combat pour l'unité de la classe ouvrière, contre l'exploitation du travail.
Aurais-je dit le contraire ? On peut dire la même chose du combat anti raciste, du combat anti-impérialiste etc. Une fois encore, ce n'est pas mépriser ou minimiser ces combats que de constater que ce ne sont pas des combats spécifiques de la classe ouvrière, car ils mobilisent d'autres aussi classes sociales qui d'ailleurs, bien souvent, les récupèrent à leur profit.
__
Sinon, je souhaiterais tout de même que tu t'expliques sur ta critique des positions de LO à l'époque de la guerre d'Algérie.

verié2

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Message  Byrrh Dim 13 Jan - 16:32

verié2 a écrit:Dire qu'il s'agit d'un combat à caractère démocratique n'implique pas de nier l'importance de ce combat. Pour prendre un autre exemple, sous un régime dictatorial ou même seulement très "autoritaire", le combat pour la liberté d'expression, d'organisation etc est évidemment stratégique, dans un pays colonisé, par exemple la Palestine, le combat pour disposer d'un Etat national est stratégique lui aussi. Le point de vue traditionnel des communistes révolutionnaires, hérité des premiers congrès de l'Internationale, est que la classe ouvrière doit prendre la tête de ces combats. Pourquoi n'en serait-il pas de même de la lutte contre l'oppression raciale, religieuse, l'oppression des femmes et des homosexuels ?

(...)

Donc, dire que le combat contre l'oppression sexiste est "démocratique" n'implique nullement de le remiser au rayon des accessoires.
Pour se comprendre, Verié, je crois qu'il serait nécessaire que chacun d'entre nous ait une estimation juste de ce qu'est une oppression spécifique, laquelle ne peut pas se résumer à une somme de discriminations légales. La question des oppressions spécifiques n'est pas qu'une question démocratique, dans la mesure où des réformes démocratiques obtenues dans le cadre de la société bourgeoise ne peuvent faire disparaître ces oppressions, et de ce point de vue les exemples historiques ne manquent pas, qu'il s'agisse par exemple des femmes ou des Noirs américains.

Si l'on se place dans le contexte de la France, il est probable que les dernières discriminations légales à l'égard des homosexuels vont disparaître dans les mois à venir. Mais pour la lesbienne ou le gay des classes populaires qui est un tant soit peu conscient(e) de son oppression, et je me range dans cette catégorie, la focalisation actuelle sur cet axe (alors là, purement démocratique) du mariage laisse un goût amer dans la bouche, tant cette revendication est dérisoirement décalée et déphasée par rapport à la violence de l'oppression que nous subissons quotidiennement, une violence qui n'est généralement visible et "quantifiable" que par les premiers concernés. Je ne veux pas dire par là que je suis contre le fait que l'extrême gauche se positionne pour l'alignement des droits des homos sur ceux des hétéros, y compris sur des questions qui peuvent sembler plus symboliques que primordiales, mais elle ne doit pas s'arrêter à ce traitement purement démocratique et interclassiste de la question, et elle doit profiter de cette actualité pour mener dans notre classe un combat d'information, de clarification et de mobilisation pour que les préjugés homophobes, assez peu menacés par les lois de la République, commencent à reculer pour préparer le terrain à une nouvelle solidarité de classe.

En 1975, quand l'ouvrier tunisien Mohamed Bechir Rassaa avait été assassiné par des voisins qui le harcelaient depuis des mois, l'extrême gauche - dont Lutte ouvrière - avait pris l'initiative d'une campagne d'agitation pour tenter de mobiliser les habitants des quartiers populaires de Vanves et des alentours contre le racisme, idéologie de division de la classe ouvrière. Un "Comité pour la vérité sur l'assassinat de Mohamed Bechir Rassaa" avait été créé, qui s'était réuni à la Mutualité, avec entre autres à la tribune Arlette Laguiller et Alain Krivine, devant un fond de scène où s'étalait le mot d'ordre "Combattre la gangrène raciste, mettre hors d'état de nuire les criminels racistes". Un mot d'ordre, évidemment, qui ne signifiait pas qu'on s'en remettait à l'Etat bourgeois pour lutter contre les racistes, mais à la force et à l'unité des travailleurs. Rien de tel n'a jamais été expérimenté en France de la part de l'extrême gauche dans le combat contre l'homophobie. Et pourtant, ce sont les gays et lesbiennes des classes populaires qui sont les premières victimes de la violence et du harcèlement homophobes, contre lesquels les lois bourgeoises ne les protègent en rien. Quand vous avez attendu longtemps pour obtenir un logement social, et que vous vous apercevez très vite que plusieurs voisins vous ont repéré(e) comme gay ou lesbienne, et qu'ils commencent à vous faire vivre un enfer, il est extrêmement difficile d'échapper à ce quotidien. Idem à l'intérieur de l'entreprise. Comme je l'ai déjà dit à plusieurs reprises, un(e) homosexuel(le) des classes aisées peut échapper à un environnement hostile du fait de sa grande mobilité, de ses moyens financiers, de ses relations ; il ou elle peut évoluer dans un milieu "protégé", "choisi", ce qui n'est pas le cas des gays et lesbiennes des classes populaires.

Sur le fait que ces oppressions ne pourront pas disparaître sous le capitalisme, je serais plus prudent. Le capitalisme est tout de même capable d'intégrer beaucoup de choses, même si toutes ces divisions lui sont utiles pour perpétrer sa domination. Il me semble que l'oppression des femmes et des homosexuels, qui lui est liée, est avant tout le produit des civilisations patriarcales - et c'est là qu'elle est encore la plus forte aujourd'hui. La survie de la famille patriarcale et des idéologies qu'elle a engendrées n'est pas une nécessité pour le capitalisme. Tout dépend donc combien de temps durera encore le capitalisme, quelles crises il connaîtra etc.
La question n'est pas de savoir si le capitalisme est capable ou pas "d'intégrer beaucoup de choses", et je pense que tu ne saisis pas bien toutes les implications du distinguo que nous faisons, en tant que marxistes, entre égalité formelle et égalité réelle. En France, il a existé une époque où l'homosexualité d'un salarié pouvait être acceptée comme motif de licenciement aux Prud'hommes (ou au tribunal administratif, la fonction publique pratiquant alors clairement ce qu'on appelait des "interdictions professionnelles" dans ses réglements). Aujourd'hui, alors que la loi a changé, les rapports annuels de SOS Homophobie montrent de façon très concrète que les licenciements, le harcèlement patronal, les refus d'avancement et les rétrogradations sont toujours subis par des travailleurs homosexuels ; la seule différence, c'est que le motif d'homosexualité n'est plus invoqué comme il pouvait l'être dans les années 1970, et que le patronat sait inventer toutes sortes de prétextes fallacieux et de "fautes graves" pour se débarrasser d'un travailleur homosexuel, l'isoler, le faire craquer. Et dans certains cas, malheureusement, avec l'approbation ou la complicité de travailleurs de la même entreprise.

Par ailleurs, l'oppression des femmes et des homosexuels n'est pas tant une conséquence du caractère patriarcal de la famille, qu'une conséquence de la famille elle-même dans une société d'exploitation, quelle que soit la forme qu'elle prenne, à partir du moment où elle concrétise ce qui me semble être le point de départ : la division sexuelle du travail.

Et sur ce point, je soutiens fermement l'idée que la famille, patriarcale ou contemporaine, reste un pilier fondamental de la société de classes. Premièrement, pour la gratuité du travail domestique qui sert toujours à reproduire et à entretenir la force de travail. Deuxièmement, pour donner l'illusion aux exploités qu'il existe dans la société une sphère qui échappe à la violence sociale qui les environne, et donc une sphère dans laquelle il convient de se réfugier pour supporter la violence de l'exploitation ; dans les périodes de crise comme la nôtre, la famille a d'autant plus un caractère de "refuge" que les systèmes de protection sociale et les différentes formes de solidarité collective ont tendance à reculer voire à disparaître. Dans ce contexte, il existe un paradoxe de la société capitaliste contemporaine : elle sape la famille en précarisant et en pressurisant les classes laborieuses, en agravant leurs conditions de vie et de travail, et pourtant elle continue de la défendre, même si elle la soumet à rude épreuve. Et le paradoxe va même plus loin : malgré ce contexte économique et social qui pourrait sembler lui être défavorable, l'idéologie familiale a tendance à se renforcer, sous l'effet de la crise (son caractère de "refuge") et du fait de son adaptation à la réalité des conditions de vie des classes laborieuses, une adaptation qui lui donne une nouvelle légitimité. Et les productions idéologiques de l'"entertainment" de notre époque suivent ce phénomène : on ne compte plus les émissions de cuisine, de déco, de bricolage, d'immobilier, de télé-réalité se situant dans le cadre de l'intimité du foyer, etc. Les classes populaires se recroquevillent sur la sphère familiale, les producteurs de télévision "grand public" l'ont bien compris et ils participent à leur tour à ce phénomène...

Une société socialiste, en rendant possible la collectivisation et la "déspécialisation" des tâches, la prise en charge collective des soins apportés aux enfants, l'atténuation progressive de l'importance donnée à la parentalité biologique et à la parentalité tout court, sapera les idéologies sexistes et ce cocon familial qui est le lieu fondamental de l'oppression des femmes et de la perpétuation de l'injonction à être hétérosexuel.

Derrière cette idée de l'incapacité du capitalisme à satisfaire des revendications démocratiques, il y a l'idée que ces luttes sont en elles-mêmes révolutionnaires (positions défendues par différents groupes dans les années soixante-dix), ce que je ne crois pas - et encore une fois, dire cela ne revient pas à les mépriser, ni même à les minimiser.
Tu fais plusieurs erreurs, dans cette phrase. D'une part, je pense que la société capitaliste est tout à fait capable de satisfaire ce que tu appelles des revendications démocratiques (ce qu'elle est en train de faire en France), mais ces revendications démocratiques ne peuvent - et de très loin - résumer l'enjeu que représente le vécu d'une oppression spécifique.

D'autre part, les homosexuels gauchistes du début des années 1970 (certaines personnalités du FHAR, pour résumer) ne disaient pas que les luttes homosexuelles étaient révolutionnaires parce que la société capitaliste ne pouvait satisfaire des revendications démocratiques. Ils disaient carrément que le fait de vivre son homosexualité (par exemple en faisant l'amour...) était en soi "subversif" ou "révolutionnaire", ce qui est évidemment absurde mais correspondait bien au discours situationniste et libertaire, en fait idéaliste, de l'époque.

Byrrh

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Message  verié2 Dim 13 Jan - 18:06

Byrrh
les homosexuels gauchistes du début des années 1970 (certaines personnalités du FHAR, pour résumer) ne disaient pas que les luttes homosexuelles étaient révolutionnaires parce que la société capitaliste ne pouvait satisfaire des revendications démocratiques. Ils disaient carrément que le fait de vivre son homosexualité (par exemple en faisant l'amour...) était en soi "subversif" ou "révolutionnaire", ce qui est évidemment absurde mais correspondait bien au discours situationniste et libertaire, en fait idéaliste, de l'époque.
N'y avait-il pas simultanément les deux discours, pas forcément tenus par les mêmes groupes, à savoir le caractère révolutionnaire de l'homosexualité par elle-même et le caractère révolutionnaire d'une revendication que le capitalisme ne peut pas satisfaire du fait que la famille "traditionnelle" est un de ses principaux piliers ? (C'est une question, pas une affirmation.)
elle ne doit pas s'arrêter à ce traitement purement démocratique et interclassiste de la question, et elle doit profiter de cette actualité pour mener dans notre classe un combat d'information, de clarification et de mobilisation pour que les préjugés homophobes, assez peu menacés par les lois de la République, commencent à reculer pour préparer le terrain à une nouvelle solidarité de classe. (...)
Un "Comité pour la vérité sur l'assassinat de Mohamed Bechir Rassaa" avait été créé, qui s'était réuni à la Mutualité, avec entre autres à la tribune Arlette Laguiller et Alain Krivine, devant un fond de scène où s'étalait le mot d'ordre "Combattre la gangrène raciste, mettre hors d'état de nuire les criminels racistes". Un mot d'ordre, évidemment, qui ne signifiait pas qu'on s'en remettait à l'Etat bourgeois pour lutter contre les racistes, mais à la force et à l'unité des travailleurs. Rien de tel n'a jamais été expérimenté en France de la part de l'extrême gauche dans le combat contre l'homophobie.
Es-tu certain qu'il n'y a pas eu de comité de ce genre dans la période récente ?
Sinon, Combat Communiste, le groupe auquel j'appartenais à l'époque, a participé à ce comité et à cette campagne pour Béchir, qui a été mené à l'origine par LO et nous dans des conditions de collaboration très correctes, il faut le dire, bien que nous ayons été exclus l'année précédente. A ma connaissance, c'est une des rares fois où LO s'est vraiment mobilisé sur un crime de ce genre.

Sinon, je suis d'accord avec toi sur l'importance de ces campagnes, indépendamment de la caractérisation qu'on peut leur attribuer. Et c'est vrai que je n'étais pas conscient de cette importance à l'époque du Comité pour Béchir. Nous ne nous serions sans doute pas mobilisés de la même manière à la suite de l'assassinat d'un homosexuel, même si nous ne partagions pas les théories de LO sur la pathologie engendrée par le capitalisme.

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Message  alexi Dim 13 Jan - 18:40

Vérié :
A ma connaissance, c'est une des rares fois où LO s'est vraiment mobilisé sur un crime de ce genre.

Mohamed Bechir Rassaa n'était-il pas un proche de LO ?

alexi

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Message  verié2 Dim 13 Jan - 19:06

alexi a écrit:
Vérié :
A ma connaissance, c'est une des rares fois où LO s'est vraiment mobilisé sur un crime de ce genre.

Mohamed Bechir Rassaa n'était-il pas un proche de LO ?
Il me semble me souvenir que c'était en effet un "contact" ou un gars qui avait été en contact avec LO. A l'occasion d'un autre meurtre raciste, celui d'Abdel Ben Yaya assassiné dans un bistro de la Courneuve par un flic en civil qui avait 2 g d'alcool dans le sang, quelques années plus tard, LO a soutenu (par la présence de quelques militants dans les manifs) le Comité vérité pour Abdel Benyaya, mais n'y a pas participé directement. Ce comité a pourtant mobilisé davantage de jeunes de la Courneuve, et plus durablement, que le premier à Vanves - que LO a présenté dans sa presse comme un très grand succès dont le mérite lui revenait quasi entièrement. Bon, c'est HS...

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Message  Giaches_de_Wert Lun 14 Jan - 18:17

alexi a écrit:

Mohamed Bechir Rassaa n'était-il pas un proche de LO ?

Il était "de LO"

http://www.lutte-ouvriere.org/documents/archives/la-revue-lutte-de-classe/serie-1972-1977-bilingue/article/apres-l-assassinat-de-mohamed

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Message  Byrrh Lun 14 Jan - 21:30

verié2 a écrit:
Byrrh a écrit:elle ne doit pas s'arrêter à ce traitement purement démocratique et interclassiste de la question, et elle doit profiter de cette actualité pour mener dans notre classe un combat d'information, de clarification et de mobilisation pour que les préjugés homophobes, assez peu menacés par les lois de la République, commencent à reculer pour préparer le terrain à une nouvelle solidarité de classe. (...)
Un "Comité pour la vérité sur l'assassinat de Mohamed Bechir Rassaa" avait été créé, qui s'était réuni à la Mutualité, avec entre autres à la tribune Arlette Laguiller et Alain Krivine, devant un fond de scène où s'étalait le mot d'ordre "Combattre la gangrène raciste, mettre hors d'état de nuire les criminels racistes". Un mot d'ordre, évidemment, qui ne signifiait pas qu'on s'en remettait à l'Etat bourgeois pour lutter contre les racistes, mais à la force et à l'unité des travailleurs. Rien de tel n'a jamais été expérimenté en France de la part de l'extrême gauche dans le combat contre l'homophobie.
Es-tu certain qu'il n'y a pas eu de comité de ce genre dans la période récente ?
Tu veux dire, sur des bases de classe, comme ce comité sur le meurtre de Mohamed Bechir Rassaa ? Pas à ma connaissance. Cela t'étonne ?

verié2 a écrit:
Byrrh a écrit:les homosexuels gauchistes du début des années 1970 (certaines personnalités du FHAR, pour résumer) ne disaient pas que les luttes homosexuelles étaient révolutionnaires parce que la société capitaliste ne pouvait satisfaire des revendications démocratiques. Ils disaient carrément que le fait de vivre son homosexualité (par exemple en faisant l'amour...) était en soi "subversif" ou "révolutionnaire", ce qui est évidemment absurde mais correspondait bien au discours situationniste et libertaire, en fait idéaliste, de l'époque.
N'y avait-il pas simultanément les deux discours, pas forcément tenus par les mêmes groupes, à savoir le caractère révolutionnaire de l'homosexualité par elle-même et le caractère révolutionnaire d'une revendication que le capitalisme ne peut pas satisfaire du fait que la famille "traditionnelle" est un de ses principaux piliers ? (C'est une question, pas une affirmation.)
Comme je l'ai écrit plus haut, des gouvernements bourgeois peuvent parfaitement satisfaire un certain nombre de revendications démocratiques. Le problème est ailleurs : les oppressions spécifiques que sont le racisme, l'homophobie et le sexisme ne se résument pas à des discriminations légales, très loin de là.

Mais pour répondre à ta question, voici un extrait assez calamiteux d'une brochure de la LCR, publiée en octobre 1982 et intitulée Homosexuel(le)s en mouvement :

LCR a écrit:Accéder aux radios libres, c’est bien, créer par ses propres forces des lieux associatifs ou des journaux gais, c’est nécessaire, mais se hisser jusqu’aux médias officiels, c’est mieux, ajouter à ses forces propres le soutien de subventions publiques, c’est se renforcer.

Risque-t-on, au bout de cette route-là de se faire intégrer/récupérer par un appareil d’Etat-PS boulimique ? Poser la question, c’est y répondre : qui peut croire que le PS et le PC au pouvoir veulent s’attacher au pied un pareil boulet ? Qui peut penser que l’heure des notables gais poussant leur pion sur la scène politique a sonné ? Qui imagine que le flot des mannes publiques sera tel qu’il engloutira l’autonomie du mouvement ? La réalité est à l’exact opposé d’un tel roman à l’eau de rose : le temps qu’il a fallu pour que le Parlement abroge la loi anti-homo sans même que le gouvernement investisse son autorité est l’indice de ce que les batailles à venir seront mille fois plus dures, que PC et PS vont se trouver déchirés entre leurs engagements et leur credo égalitaire et l’idéologie bourgeoise, et donc hétérocrate, qui les structure ; les subventions et la reconnaissance institutionnelle, si elles existent au terme d’une haute lutte, resteront chichement mesurées, et dans cette lutte le mouvement gai aura acquis force et autorité qui lui permettront d’exister et de se développer de manière autonome.

(...)

Le PS et le PC, bien qu’écartelés entre les idéaux égalitaires issus de la tradition socialiste (sinon révolutionnaire française) et leur volonté de ne pas heurter de front cette société qu’ils ne se proposent pas de chambouler, ne sont pas capables d’aller jusqu’au bout de l’égalité et des libertés pour les gais : tel est notre pronostic ; face aux attaques de la droite, face aux menaces qui planeront sur la famille bourgeoise à laquelle ils sont infiniment attachés, ils reculeront, ils ne pourront pas être des anti-racistes conséquents.
Trente ans plus tard, on est frappé par le manque de lucidité des militants homosexuels de la LCR d'alors, enfermés dans l’idée selon laquelle un gouvernement bourgeois ne pourrait jamais concéder l’égalité formelle aux homosexuel(le)s. Les réformes légales, démocratiques, du début des années 1980 et de la fin des années 1990 ont permis aux gouvernements dirigés par le PS de se parer d’un vernis progressiste alors que se succédaient les politiques pro-patronales. Ce sera encore le cas demain, quand sera accordé le droit au mariage et à la parentalité.

Ces réformes ont essentiellement contribué à une reconnaissance sociale, institutionnelle et médiatique de la petite-bourgeoisie et de la bourgeoisie homosexuelles (et c'est là que ce vieux texte de Jean-Louis Bory garde toujours son sens), et à la transformation du mouvement homosexuel en un milieu associatif et commercial se situant dans un rapport clientéliste vis-à-vis des institutions et des partis bourgeois. Ces réformes n’ont eu en revanche qu’un effet limité sur le quotidien des lesbiennes et des gays des classes populaires, toujours soumis à une oppression violente inséparable du contexte de la société capitaliste, et toujours privés d’une expression indépendante. Toute proportion gardée, la promotion sociale des « élites noires » aux USA à partir des années 1960-1970 aurait peut-être pu mettre la puce à l’oreille aux rédacteurs de ce texte.

Byrrh

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