Nous vivons une drôle d’époque, où ceux qui sont en charge des plus fragiles se retrouvent bien souvent démunis eux-mêmes. Dans les associations, les petits salaires, les horaires à rallonge et l’absence de reconnaissance sont monnaie courante. C’est pour faire connaître cette précarité que le syndicat Asso a été créé en février 2010. Un an et demi plus tard, son premier congrès, organisé les 8 et 9 octobre à Paris, était l’occasion de dresser un bilan.
"Malgré l’éclatement qui caractérise notre secteur, il est clair que les salariés ont désormais envie de s’organiser et ils sont d’ailleurs en train de le faire, explique David Eloi, fondateur d’Asso. Dans l’année qui vient, nous travaillerons à la fois sur l’information, la formation et l’accompagnement des salariés et sur l’élaboration d’une réflexion sur les métamorphoses de notre univers de travail."
Certes, ce syndicat, affilié à l'union syndicale Solidaires, est une goutte d’eau dans l’océan associatif. Asso compte 123 membres et on dénombre environ 1,8 million de salariés dans le secteur. Sans parler des milliers de bénévoles et contrats divers et variés qui œuvrent dans les associations.
Il n’empêche qu’avant 2010, on ne trouvait nulle trace d’une parole des salariés représentative de ce paysage multiforme qu’est le monde associatif. A l’exception des grosses structures, les syndicats y sont peu implantés. Même si des syndicats de branches existent depuis longtemps, comme par exemple Sud Santé-Sociaux, il est clair que les grosses centrales n’ont pas misé sur les associations.
Engagé, oui, mais pour les autres
Le travailleur associatif a en effet ceci de particulier que son emploi est le plus souvent corrélé à des convictions personnelles. La professionnalisation du secteur, qui se traduit par l’arrivée depuis une dizaine d'années de jeunes gens très diplômés qui se retrouvent à travailler aux côtés des militants "historiques", ne change rien à l’affaire. Pour ces derniers aussi, l’adhésion à la cause de l’association au sein de laquelle ils travaillent est déterminante.
"Nous avons l’impression de faire vivre nos valeurs en travaillant dans le secteur associatif, ce qui nous valorise. Quand il faut entrer en conflit dans le cadre du travail, on se réfrène parce que cela veut dire rentrer en conflit avec nos propres valeurs", explique Xavier, 28 ans, syndiqué à Asso. "J'évolue depuis dix ans dans différentes structures de l'ESS ou de l'associatif, et partout le mal-être des salariés est criant", poursuit le jeune homme qui pourtant, ne se sent pas concerné directement.
Malgré des salaires inférieurs, à critères égaux, à ceux du secteur privé ou de la fonction publique, les travailleurs associatifs font rarement entendre leurs difficultés.
En introduisant un impératif de rentabilité dans le secteur, il serait logique que les rapports hiérarchiques et de fait les rapports de forces entre les salariés et la direction s'en trouvent bouleversés. Pourtant "les salariés veulent à tout prix éviter de nuire à la cause qu’ils servent, explique David Eloi. De plus, la majorité des associations emploient moins de dix salariés, c’est donc très compliqué pour eux de se mobiliser."
Absence de dialogue social
Dernier malaise connu en date: la lettre envoyée en juin 2011 (PDF) par des salariés du WWF pour réclamer le départ de leur directeur général Serge Orru, publiée sur Rue89. Plusieurs passages sont représentatifs d’un climat tendu:
"Nous affirmons que cette démarche n’est pas une initiative des représentants des salariés élus, souvent vilipendés et discrédités par la direction" écrivent les auteurs de la lettre, illustrant bien les difficultés du dialogue social.
"La crise et ses symptômes sont largement partagés par les salariés comme l’indique l’enquête de climat social d’avril 2011: absence de vision stratégique et donc absence de priorité d’actions, sentiment de pertes des valeurs de l’ONG, démobilisation des salariés, rupture de la cohésion entre les différents échelons hiérarchiques, turn-over très élevé (plus de 25%), souffrance au travail…"
Ce mal-être est partagé par de nombreux salariés d’autres organisations.
"On constate de plus en plus un avant et un après 2010, tempère le sociologue Matthieu Hély. Le conflit social à Emmaüs et la création d’Asso ont eu un effet cathartique. Enfin, les salariés du secteur associatif ont réalisé qu’ils avaient des droits."
2012, l’année des révoltes?
Pour ce spécialiste du travail associatif, la question du financement des associations est au cœur des bouleversements que subissent aujourd’hui les salariés. "En dix ans, depuis la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), les associations sont devenues les opérateurs des services publics. Et au bout de la chaine, le travailleur associatif est réduit à être la variable d’ajustement de la politique publique."
Comme l’explique dans cette vidéo la chercheuse Viviane Tchernonog, la branche sanitaire et sociale représente une grosse partie du secteur. Les salariés qui y travaillent sont, à la différence de beaucoup d’autres travailleurs associatifs, encadrés par une convention collective très avantageuse. "Or, on assiste en ce moment à des tentatives de démantèlement de cette convention", rappelle Matthieu Hély en évoquant des manifestations récentes des salariés du secteur médico-social.
Sans jouer les Madame Soleil, on peut supposer qu’en cette période d’indignation planétaire, et en France avec l'échéance présidentielle, les conditions sont réunies pour que la colère des associatifs s’exprime enfin.
Illustration: Des "indignés" à la Bastille via empanada_paris/FlickR