L’expulsion des clandestins, « objectif prioritaire » de la police en 2011 ?
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L’expulsion des clandestins, « objectif prioritaire » de la police en 2011 ?
Sur le blog de Laurent Mucchielli : http://insecurite.blog.lemonde.fr/
« Conformément aux exigences du Ministère de l’Intérieur, le nombre de reconduites d’étrangers en situation irrégulière devient l’objectif prioritaire de la DDSP pour le reste de l’année 2011. Pour rappel, l'objectif (...) est fixé à 35 pour le département de Loir-et-Cher (zone police et zone gendarmerie). Nous sommes actuellement à 6 reconduites effectives, ce qui est insuffisant ». Ainsi s'exprime un directeur départemental de la sécurité publique (DDSP) dans une Note de service datée du 25 juillet dernier, mise en ligne sur le site du Réseau Éducation Sans Frontières (RESF). Et son cas n'est pas isolé même si, ailleurs, des consignes ont pu être données oralement, comme nous l'indiquent les représentants du syndicat Unité SGP Police ainsi que cet officier supérieur de gendarmerie qui souhaite naturellement rester anonyme.
La « politique du chiffre » est bien connue non seulement des policiers et des gendarmes qui la critiquent régulièrement, mais aussi du grand public. Au fil des ans, la presse (Le canard enchaîné, Libération, Le Monde...) a révélé à plusieurs reprises la façon dont les forces de l’ordre reçoivent localement des objectifs chiffrés très précis qui ne concernent pas seulement la « baisse de la délinquance » et la « hausse du taux d’élucidation » qu’il faut impérativement afficher en fin d’exercice. Derrière ces obligations générales médiatisées, arrivent aussi des consignes plus ou moins discrètes concernant tel ou tel type de délinquance.
Le dilemme du policier
C’est la « délinquance de voie publique » qui concerne le plus les citoyens dans leur vie quotidienne, mais qui est aussi difficile à combattre pour les policiers et les gendarmes, s’agissant généralement d’une petite délinquance anonyme. Pour améliorer l’élucidation sans faire trop augmenter le nombre de faits enregistrés (c’est le dilemme), il vaut mieux s’occuper d’infractions que l’on est certain de résoudre à 100 %. La « meilleure » façon de faire est d’interpeller ce que l’on appelle des « shiteux » en jargon policier. Traduisez : « personnes mises en cause pour usage de stupéfiant ». Entre 2002 et 2010, ces infractions ont augmenté de 75 % (dans l'activité policière, non dans la réalité), soit la plus forte augmentation de toute la période. De même, avec les « infractions à la police des étrangers », les faits sont élucidés en même temps qu’ils sont constatés. Entre 2002 et 2010, ces infractions ont augmenté elles de 50 %.
Mais l’arrestation de clandestins a aussi une autre fonction aux yeux du gouvernement : elle permet de remplir les objectifs d’expulsion d’étrangers. Et, à l’approche de l’élection présidentielle, il semble que le gouvernement ait décidé d’afficher plus que jamais de « bons chiffres » en la matière. Après que la loi du 16 juin 2011 (dite loi Besson) ait modifié profondément le droit des étrangers en restreignant les garanties procédurales des migrants (voir l'analyse de la Cimade), l’heure est maintenant à la mise à exécution. C’est en tous cas ce à quoi s’emploie fortement depuis cet été le ministère de l’Intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales... et de l’immigration.
« L’objectif prioritaire du second semestre 2011 »
Il n'est certes pas nouveau que les unités de la Police aux frontières (PAF) et les chefs de police et de gendarmerie des départements frontaliers reçoivent des objectifs chiffrés d'expulsion. Ainsi, au début de l'année, le préfet des Alpes-Maritimes avait excédé les policiers en leur fixant un objectif de 1 420 reconduites à la frontière, réparties par types d'unités (voir Le Monde du 22 mars 2011). Mais il semble que l'on est passé cet été à un niveau supérieur en étendant cette politique à d'autres départements pourtant moins concernés.
En témoigne donc cette Note de service datée du 25 juillet dernier, envoyée par le chef de la Direction Départementale de la Sécurité Publique (DDSP) de Loir et Cher à toutes ses unités. Elle est intitulée explicitement « Reconduites d’étrangers en situation irrégulière : objectif prioritaire du second semestre 2011 ». Ses références sont indiquées en tête de la Note : « Courrier de M. le Préfet en date du 27 juin 2011 ; Instructions verbales de M. le Préfet en date du 22 juillet 2011 ». Il s’agit donc d’une consigne émanant du ministère. Le texte enfonce le clou : « M. le Préfet de Loir et Cher a tenu à réorienter les priorités de la DDSP du Loir et Cher pour le second semestre de l’année 2011. Conformément aux exigences du Ministère de l’Intérieur, le nombre de reconduites d’étrangers en situation irrégulière devient l’objectif prioritaire de la DDSP pour le reste de l’année 2011 » (en caractères gras dans le texte).
A l’heure où le ministre de l’Intérieur Claude Guéant multiplie les déclarations sur la « guerre à la délinquance » (comme ces jours derniers en déplacement à Marseille pour y changer le préfet délégué à la sécurité) et où le débat se porte notamment sur la présence effective des policiers sur la voie publique, ce document est édifiant à plus d’un titre. Il révèle d’abord les contradictions dans lesquelles sont plongés policiers et gendarmes. Non contents de voir leurs effectifs et leurs budgets réduits en permanence, ils font aussi l’objet d’injonctions multiples et toutes « prioritaires ». Il révèle ensuite les contradictions de la politique de sécurité. Comment prétendre renforcer la présence dissuasive sur le terrain et renforcer les unités de police judiciaire luttant contre la délinquance organisée si, dans le même temps, l’on érige en priorité la reconduite aux frontières des clandestins ? Cette dernière est en effet consommatrice d’effectifs, de temps et de véhicules, sans parler des moyens financiers à commencer par les billets d’avions. Les associations (RESF, la Cimade, le Gisti, la LDH...) dénoncent depuis des années ces opérations qu’elles estiment choquantes pour les Droits de l’Homme et les valeurs républicaine d’asile. Dans un communiqué du 27 août 2011, RESF dénonce « une machine à expulser de plus en plus inhumaine », constatant la multiplication de l’enfermement d'enfants dans les centres de rétention (désormais 45 jours possibles), de l’expulsion de pères et donc de démantèlement de familles, de retrait de mesures de protection des enfants pour pouvoir les expulser, ou encore d’arrestation sur les lieux d'hébergement d'urgence.
"On marche sur la tête"
Expulsion de Roms par avion à Lille, octobre 2009
Par ailleurs, sur son site Internet, ce réseau militant recense d’innombrables cas qui sont aussi autant d’exemples de ces contradictions de la politique de sécurité et de l’emploi des moyens policiers humains et financiers. Certains récits sont proprement ubuesques, lorsque ce sont des dizaines de journées de travail de policiers qui sont dépensées localement pour des expulsions qui se trouvent contrariées, ajournées et déplacées par les militants mais aussi par les passagers des avions voire par les commandants de bord, et enfin par la justice qui est régulièrement saisie des nombreux cas d'expulsion présentant des illégalités. En termes de finances publiques, on parlerait d’une gabegie.
Pour ce policier, représentant local d’un syndicat dans un département voisin du Loir et Cher, et qui nous indique que des consignes équivalentes ont été reçues - mais seulement verbalement - dans son commissariat, « on nous annonce qu’il faut réduire les dépenses d’essence et d’entretien des véhicules parce qu’il n’y a plus d’argent dans les caisses, qu’il faut se réorganiser pour être davantage présents sur la voie publique avec moins d’effectifs, qu'il faut que les procédures judiciaires soient traitées dans des délais toujours plus rapides et en même temps qu’il faut multiplier les expulsions de ces pauvres types, c’est du grand n’importe quoi, on marche sur la tête ». Un raccourci sans doute, mais qui en dit long tout de même sur cette politique du chiffre qui restera un peu comme la marque de fabrique des ministres de l’Intérieur qui l’ont promue avec une belle continuité depuis 2002.
Pour aller plus loin :
* Christian Mouhanna, Jean-Hugues Matelly, Police : des chiffres et des doutes (Michalon, 2007).
* Laurent Mucchielli, « Le "nouveau management de la sécurité" à l’épreuve : délinquance et activité policière sous le ministère Sarkozy (2002-2007) », Champ pénal.Nouvelle revue internationale de criminologie, 2008, vol. 5 (lecture intégrale en ligne).
* Patricia Tourancheau, Cannabis, prostitution, sans-papiers : la politique du chiffre (film diffusé sur Canal + en février 2009 (voir l'interview de la réalisatrice, journaliste à Libération, sur le site Agoravox).
* Patrick Weil, « Politique d'immigration : le dessous des chiffres » (Le Monde, 14 janvier 2009)
« Conformément aux exigences du Ministère de l’Intérieur, le nombre de reconduites d’étrangers en situation irrégulière devient l’objectif prioritaire de la DDSP pour le reste de l’année 2011. Pour rappel, l'objectif (...) est fixé à 35 pour le département de Loir-et-Cher (zone police et zone gendarmerie). Nous sommes actuellement à 6 reconduites effectives, ce qui est insuffisant ». Ainsi s'exprime un directeur départemental de la sécurité publique (DDSP) dans une Note de service datée du 25 juillet dernier, mise en ligne sur le site du Réseau Éducation Sans Frontières (RESF). Et son cas n'est pas isolé même si, ailleurs, des consignes ont pu être données oralement, comme nous l'indiquent les représentants du syndicat Unité SGP Police ainsi que cet officier supérieur de gendarmerie qui souhaite naturellement rester anonyme.
La « politique du chiffre » est bien connue non seulement des policiers et des gendarmes qui la critiquent régulièrement, mais aussi du grand public. Au fil des ans, la presse (Le canard enchaîné, Libération, Le Monde...) a révélé à plusieurs reprises la façon dont les forces de l’ordre reçoivent localement des objectifs chiffrés très précis qui ne concernent pas seulement la « baisse de la délinquance » et la « hausse du taux d’élucidation » qu’il faut impérativement afficher en fin d’exercice. Derrière ces obligations générales médiatisées, arrivent aussi des consignes plus ou moins discrètes concernant tel ou tel type de délinquance.
Le dilemme du policier
C’est la « délinquance de voie publique » qui concerne le plus les citoyens dans leur vie quotidienne, mais qui est aussi difficile à combattre pour les policiers et les gendarmes, s’agissant généralement d’une petite délinquance anonyme. Pour améliorer l’élucidation sans faire trop augmenter le nombre de faits enregistrés (c’est le dilemme), il vaut mieux s’occuper d’infractions que l’on est certain de résoudre à 100 %. La « meilleure » façon de faire est d’interpeller ce que l’on appelle des « shiteux » en jargon policier. Traduisez : « personnes mises en cause pour usage de stupéfiant ». Entre 2002 et 2010, ces infractions ont augmenté de 75 % (dans l'activité policière, non dans la réalité), soit la plus forte augmentation de toute la période. De même, avec les « infractions à la police des étrangers », les faits sont élucidés en même temps qu’ils sont constatés. Entre 2002 et 2010, ces infractions ont augmenté elles de 50 %.
Mais l’arrestation de clandestins a aussi une autre fonction aux yeux du gouvernement : elle permet de remplir les objectifs d’expulsion d’étrangers. Et, à l’approche de l’élection présidentielle, il semble que le gouvernement ait décidé d’afficher plus que jamais de « bons chiffres » en la matière. Après que la loi du 16 juin 2011 (dite loi Besson) ait modifié profondément le droit des étrangers en restreignant les garanties procédurales des migrants (voir l'analyse de la Cimade), l’heure est maintenant à la mise à exécution. C’est en tous cas ce à quoi s’emploie fortement depuis cet été le ministère de l’Intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales... et de l’immigration.
« L’objectif prioritaire du second semestre 2011 »
Il n'est certes pas nouveau que les unités de la Police aux frontières (PAF) et les chefs de police et de gendarmerie des départements frontaliers reçoivent des objectifs chiffrés d'expulsion. Ainsi, au début de l'année, le préfet des Alpes-Maritimes avait excédé les policiers en leur fixant un objectif de 1 420 reconduites à la frontière, réparties par types d'unités (voir Le Monde du 22 mars 2011). Mais il semble que l'on est passé cet été à un niveau supérieur en étendant cette politique à d'autres départements pourtant moins concernés.
En témoigne donc cette Note de service datée du 25 juillet dernier, envoyée par le chef de la Direction Départementale de la Sécurité Publique (DDSP) de Loir et Cher à toutes ses unités. Elle est intitulée explicitement « Reconduites d’étrangers en situation irrégulière : objectif prioritaire du second semestre 2011 ». Ses références sont indiquées en tête de la Note : « Courrier de M. le Préfet en date du 27 juin 2011 ; Instructions verbales de M. le Préfet en date du 22 juillet 2011 ». Il s’agit donc d’une consigne émanant du ministère. Le texte enfonce le clou : « M. le Préfet de Loir et Cher a tenu à réorienter les priorités de la DDSP du Loir et Cher pour le second semestre de l’année 2011. Conformément aux exigences du Ministère de l’Intérieur, le nombre de reconduites d’étrangers en situation irrégulière devient l’objectif prioritaire de la DDSP pour le reste de l’année 2011 » (en caractères gras dans le texte).
A l’heure où le ministre de l’Intérieur Claude Guéant multiplie les déclarations sur la « guerre à la délinquance » (comme ces jours derniers en déplacement à Marseille pour y changer le préfet délégué à la sécurité) et où le débat se porte notamment sur la présence effective des policiers sur la voie publique, ce document est édifiant à plus d’un titre. Il révèle d’abord les contradictions dans lesquelles sont plongés policiers et gendarmes. Non contents de voir leurs effectifs et leurs budgets réduits en permanence, ils font aussi l’objet d’injonctions multiples et toutes « prioritaires ». Il révèle ensuite les contradictions de la politique de sécurité. Comment prétendre renforcer la présence dissuasive sur le terrain et renforcer les unités de police judiciaire luttant contre la délinquance organisée si, dans le même temps, l’on érige en priorité la reconduite aux frontières des clandestins ? Cette dernière est en effet consommatrice d’effectifs, de temps et de véhicules, sans parler des moyens financiers à commencer par les billets d’avions. Les associations (RESF, la Cimade, le Gisti, la LDH...) dénoncent depuis des années ces opérations qu’elles estiment choquantes pour les Droits de l’Homme et les valeurs républicaine d’asile. Dans un communiqué du 27 août 2011, RESF dénonce « une machine à expulser de plus en plus inhumaine », constatant la multiplication de l’enfermement d'enfants dans les centres de rétention (désormais 45 jours possibles), de l’expulsion de pères et donc de démantèlement de familles, de retrait de mesures de protection des enfants pour pouvoir les expulser, ou encore d’arrestation sur les lieux d'hébergement d'urgence.
"On marche sur la tête"
Expulsion de Roms par avion à Lille, octobre 2009
Par ailleurs, sur son site Internet, ce réseau militant recense d’innombrables cas qui sont aussi autant d’exemples de ces contradictions de la politique de sécurité et de l’emploi des moyens policiers humains et financiers. Certains récits sont proprement ubuesques, lorsque ce sont des dizaines de journées de travail de policiers qui sont dépensées localement pour des expulsions qui se trouvent contrariées, ajournées et déplacées par les militants mais aussi par les passagers des avions voire par les commandants de bord, et enfin par la justice qui est régulièrement saisie des nombreux cas d'expulsion présentant des illégalités. En termes de finances publiques, on parlerait d’une gabegie.
Pour ce policier, représentant local d’un syndicat dans un département voisin du Loir et Cher, et qui nous indique que des consignes équivalentes ont été reçues - mais seulement verbalement - dans son commissariat, « on nous annonce qu’il faut réduire les dépenses d’essence et d’entretien des véhicules parce qu’il n’y a plus d’argent dans les caisses, qu’il faut se réorganiser pour être davantage présents sur la voie publique avec moins d’effectifs, qu'il faut que les procédures judiciaires soient traitées dans des délais toujours plus rapides et en même temps qu’il faut multiplier les expulsions de ces pauvres types, c’est du grand n’importe quoi, on marche sur la tête ». Un raccourci sans doute, mais qui en dit long tout de même sur cette politique du chiffre qui restera un peu comme la marque de fabrique des ministres de l’Intérieur qui l’ont promue avec une belle continuité depuis 2002.
Pour aller plus loin :
* Christian Mouhanna, Jean-Hugues Matelly, Police : des chiffres et des doutes (Michalon, 2007).
* Laurent Mucchielli, « Le "nouveau management de la sécurité" à l’épreuve : délinquance et activité policière sous le ministère Sarkozy (2002-2007) », Champ pénal.Nouvelle revue internationale de criminologie, 2008, vol. 5 (lecture intégrale en ligne).
* Patricia Tourancheau, Cannabis, prostitution, sans-papiers : la politique du chiffre (film diffusé sur Canal + en février 2009 (voir l'interview de la réalisatrice, journaliste à Libération, sur le site Agoravox).
* Patrick Weil, « Politique d'immigration : le dessous des chiffres » (Le Monde, 14 janvier 2009)
gérard menvussa- Messages : 6658
Date d'inscription : 06/09/2010
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