Les pelouses du Mall de Washington ont repris de la couleur ce samedi. Après la manifestation très whites only à l'appel de Glenn Beck le 28 août dernier, c’est une foule bigarrée cette fois-ci qui s’est retrouvée pour une sorte de géante "anti Tea Party". Quelques 400 organisations différentes avaient appelé à cette manifestation, parmi lesquelles beaucoup de syndicats, des organisations de défense des droits civiques, des militants homosexuels ou religieux. Organisée à l'endroit même où Glenn Beck avait rassemblé ses troupes, au pied du mémorial de Lincoln, la manifestation était destinée à reprendre un peu l'espace public au Tea Party et remobiliser aussi les troupes démocrates à un mois des élections de mi-mandat.
Si diverse et sympathique qu'ait été la foule ce samedi, il faut toutefois reconnaître qu'elle était moins nombreuse que celle réunie le 28 août. Ce jour-là, Glenn Beck aurait rassemblé quelque 100 000 personnes. L'anti Tea Party de ce samedi était plus difficile à mesurer car la foule y était souvent en mouvement (on pouvait ainsi accéder ce samedi jusqu'au mémorial Lincoln ce qui était totalement impossible lors de la manifestation de Beck). On dira donc qu'il y avait "plusieurs dizaines de milliers" de manifestants ce samedi, parmi lesquels ceux-ci:
Larry Jones, 48 ans, employé du syndicat Transit Union, venu de New York
Je suis venu pour montrer que les gens du Tea Party et leur racisme ne sont pas dominants dans ce pays. Ils exploitent la colère des gens due à la crise économique et au chômage. Mais je suis là aussi pour réclamer plus d’emplois et plus de programmes pour soutenir l’emploi. Moi même j’ai un travail actuellement, mais je peux le perdre à tout moment et on connaît tous quelqu’un autour de nous qui n’a pas d’emploi. Si rien n’est fait, je crois qu’il va y avoir de l’agitation sociale, peut-être dès 2011. Car je pense que le chômage va encore augmenter, les fonds de relance de l’économie s’épuisent, les banques ne prêtent plus… Après les prochaines élections de mi-mandat (le 2 novembre, ndlr), les coupes budgétaires risquent de s’accélérer encore, on va continuer à licencier toujours davantage d’enseignants dans les écoles…
Obama ? Il faut le pousser à faire davantage. Il y a 75 ans, la classe ouvrière avait aussi poussé Franklin Roosevelt à faire plus durant la grande dépression. Obama doit réaliser que ses vraies amis ce sont les gens qui sont ici aujourd’hui. Ce ne sont pas les capitaines d’industrie ou les banquiers de Wall Street. Quoique fasse Obama, ceux-ci ne l’aimeront jamais, ils financent des campagnes pour l’affaiblir.
Les élections à venir ne sont pas très importantes : que les démocrates perdent la Chambre des représentants ou pas, les deux partis vont devoir davantage écouter les gens. Sinon, on devra descendre dans la rue, bloquer les ponts, paralyser le pays, comme vous le faîtes en France. Ce n’est malheureusement pas dans la tradition de notre pays mais on devrait peut-être adopter certaines des traditions françaises ou grecques.
Les Tea Party reflètent la peur du changement démographique de notre pays. Les Etats-Unis comptent de plus en plus de Latinos, d’Asiatiques ou de Noirs. C’est ce qui effraye une certaine partie de la classe moyenne blanche. Ces gens voudraient revenir au pays d’il y a 60 ans. Ils ont beaucoup de moyens financiers, ils ont leur chaîne de télévision, Fox News, et ils sont dangereux car ils font de l’intimidation raciste. Mais ils peuvent crier autant qu'ils veulent, ils ne pourront pas faire revenir le pays en arrière, le changement démographique est irréversible.
Wendy Brake, 54 ans, employée dans une clinique, venue de l’Etat de New York
Cela fait longtemps que je vote démocrate, mais je n’étais encore jamais venue à Washington. Là, c’est une amie qui m’a mobilisée. Je suis une grande fan d’Obama et ça me bouleverse de voir comment on essaie aujourd’hui de démolir notre pays, de monter les gens les uns contre les autres. Le Tea Party me rend malade quand je les voie représenter Obama en figure de vaudou, avec un os dans le nez… C’est répugnant, ils n’ont aucun respect. Jamais ces gens ne se permettraient cela si le président était blanc. Mais je ne suis pas contre le Tea Party, je ne suis contre personne. Je voudrais qu’on cesse de se diviser en petits groupes. J’ai un fils de 29 ans, je voudrais qu’il hérite d’un bon pays et que ses enfants, s’il décide d'en avoir, grandissent dans un bon pays.
Déçue d’Obama ? Peut-être un petit peu. Il écoute beaucoup ses conseillers. Il est très cérébral... J’espérais que les choses iraient plus vite. Mais l’opposition lui mène la vie très dure. Je suis surtout agacée par les démocrates qui ne le soutiennent pas assez. Sans les Blue Dogs (des démocrates conservateurs qui ont largement saboté les réformes défendues par Obama, notamment la réforme de la santé, ndlr), on serait beaucoup plus avancés aujourd’hui. Mais il ne faut surtout pas abandonner. L’apathie est le pire des ennemis.
Votre président Sarkozy aime bien Obama aussi, non ? C’est magnifique que nos deux présidents s’aprrécient. Nous voulons que notre pays soit aimé, et non plus haï.
Linda Swanson, 66 ans, ancienne consultante à la retraite, venue de Virginie
Mon souci principal c’est qu’on cesse les guerres, en Irak, en Afghanistan ou ailleurs, et que tout l’argent dépensé dans ces guerres puisse aller à financer l’éducation, la santé ou l’emploi. Il faut redistribuer la richesse.
N’est-ce pas un peu socialiste ? Si, mais il ne faut pas le dire. Aux Etats-Unis, c’est un mot sale…
Cette manifestation est-elle une sorte d’anti Tea Party ? Oui, les médias ne cessent de parler du Tea Party. Il faudrait réaliser que le Tea Party ne représente pas la majorité de la population américaine. Pour moi, les gens du Tea Party sont des gens effrayés par la situation de l’emploi ou de notre système de santé, mais ils sont utilisés par des groupements d’intérêts qui les dépassent.
Obama, j’ai voté pour lui, même si je me doutais bien qu’il n’allait pas tout changer d'un coup. Quand il a pris Rahm Emanuel comme chef de cabinet, je me suis dit que ce serait la dégringolade. Et de fait, il n’a pas mis fin aux guerres dans lesquelles les Etats-Unis sont engagés. Sa réforme de la santé fait la part belle aux compagnies d’assurance. La réforme comporte quelques bons éléments mais pour l’essentiel elle incite surtout les gens à contracter des assurances privées.
L’argument de l’administration Obama aujourd’hui pour inciter les gens à voter aux prochaines élections c’est : « Regardez quelle serait l’alternative ». Je n’aime pas que l’on nous donne ainsi le choix entre deux maux. Je ne sais pas encore si je pourrais revoter pour Obama aujourd’hui, c’est un grand dilemme. Mais je n’aime notre système bi-partisan en général, on s’y retrouve toujours otage de l’un des deux partis.
Green P. Lewis, 65 ans, ancien enseignant, militant du syndicat OPEIU (Office and Professional Employees International Union), venu de Géorgie
Le pays est très divisé, il faut se rassembler, parler des choses qui affectent vraiment les Américains. Aujourd’hui, le rêve américain est refusé à beaucoup de gens. Ils n’ont pas d’emploi, ils ne peuvent pas envoyer leurs enfants dans l’école de leur choix, ils perdent leur maison dans les saisies… C’est la première fois dans ma vie que je vois une situation aussi terrible. Il faut mobiliser les gens pour aller voter le 2 novembre. Je pense qu’Obama fait un bon travail, il essaie d’unifier le pays, de s’occuper de tout le monde. Mais il y a beaucoup d’injustice faîte à l’administration présidentielle : tout ce que fait Obama est présenté de façon négative, sombre. Il y a beaucoup aussi de discrimination raciale encore. On pensait avoir dépassé cela avec l’élection d’Obama, mais je vois encore beaucoup de gens (de couleur, ndlr) venir se plaindre car ils ont été interpellés sans aucune raison par la police, fouillés et traités sans respect.
Cette manifestation n’est pas contre le Tea Party. Je pense que ces gens-là ont tort mais ils ont le droit de s’exprimer.
N’est-il pas déçu de voir que cette manifestation rassemble moins de monde que la Tea Party de Glenn Beck ? Les bonnes choses ne sont pas toujours attirantes. Mais je vois ici tout de même une belle foule.
Texte et Photos: LM