Loi sur l’Enseignement Supérieur et la Recherche
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Loi sur l’Enseignement Supérieur et la Recherche
LRU 1, LRU 2... LRU3 ? Pour une vraie riposte à l’université contre l’offensive du patronat !
Marah Macna
Source: http://www.ccr4.org/LRU-1-LRU-2-LRU3-Pour-une-vraie-riposte-a-l-universite-contre-l-offensive-du-patronat
Dans l’art de la mise en scène de la concertation et de la poursuite des contre-réformes, l’Enseignement Supérieur et la Recherche (ESR) fut une nouvelle fois pour le gouvernement PS un théâtre de choix. Après de longs mois de « concertation », menés à grand perte et fracas par les « Assises de l’ESR », après de laborieux discours sur la désespérante faillite de l’Université, c’est enfin le mois dernier qu’est sorti des placards ministériels cette « réforme » tant attendue. « Réforme », vraiment ?
A bien des égards pourtant, la nouvelle « loi-cadre » (dite « loi Fioraso, du nom de la ministre de l’ESR), apparaît se diriger dans la droite ligne de son aînée, la loi LRU (« Loi relative aux Libertés et Responsabilités des Universités, adoptée en 2007). Niant avec un profond culot les grands mouvements universitaires de 2007 et 2009 (souvent appelée respectivement « LRU 1 » et « LRU 2 ») ce « nouveau » projet n’en a en effet que la parure médiatique. Il maintient et prolonge le principe de la LRU : le principe de « l’autonomie » des universités, incarné par les mécanismes administratifs des Responsabilités et Compétences Élargies (RCE). D’après ces principes, chaque université doit prendre désormais à sa charge la gestion de son budget (frais concernant les personnels, le fonctionnement et le patrimoine) et de son administration (par le biais d’un pouvoir accru aux présidents d’université). Cette politique se couple d’une volonté de privilégier l’essor de « pôle d’excellence », par le biais d’une politique de financements déversés en fonction de la « performance » de chaque université autonome (exemple : le nombre d’étudiants présents aux examens, le nombre de publication des chercheurs), et non en fonction de leurs besoins réels (exemple : le nombre de chercheurs et d’étudiants inscrits). En clair, et comme on a pu l’entendre lors des grandes manifestations anti-LRU : une autonomie à deux vitesses, opposant « facs d’élite » – performantes, innovantes, donc financées – et « facs poubelles » – où s’entassent de plus en plus d’étudiants et de moins en moins de moyens.
« Autonomie », « Libertés », « Responsabilités », « Excellence » et « Innovation » sont devenus depuis quinze ans déjà les maîtres-mots de l’Université nouvelle, que le gouvernement PS ne fait que reprendre avec vaillance. Derrière ces rideaux de fumée, c’est une toute autre réalité qui se dégage. Désormais « autonomes », une grande part des universités publiques sont aujourd’hui en déficit, lié au fait que l’augmentation de leurs responsabilités ne s’est pas couplé d’une hausse de leur budget. Certaines d’entre elles ont d’ailleurs été mises sous tutelle par les recteurs d’académie. A large échelle, ce sont en réalité une multitude de « mini-plans d’ajustements structurels » qui ont été mis en place : précarisation du personnel, gel des postes, location des bâtiments les plus en vue (exemple de la Sorbonne), fermeture de cours et de travaux dirigés pour les étudiants...
Du Processus de Bologne à la loi LRU : retour sur quinze ans d’ « adaptation » de l’Université aux besoins des patrons
Sans compter qu’elle ne vient ni remettre en cause l’autonomie budgétaire, ni apporter de solutions globales à ces faillites successives, la nouvelle loi-cadre poursuit et prolonge la logique profonde de la loi LRU. Cette logique s’appuie sur l’analyse suivante : l’Université et la Recherche françaises ne sera pas (plus ?) adapté au système économique mondial. Les preuves de ce constat seraient à trouver dans le faible positionnement des établissements français en la matière, d’après les classements internationaux (dont le plus connu, le fameux « Classement de Shanghai »), ainsi que dans la forte proportion du chômage chez les jeunes, atteignant fin 2012 25,7% pour les 15-24 ans. Pas assez visibles internationalement, pas assez attractives, pas assez compétitives, l’Université et la Recherche françaises seraient donc à réformer, à « adapter ».
Plus qu’une simple lubie du gouvernement PS ou des politiques de la droite avant lui, cette contre-réforme s’inscrit dans une offensive plus généralisée envers les étudiants et les travailleurs de l’Université et la Recherche publique. La loi LRU et ses équivalents européens se placent en effet dans une stratégie politique consciente, incarnée par ce qui a été nommé le « Processus de Bologne ». Lancé à l’échelle de l’Union Européenne par le ministre socialiste Claude Allègre à partir de 1998, le Processus de Bologne porte un double projet. Il s’agit à la fois d’ajuster les institutions universitaires aux conditions actuelles du capitalisme, en tenant compte de l’existence d’un chômage structurel de masse, du moindre besoin de cadres intermédiaires que dans les années 1970, et de la volonté du patronat d’intégrer au maximum la formation à l’entreprise. Les réformes universitaires en cours visent ainsi à dissocier l’offre de formation entre des parcours de masse, visant à délivrer des « compétences » de base (langues, informatique, logique, etc.) au détriment des connaissances disciplinaires (sociologie, histoire, philosophie, etc.), et des diplômes d’excellence à l’accès toujours plus restreint, le tout étant désormais défini strictement par les besoins exprimés par le Medef.
En ce sens, la période Sarkozy dévoilait ses cartes sans s’émouvoir. L’ancien président, secondé de sa ministre de l’ESR, Valérie Pécresse, ne se limitait pas à une vague critique de l’institution, mais s’attelait à une attaque en règle de ces fondements idéologiques. A l’encontre des prétentions universalistes, démocratiques, et républicaines dont pouvaient se prévaloir un certain nombre de défenseurs de l’Université publique, le quinquennat Sarkozy fut le quinquennat de la dévalorisation du capital culturel promue par celle-ci : finie, la lecture de La Princesse de Clèves [1] ; fini, l’apprentissage des langues mortes ; désormais, pour « gagner la bataille de l’intelligence » [2] au niveau international, il allait falloir développer les compétences pratiques et les spécialisations nécessaires sur le marché de l’emploi.
Au sein des établissements, cette offensive sur l’« inadaptation » de l’Université conduit d’une part à vouloir adapter les formations proposées à la demande du marché du travail, et d’autre part à promouvoir le développement de la recherche appliquée. Pour cela, la loi LRU faisait notamment entrer dans les Conseils Administratifs (CA) des universités des « personnalités extérieures », issues « du monde économique et social » : représentant syndical des salariés, représentant des collectivités territoriales, mais aussi chef d’entreprise. Ceux-ci pouvaient alors conseiller le CA dans ces choix, mais n’avaient pas de droit de vote. Dans de nombreuses universités françaises, sont alors entrés par cette porte depuis 2007 un certain nombre de chefs d’entreprises locales. Cette entrée s’accompagne d’une diminution du nombre d’élus (notamment les élus étudiants, dont le nombre est inférieur à celui des « personnalités extérieures ») au CA, et d’une augmentation des pouvoirs des présidents d’université, qui deviennent alors de véritables gestionnaires des établissements (pouvoirs accrus sur le recrutement et la rémunération des enseignants-chercheurs par exemple).
La loi Fioraso : une « LRU 2.0 »
La loi Fioraso, dans ce cadre, prolonge ces mécanismes. Bien que modifiée, la composition du CA reste dans la même optique, en maintenant des pouvoirs accrus au président et, en allant plus loin encore, en accordant le droit de vote des « personnalités extérieures » pour l’élection du président. Les caractéristiques de ces personnalités sont précisées : désormais, il y aura, dans chaque CA, « au moins un représentant des organisations représentatives des employeurs »... ou comment souhaiter la bienvenue au Medef ! La loi maintient la faiblesse des représentants étudiants et BIATOSS (personnels de l’Université), pourtant premiers concernés par les transformations de leurs conditions d’étude et de travail : si 8 sièges sont réservés aux « personnalités extérieures », seulement 4 à 6 sont réservés aux étudiants, et seulement 4 au BIATOSS ! Le régime de l’Université accroit sa dimension antidémocratique : plus que jamais, ce sont les premiers concernés qui sont exclus de la prise de décisions concernant leur lieu de travail et d’étude !
Par ailleurs, cette nouvelle loi fait entrer dans les textes ce qui jusqu’à présent était désigné comme étant de l’ordre du fantasme de l’universitaire : la nécessité pour chaque université d’organiser le « transfert » des résultats de la recherche « vers le monde socio-économique ». Ce « transfert » devient un des rôles premiers de l’ESR. Cette notion de transfert se combine avec l’apport d’un nouvel élément de l’« autonomie » des établissements : l’autonomie sur l’offre de formation. Désormais, les universités ne seront plus « habilités » par l’État à délivrer des formations et des diplômes, mais seront « accrédités ». Derrière cette transformation de vocabulaire se cache en réalité le fait que les diplômes seront de moins en moins liés à un cadre national, et de plus en plus attachés à un ancrage socio-économique régional. Pour cela, sont créés trente grands pôles régionaux qui seront chargés de coordonner la gestion de leur budget et leur offre de formation. Les nouvelles universités, ou plus précisément les nouveaux regroupements universitaires, se lient ainsi plus fortement encore à la maîtrise et à l’organisation de la force de travail nécessitée localement par les patrons.
Le gouvernement PS, bien plus subtil, et surtout bien plus organiquement lié avec le monde syndical de l’ESR (qui constitue traditionnellement une partie de sa base électorale [3] ), s’attache depuis le début de la « concertation » à s’éloigner symboliquement de la surenchère sarkozyste. Nulle trace, ces derniers mois, du mépris affiché par le gouvernement précédent. Au contraire, la politique de Geneviève Fioraso se pare de nombreux atours « progressistes ». Elle insiste notamment sur la nécessaire démocratisation de l’Enseignement Supérieur, qui serait facilité par la « simplification » de l’offre de formation (trop large, trop complexe, trop floue) grâce à la méthode de l’accréditation et le regroupement des pôles universitaires. Démocratiser l’université en facilitant la lecture des programmes universitaires : on rirait de sa naïveté si l’on ne savait que derrière cette parodie démocratique se cachait une véritable exclusion sociale des couches populaires.
Par ailleurs, comme depuis des années, la raison d’être des contre-réformes serait pour une part le chômage massif des jeunes : transformer l’offre de formation serait censé permettre leur intégration sur le marché du travail. Ce que le régime Sarkozy présentait comme une inadaptation du système économique français, le régime Hollande le présente comme un sauvetage de la jeunesse en péril : deux faces d’une même pièce pour décréter la légitimité des contre-réformes.
A cette pièce vient s’ajouter un soutien de choix : celui de l’UNEF, qui, plus que jamais, a été intégrée au processus de « négociation » : pas moins de cinq rencontres avec la Ministre sur ce projet, auxquelles s’ajoute une invitation officielle de cette dernière au Congrès du syndicat le mois dernier. En ce sens, ce qu’il faut bien voir, c’est que cette loi vient renforcer encore un peu plus l’intégration des directions syndicales à la cogestion de l’Université. Si l’UNEF se félicite de la « démocratisation » apportée par cette nouvelle loi [4] , c’est bien que cette loi permet à sa direction de s’affirmer comme l’interlocuteur « légitime » auprès des pouvoirs publics et des étudiants. La « démocratisation » de l’ESR ne passera ni par la « simplification » de l’offre de formation, ni par l’intégration des bureaucraties syndicales, ni même par le retour à l’Université « d’avant LRU » : elle implique le bouleversement de cette institution.
Faut-il sauver l’Université ?
La remise en cause du fonctionnement traditionnel de l’Université publique vient questionner les fondements de cette institution. Pendant les mouvements LRU, les contestations du monde universitaire se sont beaucoup centrées sur la corruption qu’apporterait le « modèle de l’entreprise » au modèle universaliste de l’Université publique. Ce « modèle de l’entreprise » (caractérisé notamment par des présidents d’universités devenus patrons, des étudiants devenus clients et des savoirs devenus marchandises [5] ) serait d’après cette critique en rupture avec les principes du Service Public, attaché à « l’égalité de tous les citoyens ». Dès lors, il serait nécessaire de « sauver » l’Université et la Recherche publiques, garantes d’une formation des citoyens détachée des règles compétitives du marché. On retrouve aujourd’hui dans les appels des organisations mobilisés (et notamment « Sauvons l’Université » (SLU) et « Sauvons la Recherche » (SLR)) ce même type de revendication.
Cette critique voit juste lorsqu’elle dénonce la volonté des entreprises de vouloir capter et encadrer de plus en plus la formation à ses propres règles, à ses propres besoins. Elle voit juste dans sa revendication d’une éducation émancipée. Pour autant, en se portant au secours de l’Université, elle en vient à nier le fondement de cette institution qui reste dans le cadre de la société bourgeoise et qui, bien avant la LRU et le Processus de Bologne, s’attelait à la production d’une force de travail divisée entre mains d’œuvre qualifiées par l’acquisition de certaines compétences pratiques et élites sociales reproduites par les Grandes Écoles. Par son caractère de classe, l’Enseignement Supérieur « d’avant », « 100% public », acclamé pour sa prétendue capacité à faire marcher le fameux ascenseur social, défend matériellement et idéologiquement la domination, en excluant les classes populaires, et en reproduisant l’hégémonie de la classe dominante.
Dès lors, ce n’est pas seulement l’adaptation de l’Université aux « règles du marché » qu’il nous faut combattre, mais bien sa nature de classe : sa légitimation de l’idéologie dominante sous prétexte de neutralité scientifique, sa reproduction des classes dominantes sous couvert de méritocratie, son exclusion des classes populaires – dans les limites de la discrimination positive des « Plans Banlieues ».
C’est d’ailleurs bien ce qu’ont montré les mouvements LRU qui, dès le moment où ils remettaient en cause la division entre professeurs, personnels et étudiants, venaient profondément bouleverser la réalité de l’institution : cours alternatifs, conférences « hors les murs », changement des horaires de cours pour permettre aux personnels d’y assister, ouverture de l’université à d’autres luttes, d’autres discours provenant certes, du monde du travail, mais cette fois des travailleurs et non des patrons. La remise en cause du système universitaire bourgeois porte en elle la subversion de la société de classes. Elle dévoile au grand jour la division des tâches entre travail manuel et travail intellectuel que nous impose cette société, ainsi que la capacité du système à se forger une légitimité du seul fait de sa maîtrise de l’éducation et de la formation. Il ne suffira pas alors de regretter le temps béni de l’Université publique, mais bien d’en déceler les limites, et d’appeler à la reprise en main de l’éducation par et pour nous-mêmes. De fait, gagner notre bataille ne pourra s’accomplir que par l’unité entre le monde universitaire et notre monde du travail, seul à même d’apporter l’émancipation réelle de la société.
-----------------------------------
NOTES
[1] Le mépris affiché de l’ancien Président pour la culture française légitime fit sursauter plus d’un universitaire, et l’anecdote autour de La Princesse de Clèves devint l’emblème de la résistance culturelle à la contre-réforme : « L’autre jour, je m’amusais, on s’amuse comme on peut, à regarder le programme du concours d’attaché d’administration. Un sadique ou un imbécile, choisissez, avait mis dans le programme d’interroger les concurrents sur La Princesse de Clèves. Je ne sais pas si cela vous est souvent arrivé de demander à la guichetière ce qu’elle pensait de La Princesse de Clèves]... Imaginez un peu le spectacle ! »
[2] Discours 22 janvier 2009
[3] Voire son antichambre syndicale en ce qui concerne l’UNEF (Union Nationale des Étudiants de France).
[4] L’UNEF se félicite notamment de l’« engagement » de la ministre sur le poid qui serait accordé aux étudiants (40% des sièges – toujours pas la majorité) dans un « Conseil pédagogique » (équivalent de l’actuel CEVU, Conseil des Études et de la Vie Universitaire) qui discuterait notamment des modalités d’examens et les maquettes des programmes... Belle démagogie que de penser pouvoir peser sur ces deux points lorsqu’on a aucune prise sur le budget et le fonctionnement global de l’Université !
[5] Les slogans de ces mouvements furent d’ailleurs « L’université n’est pas une entreprise, le savoir n’est pas une marchandise ».
Marah Macna
Source: http://www.ccr4.org/LRU-1-LRU-2-LRU3-Pour-une-vraie-riposte-a-l-universite-contre-l-offensive-du-patronat
Dans l’art de la mise en scène de la concertation et de la poursuite des contre-réformes, l’Enseignement Supérieur et la Recherche (ESR) fut une nouvelle fois pour le gouvernement PS un théâtre de choix. Après de longs mois de « concertation », menés à grand perte et fracas par les « Assises de l’ESR », après de laborieux discours sur la désespérante faillite de l’Université, c’est enfin le mois dernier qu’est sorti des placards ministériels cette « réforme » tant attendue. « Réforme », vraiment ?
A bien des égards pourtant, la nouvelle « loi-cadre » (dite « loi Fioraso, du nom de la ministre de l’ESR), apparaît se diriger dans la droite ligne de son aînée, la loi LRU (« Loi relative aux Libertés et Responsabilités des Universités, adoptée en 2007). Niant avec un profond culot les grands mouvements universitaires de 2007 et 2009 (souvent appelée respectivement « LRU 1 » et « LRU 2 ») ce « nouveau » projet n’en a en effet que la parure médiatique. Il maintient et prolonge le principe de la LRU : le principe de « l’autonomie » des universités, incarné par les mécanismes administratifs des Responsabilités et Compétences Élargies (RCE). D’après ces principes, chaque université doit prendre désormais à sa charge la gestion de son budget (frais concernant les personnels, le fonctionnement et le patrimoine) et de son administration (par le biais d’un pouvoir accru aux présidents d’université). Cette politique se couple d’une volonté de privilégier l’essor de « pôle d’excellence », par le biais d’une politique de financements déversés en fonction de la « performance » de chaque université autonome (exemple : le nombre d’étudiants présents aux examens, le nombre de publication des chercheurs), et non en fonction de leurs besoins réels (exemple : le nombre de chercheurs et d’étudiants inscrits). En clair, et comme on a pu l’entendre lors des grandes manifestations anti-LRU : une autonomie à deux vitesses, opposant « facs d’élite » – performantes, innovantes, donc financées – et « facs poubelles » – où s’entassent de plus en plus d’étudiants et de moins en moins de moyens.
« Autonomie », « Libertés », « Responsabilités », « Excellence » et « Innovation » sont devenus depuis quinze ans déjà les maîtres-mots de l’Université nouvelle, que le gouvernement PS ne fait que reprendre avec vaillance. Derrière ces rideaux de fumée, c’est une toute autre réalité qui se dégage. Désormais « autonomes », une grande part des universités publiques sont aujourd’hui en déficit, lié au fait que l’augmentation de leurs responsabilités ne s’est pas couplé d’une hausse de leur budget. Certaines d’entre elles ont d’ailleurs été mises sous tutelle par les recteurs d’académie. A large échelle, ce sont en réalité une multitude de « mini-plans d’ajustements structurels » qui ont été mis en place : précarisation du personnel, gel des postes, location des bâtiments les plus en vue (exemple de la Sorbonne), fermeture de cours et de travaux dirigés pour les étudiants...
Du Processus de Bologne à la loi LRU : retour sur quinze ans d’ « adaptation » de l’Université aux besoins des patrons
Sans compter qu’elle ne vient ni remettre en cause l’autonomie budgétaire, ni apporter de solutions globales à ces faillites successives, la nouvelle loi-cadre poursuit et prolonge la logique profonde de la loi LRU. Cette logique s’appuie sur l’analyse suivante : l’Université et la Recherche françaises ne sera pas (plus ?) adapté au système économique mondial. Les preuves de ce constat seraient à trouver dans le faible positionnement des établissements français en la matière, d’après les classements internationaux (dont le plus connu, le fameux « Classement de Shanghai »), ainsi que dans la forte proportion du chômage chez les jeunes, atteignant fin 2012 25,7% pour les 15-24 ans. Pas assez visibles internationalement, pas assez attractives, pas assez compétitives, l’Université et la Recherche françaises seraient donc à réformer, à « adapter ».
Plus qu’une simple lubie du gouvernement PS ou des politiques de la droite avant lui, cette contre-réforme s’inscrit dans une offensive plus généralisée envers les étudiants et les travailleurs de l’Université et la Recherche publique. La loi LRU et ses équivalents européens se placent en effet dans une stratégie politique consciente, incarnée par ce qui a été nommé le « Processus de Bologne ». Lancé à l’échelle de l’Union Européenne par le ministre socialiste Claude Allègre à partir de 1998, le Processus de Bologne porte un double projet. Il s’agit à la fois d’ajuster les institutions universitaires aux conditions actuelles du capitalisme, en tenant compte de l’existence d’un chômage structurel de masse, du moindre besoin de cadres intermédiaires que dans les années 1970, et de la volonté du patronat d’intégrer au maximum la formation à l’entreprise. Les réformes universitaires en cours visent ainsi à dissocier l’offre de formation entre des parcours de masse, visant à délivrer des « compétences » de base (langues, informatique, logique, etc.) au détriment des connaissances disciplinaires (sociologie, histoire, philosophie, etc.), et des diplômes d’excellence à l’accès toujours plus restreint, le tout étant désormais défini strictement par les besoins exprimés par le Medef.
En ce sens, la période Sarkozy dévoilait ses cartes sans s’émouvoir. L’ancien président, secondé de sa ministre de l’ESR, Valérie Pécresse, ne se limitait pas à une vague critique de l’institution, mais s’attelait à une attaque en règle de ces fondements idéologiques. A l’encontre des prétentions universalistes, démocratiques, et républicaines dont pouvaient se prévaloir un certain nombre de défenseurs de l’Université publique, le quinquennat Sarkozy fut le quinquennat de la dévalorisation du capital culturel promue par celle-ci : finie, la lecture de La Princesse de Clèves [1] ; fini, l’apprentissage des langues mortes ; désormais, pour « gagner la bataille de l’intelligence » [2] au niveau international, il allait falloir développer les compétences pratiques et les spécialisations nécessaires sur le marché de l’emploi.
Au sein des établissements, cette offensive sur l’« inadaptation » de l’Université conduit d’une part à vouloir adapter les formations proposées à la demande du marché du travail, et d’autre part à promouvoir le développement de la recherche appliquée. Pour cela, la loi LRU faisait notamment entrer dans les Conseils Administratifs (CA) des universités des « personnalités extérieures », issues « du monde économique et social » : représentant syndical des salariés, représentant des collectivités territoriales, mais aussi chef d’entreprise. Ceux-ci pouvaient alors conseiller le CA dans ces choix, mais n’avaient pas de droit de vote. Dans de nombreuses universités françaises, sont alors entrés par cette porte depuis 2007 un certain nombre de chefs d’entreprises locales. Cette entrée s’accompagne d’une diminution du nombre d’élus (notamment les élus étudiants, dont le nombre est inférieur à celui des « personnalités extérieures ») au CA, et d’une augmentation des pouvoirs des présidents d’université, qui deviennent alors de véritables gestionnaires des établissements (pouvoirs accrus sur le recrutement et la rémunération des enseignants-chercheurs par exemple).
La loi Fioraso : une « LRU 2.0 »
La loi Fioraso, dans ce cadre, prolonge ces mécanismes. Bien que modifiée, la composition du CA reste dans la même optique, en maintenant des pouvoirs accrus au président et, en allant plus loin encore, en accordant le droit de vote des « personnalités extérieures » pour l’élection du président. Les caractéristiques de ces personnalités sont précisées : désormais, il y aura, dans chaque CA, « au moins un représentant des organisations représentatives des employeurs »... ou comment souhaiter la bienvenue au Medef ! La loi maintient la faiblesse des représentants étudiants et BIATOSS (personnels de l’Université), pourtant premiers concernés par les transformations de leurs conditions d’étude et de travail : si 8 sièges sont réservés aux « personnalités extérieures », seulement 4 à 6 sont réservés aux étudiants, et seulement 4 au BIATOSS ! Le régime de l’Université accroit sa dimension antidémocratique : plus que jamais, ce sont les premiers concernés qui sont exclus de la prise de décisions concernant leur lieu de travail et d’étude !
Par ailleurs, cette nouvelle loi fait entrer dans les textes ce qui jusqu’à présent était désigné comme étant de l’ordre du fantasme de l’universitaire : la nécessité pour chaque université d’organiser le « transfert » des résultats de la recherche « vers le monde socio-économique ». Ce « transfert » devient un des rôles premiers de l’ESR. Cette notion de transfert se combine avec l’apport d’un nouvel élément de l’« autonomie » des établissements : l’autonomie sur l’offre de formation. Désormais, les universités ne seront plus « habilités » par l’État à délivrer des formations et des diplômes, mais seront « accrédités ». Derrière cette transformation de vocabulaire se cache en réalité le fait que les diplômes seront de moins en moins liés à un cadre national, et de plus en plus attachés à un ancrage socio-économique régional. Pour cela, sont créés trente grands pôles régionaux qui seront chargés de coordonner la gestion de leur budget et leur offre de formation. Les nouvelles universités, ou plus précisément les nouveaux regroupements universitaires, se lient ainsi plus fortement encore à la maîtrise et à l’organisation de la force de travail nécessitée localement par les patrons.
Le gouvernement PS, bien plus subtil, et surtout bien plus organiquement lié avec le monde syndical de l’ESR (qui constitue traditionnellement une partie de sa base électorale [3] ), s’attache depuis le début de la « concertation » à s’éloigner symboliquement de la surenchère sarkozyste. Nulle trace, ces derniers mois, du mépris affiché par le gouvernement précédent. Au contraire, la politique de Geneviève Fioraso se pare de nombreux atours « progressistes ». Elle insiste notamment sur la nécessaire démocratisation de l’Enseignement Supérieur, qui serait facilité par la « simplification » de l’offre de formation (trop large, trop complexe, trop floue) grâce à la méthode de l’accréditation et le regroupement des pôles universitaires. Démocratiser l’université en facilitant la lecture des programmes universitaires : on rirait de sa naïveté si l’on ne savait que derrière cette parodie démocratique se cachait une véritable exclusion sociale des couches populaires.
Par ailleurs, comme depuis des années, la raison d’être des contre-réformes serait pour une part le chômage massif des jeunes : transformer l’offre de formation serait censé permettre leur intégration sur le marché du travail. Ce que le régime Sarkozy présentait comme une inadaptation du système économique français, le régime Hollande le présente comme un sauvetage de la jeunesse en péril : deux faces d’une même pièce pour décréter la légitimité des contre-réformes.
A cette pièce vient s’ajouter un soutien de choix : celui de l’UNEF, qui, plus que jamais, a été intégrée au processus de « négociation » : pas moins de cinq rencontres avec la Ministre sur ce projet, auxquelles s’ajoute une invitation officielle de cette dernière au Congrès du syndicat le mois dernier. En ce sens, ce qu’il faut bien voir, c’est que cette loi vient renforcer encore un peu plus l’intégration des directions syndicales à la cogestion de l’Université. Si l’UNEF se félicite de la « démocratisation » apportée par cette nouvelle loi [4] , c’est bien que cette loi permet à sa direction de s’affirmer comme l’interlocuteur « légitime » auprès des pouvoirs publics et des étudiants. La « démocratisation » de l’ESR ne passera ni par la « simplification » de l’offre de formation, ni par l’intégration des bureaucraties syndicales, ni même par le retour à l’Université « d’avant LRU » : elle implique le bouleversement de cette institution.
Faut-il sauver l’Université ?
La remise en cause du fonctionnement traditionnel de l’Université publique vient questionner les fondements de cette institution. Pendant les mouvements LRU, les contestations du monde universitaire se sont beaucoup centrées sur la corruption qu’apporterait le « modèle de l’entreprise » au modèle universaliste de l’Université publique. Ce « modèle de l’entreprise » (caractérisé notamment par des présidents d’universités devenus patrons, des étudiants devenus clients et des savoirs devenus marchandises [5] ) serait d’après cette critique en rupture avec les principes du Service Public, attaché à « l’égalité de tous les citoyens ». Dès lors, il serait nécessaire de « sauver » l’Université et la Recherche publiques, garantes d’une formation des citoyens détachée des règles compétitives du marché. On retrouve aujourd’hui dans les appels des organisations mobilisés (et notamment « Sauvons l’Université » (SLU) et « Sauvons la Recherche » (SLR)) ce même type de revendication.
Cette critique voit juste lorsqu’elle dénonce la volonté des entreprises de vouloir capter et encadrer de plus en plus la formation à ses propres règles, à ses propres besoins. Elle voit juste dans sa revendication d’une éducation émancipée. Pour autant, en se portant au secours de l’Université, elle en vient à nier le fondement de cette institution qui reste dans le cadre de la société bourgeoise et qui, bien avant la LRU et le Processus de Bologne, s’attelait à la production d’une force de travail divisée entre mains d’œuvre qualifiées par l’acquisition de certaines compétences pratiques et élites sociales reproduites par les Grandes Écoles. Par son caractère de classe, l’Enseignement Supérieur « d’avant », « 100% public », acclamé pour sa prétendue capacité à faire marcher le fameux ascenseur social, défend matériellement et idéologiquement la domination, en excluant les classes populaires, et en reproduisant l’hégémonie de la classe dominante.
Dès lors, ce n’est pas seulement l’adaptation de l’Université aux « règles du marché » qu’il nous faut combattre, mais bien sa nature de classe : sa légitimation de l’idéologie dominante sous prétexte de neutralité scientifique, sa reproduction des classes dominantes sous couvert de méritocratie, son exclusion des classes populaires – dans les limites de la discrimination positive des « Plans Banlieues ».
C’est d’ailleurs bien ce qu’ont montré les mouvements LRU qui, dès le moment où ils remettaient en cause la division entre professeurs, personnels et étudiants, venaient profondément bouleverser la réalité de l’institution : cours alternatifs, conférences « hors les murs », changement des horaires de cours pour permettre aux personnels d’y assister, ouverture de l’université à d’autres luttes, d’autres discours provenant certes, du monde du travail, mais cette fois des travailleurs et non des patrons. La remise en cause du système universitaire bourgeois porte en elle la subversion de la société de classes. Elle dévoile au grand jour la division des tâches entre travail manuel et travail intellectuel que nous impose cette société, ainsi que la capacité du système à se forger une légitimité du seul fait de sa maîtrise de l’éducation et de la formation. Il ne suffira pas alors de regretter le temps béni de l’Université publique, mais bien d’en déceler les limites, et d’appeler à la reprise en main de l’éducation par et pour nous-mêmes. De fait, gagner notre bataille ne pourra s’accomplir que par l’unité entre le monde universitaire et notre monde du travail, seul à même d’apporter l’émancipation réelle de la société.
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NOTES
[1] Le mépris affiché de l’ancien Président pour la culture française légitime fit sursauter plus d’un universitaire, et l’anecdote autour de La Princesse de Clèves devint l’emblème de la résistance culturelle à la contre-réforme : « L’autre jour, je m’amusais, on s’amuse comme on peut, à regarder le programme du concours d’attaché d’administration. Un sadique ou un imbécile, choisissez, avait mis dans le programme d’interroger les concurrents sur La Princesse de Clèves. Je ne sais pas si cela vous est souvent arrivé de demander à la guichetière ce qu’elle pensait de La Princesse de Clèves]... Imaginez un peu le spectacle ! »
[2] Discours 22 janvier 2009
[3] Voire son antichambre syndicale en ce qui concerne l’UNEF (Union Nationale des Étudiants de France).
[4] L’UNEF se félicite notamment de l’« engagement » de la ministre sur le poid qui serait accordé aux étudiants (40% des sièges – toujours pas la majorité) dans un « Conseil pédagogique » (équivalent de l’actuel CEVU, Conseil des Études et de la Vie Universitaire) qui discuterait notamment des modalités d’examens et les maquettes des programmes... Belle démagogie que de penser pouvoir peser sur ces deux points lorsqu’on a aucune prise sur le budget et le fonctionnement global de l’Université !
[5] Les slogans de ces mouvements furent d’ailleurs « L’université n’est pas une entreprise, le savoir n’est pas une marchandise ».
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