Conférence Nationale de l'Industrie : contribution de la CGT : L’abandon de l’industrie en France
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Conférence Nationale de l'Industrie : contribution de la CGT : L’abandon de l’industrie en France
Contribution de la CGT au groupe de travail « Constat » de la Conférence Nationale de l’Industrie :
L’abandon de l’industrie en France
Rhétorique et diagnostics
L’annonce des Etats généraux de l’industrie en 2009 est restée lettre morte. La politique industrielle promue par la présidence de la République française n’a jamais vu le jour. La désindustrialisation s’est accentuée. Le poids de l’industrie manufacturière dans la valeur ajoutée n’en représente plus que 10 %, le niveau de la production industrielle en 2010 n’a pas retrouvé le niveau de 1997, le niveau de l’emploi industriel manufacturier dans l’emploi total salarié est tombé à 11,5 % au début de cette année, alors qu’il en représentait 30 % en 1961. La part de la France dans les exportations mondiales d’articles manufacturés est passée de 6 % en 1995 à 4 % en 2009.
Les causes de cette débâcle sont anciennes et multiples. Trois décennies de retrait de l’Etat ont entraîné la déliquescence de son tissu productif et une dégradation sans précédent de la place de la France dans l’économie mondiale. Le repli de la puissance publique doit être replacé dans le cadre de la remise en cause de la dynamique du capitalisme français, dont la coordination étatique avait pourtant assuré la force pendant les Trente Glorieuses.
La CGT a pourtant donné leurs chances aux initiatives politiques sans que celles-ci ne portent le moindre résultat, c’est pourquoi il convient de dénoncer en tout premier lieu le désengagement de la puissance publique française. Ce désengagement a été d’autant plus lourd que les nations mercantilistes de l’Europe ont pu organiser la division du travail autour d’elles. La démobilisation s’est accélérée dans la pratique depuis quatre ans, tandis que les effets d’annonce gouvernementaux sonnaient sans cesse la mobilisation. Parmi les dernières illustrations de ces exhortations, il faut retenir la rédaction du rapport de la Conférence nationale de l’industrie (CNI), basé sur les travaux des 12 comités stratégiques de filières et des groupes de travail transverses. L’orientation qui se dégage des groupes de travail et notamment du groupe de travail constat présage d’une orientation axée vers la compétitivité coût et notamment coût du travail. S’il convient d’en dénoncer les erreurs de méthode et de raisonnement, ce que se propose de faire rapidement ce texte, il faut surtout tenter de comprendre pourquoi la France a abdiqué de la sorte. La récitation des formes les plus caricaturales du libéralisme n’explique pas en effet pourquoi les gouvernements français ont accepté de les apprendre par cœur.
A. Les ressorts de la rhétorique d’un Etat affaibli
Les excuses gouvernementales n’étonnent pas par leur classicisme : elles reprennent à l’envi la litanie des dogmes libéraux qui font porter les échecs sur les adversaires du marché et de sa flexibilité. Tour à tour, les 35 heures ont été incriminées, puis le poids des cotisations sociales trop élevées, la faiblesse des marges des entreprises françaises... Regarder attentivement les statistiques permet de rétablir le diagnostic sur l’état de notre industrie et de l’économie française.
Il suffit de rappeler que la période des 35 heures a été celle où la France a connu une des plus fortes croissances depuis la fin des Trente glorieuses, ou que le coût du travail français n’est pas si élevé : la rémunération du travail par heure ou par employé est plus haute dans l’industrie manufacturière allemande que dans l’industrie manufacturière française . Le coût horaire est également plus élevé en Allemagne qu’en France dans cette industrie, comme le montre le Département américain du travail . Ce n’est pas une bonne nouvelle pour la France. Si l’industrie manufacturière française veut en effet monter en gamme, il lui faut plus de techniciens, d’ingénieurs, de cadres et bien sûr d’ouvriers hautement qualifiés, mieux rémunérés et mieux formés. De son côté, le taux de marge passe de 23,6 % % en 1980 à 30,2 % en 2010, alors que le taux d’investissement baisse lui de 19,9 % à 18,7 % pour la même période. L’existence d’une causalité naturelle entre compétitivité-coût et croissance est absurde, elle est notamment contredite par les expériences européennes et les comparaisons franco-allemandes .
La dénonciation aveugle de l’Histoire dans la rhétorique gouvernementale renvoie à un mécanisme spécifique de la genèse et la perpétuation des crises qu’il ne faut pas sous-estimer : les nouveaux mécanismes financiers, qui étaient essentiellement le fait d’agents privés, ont entraîné des discontinuités et des déséquilibres que les autorités de contrôle européennes et particulièrement françaises n’ont pas anticipés. L’apprentissage des autorités publiques face à la déstabilisation du système économique par les innovations financières a été très lent et il n’est pas sûr qu’il ait abouti . Aujourd’hui encore, le Gouvernement promeut des idées que l’expérience a pourtant définitivement condamnées.
Quelles sont les raisons de ce retard constant ? Sont-elles seulement de nature cognitive ? Impliquent-elles un renforcement de contrepouvoirs comme ceux qu’acquièrent les financiers par rapport aux autorités en charge de les contrôler ? Une comparaison de la crise actuelle avec celle des Caisses d’épargne en 1987 ou avec la crise japonaise des années quatre-vingt-dix met en évidence des différences majeures. La mobilisation des outils disponibles, forgés pour surmonter les grandes crises antérieures, n’a pas été suffisante pour surmonter rapidement les dégâts des prêts hypothécaires aux Etats-Unis. Malgré le déchaînement des faits et le rappel des fondements théoriques les plus élémentaires, les catégories dans lesquelles la volonté politique s’exprime n’ont pas été remises en cause.
B. Le projet de rapport «constat» de la CNI, un rapport pas si anecdotique
La conférence nationale de l’industrie avait pour objectif initial d’explorer les pistes du « développement de l’industrie et de l’emploi industriel ». Ce n’est pas tant l’aspect caricatural du cadre et des arguments qu’il convient de dénoncer, que le projet lui-même. D’emblée, celui-ci s’organise autour d’intuitions conceptuelles qui verrouillent le raisonnement du texte, scandé par l’incantation de la « compétitivité ». Depuis les sommets de Lisbonne et de Göteborg, la définition que la Commission européenne de la compétitivité est « la capacité à améliorer durablement le niveau de vie de ses habitants et à leur procurer un haut niveau d’emploi et de cohésion sociale ». Celle que laisse entrevoir le futur rapport correspond à « l’exaltation de la concurrence et à la réduction de ses entraves ».
Ainsi, les effets de structure et de composition sont complètement laissés de côté. A aucun moment, le texte ne s’interroge sur ce qu’il compare et considère l’industrie comme un tout homogène. De même, il ignore les anticipations et les stratégies des groupes sociaux, préférant figer les logiques qu’il croit percevoir chez les différents acteurs. De manière systématique, il se focalise sur les aspects-coûts. Enfin, il néglige les asymétries d’information et les mécanismes de marché auxquels se soumettent les acteurs ou non, préférant s’en remettre à la vision que le groupe dominant dans le Groupe de travail présente comme une expertise. L’ensemble des questions de la reproduction des conditions même de la production est ainsi négligé, et avec lui le sujet même de la Conférence .
Quelle est la responsabilité des industriels ? Les stratégies des entreprises n’ont pas été univoques, selon leur taille ou leur secteur. Dans tous les segments exposés néanmoins, les pays émergents les plus industrialisés et l’Allemagne ont promu la montée en gamme de leurs manufactures, tandis que les français se livraient pour la plupart à la bataille de la compétitivité en termes de coût, attaquant sans cesse le modèle social français et se détournant de stratégie de filières complémentaires et coopératives. Le plus souvent ce sont les stratégies de rentabilité financière à court terme qui ont été suivies. La générosité en dividendes reversés en est l’illustration, qui place la France en 4e position en Europe sur la période 2006-2008 et la troisième en 2009.
La Confédération générale du travail dénonce dès ses prémices les conclusions auxquelles le projet de rapport tente d’aboutir. La seule approche par la compétitivité par la baisse du coût du travail rend impossible la rédaction contradictoire d’un rapport . Bien plus, la proposition concentre l’ensemble des composantes analytiques qui ont organisé la soumission de l’industrie française. La charge est portée contre le modèle social et notamment le financement de la protection sociale. Une instance consultative comme la CNI n’a pas la légitimité pour redéfinir l’ensemble du financement du modèle social français (donc de tous les secteurs et de tous les salariés).
La CGT publiera dans les prochaines semaines le document qui définit et développe la politique industrielle qu’elle appelle de ses vœux pour la France. Elle doit être fondée sur la complémentarité entre le développement économique et les droits sociaux, la coopération et les solidarités entre les salariés, les peuples et les territoires, en concertation avec ses partenaires européens.
L’abandon de l’industrie en France
Rhétorique et diagnostics
L’annonce des Etats généraux de l’industrie en 2009 est restée lettre morte. La politique industrielle promue par la présidence de la République française n’a jamais vu le jour. La désindustrialisation s’est accentuée. Le poids de l’industrie manufacturière dans la valeur ajoutée n’en représente plus que 10 %, le niveau de la production industrielle en 2010 n’a pas retrouvé le niveau de 1997, le niveau de l’emploi industriel manufacturier dans l’emploi total salarié est tombé à 11,5 % au début de cette année, alors qu’il en représentait 30 % en 1961. La part de la France dans les exportations mondiales d’articles manufacturés est passée de 6 % en 1995 à 4 % en 2009.
Les causes de cette débâcle sont anciennes et multiples. Trois décennies de retrait de l’Etat ont entraîné la déliquescence de son tissu productif et une dégradation sans précédent de la place de la France dans l’économie mondiale. Le repli de la puissance publique doit être replacé dans le cadre de la remise en cause de la dynamique du capitalisme français, dont la coordination étatique avait pourtant assuré la force pendant les Trente Glorieuses.
La CGT a pourtant donné leurs chances aux initiatives politiques sans que celles-ci ne portent le moindre résultat, c’est pourquoi il convient de dénoncer en tout premier lieu le désengagement de la puissance publique française. Ce désengagement a été d’autant plus lourd que les nations mercantilistes de l’Europe ont pu organiser la division du travail autour d’elles. La démobilisation s’est accélérée dans la pratique depuis quatre ans, tandis que les effets d’annonce gouvernementaux sonnaient sans cesse la mobilisation. Parmi les dernières illustrations de ces exhortations, il faut retenir la rédaction du rapport de la Conférence nationale de l’industrie (CNI), basé sur les travaux des 12 comités stratégiques de filières et des groupes de travail transverses. L’orientation qui se dégage des groupes de travail et notamment du groupe de travail constat présage d’une orientation axée vers la compétitivité coût et notamment coût du travail. S’il convient d’en dénoncer les erreurs de méthode et de raisonnement, ce que se propose de faire rapidement ce texte, il faut surtout tenter de comprendre pourquoi la France a abdiqué de la sorte. La récitation des formes les plus caricaturales du libéralisme n’explique pas en effet pourquoi les gouvernements français ont accepté de les apprendre par cœur.
A. Les ressorts de la rhétorique d’un Etat affaibli
Les excuses gouvernementales n’étonnent pas par leur classicisme : elles reprennent à l’envi la litanie des dogmes libéraux qui font porter les échecs sur les adversaires du marché et de sa flexibilité. Tour à tour, les 35 heures ont été incriminées, puis le poids des cotisations sociales trop élevées, la faiblesse des marges des entreprises françaises... Regarder attentivement les statistiques permet de rétablir le diagnostic sur l’état de notre industrie et de l’économie française.
Il suffit de rappeler que la période des 35 heures a été celle où la France a connu une des plus fortes croissances depuis la fin des Trente glorieuses, ou que le coût du travail français n’est pas si élevé : la rémunération du travail par heure ou par employé est plus haute dans l’industrie manufacturière allemande que dans l’industrie manufacturière française . Le coût horaire est également plus élevé en Allemagne qu’en France dans cette industrie, comme le montre le Département américain du travail . Ce n’est pas une bonne nouvelle pour la France. Si l’industrie manufacturière française veut en effet monter en gamme, il lui faut plus de techniciens, d’ingénieurs, de cadres et bien sûr d’ouvriers hautement qualifiés, mieux rémunérés et mieux formés. De son côté, le taux de marge passe de 23,6 % % en 1980 à 30,2 % en 2010, alors que le taux d’investissement baisse lui de 19,9 % à 18,7 % pour la même période. L’existence d’une causalité naturelle entre compétitivité-coût et croissance est absurde, elle est notamment contredite par les expériences européennes et les comparaisons franco-allemandes .
La dénonciation aveugle de l’Histoire dans la rhétorique gouvernementale renvoie à un mécanisme spécifique de la genèse et la perpétuation des crises qu’il ne faut pas sous-estimer : les nouveaux mécanismes financiers, qui étaient essentiellement le fait d’agents privés, ont entraîné des discontinuités et des déséquilibres que les autorités de contrôle européennes et particulièrement françaises n’ont pas anticipés. L’apprentissage des autorités publiques face à la déstabilisation du système économique par les innovations financières a été très lent et il n’est pas sûr qu’il ait abouti . Aujourd’hui encore, le Gouvernement promeut des idées que l’expérience a pourtant définitivement condamnées.
Quelles sont les raisons de ce retard constant ? Sont-elles seulement de nature cognitive ? Impliquent-elles un renforcement de contrepouvoirs comme ceux qu’acquièrent les financiers par rapport aux autorités en charge de les contrôler ? Une comparaison de la crise actuelle avec celle des Caisses d’épargne en 1987 ou avec la crise japonaise des années quatre-vingt-dix met en évidence des différences majeures. La mobilisation des outils disponibles, forgés pour surmonter les grandes crises antérieures, n’a pas été suffisante pour surmonter rapidement les dégâts des prêts hypothécaires aux Etats-Unis. Malgré le déchaînement des faits et le rappel des fondements théoriques les plus élémentaires, les catégories dans lesquelles la volonté politique s’exprime n’ont pas été remises en cause.
B. Le projet de rapport «constat» de la CNI, un rapport pas si anecdotique
La conférence nationale de l’industrie avait pour objectif initial d’explorer les pistes du « développement de l’industrie et de l’emploi industriel ». Ce n’est pas tant l’aspect caricatural du cadre et des arguments qu’il convient de dénoncer, que le projet lui-même. D’emblée, celui-ci s’organise autour d’intuitions conceptuelles qui verrouillent le raisonnement du texte, scandé par l’incantation de la « compétitivité ». Depuis les sommets de Lisbonne et de Göteborg, la définition que la Commission européenne de la compétitivité est « la capacité à améliorer durablement le niveau de vie de ses habitants et à leur procurer un haut niveau d’emploi et de cohésion sociale ». Celle que laisse entrevoir le futur rapport correspond à « l’exaltation de la concurrence et à la réduction de ses entraves ».
Ainsi, les effets de structure et de composition sont complètement laissés de côté. A aucun moment, le texte ne s’interroge sur ce qu’il compare et considère l’industrie comme un tout homogène. De même, il ignore les anticipations et les stratégies des groupes sociaux, préférant figer les logiques qu’il croit percevoir chez les différents acteurs. De manière systématique, il se focalise sur les aspects-coûts. Enfin, il néglige les asymétries d’information et les mécanismes de marché auxquels se soumettent les acteurs ou non, préférant s’en remettre à la vision que le groupe dominant dans le Groupe de travail présente comme une expertise. L’ensemble des questions de la reproduction des conditions même de la production est ainsi négligé, et avec lui le sujet même de la Conférence .
Quelle est la responsabilité des industriels ? Les stratégies des entreprises n’ont pas été univoques, selon leur taille ou leur secteur. Dans tous les segments exposés néanmoins, les pays émergents les plus industrialisés et l’Allemagne ont promu la montée en gamme de leurs manufactures, tandis que les français se livraient pour la plupart à la bataille de la compétitivité en termes de coût, attaquant sans cesse le modèle social français et se détournant de stratégie de filières complémentaires et coopératives. Le plus souvent ce sont les stratégies de rentabilité financière à court terme qui ont été suivies. La générosité en dividendes reversés en est l’illustration, qui place la France en 4e position en Europe sur la période 2006-2008 et la troisième en 2009.
La Confédération générale du travail dénonce dès ses prémices les conclusions auxquelles le projet de rapport tente d’aboutir. La seule approche par la compétitivité par la baisse du coût du travail rend impossible la rédaction contradictoire d’un rapport . Bien plus, la proposition concentre l’ensemble des composantes analytiques qui ont organisé la soumission de l’industrie française. La charge est portée contre le modèle social et notamment le financement de la protection sociale. Une instance consultative comme la CNI n’a pas la légitimité pour redéfinir l’ensemble du financement du modèle social français (donc de tous les secteurs et de tous les salariés).
La CGT publiera dans les prochaines semaines le document qui définit et développe la politique industrielle qu’elle appelle de ses vœux pour la France. Elle doit être fondée sur la complémentarité entre le développement économique et les droits sociaux, la coopération et les solidarités entre les salariés, les peuples et les territoires, en concertation avec ses partenaires européens.
fée clochette- Messages : 1274
Date d'inscription : 23/06/2010
Age : 59
Localisation : vachement loin de la capitale
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