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Les quartiers? Une priorité politique.....

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gérard menvussa
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Message  gérard menvussa Ven 27 Mai - 11:07

-> Contribution de Salah Amokrane (Forum social des quartiers populaires)

Nous sommes depuis plus de 25 ans, dans un contexte où la question des banlieues et quartiers populaires, en lien avec les questions d‘immigrations, et le refus d'assumer le caractère multiculturel de la société, est centrale dans la vie politique française. Cela vire parfois à l‘obsession, et à l'approche des échéances électorales, souvent à l'hystérie. «Les quartiers servent de défouloir pour des politiques et des médias en mal de petites phrases assassines sur les "territoires perdus de la République", "parents irresponsables", "zones de non-droit" "mafiatisation" et autres "dérives islamistes". Les habitant-e-s, et notamment les jeunes, sont stigmatisé-e-s et désigné-e-s comme les principaux responsables des dérives de notre société. Ca ne coûte pas cher de donner des leçons de civisme et de montrer du doigt les "racailles" ou les "sauvageons" en les jetant à la vindicte populaire.1».

Dans la perspective de 2012, il semble bien qu'encore une fois, derrière les questions d'insécurités, et de façon plus nouvelle, derrière la question de la laïcité, c'est sur le dos des quartiers et des banlieues que va se faire pour une bonne part la prochaine campagne. Il apparait que la nouvelle figure dangereuse, l'épouvantail, après celle ressassée de l'arabe, soit celle du musulman. Je ne m'étendrai pas sur ce sujet, si ce n'est pour me préoccuper qu'une bonne partie de la gauche aujourd'hui, y compris celle sensée représenter la rupture avec le capitalisme, et là aussi sous couvert de défense de la laïcité, se complait dans des ambiguïtés douteuses.

Pour la gauche (au moins la vraie), l'un des enjeux est de faire de la question des quartiers populaires, des banlieues, une question politique de premier plan, une question centrale, à l'inverse des politiques spécifiques institutionnelles, comme la pseudo politique de la ville, et bien sur au contraire de la façon dont la droite et de l’extrême droite, en font une question centrale.

Cela devrait sembler évident, qu'au fond aujourd'hui classes populaires et quartiers populaires, sans se confondre totalement, sont la même question. Je voudrais me tromper, mais j'ai le sentiment que la gauche a baissé les bras, considérant ces lieux à travers les taux d'abstentions, comme des déserts politiques.

C'est vrai que les tentatives, je pense bien sur au Forum Social des Quartiers Populaires, d'organiser la prise de parole, de dégager un espace significatif d'expression politique, des quartiers, n'ont pas encore complètement abouties, mais elles existent. Quelque soit l'issue des élections et au delà, il n'y a pas d'autres choix que de parier sur l’existence d'une telle force politique, qui sera un espace d'affirmation d'une parole politique, sociale et culturelle à partir des expériences, des histoires, et de la mémoire de nos quartiers. C'est même, j'ose le dire, un des endroits du renouvellement de la pensée, de l'action politique, des formes de solidarité, du vivre ensemble...

Oui, il s'agit de refuser, d’éternellement déléguer le pouvoir à ceux qui ne nous représentent pas.

Non, il ne s'agit pas de simplement défendre les quartiers, pour les quartiers, mais d'une référence commune, pour des lieux qui bien qu'a la périphérie de nos villes en sont le centre politique. Car ces quartiers ne sont que des loupes grossissantes de l'état de la société, des questions du travail, de la santé, du racisme, de la ségrégation urbaine, de l'éducation, du travail, du libéralisme, du sexisme, de l'environnement.....

Arrêtons de penser qu'il ne s'agit que d'une minorité de la population, ce sont des exemples du sort majoritaire qui nous attends à tous, si nous détournons le regard.

Dans les années 80, la gauche, et l’extrême gauche, n'ont pas soutenu l'émergence d'une force politique autonome. Malgré les craintes et les réticences de certains, il faut affirmer la nécessité d’une expression politique autonome de mouvements issus des quartiers populaires. Aujourd'hui plus que jamais, c'est de l'intérêt de tous qu'existe un tel mouvement, incommode, contestataire, ...mais absolument nécessaire.

Salah Amokrane (FSQP) est ancien conseiller municipal de Toulouse et tête de liste "Motivé-e-s"

1Appel «Forum Social des Quartiers Populaires»
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Message  ELEA Ven 27 Mai - 13:38

Encore une fois, mais de parole inversé, il y a les quartiers et le reste du monde, le reste du monde semblant être une unité ?
La misère ne touche que la banlieue ?

Cela devrait sembler évident, qu'au fond aujourd'hui classes populaires et quartiers populaires, sans se confondre totalement, sont la même question.Faux, raccourci un peu rapide tout de même. Que se soit la même question, évidement, les démunis des quartiers ou d'ailleurs souffrent du même maux, le capItalisme, mais résumer la misère au quartier et le reste, ainsi formulé, semble une "classe" aisée, c'est anti-lutte de classe.. La misère est aussi chez la mamie retraitée qui se privera sur des repas pour ne pas être expulsé, chez l'étudiant qui néglient sa santé et sa bouf parce qu'il n'a pas les moyens, chez le couple de smicard qui travaille uniquement pour payer leurs charges et refusent des plaisirs à leur gosse, elle est chez la mère célibataire qui ne s'en sort pas avec son salaire et des frais de garde et il n'habite pas tous en banlieue.
La misère elle est partout. Si on veut que les gens puisse la combattre, c'est en se regroupant (c'est quand même la base du marxisme, non ?) par en re-créant des "classes".


Oui, il s'agit de refuser, d’éternellement déléguer le pouvoir à ceux qui ne nous représentent pas. Ceux qui ne nous représentent pas sont ceux qui ne vivent pas en banlieue ? Je pensais plutôt qu'il s'agissait de Bourgeois, capitaliste ? Donner la parole aux prolétaires, de banlieue ou d'ailleurs, qu'importe, nous sommes la même classe.

Aujourd'hui plus que jamais, c'est de l'intérêt de tous qu'existe un tel mouvement, incommode, contestataire, ...mais absolument nécessaire

Oui, ça s'appelle le communisme révolutionnaire internationaliste, qui dépasse de très loin le cadre de la banlieue. Very Happy
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Message  Invité Ven 27 Mai - 14:33

ELEA a écrit:Donner la parole aux prolétaires, de banlieue ou d'ailleurs
A notre époque, beaucoup d'ouvriers et d'employés, même s'ils travaillent dans une zone urbaine ou périurbaine, habitent dans des zones rurales, du fait de la cherté des logements. Ces zones rurales sont un "angle mort" de la politique.

Cela devrait nous donner des pistes sur la façon dont devrait intervenir une organisation qui vise à construire un jour un parti des travailleurs. Les caravanes LO qui font le tour des "trous paumés", avec des équipes de 15 à 30 personnes, c'est vraiment un truc dont tout le monde devrait s'inspirer, même si au début c'est à une échelle plus modeste.

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Message  ELEA Ven 27 Mai - 14:38


Tu as résumé ma pensée.
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Message  ramiro Ven 27 Mai - 15:30

Byrrh a écrit:
ELEA a écrit:Donner la parole aux prolétaires, de banlieue ou d'ailleurs
A notre époque, beaucoup d'ouvriers et d'employés, même s'ils travaillent dans une zone urbaine ou périurbaine, habitent dans des zones rurales, du fait de la cherté des logements. Ces zones rurales sont un "angle mort" de la politique.

Cela devrait nous donner des pistes sur la façon dont devrait intervenir une organisation qui vise à construire un jour un parti des travailleurs.

il y a 11 millions de français qui habitent dans les zones rurales. Beaucoup d'entre eux sont des "ouvriers" au sens statistiques du terme.
J'ai lu un très bon bouquin là dessus écrit par un sociologue de l'institut des Études agronomes.

http://lectures.revues.org/4537

A lire pour comprendre qu'il y a des "jeunes" "populaires" ailleurs qu'en banlieue...En filigramme on peut aussi utiliser ce bouquin pour comprendre comment l'extrême droite s'implante dans les campagnes.
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Message  gérard menvussa Ven 27 Mai - 15:38

A notre époque, beaucoup d'ouvriers et d'employés, même s'ils travaillent dans une zone urbaine ou périurbaine, habitent dans des zones rurales, du fait de la cherté des logements. Ces zones rurales sont un "angle mort" de la politique.
Sans doute. Je ne crois pas qu'opposer "quartiers populaires" et "zones rurales peuplé de prolo et d'employés" soit vraiment la bonne méthode. Et je me demande comment on arriverait à convaincre les travailleurs des zone's rurales de s'organiser avec nous si on n'arrive pas à convaincre les travailleurs des QP.
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Message  ELEA Ven 27 Mai - 15:54



A lire pour comprendre qu'il y a des "jeunes" "populaires" ailleurs qu'en banlieue...En filigramme on peut aussi utiliser ce bouquin pour comprendre comment l'extrême droite s'implante dans les campagnes.[/quote]

Oui, ça c'est un énorme problème...J'ai bien peur qu'il soit leur électorat principal (bien que je suis très loin d'être spécialiste de la question), mais en campagne, le FN perdure, surtout dans les villages où il n'y a pas la moindre trace d'étranger. C'est fou.
Enfin, j'énumère des vérités de la Palisse.
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Message  Oudiste Ven 27 Mai - 16:48

Byrrh a écrit:Ces zones rurales sont un "angle mort" de la politique
J'en dirais autant des QP.
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Message  ELEA Ven 27 Mai - 17:49


Non, je dirais plus.
Dans les quartiers, il y a au moins un infime envie de la part des politiques de s'implanter.
A la campagne, quenenni.

La preuve, le NPA souhaite s'implanter des les QP.
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Message  tomaz Ven 27 Mai - 21:18


le npa s'implante partout où il le peu (de sarcelle à Saint Guénolé , de vierzon aux quartiers nord de marseille, de la Lozère aux Ardennes ) et déja ça c'est pas facile, qp, zone rurale, bord de mer, zone industrielle, on s'en fout

pour reprendre le terme "angle mort", celui ci est partout.

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Message  ELEA Ven 27 Mai - 21:39

Je me doute bien que le NPA s'implante partout où il peut, qu'il ne peut à l'heure actuelle pas être partout et qu'il fait ce qu'il peut.
Ce n'était pas une critique que je lui faisais quand je lui disais qu'il cherchait à s'imposer en banlieue.
Ce n'était pas le fruit d'un hasard géographique, mais d'un souhait de sa part, c'est même un comité spécial au sein du NPA, type CILT, jeune,....enfin, peut-être que je me trompe.

Donc, j'imagine bien que s'il pouvait s'implanter dans les campagnes il le ferait, mais que faute de moyen il ne peut pas. Les campagnes sont un désert politique.

Mais je crois que l'on s'éloigne du sujet principal. Mon idée était que l'on ne peut pas focaliser et résumé la lutte à la banlieue (dixit post plus haut).
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Message  alexi Sam 18 Juin - 19:34


Peut être que LO comprendra la prochaine révolte d'une fraction de la jeunesse prolétarienne... Wink

Lutte Ouvrière n°2237 du 17 juin 2011Sommaire du n°2237

Leur société

Cité des Tarterêts - Corbeil-Essonnes : Échauffourées et climat dégradé, un pourrissement dont la première victime est la population

Dimanche 5 juin, après l'incendie de trois voitures, la cité des Tarterêts à Corbeil-Essonnes a été le théâtre de violents affrontements entre des jeunes et les CRS. Une fillette a été gravement blessée à la tête. La mère de la victime accuse la police, dont un des tirs avec balle de caoutchouc a touché sa fille. Le ministre de l'Intérieur, Claude Guéant, a tout de suite démenti, accusant les bandes d'avoir attiré la police et les CRS dans un guet-apens et blessé l'enfant par un jet de pierre.

Le lendemain, de nouvelles échauffourées ont eu lieu. Qu'il y ait des bandes mafieuses aux Tarterêts, comme dans d'autres cités du pays, n'est un secret pour personne. Tout le monde le sait, à commencer par la police et le maire UMP, Jean-Pierre Bechter, longtemps bras droit de Serge Dassault, patron milliardaire et ancien maire de la ville. Que ces bandes trafiquent et prospèrent sur le terreau de la pauvreté et de la misère, personne ne le nie non plus. Et qu'elles empoisonnent la vie des gens, c'est une réalité que les milliers d'habitants du quartier vivent au quotidien.

Mais ces derniers n'en approuvent pas pour autant les méthodes brutales de la police. Une habitante a témoigné de la violence policière dont elle avait été victime. Non seulement elle a été touchée dans le dos par un projectile de flashball, mais elle a eu toutes les difficultés du monde à porter plainte au commissariat. Ce n'est pas la première fois que, sous prétexte de lutter contre les bandes, la police intervient ainsi dans le quartier en s'en prenant également à la population.

Tous se souviennent ici des échauffourées d'août 2010, quand la police s'était affrontée aux jeunes. Mais les violences de l'été 2009 sont sans aucun doute encore plus présentes dans la mémoire des habitants, quand les CRS ont dispersé une kermesse pacifique de quartier, à coups de gaz lacrymogènes, brutalisant femmes, vieillards et enfants. L'indignation avait alors été générale. Plusieurs centaines d'habitants avaient manifesté devant le commissariat de Corbeil et déposé plus d'une trentaine de plaintes qui n'ont jamais abouti.

Aux Tarterêts, CRS et policiers multiplient les vexations, les brimades contre les jeunes, les contrôles au faciès à l'égard d'une population en grande partie immigrée. Tout cela contribue à créer un sentiment d'exaspération, des enfants comme des parents d'ailleurs, qui se sentent totalement abandonnés et dont la seule réponse à leurs problèmes quotidiens prend invariablement le visage des policiers et la couleur bleu marine de leurs uniformes. D'aucuns nourrissent également un sentiment de révolte contre le mépris affiché par l'État, la Région et la majorité municipale, qui ont laissé la situation se dégrader depuis plusieurs décennies, ne tenant jamais les promesses faites, ni en matière d'emploi ni en matière de logement.

Le problème des Tarterêts ne se résume donc pas aux bagarres entre bandes de jeunes et policiers. Entre les deux, il y a des milliers de travailleurs, de salariés, de pauvres, qui survivent, s'entraident malgré les difficultés et qui ont l'impression de vivre un état de siège permanent.

Correspondant LO


alexi

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Les quartiers? Une priorité politique..... Empty L'Institut Montaigne au chevet de la "banlieue" ?

Message  gérard menvussa Lun 10 Oct - 1:08

L'Institut Montaigne au chevet de la "banlieue" ?

Excellent article d'un journaliste de l'humanité :




Le think tank néolibéral a rendu publique hier une enquête baptisée "Banlieue de la République", réalisée à Clichy-sous-Bois et Montfermeil. Un état des lieux alarmant, qui oublie pourtant de pointer les responsables de cette situation.



A grands renforts de médias (radio, télé, presse écrite), l'Institut Montaigne aurait-il réussi son coup ? Avec un intitulé on ne peut plus large et flou ("Banlieue de la République"), le rapport commandé par Claude Bébéar et réalisé par six chercheurs, pour la plupart issus de l'Institut d'Etudes Politiques, est présenté comme exhausitf sur deux villes : Clichy-sous-Bois et Montfermeil (93). Les enquêteurs y ont interrogé les habitants pendant plus d'un an (en 2010) sur les questions du logement, de l'éducation, de l'emploi, de la sécurité, de la politique et de la religion.

La religion, c'est un des points sur lequel le directeur de l'enquête insiste particulièrement. Gilles Kepel, spécialiste de l'islam et du monde arabe, explique que l'étude, si elle n'est pas "représentative", est en revanche "emblématique car s'y manifeste une collection de symptôme sociaux que l'on ne retrouvera ailleurs que latents et erratiques". "L'agglomération étudiée, poursuit-il dans l'introduction du rapport, permet de construire un "tableau de pensée", qu'on peut ensuite comparer à d'autres banlieues et quartiers sensibles, et à l'expression de l'islam en France". Pour médiatiser son enquête, l'Institut Montaigne a trouvé dans le journal Le Monde un relais très bienveillant. La une datée du mercredi 5 octobre annonce : "Banlieue, islam : l'enquête qui dérange". La photo de une représente le quartier de La Forestière, désert, à la tombée de la nuit avec un personnage de dos. Volonté de faire peur ? Le propos du journal s'éclaire quand on lit les trois points qui annonce le dossier : "Une étude inédite réalisée à Clichy et Montfermeil témoigne du poids de l'islam" et d'enfoncer le clou dans le second point : ""Le référent religieux s'est renforcé" note son auteur, l'universitaire Gilles Kepel". Plus loin l'article de Luc Bronner reprend à son compte le titre même du rapport: "Banlieues de la République". A un détail près, remarque le chercheur en sciences politiques et spécialiste de la politique de la ville Renaud Epstein : "Le mot "banlieue" est au pluriel. Le Mondep résente ainsi cette enquête comme si elle concernait toutes les banlieues. Le glissement pose question car chaque territoire a ses spécificités. Clichy est un cas hors norme et je ne pense pas qu'il y ait d'autres villes comme celle-là". Mais pour ce chercheur, cette façon de présenter les banlieues ne date pas d'hier. "Le journal Le Monde est coutumier d'une présentation toujours très négative, très accablante des quartiers populaires, note-il. Les journalistes filtrent les points de vue académiques et ne laissent passer que ceux qui apportent une analyse catastrophiste d'abandon complet de ces territoires par la République. il me semble que les situations sont plus complexes que cela." Pour le chercheur, si cette étude a le mérite d'exister ne devrait pas occulter les centaines d'enquêtes de terrain produites chaque année par de nombreux chercheurs sur les quartiers populaires, "réalisées avec moins de moyens très probablement et qui passent totalement inaperçues dans la presse". Interrogé sur le montant de l'enquête, l'Institut Montaigne a refusé de donner un montant.

Autre réaction, celle du sociologue Laurent Mucchielli, qui réfute la vision d'une république islamisée, destinée selon lui à faire peur. "On peut partager le constat des difficultés de certains quartiers, mais ce qui me gêne, c'est cette façon d'analyser l'islam avec un point de vue qui relève de l'intégrisme laïc. La vie publique et l'identité sont réduites à la religion. Il faudrait cacher toute forme d'appartenance. Cela fait globalement le jeu de la droite". L'Institut Montaigne contribue depuis plusieurs années au débat public par un positionnement libéral (statistiques ethniques, diversité etc...). Renaud Epstein analyse ces préoccupations affichées par le think tank comme "une remobilisation et une récupération néolibérales de débat de société. S'ils veulent que le marché fonctionne et qu'il ait de la concurrence, il faut que tout le monde puisse y participer." Leur intérêt est clair : les gens des quartiers sont des clients et des travailleurs potentiels et représentent ainsi un maillon de la chaîne libérale nécessaire à son bon fonctionnement.

Voilà pour le fond d'un rapport dont on peut trouver des éléments sur un site Internet dernier cri (www.banlieue-de-la-republique.fr), où se mêlent vidéos, témoignages d'habitants mais aussi l'annonce de propositions que fera l'Institut Montaigne en janvier prochain pour remédier à ce que Claude Bébéar appelle "le délitement du vivre-ensemble". Dernier point un peu surprenant, ce rapport semble publié hors de tout contexte politique. Aucun lien n'est ainsi établi entre les responsabilités du gouvernement et l'état des quartiers étudiés. Faut-il rappeler qui mène, depuis quatre ans, une politique de destruction massive du service public et stigmatisation permanente de ces quartiers popualires ? Le rapport de l'Institut Montaigne reste étonnamment muet sur le sujet.



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Message  Roseau Lun 10 Oct - 3:00

gérard menvussa a écrit:
Excellent article d'un journaliste de l'humanité :

Juste dans la critique, sauf sur un point essentiel: la mise en cause de seulement les quatre dernières années...
C'est faire peu de cas du capitalisme, et de ses larbins, le caviar à la bouche, depuis toujours,
tous les dirigeants de la Gauche plus rien y compris.
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Message  gérard menvussa Mer 12 Oct - 19:40

Par ailleurs sur un blog du monde

Banlieues et Islam : deux rapports au destin médiatique très différent

Photo_Marc_Laapage.jpgC'était la une du journal Le Monde daté du 5 octobre : « Banlieues, Islam : l'enquête qui dérange ». A l'intérieur, on découvre quelques résultats d'une enquête manifestement très sérieuse dirigée par Gilles Kepel (Sciences Po Paris) et financée par l'Institut Montaigne avec de gros moyens. Certes, ce chercheur – spécialiste de l'Islam – constate comme tout le monde « un renforcement du référent religieux » dans les quartiers pauvres, à commencer par le commerce halal et les mariages endogamiques. Mais il explique que « cette revendication identitaire ne doit pas être prise au pied de la lettre ; elle est aussi une manière de demander son intégration dans la société, pas forcément de rompre avec elle ». De plus, à la question « qu'est-ce qui vous frappe le plus à Clichy et Montfermeil ? », l'universitaire répond « d'abord l'ampleur du problème de l'emploi ». Enfin, il termine en insistant avant tout sur l'école et l'éducation. En résumé, il semble que ce rapport (dont, hélas, seul le résumé est accessible en ligne) rejoigne les constats que nous (les sociologues) faisons depuis des années. Dès lors, il faut bien le dire, on ne comprend pas pourquoi Le Monde a choisi ce titre, on ne comprend pas en quoi cette enquête « dérange ». Et nous sommes nombreux à nous être posé la question, à en juger par la chronique que le médiateur du Monde a dû consacrer à ce sujet le 8 octobre.

Pendant ce temps-là, à Marseille...

Au même moment, à quelques centaines de kilomètres de là, deux autres chercheurs publiaient de leur côté un rapport intitulé Les Marseillais musulmans, qui connaissait, lui, un tout autre traitement médiatique. Réalisé par Vincent Geisser et Françoise Lorcerie (CNRS-Ireman), dans le cadre d'un programme de l’Open Society Foundation, il s'agit de l'une des onze monographies de villes européennes abordées sous l’angle de l’intégration sociale de leurs populations musulmanes. A l’instar de ce qu’a fait Gilles Kepel pour Montfermeil et Clichy-sous-Bois, l’étude décrit la situation des Musulmans marseillais en tant que composante de la population de la ville, dans huit secteurs de la vie sociale : éducation, logement, emploi, santé, sécurité, participation politique, ainsi que sous l’angle de l’identité sociale et des médias. En l’espèce, il ne s’agit pas de petites villes de banlieue, mais de la seconde ville de France (environ 850 000 habitants) où l’on estime les musulmans à quelque 30 % de la population, avec deux origines principales : le Maghreb (principalement l’Algérie) et les îles Comores, ce qui constitue une autre originalité.
Image_musulmans_marseillais.pngOr, le traitement médiatique de cette enquête tout aussi intéressante est radicalement différent de celui de la précédente. D'abord, dans ce cas, aucun média national ne s'intéresse au rapport. Ensuite, le quotidien régional La Provence y consacre un article proprement sidérant, à la limite de la diffamation et de l'insulte, dans lequel la journaliste cherche du début à la fin à discréditer les auteurs, en n'ayant manifestement pas lu les 300 pages du rapport. L'article est ainsi titré « La très étrange étude d'un milliardaire sur les musulmans de Marseille » (la fondation Open Society a été créée par le milliardaire Georges Soros, mais cela n'a aucun rapport avec le contenu de l'étude, le titre est donc choisi uniquement pour discréditer l'enquête). Le rapport est présenté carrément comme « une compilation de clichés » et finalement « une étude de cours élémentaire réalisée par deux chercheurs égarés » !

Que conclure ? On ne comparera certes pas le dossier de fond réalisé par Le Monde, sur trois pages très riches en informations, avec le papier de La Provence, qui n'honore pas le métier de journaliste. Le destin croisé de ces deux rapports de recherches peut cependant amener trois réflexions, qui ne sont d'ailleurs pas des surprises. La première est qu'il vaut mieux travailler sur la région parisienne que n'importe où ailleurs en France pour intéresser les médias nationaux. La seconde est que l'institut Montaigne a des moyens de communication que n'ont pas l'université ni le CNRS. La troisième est que, dès que l'on aborde le thème de l'Islam, on suscite immanquablement des émotions incontrôlées et notamment des réactions de peur et de rejet, y compris chez des personnes qui, à un autre moment et sur un autre sujet, sont tout à fait capables de faire preuve de rationalité et de neutralité.

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Message  gérard menvussa Mer 12 Oct - 22:45

Et à l'international, ça donne ça...

French Suburbs Becoming 'Separate Islamic Societies'

by Soeren Kern
October 10, 2011 at 4:45 am
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France's decrepit city suburbs are becoming 'separate Islamic societies' cut off from the state, according to a major new study that examines the spread of Islam in France.

Muslim immigrants are increasingly rejecting French values and identity and instead are immersing themselves in Islam, according to the report, which also warns that Islamic Sharia law is rapidly displacing French civil law in many parts of suburban Paris.

The 2,200-page report, "Banlieue de la République" (Suburbs of the Republic), is the result of a one-year research effort into the four "i's" that comprise the heart of the debate over French national identity: Islam, immigration, identity and insecurity.

The report was commissioned by the influential French think tank L'Institut Montaigne, and directed by Gilles Kepel, a well-known political scientist and specialist in the Muslim world, together with five other French researchers.

The authors of the report show that France, which has between five and six million Muslims (France has the largest Muslim population in European Union), is on the brink of a major social explosion because of the failure of Muslims to integrate into French society.

The report also shows how the problem is being exacerbated by radical Muslim leaders who are promoting the social marginalization of Muslim immigrants in order to create a parallel Muslim society in France that is ruled by Sharia law.

The research was primarily carried out in Clichy-sous-Bois and Montfermeil, two suburbs in north-eastern Paris that were ground zero for Muslim riots in 2005. Clichy and Montfermeil form part of the district of Seine-Saint-Denis, which has one of the highest concentrations of Muslims in France.

Seine-Saint-Denis, which the report describes as a "wasteland of de-industrialization," is home to more than 600,000 Muslims (primarily from North and West Africa) out of a total population of 1.4 million.

"In some areas, a third of the population of the town does not hold French nationality, and many residents are drawn to an Islamic identity," the report says.

The study says that Muslim religious institutions and practices are increasingly displacing those of the state and the French Republic, which has a strong secular tradition.

For example, French schools, which are rigorously non-religious, have traditionally been seen as having the role of training and socializing young citizens in the secular values of the French Republic. However, many Muslim pupils refuse to integrate and often boycott school dinners if the food is not halal [religiously permitted in Islam], the report says.

The survey also points to differing social attitudes when it comes to marriage, for example. The report says that although most people in France do not object to mixed marriages, "in the suburbs we were surprised to find a very large proportion of Muslim respondents who said they were opposed to marriages with non-Muslims."

The researchers also looked into the reasons behind the 2005 riots, which they said had called into question modern France's founding myth, namely "the implicit shared belief that the nation was always able to integrate people."

Islamic values are replacing those of a French Republic which has failed to deliver on its promise of "equality," the report says, and the residents of the suburbs increasingly do not see themselves as French.

But the report adds that the French state is not primarily to blame for this and that many Muslim immigrants simply do not want to integrate into French society.

Although resentment in the poor suburbs has social roots (primarily a lack of jobs), the report says the rioters expressed frustration in a vocabulary that is "borrowed from Islam's semantic register."

The report points out that the suburbs of Clichy and Montfermeil have been at the center of one of France's biggest urban renewal projects. Many physical barriers to integration have been removed, and efforts have been made to plug the area into public transport networks and improve public safety.

Nevertheless, low educational achievement is endemic among the Muslim population. This, in turn, is turning France into a "divided nation." Most Muslim youth are "not employable." More than 20% of the residents of Clichy and Montfermeil leave school without a diploma (about 150,000 people per year), according to the report. The unemployment rate for Muslim youth in the suburbs of Paris is around 43%.

These drop-outs enter a cycle of social exclusion negatively shapes their lives and those of their children. Many Muslim youth turn to "deviant behaviors across the range of incivilities in a parallel economy in which drug trafficking is the most prominent."

"One is struck by the high birth rates among newly arrived families from the African Sahel. The mothers work long hours and their young children are under-supervised by the education system, thus threatening their social integration," the report says.

Islam is filling the void. The authors of the study are taken aback at the explosion of the halal market in France in recent years and also point out that the term halal has been greatly expanded in its definition. The survey question "do you respect the halal?" highlights the "complexity of different meanings of the word, which in its most restrictive sense means only the dimension of the forbidden food, but may also include a code of conduct, standards and an expression of dominant values, separating the 'halal' from 'haram,' the lawful or unlawful in many aspects of society."

The report also describes a proliferation of mosques and prayer rooms in the suburbs. The religious orientations of the mosques are heavily influenced by the national origin of the founder or president of a given mosque.

Islam in Clichy-Montfermeil is structured around two major poles: one pole involves the Tabligh ("spreading of Islam") movement which is focused on "re-socializing" Muslims on the lower rungs of the socio-economic ladder.

The Tabligh movement arrived in Clichy-Montfermeil in the 1980s in the midst of mass unemployment and drugs. Tabligh preachers built their social legitimacy by providing a moral regeneration of young people in distress around a rigorous practice of the precepts of Islam.

The other pole revolves around the figure of the Tunisian imam Dhaou Meskine, who was involved in the launch of Union of Islamic Organizations in France (UIOF). The UOIF, which represents the majority of the 2,100 registered mosques in France, is closely tied to the Muslim Brotherhood, which aims to extend Islamic law throughout France.

Meskine also participated in the formation of the Union of Muslim Associations (UAM93), a Muslim lobby group that aims to mobilize Muslims to elect candidates in local elections around Islamic issues. UAM93 has been pushing for the construction of a mega-mosque in Seine-Saint-Denis, although that project has run into difficulties due to a power struggle between Algerian, Moroccan and Turkish immigrants.

The report describes a "new sociology of Muslim believers" that is composed mainly of undereducated low-income immigrants who depend on financial support from Morocco or Turkey, countries that are pursuing their own objectives in France.

The authors of the study also point to a contradiction among Muslims who live in the suburbs: they do not want the French state to interfere in matters relating to Islam, but they also expect the state to improve their lot in life.

The report closes with a warning: "France's future depends on its ability to re-integrate the suburbs into the national project."

Soeren Kern is Senior Fellow for Transatlantic Relations at the Madrid-based Grupo de Estudios Estratégicos / Strategic Studies Group. Follow him on Facebook.
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Message  sylvestre Jeu 13 Oct - 8:38

gérard menvussa a écrit:Et à l'international, ça donne ça...



Ouais, enfin dans les sites anglophones islamophobes ça donne ça. (en l'occurence http://www.hudson-ny.org/ , toujours une bonne idée de citer ses sources).
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Message  gérard menvussa Jeu 13 Oct - 10:11

Le fait que cette "étude" soit reprise par http://www.hudson-ny.org/ (qui est effectivement un cercle d'étude totalement islamophobe) n'est pas sans importance...
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Message  gérard menvussa Dim 16 Oct - 18:03

Par ailleurs, une étude de Jeremy robine est paru aux éditions vendémiaires. Faiites par un géographe, elle explore les territoires de Grigny la grande borne et dde Clichy. Certains éclairages sont intéressants, et le rappel historique utile...

Les émeutes de 2005 ont mis au jour la profondeur de la crise qui secoue la nation française en jetant une lumière crue sur les ghettos qu'on a laissé s'installer dans nos banlieues. L'étude de deux territoires emblématiques de ces émeutes, Clichy-sous-Bois et Grigny, nous apprend comment se constitue un ghetto, et ce qui le caractérise : l'enclavement, les grands-ensembles vétustes, un fort taux d'habitants d'origine maghrébine ou africaine, la pauvreté et la délinquance. Boucs émissaires de la crise, les immigrés et leurs descendants, la deuxième et la troisième génération, pourtant en théorie des citoyens à part entière, tiennent en effet une place à part dans la nation en raison de l'histoire coloniale. A partir des années 1980, des militants antiracistes ont donc tenté de faire entendre leur voix. Depuis, on a assisté à la radicalisation de certains d'entre eux, relayés par des intellectuels post-colonialistes hostiles à l'idée même de la nation. Entre guerre des mémoires, détérioration de la situation sociale et montée du racisme, il est urgent d'amender le roman national...

Une mise en perspective utile, alors que les thèmes de l'insécurité, de l'immigration et de la palce de l'islam en France font partie des enjeux majeurs des prochaines échéances électorales.
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Message  gérard menvussa Lun 17 Oct - 19:52

Appel des quartiers populaires : nous ne marcherons plus!
LE PLUS. Depuis plus d'une trentaine d'années, les jeunes se battent pour l'égalité dans les quartiers populaires. A l'image de la marche pour l'Egalité et contre le Racisme de 1983, Haidari Nassurdine, élu PS à Marseille, demande aux candidats à la présidentielle de ne pas oublier ces quartiers. Un appel déjà signé par de nombreux intellectuels.

Haidari Nassurdine
> Par Haidari Nassurdine Elu PS à Marseille

Edité par Melissa Bounoua

Partie de Marseille le 15 octobre 1983 dans l’indifférence générale, une longue marche pour l’Egalité et contre le Racisme allait rassembler le 3 décembre de la même année près de 100.000 personnes à Paris.



L’aspiration à l’égalité de ces jeunes, excédés par les meurtres racistes à répétition, mais aussi par les violences ordinaires, les humiliations et les brimades de toutes sortes était sans précédent. Cette marche non-violente pour une citoyenneté à part entière interpellait l’ensemble de la société sur l’écart entre les valeurs républicaines qu’elle professait et la réalité de la ségrégation et des discriminations raciales.



Malheureusement, près de trois décennies se sont écoulées et les conditions de vie des jeunes Français d’ascendance migrante et coloniale et des quartiers populaires ne sont toujours pas meilleures. Et même si quelques initiatives politiques ont amélioré certains aspects de la vie quotidienne en surface, même si une petite classe moyenne a su émerger de ces quartiers, les inégalités, les injustices et les violences ordinaires perdurent et prennent de nouvelles formes.



La marché pour l'égalité et contre le racisme à Paris le 1er décembre 1984 à Paris (D. FAGET/AFP)

La marché pour l'égalité et contre le racisme à Paris le 1er décembre 1984 à Paris (D. FAGET/AFP)



Certes, les crimes racistes ont quasiment disparu, mais la situation actuelle reste explosive. Chômage de masse (en moyenne deux à trois fois plus concentré dans les quartiers populaires), inégalité scolaire, confrontations violentes et répétées avec la police, conditions de logement indécentes, expulsions des plus pauvres des zones "rénovées", paupérisation galopante : faute d’être remises en cause, que ce soit par la droite ou la gauche, loin de reculer, ces logiques économiques, sociales et environnementales n’ont fait que s’aggraver.



Mais il y a plus, depuis 2002, au mépris de la mobilisation massive contre l’idéologie du Front national, la normalisation de la parole raciste en politique comme dans les médias, l’instrumentalisation de l’Islam et la stigmatisation de l’immigration ou encore l’exploitation du passé colonial ont beaucoup contribué à légitimer les discriminations à grande échelle.



Ainsi, les effets déjà anciens de la relégation sociale, de la marginalisation économique et du mépris culturel dont la droite et la gauche partagent la responsabilité, sont aujourd’hui redoublés par les discours et les actes d’un sarkozysme qui traite les habitants des quartiers, et surtout les jeunes, comme des étrangers de l’intérieur. Or cette nouvelle génération, au demeurant bien française, malgré les obstacles renouvelés devant elle, a largement contribué au développement économique, politique, social, associatif et culturel de la France.



Nous ! Citoyens oubliés de la République, déclarons ne plus croire aux promesses sans lendemain, aux grands discours creux et paternalistes.



Nous ! Citoyens discriminés de la République, renouvelons l’appel à l’égalité et à la solidarité.



Nous ! Citoyens de seconde zone de la République, réaffirmons notre détermination à transformer les conditions de vie des quartiers.



Nous ! Citoyens de la République de toutes origines, refusons les inégalités, défendons une certaine idée de la politique consistant à être au service de tout citoyen, quelle que soit sa condition sociale, ses croyances, sa religion, ses appartenances politiques ou son pays d’origine.



Nous ne marcherons plus dans les calculs politiques à court terme qui instrumentalisent la différence, qui installent le désespoir et la déshérence au cœur de nos cités. Nous ne marcherons plus dans ces politiques de la ville annoncées en fanfare, "plans Marshall" ou "antiglandouille". Nous ne marcherons plus pour demander ce qui devrait nous revenir de droit : une égalité réelle garantie par la loi et vérifiée dans les faits.



Par cet appel, nous exigeons de tous les candidats à l’élection présidentielle de 2012 qu’ils présentent un projet qui mette enfin en application le principe constitutionnel d’égalité. Nous les appelons à réparer les injustices sociales subies par toute une génération oubliée, lassée et déçue par une politique qui a dénaturé et trahi les valeurs de notre pays en disqualifiant ses propres citoyens.



Le projet de notre société ne peut plus se faire sans nous, car malgré l’aveuglement de certains, c’est bien avec nous toutes et nous tous que se construit aujourd’hui la France de demain.





Ils soutiennent l’appel



- Alain Touraine, sociologue, directeur d'études à l'EHESS.



- Farid L’haoua, porte-parole de la marche pour l’Egalité de 1983.



- Jean Baubérot, Professeur émérite de la chaire "Histoire et sociologie de la laïcité" à l'Ecole Pratique des Hautes Etudes.



- Marie-Laure Mahé, marcheuse permanente de l’Egalité de 1983.



- Eric Fassin, sociologue à l'École normale supérieure.



- Pascal Boniface, directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques.



- Hanifa Taguelmint, marcheuse de l’Egalité et organisatrice du forum justice.



- Esther Benbassa, universitaire, sénatrice.



- Said Boukenouche, soutien actif de la marche de 1983.



- Vincent Geisser, politologue et directeur du centre d’information et d’études sur les migrations internationales.



- Nacira Guénif, sociologue, université Paris Nord.



- Said Merbati, soutien actif de la marche de 1983.



- Raphaël Liogier, directeur de L’Observatoire du religieux.



- Saïd Iddir, soutien actif de la marche de 1983.



- Jalil El-Harrani, soutien actif de la marche de 1983.



- Marwan Mohammed, sociologue.



Les premiers signataires



1 - Rokhaya Diallo, militante féministe et antiraciste, auteur de "Racisme mode d’emploi".

2 - Almamy Kanouté conseiller municipal à Fresnes et co-fondateur d’Emergence.

3 - Enoch Effah, Champion du monde de Boxe Française et directeur de coaching sportif citoyen.

4 - Fayçal Douhane, président du club “la France est en nous”.

5 - Sihem Souid, auteur d’Omerta dans la police chroniqueuse et porte-parole de l’association Paroles de femmes.

6 - Ahmed Najar, directeur de la rédaction de Med in Marseille.

7 - Marc Cheb Sun, fondateur et directeur de la rédaction de Respect Mag.

8 - Mehdi Thomas Allal, responsable du pôle anti-discriminations de la fondation Terra nova.

9 - Ali Soumaré, conseiller régional d’Île de France.

10 - Christophe Adji Ahoudian, maire-adjoint à Paris.

11 - Sébastien Barles, conseiller municipal de Marseille.

12 - Mariam Cissé, conseillère municipale de Clichy-sous-Bois.

13 - Eros Sana, porte-parole de la zone d'écologie populaire.

14 - Haouaria Hadj-Chick, conseillère communautaire à Marseille Provence Métropole.

15 - Saber Gharbi, animateur de cités sans cibles de Bordeaux.

16 - Saïd Kebbouche, militant associatif à Vaulx-en-Velin.

17 - Franco Lollia, porte-parole de l'Alliance noire citoyenne.

18 -Youssouf Boubaker, délégué régional de Novafrance à Lyon aux Minguettes.

19 -Yassine Ayari, militant politique Val d’Oise.

20 - Bolewa Sabournin, animateur du collectif Cités en Mouvement.

21 - Stéphane Pocrain, militant associatif et politique.

22 - Myriam Salah-Eddine, conseillère communautaire à Marseille Provence Métropole.

23 - Dia Alihanga, responsable du centre culturel africain de Nantes.

24 - Aicha Muniga, maire adjoint à Marseille.

25 - Soilihi Dhoiharai, Présidente de génération réussir.

26 - Mohammed Hakkou, conseiller municipal à Gonesse.

27 - Maurad Goual, animateur pour République Solidaire à Marseille.

28 - Akli Mellouli, maire-adjoint à Bonneuil sur marne.

29 - Amina M’zé, militante associative.

30 - Azdine OUIS président de l'association Millenium à Corbeil.

31 - Reda didi, militant associatif et politique.

32 - Harbia Saifi, militante associative.
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Message  Roseau Lun 29 Oct - 23:20

Quartiers populaires, émeutes... un défi pour la "gauche radicale"
http://npaherault.blogspot.fr/2012/10/debat-pour-une-solidarite-avec-les.html
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Message  Toussaint Sam 27 Juil - 17:24



Retour sur une émeute
À propos de la construction politique et médiatique du « problème des quartiers sensibles »

par Sylvie Tissot
27 juillet 2013



Huit ans après les "émeutes" de Clichy-sous-bois, six ans après celles de Villiers-le-Bel, médias et politiques s’intéressent à nouveau, après les mouvements de protestation à Trappes, au fameux "problème des quartiers sensibles" – ou "mal-être des banlieues". Et comme en 2005, comme en 2007, comme déjà en 1990 à Vaux-en-Velin, le problème est toujours posé en des termes vagues et biaisés, entre misérabilisme et fuite en avant dans le sécuritaire. Si quelques médias et personnalités de gauche refusent la thèse d’une "radicalisation islamique" largement relayée par Manuel Valls, et rappellent la situation économique désastreuse qui règne dans ces quartiers, directement liée à une politique économique de "rigueur", moins nombreux sont ceux et celles qui reviennent sur une autre lame de fond : celle du racisme et des discriminations, du contentieux entre la police et les jeunes, contentieux qui s’élargit maintenant aux femmes musulmanes portant le foulard [1]. Même si ces dernières n’étaient pas encore, en 1990, les cibles de l’islamophobie qui déferle aujourd’hui, il est intéressant de revenir sur la réception médiatique et politique des émeutes de Vaulx-en-Velin, qui constitue un moment charnière dans la construction d’un "problème social". C’est ce que propose le texte qui suit, extrait d’un livre paru en 2007 au Seuil, dans la collection Liber, L’Etat et les quartiers. Genèse d’une catégorie de l’action publique. [2], et repris dans le recueil Les mots sont importants. 2000-2010.


L’émeute de Vaulx-en-Velin : l’événement a été longuement commenté, des années mêmes après ce mois d’octobre 1990. Il connaît un destine tel qu’il prend place, dans les chronologies officielles de la politique de la ville, comme une deuxième date de naissance : dix ans après les “ rodéos des Minguettes ” de l’été 1981, il semble évident que “ Vaulx-en-Velin ” marque une nouvelle étape dans la prise de conscience d’un problème jusque-là nié ou occulté.

Quel est cet événement ? Le 6 octobre 1990, une moto se renverse au niveau d’un barrage de police qui cherche à la stopper. La mort du passager, un jeune handicapé, Thomas Claudio, déclenche la colère des jeunes de Vaulx-en-Velin. Des affrontements avec la police ont lieu, suivi d’un incendie et de pillages du centre commercial. Quel est le sens ce cet événement ? Le 8 octobre 1990, Le Progrès de Lyon titre en “ une ” : “ Vaulx-en-Velin. L’émeute ”. Suit cette phrase de commentaire reprise dans l’article des pages intérieures : “ Neuf ans après Vénissieux, la maladie des banlieues n’est toujours pas guérie ”.

Deux mois plus tard, le 19 décembre 1990, le sociologue Alain Touraine déclare, au cours d’une conférence organisée par la Délégation interministérielle à la ville et la revue Esprit : “ Le problème d’aujourd’hui n’est pas l’exploitation, mais l’exclusion ”, et termine par cette sombre prévision :

“ Nous disposons de forte peu d’années avant que nous ne connaissions des explosions urbaines de grande envergure à l’américaine ”.

Le même mois, décembre 1990, François Mitterrand se rend dans une commune proche, Bron, invité par Banlieues 89, une des missions “ pionnières ” de la politique de la ville, animée par l’architecte Roland Castro. Lors de ces assises, intitulées “ Pour en finir avec les grands ensembles ”, le Président de la République dénonce “ la terrible uniformité de la ségrégation, celle qui regroupe des populations en difficulté dans les mêmes quartiers, qui rassemble les enfants d’origine étrangère dans les mêmes écoles ”, et il ajoute qu’ “ il faut casser partout le mécanisme de l’exclusion ”. Puis il promet des mesures importantes pour les “ quartiers ”, et annonce quelques jours plus tard la création d’un Ministère de la Ville. Le 28 mai 1991, le nouveau ministre de la ville, Michel Delebarre, vient à l’Assemblée Nationale défendre une loi nommée “ anti-ghetto ”.

Ces quelques faits pourraient former les événements d’une histoire heureuse : la prise de conscience politique d’un problème, le progrès dans la connaissance scientifique du phénomène et les efforts redoublés de l’administration pour le résorber. Pourtant, la lecture de la presse et des débats parlementaires durant les neuf mois qui séparent les mouvements de protestation déclenchés par la mort d’un jeune à Vaulx-en-Velin le 6 octobre 1990, du vote de la Loi d’orientation sur la ville (LOV) le 13 juillet 1991, donne à voir autre chose que le début (ou la relance) de l’épopée de la politique de la ville : la naissance d’un problème social - le problème des quartiers ditrs sensibles - et la manière dont il est alors construit.

Ce qui est remarquable, en effet, dans la suite de l’année 1990 et au cours de l’année suivante, c’est la prolifération de déclarations et d’analyses. Alors qu’elle n’a été longtemps qu’une question mineure, traitée par des acteurs relativement marginaux de l’administration, de l’expertise ou de l’université, sujet à éclipse des reportages journalistiques, les protagonistes du débat public s’accordent désormais pour voir dans la ségrégation urbaine la nouvelle “ question sociale ”. Mais une question sociale dont les “ émeutes de Vaulx-en-Velin ” et surtout la mort du jeune Thomas Claudio vont être relégués au rangs de“ révélateurs ”, occultés au profit d’une représentation misérabiliste de la situation des quartiers, appréhendés à travers un cumul de « handicaps » dont les responsables sont devenus invisibles.

De l’événement singulier au problème national

La comparaison entre entre les commentaires de la presse en 1981 et en 1990 met en évidence la médiatisation croissante des événements. Seul Le Progrès de Lyon suit, de façon continue, les rodéos de 1981. Dans la semaine qui suit, on ne trouve d’articles sur le sujet que dans ce quotidien régional et dans Le Figaro. Dans le reste du mois, huit éditions du quotidien de la région Rhône-Alpes lui consacrent un ou deux articles. Les rodéos font quatre fois leur apparition en “ une ”, mais toujours en titre décalé, à gauche, à droite, ou en bas de la première page, jamais en grand titre central. Le Figaro évoque en une phrase, dans son édition du 23 juillet 1981, les “ événements “ chauds ” du 21 ”. Et Le Monde publie deux articles, le 14 et le 23 juillet, sur la question.

En 1990, tous les journaux s’emparent immédiatement du sujet. À partir du lundi 8 octobre 1990 et dans la semaine qui suit, les émeutes font trois fois la “ une ” du Monde, trois fois celle de Libération, quatre fois celle du Figaro, deux fois celle de L’Humanité et deux fois celle du Parisien. Les hebdomadaires Le Nouvel Observateur, L’Express et Le Point annoncent l’événement en couverture, et le traitent sur deux ou trois pages intérieures, en les accompagnant de photos.

Mais le traitement n’est pas seulement plus important. De 1981 à 1990, les commentaires ont gagné en généralité. En 1981, les rodéos des Minguettes sont présentés comme des événements locaux, que les journalistes cherchent à expliquer à partir de la situation locale. Les articles prennent pour objet la ZUP, la ville de Vénissieux, ses habitants ou les policiers qui y travaillent. Certes, dans Le Progrès de Lyon, les événements sont parfois reliés à des phénomènes plus larges, comme dans le numéro du 13 juillet 1981 qui analyse les rodéos à partir des liens entre la proportion d’immigrés, le chômage et la délinquance :

“ Beaucoup d’Européens ont déserté la ZUP, c’est pourquoi sur les 8 860 appartements, 1 390 sont vides et 25 à 30 % de la population sont constituées d’immigrés. Un taux qui, selon les experts, n’est pas compatible avec une intégration réussie. Près de 4 mille habitants sont actuellement chômeurs. Ces deux paramètres conjugués en font une terre de prédilection pour la petite délinquance ”.

Les rodéos sont également ramenés au “ mal des grands ensembles ”, mais dans un seul article :

“ Les flammes font à nouveau lumière sur des phénomènes sociaux propres aux grands ensembles : un rassemblement de population énorme, une proportion d’adolescents bien supérieure à la moyenne nationale, de tours, des barres, pas d’équipements sociaux. Un bistrot qui ferme tôt et pas de locaux pour écouter du rock, se retrouver, se détendre ”.

Qu’il s’agisse d’un problème de délinquance ou du mal des grands ensembles, il y a la volonté, chez les journalistes, de rendre intelligibles les événements. Mais l’évocation de phénomènes plus globaux vient en second plan. Alors qu’en 1990, comme le montre clairement la première “ une ” consacrée aux émeutes par Le Monde, c’est d’emblée un problème général qui est évoqué. Dans son édition datée du mardi 9 octobre, en effet, le journal titre “ L’émeute de Vaulx-en-Velin ”. Le “ chapeau ” donne un premier résumé des faits : “ Les violences du week-end illustrent les limites - à court terme - de la politique de “réhabilitation” ”. Dès ces quelques lignes, la réhabilitation de ce “ quartier ” est abordée :

“ La ville de Vaulx-en-Velin, dans la banlieue lyonnaise, a connu, les 6 et 7 octobre, un week-end d’incendies, de pillages et d’affrontements entre des centaines de jeunes et la police après la mort controversée d’un jeune motard. Une information judiciaire pour “ homicide involontaire ” a été ouverte. M. Rocard a qualifié ces événements de “ détestables ” et estimé que “ la France est une société qui dialogue peu ”. Les violences ont eu lieu dans un quartier où des logements viennent d’être réhabilités ”.

La page 13 propose un ensemble d’articles rassemblés sous le titre suivant : “ Incendies, pillages et affrontements dans la banlieue lyonnaise ”. On apprend ensuite que “ la mort d’un jeune motard provoque une émeute à Vaulx-en-Velin ”. Un long chapeau détaille alors les événements. Le correspondant du Monde à Lyon relate les circonstances de la mort du jeune Thomas Claudio : le ton est celui du reportage, centré sur le récit des faits et les acteurs de l’événement. Les articles des éditions suivantes poursuivent sur le même registre pour présenter les versions contradictoires de l’accident. Selon la police, le conducteur, sans casque, aurait perdu le contrôle de la moto. Tandis que pour le conducteur, et plusieurs témoins, les policiers, sans phares ni feux, se sont mis volontairement en travers du véhicule.

Pourtant, dès les premiers reportages et dans les gros titres, un autre registre de discours est mobilisé. Le propos se détache des acteurs singuliers pour évoquer des entités collectives : des territoires (les “ quartiers ”), et les pouvoirs publics (la “ politique de la ville ”). Nous l’avons vu, la “ politique de réhabilitation ” est évoquée dès les premières lignes de présentation de la “ une ” du Monde du 9 octobre. D’emblée, les quartiers malades mais en cours de traitement sont érigés en protagonistes de l’événement, au même titre puis à la place de Thomas Claudio, des émeutiers et des policiers.

Dans tous les gros titres des autres articles de notre corpus, les lieux du décès et de l’émeute, Vaulx-en-Velin, sont présentés comme un cas particulier d’une catégorie générique : la banlieue à problèmes, le quartier en cours de réhabilitation. “ Et la banlieue modèle s’embrasa... ”, titre Le Nouvel Observateur, enchaînant par le “ chapeau ” suivant : “ On l’avait pourtant “ réhabilitée ”, rendu plus vivable, cette cité-dortoir près de Lyon... ”. L’article du Point du 15 octobre 1990 est intitulé : “ Ces banlieues qui font peur à la France ”, suivi de cette phrase : “ La révolte de quelques centaines de jeunes exclus de la banlieue lyonnaise est un sérieux avertissement pour Rocard et sa politique des “ cages d’escalier ”. Et elle pose le problème des villes à deux vitesses ”.

Dans L’Express du 11 octobre 1990, la présentation est différente. Le journaliste titre : “ Les révoltés du Mas-du-Taureau ” . Pourtant, dès le “ chapeau ”, il s’éloigne de l’événement pour mettre en scène le quartier : “ La mort dramatique d’un jeune motard peut-elle, seule, expliquer les émeutes de Vaulx-en-Velin ? Pourquoi un quartier rénové et - croyait-on - exemplaire a-t-il soudain explosé ? ”

Les articles de trois hebdomadaires sont structurés de la même manière. Un ou deux paragraphes sont consacrés au récit des événements ; un représentant des pouvoirs publics est cité, généralement le maire de Vaulx-en-Velin, puis le regard se déplace des individus aux territoires. L’article du Point fait voir le même déplacement : “ Les vrais accusés, ce ne sont pas les policiers, mais “ ces villes qui provoquent le désespoir ”, comme le constatait François Mitterrand mercredi matin en conseil des ministres ”.

Les débats parlementaires qui ont lieu en juin 1991 sur la loi annoncée en décembre 1990, la Loi d’orientation pour la ville, constituent un autre lieu d’observation de la manière dont ces territoires sont érigés en acteurs de l’histoire. Le ministre Michel Delebarre parle des “ explosions de colère qu’ont connues des quartiers ”, le ministre du logement Paul Quilès des “ événements qui, cette fin de semaine encore, ont secoué certaines villes de France ”, Michel Giraud (RPR) de “ l’agitation qui a secoué telle ou telle de nos grandes cités ”, et Jacques Brunhes (PC) de “ nos banlieues (...) qui sont de plus en plus secouées par des actes de violence ”. Les mots “ quartiers ” ou “ banlieues ” forment souvent les sujets des phrases : “ Les banlieues craquent de ne plus pouvoir supporter cet apartheid social, économique et culturel ”, dit Paul Loridant, PS.

La politique de réhabilitation et la proportion de logements HLM forment les principaux critères de description du quartier du Mas-du-taureau. Et progressivement, les lieux ne sont plus appréhendés dans leur singularité mais comme les emblèmes d’un type de lieu ou d’événement.

C’est d’abord le ghetto : “ Vaulx-en-Velin n’a fait que précipiter la mise en place de votre ministère et le dépôt de cette loi d’orientation après la réunion de Bron ” (André Duroméa, PC) ; “ Vaulx-en-Velin, Sartrouville, Mantes-la-Jolie sont [...] l’illustration de ce qu’il ne faut pas faire, l’illustration d’un urbanisme de “ zoning ” datant des années 1950 qui nous a conduits tout droit à l’urbanisme de ghetto ” (Bernard Carton, PS). Les noms de lieux peuvent aussi former une chronologie de l’actualité de la banlieue : “ Vaulx-en-Velin, Sartrouville, Le Chaudron, Mantes-la-Jolie ” (Georges Othily, PS) ; “ Hier Vénissieux, Sartrouville, Le Chaudron, Vaulx-en-Velin ! Aujourd’hui Mantes-la-Jolie ” (Robert, PC).

Le regard s’éloigne donc des acteurs de Vaulx-en-Velin, policiers, jeunes, habitants du quartier ou de la ville. La focale s’élargit, inscrivant l’événement dans une histoire plus longue, celle des quartiers.

Un épisode dans une histoire plus longue

Les événements du 6 octobre 1990 sont évoqués, et immédiatement, le récit part quelques années en arrière. L’article du Nouvel Observateur du 11 octobre 1990 commence ainsi :

“ Cette ville de quarante-cinq mille habitants, de l’agglomération lyonnaise, cela fait près de cinq ans qu’ils se sont attelés à la transformer, à lui donner un visage plus humain. Depuis cinq ans, et encore plus depuis la signature, début 1987, de la première convention du développement social des quartiers, entre la ville, la communauté urbaine de Lyon et l’État, Vaulx-en-Velin s’était mise au travail. Objectif : “ Redensifier ”, comme on dit, cette immense ZUP construite au début des années 70 et qu’habite 53 % de la population de la commune. En faire quelque chose qui ressemble à une ville. [...] En cinq ans, les bâtiments ont été réhabilités, les façades ravalées en couleurs, les logements de près de deux mille, rénovés. On a redessiné les espaces verts entre les immeubles, réintroduit des pavillons en bas des tours. Le Mas du Taureau, le quartier incendié le week-end dernier, avait été récemment réaménagé... ”.

Les “ flash back ” sont annoncés par l’opposition de deux événements : les émeutes et l’inauguration, quelques jours plus tôt, d’un mur d’escalade. Le journaliste du Nouvel Observateur s’attarde sur cette réalisation, devenue, dans l’ensemble des articles, le symbole de la bonne volonté réformatrice.

“ Quarante-sept mètres de grimpe adossés au mur d’une des tours. Recouvert d’une lumineuse bâche fushia, le mur, œuvre d’un alpiniste savoyard, a été inauguré en grande pompe, il y a dix jours, en présence du tout-Lyon ”.

En mettant en relation les deux événements, les journalistes jouent sur le paradoxe : comment les émeutes ont-elles pu surgir alors que tout a été fait pour améliorer la vie dans ce quartier ? Dans le même temps, un lien est établi entre la mort du jeune et la politique de réhabilitation. En effet, une fois le mur d’escalade évoqué, le journaliste reprend le cours des événements du week-end, mais ces derniers prennent un tout autre sens. Détachés de l’actualité immédiate, ils s’inscrivent dans le cours d’une histoire porteuse d’espoir qu’ils viennent troubler, l’histoire de la politique de réhabilitation :

“ Comment mieux dire que municipalité, urbanistes, éducateurs ont réussi. Tous le croient. Peut-être même Vaulx-en-Velin va-t-il devenir un modèle, un phare, un symbole ? Et puis brusquement, samedi 6 octobre, vers 15 heures, tout dérape ”.

Néanmoins, le lecteur n’est pas d’emblée, dans tous les organes de presse, convié à interpréter ce qui s’est passé dans la continuité de l’histoire des quartiers en réhabilitation. Les problèmes sociaux naissent au moment où le choix se fait de les poser d’une certaine manière, et donc d’écarter d’autres interprétations : l’édition du 8 octobre 1990 de Libération constitue à cet égard un moment intéressant. Un éditorial ouvre la double page “ L’événement ” et il égrène les noms de jeunes morts lors d’altercations avec la police. Thomas Claudio figure à la fin de la liste :

“ À Lyon, c’est une longue liste de victimes qui a alimenté hier la colère des jeunes émeutiers. En octobre 82, Wahid Hachichi (Vaulx-en-Velin) et Ahmed Bouteija (Bron) sont tués. En novembre 82, le policier Bernard Taffine abat Mohamed Abidou. Non-lieu. Le 6 mars 85, Barded Barka, 15 ans (Vaulx-en-Velin) est tué lors d’un contrôle. Policer muté. Mustapha Kacir (Vaulx-en-Velin) est abattu par deux gendarmes en juin 85. Pas de suites judiciaires. En septembre 85, Noredine Mechta est achevé par les surveillants d’une boîte de nuit. Aziz Bougheza, à Moins, tombe en juin 87, lui aussi sous des balles de gendarme. Farid Oumrani, 17 ans, est tué à l’automne 88 d’une balle dans le dos par un chauffeur de taxi. En décembre 89, Abdallah Bouafia, 42 ans, père de deux enfants, meurt à Lyon des suites des tortures infligées par quatre vigiles. Le 9 août 90, Akim Merabet (Cremieu), 22 ans, est assassiné comme son frère, dix-huit mois plus tôt ”.

En énumérant ces noms, le journaliste de Libération reprend une des explications avancées par Le Progrès de Lyon en 1981 pour analyser ce qui se passe aux Minguettes. L’article du 19 juillet 1981 raconte le débat qui s’est tenu dans le quartier à la suite des rodéos, et cite plusieurs témoignages de racisme et de “ bavures policières ”. Les rodéos y sont présentés comme un épisode de l’histoire des relations conflictuelles qui opposent les jeunes d’origine étrangère aux policiers.

Des morts qu’énumère le journal Libération dans les premières lignes de la première édition consacrée aux émeutes de Vaulx-en-Velin de 1990, on ne reparle plus, ni dans le reste du numéro, ni dans les numéros suivants. En revanche, la politique de réhabilitation est longuement détaillée dans l’article de la page de droite du numéro du 9 octobre, intitulé “ les lézardes de la réhabilitation ” ainsi que dans les numéros suivants.

Au Figaro, également, le cadre interprétatif n’est pas fixé. On peut lire dans l’édition du 9 octobre :

“ Claudio Thomas [...] est la onzième victime de faits divers malheureux. Onze victimes, dont dix ont des noms à consonance étrangère. Onze victimes de contrôles policiers qui ont mal tourné parce que le contrôlé avait tenté de s’enfuir ou avait eu un comportement menaçant et que le policier, s’estimant en légitime défense, avait fait feu. Un peu trop vite, sans doute ”.

Mais de cette histoire, on ne reparle pas non plus dans les numéros ultérieurs du Figaro. Les quartiers de la politique de la ville prennent de plus en plus de place, en partie sous l’effet des règles de la division du travail journalistique. Le récit des événements remplit les pages “ Société ” rédigées par les reporters chargés d’aller sur “ le terrain ”.

Dans le même temps se multiplient les “ papiers ” d’éditorialistes, de directeurs, de journalistes chevronnés chargés de faire des articles “ de fond ”, ou encore les tribunes et les interviews d’intellectuels et autres personnalités. Dans l’édition du Monde du 11 octobre 1990, la deuxième page intitulée “ Débats ” reproduit un entretien avec Roland Castro, président de Banlieues 89. Le 16 octobre 1990, c’est toute la deuxième page qui est consacrée aux “ Banlieues en marge ”, avec des articles écrits par un sociologue, un haut fonctionnaire, un réalisateur de télévision. Autant de locuteurs invités à prendre de la hauteur par rapport à l’événement. Les analyses de l’échec de la politique de la ville et de la situation dans les quartiers diffèrent. Mais c’est toujours dans le cadre du “ problème des banlieues ” que le débat est posé, et non plus en rapport avec la question abordée d’abord par le journal Libération : le contentieux entre les jeunes et la police.

La montée en généralité renvoie à un certain partage des tâches. Mais si la grille de lecture des “ quartiers ” s’impose, c’est aussi pour des raisons propres aux protagonistes du débat, comme l’illustre la page intérieure du Monde du 9 octobre 1990. Du côté gauche, le journaliste local se cantonne au récit des événements. Du côté droit, l’éditorialiste Robert Solé prend d’emblée du champ. Dans un article intitulé “ L’affaire d’une génération ”, les événements sont traités sous l’angle du problème d’une génération, les jeunes d’origine immigrée, et d’un type de territoire, les quartiers, décrits en ces termes :

“ Des quartiers “ pourris ”, laissés à l’abandon et qui se dégradent de plus en plus... [...] Sur tout le territoire, quatre cents sites difficiles ont été sélectionnés. Ce sont des quartiers, des banlieues - parfois des communes entières - où le tissu social apparaît déchiré ”.

Du côté des personnalités politiques qui s’expriment dans les médias, l’événement est également analysé sous l’angle de l’histoire des banlieues, mais avec une insistance sur la politique de la ville. Les morts sont aussi des révélateurs d’un problème plus large, qui n’est pas assez pris en compte, qui nécessite l’approfondissement de l’action menée jusque-là sur les quartiers. “ Un incident de parcours ne saurait signifier l’échec de la politique de la ville ”, déclare Michel Rocard à l’Assemblée Nationale le 10 octobre 1990, alors que le délégué interministériel à la ville, Yves Dauge, affirme :

“ Il faut des accidents de parcours pour remettre les compteurs à zéro ”.

Là encore, les morts laissent la place à une perspective plus large. D’abord euphémisées (des “ incidents ”, des “ accidents ”), elles s’effacent ensuite completement, au profit d’un discours centré sur la politique de la ville, qui renforce dans le même temps, la gravité et l’homogénéité de l’objet de la réforme : les quartiers.

Tout se passe finalement comme si l’émergence du “ problème des quartiers ” s’était opérée sur la base d’un oubli, ou plutôt d’un refoulement : celui de l’événement déclencheur des émeutes, la mort d’un jeune. Dans les tribunes de l’Assemblée Nationale et du Sénat où les élus discutent de la Loi d’orientation en 1991, l’évocation des émeutes est récurrente : lors des débats généraux qui précèdent la discussion des articles de loi, 21 prises de parole sur 30 à l’Assemblée Nationale font allusion aux événements. Au Sénat, 14 sur 19. Mais sur la mort de Thomas Claudio, le silence est quasi total à la tribune.

Rien, ou presque, n’est dit non plus sur les morts des trois autres jeunes qui déclenchent, à leur tour, les émeutes de Sartrouville où, le 26 mars 1991, un jeune meurt suite à l’interpellation par un vigile dans un supermarché et à Mantes-la-Jolie, où le 25 mai 1991, un autre décède d’une crise d’asthme lors d’une garde-à-vue. Alors même que la loi dont discutent les élus est élaborée en octobre 1990 en réponse aux émeutes, elles-mêmes déclenchées par la mort de Thomas Claudio, seul un député communiste, André Duroméa, évoque “ les événements dramatiques de ces derniers temps, que ce soit à Mantes-la-Jolie où un jeune vient de trouver la mort ”. Éric Raoult, député RPR, ne l’évoque que pour dire qu’il n’en parlera pas : “ ainsi qu’Alain Juppé l’a rappelé hier, l’opposition ne se livrera pas à une récupération de la mort d’un jeune ”.

Le symptôme d’un mal plus profond

L’interprétation par le devenir des “ quartiers ” relègue la mort de Thomas Claudio au second plan, et permet, dans le même temps, de donner un sens aux émeutes. Si les morts disparaissent progressivement des débats, les émeutes sont au contraire largement discutées, mais sur un mode particulier. Là encore, la logique propre des événements s’efface devant des réflexions qui prennent pour objet une réalité générale. L’élargissement est plus rapide encore, car l’analyse des émeutes est menée sur un registre métaphorique, qui fait apparaître les émeutes comme des entités dotées d’une existence propre mais irrationnelle, dans lesquelles disparaît l’action des individus.

En 1990, les émeutes sont d’abord comparées à un phénomène naturel : l’incendie. Les mots de “ feu ”, “ flammes ”, “ s’embraser ” et “ incendie ” sont utilisés dans presque tous les organes de presse, au moins une fois. “ Et la banlieue modèle s’embrasa ”, titre Le Nouvel Observateur. Le Figaro écrit le 9 octobre : “ Comme si, sourdement, on n’attendait qu’une occasion pour embraser les esprits ”. Dans l’édition du jour suivant, le journaliste parle de ces ensembles de banlieues de Paris “ qui peuvent également s’enflammer après une étincelle ”. Les mesures promises par François Mitterrand sont présentées comme “ un contre-feu pour les banlieues ”, et Le Monde écrit, dans son édition du 9 octobre 1990 : “ On n’éteint pas facilement le feu quand il embrase aussi les âmes ”.

La suite des événements est parfois racontée sur le mode du bulletin météorologique : “ Étincelle dangereuse l’après-midi et retour de flammes en soirée ”, peut-on lire dans Le Progrès de Lyon du 9 octobre. À l’Assemblée et au Sénat, le “ débordement ” fait penser à une marée noire ou une inondation. Mais c’est toujours le même élément : le “ feu ”, l’“ incendie ”, les “ foyers qui s’allument ”.Dans l’édition du 8 octobre, le journaliste du Progrès de Lyon souligne même explicitement l’usage de la figure de style : “ Vaulx-en-Velin s’est enflammé. Au sens propre comme au figuré ”.

Deux autres métaphores sont développées en 1990, et tout d’abord la métaphore organique. Les journalistes activent ainsi, pour parler de l’émeute de Vaulx-en-Velin, un lieu commun largement développé au XIXème siècle pour comprendre la Révolution française et la Commune : la foule prise par la maladie et l’hystérie. Déjà dans le roman d’Emile Zola, La débâche, on peut lire :

“C’était déjà une crise de nervosité maladive qui se déclarait, une épidémique fièvre exagérant la peur comme la confiance, lâchant la bête humaine débridée, au moindre souffle”. [3].

En 1990, l’émeute apparaît comme un corps victime d’une pathologie, d’une “ éruption ”, d’une “ frénésie ”, d’une “ fièvre ”. Dans Le Figaro du 9 octobre 1990, on lit :

“ Vaulx-en-Velin a connu un accès de fièvre ce week-end, mais la cité-dortoir de la banlieue lyonnaise, comme la plupart des autres cités-dortoirs, est très malade depuis longtemps ”.

L’Humanité du 9 octobre 1990 explique que “ Vaulx-en-Velin s’[est] réveillée hier matin groggy ” : après la maladie, ce sera la convalescence.

Les élus qui débattent de la Loi d’orientation pour la ville quelques mois plus tard, en 1991, parleront de “ convulsion ”, d’ “ agitation ”, des “ secousses ”. L’état du malade est suivi et commenté chaque jour. Au bulletin météorologique succède le bulletin de santé : “ Calme relatif à Vaulx-en-Velin, petite poussée de fièvre à Vénissieux et Saint-Priest, la soirée n’a pourtant pas été de tout repos pour les forces de l’ordre,harceléespardesélémentsisolés”,écritlejournalistedu Progrès de Lyon le 10 octobre.

La situation dans les “ quartiers ” est décrite comme une pathologie ou alors comme un état d’esprit où se mêlent ennui et découragement. Ce qui ressort des articles de presse, c’est l’existence d’un état collectif qui alimente la colère des jeunes, mais surtout, un profond désespoir. Les termes de “ mal vivre ”, de “ mal vie ”, de “ désespoir ”, de “désespérance”, de “ malaise ”, de “ solitude ” et de “ désarroi ” suggèrent une maladie moins violente, surtout psychologique, mais non moins destructrice.

La violence est suggérée par cette troisième métaphore, la plus répandue, est à la fois militaire et mécanique. Elle est plus présente dans les pages du Parisien que dans les autres quotidiens. L’édition du 8 octobre titre : “ Explosion de violence depuis quarante huit heures à Vaulx-en-Velin après la mort d’un jeune motard. Haine sur la ville ”. Mais ailleurs, on parle de la nouvelle de la mort qui “ se répand comme une traînée de poudre ”, qui “ va mettre le feu aux poudres ”. C’est l’“ explosion ”, terme souvent utilisé par les députés et les sénateurs. On parle d’“ explosions de colère ” (Michel Delebarre, PS), d’“ explosions sociales ” (Jean-Jacques Hyest, UDC ; Ernest Cartigny, UDF), des “ explosions de violence et d’agressivité, de délinquance et de vandalisme ” (Robert Poujade, RPR), ou encore d’un “ quartier difficile, explosif même ” (Michel Noir, non inscrit). Pour Gérard Larcher (RPR), ces “ explosions ” ne sont que des signes annonciateurs d’autres catastrophes : “ Ces événements [...] sont les prémices d’une explosion qui ne manquera pas de survenir ”, dit-il tandis que Guy Malandain (PS) parle d’une “ bombe ”.

De même que l’élargissement de la focale vers le “ quartier ” fait oublier la mort de Thomas Claudio, le discours métaphorique évacue l’enchaînement et les ressorts des actes dans lesquels sont engagés des individus spécifiques : policiers et jeunes. En évoquant des phénomènes naturels ou mécaniques, on laisse voir des processus qui ne renvoient à aucune logique sociale. Comme le déclenchement des émeutes, leur fin semble relever du hasard.

En passant sous silence le conflit qui oppose des acteurs particuliers, les jeunes de Vaulx-en-Velin et les policiers, les commentaires contribuent ainsi à dépolitiser les émeutes. Au fur et à mesure que ces images s’imposent, les acteurs disparaissent, ou plutôt se fondent dans un mouvement qui les dépasse. L’irrationnel devient la caractéristique principale des émeutiers. Le journaliste de L’Express parle de “ fureur aveugle ”, tandis que le député socialiste Michel Berson explique que, “ à la grève et à la lutte syndicale organisée succèdent la solitude, la délinquance, la violence aveugle et spontanée ”.

Les termes d’“ émeutes ”, de “ colère ” et de “ révolte ” reviennent sans cesse lors des débats parlementaires, mais l’origine de la protestation n’est jamais rattachée à l’événement initial. La mort des jeunes est au contraire systématiquement décrite comme un simple “ déclencheur ”, qui mettrait à jour un état général. Les émeutes deviennent des événements dont la signification déborde le contexte local de Vaulx-en-Velin et les événements qui s’y sont déroulés quelques jours auparavant. Détachées de cette conjoncture, elles sont décrites comme un “ signe ”, un “ symptôme ”, un “ signal ”, un “ révélateur ” d’un mal plus grand, plus grave, plus profond, dont les hommes politiques se proposent de dire l’ampleur et la réalité. C’est le “ signe auquel il nous faut savoir répondre ”, comme l’explique le ministre de la ville Michel Delebarre qui enchaîne :

“ Comment ne pas voir que l’irruption sur la scène des jeunes de ces banlieues, au-delà des explosions de colère et de révolte - qui ne peuvent et ne doivent pas rester sans réponse immédiate - est un signe que nous devons transformer en énergie créatrice et dynamique ”.

Selon Paul Loridant (PS), ces émeutes forment la “ partie émergée des graves problèmes qui secouent les banlieues ”. Gérard Larcher (RPR) souligne la “ dimension dramatique, passionnelle, et révélatrice de problèmes dont nous mesurions bien, depuis deux ou trois années, l’intensité, mais qui ont atteint leur paroxysme ”. Les émeutes sont ainsi rapportées à la manifestation d’un phénomène plus large et elles trouvent toujours leur origine et leur sens ailleurs que chez les acteurs. C’est le signe d’un phénomène plus global, problème des jeunes, mais aussi problème des banlieues. C’est aussi un signe que les jeunes adressent aux pouvoirs publics et que seuls ces derniers sont aptes à déchiffrer.

En 1981, les médias ne semblaient pas voir dans les rodéos des Minguettes l’expression d’un phénomène plus large. Le “ problème social ” n’existait pas encore. À l’inverse, on constate la soudaine émergence, juste après la mort d’un jeune à Vaulx-en-Velin en octobre 1991, d’une catégorie massivement utilisée pour expliquer l’événement : le “ problème des quartiers ”.

Or, cette catégorie n’est pas neutre, elle propose une certaine interprétation de la réalité : le mal des « quartiers » résulterait de l’accumulation de problèmes, à la fois économiques et sociaux, dont l’origine et les responsables vont être absents des discours qui se développent avec la politique de la ville. Les choix de politique économique pris lors du tournant de la « rigueur » en 1983, considérés comme inéluctables, sont passés sous silence au profit d’une rhétorique consensuelle axée sur le délitement du « lien social », le manque d’ « intégration » et le déficit de « citoyenneté ». Et pour longtemps, le contentieux jeunes-police, et plus largement la question de la discrimination et du racisme, dont la mort de Thomas Claudio aurait pu être l’emblème, seront évacués des discours et de l’action politiques.

`


P.-S.


Ce texte est repris dans le recueil Les mots sont importants, de Pierre Tevanian et Sylvie Tissot, publié en 2010 aux Éditions Libertlia.


Notes


[1] Voir sur ce point le très bon article de Carine Fouteau, "À Trappes, les violences urbaines font écho à la montée de l’islamophobie", paru sur Mediapart le 23 juillet 2013.


[2] Voir aussi L’invention des "quartiers sensibles"paru dans Le Monde Diplomatique


[3] Cité dans Paul Lidsky, Les écrivains contre la commune, Paris, La Découverte, 1999 (1re éd. François Maspéro, 1970), p. 124




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Message  Toussaint Dim 28 Juil - 23:43

La gauche s'éloigne un peu plus encore des quartiers populaires

27 juillet 2013 | Par Stéphane Alliès



Les événements de Trappes ne font qu'entériner une évolution débutée avec la loi anti-niqab de 2010, alors votée avec le consentement du PS. Tandis que la droite se complaît dans les amalgames, la gauche se réfugie derrière la défense de l'ordre et d'une laïcité de fer.
..

http://www.mediapart.fr/journal/france/220713/la-gauche-seloigne-un-peu-plus-encore-des-quartiers-populaires
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Message  sylvestre Jeu 3 Avr - 14:47

Les manquements de la gauche et les impasses de l'autonomisme ne peuvent mener qu'à une seule destination.

Bobigny 2014 : quand les Arabes et les Noirs font campagne pour la droite blanche.

Un aspect en passant, qui devrait faire remonter la honte parmi les militant-es du NPA qui n'ont pas su défendre la candidature d'Ilham Moussaïd devant la pression réactionnaire, et la fierté pour celles et ceux qui l'ont fait :
La droite de De Paoli et Lagarde a ainsi entendu ce besoin de visibilité : il y aura deux femmes voilées dans la liste des 43 candidats aux municipales et parmi elles Kahina Airouche sera notre maire ajointe, la première femme maire adjointe voilée de France ! Il fallait le faire, la droite l’a fait ! Zéro femme voilée du côté du PC.
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