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Misère du culturalisme

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Misère du culturalisme Empty Misère du culturalisme

Message  sylvestre Ven 1 Oct - 11:14

http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/09/29/misere-du-culturalisme_1417649_3232.html

Misère du culturalisme

Il y a quelques années, des médecins français découvrirent l'existence de nombreux cas de saturnisme infantile parmi des enfants parisiens. Cette intoxication, qui peut avoir des conséquences graves sur le développement psychomoteur, est due à l'ingestion d'écailles et à l'inhalation de poussières de vieilles peintures contenant du plomb. Les études épidémiologiques montrèrent que 90 % des enfants présentant des formes graves de cette maladie appartenaient à des familles originaires d'Afrique subsaharienne.

Des anthropologues invoquèrent alors des causes culturelles pour expliquer qu'en Afrique de l'Ouest, les enfants de femmes atteintes de géophagie reproduisaient ces pratiques en suçant les fragments de revêtement mural tombés sur le sol. Dans le même temps, aux Etats-Unis, des chercheurs montrèrent que le saturnisme infantile touchait massivement des Africains-Américains installés depuis des générations et, que, en Grande-Bretagne, il affectait surtout Indiens et Pakistanais.

Le point commun entre ces différents groupes "culturels" ? Ils résidaient dans des quartiers pauvres et souffraient de discriminations socio-raciales. En France, des enquêtes établirent que l'explication n'était pas culturelle mais politique : les enfants des immigrés les plus pauvres, logés dans des appartements vétustes loués à prix d'or, se contaminaient en respirant les poussières de peintures dégradées.

Aujourd'hui, la délinquance dans les quartiers populaires étant plus souvent le fait de jeunes d'origine étrangère, des spécialistes de sciences sociales invoquent à leur tour des explications culturelles. Que les conservateurs utilisent les mêmes arguments, à propos des Noirs aux Etats-Unis et des Asiatiques en Grande-Bretagne, ne les ébranlent pas plus que leurs collègues médecins. On aurait pu les penser mieux armés contre les fausses évidences du culturalisme. Il n'en est rien, tant est forte la tentation de mettre les inégalités sociales sur le compte de différences culturelles - du moins lorsqu'elles affectent des immigrés ou des minorités.

Le métier de sociologue ne nous apprend-il pas à distinguer la corrélation de la causalité ? Rapportant le "surcroît d'inconduites des jeunes Noirs" à leurs résultats scolaires, inférieurs avant même le collège, le sociologue Hugues Lagrange écrit que "ce simple rapprochement laisse inévitablement supposer un "parce que"". Ecartant les études nord-américaines qui ont établi que ces différences de performance étaient liées aux inégalités sociales et aux discriminations raciales, il les explique par l'origine culturelle, et non par le contexte de la société d'accueil. La délinquance de ces Noirs venus du Sahel s'expliquerait par l'introduction "dans notre univers des pans entiers de coutumes lointaines, souvent rurales, très décalées" (Le Monde du 14 septembre).

Dans Les Yeux grands fermés (Denoël, 220 p., 19 euros), un essai sur la politique d'immigration, la démographe Michèle Tribalat s'en prend à l'"embrigadement des sciences sociales" au service de l'antiracisme, qui conduirait à une "préférence pour l'ignorance" de telles différences. A l'en croire, "en l'absence d'études diversifiées incluant très franchement la variable sur l'origine ethnique, nous mettons trop facilement tout sur le compte de la discrimination". De même, Hugues Lagrange, dans Le Déni des cultures (Seuil, 350 p., 20 euros), écrit qu'"il est toujours tentant d'incriminer l'institution, fût-ce la sienne". Il faudrait résister à cette facilité : en effet, le problème, ce n'est pas "nous", c'est "eux" ! Dénoncer le "déni des cultures" pour expliquer les problèmes sociaux par "l'origine culturelle", c'est donc bien contribuer au déni des discriminations.

Ces deux auteurs n'arrivent pas aux mêmes conclusions en matière de politique d'immigration : au nom du multiculturalisme, Hugues Lagrange en juge la fermeture actuelle trop sévère, tandis que Michèle Tribalat mobilise la rhétorique républicaine contre une ouverture "trop laxiste". Toutefois, le culturalisme qui les réunit décourage tout espoir d'intégration : ne faudrait-il pas transformer des structures anthropologiques, en particulier familiales, dont l'un et l'autre postulent la persistance même après transplantation dans des contextes sociaux différents ?

Il ne suffit pas de prendre le parti des femmes africaines, en appelant à les émanciper par le travail de "l'autoritarisme" qui caractériserait leur culture "patriarcale", pour prendre ses distances avec la droite au pouvoir. Au contraire : cette lecture entre en résonance avec le discours politique de la majorité. Ainsi, avant qu'Hugues Lagrange n'en reprenne l'antienne, Bernard Accoyer et Gérard Larcher, actuels présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat, n'avaient-ils pas invoqué, en 2005, la polygamie pour expliquer les émeutes urbaines ?

Aujourd'hui toute critique peut être récusée d'avance : "Il vaut mieux dire les choses, même si elles nous gênent", nous dit-on. C'est ce qu'on appelle, aux Pays-Bas, le "nouveau réalisme" : il faut avoir le courage de briser les tabous. La France ne manque pas de ce courage : qu'il s'agisse des Noirs, des Roms ou des musulmans, la parole est bien libérée. Mais imputer les problèmes à ceux qui les subissent le plus n'est ni réaliste ni nouveau.

Ce n'est pas un hasard si Michèle Tribalat et Hugues Lagrange réhabilitent le rapport Moynihan, qui, en 1965, lançait aux Etats-Unis la querelle de la "culture de la pauvreté". Les dysfonctionnements attribués à la "famille noire" ne sont certes pas les mêmes des deux côtés de l'Atlantique ; mais ils étaient déjà présentés comme la cause des problèmes sociaux tels que la délinquance. Or la longue histoire de la question sociale nous enseigne que le culturalisme de la misère, qui prétend rendre compte des différences et des inégalités par l'origine, ne fait jamais autre chose que trahir la misère du culturalisme.


Les auteurs sont tous deux chercheurs à l'Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (IRIS).

Didier Fassin, anthropologue et Eric Fassin, sociologue
sylvestre
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Date d'inscription : 22/06/2010

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