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Extrême-gauche et LGBT dans les années 70

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Extrême-gauche et LGBT dans les années 70 Empty Extrême-gauche et LGBT dans les années 70

Message  Byrrh Jeu 3 Jan - 12:56

L’effervescence politique des années qui ont suivi Mai 68, et le phénomène inédit en France d’une apparition collective et revendicative de lesbiennes et de gays, ont brièvement créé un contexte propice à la prise de parole d’homosexuel(le)s des classes laborieuses. Les documents qui suivent en donnent un exemple.

Assez vite, la désagrégation du mouvement ouvrier organisé – accélérée par les politiques pro-patronales des vieux partis « socialiste » et « communiste » parvenus au pouvoir –, le recul des idées émancipatrices et la disparition des groupes homosexuels gauchistes au profit d’un « ghetto » commercial et d’associations de plus en plus intégrées aux institutions, ont mis fin à ce commencement d’affirmation.

Les homosexuel(le)s des classes laborieuses, qui représentent en fait la majorité de la population homosexuelle dans chacun des pays du monde, ne disposent actuellement d’aucun moyen d’expression et d’organisation indépendantes, et ceci de façon sans doute encore plus stricte que le prolétariat pris dans son ensemble. En revanche, notre époque ne manque pas de personnalités publiques et de structures associatives prétendant porter la parole d’homosexuels « abstraits », qui auraient les mêmes intérêts (et les mêmes opportunités de s’émanciper) quelle que soit leur position sociale. Les révolutionnaires d’aujourd’hui auraient parfaitement raison s’ils décidaient un jour de s’employer à dissiper ce genre de mensonge…

Le premier des documents reproduits dans ce fil est d’une lecture éprouvante. Il décrit sans fard ce qu’a été le vécu d’un ouvrier homosexuel, de sa jeunesse avant-guerre jusqu’à ses années de révolte et d’affirmation, survenues alors qu’il entamait déjà la dernière période de sa vie (Maurice Cherdo est décédé en 1987). Certaines des confidences contenues dans cette interview pourront paraître impudiques ; dans le mouvement homosexuel d’alors, cette forme d’impudeur était d’ailleurs souvent revendiquée comme un aspect de l’émancipation, un moyen de combattre la honte et la culpabilité inculquées par la société. Mais ces détails parfois très intimes ont le mérite de montrer à quelle existence sordide cette société condamnait des homosexuels dont la vie était déjà singulièrement amputée par leur condition de prolétaires.

Il y a lieu de se demander si certaines des expériences douloureuses vécues par Maurice Cherdo il y a plusieurs décennies ne demeurent pas le lot de bien des homosexuels de la classe ouvrière.

Autoportrait de Maurice, 55 ans, ouvrier de banlieue

L’arrachement impossible


Interview publiée dans le n°11 du mensuel Le Gai Pied (février 1980).

Mon père était charbonnier et ma mère blanchisseuse, et elle a eu 18 gosses dont six ont vécu. Mon père est mort quand j’avais 4 ans. Ma mère a commencé à boire et à faire l’amour pour nous élever car à cette époque il n’y avait pas d’allocations familiales. On vivait dans deux pièces. On mangeait plus ou moins. Mon frère de 16 ans a voulu avoir des relations avec moi, mais moi j’ai été effrayé, alors que je n’avais que 12 ans, de voir un homme poilu. Et puis je le trouvais faux-jeton alors ça aurait été un autre gars je me serais laissé faire mais pas avec lui. Je crois qu’étant jeune on a peur ; on a du mal à trouver l’oiseau rare, qu’il soit beau ou moche, qui donne confiance.
Ensuite j’ai été à l’orphelinat parce que ma mère a été déchue des droits maternels. Là tu prenais ton bain avec un slip, tu n’avais pas le droit de te savonner le derrière ! Alors au point de vue sexualité c’était pas vraiment ça. Et pourtant il y avait un curé quand tu tombais malade qui disait : « Mais non, tu ne sais pas prendre ta température, moi je vais te la prendre ».
Et puis il y a une autre chose c’est quand les curés te confessaient : on avait la trouille de se branler, de faire l’amour. Quand tu allais au confessionnal le curé te demandait : “combien de fois, avec qui ?” Le môme se demandait ce que ça voulait dire. Moi je me suis dit du moment qu’il pose cette question-là, c’est qu’il y en a qui font ça ! Ça m’a mis la puce à l’oreille. Mais il y avait le bon Dieu et l’enfer. Alors je me suis dit après tout le bon Dieu on ne le voit pas, alors on pourrait peut-être voir le diable.
Pendant la guerre ensuite je suis revenu à Paris comme valet de chambre et je bossais dans un coin où il y avait des prostituées, j’étais copain avec elles, elles m’invitaient dans leur chambre d’hôtel ; il y en a une qui me donnait des cravates mais moi ce qui m’intéressait surtout c’était leurs clients. Mais je ne fréquentais pas le Paris pédé.

Malgré tout tu t’es marié ?
— Je me suis marié avec ma femme alors que je ne la connaissais pas ; je devais la reconnaître parce qu’elle porterait un cache-nez jaune à la gare. C’est une tante qui voulait marier ses nièces, je suis tombé sur celle-ci j’aurais pu tomber sur une autre. Je me suis marié pour qu’on me foute la paix. Je ne sais pas où je suis allé nager après. Du reste on n’a consommé le mariage que huit jours après. La sexualité ne comptait pratiquement pas. J’ai eu une fille au bout de deux ans et un autre gars dix ans après ce qui m’a entraîné à les élever, je ne pouvais pas les abandonner.
Et puis il y a à peu près dix ans, on m’a fait tellement de vacheries sur le plan syndical et pour le football que je me suis dit : eh bien après tout je vais m’occuper de moi. Ma première expérience homo d’adulte ça a été à la fête de la Rosière ; j’en avais marre d’entendre ça, alors je suis sorti me promener près du stade voisin avec mon vélo ; je ne pensais pas à draguer ; et puis là dans l’herbe il y avait un nord-africain ; on discute de choses et d’autres et puis dans l’herbe il m’a baisé ; je n’ai pas eu mal contrairement à ce que je craignais mais j’avais ce désir. C’est de là qu’est partie ma révolte contre tout. J’ai rencontré des gauchistes de Vive la Révolution et on a travaillé ensemble. En fait pendant des années je me suis occupé de beaucoup de choses de syndicat, de sport, et de mes relations sexuelles beaucoup moins. Je ne cherchais pas à draguer. J’étais toujours avec les gars.
Sexuellement il y avait une crainte qui était restée de l’enfance. Je ne croyais pas que des relations homo puissent se réaliser. J’ai eu des occasions manquées. Il y avait un gars qui m’avait donné sa photo. Ma cousine me charriait en disant : tu sais ce que ça veut dire de donner sa photo ? Mais moi je ne pensais pas qu’il draguait peut-être. J’aurais pu être sauvé si on m’avait forcé à une relation ; je n’aurais pas pris ça mal ; j’aurais vidé la famille, les cathos, les politiciens, je ne me serais pas marié. Je n’ai jamais été libre ; j’ai toujours été dans des tenailles.

Il y a donc eu une rupture à un moment donné dans ton existence ?
— J’étais dans un groupe qui a fait des manifestations du 1er mai avec des homosexuels. C’était Vive la Révolution, il y avait des homosexuels dedans. J’étais dans ce groupe et je ne savais pas. Quand ils ont fait le dernier numéro de TOUT entièrement consacré à l’homosexualité, beaucoup n’ont pas voulu le vendre. Je cherchais le journal : impossible de l’avoir. Je suis toujours passé à côté des trucs. Quand Pierre Overney a été tué à Renault, on a manifesté avec VLR, un copain est venu me voir m’a embrassé mais je n’ai pas pu lui parler.
J’ai réellement démarré après l’histoire de la fête de la Rosière que j’ai racontée. Par exemple le coup des urinoirs, je ne savais pas qu’on se draguait dans les urinoirs. A la caserne de Rueil, je suis entré dans l’urinoir pour pisser, il y en a un qui me regarde alors je le regarde, et puis il y avait un militaire qui se branlait, j’ai cru que je pouvais y aller, mais pof il me file un coup de poing dans la gueule. Je me suis dit : ils sont mabouls ils ne savent pas ce qu’ils veulent.
Une autre fois c’était à Bezons, je passais sur le chemin de halage, en allant au boulot. Il y en a un qui m’a regardé, je l’ai regardé, on n’a pas besoin de se parler, les yeux parlent, il m’a fait un petit signe, on est allés un peu plus loin et on a fait l’amour. Une autre fois au même endroit il y a eu 18 mecs qui me sont passés dessus. C’était du viol, ils me disaient : reste là il y en a un autre qui arrive. J’ai eu peur. Mais je n’étais pas écœuré. Il fallait faire attention aux loubards.

Tu dragues ici en banlieue ?
— Oui, il y a Rueil, le bord de Seine, là où les flics ne nous emmerdent pas trop et si tu n’as rien à te mettre… sous la dent il y a les oiseaux, le bord du fleuve c’est agréable. Il y a une époque où tout le monde venait là, on se mettait à poil et on restait là, mais ça n’a pas duré longtemps.
Ensuite j’ai découvert le parc de l’ancienne mairie à Nanterre. Là aussi ça drague autour des urinoirs. Une fois je sentais que j’étais suivi par un flic. Ça sent plus fort que l’autre odeur. Il m’arrête, au moment où j’allais rentrer dans ma voiture. Je lui demande : Je suis en mauvais stationnement ?. Il me dit : Non, mais vos virements d’un côté et de l’autre. Je lui dis : Je n’ai rien fait d’interdit vous ne pouvez pas me prendre. Mais autrement je drague, et le gars qui veut venir je vais avec lui dans des endroits que je n’ai pas à vous indiquer. Il me dit : ça vaut au moins 80 000 francs, et puis les urinoirs sont des lieux publics. Alors je dis : Si vous m’avez vu y aller deux ou trois fois c’est que j’ai une petite vessie. Le flic dit : Vous savez qu’à Paris il y a des endroits. Moi je lui réponds : Je n’ai pas beaucoup de temps, après ma journée de travail ; pourquoi pas dans la banlieue ? Et puis à Paris il faut payer. Alors vous voulez détruire mon ménage par l’argent, vous croyez qu’il n’est pas assez détruit comme ça ? Je me suis marié avec une femme qui cherche un homme et moi je voulais un autre pédé ; à cause de toutes les conneries de famille et de religion ; alors vous voulez en plus que je verse de mon salaire pour faire l’amour, non !. Il m’a rendu mes papiers. Après ils ont planté là un gardien.

Tu rencontres davantage d’immigrés que de français, peux-tu en parler ?
— Je fais davantage l’amour avec les immigrés. Une grande partie ne sont pas pédés, mais ne pouvant se payer une femme avec le bas salaire, ce qu’ils cherchent c’est avoir le contact avec quelqu’un, boire un café etc… Mais après on a la relation sexuelle et ils s’en vont, on a du mal à discuter.

Peux-tu nous parler de tes expériences dans les entreprises où tu as travaillé ?
— Ce que je voudrais dire surtout c’est contre le PC qui dit que c’est petit-bourgeois d’être homo, qu’on est des malades mentaux ; moi dans la boîte où je suis, il y en a plusieurs, aussi bien parmi les ouvriers, et les autres, on ne peut pas dire qu’ils sont malades ; la sexualité c’est comme celui qui aime bien salé, l’autre poivré et celui qui aime des gâteaux ; c’est le 6ème sens.
Dans les usines, moi je dis qu’à 80 % il y a des gestes homosexuels. Moi je suis pédé mais je ne fais pas ce que les autres font : exhiber son sexe, mettre la main au cul, embrasser sur la bouche, se traiter de pédé c’est courant. Pour le sport c’est pareil dans les vestiaires ou dans les douches. Et pourtant ils ne veulent pas admettre que c’est pédé. Et dans les relations avec les femmes c’est eux qui trouvent que c’est dégradant de faire la vaisselle. Quand ils savent que chez moi je fais la lessive, ils me disent : mais ta bonne femme qu’est-ce qu’elle fout ? Pour eux la femme c’est la femme-objet. Si j’avais vécu avec un copain, je pense que l’on se serait entraidés dans toutes les tâches ménagères.

As-tu fréquenté des groupes homosexuels ?
— J’ai été là et au Centre du Christ Libérateur. Il y a des anciens ça fait un petit peu club, on boit un verre. Au Chop* on ne peut pas faire ça parce qu’on est en réunion dans une salle de la fac de Nanterre. Moi je leur ai dit quand il y a un nouveau qui arrive il faut que quelqu’un prenne la parole pour que le nouveau ne soit pas désorienté. Au Chop il y a un gars qui m’a demandé ce que je venais faire parmi les jeunes, ça m’avait froissé. Ils parlent vachement bien de littérature, de théâtre c’est réellement le cadre de l’université pour moi qui suis ouvrier. Peut-être que tout le monde ne veut pas faire quelque chose ; on raconte son petit machin : tiens untel n’est pas là etc… Ce que j’espère c’est qu’on puisse faire sortir des mecs des urinoirs ; j’ai distribué des papiers là, en disant aux mecs qu’ils pourraient discuter, avoir un appui. Mais il n’y en a pas qui soit venu pour le moment. Espérons.

Propos recueillis par Gérard Bach et Gillonette du CHOP (Comité Homosexuel de l’Ouest Parisien).

Chop c/o GERS BP145 75263 Paris cedex 06.



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Byrrh

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Message  Byrrh Jeu 3 Jan - 13:02

En 1981, Libération n’avait pas encore Edouard de Rothschild pour principal actionnaire, mais c’était déjà une pépinière de journalistes « chiens de garde », comme en atteste cet article débordant de mépris de classe.

TETES D’AFFICHES

MAURICE CHERDO
Le candidat de l’amour


Article paru dans Libération du 11 juin 1981.

« Maurice Cherdo, une candidature ouvrière, homosexuelle et anti-raciste », disait l’affiche. Au bout de la route, passé la Défense, Nanterre-ville et le RER, je débarque au meeting organisé par le comité de soutien. Un candidat pédé au pays des prolos ? Mirage. Priez pour le pauvre Maurice.

Dans la classe de maternelle, bondée de jeunes instruits, ses 56 ans, modestes et laborieux émergent comme une gamelle dans un wagon de première. Il ne parle pas. Il est là. Visiblement on ne lui en demande pas plus.

Ceux qui phrasent et qui emphasent, talentueux et facultueux à souhait, occupent toute la place avec leurs tronches de premiers de la classe. C’est eux qui organisent la campagne : petits bavards de OCT – oui, vous savez, les ex-mao-anarcho-trotskistes –, OCTètes biberonneuses, nombrillards des CUARH, CARN et autres CHOP. Moi, je regarde Maurice.

Sympa comme prolo, pas bandant comme pédé. Discret comme un ouvrier, avec ses gros carreaux à effet loupe, son grand front à cause des cheveux qui manquent. Le polo blanc, petit trou à la couture, col enroulé et manches accordéon. Sous le pantalon gris, les chaussettes Dim, touche distinguée, malheureusement marron.

Portrait de Maurice Cherdo en potiche. Pas exactement.

« En cas que quelqu’un aurait besoin de moi, je donne mon adresse, pour correspondre et tout… » Eh oui, Maurice est un homme profondément malheureux : il n’a pas d’ami. Et il en crève. Candidat homo pour trouver un amant, candidat potiche pour attardés idéologiques. Tragique.

Après la réunion, je cours vers lui. Grimace. La tête qui se tord pour laisser passer un regard infiniment doux par dessus les lunettes. Nous parvenons non sans mal à nous extirper de la meute endiablée. Direction, son HLM. Au pied du bâtiment, bordé d’autoroutes et de lampadaires insoutenables, Maurice me montre un jeune garçon, désœuvré sous un porche : « Mon gigolo ». Pas un signe. Nous montons.

L’appartement, un cliché d’appartement ouvrier. Aquarium illuminé, vitrine typique avec chalet tyrolien et poupées de coquillages, télé majestueuse, papier peint fleuri. Et partout, sur tous les murs des photos d’éphèbes musclés, noir et blanc, sur papier glacé.
Avec une simplicité et une honnêteté si délicieusement prolétarienne, Maurice me raconte sa vie d’une voix sourde et rocailleuse aux accents de Georges Marchais. Une longue, interminable galère. La vie sans couleurs. Noir et blanc : son père charbonnier, sa mère blanchisseuse.

A la mort du père, il a quatre ans. La mère alcoolique court d’HP en HP. Intox et désintox, chute et rechute. Pour Maurice c’est très tôt l’orphelinat. Il en ressort à 24 ans pour tomber dans les bras de sa mariée. Le tuteur a tout préparé. Avec Yvonne, son épousée, l’éthylisme continue. Maison départementale de Nanterre, d’abord, puis le grand circuit, Sainte Anne et Clermont de l’Oise. Yvonne est pourrie d’alcool.

Entre deux cures ils parviennent à commettre deux enfants. Maurice les élève quasiment seul, des taudis de Rueil-Malmaison à ceux de Nanterre. Dans cette infernale dérive je ne parviens pas à le sentir comme homosexuel. Il affirme l’avoir toujours été, son mariage n’étant qu’une « couverture ».

C’est seulement en 1979 qu’il l’affiche à l’usine. Maurice est rectifieur de métier. Dans les ateliers, ça ne passe pas. « Un cul c’est fait pour chier, pas pour baiser. » point c’est tout. Et puis les ouvriers ne comprenaient pas qu’un homosexuel ne soit pas une beauté, peintre ou danseur. Alors commencent les quarantaines et autres bizutages, qui durent un an.

Maintenant il est accepté. Avec les voisins, même isolement, surtout depuis qu’il se présente aux élections. Quatre fois il se fait casser la gueule. Il sera même violé un soir, par dix-huit mecs en furie. Mais Maurice tient bon. Ce qu’il cherche, c’est un copain, pour vivre avec. C’est même pour cette seule raison qu’il commence à fréquenter les groupes politiques d’abord, puis homosexuels à la fac de Nanterre.

Echec. Partout, des maos de VLR aux intellos du CUARH, on ne lui pompera que ses forces et son image, sa queue de prolo, jamais. Maurice essaye les petites annonces, Sandwich et tout. Re-échec. Il tombe sur des gigolos qui lui piquent son amour, son fric et puis s’en vont.

Et il se retrouve candidat, sans trop l’avoir voulu, mais d’ami il n’en a pas. Et là, je devine tout le tragique de sa candidature. Derrière son programme à lui – détruire le mythe que c’est petit-bourgeois d’être homosexuel –, derrière le programme des organisations qui le poussent – pour une société débarrassée de l’exploitation, des oppressions et des racismes –, Maurice Cherdo candidat, poursuit, comme les autres, certes, ses intérêts particuliers : un amour pour toujours. Mais pour lui, et pour lui seul, chaque bulletin de vote sera comme un billet d’amour.

Olivier SALVATORI

CUARH : Comité d’urgence antirépression homosexuelle
CARN : Comité antiraciste de Nanterre
CHOP : Comité homosexuel de l’Ouest parisien



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Message  Byrrh Jeu 3 Jan - 13:11

Le droit de réponse, publié quelques jours plus tard.

Droit de réponse

Publié dans Libération du 18 juin 1981.

Le 11 — 6 — 81
Je vous transmets ci-joint une lettre de Maurice Cherdo suite à votre article du 11 sur sa candidature. En vertu du droit de réponse, vous voudrez bien publier sa lettre dans votre prochain numéro.

Le comité de soutien à la candidature de Maurice Cherdo

P.S. Vous trouverez également ci-joint pour votre information la profession de foi envoyée aux électeurs et qui a été rédigée principalement par Maurice. Peut-être comprendrez-vous mieux sa candidature.


« Mes chaussettes… »

par Maurice Cherdo

Nanterre le 11 — 6 — 81

Messieurs et non chers amis

J’ai été prévenu de votre article dans Libération de jeudi 11 à l’usine et je n’ai pu le lire entièrement à ce moment-là. Mais je voulais savoir ce que pensaient les ouvriers. Leur réponse c’est que vous êtes un « journal de droite » et que l’article ne m’est pas favorable. Un autre qui lit Libé tous les jours, qui n’est ni homo ni contre et qui me connaît m’a dit que l’article était mauvais et fasciste ; on aurait pu le trouver plutôt dans le Parisien Libéré. Si vous faites faillite, votre journaliste aura sûrement un emploi.

Pour vous, je suis « Tête d’affiche », « candidat de l’amour ». Votre humour n’est pas de bon goût. Vous détaillez mon appartement, mon habillement, allant voir jusqu’aux chaussettes qui ne vont pas avec la couleur de mon pantalon. C’est sûr, je ne suis pas un candidat en smoking.

Le journaliste ne parvient pas à me sentir homosexuel. Peut-être qu’il aurait fallu lui donner des preuves et mettre un candidat gentleman non un ouvrier. Vous dites que je ne disais rien, que je suis une potiche. Mais dans un débat démocratique, la parole est donnée à tous et vous êtes venus un moment prêts à clore le débat.

J’ai une télé majestueuse ? Quel prolo ne l’a pas ? Et vous ? La voix rocailleuse à la Georges Marchais ? N’importe quoi !

Vous confondez ma mère avec ma femme. Bien sûr les deux n’ont pas eu et ne m’ont pas donné une vie rose. Mais vous auriez pu avoir un mot moins dégueulasse que « pourrie d’alcool ». Ce n’est pas ainsi que l’on aidera à la désintoxication des malades.

Si vous ne comprenez pas l’homosexualité, ne faites pas de si mauvais articles. C’est du racisme envers nous. Mais nos tracts donneront à réfléchir aux lecteurs homos et immigrés.

Oui ma vie n’a pas été facile ni rose. Mais ne m’écrasez pas plus dans ma peau qui a trop souffert.

Heureusement que les homos de Nanterre m’ont félicité de mon courage. Toutes les organisations du CHOP et du CUARH me donnent espoir qu’un jour on nous foutra la paix et que nous trouverons le bonheur avec un ami.

Est-ce que vous aurez le courage de publier ma lettre ? Quand en aura-t-on fini du racisme contre les homosexuels ? Ce racisme qui fait croire que les homos sont des riches désœuvrés et pas des ouvriers.

C’est dur pour nous qu’après les lois, les flics, les religions, Libération prenne la suite.

Maurice CHERDO
Et la profession de foi aux législatives de 1981 :

Tract - profession de foi

7e circonscription des Hauts de Seine : Nanterre-Suresnes
Election législative du 14 juin 1981.

Différences 92
POUR QUE RIEN NE SOIT PLUS COMME AVANT…


Pourquoi la candidature d’un ouvrier homosexuel à Nanterre-Suresnes ?

Pour prouver que les homosexuels, hommes et femmes ne sont pas que des artistes ou des bourgeois, pour dire qu’ils ne sont pas des malades, des obsédés sexuels.

Les homosexuels sont ridiculisés, soumis à un véritable racisme dans cette société où l’homme doit être l’être suprême, le maître de la famille.

Hier brûlés sur les bûchers, exterminés dans les camps nazis, aujourd’hui encore les homosexuel(le)s sont sous le coup d’une loi discriminatoire qui interdit les rapports homosexuels avant dix-huit ans, alors que les relations hétérosexuelles sont possibles à partir de quinze ans.

Si nous présentons la candidature de Maurice CHERDO, 56 ans, ouvrier rectifieur, homosexuel, qui a milité pendant plus de vingt ans dans diverses organisations (délégué CGT chez Willeme, membre d’amicales de locataires, pour les loisirs et le sport, dans les HLM) c’est que nous voulons de vrais changements pour les libertés, pour nos droits.

Nous voulons travailler pour vivre et non vivre pour travailler.

Produire ce dont nous avons besoin et non ce qui détruit (nucléaire)… Nous voulons utiliser la nature sans la polluer, sans gaspillage des matières premières ; nous n’acceptons pas que les revenus des ouvriers, petits salariés retraités soient mangés par l’augmentation des prix et des profits.

Nous sommes solidaires des luttes des femmes, des immigrés.

Il paraît que nous vivons dans un pays démocratique, mais que veulent dire la liberté et l’égalité quand les femmes et les immigrés ont des salaires de misère, quand les femmes sont coincées entre le travail et la famille, quand on pille et écrase les peuples du tiers-monde, quand les immigrés en France n’ont aucun droit.

Dans notre circonscription les immigrés, près d’un tiers de la population, ne peuvent choisir leur vie : soumis aux contrôles policiers et au fichage, aux quotas d’habitation, logés dans des locaux insalubres, ils ont le droit de payer des impôts mais pas celui de voter.

Vous qui voulez participer à ces luttes

Peut-être ne vous reconnaissez-vous pas dans tous les aspects de cette candidature, mais c’est ensemble que nous pourrons faire entendre la voix de tous les opprimés, refuser tous les racismes.

Nous vous appelons à voter pour notre candidat Maurice CHERDO, le 14 juin, mais nous espérons surtout vous retrouver ensuite dans le combat pour en finir avec les déceptions et réaliser vraiment nos espérances,

Le comité de soutien à la candidature de Maurice CHERDO

Cette candidature est soutenue notamment par :
Comité Anti-Raciste de Nanterre
Comité Homosexuel de l’Ouest-Parisien
Comité d’urgence Anti-répression homosexuelle
Organisation Communiste des Travailleurs

MAURICE CHERDO
CANDIDAT
MARIE-ANTOINETTE BERNARDI
SUPPLEANTE


Vu : le candidat
Vu : la suppléante


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Message  Byrrh Jeu 3 Jan - 13:20

Extrait d’une page de Jean Le Bitoux parue dans le n°28 du mensuel Gai Pied (juillet 1981), consacrée aux deux candidats homosexuels présents aux élections législatives de juin 1981 (n’est reproduite que la partie évoquant la candidature de Maurice Cherdo).

Roses les 700 bulletins

Nos lecteurs connaissent déjà Maurice Cherdo. Il nous a raconté son douloureux itinéraire dans le numéro de février 80. En juin 81, il était candidat dans la banlieue parisienne, à Nanterre, fief communiste depuis près d’un demi-siècle. Nous l’avons rencontré pour qu’il nous parle de cette aventure.

Maurice a 57 ans. Sous son HLM pouilleux passent les poids lourds de l’autoroute. Les voisins nous regardent de derrière leurs rideaux, à peu près souriants. Ouvrier rectifieur à l’usine Hispano-Suiza, séparé de sa femme, Maurice a deux enfants, une fille de trente ans et un garçon de vingt, vedette du football local. Quand nous pénétrons dans son deux-pièces, Maurice me montre le mot que Gérard lui a laissé en son absence : « Cher papa, je veux que tu saches que ta candidature ne me gêne pas du tout. Je t’embrasse. » De l’Amicale des locataires aux camps de jeunes, d’une protestation de quartier organisée pour obtenir un feu rouge à l’animation de vingt équipes de football, Maurice est une star de Nanterre. Ex-trésorier de la CGT, puis dériveur léger chez les maos, les anars et enfin les “pédés”, Maurice mène une vie sociale trépidante qui, il est vrai, masque mal sa recherche toujours infructueuse de l’Autre.

Cela n’a pas beaucoup plu à Libération qui, sous la plume d’Olivier Salvatori, parle de manipulation de la classe ouvrière : « Candidat homo pour trouver un amant, candidat potiche pour attardés idéologiques. Partout, des maos de VLR aux intellectuels du CUARH, on ne lui pompera que ses forces et son image ; sa queue de prolo, jamais. » Le problème pour notre journaliste grincheux, c’est que Maurice persiste et signe : oui, il cherche un Jules, oui, le groupe pédé de Nanterre, le CHOP (1), où il milite depuis deux ans, l’a désigné davantage qu’il ne s’est proposé lui-même. Mais tout de suite il a été partant : « Tout était prêt. Je ne voulais pas faire mon come out sans être préalablement bien connu. C’est pour moi un certain aboutissement de ma révolte contre toutes les choses injustes de cette société. Ma candidature s’annonce sur les affiches comme ouvrière, homosexuelle et anti-raciste. Dans les chiottes de mon usine les collègues ont marqué : votez homo, votez Cherdo. D’habitude ils ne parlent que de cul, mais quand je leur dis que je suis pédé, ils me croient à peine : un pédé, pour eux, c’est un danseur avec un beau cul bien moulé, pas un clochard, un vieux ou un milliardaire. D’ailleurs ils aiment bien agresser les Arabes en les embrassant sur la bouche. Depuis ma candidature ils viennent à domicile me parler de cul. C’est fatigant. Mais un jour, je me souviens, j’étais très malheureux et ils m’ont dit : arrête de t’occuper de mecs comme ceux dont tu nous parles. Prends-toi un ouvrier, quelqu’un de ton milieu. Dans l’immeuble, y a pas de commentaires, et pourtant des garçons viennent me voir. Le PC et le PS ne disent rien. Quant au PSU, il m’avait proposé d’être suppléant, mais comme nous, on voulait que le mot “homosexuel” soit aussi gros que celui du PSU sur les affiches, ça leur a pas plu. Maintenant on va travailler avec Radio-Clementine sur l’Ouest de Paris. Au CHOP j’espère que tout ça va réveiller les copains. Et puis avant on s’embrassait, plus maintenant. Triste, non ? »

J L B

(1) CHOP, Collectif Homosexuel de l’Ouest Parisien, c/o GERS, PB 145, 75263 PARIS Cedex 06. Permanence à la fac de Nanterre tous les vendredis à 19h., bât F, salle 124.

-----------------------------

NOS RESULTATS
A Nanterre, Maurice Cherdo obtient 225 voix, soit 0,52 % des suffrages. Ce qui fait dire à un membre du PC, présent lors de la proclamation des résultats : « Un demi pour cent des voix ? Voilà qui me réconcilie avec le reste des habitants de Nanterre ! »
A Aix-en-Provence, Patrick Cardon atteint sur l’ensemble de la circonscription le chiffre de 479 voix, soit 0,54 %, avec des pointes curieuses comme dans le petit village de Fuveau, où il recueille 16 suffrages. Y aurait-il là une communauté gaie ?

Extrême-gauche et LGBT dans les années 70 Mauric10

Maurice CHERDO, candidat présenté par le CHOP à Nanterre. Photo Michel Batal
Les résultats complets du 1er tour de l’élection législative du 14 juin 1981 dans la 7e circonscription des Hauts-de-Seine (Nanterre, Suresnes) : inscrits, 65 719 ; votants, 44 177 ; abstentions, 32,77 % ; suffrages exprimés, 43 555. Jacqueline Fraysse-Cazalis, députée sortante, conseillère générale, PCF, 15 009 ; Georges Le Gallo, conseiller municipal de Suresnes, PS, 14 081 ; R. Collin, UNM-RPR, 7 722 ; F. Montillot, UNM-CDS, 5 344 ; G. Requille, Alternative 81, 778 ; Alain Marquet, LO, 396 ; Maurice Cherdo, Différences 92, 225.

Byrrh

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Message  Byrrh Jeu 3 Jan - 13:56

Article de Gérard Bach, publié dans la revue Homophonies (juillet-août 1981) et reproduit en annexe de l’ouvrage Homosexualités, Expression/Répression (éd. Le Sycomore, 1982), du même auteur.

Histoire d’une candidature

Des députés homosexuels, il y en a toujours eu : les journaux à scandale les dénonçaient ; on susurrait leur nom avec délectation dans le milieu homo. Mais aucun d’eux n’aurait voulu s’affirmer comme tel ; bien plus, la plupart affichaient des positions officielles homophobes, quitte à intervenir discrètement quand tel ou tel ami avait des problèmes. C’est d’abord ce rapport honteux de l’homosexualité à la politique que la candidature homosexuelle de Nanterre-Suresnes a voulu remettre en cause.

On en avait déjà parlé au CHOP (Comité Homo de l’Ouest Parisien) sur le ton d’une boutade : on présentera quelqu’un aux élections législatives. Nanterre, c’est la banlieue ouvrière de Paris, avec sa députée PC, Jacqueline Fraysse, médecin. Alors, le sens de la candidature sera vite trouvé : « Pourquoi la candidature d’un ouvrier homosexuel ? Pour prouver que les homosexuels, hommes et femmes, ne sont pas que des artistes ou des bourgeois, pour dire qu’ils ne sont pas des malades, des obsédés sexuels » (extrait de la profession de foi envoyée aux électeurs). Le candidat : Maurice Cherdo, cinquante-six ans, ouvrier rectifieur qui a milité pendant plus de vingt ans dans diverses organisations (délégué CGT, membre d’amicales de locataires, pour les sports et les loisirs des jeunes dans les HLM) et un des membres « fondateurs » du CHOP.

Ouvrier et pédé

De quoi remettre en cause bien des a priori sur l’homosexualité : celui qui s’est battu avec vous à l’usine est atteint de ce que vous appeliez il n’y a pas si longtemps le « vice bourgeois ». Oui, celui qui s’est occupé de vos enfants en organisant des terrains de sport, celui-là est un pédé.

Autour de la candidature, outre le CHOP, se rassemblent des militantes féministes, des anti-racistes et la candidature est soutenue par le CUARH national et l’Organisation Communiste des Travailleurs. Des gens divers, pas toujours d’accord sur tout mais qui veulent interroger la population sur des oppressions qu’on oublie trop souvent, et s’interroger aussi les uns et les autres : il y a bien une liaison dans nos têtes entre l’oppression que subissent les homosexuels et les femmes ; il y a bien une liaison entre le racisme anti-immigrés et le racisme anti-homo ; Maurice manifeste comme ouvrier homosexuel la liaison entre l’exploitation des ouvriers et le poids de l’homophobie, mais comment articuler tout ça concrètement ? Débats passionnés : trop de politique diront les uns, trop de sexualité diront les autres, trop gauchistes, etc. Sur le ton de la plaisanterie, un mot d’ordre va réunir pédés et immigrés : à Nanterre, les bains-douches municipaux ont été fermés ; et pourtant une partie de la population, surtout immigrée, ne dispose pas de salle de bains : nous demandons donc la réouverture des bains-douches et leur transformation en hammam !

Les réactions

On se met à distribuer des tracts aux gares de Nanterre, à la porte de l’entreprise de Maurice, Hispano-Suiza, dans les HLM. On organise des réunions publiques. On craignait un peu les réactions de la population : finalement, il n’y aura pas de gros problème. Signe que les temps changent ? Bien sûr, quelques voisins cesseront de dire bonjour à Maurice, mais les « pédés de banlieue » rencontrés sur les lieux de drague l’encourageront. On reçoit une dizaine de lettres d’homosexuels qui n’osent pas s’affirmer et une inévitable lettre d’insulte « pour fusiller tous ces pédés et ces immigrés ».

Face à tous les racismes

Dans l’usine de Maurice, on parle beaucoup : « Tu divises la classe ouvrière avec ta candidature ! » ; « Moi, répond Maurice, la classe ouvrière, je l’unis dans mon lit ! » En tout cas, derrière l’accusation de diviser la classe ouvrière se trouve la reconnaissance implicite que l’homosexualité est devenue un thème politique. Réaction aussi à l’usine contre l’article que Libé consacrera à la candidature de Maurice : « Un candidat pédé au pays des prolos ? Mirage. Priez pour le pauvre Maurice. […] Avec une simplicité et une honnêteté délicieusement prolétariennes, Maurice me raconte sa vie d’une voix sourde et rocailleuse à la Georges Marchais. […] Dans cette infernale dérive je ne parviens pas à le sentir comme homosexuel » écrit O. Salvatori dans Libé du 11 juin. A l’usine de Maurice, on trouve que l’article ne lui est pas favorable et que le ton est celui du Parisien Libéré ; au comité de soutien à la candidature, on trouve l’article raciste à l’égard des ouvriers comme des homos : « Le journaliste ne parvient pas à me sentir comme homosexuel. Peut-être qu’il aurait fallu lui donner des preuves et mettre un candidat gentleman, non ouvrier » (réponse de Maurice à Libé parue le 18 juin). Sans parler du fait que pour Libé, Maurice est candidat parce qu’il cherche un ami et que les « nombrillards du CUARH, OCT, CARN » s’en servent pour faire passer leur programme. Bien sûr, il y a eu des différences de langage utilisées dans la campagne, dues à la diversité de ceux qui la soutenaient, mais Libé n’arrive pas à comprendre qu’on peut à la fois « chercher un ami » et militer pour la cause de tous les homos. Et quand de surcroît, on est ouvrier, se battre contre l’exploitation. Une candidature qui pourrait se continuer par une expression commune après la campagne sous forme de radio libre, des demandes de débat sur l’homosexualité émanant notamment du PS local, des témoignages émouvants d’homos et de lesbiennes lors des réunions publiques et 225 voix, soit 0,5 % des suffrages exprimés. La candidature sans doute trop difficile à cerner sera classée « sans étiquette » par les journaux, sauf par L’Humanité qui l’étiquettera « divers droite » alors que les affiches électorales appelaient clairement à battre la droite au second tour. En tout cas, cette candidature restera avec celle de la Mouvance d’Aix-en-Provence (présentée dans le cadre d’Alternative 81) la seule candidature ouvertement homosexuelle de ces législatives.

Byrrh

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Message  ramiro Jeu 3 Jan - 17:12

Merci...
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Message  yannalan Jeu 3 Jan - 17:26

C'est une excellente chose de mettre du concret.

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Message  alexi Ven 4 Jan - 1:07


Lutte Ouvrière
4 au 10 mai 1971


Tout ou rien.

Il n’est certes pas nouveau de voir des courants intellectuels
petits-bourgeois faire de la lutte pour la liberté sexuelle
l’essentiel de leur activité. Le « quinzomadaire » Tout vient
cependant de publier un numéro presque entièrement
consacré aux problèmes sexuels qui bat certainement
tous les records en ce domaine.
Il ne s’agit plus seulement de revendiquer la liberté
sexuelle. Tout revendique « le droit à l’homosexualité et
toutes les sexualités ». Soit, ce n’est pas nous qui, quoi
que nous pensions de l’homosexualité, réclamerions la
moindre répression en ce domaine. Mais où la chose se
corse, c’est quand Tout mêle l’activité politique à cela.
On y apprend ainsi l’existence d’un « Front Homosexuel
d’Action Révolutionnaire », on peut y lire deux pages de
thèses sur « Les pédés et la révolution », et y découvrir
cette surprenante citation de Jean Genêt:
« Peut-être que si je n’étais jamais allé au lit avec des
Algériens, je n’aurais jamais pu approuver le F.L.N.
J’aurais probablement été de leur bord, de toute façon,
mais c’est l’homosexualité qui m’a fait réaliser que les
Algériens n’étaient pas différents des autres hommes. »
Heureusement pour Genêt qu’il n’était pas tombé
amoureux d’un messaliste, ou d’un parachutiste. Voyez
quels problèmes politiques cela aurait pu lui poser !
On peut se demander ce qui peut amener des gens qui se
disent révolutionnaires à éditer un journal dont le contenu
est à la hauteur de graffitis de pissotières.
« Faire la révolution, veut réellement dire CHANGER
LA VIE (et d’abord SA vie) », écrit Tout (et c’est lui qui
souligne). Voilà comment l’individualisme petit-bourgeois
en arrive, après s’être réclamé du stalinisme, et du
socialisme dans un seul pays, à se faire le chantre du «
socialisme » dans un seul lit.

alexi

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Message  alexi Ven 4 Jan - 1:12


FHAR Front Homosexuel d’Action Révolutionnaire
(1971)
Rapport
contre
la normalité


réponse à Lutte Ouvrière

L’esprit et le style de cet article nous a tous profondément
indignés et, personnellement, m’a rappelé fâcheusement
certaines plaisanteries éculées que j’avais trouvées sur
l’homosexualité dans un journal de la tenue intellectuelle
et politique de RIVAROL. Mais trêve de polémique!
Si vous êtes marxistes, vous devriez savoir que la mise en
question du capitalisme passe aussi par l’abolition de la
famille bourgeoise, du couple hétérosexuel bourgeois, par
la fin des idéologies. Si vous êtes trotskistes, vous devriez
vous souvenir que Trotsky a écrit: « Fourier, le grand
utopiste français, érigea ses phalanstères sur l’utilisation
et la combinaison rationnelle des instincts et des passions
humaines, afin de faire contrepoids à l’ascétisme chrétien
et à sa répression de la nature humaine. C’est une idée
profonde. L’Etat ouvrier n’est ni un ordre religieux, ni un
monastère.. (LITTERATURE ET RÉVOLUTION.) IL est tout
de même assez paradoxal que des gens qui ont prétendu
et continuent à prétendre lutter contre le stalinisme se
conduisent à l’égard de la sexualité en général et de
l’homosexualité en particulier comme des staliniens.
Car je n’invente rien: nous avons parmi nous au F.H.A.R.
des gens qui viennent de LUTTE OUVRIÈRE ou de la
IVème INTERNATIONALE et que vous avez mis à la
porte de chez vous, parce qu’ils étaient homosexuels.
Vous trouvez cela juste ? Et intelligent peut-être ? Et
cela s’accorde avec le marxisme authentique ? Avez-vous
oublié qu’en 1918 en U.R.S.S. on avait supprimé
la loi tsariste visant l’homosexualité pour rapprocher,
notamment, les homosexuels du reste de la population ?
Quand le stalinisme commença à se démasquer, en 1934,
on fit la chasse aux homosexuels, et la délation, inconnue
jusque-là dans le pays, fut organisée. Alors ?
Mais l’homosexualité ne saurait être révolutionnaire. Ah
oui! Vraiment ! D’où tenez-vous cela ? Et d’où tenez-vous
qu’il y ait une « nature humaine propos que j’ai entendus
dans la bouche d’un de vos militants, en vue de justifier
son opinion répressive sur l’homosexualité ? De Marx ou
de saint Thomas d’Aquin ? Du judéo-christianisme ou du
matérialisme dialectique et historique ? De Trotsky ou de
De Gaulle ?
Le F.H.A.R. en a plein le dos (si j’ose dire) des gauchistes
puritains, de cette manière qu’ils ont de faire les
dégoûtés devant la sexualité, comme de vulgaires U.D.R.
Nous ne supportons plus que vous vous comportiez à
notre égard comme nos pires ennemis et à nous et à
vous. Parce que 2000 ans et des poussières de judéochristianisme,
d’abord sous la forme féodale et ensuite
bourgeoise, ont réduit la sexualité en général à un pisaller
condamnable en soi, mais admis pour perpétuer
l’espèce, les homosexuels ont été sauvagement réprimés
et mutilés et contraints au silence. Très profondément
révoltés, ils n’avaient pas le droit de s’exprimer. Certains
refoulèrent leur personnalité au profit d’une société qui,
grâce à ce refoulement, pouvait les exploiter à loisir. Car,
bien entendu, être homosexuel révolutionnaire, ce n’est
pas être un privilégié de cette société. Ce n’est pas être
ministre gaulliste ou préfet de police. Le F.H.A.R. s’est
constitué précisément et en grande partie pour en finir
avec la prétendue liaison entre homosexuels, au-delà
des barrières socio-économiques, ce qui ferait qu’un
O.S. homosexuel bénéficie d’avantages particuliers, si
son patron en est un lui aussi. La franc-maçonnerie
homosexuelle, c’est une fable inventée par les prétendus
« normaux » (la normalité, vous connaissez ?). Cela dit,
oui, l’homosexualité est révolutionnaire, du moins dans la
mesure où, partie d’une révolte instinctuelle qui remonte
à l’enfance, elle prend conscience du rôle qu’on fait jouer
aux homosexuels dans cette société, de l’oppression dont
ils sont victimes, de l’inégalité sociale de fait qui sépare
à jamais homosexuels des non-homosexuels. Il faudrait
tout de même que vous sachiez qu’il existe des lois
réprimant l’homosexualité en tant que telle, d’une certaine
façon, en France: loi PétainDe Gaulle (19421945), sousamendement
Mirguet (1960) faisant de nous un « fléau
social ». Que la police nous traque comme des Arabes,
comme des jeunes, comme des Juifs. Que tout est fait
et fort bien pour qu’on se réfugie dans des boîtes (et ça
coûte cher, les boîtes), des clubs, des ghettos. Mais qu’on
n’apparaisse pas au grand jour. Les homosexuels refusent
ces poubelles. Ils défilent, ils manifestent, ils n’acceptent
plus la loi de ceux que nous appelons hétéroflics 1 Toute
forme de relation sexuelle et affective, qui aboutit à
une communication réelle avec l’autre, est bonne et
souhaitable. Et contre les psychanalystes bourgeois et
autres animaux de même espèce, nous affirmons que le
rapport homosexuel est un facteur de progrès humain.
Je réponds pour terminer à la critique stalinienne qui
consiste à dire: les homosexuels sont un produit du
capitalisme. Quand on avance ce genre d’argument,
on confond deux choses totalement différentes :
le comportement homosexuel avec ou sans relation
affective, avec l’identification d’un individu à une structure
particulière de la personnalité imposée du dehors. En ce
dernier sens, il est vrai que certains homosexuels se
sont laissé prendre au piège de la société bourgeoise, en
devenant ce qu’on voulait faire d’eux : une personnalité
pathologique, vicieuse, etc. Aujourd’hui, c’est en partant
de ce qu’on a fait de nous qu’on pourra se libérer de
cette structure particulière. Les homosexuels savent que
la libération passe par l’exposition de leur misère réelle.
D’où le style volontairement adopté dans TOUT. Style de
vespasienne, avez-vous dit ? Eh bien, oui. Car là est le
vécu de l’homosexuel, ce à quoi on l’a contraint « Il faut
rendre l’oppression réelle plus pesante en y ajoutant la
conscience de l’oppression, rendre la honte encore plus
infamante en la publiant. » Vous avez reconnu sans doute
?
Enfin, l’utilisation commerciale que certains pays font
de l’homosexualité (souvent dans le but d’exposer les
problèmes de l’hétérosexuel, sous forme symbolique. Voir
L’ESCALIER) ne nous laisse pas indifférents nous disons
aux commerçants, qui essaient de nous récupérer pour
développer leur Capital, qu’ils risquent fort de le perdre.
La libération sexuelle « truquée », nous la dénonçons et si
des hétérosexuels peuvent y croire, nous pas on connaît
la chanson.
Je crois avoir mis les choses au point. Mais je ne veux
pas conclure sans ajouter qu’il n’est pas nécessaire de
s’appeler Jean Genet pour être d’accord, homosexuel,
avec ce qu’il a dit. Sans doute, la prise de conscience
politique n’est pas déterminée essentiellement par la
relation sexuelle et Genet ne l’a pas caché ( j’aurais été de
leur bord de toute façon »), mais le rapport sexuel permet
d’approfondir cette prise de conscience à un niveau
instinctuel. Et alors, là, on va plus loin. Par conséquent,
votre surprise ne révèle que votre ignorance de ce que
vous n’avez pas vécu et éprouvé dans votre chair, à savoir
le sentiment d’exclusion, dû au racisme et la révolte qui
en découle.
A vous, un du F.H.A.R
“Rien ne nous permet de dire qu’un homosexuel ne
peut pas être lui aussi un révolutionnaire. Et ce sont
sans doute mes préjugés qui me font dire: même un
homosexuel peut être révolutionnaire. Bien au contraire,
il y a de fortes chances pour qu’un homosexuel soit parmi
les plus révolutionnaires des révolutionnaires.”

H. P. Newton, ministre de la Défense du B.P.P.
(Sur la juste lutte des homosexuels et des femmes, 5
août 1970.)

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Message  Byrrh Ven 4 Jan - 11:19

Pour rester sur le même thème — les homosexuels des classes populaires —, je reproduis cet extrait de l'intervention de Jean-Louis Bory aux Dossiers de l'Ecran, émission diffusée le 21 janvier 1975 sur Antenne 2. Bory y donne lecture d'un courrier qu'il a reçu. L'intégralité de la transcription a été publiée en 1975 aux éditions Robert Laffont sous le titre Les homosexuels aux Dossiers de l’écran.

[pages 18 à 22 :]

Je crois qu’il est très important que cette émission informe. Les très nombreux téléspectateurs méritent une information sans fausse pudeur, qui serait une hypocrisie, et sans provocation, qui serait une maladresse inutile. Il y a une réalité homosexuelle et si je suis là, c’est parce que l’homosexualité existe. Je n’avoue pas que je suis homosexuel, parce que je n’en ai pas honte. Je ne proclame pas que je suis homosexuel, parce que je n’en suis pas fier. Je dis que je suis homosexuel, parce que cela est.

Je dois ajouter que la composition de cette assemblée rend tout à fait compte de l’idée que la société se fait de l’homosexualité. Certes, je suis heureux de voir que mes craintes, en ce qui concerne les médecins, sont un peu diminuées. Mais il y a ici l’Eglise, en votre personne, mon Père, il y a les médecins, à la fois l’endocrinologue et le neuro-psychiatre, il y a enfin un parlementaire. L’Eglise, la Santé et la Loi, c’est-à-dire les piliers de la société. Et les homosexuels sont, je ne dis pas encore dans le box des accusés, mais ils sont en face. Par conséquent le fond du problème est celui-ci : l’homosexualité, en dehors de toutes questions de glandes ou de nerfs ou de psychoses, est d’abord un problème social.

En second lieu j’aurais aimé que cette téléspectatrice qui a protesté contre ce débat, ait protesté plutôt parce qu’il n’y avait pas de femmes sur le plateau. Car c’est un deuxième aspect de la réalité homosexuelle, de ce qu’elle est en vrai, et que, j’espère, nous cernerons : il y a une homosexualité féminine. Je regrette que le phallocratisme bien connu des Français empêche les femmes de s’exprimer sur le plan de leur sexualité propre.

Enfin la composition de la « délégation » homosexuelle est très révélatrice de l’idée que la plupart des gens se font de l’homosexualité. Peyrefitte, Navarre, Baudry et moi, nous sommes des bourgeois, des bourgeois intellectuels, et nous appartenons (surtout Navarre, Peyrefitte et moi) à cette frange de l’intellectualité bourgeoise qui est artiste. Pour la grande majorité des gens, le côté artiste, le côté bourgeois-intellectuel-artiste, est une espèce de rachat de l’homosexualité. Ce sont des « tantes », mais, Dieu merci, ce sont des artistes. C’est-à-dire que le fumier s’épanouit en une orchidée sublime que les gens acceptent. Je m’élève contre d’abord cette imposture, et contre ce ghetto intellectuel-artiste dans lequel on veut enfermer l’homosexualité. Je profite de l’occasion qui m’est donnée, pour justement émettre une protestation, au nom de tous ceux qui ne sont pas des bourgeois, qui ne sont pas des intellectuels, qui ne sont pas des artistes, ces veaux à cinq pattes (mais qui peuvent en avoir six) mais qui sont tout simplement des gens vivant leur homosexualité au jour le jour sans cet alibi de la culture… On dit : « Oh, les intellectuels… Bory, Navarre, Peyrefitte, ce sont des romanciers… » On établit une espèce de réserve apache, de zoo, ou, si vous voulez, de ghetto, dans lequel on enferme l’homosexualité. C’est un pare-feu, c’est un garde-fou. Eh bien, c’est une imposture.

J’ai reçu une lettre que je vais vous lire. Elle est courte, mais elle est importante, si l’on veut poser le vrai problème, qui est celui-ci :

« Cher Monsieur,

J’ignore si cette lettre vous parviendra à temps pour l’émission des « Dossiers de l’Ecran », j’ignore si elle vous sera remise. Si oui, au nom de milliers que nous sommes, divulguez-en le texte.

Si je prends la liberté de vous écrire, c’est pour vous dire de ne pas oublier de parler à tous les Français qui vous écouteront de l’homosexualité. Je veux dire non pas de cette homosexualité qu’ils croient connaître, l’apanage d’une certaine société, d’un monde artificiel, tel le monde du spectacle, mais de l’autre, de celle que connaissent des milliers de jeunes et de moins jeunes en France, ouvriers d’usine, bureaucrates, routiers, maçons, car là aussi on la connaît. Celle qui angoisse les jeunes, parce que nous sommes au fond de nos villages, parce que nous restons incompris, parce que nous avons peur qu’un patron découvre ce que nous sommes et, de ce fait, nous renvoie. Parce que nous avons peur de déclencher un drame familial, parce que nous nous sentons de l’autre côté de la barrière, un peu comme des exilés, des hors-la-loi. Je ne parlerai pas de l’inimitié que certains nous portent, bien souvent eux-mêmes des refoulés. Ce serait tomber dans le racisme.

Expliquez aux Français qui vous écoutent que nous ne sommes pas des monstres, que nous avons droit à l’Amour et au Bonheur. Expliquez que nous ne sommes pas ces caricatures grossières, ces marionnettes que l’on se plaît à montrer sur les scènes ou dans les dessins des humoristes. Expliquez que nous sommes capables de sentiments et de souffrances. Je plains toujours le père et la mère qui rient dans notre dos, qui nous critiquent, je les ai toujours plaints, car bien souvent leur fils, leur fille, ou un proche sont notre frère ou notre sœur. Alors, qu’on ne nous jette plus la pierre, que le dialogue soit franchement ouvert. Nous sommes trop nombreux, on ne peut plus nous ignorer. Merci pour nous tous. »


C’est une façon d’ouvrir le dialogue, et je voudrais qu’il soit poursuivi.

[…]

[pages 65 et 66 :]

Baudry parlait des lettres de quasi-suicidaires qu’il reçoit. Je reçois moi aussi un énorme courrier dans ce sens-là et je voudrais faire une allusion très précise à un garçon dont les parents sont devant le petit écran. Il avait vingt-cinq ans, il s’appelait Patrick et il s’est tué. Il avait une mère qui l’aimait beaucoup, qui était très au courant, un père aussi, et qui n’étaient pas du tout des bourgeois. La mère est employée des postes et le père menuisier. Patrick était homosexuel et il l’était donc sans être le moins du monde un bourgeois, ni un artiste ou un membre de l’intelligentsia. Il vivait dans une petite ville de province française que je ne nommerai pas. Les conditions que lui faisait son entourage étaient telles que, en dépit de l’amour de son père et de sa mère, il est parti à l’étranger, dans une ville étrangère où, victime du cafard ou d’une crise affective, il s’est tué.

La mère m’a écrit. Je suis en correspondance constante avec cette mère, et cette femme admirable, je tiens à le dire, chaque fois qu’elle le peut dans son tout petit milieu d’employées des postes d’une ville de province, chaque fois qu’elle entend ceux qui ricanent des « folles », cette mère explique, elle informe. Elle m’a écrit un jour : « Dans la mesure de mes très faibles moyens, j’essaie d’éviter qu’il y ait trop de Patrick. »

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Message  Byrrh Ven 4 Jan - 11:34

Et je reproduis également l'article de l'hebdo Lutte ouvrière qui a fait suite à la diffusion de cette émission, en soulignant les passages quelque peu problématiques. Juste après, on trouvera également un courrier de lecteur réagissant à cet article, et la réponse du journal précisant la position de l'organisation.

Lutte Ouvrière n°335 du 28 janvier 1975

Rubrique « Télévision »

Aux dossiers de l’écran

L’homosexualité


Les dossiers de l’écran, du mardi 21 janvier étaient consacrés à la question de l’homosexualité. Le débat avait lieu entre quatre écrivains, deux médecins, un théologien et un ex-député dont la principale action d’éclat fut d’avoir fait voter, en 1960, au Parlement, un amendement définissant l’homosexualité comme un fléau social.

Sur ce que son l’homosexualité et ses causes, ce débat n’aura rien apporté. Les quatre hommes de lettres, qui s’affirmaient ouvertement homosexuels, étaient là pour témoigner et dénoncer les tabous et les préjugés dont sont victimes les homosexuels. Explicite ou implicite, leur thèse était simple : certains sont, naissent ou deviennent homosexuels, exactement comme d’autres sont, naissent ou deviennent hétérosexuels. L’un est aussi normal que l’autre. Il n’y a donc aucune raison de persécuter en quoi que ce soit les premiers.

Les deux médecins, plus nuancés, plus embrouillés aussi, apportaient, qu’ils le veuillent ou non, de l’eau au moulin de cette thèse, en reconnaissant que la science et la médecine sont aujourd’hui encore tout à fait incapables d’expliquer l’homosexualité.

Et il n’y eut personne pour suggérer que, si ni le neuropsychiatre ni l’endocrinologue ne pouvaient trouver une solution au problème dans leur branche particulière, c’est que l’explication est au niveau social et non pas – c’est au moins ce que la médecine prouve par son aveu d’impuissance – au niveau d’une malformation ou encore d’une « maladie ».

Des millénaires d’oppression de la femme, des enfants, des classes « inférieures », de tabous, d’interdits et de préjugés pesant de tout leur poids sur la vie sexuelle – et bien entendu sur l’hétérosexualité d’abord, ce qu’ont oublié les participants du débat – voilà très certainement le terrain où une science sérieuse devrait s’efforcer de rechercher les causes de l’homosexualité et ses raisons d’être. Il n’y eut même pas une allusion, mardi soir, pour dire que la question devait sans doute être posée dans cette direction. Mais ce n’est là que la preuve que les sciences humaines, étouffées par les préjugés d’une société de classe, n’en sont même pas à leurs premiers pas dans un domaine comme celui-là.

Cela dit, le débat eut un mérite qui n’est pas mince : celui d’avoir posé avec sérieux un problème que l’hypocrisie et les préjugés commandent généralement de n’aborder qu’avec des ricanements, des rires gros et des sous-entendus. La dignité avec laquelle les quatre homosexuels présents dénoncèrent brimades, humiliations et préjugés dont sont victimes les homosexuels dans leur vie quotidienne était remarquable. D’autant plus remarquable qu’ils reconnaissaient aussi franchement que les véritables victimes n’étaient pas spécialement ceux qui étaient là ce soir et qui sont dans un milieu social relativement tolérant, qui sont même en quelque sorte protégés par leur qualité d’intellectuels et de bourgeois, mais ceux qui ne sont ni écrivains ni artistes, mais de simples petits-bourgeois ou travailleurs (et il y aurait, paraît-il, trois millions d’homosexuels en France).

Ajoutons que le seul à tenir un autre langage, l’ex-député Mirguet, était le repoussoir le plus parfait qu’on avait pu trouver. Falot, bredouillant, inconsistant, l’auteur de l’amendement classant comme fléau social l’homosexualité ne faisait pas le poids face, par exemple, à un Jean-Louis Bory. Tout ce qu’il put trouver comme excuse fut qu’il était nécessaire de protéger… la race blanche contre la dénatalité.

En le voyant, aucun doute n’était permis : même si l’on ne pense pas (et c’est notre opinion), contrairement à Jean-Louis Bory et Yves Navarre, que l’homosexualité et l’hétérosexualité soient à mettre exactement sur le même plan, que les hommes (et les femmes, qui ont été oubliées dans cette émission) peuvent être l’un ou l’autre indifféremment, sans conséquence d’aucune sorte, en tout cas, lutter contre les préjugés, combattre les brimades dont les homosexuels peuvent être victimes est un devoir.

M. l’ex-député était l’incarnation parfaite des préjugés du Français moyen, y compris dans ses tentatives de faire la part des choses. Mais ne critiquons pas trop Mirguet. Après tout, par l’image qu’il a donnée au petit écran, il aura peut-être contribué, sans le vouloir bien sûr, à porter un coup à la bêtise et à l’hypocrisie de la société qu’il défend.

Jacques MORAND.
Un courrier de lecteur réagissant à cet article, et la réponse de LO :

Lutte Ouvrière n°338 du 18 février 1975

Rubrique « Dans notre courrier »

A propos de l’homosexualité


Chers (es) camarades,

Je vous écris, pour vous féliciter sur l’article de Jacques Morand dans la rubrique télévision ayant trait à l’homosexualité dans le numéro 335 de LO.

Car à ma connaissance, c’est la première fois que je vous vois prendre position de façon assez objective.

Ce qui n’est pas le cas, de nombre de vos militantes et militants.

Je citerai en particulier cette petite phrase assez caractéristique où vous venez de franchir un petit pas certes, mais j’espère décisif ! « Lutter contre les préjugés, combattre les brimades dont les homosexuels peuvent être victimes est un devoir. »

Ceci dit, je ne suis pas entièrement d’accord sur les autres passages de l’article. Mon but présent n’est pas de vous l’expliquer maintenant, cela serait trop long, mais, comme je vous le formule plus haut, de vous encourager à vous défaire du carcan bourgeois et stalinien qui pèse sur votre idéologie, tout spécialement sur les problèmes ayant trait à la sexualité, la famille.

Recevez, camarades, mes salutations révolutionnaires.

D.T., Levallois (92).

----------------------------------

Réponse de la rédaction

Si nous avons à ton avis « franchi un pas », c’est sans doute pour la seule raison que tu ne connaissais que bien mal nos opinions, car nous n’en avons pas changé. En tant que révolutionnaires socialistes, nous luttons contre les préjugés qui, dans la société bourgeoise, tendent à faire considérer par un groupe d’hommes tel autre groupe comme inférieur, qui tendent à le mépriser, que ce soit pour des raisons de sexe, de couleur de peau, de religion, de nationalité, de langue… ou d’homosexualité. Nous pensons que c’est la société bourgeoise qui engendre l’égoïsme, l’individualisme et finalement le mépris pour les autres et les préjugés sociaux, dont le mépris envers les homosexuels fait partie. C’est à ce titre que nous combattons ce préjugé, comme nous combattons tous les autres.

Mais il y a une distance entre cette lutte sans réserve contre les préjugés et le fait de parer l’homosexualité de vertus révolutionnaires, comme l’ont fait un certain nombre de « gauchistes », et d’y voir le fin du fin de la lutte contre la morale bourgeoise, en décrétant que l’homosexualité est tout aussi « normale » que l’hétérosexualité et que qui prétend le contraire est un arriéré plein de préjugés. Cela revient à idéaliser ce qui n’est, en très grande partie, qu’un des nombreux comportements aberrants engendrés par la société bourgeoise.

C’est sans doute sur ce point que tu n’es pas d’accord avec nous. Mais ce n’est pas là céder sous un carcan « bourgeois et stalinien » comme tu le dis. C’est avoir un point de vue de révolutionnaires socialistes qui militent pour une autre société, qui permettra un véritable épanouissement humain.

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Message  verié2 Ven 4 Jan - 12:05

Il convient de rappeler que Jacques Morand (aujourd'hui dirigeant de la Fraction L'Etincelle) a depuis fait son "autocritique"...

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Message  alexi Ven 4 Jan - 12:22

Morand avait semble -t- il pris la précaution de se retrancher derrière la position de LO :

(...) même si l’on ne pense pas (et c’est notre opinion), (...)

alexi

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Message  alexi Ven 4 Jan - 12:37

Le film Les invisibles, toujours sur les écrans, évoquent plusieurs parcours de vie d'homosexuels d'un certain âge :

Thérèse Clerc, qui change de vie à 42 ans et co-fonde le FHAR.
Un jeune des JC, que sa cellule félicite pour être un bon vendeur de l'Huma mais qui lui demande de démissionner.
Un berger.
Un couple d' homosexuelles dans une grande entreprise poussées vers la sortie dans les années 70.
Une "Gouine Rouge" et quelques autres...

alexi

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Message  Byrrh Ven 4 Jan - 14:00

alexi a écrit:Le film Les invisibles, toujours sur les écrans, évoquent plusieurs parcours de vie d'homosexuels d'un certain âge :

Thérèse Clerc, qui change de vie à 42 ans et co-fonde le FHAR.
Un jeune des JC, que sa cellule félicite pour être un bon vendeur de l'Huma mais qui lui demande de démissionner.
Un berger.
Un couple d' homosexuelles dans une grande entreprise poussées vers la sortie dans les années 70.
Une "Gouine Rouge" et quelques autres...
Ce documentaire, malgré quelques longueurs, est effectivement intéressant et original, dans la mesure où il donne la parole à des femmes et des hommes banals et anonymes, homosexuels ou bisexuels, et qui ne sont pas tous des petits-bourgeois. Ça change.

Byrrh

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Message  sylvestre Ven 4 Jan - 15:13

J'ai changé le titre du fil pour refléter le caractère plus général qu'il a pris. Cela me permet aussi de reproduire cet extrait de lathèse de Jean-Paul Salles "La Ligue Communiste Révolutionnaire (1968-1981)"

On y constate que la position de départ n'était pas plus brillante à la LCR, même si, à travers des crises, l'orientation a été en partie corrigée au fil de la décennie.

Rouge parle de cette question pour la première fois au lendemain de la manifestation du 1er mai 1972, marquée par l'apparition spectaculaire du Front Homosexuel d'Action Révolutionnaire (FHAR). En organisant un cortège haut en couleurs, défi aux normes et valeurs bourgeoises, les homosexuels revendiquaient leur spécificité un peu comme les noirs américains avaient revendiqué leur négritude. Face à cette démonstration, dans un premier temps, l'hostilité de Rouge est totale. Certes Anna Libera affirme qu'il faut lutter contre la répression sexuelle sous toutes ses formes, mais elle exprime son désaccord avec les homosexuels du Fhar qui se comportent comme de "grandes folles[...] permettant à la presse bourgeoise et stalinienne de déconsidérer la manifestation toute entière aux yeux des travailleurs" et elle menace: "l'extrême gauche ne laissera pas dénaturer ses manifestations, même par le Fhar". La Ligue mettra du temps pour définir sa ligne dans ce domaine. Le mouvement ouvrier n'en est-il pas resté à l'image de l'homosexualité "tare de la bourgeoisie décadente?". Et chez les travailleurs, l'insulte de "pédé" est parmi les plus répandues. Même à l'intérieur de la Ligue, il n'est pas facile de se déclarer homosexuel. Les auteurs d'un texte interne n'hésitent pas à comparer la Ligue à l'armée, à la police, toutes trois "monde d'hommes". Les homosexuels de l'organisation ont donc tendance à se replier sur eux-mêmes, persuadés que ces problèmes ne sont pas politiques mais de l'ordre du privé. Yvan, pourtant membre du CC, attendra 5 ans avant d'annoncer son homosexualité, en 1975, à ses camarades de Dijon. Yvan parle d'un nécessaire travail d'éducation au sein de la LCR, "pour combattre les préjugés et les comportements qui engendrent l'oppression des homosexuels dans nos rangs". Lors du IIe congrès de la LCR (janvier 1977), il est décidé de créer une Commission Nationale Homosexualité (CNH). Elle appelle tous les homosexuel(le)s de l'organisation à une rencontre les 2 et 3 décembre 1977. On attend une cinquantaine de participant(e)s, avec lesquel(le)s il est prévu de faire le point sur la situation personnelle des homosexuel(le)s dans l'organisation et de lancer un travail de masse sur l'homosexualité. On repousse les arguments traditionnellement avancés pour refuser de s'engager sur ce front, tels que "la classe ne comprendrait pas, camarade...". On ne se cantonne plus désormais à la défense démocratique des homosexuels contre la répression. Il est décidé, après que plusieurs lecteurs aient déploré le silence de l'organisation sur ces questions, d'organiser l'intervention des militants chez les homosexuel(le)s.
Pour lancer cette intervention, on ne part de rien. Quelques militants parisiens sont déjà présents dans le Groupe de Libération Homosexuel - Politique et Quotidien (GLH-PQ), né le 14 décembre 1975 de la scission du GLH. Le GLH-PQ ne se contente pas de mener une lutte contre l'homophobie, pour la reconnaissance par la société de la différence homosexuelle. En menant une réflexion sur la sexualité humaine, sur le culte de la virilité, ces militants prétendent aller aux racines de l'oppression dont sont victimes les homosexuel(le)s et les femmes. Engager ainsi le combat permettra, prétendent-ils, une convergence avec le mouvement des femmes, et évitera le corporatisme, le repli sur le ghetto et la récupération par la bourgeoisie. Une fois acceptée l'idée de la nécessité d'un mouvement homosexuel autonome, un peu comme il existe un mouvement des femmes, sa construction n'est pas aisée. Cependant à la veille du IIIe congrès, la CNH est capable de publier des "thèses homosexualités". Le regroupement d'homosexuel(le)s sont considérés comme un phénomène "positif et nécessaire" et le travail des militant(e)s de la Ligue bien défini. La liste des revendications est longue et précise. Une lutte pour les droits démocratiques est proposée, pour l'abrogation des lois et décrets répressifs, ainsi que pour la reconnaissance de la liaison homosexuelle pour les droits qu'elle peut procurer (en matière de logement, de droits sociaux, de mutations professionnelles...). Après plusieurs années de travail, la Ligue semble bien armée pour intervenir dans ce milieu.
Mais le congrès qui aurait pu amplifier, encourager ce travail, est l'occasion d'une crise majeure de ce secteur. En effet, à une courte majorité le congrès refuse de débattre du projet de thèses présenté par la CNH. Cette attitude est très mal acceptée par trois des membres de la CNH, militants anciens et chevronnés de la Ligue, qui démissionnent aussitôt de l'organisation. Jean-Pierre Lorrain (11 ans d'organisation), Alain Sanzio (11 ans lui aussi) et Michel Villon (7 ans d'organisation) accusent la Ligue de vouloir construire "une société socialiste où les homosexuel(le)s n'auraient pas leur place". Les trois autres militants militants de la CNH (Yvan de Dijon, Suzette Triton de Paris, Jacques Fortin de Marseille) sont accablés, ils dénoncent "le comportement irresponsable, méprisant, condescendant" de la Ligue. Toutefois, considérant que seule une révolution socialiste permettra d'extirper les racines de l'oppression dont sont victimes les homosexuel(le)s, ils décident de rester à la Ligue. Ils maintiendront le lien avec ceux qui ont décidé de partir, notamment dans le cadre de la revue Masques, revue des homosexualités, dont le numéro 1 paraît en mai 1979. La Ligue, malgré cette crise, s'investit peu après dans le Comité d'Urgence Anti-Répression Homosexuelle (CUARH) créé en 1979. Un premier résultat est obtenu après la victoire de François Mitterand aux élections présidentielles de mai 1981, avec l'abrogation de l'article 331-3 du Code Pénal qui, interdisant à un(e) jeune de moins de 18 ans d'être homosexuel(le), introduisait une discrimination légale par rapport aux hétérosexuel(le)s, la majorité étant fixée à 15 ans.
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Message  Byrrh Ven 4 Jan - 15:22

sylvestre a écrit:On y constate que la position de départ n'était pas plus brillante à la LCR, même si, à travers des crises, l'orientation a été en partie corrigée au fil de la décennie.
En fait, l'article d'Anna Libera, en 1972, a suscité une réaction d'un lecteur, publiée dans l'un des numéros suivants de "Rouge". A ce courrier d'un membre du FHAR, un autre dirigeant de la Ligue a répondu par un texte nettement plus juste politiquement. On peut donc dire que la Ligue a rectifié le tir immédiatement.

Je reproduirai ces textes ce soir.

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Message  verié2 Ven 4 Jan - 15:30

Le plus horrible parmi les textes de LO reproduits plus haut, c'est moins la position obscurantiste exprimée par Morand, qui souligne tout de même à diverses reprises la volonté de lutter contre les discriminations, que la réponse à Jean Genêt (que je ne connaissais pas ou avais oubliée). Avec des expressions comme "un journal dont le contenu
est à la hauteur de graffitis de pissotières
", ce texte fleure en effet la hargne homophobe.
Et il faut bien dire que cela correspondait à l'état d'esprit d'un certain nombre de camarades...

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Message  Byrrh Ven 4 Jan - 19:38

verié2 a écrit:Avec des expressions comme "un journal dont le contenu est à la hauteur de graffitis de pissotières", ce texte fleure en effet la hargne homophobe.
Eh bien paradoxalement, je préfère la franchise de cette formule méprisante, au laïus pseudo-scientifique du style "un des nombreux comportements aberrants engendrés par la société bourgeoise" (avec sa variante, entendue par moi de la part du N°1 de LO en Lorraine : "maladie mentale causée par le capitalisme, qui disparaîtra sous le socialisme").

Pseudo-scientifique, car je ne pense pas que les nombreuses espèces animales qui connaissent l'homosexualité soient influencées d'une quelconque manière par la société bourgeoise...

sylvestre a écrit:J'ai changé le titre du fil pour refléter le caractère plus général qu'il a pris.
Le but de ce fil était surtout, au départ, de parler du vécu homosexuel dans les classes laborieuses. Il y a sans doute de quoi faire deux fils. Mais ça ne me dérange pas qu'on mêle tous ces sujets ensemble, Maurice Cherdo et Jean-Louis Bory pouvant voisiner avec la LCR et LO.

Byrrh

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Message  Byrrh Ven 4 Jan - 22:26

Byrrh a écrit:
sylvestre a écrit:On y constate que la position de départ n'était pas plus brillante à la LCR, même si, à travers des crises, l'orientation a été en partie corrigée au fil de la décennie.
En fait, l'article d'Anna Libera, en 1972, a suscité une réaction d'un lecteur, publiée dans l'un des numéros suivants de "Rouge". A ce courrier d'un membre du FHAR, un autre dirigeant de la Ligue a répondu par un texte nettement plus juste politiquement. On peut donc dire que la Ligue a rectifié le tir immédiatement.

Je reproduirai ces textes ce soir.
Voici les articles en question :

Rouge n°156 du 6 mai 1972

A propos du FHAR


Contrairement aux vertueux censeurs du PCF – et de leur ombre portée à l’extrême-gauche : l’AJS-OCI – nous ne nous érigeons pas en sourcilleux champions de la morale sexuelle bourgeoise. Libre aux réformistes de propager les préjugés, les interdits, les stéréotypes que véhiculent les normes sexuelles de notre société bourgeoise. Les révolutionnaires savent que ces normes sont répressives et oppressantes. Ils sont partie prenante de la lutte contre la répression sexuelle sous toutes ses formes, même si la ligne de cette lutte n’est pas toujours simple à définir. Dans la mesure de leurs moyens, ils soutiennent et participent à ces combats.

C’est dire que nous n’avons aucune hostilité de principe contre la lutte que mènent les homosexuels contre l’ostracisme dont les entoure la société bourgeoise.

Nous n’en trouvons que plus lamentable les grotesques exhibitions du FHAR (1), lors des dernières manifestations. Défiler en travesti, ce n’est pas lutter contre la morale bourgeoise et la répression anti-homosexuelle : c’est au contraire participer de l’idéologie bourgeoise en assumant le rôle, l’image, le statut dérisoire qu’elle assigne aux homosexuels. En se comportant comme des « grandes folles », les homosexuels du FHAR révèlent peut-être à quel point ils sont victimes de l’oppression sexuelle bourgeoise. Ils ne contribuent pas à la combattre. Au contraire, ils ridiculisent et déconsidèrent leur cause. La tradition bourgeoise présente le « pédé » sur le mode de la dérision. En restant sur ce terrain, les militants du FHAR demeurent dans la tradition bourgeoise.

Il incombe à l’ensemble des organisations révolutionnaires d’obtenir du FHAR un changement d’attitude politique. D’autant plus que la presse bourgeoise et stalinienne, flattant bassement les préjugés les plus grossiers, exploitent avec délectation la poignée de travestis pour déconsidérer la manifestation toute entière aux yeux des travailleurs. L’extrême-gauche révolutionnaire ne laissera pas dénaturer ses manifestations, même par le FHAR. L’oppression abjecte dont sont victimes les homosexuels excuse beaucoup de choses. Elle n’autorise pas tout. Nous espérons que les militants du FHAR le comprendront.

A.L. [Anna Libera]

(1) Front des Homosexuels Révolutionnaires.
Article de Rouge cité quelques jours plus tard dans Lutte ouvrière. Le (nouveau) titre et le texte introductif en gras sont de LO :

Lutte Ouvrière n°194 du 16 mai 1972

Rubrique « Revue de la presse d'extrême gauche »


La « juste » cause des homosexuels !

Après le défilé du 1er mai à Paris, l’organe de la Ligue Communiste s’adresse aux militants du F.A.H.R., leur demandant d’être plus responsables et plus politiques. C’est oublier que le combat sur le terrain choisi par le F.A.H.R. implique forcément l’exhibitionnisme et l’irresponsabilité vis-à-vis du combat prolétarien. Quant à nous, nous ne pensons pas que la lutte pour l’homosexualité se confonde avec la lutte pour le socialisme.


Contrairement aux vertueux censeurs du PCF – et de leur ombre portée à l’extrême-gauche : l’AJS-OCI – nous ne nous érigeons pas en sourcilleux champions de la morale sexuelle bourgeoise. Libre aux réformistes de propager les préjugés, les interdits, les stéréotypes que véhiculent les normes sexuelles de notre société bourgeoise. Les révolutionnaires savent que ces normes sont répressives et oppressantes. Ils sont partie prenante de la lutte contre la répression sexuelle sous toutes ses formes, même si la ligne de cette lutte n’est pas toujours simple à définir. Dans la mesure de leurs moyens, ils soutiennent et participent à ces combats.

C’est dire que nous n’avons aucune hostilité de principe contre la lutte que mènent les homosexuels contre l’ostracisme dont les entoure la société bourgeoise.

Nous n’en trouvons que plus lamentable les grotesques exhibitions du FHAR (1), lors des dernières manifestations. Défiler en travesti, ce n’est pas lutter contre la morale bourgeoise et la répression anti-homosexuelle : c’est au contraire participer de l’idéologie bourgeoise en assumant le rôle, l’image, le statut dérisoire qu’elle assigne aux homosexuels. En se comportant comme des « grandes folles », les homosexuels du FHAR révèlent peut-être à quel point ils sont victimes de l’oppression sexuelle bourgeoise. Ils ne contribuent pas à la combattre. Au contraire, ils ridiculisent et déconsidèrent leur cause. La tradition bourgeoise présente le « pédé » sur le mode de la dérision. En restant sur ce terrain, les militants du FHAR demeurent dans la tradition bourgeoise.

Il incombe à l’ensemble des organisations révolutionnaires d’obtenir du FHAR un changement d’attitude politique. D’autant plus que la presse bourgeoise et stalinienne, flattant bassement les préjugés les plus grossiers, exploitent avec délectation la poignée de travestis pour déconsidérer la manifestation toute entière aux yeux des travailleurs. L’extrême-gauche révolutionnaire ne laissera pas dénaturer ses manifestations, même par le FHAR. L’oppression abjecte dont sont victimes les homosexuels excuse beaucoup de choses. Elle n’autorise pas tout. Nous espérons que les militants du FHAR le comprendront.

A.L.

(1) Front des Homosexuels Révolutionnaires.


Dernière édition par Byrrh le Sam 5 Jan - 12:23, édité 1 fois

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Message  Byrrh Ven 4 Jan - 22:35

Quelques semaines plus tard, on pouvait lire dans Rouge un droit de réponse d'un militant du FHAR, suivi d'une mise au point de Michel Lenoir pour la Ligue Communiste. Le courrier d'Alain-Noël Fleig est un exemble du blabla situationniste habituel d'une partie des animateurs du FHAR. Je trouve la réponse de Michel Lenoir très appropriée.

Rouge n°159 du 27 mai 1972

Encore une fois à propos du FHAR


A la suite de l’article de « Rouge » sur la manifestation du FAHR au sein du défilé des organisations révolutionnaires le 1er mai, nous avons reçu plusieurs lettres. Nous publions la suivante d’un militant du FAHR.

Lettre du FHAR

Paris, le 9 mai 1972

Camarades,

C’est sans surprise, mais avec une certaine gêne néanmoins, que nous avons pris connaissance de l’article intitulé « A propos du FHAR ».

Oh, certes, nous sommes parfaitement conscients des problèmes que nous pouvons vous poser, mais ce sont vos problèmes, et nous n’avons pas à nous en excuser ; par contre nous nous étonnons qu’il vous faille quinze lignes de justifications et d’atermoiements, de proclamations de bonne volonté (qu’il n’est nullement question de mettre en cause), avant d’en venir au vif du sujet : à savoir qu’il nous faudrait rentrer dans le rang, sinon gare.

Je trouve pour ma part ce ton paternaliste et ces menaces à peine voilées un peu fort de café pour des révolutionnaires ; je vous en prie, laissez ce langage aux Pompidou et aux bourgeois « libéraux ».

Vous nous accusez d’assumer par notre comportement l’image que la bourgeoisie se ferait de nous. Qu’importe ce que pense la bourgeoisie et puis, ça n’est pas si simple ; les « gouines et les pédés » se proclament tels et défilant sur le pavé, dans la rue, ça n’est pas précisément le rôle que nous assigne la bourgeoisie. Qu’importe si, comme vous le dites, nous ridiculisons notre cause. D’abord ça n’est pas seulement « notre » cause et puis notre cause ça n’est pas, surtout pas, la reconnaissance apitoyée du « problème homosexuel ». Vous souhaiteriez qu’on émeuve par notre dignité, n’est-ce pas ? Qu’on fasse la preuve de notre sérieux, la preuve que nous sommes de vrais hommes ?

Non. Et ne vous en faites pas, nous ne sommes pas près d’être récupérés. Justement ces provocations volontaires auxquelles nous nous livrons et notre attitude anarchique, délirante ou folklorique, comme il vous plaira (vue l’étymologie du mot, ce serait plutôt flatteur d’ailleurs), suffisent à couper les ponts que certains voudraient tout de même jeter : après tout, les homosexuels ce sont aussi des consommateurs et des électeurs.

(…) Après tout, à chacun sa méthode et c’est parce que nous sommes plus sujets que d’autres à la récupération, d’où qu’elle vienne, que volontairement nous devons rendre la dérision plus dérisoire encore, la honte plus honteuse jusqu’à ce qu’elle éclate.

De toute façon, camarades, nous entendons être les seuls juges de notre comportement et de la validité de nos actions. On en a marre qu’on nous dise comment nous devons aimer, comment nous devons baiser, comment nous devrions défiler et comment on devrait concevoir la Révolution. On n’a pas de leçon à recevoir et je crois même qu’étant doublement exploités, doublement prolétaires, on pourrait nous écouter un peu et sans condescendance.

Vous allez même jusqu’à nous trouver des excuses ; merci mon père, avec un pater et deux ave, ça ira-t-y ? Nous n’avons pas besoin de commisération ni de justification. Contrairement à beaucoup parmi les dirigeants révolutionnaires, ça n’est pas dans les livres que nous avons découvert l’exploitation, l’oppression et la forme de misère sociale dont est victime le prolétariat ouvrier et sexuel : cette oppression, c’est dans notre chair que nous la ressentons quotidiennement, en tant qu’homosexuel, en tant que travailleur et en tant que femme pour la moitié d’entre nous.

Si vous nous aviez bien regardés le 1er mai, ou même à l’enterrement de Pierre Overney, vous auriez vu que ce n’était pas un spectacle que nous donnions, ça tenait plutôt de l’« exorcisme » ; le « spectacle » c’était vous.

(…) Vous prétendez qu’il incombe à l’ensemble des organisations révolutionnaires d’obtenir de nous un changement d’attitude. Par quel moyen, camarades ? Par la force ?

Vous écrivez aussi : « L’extrême-gauche révolutionnaire ne laissera pas dénaturer ses manifestations ». Elles vous appartiennent donc ? Faut-il à votre tour vous rappeler que la rue est à tout le monde ? Vous n’avez pas le monopole de la Révolution, d’où tenez-vous qu’il y ait une seule vraie bonne façon de penser, une seule vraie bonne façon d’agir, par quelle vérité révélée ?

Bon, on va pas se fâcher, mais quand on lit des énormités pareilles on se demande si c’est « Rouge » qu’on a sous les yeux, ou l’« Aurore ». J’ai vu il y a peu un truc du genre : « La République ne laissera pas dénaturer ses institutions par une poignée de prétendus révolutionnaires ». En l’occurrence c’était vous, entre autres, qui étiez visés.

Au fond vous êtes bien sympas, vous vous « déclarez partie prenante dans la lutte contre la répression sexuelle » ; mais la bourgeoisie libérale aussi et presque pour les mêmes raisons. Vous ne semblez pas avoir compris que cette sexualité justement était à la base même du phénomène de l’exploitation socio-économique que vous dénoncez et contre quoi vous entendez lutter. Il n’est pas besoin d’être freudien pour constater cette évidence que les rapports de domination quels qu’ils soient sont d’origine sexuelle et que la lutte sur le terrain économique, toute nécessaire qu’elle soit, n’est qu’une lutte au niveau des effets et qu’il serait peut-être bon simultanément, si l’on ne veut pas voir se reproduire comme à chaque fois l’échec du vrai projet révolutionnaire, de s’attaquer aussi à la cause, en démolissant systématiquement tous les tabous, toutes les inhibitions sexuelles. La lutte des classes, c’est aussi la lutte du sexe – trop longtemps canalisée au profit de l’« ordre » et du travail – qui entend se libérer.

C’est une des tâches que le FHAR s’est données et pour cela tous les moyens sont bons, tout ce qui peut contribuer à briser les schémas mentaux traditionnels de cette culture judéo-chrétienne, est positif ; votre réaction même, dans la mesure où elle amorce un dialogue, est positive. La révolution ne peut être que globale et « culturelle » (au sens civilisation du mot culturel), et je crois que la seule chance du vrai révolutionnaire, c’est la remise en question continuelle.

Par ailleurs et pour terminer, je vous signale que nous n’avons pas jugé bon de répondre aux bassesses de l’« Humanité Rouge » ou de « Lutte Ouvrière », parce qu’en fait les vrais travestis, les folles maquillées en rouge, ce sont eux.

Salutations révolutionnaires.
Alain-Noël Fleig

--------------------------------

Révolution sociale et révolution sexuelle

En l’absence d’une réflexion approfondie préalable sur ces questions, les marxistes-révolutionnaires se refusent à caractériser a priori l’homosexualité comme un vice, une déviation, un simple produit de la décadence bourgeoise. Dans une société où toutes les normes et les valeurs sont perverties et renversées par l’oppression capitaliste, ils se refusent à apprécier l’homosexualité comme pathologique par rapport à un « normal » dont on ne sait pas précisément s’il est l’amour hétérosexuel selon Paul VI, le Dr Müldworf ou Wilhelm Reich.
Les homosexuels constituent dans la société capitaliste, une minorité globalement décriée et méprisée du fait de l’idéologie dominante, soumise à des discriminations matérielles et juridiques (1).
Entre autres choses, ce discrédit jeté sur l’homosexualité renvoie bien évidemment à la règle d’or du moralisme bourgeois selon laquelle toute activité sexuelle non orientée vers la procréation (c’est-à-dire vers la production d’exploités potentiels) est suspecte et condamnable. La répression contre les homosexuels en société capitaliste est donc partie intégrante de la répression de toute sexualité libre. Elle est le pendant de la glorification permanente de la Famille bourgeoise dans le cadre de la sainte trilogie Travail, Famille, Patrie.

Surenchérissant sur les préventions bourgeoises les plus rétrogrades vis-à-vis des homosexuels, les opportunistes dans le mouvement ouvrier et notamment les staliniens flattent les préjugés spontanés de la classe ouvrière sur cette question, tout comme sur les questions de la famille, de la drogue, etc… Une telle attitude est foncièrement réactionnaire. Les marxistes-révolutionnaires ne peuvent éduquer les masses et les conduire à la révolution qu’en allant à contre-courant des préjugés inculqués par l’idéologie dominante. Aussi, de même que nous n’hésitons pas à proclamer que le socialisme créera les conditions de la Famille bourgeoise [sic : il faut plutôt lire "créera les conditions de la disparition de la Famille bourgeoise"], de même nous n’hésitons pas à dénoncer comme bourgeoises les préventions actuellement répandues contre les homosexuels.

La volonté actuellement proclamée, dans des pays capitalistes, d’un certain nombre d’homosexuels de refuser de dissimuler plus longtemps comme une tare leur « différence » est un indice supplémentaire de l’effondrement du système des valeurs bourgeoises et de la radicalisation croissante de couches toujours plus vastes. A New-York en 71 s’est déroulée une manifestation de quelque 30 000 homosexuels réclamant la suppression de toute discrimination sociale et juridique à leur égard. Aux USA, les contours du « Gay Liberation Movement » se dessinent comme ceux d’un mouvement de masse permanent. En France, le même phénomène s’est traduit par l’apparition sur la scène de l’extrême-gauche du FHAR. Le problème est que le FHAR, dans son ensemble, ne se considère pas, a priori, comme un mouvement politique mais comme le simple regroupement d’une minorité sexuelle opprimée. Pour lui, l’oppression sexuelle détermine l’oppression économique. Rien d’étonnant donc à ce que, dans la tête et dans la pratique d’un certain nombre de ses militants, les critères de classe de leur révolte se dissolvent intégralement ; rien d’étonnant à ce qu’ils ne saisissent pas clairement que, pour que leur « différence » cesse d’être une malédiction, c’est tout l’ordre social économique et politique bourgeois qui doit être supprimé ; rien d’étonnant donc à ce que certains d’entre eux se soucient aussi peu d’opérer leur jonction avec le mouvement ouvrier et révolutionnaire organisé, seul instrument efficace pour la suppression de l’ordre bourgeois qui les opprime ; à ce que, dans leurs apparitions publiques, comme celles du 1er mai, ils ne tiennent aucun compte de la façon dont l’opinion publique en général et la classe ouvrière en particulier les percevront. Une telle désinvolture nuit à l’action militante des homosexuels conscients et des révolutionnaires en général. Il appartient aux militants conscients du FHAR de se démarquer d’une aile petite-bourgeoise incapable de s’élever à ce niveau élémentaire de conscience révolutionnaire. C’est sur ces points simplement que voulait attirer l’attention l’article – trop bref – paru dans l’avant-dernier numéro de Rouge.

Michel Lenoir.

(1) A titre d’exemple, rappelons que le livre « Rapport sur la normalité » rédigé par des militants du FHAR et publié aux éditions « Champ libre », a été interdit à la vente aux mineurs par Marcellin.

Byrrh

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Message  Babel Sam 5 Jan - 13:01

Merci, Byrrh, beau travail.
Plus que le rappel des petites médiocrités qui jalonnent aussi l'histoire de la gauche radicale (la reconnaissance de l'altérité n'est jamais une chose acquise, mais toujours le résultat d'un combat), c'est l'évocation poignante de Maurice Cherdo, ce militant ouvrier de la cause homosexuelle dont j'ignorais tout, qui m'a le plus touché.
Mon souvenir de ces années-là reste lié de manière indissociable à la figure de Guy Hocquenghem, dont les éditions Agone ont republié la Lettre Ouverte, il y a quelques années.

Babel

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Message  Byrrh Sam 5 Jan - 13:54

Babel a écrit:Merci, Byrrh, beau travail.
Plus que le rappel des petites médiocrités qui jalonnent aussi l'histoire de la gauche radicale (la reconnaissance de l'altérité n'est jamais une chose acquise, mais toujours le résultat d'un combat), c'est l'évocation poignante de Maurice Cherdo, ce militant ouvrier de la cause homosexuelle dont j'ignorais tout, qui m'a le plus touché.
Je ne suis pas mécontent d'avoir un jour découvert son histoire, qui était tombée complètement dans l'oubli.

Mon souvenir de ces années-là reste lié de manière indissociable à la figure de Guy Hocquenghem, dont les éditions Agone ont republié la Lettre Ouverte, il y a quelques années.
Hélas, à part cette "Lettre ouverte" à ceux qui ont renié les engagements de leur jeunesse, je ne crois pas qu'il y ait grand-chose de valable à lire sous la plume de Guy Hocquenghem, notamment sur la question homosexuelle. Et j'utilise là un euphémisme, tant ses écrits sur cette question me semblent délirants voire nuisibles.

Je préfère conseiller la lecture de gens comme Jean-Louis Bory ou Pierre Hahn, si l'on veut rester dans la période des années 70.

Byrrh

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Message  Roseau Sam 5 Jan - 16:25

Je dois avouer que je ne l'ai pas lu...
Par contre je dois témoigner, pour avoir milité à Paris dans la même orga,
que Guy fut un militant révolutionnaire (JCR) de grande valeur, avant et pendant 68.
Roseau
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Message  Byrrh Mar 8 Jan - 12:55

Quelques autres articles de cette époque :

Rouge n°202 du 27 avril 1973

Traitement de choc

« Le malade (un homosexuel) est invité à examiner une série de diapositives représentant des hommes nus et à les classer par ordre d’intérêt… Parallèlement, le malade est invité à classer de la même façon des diapositives représentant des femmes… On définit alors sur le malade les coordonnées physiques d’un choc électrique très désagréable (fourni par une batterie de voiture de 12 volts). On prévient le malade que les diapositives vont lui être projetées mais qu’une décharge électrique accompagnera au bout d’un certain temps les photos masculines. Il pourra alors s’il le désire, arrêter à la fois la projection et le choc douloureux en appuyant sur le bouton placé à la portée de sa main… il ne recevra jamais le choc électrique tant que l’écran restera sans image ou qu’une photo féminine sera projetée… Si la douleur n’est pas suffisante pour lui faire appuyer sur l’interrupteur, l’intensité du courant est augmentée progressivement… Chaque traitement comporte environ 25 essais et dure à peu près 20 minutes. Les malades hospitalisés reçoivent deux séances par jour… »

S’agit-il d’un scénario pour un film d’anticipation du genre « Orange mécanique » ? Non, mais d’un extrait d’un ouvrage du docteur Rognant, plus précisément de son rapport sur les « Thérapeutiques de déconditionnement dans les névroses » (Tome II, pages 1571-1572), présenté au congrès de psychiatrie et de neurologie de langue française de 1970 et publié chez Masson. La bibliographie très fournie avec des statistiques portant parfois sur plus de cent cas montre que loin d’être la découverte d’un sadique en mal de notoriété, ces méthodes sont largement répandues aux USA et commencent à être introduites en France.

Notre inquiétude s’accroît encore, lorsqu’en feuilletant le tome I à la page 9, nous découvrons que l’auteur psychiatre dans la marine à Brest, représentait officiellement pour ce congrès M. Michel Debré. On sait qu’un officier, pour parler en public doit demander une permission et soumettre son chef-d’œuvre à ses supérieurs. Rognant n’est donc pas un franc-tireur ; sous couvert de science, certains rêvent d’un ordre fasciste s’étendant au-delà de l’armée.

Byrrh

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