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Système prostitueur vs abolitionnisme

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Système prostitueur vs abolitionnisme - Page 2 Empty Re: Système prostitueur vs abolitionnisme

Message  Achille Mar 17 Déc - 18:22

jeudi 3 octobre 2013

Prostitution - La stigmatisation et le mythe entourant le statut de victime

par le Front des Norvégiennes Kvinnefronten


Voici la troisième et dernière partie d’une brochure que des féministes norvégiennes ont préparée à l’intention des personnes qui désirent comprendre les arguments et contre-arguments du débat sur la prostitution.

STIGMATISATION DE LA VICTIME

Le syndrome vierge et putain

La division traditionnelle des filles et des femmes entre les rôles opposés de vierge/putain est une forme efficace d’oppression sexiste. Elle atteint chaque individue, femme ou fille, et elle divise les femmes en tant que groupe.

Cette dichotomie vierge/putain a pour fonction d’assigner des limites à la liberté sexuelle des femmes et aux droits sexuels des femmes et des filles. Nous sommes toutes contraintes à jouer les funambules sur un fil tendu entre ces deux pôles : être sexuellement extrovertie, pour ne pas sembler ‘ennuyeuse’, mais si nous le sommes, risquer d’être stigmatisée comme ‘salope’ ou ‘pute’.

La plupart des filles et des femmes essaient de composer avec ces pressions au meilleur de leurs possibilités. Mais en fait, quoi que fasse une fille, n’importe quel homme peut encore la traiter de ‘pute’ si le cœur lui en dit. Même une fille qui n’a jamais eu de rapport sexuel peut être qualifiée de ‘pute’.

Insultes et pouvoir

Les insultes sont une manière de blâmer des victimes pour un rapport de force qu’on leur inflige. Traiter des filles et des femmes de ‘putes’ est un mode typique de harcèlement sexuel, qu’il ait lieu à la maison, à l’école, au travail ou lors d’une sortie. Les hommes n’ont que ce mot à la bouche pour désigner les femmes qui sont dans la pornographie ou la prostitution. Et pour un agresseur sexuel, cette insulte est souvent une façon de justifier sa supériorité et sa violence sexualisée – tout comme les insultes racistes servent à justifier la violence raciste.

Être victime

Mais dans notre société morcelée (9) qui n’en a que pour les individu·e·s, il est bien sûr plus difficile de repérer de tels schémas.

Pour couronner le tout, il y a aussi le mythe entretenu au sujet du statut de victime : être une victime, de nos jours, est souvent dépeint comme le contraire de la force, comme une incapacité d’‘assurer’. Ceci amène bien des personnes à fermer les yeux sur leur propre oppression – pour éviter d’être perçue comme une victime (impuissante).

Pourtant, le véritable contraire du statut de victime, c’est celui d’agresseur. Parler de victimes, c’est désigner la présence d’une oppression. Cela ne concerne en rien les caractéristiques de la victime ; ces personnes peuvent souffrir à différents degrés, elles peuvent être fortes ou faibles (et le sont souvent simultanément !), ou il peut s’agir de personnes opiniâtres qui font leurs propres choix. Bref, se retrouver en position de victime n’est pas un trait de personnalité.

Fortes et faibles à la fois

Au 19ème siècle, quand la classe ouvrière augmentait en nombre, il était naturel pour les travailleurs-euses de se reconnaître victimes d’une oppression. C’était même le fait d’être une victime qui donnait aux gens la force de lutter contre l’oppression !

À cette époque, il n’y avait donc pas de contradiction entre une condition de victime et une identité de personne forte, en lutte. Les gens voyaient les choses dans l’autre sens : les gens qui batifolent à travers leur vie sans le moindre souci n’ont pas à se battre et à faire preuve de force. Ce sont plutôt nous, les victimes, qui sommes simultanément fortes et faibles, vulnérables et opiniâtres, et toujours en lutte.

Ceux qui bénéficient de ce mythe de la victime sont ceux qui tirent bénéfice d’une oppression permanente.

34. Le seul problème affectant la prostitution, c’est l’image négative qu’on s’en fait.

Si seulement c’était aussi simple ! J’ai entendu quelqu’un comparer la prostitution au fait de mendier sur la rue : la mendicité et la prostitution sont de vieux phénomènes, engendrés par une société inéquitable. Les deux se fondent sur la différence entre les femmes et les hommes, comme entre les pauvres et les riches. Pouvoir et subordination. On peut toujours trouver quelqu’un qui mendie non par nécessité, mais pour « sortir un peu », ou « se faire quelques ronds », mais son exemple ne change pas la nature de base de la mendicité. Mendier rend l’inégalité visible, et c’est pour cette raison que cette activité est humiliante pour le ou la mendiante. C’est la même chose pour la prostitution. La honte est projetée sur la victime, quel que soit le nom qu’on donne à cette dernière.

35. Si l’on mettait fin à la stigmatisation des putes, la prostitution ne serait pas un problème.

Non, ce n’est pas comme ça que ça fonctionne. La stigmatisation infligée à la ‘pute’ est typique de la plupart des formes d’oppression : il s’agit d’en rejeter la responsabilité sur les opprimé·e·s. « On colle la honte aux victimes » : c’est le premier vers d’un poème de Kjersti Ericsson, qui est un appel au soulèvement contre l’oppression. On blâme la victime. Faute de quoi, nous pourrions apercevoir son agresseur et la réalité de ce qu’il lui fait.

La prostitution tire aussi son origine d’une vision puritaine* de la sexualité, qui associe celle-ci à la saleté, la honte, et la culpabilité. La pornographie et la prostitution ont besoin du puritanisme pour créer l’impression d’une transgression de limites. Beaucoup de délinquants-prostitueurs recherchent aussi la pornographie parce qu’ils y voient une sexualité sale et honteuse.

C’est pourquoi les apologistes de la prostitution ont tort d’affirmer que son seul problème tient à sa stigmatisation. Parce que tant que l’oppression durera, la stigmatisation restera.

Et nous ne parlons pas ‘simplement’ de l’oppression qui prend la forme de la prostitution parce que, de la même façon, tant que durera la division des femmes en « vierges ou putains », la stigmatisation demeurera aussi.

36. Si la prostitution était perçue comme un travail, la stigmatisation disparaîtrait.

Rien n’est moins sûr ! En Hollande, en Allemagne, dans certaines parties de l’Australie et dans l’État américain du Nevada, où la prostitution est déjà considérée comme du « travail du sexe », les femmes prostituées sont tout aussi stigmatisées qu’ici.

En contrepartie, ceux qui ne sont pas stigmatisés du tout sont les délinquants – proxénètes, tenanciers de bordels et prostitueurs – que l’on a maintenant transformés en respectables ‘hommes d’affaires’ et leurs ‘clients’.

37. Les féministes font des prostituées des victimes.

Non, c’est faux. Il y a une différence entre opprimer sexuellement quelqu’un et rendre cette oppression visible. Ce que font les féministes, c’est mettre en lumière ce qu’est la prostitution et qui en tire bénéfice ; elles montrent que la prostitution fait partie d’un certain modèle social, qu’elle n’est pas seulement « un contrat entre deux personnes », entre autres excuses.

Si vous pensez que les féministes font des femmes prostituées des « victimes », vous ne connaissez pas grand-chose au féminisme. Réfléchissez-y un peu. Les féministes s’activent contre l’oppression. Nous travaillons dans des refuges pour femmes et pour jeunes filles, nous nous soutenons dans des groupes d’entraide, nous donnons des cours d’auto-défense féministe et nous travaillons à des changements politiques. Ce que nous faisons, c’est nous soutenir les unes les autres pour pouvoir changer nos conditions de vie, pour que les filles et les femmes n’aient pas à demeurer plus longtemps victimes de l’oppression patriarcale !

Par ailleurs, on dirait que vous voyez les femmes prostituées comme des ‘autres’. Qu’est-ce qui vous fait croire que ces femmes ne peuvent pas être des féministes ? Beaucoup des féministes qui luttent contre le système prostitutionnel le font à partir d’un vécu personnel aux prises avec cette industrie.

38. Une telle n’est pas / Je ne suis pas du genre victime !

Bien sûr que vous n’êtes pas du « genre victime », puisqu’il s’agit d’un mythe : personne n’est victime comme trait de personnalité. Mais en prenant une telle position, vous risquez plutôt de nier l’oppression !

C’est pourquoi il est si important de dégonfler ce mythe entourant les victimes. Il existe peu de victimes complètement impuissantes, malgré ce que persiste à nous dire la culture du viol omniprésente dans les médias. En réalité, nous les femmes et les filles faisons tout ce que nous pouvons pour survivre dans une société créée par les hommes et selon leurs intérêts. Même celles d’entre nous qui ont souffert plus longtemps de violences répétées, comme l’inceste ou la violence d’un mari, tentons d’éviter la violence dans la mesure du possible – bref, nous sommes simultanément des victimes et des survivantes.

C’est dire que personne n’est « du genre victime » – il s’agit d’un mythe créé par les oppresseurs pour se défiler face à leur propre responsabilité.

39. Refusez qu’on vous traite de pute !

Ou, variante opposée : Ça me plaît d’être une salope et je fais ce que je veux !

Vous savez, je comprends très bien pourquoi une fille qu’on traite à l’école de ‘pute’ ou de quelque autre mot équivalent peut vouloir faire un enjeu de « refuser d’être traitée de pute ». Mais cela équivaut à se laisser piéger. D’abord, cela suggère que vous vous dissociez des femmes en prostitution et, deuxièmement, que les hommes peuvent continuer à juger la sexualité des femmes, aussi longtemps que l’on maintient cette division elle-même.

Bien sûr, prendre plaisir à une identité de ‘salope’ peut sembler une façon d’émousser les insultes et de se donner le droit de faire ce que l’on veut. Mais la vierge et la putain sont les deux faces d’une même médaille – l’une ne peut exister sans l’autre. Alors, en pratique, le fait de vous qualifier de ‘salope’ ne signifie pas que vous êtes à l’aise dans votre sexualité, mais tout le contraire, c’est-à-dire accepter de vous définir à partir des deux conceptions puritaines et patriarcales de la sexualité qui divisent les femmes.

Personnellement, j’aimerais mieux rejeter toutes les divisons patriarcales entre les femmes : il n’y a ni putes ni vierges, nous sommes toutes des filles et des femmes et nous définissons nos vies sexuelles exactement comme nous le souhaitons !

LA MORALE

De quoi s’agit-il ?

Lorsqu’on tente de remettre en question la pornographie ou la prostitution, on apprend vite à entendre des réflexions comme « Faites-vous de la morale ? »

Ces réactions n’ont pour but que de vous faire paraître démodée et réactionnaire – on veut vous faire taire sans avoir à discuter de ce que vous avancez réellement.

Le personnel et le social

En fait, ce que l’on appelle notre ‘morale’ n’est rien d’autre que les valeurs sur lesquelles nous basons nos pensées et nos actes. Chacun-e de nous possède sa morale personnelle et ses propres valeurs. De plus, il y a aussi la morale de la société, ou morale générale, soit les valeurs que la plupart des gens de notre société partagent (ou dont ils et elles peuvent apparemment convenir). C’est pourquoi la morale générale a tellement varié d’une société, d’une culture et d’une époque à l’autre.

La morale sexuelle

Tout cela est assez évident. Mais pour une raison ou une autre, on dirait que beaucoup de gens oublient ces bases quand des questions morales se posent au sujet de la sexualité. Mais y a-t-il une raison pour laquelle la sexualité serait le seul domaine dénué de valeurs ?

En fait, la morale sexuelle est un mot-valise désignant les valeurs relatives à la sexualité – des valeurs personnelles ou sociétales –, qui peuvent être « libérées », « critiques du sexe », ou tout autre chose.

C’est dire que quiconque émet une opinion sur la façon dont les gens devraient se comporter par rapport à quelque chose « fait de la morale ». Et beaucoup de gens en font, y compris ceux qui accusent les autres d’être des moralistes... L’historienne suédoise Hjördis Levin a écrit ce qui suit dans son livre sur l’histoire de la morale sexuelle sociale : « Personne n’a songé au fait que rejeter toute forme de morale était une autre façon de faire de la morale. »

Un avantage de comprendre ce qu’est la morale est de se rendre compte que ni notre morale personnelle ni celle de notre société n’ont à être fixées une fois pour toutes. Chacun·e de nous peut changer de valeurs. Et notre société peut changer les siennes de la même façon – c’est pourquoi nous avons ce dialogue !

40. Être contre la prostitution n’est qu’une attitude de moraliste – vous faites de la morale.

Oui, bien sûr, j’ai des opinions et des valeurs – et sur des tas de sujets, en fait. Dont particulièrement l’oppression. Pas vous ?

Quel mal y a-t-il soudain à se référer à la morale ? Je m’oppose à toutes sortes de choses pour des raisons morales : la cruauté envers les animaux, la maltraitance des enfants, l’exploitation des gens, etc.

S’il y a une chose qui incarne une morale surannée, n’est-ce pas la prostitution ? Cette vision du sexe est le reflet de vieilles structures sociales, où la femme était « possédée » par son homme. La sexualité tarifée et la sexualité maritale exigeaient de la femme qu’elle s’ajuste et obéisse à son seigneur et maître. Pas question que j’endosse cette façon vieillie et misogyne d’envisager la sexualité !

41. Le gouvernement a-t-il quelque chose à voir avec ce que font deux adultes au lit ?

Bien sûr que oui ! C’est pourquoi nous avons des lois contre la violence conjugale, et c’est pourquoi le viol – y compris le viol marital – est prohibé en Suède.

La violence sexualisée des hommes contre les femmes nous entoure de partout, sous toutes sortes de formes, mais c’est généralement à la maison, et souvent jusque dans la chambre à coucher, que les femmes et les filles souffrent de la violence masculine sexualisée.

42. Les personnes qui s’opposent à la pornographie et à la prostitution font tout à fait le jeu de la droite chrétienne.

Non, c’est le contraire ! Beaucoup d’études (suédoises autant qu’internationales) montrent que les délinquants-prostitueurs consomment plus de pornographie que les autres hommes. Et une étude états-unienne montre que plus un homme est conservateur et féru de religion, plus il est susceptible d’acheter de la pornographie en ligne. Ce sont les Mormons de l’État de l’Utah qui consomment le plus de porno sur le Net. (10)

Cela démontre que c’est plutôt l’industrie du porno et de la prostitution qui est liée de près à la droite chrétienne. Les deux sont fondées sur le puritanisme, le deux poids-deux mesures, et sur l’idée que le sexe est censé se faire aux conditions des hommes.

Nous, les féministes, sommes opposées à cette vision de la sexualité – que ce soit la version de la droite chrétienne ou celle des apologistes de la prostitution.

43. Vous essayez juste de m’imposer votre morale !

J’aimerais évidemment que vous, comme tout le monde, adoptiez la conviction que personne ne doit acheter personne. C’est une question de valeurs humaines fondamentales.

Mais je ne veux rien vous imposer. Ce qui compte pour moi n’est pas l’état de votre opinion, ou celle de qui que ce soit d’autre. Mais je réclame haut et fort le droit de me battre pour une société qui dit non à l’esclavage sous toutes ses formes, et dans laquelle les femmes sont considérées comme des êtres humains – ayant des droits humains.

44. Quiconque s’oppose à la prostitution cherche à limiter la sexualité.

Absolument pas ! Même en fermant les yeux sur tout ce que nous savons de ce qu’est réellement la prostitution (ce qui est évidemment impossible) et en ne considérant que « le sexe » qui y est pratiqué, y a-t-il quoi que ce soit de plus limité que le sexe dans la prostitution ? Pour moi, le sexe tarifé est à la fois inhibé et monotone. Qu’est-ce qui pourrait être plus ennuyeux et plus limité qu’une sexualité entièrement dénuée de liberté ou de spontanéité ; se contenter d’être ce que l’homme a commandé et payé d’avance, rien de plus ?

Je suis contre la prostitution pour beaucoup de raisons, l’une étant que je n’aime pas l’idée d’une sphère commerciale qui s’empare même de la sexualité des gens. J’aime le sexe spontané !

LA SEXUALITÉ

Beaucoup de gens peuvent penser, instinctivement, que la sexualité est quelque chose de purement biologique. Mais en fait seules nos pulsions sont biologiques ; nos actes sexuels, nos désirs, nos attirances et nos penchants prennent forme tout au long de notre vie, en fonction de nos souvenirs d’expériences passées, et de l’influence de notre époque et du monde. C’est pourquoi on dit souvent que la sexualité est une « construction sociale ». Malheureusement beaucoup de gens s’en tiennent là – sans commencer à se demander qui ‘construit’ la sexualité et de quelle façon.

Nous manquons de mots

Les personnes d’idéologie libérale ont souvent du sexe une vision entièrement positive, sans exceptions. Mais cette optique nous prive de mots pour rendre compte d’actes de pouvoir sexualisé, comme la transgression progressive des limites, où une situation qui nous semble agréable à prime abord peut tourner au viol de la part d’un proche. Il n’y a pas non plus de mots pour exprimer une excitation sexuelle négative, facteur qui peut rendre une agression encore plus traumatisante, si l’agresseur a suscité chez vous une réaction sexuelle.

Voilà pourquoi il est important de lutter contre le puritanisme, qui a pris de l’ampleur en Suède avec la prolifération de la pornographie. Il nous faut trouver des mots pour exprimer tous nos sentiments sexuels, positifs et négatifs, puisque mettre nos expériences en mots nous aide aussi à les comprendre.

Explorer notre propre sexualité

La sexualité peut être une force très intense dans la vie de chacune et chacun. Elle peut vous donner de l’énergie, de la puissance, du plaisir et du désir, transporter votre corps et votre âme, vous procurer un bon sommeil et vous aider à réaliser vos projets. Mais elle peut aussi être destructive et vous meurtrir. Ou n’être qu’un intermède fastidieux. Enfin, elle peut aussi être exploitée par d’autres personnes.

Cela rend encore plus nécessaire de réfléchir à notre sexualité : pourquoi est-elle ce qu’elle est ; est-elle ou non ce que je veux qu’elle soit ?...

Le pouvoir et la subordination comme excitants

La norme sexuelle de notre société est l’hétérosexualité. Mais peu importe que nous nous voyions comme hétéro, homo ou bisexuel·le, nous apprenons toutes et tous à trouver excitant le concept de réalités opposées. Toutes les normes sexuelles, tout ce qui est décrit comme féminin ou masculin, est sexualisé, y compris les différents niveaux du pouvoir exercé dans la société. Dans le patriarcat, la position de pouvoir des hommes hétérosexuels est étroitement intégrée à notre conception de base de ce qu’est « le sexe ».

Les garçons naissent dans une société où ils apprennent que le sexe est basé sur leurs pulsions et sur leurs besoins, tandis que nous les filles apprenons à percevoir notre corps comme un objet à façonner pour éveiller la sexualité d’un garçon, c’est à dire au bénéfice de quelqu’un d’autre. On l’entraîne, lui, à être un sujet, elle, à être un objet.

De plus, nous vivons aujourd’hui dans un monde où tout est de plus en plus commercialisé, y compris les relations entre les gens. Même les soins de santé sont maintenant discutés en termes de « biens et services ».

Évidemment, ceci affecte aussi la sexualité, qui devient perçue elle aussi comme une chose qui peut être « consommée », plutôt que comme une rencontre sexuelle entre personnes, à court ou à long terme.

La prostitution

Dans une société marquée par cette tendance patriarcale à consommer l’autre, la prostitution a une place de choix. Plus le corps des femmes est vu comme un objet, plus il est transformé en « marchandise ». Et un corps qui peut être vendu appartient à son acheteur.

C’est pourquoi les féministes se sont de tout temps opposées à la prostitution, à l’objectification, aux normes sexuelles du patriarcat, et se sont battues pour le droit des femmes à vivre notre propre sexualité.

45. Les hommes fréquentent des prostituées parce qu’ils veulent une femme qui aime le sexe.

Voyons donc... Il est complètement illogique de prétendre que les hommes achètent des femmes prostituées pour trouver quelqu’un qui veut réellement d’un rapport sexuel avec eux. Si un homme voulait s’assurer de trouver une femme qui « aime le sexe », il ne paierait jamais : il chercherait une femme qui fait l’amour parce qu’elle en a envie, pas parce qu’elle est payée pour ça.

46. Les opposant·e·s à la prostitution ont toujours l’air de dire que le sexe doit toujours être agréable, comme si c’était « magique ». (…Alors que ce n’est qu’un acte comme n’importe quel autre)

Non, je ne crois pas que le sexe soit en soi quelque chose de « magique » (sauf quand il l’est ! ), mais ce n’est pas non plus un acte anodin. Notre sexualité est étroitement imbriquée à notre personnalité. Par exemple, le fait de se percevoir comme hétéro, homo, bisexuel-le ou autre, joue souvent un rôle dans notre identité.

Notre sexualité, ce qui nous stimule ou nous inhibe, comprend les souvenirs de nos premières expériences sexuelles. Celles-ci s’intègrent au tissu de notre personnalité, qu’elles aient été mémorables ou triviales.

Mais on ne peut nier cette importance de la sexualité comme élément de notre personnalité.

47. Si elle aime le sexe et veut gagner de l’argent de cette façon, où est le problème ?

Les femmes ont une sexualité qui ne se réduit pas à satisfaire les hommes – même si une femme prostituée peut jouer ce jeu face au prostitueur. Un rapport sexuel joyeux et égalitaire est affaire de désir réciproque, peu importe si c’est avec quelqu’un de nouveau ou qui partage notre vie depuis plus de 30 ans. La prostitution, au contraire, ne concerne que le ‘rapport’ que l’homme commande et paie – peu importe qui est la femme louée et ce qu’elle aime ou n’aime pas.

C’est là qu’est le problème. La prostitution est une forme d’agression sexuelle, la plupart du temps commise par des hommes utilisant des femmes. En tant que féministe, je suis opposée à cela !

48. Quelle différence y a-t-il entre la prostitution et un couple qui va au lit après que l’homme ait payé à boire à la femme durant toute la soirée ?

Avec cette question, vous niez aux femmes le droit à une sexualité bien à elles. Vous semblez croire que les femmes n’éprouvent pas de désir par elles-mêmes, qu’elles peuvent seulement se prêter aux désirs des garçons et des hommes, à condition que ceux-ci paient pour, en argent comptant ou en consommations.

La journaliste suédoise Annika N. Lindqvist explique la situation ainsi : « La prostitution, qui en général consiste en l’achat de corps de femmes par des hommes, se fonde sur un vieux moralisme périmé et sur la négation de la propre sexualité des femmes. Une société où la prostitution est largement répandue ne peut nous convenir à nous qui faisons l’amour par plaisir et gratuitement avec une personne de notre choix. »

49. Être anti-prostitution, c’est être anti-sexe.

Non, c’est tout à fait le contraire ! Si vous aimez le sexe, vous devriez être contre la prostitution. Aussi disons-nous avec l’auteure suédoise Louise Eek :

« Ce n’est pas considéré comme original ou branché de s’opposer au système prostitutionnel. Il est censé être plus “cool” de promouvoir l’accès tarifé à son corps. Pour ma part, je suis contre l’exploitation, qu’elle soit consciente ou pas. Je n’aime pas non plus gagner de l’argent sur le dos des autres. Je préfère faire l’amour, baiser à fond de train, avoir des rapports souvent ou rarement, mais le faire parce que nous en avons vraiment envie, et non parce qu’on nous paie pour satisfaire les besoins de quelqu’un d’autre. »

EN SOMME…

Dans cette brochure, nous avons essayé de proposer des réponses aux arguments les plus courants entendus au sujet de la prostitution. Mais pour conclure, nous aimerions prendre le problème à rebours, en exprimant nos propres raisons de contrer la prostitution et d’appuyer la loi suédoise qui interdit l’achat d’actes de prostitution.

1. La prostitution est du pouvoir sexualisé. Un pouvoir basé sur le genre, sur la classe sociale, sur l’ethnicité, etc.

2. Le fondement de la prostitution est la violence sexuelle infligée aux enfants. La majorité des personnes achetées en contexte prostitutionnel ont souffert d’autres formes d’agressions sexuelles avant d’arriver là, ce qu’elles font souvent aux alentours de 14 ans.

3. La prostitution fait du mal aux femmes. Les femmes vivent en prostitution de la violence sexualisée et risquent de contracter des maladies et des traumatismes psychologiques. De plus, ce sont toutes les femmes qui souffrent de la subordination des femmes et du principe qu’on peut les acheter.

4. La prostitution est un mode d’oppression. Des hommes achètent l’accès aux femmes et humilient celles qu’ils utilisent. De même, la dichotomie “vierge/putain” entrave la liberté de l’ensemble des filles et des femmes.

5. La prostitution est de l’impérialisme. Des hommes occidentaux violent des femmes et des enfants du tiers-monde, que ce soit en s’y rendant ou en achetant à domicile des victimes de la traite. Ce n’est pas non plus une coïncidence si tant de femmes utilisées dans la prostitution, par exemple au Canada, en Amérique du Sud, en Nouvelle Zélande et en Afrique, proviennent des populations indigènes de ces pays.

6. La prostitution nous dérobe à nous les femmes le droit à notre propre corps. Les garçons apprennent qu’ils ont droit à du sexe et au corps des femmes, alors que les filles apprennent à façonner leur corps pour en faire quelque chose qui excite les garçons. On attend des hommes qu’ils agissent en sujets, et des femmes qu’elles soient des objets.

7. L’égalité ne peut être réalisée tant que des hommes peuvent acheter des femmes. La sexualisation des structures du pouvoir patriarcal est le contraire même de l’égalité.

8. La prostitution sabote une sexualité basée sur le désir. La prostitution contribue à l’objectification des femmes, et à la marchandisation/réification du sexe.

9. Criminaliser les femmes en prostitution équivaudrait à rendre illégale la condition de victime de violence sexualisée.

10. Ne pas criminaliser les délinquants-prostitueurs revient à accepter l’oppression que nous venons de décrire.




Notes

9. Il s’agit d’une technique éprouvée de suppression (décrite par la féministe norvégienne Berit Ås) : la double contrainte, où l’on est perdante quoi qu’on fasse.
10. « Markets Red Light States : Who Buys Online Adult Entertainment ? », Benjamin Edelman, Journal of Economic Perspectives, No 1/2009.



Achille

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Système prostitueur vs abolitionnisme - Page 2 Empty Re: Système prostitueur vs abolitionnisme

Message  Achille Mar 17 Déc - 18:23


Un entretien avec Christine Delphy – Politis


[Publié en octobre dernier et effectué par Ingrid Merckx, l'entretien suivant est extrait du n°1272 de la revue Politis. Je le reproduis avec l'aimable autorisation de Christine Delphy et d'Ingrid Merckx - merci à toutes deux.]

Le Lieu-dit, à Paris, était comble le 28 septembre pour la conférence organisée avec Christine Delphy à l’occasion de la réédition de son ouvrage phare. «L’Ennemi principal est un document de référence dans les études féministes. Ses deux tomes retracent l’évolution d’une pensée en mouvement», a souligné la sociologue Sylvie Tissot. Exemple : à propos du mariage pour tous, où Christine Delphy est passée du manque d’intérêt – «Ma génération était plutôt pour la suppression du mariage pour tout le monde» – au soutien. Une fracture s’est dessinée entre cette féministe « marxistematérialiste et radicale » et plusieurs jeunes auditrices à propos de la transsexualité. « Je ne vois pas en quoi soutenir une femme qui veut devenir un homme, et donc passer dans le camp de l’oppresseur, est un combat féministe », a-t-elle déclaré.

Environ trente ans se sont écoulés entre le premier article, éponyme, de l’Ennemi principal et le dernier article. Quelle différence d’impact entre alors et maintenant ?
Christine Delphy: Il n’y en a pas tant que ça. L’article le plus connu, « L’ennemi principal », porte sur les grandes structures du patriarcat et l’exploitation économique des femmes. Cela n’a, malheureusement, pas beaucoup changé. Le non-partage du travail dit domestique est quasi le même. Le travail paraprofessionnel – que les femmes font pour leur mari sans recevoir de rétribution (comptabilité, accueil des clients, travaux en tous genres…) – a un peu diminué, notamment avec le déclin de l’agriculture. Mais de nouveaux métiers indépendants se sont créés. Et, dans ce domaine, on ne sait rien des inégalités.


Quels mouvements avez-vous opérés en trente ans ?
Je n’ai pas changé d’avis. « L’ennemi principal » est une sorte d’article programmatique que je n’ai cessé d’approfondir par chapitres. J’ai montré que les obligations des femmes persistaient dans le divorce, que la consommation présumée égale dans une famille est totalement inégale, que l’héritage n’est pas égalitaire. J’ai également développé la démarche matérialiste en opposition à l’idéalisme et au naturalisme.

Vous avez toujours déploré le manque de reconnaissance par les marxistes de la spécificité de l’oppression féminine. Vos détracteurs sont-ils restés les mêmes ?
Mes détracteurs, de moins en moins nombreux, sont toujours ceux qui pensent que le capitalisme est la cause de tout. Le système patriarcal préexistait au capitalisme. Le système capitaliste n’a pas de raison de faire de différence entre les sexes. S’il en fait, c’est bien qu’il y a collusion entre capitalisme et patriarcat. Le capitalisme actuel appuie le système le plus spécifique de l’oppression patriarcale, soit l’extorsion de travail gratuit aux femmes. Car les femmes travaillent aussi sur le marché du travail et, là, elles sont sous-payées par rapport aux hommes. C’est encore plus évident dans les pays en développement. Maxence Van der Meersch, romancier du début du XXe, disait que les ouvrières étaient payées juste assez pour ne pas avoir de quoi vivre et être obligées de coucher avec le contremaître. Ce qui est quand même la base de la prostitution…

La pénalisation des clients n’a pas été abordée lors de votre conférence. Le sujet divise les féministes…
En effet, le sujet les divise, mais la majorité, dont moi, défend une pénalisation des clients pour lancer un message : ça n’est pas bien d’acheter les services sexuels de quelqu’un. Il faut changer les mentalités par rapport à cet acte. Il ne s’agit pas de mettre une fin brutale à la prostitution, ce qui reviendrait à pénaliser les prostituées, mais de commencer à faire comprendre aux gens que, finalement, la prostitution est un viol payé.
Je comprends les prostituées qui ont peur de perdre leurs clients. Malheureusement, il y aura toujours assez de clients. Dans la proposition « Abolition 2012 », il est question d’abolir le délit de racolage passif, supprimé par Mitterrand, rétabli par Sarkozy. C’est ce délit qui précarise les prostituées et non la pénalisation des clients. C’est vrai, avec la pénalisation, la prostitution changera de forme, mais cela entraînera un changement de regard pour les générations suivantes. Un interdit n’a pas d’effets tout de suite.
La vérité, c’est que les gens qui, en France, défendent ce qu’ils appellent le «travail du sexe» voudraient que le proxénétisme cesse d’être un délit. Les pays qui ont « légalisé la prostitution » ont en fait légalisé le proxénétisme. Le débat semble être sur la prostitution, mais la prostitution n’est pas illégale en France, seul le proxénétisme l’est. Il existe un débat masqué pour que les prostituées travaillent dans des centres ou dans des «cabinets», et éventuellement les unes pour les autres : que le proxénétisme ne soit plus poursuivi.

Votre position sur la transsexualité déclenche des réactions vives. Cela vous surprend-il ?
La question de la transsexualité se pose beaucoup plus maintenant. Mais, dans cette démarche, on perd de vue la lutte féministe : pour la disparition du genre. Quand le mouvement a commencé, en 1970, c’était une réunion d’individus – on était féministe chacune dans son coin et on faisait ce qu’on pouvait –, qui est devenue une lutte collective. Il semblerait qu’on abandonne l’idée de lutte collective pour une transformation sociale. On parle d’actes de « subversion » individuelle ou de « résistance » individuelle. C’est le cas dans le mouvement queer. On a l’impression que tout ce qu’on peut espérer, c’est mettre quelques grains de sable dans le système et non plus le défaire. Il reste bien des luttes collectives : contre la prostitution et les violences sexuelles, pour le respect du droit à l’avortement… Mais l’arrivée du queer me paraît rencontrer une démarche individualiste pour que des personnes changent de catégorie, sans remettre en cause ces catégories.
Je m’intéresse aux subjectivités, et cette démarche doit être soutenue dans le cadre du droit à la dignité de chaque personne ; mais elle ne constitue pas un combat politique dans le sens où elle ne propose pas un changement des structures de la société.

Avez-vous le sentiment de ne pas retrouver aujourd’hui le combat de votre génération ?
Pour moi, envisager en priorité des changements individuels exprime une certaine résignation. C’est ce que dit Judith Butler : on ne va pas changer le système, tout ce qu’on peut faire c’est jouer sur les marges. Je comprends, bien sûr, que des filles veuillent devenir des garçons, et vice versa, mais je décèle une espèce de malentendu sur ce qu’est une structure sociale : peut-on généraliser le transsexualisme ? Est-ce une solution à l’existence de la hiérarchie des genres ?

Où en est la lutte féministe ?
Il y a régulièrement des périodes de stabilisation où l’on vous dit : aujourd’hui, c’est l’égalité. C’est le cas en ce moment où les hommes gagnent toujours 35 % de plus que les femmes tandis qu’ils n’effectuent que 20 % du travail domestique ; mais on laisse entendre aux femmes : « Mieux qu’aujourd’hui, vous n’y arriverez pas, ou alors vous allez perdre l’amour des hommes » – éternel grand levier ! Nous connaissons donc une période de reflux du féminisme. La grande majorité des femmes sont effrayées à l’idée de perdre au change en poussant pour l’égalité. Mais ça va revenir. Je sens chez des jeunes trentenaires une grande exaspération contre le système. La question, c’est : vont-elles être assez connectées entre elles ?

Propos recueillis par Ingrid Merckx

Achille

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Message  Achille Mar 17 Déc - 18:24

Abolitionnistes du système prostitueur : ce que nous sommes, ce que nous voulons !

par le Mouvement du Nid et plusieurs organisations féministes



À voir les réactions passionnelles – et souvent outrancières – qui pimentent le débat sur la prostitution et l’éventuelle pénalisation des clients prostitueurs (qui après tout sont une minorité), on est en droit de penser que la question touche un point douloureux du corps social : celui de la mise à disposition sexuelle des femmes pour le plaisir masculin. Nous, abolitionnistes, défendons une idée audacieuse et novatrice : celle d’en finir avec ce symbole de la domination des hommes sur les femmes.

Ce que nous sommes

Nous parlons en qualité de témoins : chaque jour, dans le huis clos de nos associations de terrain, loin des plateaux de télévision, nous entendons des personnes prostituées nous dire la vérité de ce qu’elles vivent : violences, mépris, humiliations, insultes qui, si elles sont évidemment parfois le fait des policiers ou des riverains, sont d’abord le fait des "clients". C’est leur parole qui nous permet d’affirmer que, pour la grande majorité de celles et ceux qui en vivent, la prostitution est une violence.

Mais nous parlons aussi en qualité de citoyens. L’axiome "je paye, tu t’exécutes" n’est pas précisément le projet de rapports hommes/femmes que nous ambitionnons. Nous ne voulons pas d’une société où certains hommes continuent de faire leur marché sexuel parmi des femmes – et des hommes – que la précarité, les violences ou la traite ont relégués dans la prostitution. Nous ne voulons pas d’une Europe où certains pays, dits réglementaristes, ont promu les proxénètes au rang d’hommes d’affaires ; où les "clients" consommateurs, sûrs de leur bon droit, continuent de faire comme si les femmes, de toute éternité, "étaient là pour ça"… Quel goût peut avoir la liberté dans ces pays où les bordels low cost proposent désormais des femmes en soldes ? Pour nous, toute prostitution est une défaite pour les femmes, pour les hommes et le vivre-ensemble. Et un triomphe pour la précarité et les violences. Notre souci est un souci de justice, d’égalité et de progrès.

Ce que nous voulons

Nos exigences sont simples. La première est l’abrogation du délit de racolage et de toutes les mesures de répression à l’encontre des personnes prostituées ; mais aussi des mesures de protection, d’accompagnement social et d’alternatives, pour toutes, y compris pour les étrangères.

La seconde vise l’interdiction d’acheter un acte sexuel et la pénalisation des clients prostitueurs. Cette interdiction, associée à l’abrogation du délit de racolage constitue ce que les abolitionnistes appellent, et réclament, depuis plusieurs années : l’inversion de la charge pénale. Elle n’est ni l’effet d’une lubie ni d’un goût pour la répression mais un choix politique qui fait déjà ses preuves dans plusieurs pays européens, notamment en Suède. Il est en effet urgent de contrer l’explosion de la traite des femmes, une entreprise criminelle dont les proportions atteignent aujourd’hui des dimensions sans précédent et qui n’a d’autre fin que servir le "plaisir" des prostitueurs.

Enfin nos associations demandent le renforcement de la lutte contre le proxénétisme, une politique pénale d’indemnisation effective des victimes de proxénétisme et la mise en place d’une politique ambitieuse d’éducation à la sexualité et de prévention de la prostitution.

Ce que nous ne voulons pas... et que beaucoup voudraient nous attribuer

Définir une bonne et une mauvaise sexualité. Nous menons un combat pour la libération sexuelle. Une sexualité libérée de l’ordre moral, mais aussi des rapports de domination et de l’emprise du marché. Refuser qu’un rapport sexuel puisse être imposé par l’argent n’est pas une entreprise de restriction des sexualités. C’est au contraire une exigence d’égalité qui permet l’expression d’une sexualité libre.

Nier l’existence du consentement de celles et ceux qui choisiraient de se prostituer. L’addition de consentements individuels ne suffit pas à faire un projet de société. Certains "consentent" à travailler pour moins que le smic (NDLR : aide sociale de base). Cela n’empêche pas la société de condamner légitimement tout employeur qui paierait un salarié moins que le smic. D’autres "consentent" à se séparer d’un organe et à la vendre pour vivre ou survivre. Cela n’empêche pas la société d’interdire l’achat d’un organe.

Porter un projet idéologique et utopiste. Abolir ne signifie pas éradiquer. L’abolition de l’esclavage n’a pas conduit à son éradication immédiate. Par contre, l’abolition a engagé l’État et toute la société aux côtés des esclaves et contre le système esclavagiste. L’abolition du système prostitueur, c’est un nouveau consensus social, un choix de société, une qualification de la violence prostitutionnelle qui permet ensuite et enfin d’adopter une série de mesures inscrites dans le cadre d’une politique globale et cohérente.

Pour nous, il est temps d’en finir avec le plus archaïque des "droits de l’homme", celui d’"aller aux putes". Si l’on peut certes disposer de son propre corps, on ne peut pas disposer, sur un claquement de doigts et un froissement de billet, du corps de l’autre. Aucun citoyen responsable ne devrait plus se sentir le droit d’imposer un acte sexuel par l’argent. Notre pays s’honorerait donc de mener cette bataille progressiste pour libérer la sexualité de l’emprise du marché et de la présenter pour ce qu’elle est : une avancée pour les droits humains.


Les signataires : Mouvement du nid, Collectif féministe contre le viol, Fédération nationale solidarité femmes, Centre national d’information sur les droits des femmes et des familles (CNIDFF), Osez le féminisme, Coalition Against Trafficking in Women (CATW), Femmes solidaires, Amicale du nid, Clara Magazine, Association française des femmes de carrières juridiques (AFFCJ), association Mémoire traumatique et victimologie, Regards de femmes, Femmes en résistance, Mouvement jeunes femmes, Les Trois Quarts du Monde, Collectif Alouette, L’égalité c’est pas sorcier, Espace Simone de Beauvoir, Coordination française pour le lobby européen des femmes.


Achille

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Message  Achille Mar 17 Déc - 18:25

mercredi 10 avril 2013

La prostitution, le STRASS et la sénatrice - La pertinence de la transparence

par La Fondation Scelles



La sénatrice du Val-de-Marne (en France) Esther Benbassa (EÉLV) a publié sur son site le 6 février 2013 une liste d’associations auxquelles elle alloue des fonds cette année, au nom de la réserve parlementaire dédiée au financement de « projets locaux ». Dans la présentation qui en est faite, l’accent est clairement mis sur le concept de transparence, comme l’illustre notamment le choix du titre (« Réserve parlementaire 2013 : solidarité, culture et transparence »(1).

La liste des divers groupes voit se côtoyer 7 associations subventionnées pour produire des ateliers ou des événements à vocation culturelle ; 3 pour mettre en place des colloques ou lieux de réunion ; 2 afin de créer des ateliers pour des groupes de femmes ; 1 pour une aide alimentaire aux plus démunis ; et enfin 1 pour le STRASS, le syndicat du travail sexuel. Ce mouvement, créé en 2009 lors des Assises de la prostitution à Paris, regroupe un ensemble d’individus exerçant majoritairement une activité prostitutionnelle, et militant pour la reconnaissance de celle-ci.

Décider de financer le STRASS signifie que ce groupe est considéré au même titre que les autres associations subventionnées, telles que l’« Association des Femmes maliennes de Montreuil : Mise en place d’un atelier couture » ; « Les Restaurants du cœur du Val-de-Marne : Aide alimentaire aux famille du Val-de-Marne en difficulté » ; ou encore « Le Cinéma s’expose : Réalisation de dossiers pédagogiques sur l’histoire du cinéma et les métiers du cinéma pour les élèves et collégiens ».

Dans les parties suivantes, il s’agira de tenter de déterminer si tel est bien le cas, et d’essayer de comprendre le fonctionnement et les motivations du STRASS, hors du tableau qu’en dépeignent ses membres, à travers trois axes majeurs : une brève étude du STRASS lui-même, en mettant bout à bout les quelques informations publiques à son sujet ; les chiffres qu’il utilise et sa manière de les obtenir ; et enfin, la stratégie de communication de ce syndicat, avant de conclure sur sa nature même.

1. Le STRASS, un syndicat comme les autres ?

Le syndicat du travail sexuel est un groupe visant principalement à promouvoir la parole, à faire reconnaître et à mener des actions en faveur de ce que ses sympathisants nomment les « travailleur(se)s du sexe », ce qui regroupe aussi bien « des prostituéEs (de rue ou indoor), des acteurTRICEs porno, des masseurSEs érotiques, des dominatrices profesionnelles, des opérateurTRICEs de téléphone/webcam rose, des strip-teaseurSEs, des modèles érotiques, des accompagnantEs sexuelLEs, etc. » (2)

Ce type d’activités étant généralement connotées négativement au regard de la société, la parole est peu donnée aux individus les pratiquant, pour peu qu’ils la désirent. Il semble dès lors légitime qu’ils souhaitent la reconquérir.

Le STRASS a pour principale ambition de le faire en leur nom ; « Le STRASS représente touTEs les travailleurSEs du sexe, quels que soient leur genre ou le type de travail sexuel concerné » (3). Selon ses propres sources – non vérifiables, aucune donnée n’étant communiquée sur leur site à ce propos -, il compte aujourd’hui 500 adhérents (4), et ce au niveau national. Or, la prostitution en France est déjà estimée à environ 20 000 personnes (5). Comment représenter une activité si multiforme, peu visible et dont les ramifications et le nombre d’individus sont sans doute bien plus nombreux que ce que l’on imagine ?

Les positions de ce syndicat à ce propos sont quelque peu floues : il souhaite défendre la parole de « touTEs les travailleurSEs du sexe », mais nuance en condamnant la prostitution « forcée ». Le STRASS revendique des droits pour les personnes prostituées « volontaires » ; les autres, qui représentent 90% de la prostitution de rue (6), relèvent de la prise en charge des pouvoirs publics. Il y a la « bonne » et la « mauvaise » prostitution.

Mais comment le STRASS décide-t-il de qui se prostitue « volontairement » ou non ? Sur quels critères se base-t-il ? S’il s’agit de séparer les personnes prostituées exerçant sous la contrainte d’un proxénète des autres, alors cela revient à faire fi de tous les déterminismes auxquels chaque être humain est soumis, comme les sciences humaines l’ont montré depuis de longues années maintenant. Cela ne signifie pas non plus que personne ne peut faire de libre-choix ; simplement que ce genre de discours doit être relativisé, à l’instar de celui d’Ulla (7), par exemple, célèbre pour avoir milité activement pour les droits des personnes prostituées avant d’avouer, quelques années après avoir arrêté cette activité, qu’elle ne le faisait pas volontairement. Elle « se targuait d’être indépendante : elle a avoué bien plus tard avoir, comme beaucoup, été manipulée. « Comment avez-vous pu me croire ? », reprocha-t-elle aux féministes. » (Cool

Ainsi, il paraît difficile – voire impossible - de déterminer qui choisit librement ou non d’exercer cette activité. D’ailleurs, en ceci réside une des contradictions du STRASS ; ce syndicat défend les personnes qui veulent exercer librement la prostitution sans pour autant ni expliquer comment ils font cette différenciation, ni d’ailleurs renier que des déterminismes pèsent mêmes sur ceux et celles qui disent agir de leur plein gré. Et ce, alors qu’ailleurs sera affirmée la position volontariste de ces mêmes individus – parfois dans la même interview, à l’instar de celle-ci :

« - L’important, c’est que cela reste un choix.
- Les abolitionnistes affirment que la prostitution n’est jamais un choix. Qu’en pensez-vous ?
- C’est évidemment un choix "contraint" - on ne le fait sans doute pas uniquement par plaisir [...] »(9).

De la même manière, les principaux porte-parole insistent fréquemment sur le fait qu’ils n’ont subi aucun traumatisme durant leur enfance, traumatisme qui pourrait – en partie, tout du moins – expliquer leur choix de vie, et que tel est le cas d’un certain nombre de personnes prostituées « volontaires ». Or, si on se penche, par exemple, sur les chiffres communiqués dans l’étude de A. Roxburgh (10) consistant en des entretiens particuliers avec 72 personnes prostituées, on constate qu’un tiers des interviewées présentent « [...] des symptômes actuels de PTSD [c’est-à-dire de syndromes post-traumatiques, comme par exemple les soldats ayant vécu la guerre], soit un taux dix fois plus élevé que dans la population générale.

L’analyse descriptive des données a révélé que 87% des femmes présentaient des symptômes de dépression, et 42% d’entre elles avaient déjà entrepris une tentative de suicide. La presque totalité de l’échantillon (99%) a mentionné au moins un événement traumatisant dans le passé. » (11)

Cette étude n’est pas la seule à aller dans ce sens, et ce, quelle qu’en soit la géo-localisation. On peut à titre d’exemple citer également celle de M. Farley (12), au sein de laquelle elle constate que « [...] la nature même du travail du sexe possède une composante traumatisante et humiliante pour les femmes qui l’exercent, expliquant les taux de prévalence élevés de syndromes de stress post-traumatique (deux tiers de l’échantillon) parmi les femmes travailleuses du sexe, indépendamment du pays étudié (Afrique du Sud, Thaïlande, Turquie, USA et Zambie). » (13)

2. De la transparence des informations


Le STRASS remet en cause les chiffres produits par diverses institutions (14) quant au nombre de personnes prostituées. Certes, il n’existe à ce jour en France que des études estimant leur nombre (ou portant sur des échantillons relativement restreints) ainsi que des statistiques policières, et il est regrettable qu’une enquête plus exhaustive n’existe pas encore.

Cependant, le syndicat du travail sexuel n’avance lui-même aucun chiffre officiel. Il en donne un certain nombre lors d’interviews, ou propose des estimations. Le STRASS qualifie d’ailleurs ses chiffres de « scientifiques » à l’inverse de ceux de ses détracteurs, comme on le verra dans la suite de cet article. Or, il n’explicite jamais sa méthode de comptage ou ses sources.

« Le syndicat revendique 200 adhérents [interview en date de 2009, aujourd’hui, selon les dires de ses propres membres, ils seraient 500], soit 1% des 20 000 travailleurs du sexe à temps plein. Maîtresse Gilda explique : « Je n’inclus pas dans cette estimation la mère de famille qui se prostitue pour arrondir ses fins de mois, ou les femmes qui sont exploitées, juste les sexworkers assumés qui vivent de la prostitution. » (15)

Quand bien même on accepterait ces chiffres sans sources comme réalistes, représenter 1 ou même 3% des individus exerçant dans des conditions aussi diverses que peuvent le permettre des activités non contrôlées et peu visibles comme la prostitution serait-il représentatif ?

« La majorité des travailleurs du sexe ne sont pas victimes de la traite des êtres humains ». (16)

Ici, il ne s’agit pas de donner des chiffres. Les individus qui effectuent ce genre d’estimations exerçant cette activité eux-mêmes utilisent cette position comme légitimation de leurs propos. Ceci influence naturellement le lecteur, souvent peu informé sur le sujet et donc pas en mesure de relativiser ces estimations, de la même manière qu’il prendrait sans doute pour argent comptant les déclarations d’un chirurgien-dentiste au sujet de sa profession.

« Vallaud-Belkacem choisit d’ignorer les rapports de chercheurs indépendants s’appuyant sur des preuves scientifiques pour ne retenir que le rapport parlementaire écrit par des politiciens et qui n’a rien de scientifique. (17)

L’article cité qualifié de scientifique est une étude menée par deux féministes radicales suédoises militant pour l’officialisation de la prostitution depuis des années, sans qu’elles soient présentées dans le document en question, seuls leurs noms étant communiqués. Ce rapport de 38 pages est financé par l’Institut Nicis, ainsi que par les villes de Rotterdam, La Haye, Utrecht, Vienne, et L’Université de Leiden, soit en classant par nationalité : cinq groupes néerlandais et un autrichien. Il est intéressant de noter qu’ils proviennent tous uniquement de pays réglementaristes, pays dont la législation autorise la prostitution, et, dans certains cas, la tenue de lieux spécifiques de prostitution, considérés en France comme proxénétisme. (18)

Au vu de ces contingences, est-il toujours possible de qualifier cette étude d’« indépendante » ? L’est-elle plus que la recherche effectuée par l’Assemblée nationale (comprenant 383 p. avec pièces-jointes, ayant auditionné 200 acteurs/actrices etl du monde associatif, juridique, policier, scientifique, médical, etc. travaillant au contact de la prostitution, dont deux personnes du STRASS et plusieurs associations/individus proches de ce syndicat ainsi que 5 ex-personnes prostituées) ?

Sur le même mode, il n’est également pas possible de savoir d’où proviennent ou comment sont gérées les finances du STRASS ; sur son site, sont précisés les montants des droits d’adhésion (10€ pour les « travailleurSEs du sexe », 20€ pour les sympathisants), et également le fait que l’association accepte les dons. Ce sont les seules informations disponibles à ce sujet. Pourtant, le STRASS organise plusieurs événements, ainsi que des procès, se portant parfois partie civile pour aider des personnes prostituées, ou bien en poursuivant en justice les individus considérés comme ayant tenu des propos diffamants à leur égard (exemple : Mme Zoughebi) (19), au titre de l’euro symbolique, donc poursuite non menée par appât du gain).

De la même manière, en ce qui concerne les divers porte-parole du STRASS (dont Thierry Schaffauser et Morgane Merteuil sont les plus médiatisés actuellement), il est impossible de savoir qui ils ou elles sont. D’où ils ou elles viennent, quel est leur parcours, quelle est leur catégorie socio-professionnelle, quels sont leurs intérêts. La seule biographie de plus de trois lignes concernant M. Schaffauser est publiée sur Wikipedia (dont il est important de rappeler que les articles sont écrits par des individus anonymes), et débute à ses 18 ans. Auparavant, il n’existe pas.

3. De l’importance de la parole

S’il y a bien une critique qui revient fréquemment dans les argumentaires du STRASS, c’est celle de la parole dérobée. En effet, dans la grande majorité des articles de ce groupe, il est fait référence au fait que les « travailleurSEs du sexe » se voient kidnapper leur parole par « [...] d’autres intervenants présentés comme des spécialistes du sujet (médecins, catholiques et autres moralistes, abolitionnistes...) » (20).

« Nous demandons que notre parole soit prise en compte dans les décisions nous concernant », explique Morgane Merteuil21 » (21).

« Les "débats" sur le travail sexuel sont souvent prétextes à un déferlement de violence de la part de celles et ceux qui ont compris que pour faire disparaître une catégorie de la population, il faut commencer par trouver les moyens de la faire taire, de discréditer sa parole. » (22)

Trois constats majeurs apparaissent à la lecture de cet énoncé. D’une part, en se basant sur un échantillon de 388 articles de presse de l’année 2012 (23), il apparaît que les individus critiquant la volonté d’abolition/de pénalisation les plus représentés en termes de parole sont les membres du STRASS, et en particulier T. Schaffauser et M. Merteuil. En effet, sur les 88 articles critiquant la volonté d’abolition/de pénalisation de la prostitution, 29 sont écrits par ou consistent en des interviews de membres du STRASS, soit un tiers des articles concernés. Les autres articles sont majoritairement écrits par des individus (pas nécessairement spécialisés sur la question) intervenant une seule fois sur le sujet, et par diverses autres personnes publiant plusieurs fois sur ce thème, mais jamais à hauteur du nombre d’interventions du STRASS.

Les prostituées intervenant en leur nom propre (non affiliées à ce syndicat ou en tout cas ne se déclarant pas comme telles) au sein de ce même groupe de critiques sont représentées, elles, à hauteur de 17 articles sur 88, soit 19%. Qui dérobe finalement la parole de qui ?

« Le syndicat du travail sexuel veut être reçu à Matignon comme les autres », titre un article du "Midi Libre" en date du 1er juin 201224. Le 18 juillet suivant, soit un mois et 17 jours plus tard, le STRASS était effectivement reçu par Najat Vallaud-Belkacem. Ce syndicat qui, comme on l’a vu, se plaint de ne pouvoir s’exprimer, a pourtant lui-même mis fin à l’entretien, sous prétexte que celui-ci « prenait de plus en plus la forme d’une mascarade » (25). N’est-ce pas là une attitude pour le moins contradictoire ?

Surtout si on la met en perspective avec celle de Nathalie Bordes-Prevost, présidente de l’association pour les droits, la reconnaissance et la protection des prostituées, et prostituée elle-même. Elle ressortit de son entretien avec N. Vallaud-Belkacem (quand celui-ci prit naturellement fin) en annonçant : « Elle m’a écouté, c’est une femme qui a un grand cœur » (26), et ce, alors que les points de vue de ces deux individus divergent également.

D’autre part, en étudiant de plus près les articles rédigés par ou interviewant des membres du STRASS, on constate que la stratégie de communication est travaillée, employant un ton différent selon les circonstances. Par exemple, lorsque les membres du STRASS font publier une de leurs tribunes, le ton est extrêmement agressif (quelques exemples dans la masse : « Nous, travaileurSEs du sexe, refusons d’être les victimes sacrifiées de votre idéal moraliste ! » (27) ; « Vous n’êtes ni vraiment pour le respect de TOUTES les femmes, ni véritablement dans une démarche de lutte des classes. Votre féminisme est bourgeois : il consiste à permettre aux femmes d’accéder aux privilèges de classe. Notre féminisme est révolutionnaire : il consiste à abolir ces classes. Vous vous adressez à nous depuis un îlot privilégié (ou que vous estimez tel), en vous disant que nous nous réjouirions de vous y rejoindre : mais la vérité pourtant est que nous avons préféré devenir putes que devenir vous. » (28).

L’utilisation d’un vocabulaire dépréciatif, de majuscules ou de guillemets - entres autres figures de style – permet de sous-entendre que les individus dont il est question ne sont pas crédibles (quelques exemples : « Les psychologues et les "experts" (29) » ; « Lors d’un débat avec une ministre luxembourgeoise par exemple, un soi-disant expert (30) ; « Depuis des mois, vous, "féministes" abolitionnistes ») (31).

Or, lorsque les membres du STRASS sont interrogés par des individus en tête à tête, le ton est complètement différent. Ceci est d’autant plus visible lorsqu’il s’agit de M. Merteuil, fréquemment décrite comme souriante, décontractée (« lâche-t-elle dans un sourire », « Sourit », « Elle rit. », « Elle hésite un instant. Soupire. », « se désole », « À vouloir nous rabaisser comme ça, elles ont un discours de haine. C’est blessant. » « Soupir de dépit. », « Elle hésite » (32). Le ton est détendu, plein d’humour, tantôt enjoué tantôt désolé, suivant qu’il s’agisse de décrire son activité qu’elle adore ou les attaques blessantes des féministes pro-abolition.

La stratégie de communication est excellente. Lorsqu’il n’y a pas d’interlocuteur physique, il s’agit d’être provocant, très engagé, voire enragé. Les détracteurs ne sont pas directement en face à face, et utiliser un ton extrêmement virulent pour les critiquer permet de convaincre plus facilement l’opinion. D’autre part, personne n’est visé nominativement, donc personne ne peut répondre concrètement aux attaques ainsi réalisées.

De plus, le féminisme essaye depuis bien longtemps de se débarrasser des représentations communes qui le présentent péjorativement comme le produit de femmes aigries, frustrées, incapables de jouir et donc par là-même agressives (critique d’ailleurs reprise précisément par M. Merteuil, qui se dit elle-même féministe : « Ne savez-vous donc vous réjouir qu’en empêchant les autres de jouir ? » (33). Les attaquer de cette manière est dès lors une stratégie habile, puisqu’on peut supposer que répondre sur la même tonalité serait préjudiciable à l’image même du féminisme.

Enfin, pour terminer, il est intéressant de reproduire quelques-unes des insultes portées à l’encontre d’individus ayant critiqué le STRASS ; par exemple, en réaction à une phrase de Claudine Legardinier (34) citée par M. Merteuil sans sources (donc sans garantie de fiabilité quant à l’original) et reproduite ici à l’identique : « Legardinier : « quand bien même la police irait interpeller un client dans un endroit sombre, la pers. prostituée elle ne risquera plus rien », citation que M. Merteuil commente comme suit : « oui, parce qu’être obligées d’aller exercer dans des "coins sombres", ce n’est pas un risque. #criminelleassumée #connasse. » Ou encore, au sujet d’un internaute intéressé par les questions liées à la prostitution « ah oui et puis le spermufle qui est venu me dire bonjour. lol. il a vraiment la gueule du con qu’il est. » (35) Ces quelques illustrations mettent en lumière les tentatives de diffamation, voire d’intimidation dont ses membres font usage afin de faire taire et/ou de discréditer les critiques à leur encontre.

Les insultes ne sont d’ailleurs pas les seuls dommages causés aux individus ayant critiqué le STRASS, qui adopte une attitude provocatrice à l’égard de ceux qui ne vont pas dans leur sens, notamment en s’invitant à des événements privés auxquels ils ne sont pas conviés, et en parodiant allègrement (pas toujours avec très bon goût) des productions de ces mêmes groupes. À titre d’exemple, il est possible de citer ici la manifestation du 25 novembre 2012, lors de la journée contre les violences faites aux femmes, durant laquelle les membres du STRASS se sont subtilement mêlés au cortège des abolitionnistes avant de brandir des pancartes avec des slogans du type « putophobes » (36).

Ainsi, en mêlant (parfois maladroitement) contradictions, discours divergents, agressions et séductions, en substituant perpétuellement leur parole à celle de toutes les personnes prostituées (quand ce ne sont qu’elles), en martelant les mêmes informations non étayées mais présentées avec conviction, le STRASS parvient de manière habile à produire un discours parlant à un grand nombre de personnes non ou peu renseignées sur le sujet de la prostitution.

4. Lobby plus que syndicat

Ce syndicat relève donc en réalité plus du lobby que du groupe syndical, comme le notaient déjà de manière très pertinente les auteurEs de l’article intitulé « Anatomie d’un lobby pro-prostitution – Étude de cas : le STRASS, en France » (37). De toute manière, le STRASS n’a pas les statuts d’un syndicat : l’article L2131-2 du Code du Travail indique que « les syndicats ou associations professionnels de personnes exerçant la même profession, des métiers similaires ou des métiers connexes concourant à l’établissement de produits déterminés ou la même profession libérale peuvent se constituer librement. » La prostitution n’étant pas une profession, il n’est donc par définition pas possible de qualifier le STRASS de syndicat.

De plus, la loi du 28 août 2008 précise que la représentativité des organisations syndicales est déterminée d’après un certain nombre de critères cumulatifs comprenant notamment celui de la transparence financière, ce qui, comme on l’a vu, n’est pas non plus une condition que remplit le STRASS.

Ce groupe opte pour une stratégie de communication et d’action visant à faire perdurer le fantasme d’une prostitution choisie, désirée, flattant tantôt le client, tantôt les politiques ayant soif d’idéaux libéraux/libertaires, et ce afin de garantir son gagne-pain.

Et encore, ceci n’est sans doute que la partie émergée de l’iceberg. Il n’a par exemple pas été question ici de la terminologie usitée, des représentations mises en avant, du mélange des registres permettant de brouiller la réflexion et d’amener à une relativisation globalisante faisant perdre toute notion de valeurs, des formules et actions populistes, ni des liens avec des personnes de pouvoir.

Car parfois, les connexions entre le STRASS et les influents sont quasi-invisibles... Ainsi en va-t-il par exemple de cette tribune écrite par Stéphane Bribard, conseiller à la mairie du Xème arrondissement de Paris, signée par une centaine d’élus ou de personnes travaillant dans le monde politique (majoritairement PS et Verts), tenant un discours typiquement strassien, sans pour autant citer une seule fois ce groupe. Il faut se rendre sur le compte du réseau social du rédacteur de l’article pour constater qu’il est ami avec Morgane Merteuil.

Mme Benbassa – bien qu’elle ait ouvertement défendu le STRASS et ses positions, notamment dans un article du "Huffington Post" en date du 12 novembre 201238 - devrait donc peut-être se pencher un peu plus sur le profil des groupes qu’elle finance si elle souhaite pouvoir utiliser le terme très à la mode de « transparence » à juste escient...

D’une part, car selon les propres termes de la sénatrice, il s’agissait de financer des projets locaux – d’ailleurs, tous les autres financements sont attribués à des projets locaux. Or, le STRASS est subventionné au titre d’« Organisation d’une rencontre nationale des travailleurSEs du sexe ».

D’autre part car on ne dispose que d’une moyenne des sommes versées aux divers groupes financés (4.785 €), de sorte qu’il est impossible de savoir exactement à quelle hauteur sont subventionnées les dites associations. Enfin, parce que, comme cela a été évoqué dans cet article, le STRASS lui-même demeure un groupe dont la visibilité est fortement réduite, et ce à tous niveaux.

Ainsi, en termes de transparence justement - et malgré ce que laisse sous-entendre l’acronyme rutilant du fameux syndicat -, ici, on est plutôt dans l’opacité la plus complète.

C’était.

- Article reproduit avec l’autorisation de la Fondation Scelles, une ressource importante contre l’exploitation sexuelle.

Notes

1. estherbenbassa.eelv.fr
2. Site du STRASS, , onglet « A propos du STRASS ». 3. Ibid.
4. Interview de M. Merteuil (secrétaire générale du STRASS) « Elle travaille au corps », Libération, 06/12/2011.
5. Selon l’OCRTEH, l’office central pour la répression de la traite des êtres humains, dont la principale mission est de lutter contre le proxénétisme. Ce chiffre est d’ailleurs contesté par Thierry Schaffauser, un des fondateurs du STRASS, l’estimant sous-estimé (voir « Combien de travailleurs du sexe sommes-nous ? », Le Monde, 02/06/2010
6. Chiffres de l’OCRTEH
7. -Notamment célèbre pour avoir été le leader du mouvement d’occupation de l’église Saint-Nizier à Lyon en 1975 au nom des droits des personnes prostituées
8. Mondialisation de la prostitution, atteinte globale à la dignité humaine, ATTAC, Mille et une nuits, Barcelone, 2008
9. Interview de M. Merteuil, « Morgane Merteuil : "Je préfère être "escort" plutôt que travailler en usine" », danactu-résistance, 04/12/2011,
10. A. Roxburgh, L. Degenhardt et J. Copeland, « Posttraumatic stress disorder among female street-based sex workers in the greater Sydney area, Australia », 2006, BMC Psychiatry 6 : 24
11. G. Bugnon, M. Chimienti, L. Chiquet coll., « Marché du sexe en Suisse », Repromail, Genève, 2009, p.24
12. M. Farley, I. Kiremire et U. Sezgin, « Prostitution in five countries : violence and post-traumatic stress disorder », Feminism & Psychology 8(4) : 405-426, 1998
13. G. Bugnon, M. Chimienti, L. Chiquet coll., « Marché du sexe en Suisse », op. cit., p.23
14. Notamment l’OCRTEH.
15. Article « Avec le Strass, le travail du sexe a désormais son syndicat », Rue 89, 26/03/2009.
16. Article de T. Schaffauser, « La majorité des travailleurs du sexe ne sont pas victimes de la traite des êtres humains », Le Monde, 05/01/2012.
17. Article de T. Schaffauser, « Madame Vallaud-Belkacem, vous devez écouter les travailleurs du sexe », op. cit.
18. -Le régime juridique de la France est abolitionniste : proxénétisme condamné, prostitution non réglementée.
19. Communiqué de presse sur le site du STRASS, 02/03/2011.
20. -Site du STRASS, onglet « A propos du STRASS »
21. Interview de M. Merteuil, « Sexwork... is work ! », Seronet, 05/06/2012.
22. Tribune de M. Merteuil, le 26/08/2012 sur le site Minorités, « On est des putes, et vous êtes quoi ? »
23. Article à paraître dans le prochain rapport mondial sur la prostitution de la Fondation Scelles
24. www.midilibre.
25. Site du STRASS.
26. « Cahors. Najat Vallaud-Belkacem interpellée par une prostituée », La Dépêche, 22/09/2012.
27. Tribune de M. Merteuil, « Discours abolitionnistes : les premières victimes sont les putes », op. cit.
28. Tribune de M. Merteuil, « On est des putes, et vous êtes quoi ? », op. cit.
29. Interview de M. Merteuil, « « Oui, on peut être pute et heureuse », soutient-on au Strass », Rue89, 19/09/2011.
30. Ibid.
31. Tribune de M. Merteuil, « Discours abolitionnistes : les premières victimes sont les putes », A contrario, 04/02/2012.
32. Interview de M. Merteuil, « Elle travaille au corps », op. cit.
33. Ibid.
34. C. Legardinier est une journaliste indépendante. Elle travaille sur les droits des femmes, et particulièrement la question de la prostitution et de la traite, notamment au sein du Mouvement du Nid.
35. Commentaires issus du compte twitter de M. Merteuil, encore une fois très nombreux et d’une lecture édifiante, classés par l’auteur du site sousleparapluierouge, à l’adresse sousleparapluierouge.wordpress.com/
36. Voir la vidéo de cet événement sur Youtube
37. Article anonyme, très intéressant pour aller plus loin sur le STRASS, disponible à l’adresse sousleparapluierouge.wordpress.com/
38. Disponible ici.

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Message  Achille Mar 17 Déc - 18:27


mardi 17 avril 2012

Le véritable danger du proxénétisme tient à la légitimité qu’il a acquise

par Rebecca Mott, survivante et écrivaine



Je suis une écrivaine britannique, survivante d’abus sexuels dans l’enfance et de la prostitution. Une partie de la maltraitance que m’a infligée mon beau-père durant mon enfance a été la violence psychologique de me faire regarder de la pornographie hyperviolente. Combinées à la violence sexuelle qu’il m’infligeait, ces images me faisaient ressentir que je n’avais d’autre valeur que celle de servir d’objet sexuel à un homme et que le sexe était toujours associé à la violence et à la douleur. À 14 ans, je suis tombée dans la prostitution et elle était extrêmement sadique. Je ne m’en suis pas détournée pas car j’éprouvais trop de haine de moi-même pour y reconnaître de la violence et du viol - j’avais l’impression que c’était tout ce que je méritais. J’ai fait de la prostitution entre l’âge de 14 ans à 27 ans et, la majorité du temps, les hommes qui m’achetaient tenaient à m’infliger des rapports sexuels très sadiques. Je me suis habituée à des viols collectifs, du sexe oral et anal violent, et au fait de devoir jouer des scènes de porno dure - cela devint mon existence. J’ai failli être tuée à plusieurs reprises, et fait beaucoup de tentatives de suicide, mais j’ai survécu. Quand j’ai réussi à quitter le milieu, j’ai effacé durant 10 ans la plupart de mes expériences. Ce n’est qu’après avoir dépassé le souvenir des violences de mon beau-père que j’ai trouvé l’espace mental pour me souvenir. Se souvenir de la prostitution est terrible, et je souffre d’un lourd syndrome de stress post-traumatique (SSPT). J’ai créé mon blog pour explorer mon SSPT à titre de survivante à la prostitution, pour réclamer l’abolition du commerce du sexe et pour faire état des conditions terribles de la prostitution vécue à l’intérieur. J’essaie d’écrire de la prose poétique, mais je crois que mon travail est de nature politique.


Je me rends compte que rédiger ce blogue me fait peur.

Je me rends compte que le processus d’écrire amène mon organisme à se remémorer tous les actes de torture que les prostitueurs y ont inscrits.

Je me rends compte que je suis malade, alors que mon organisme ne présente aucun problème.

J’ai lu que la féministe Andrea Dworkin savait que l’écriture qui rend compte de la vérité est l’expérience la plus douloureuse que peut s’infliger une femme.

Je sais aussi, dans chaque cellule de mon corps, que de ne pas écrire me renverrait à l’expérience morbide d’avoir été prostituée.

Écrire pour rendre compte de la vérité n’est pas seulement mon travail, c’est une mission pour moi.

Je trouve sur Internet des chansons de Dusty Springfield – une musique que je connais par cœur – et je trouve l’énergie de parler du blocage de mes vérités.

Je le fais avec gratitude et émerveillement pour la fidélité et la générosité de toutes celles et ceux qui lisent ce blogue. Vous êtes trop nombreuses et nombreux pour que je puisse vous nommer, mais sachez que je vous porte dans mon cœur alors même que je vis autant de peur, de douleur et de chagrin.

Les attaques du lobby pro-prostitution

J’ai été renversée par le caractère insensible et implacable des attaques venues du lobby pro-prostitution.

Oui, j’en sortirai plus forte et je vais montrer qui sont réellement ces personnes.

Je dirai haut et fort – et d’une voix claire – que les personnes qui attaquent les survivantes du commerce du sexe sont des proxénètes, des prostitueurs et tous ceux et celles qui bénéficient du statu quo de l’industrie du sexe.

Arrêtez de penser qu’il s’agit simplement de « trolls » du Web, de simples individus qui s’ennuient – regardez clairement comment sont attaquées les femmes sorties de l’industrie.

Quand nous osons prendre la parole à plusieurs, si nous donnons même l’apparence d’avoir certains liens entre nous, le lobby du commerce du sexe s’abat sur nous comme une tonne de briques.

Regardez comment leurs arguments et leurs points de vue sont toujours les mêmes, comme si elles n’étaient que quelques personnes à les écrire, ou comme si elles s’en tenaient à un scénario pré-planifié.

Voyez comment leur lobbying est implacable, comme s’il était financé par, oh ! disons le commerce du sexe avec ses masses d’argent comptant, comme si ce commerce avait de quoi payer des gens pour repérer sur Internet tout ce que peuvent dire des femmes sorties de leurs filets, si légers que soient leurs propos.

Regardez comment leur langage est toujours cruel et insensible, comme si leurs propos pouvaient avoir été écrits par des proxénètes ou des prostitueurs.

Puis, dites-moi après un tel examen qu’il ne s’agit pas d’une attaque pré-planifiée, visant à faire taire l’ensemble des femmes ayant échappé au milieu.

Dites-moi que vous ne seriez pas effrayée ou ébranlée si vous étiez dans la peau d’une femme sortie de l’industrie.

Rappelez-vous que pour nous, il ne s’agit pas seulement de mots sur un écran.

Nous avons été frappées dans des chambres, dans la rue… des prostitueurs nous ont attaquées verbalement jusqu’à nous rendre incapables d’entendre leurs paroles plus longtemps.

Nous savons que lorsque les prostitueurs nous infligent de la violence affective, ils sont prêts à aller jusqu’à nous violer et à nous battre, ils peuvent impunément nous laisser à demi-mortes s’ils en ont envie.

Nous ne pouvons pas toujours rire des propos de ces prostitueurs parce que nos corps et nos esprits ont connu leur haine et leur violence.

Qui sont les proxénètes ?

Nous savons qui sont les proxénètes et ce qu’ils font.

Ils et elles peuvent bien emprunter l’étiquette qui leur convient : hommes d’affaires, gestionnaires d’escortes indépendantes, pourvoyeuses de sexe tantrique, chauffeurs, gardes du corps, amis des travailleuses du sexe, tenancières, ou toute autre appellation pour cacher le mot de « proxénète ».

Mais nous reconnaissons les proxénètes à leurs paroles, à leur manque de compassion, à leur désir de contrôler et de toujours avoir le dernier mot, à leur désir de semer la confusion chez nous et chez les personnes qui nous croient.

Nous savons que les proxénètes sont furieux face à toutes les femmes sorties du milieu : ils ne tolèrent pas notre initiative de dévoiler leur haine et leur violence, de montrer leur manipulation des faits et leurs mensonges.

Nous avons toutes les raisons de craindre les proxénètes sous toutes leurs formes – nous allons les combattre, mais un réel soutien nous serait bien utile.

Nous avons besoin que des femmes qui n’ont pas été prostituées, mais qui soutiennent l’abolition, comprennent qui sont les proxénètes et quelle est leur pratique.

Il ne s’agit pas des quelques hommes que l’on peut voir dans les rues avec leurs “filles”, affichant des costumes des années 1970, même si certains d’entre eux peuvent être des proxénètes.

Ce ne sont pas les clichés de bande dessinée repris dans certaines vidéos de musique pop, même si certains d’entre eux peuvent en être.

Non, le véritable danger du proxénétisme tient à sa faculté à se rendre invisible et à la légitimité qu’il a acquise.

Bon nombre d’entre eux sont des hommes d’affaires bien mis, installés derrière des bureaux et qui accumulent avec détachement l’argent issu de la destruction de femmes et de filles prostituées. Ces souteneurs ne se salissent pas les mains, ils veulent être considérés comme des gens d’affaires ordinaires, plus moraux qu’un banquier, par exemple.

Des femmes proxénètes

Les proxénètes peuvent également être des femmes qui vont jouer sur la culpabilité ou la confusion de la gauche et de certaines féministes en disant qu’elles ne sont qu’une escorte, en se présentant comme une “happy hooker”, une simple prostituée ordinaire.

Mais regardez-y de plus près et vous constaterez qu’elles gèrent peut-être un bordel ou contrôlent une entreprise d’escortes – ces femmes font partie de la classe des gestionnaires. Ce sont des proxénètes.

Parce qu’elles parlent la langue du proxénète.

Elles parlent aux femmes échappées de l’industrie comme s’il s’agissait de biens qui doivent être contrôlés.

Elles tentent de semer la confusion dans nos esprits, en disant que nous devons être dérangées ou malades mentales. Elles prétendent que nous avons simplement été malchanceuses et rejettent comme mensonges toutes nos paroles.

Fouillez un peu leur discours et vous découvrirez à quel point elles se contredisent rapidement.

Par exemple, ces personnes disent à quel point travailler pour elles serait sécuritaire, elles disent du bien des prostitueurs et minimisent l’importance du mieux-être des personnes prostituées. Elles diffusent de la camelote ésotérique sur la prostitution, comme activités de déesses et autres âneries pseudo-spirituelles, elles présentent sans la moindre preuve le passé sous un jour romantique et elles reviennent sans cesse au mythe de la “happy hooker”.

Fouillez un peu et vous découvrirez que leur cœur est fait de glace.

Elles et ils rejettent complètement les femmes sorties du milieu, les qualifiant de folles, de vicieuses, de menteuses, et les disant pleines de haine à l’égard des véritables prostituées.

Si vous choisissez de croire ces proxénètes, vous trahissez profondément l’ensemble des personnes prostituées.

C’est dans ces moments-là qu’il me devient si difficile d’écrire. Je me heurte à un bloc, le bloc du désespoir à voir encore une fois la classe prostituée abandonnée, et nous à nouveau forcées de lutter seules pour nos droits humains fondamentaux.

Je sais bien sûr – et j’en suis fière – que quelques femmes et hommes non prostitué-es comprennent la situation et se battent à nos côtés pour une vraie justice et pour l’abolition.

Réagir à la propagande haineuse du lobby de la prostitution

Mais nombreux sont ceux qui semblent comprendre, mais qui font très peu en pratique pour aider les personnes prostituées à résister à la propagande haineuse que diffuse constamment le lobby de la prostitution.

Ce discours de l’industrie s’affiche partout sur Facebook, ainsi que dans les commentaires apposés aux blogues de femmes sorties du milieu ; il est partout où ces femmes osent rendre compte de la vérité.

Contestez-vous ce discours haineux comme vous le feriez pour des commentaires racistes ou anti-gay, ou face à tout autre commentaire célébrant la violence à l’égard des femmes et des filles ? Ou est-ce que vous les laissez simplement passer, parce que vous avez décidé que les personnes prostituées ne sont pas blessées ou brisées par pareille haine, parce que nous sommes trop sous-humaines à vos yeux pour avoir des émotions humaines ordinaires ?

Me trouvez-vous trop sévère ? Eh bien, il se peut que, d’avoir aussi longtemps attendu que la gauche et la majorité du féminisme reconnaissent réellement qu’il s’agit là d’un discours de haine et d’attaques organisées par l’industrie du sexe, m’ait amenée à cesser d’être toujours gentille envers celles et ceux qui ne font rien d’autre que me dire « Oh que ce doit être pénible pour vous… ».

J’en deviens malade de toujours demeurer gentille, alors que mes sœurs et mes compagnes bien-aimées se font lentement réduire en poussière.

Le moins que vous puissiez faire est de remettre en cause le langage des proxénètes et des prostitueurs quand vous le croisez, que ce soit dans l’ordinateur que vous utilisez, dans les médias que vous consommez, dans les divertissements que vous achetez, ou dans la bouche des personnes dont vous pensiez que c’étaient vos proches.

Oui, c’est un processus pénible et il va déclencher beaucoup d’émotions en vous.

Mais vous n’êtes pas la personne à qui un proxénète ou un prostitueur va nier son humanité. Vous n’avez pas été violée, battue et forcée de vivre en présence de la mort comme l’a été une femme qui s’est arrachée à la prostitution.

Je vous en conjure, si vous croyez vraiment à l’abolition, tenez tête au lobby de l’industrie du sexe et à sa propagande haineuse.

Cela contribue à lever mon blocage.

- Version originale : « Why I Am Finding I Have Hit A Block »

Traduction : Martin Dufresne

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Message  Achille Mar 17 Déc - 18:28

jeudi 17 novembre 2011

Pornographie – La toile blanche

par Rebecca Mott, survivante et écrivaine



La violence que la pornographie inflige à des femmes et des jeunes filles réelles n’a rien de nouveau.

Il serait facile de croire que ce n’est que depuis l’invention de la caméra que des femmes et des jeunes filles réelles sont violentées dans la pornographie. Il serait facile de croire que la violence pornographique extrême n’existe que depuis l’invention du cinéma et d’Internet.

Ce n’est pas vrai : la violence infligée à des femmes et à des filles réelles par la porno est aussi ancienne que le premier dessin ou texte dépeignant la violence sexuelle sadique faite aux femmes et aux jeunes filles.

Ce n’est pas une nouvelle forme de violence ; c’est simplement que la violence de la pornographie a été et demeure principalement infligée à la classe prostituée, c’est-à-dire tenue à l’abri des regards.

Pour la classe prostituée, la porno ne consiste pas en idées ou en fantasmes mais en objets enfoncés de force en elles.

La porno est perçue comme inoffensive longtemps après la mort de toutes les femmes et jeunes filles qu’elle dépeint comme des prostituées.

Leurs voix sont réduites au silence, leurs souvenirs personnels sont éliminés.

Quand nous traitons la pornographie comme de l’art « haut de gamme » ou des artefacts historiques, ces femmes et ces jeunes filles prostituées deviennent des fantômes hurlants.

Regardez l’accumulation incessante de livres et de reportages photo sur les bordels romains. Voyez les scènes de violence sexuelle peintes sur les murs. Cela doit être de l’art, ça ne peut être réel…

Regardez les photos glamour de courtisanes de grande classe dans l’art occidental – on n’y trouve aucune suggestion qu’il s’agit de femmes jetables, désirées seulement le temps qu’elles peuvent être un objet sexuel.

Lisez les romans masculins qui présentent interminablement la vie de prostituée comme une affirmation de la vie et qui inventent le mythe de la « happy hooker ».

L’art cache la violence, l’art cache le désespoir total, l’art ment à propos de la classe prostituée.

Mais beaucoup d’œuvres d’art reconnaissent avec une clarté brutale que la classe des « putains » est ramenée à rien d’autre que des trous destinés aux fantasmes porno des hommes.

L’art grec et romain dépeignait constamment des images de ce qu’on appelle aujourd’hui la porno hardcore ou gonzo.

La double pénétration, la fellation profonde, l’enculage au poing, etc. ne sont pas des pratiques nouvelles ; elles n’ont jamais été nouvelles.

La porno est répétitive et, quand on est celle qui la reçoit, la porno est très lassante à cause de sa répétition.

Il n’existe qu’une quantité limitée de choses que l’on peut faire au corps d’une femme, et la porno a sans doute atteint cette limite il y a des siècles.

La seule chose qui change est ce qui est enfoncé dans le corps et la technologie utilisée pour produire la porno et l’envoyer aux consommateurs.

Mais la violence intrinsèque à la porno a toujours été extrême et a toujours menacé la vie des femmes et des jeunes filles maintenues à l’intérieur de la classe prostituée.

La porno a toujours empli de violence les corps et les esprits de la classe prostituée, parce que c’est la façon de prouver que ce ne sont pas de « vraies » femmes, parce que c’est leur « métier » d’éponger toute cette haine et cette violence.

La porno a toujours été violente à l’égard de la classe prostituée et elle a été banalisée parce que la plupart des cultures et des sociétés disent qu’il est naturel pour les hommes d’avoir des fantasmes porno, qu’il est naturel de prendre ensuite ce fantasme et d’en empoisonner la classe prostituée.

Qu’importe après tout, il s’agit simplement de femmes et de jeunes filles jetables.

Eh bien, si vous croyez ces excuses insensées et destructrices pour les femmes, vous devriez imaginer ce que c’est que d’être cette prostituée, à n’importe quelle époque et dans n’importe quel lieu.

Soyez cette femme, puisque ce que voit le prostitueur n’est pas vous mais une série d’orifices où se soulager des contenus pornographiques qu’il a gravés dans le cerveau.

Dites-moi que vous ne ressentez pas de frayeur, que vous ne ressentez pas de dégoût, et dites-moi que vous ne mourrez pas intérieurement.

Depuis qu’elle existe, la porno enseigne aux hommes qui l’achètent que la classe prostituée ne ressent pas de douleur, pas de véritable terreur, qu’elle aime les « jeux » de vie et de mort, qu’elle adore le sexe sadique, qu’elle adore la violence psychologique, et qu’il n’y a pas de racisme dans ce qu’elle vit.

La porno fait disparaître toute la haine, parce que la classe prostituée n’en a aucun souci, n’est-ce pas ?

Alors, soyez la prostituée qui est très probablement la cible de ce sexe alimenté par la porno.

Vous allez sourire et simuler le bonheur, vous allez flatter son ego, vous allez pousser tous les gémissements porno dont vous arriverez à vous souvenir… tout en cherchant constamment à vous rappeler comment rester en vie.

C’est la norme de la porno actualisée dans le corps de femmes et de jeunes filles véritables, mais rendue invisible parce qu’il s’agit « seulement » de femmes et de filles prostituées.

J’écris cela non seulement pour aujourd’hui, non seulement à cause de ma douleur et de mon chagrin personnels. Je l’écris pour les millions de femmes et de jeunes filles prostituées au fil des siècles, dans la plupart des pays, des femmes et des filles qui ont été réduites au rang de marchandises pornographiques.

J’écris pour dire que toutes ces femmes et ces filles ont vécu à l’intérieur de la torture, ont vécu une vie où l’espoir a été volé.

L’histoire humaine est entachée par le cri silencieux de leur destruction. La pornographie a assassiné leur avenir.

- Version originale : « Blank Canvass ».

Traduction : Martin Dufresne

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Message  Achille Mar 17 Déc - 18:30


dimanche 25 juin 2006

Personnes prostituées : ce qu’elles disent des clients

par Claudine Legardinier et Saïd Bouamama



Les personnes prostituées sont capables de se faire rapidement un opinion des prostitueurs qui les paient pour avoir le droit de les dominer. Dans leur enquête sur les clients de la prostitution, Claudine Legardinier et Saïd Bouamama ont recueilli les propos de femmes et d’hommes prostitué-es sur les clients prostituteurs. Voici ce passage de leur livre Les clients de la prostitution - l’enquête (Paris, Presses de la Renaissance, 2006.)



Le temps de la désillusion

Certes, un temps, le sentiment de liberté peut exister à l’idée de rejeter les horaires, les obligations "bourgeoises". Un sentiment bien fugitif, il est vrai, avant la désillusion. "Tout ce que je voulais, c’était faire la bringue, explique Suzanne (1). Je me fichais de tout. Les factures, les lois, j’avais l’impression d’en être libérée. Je me droguais, je fumais. Pour me donner la force d’affronter tout ça, je buvais du whisky. En fait, j’étais la bonne poire qui rinçait tous ceux qui m’entouraient." Aujourd’hui, Suzanne analyse ce sentiment comme une liberté qui lui a "bousillé" la vie. De même, certaines personnes que nous avons rencontrées décrivent, au moins dans la griserie du début du temps de prostitution, un sentiment de pouvoir. Leïla, toxicomane, explique : "C’était rassurant pour moi de savoir que les mecs étaient prêts à payer." Mylène, prostituée de luxe en Allemagne, va jusqu’à raconter comment elle a eu le sentiment que c’était "trop cher payé" tant elle était indifférente à elle-même.

Nos interlocutrices - et interlocuteurs - qui, face à la dureté du quotidien, montrent une force et des ressources stupéfiantes, décrivent froidement les hommes qui les paient. À les entendre, il y a "de tout". Pour reprendre et rassembler leurs termes : "Des jeunes et beaux qui ont tout pour plaire, des orduriers qui laissent les filles en larmes, des types avec une odeur de sueur, des gentils, des odieux qui jettent les billets par terre pour vous forcer à les ramasser, des pathétiques dans une grande misère humaine, des hommes qui en veulent pour leur argent, des pervers qui demandent qu’on les piétine ou qu’on les fouette, des types prêts à allonger des fortunes pour faire de vous une esclave, des hommes malheureux qui voudraient un sentiment de la part de la prostituée, d’autres pour qui les femmes n’existent pas. Énormément d’hommes qui aiment les gamines. Des RMistes qui se tapent un délire. Des gars qui pensent qu’ils ont tous les droits parce qu’ils ont payé. Des obsédés, mais pas tant que ça. Des maris qui enlèvent leur alliance et la remettent à la fin. Des malades qui vous disent : "Tu pourrais être ma fille." Des violents qui essaient de vous étrangler avec une ceinture."

Chacun, chacune parle à sa manière, souvent avec beaucoup d’émotion, d’une expérience qui l’a profondément marqué-e. Ainsi Mylène, qui dédare l’avoir froidement "choisi", analyse des années après ce qu’elle estime être les vraies raisons de ce choix : état dépressif, image exécrable d’elle-même, maltraitances diverses (confusion générationnelle et sexuelle dans le cadre familial), dettes d’un compagnon, mais aussi ignorance des réalités. Son image de la prostitution ? Belle de jour, avec Catherine Deneuve : "Si j’avais su ce qui m’attendait, jamais je n’y serais allée." Celle qui aujourd’hui peut, sept heures durant, sans reprendre souffle, dire son traumatisme et prononcer des mots terribles - "pour oublier, il faudrait que j’aie la maladie d’Alzheimer" - était libre. Libre d’abandonner son emploi d’origine pour entrer dans une réalité résignée, sans possibilité de parole. Libre de jouer le jeu : "Je m’en foutais. J’avais un total mépris de moi-même. D’ailleurs, je faisais du parachutisme, moi qui ai le vertige rien qu’en montant sur une échelle."

Hors d’atteinte : le lieu de l’absence

L’indifférence, l’état second, l’obligation de "ne pas penser" sont des leitmotive dans les récits des personnes qui font un retour sur leur expérience : "C’est routinier, on entre en léthargie." Nicole Castioni (2) confiait sa stupéfaction après coup d’avoir accepté de vivre ce quotidien "sans se poser de questions" et avec une aussi "incroyable faculté d’adaptation", tout en avouant : "Combien tu coûtes ? Je n’ai jamais pu m’y faire." "Comment ai-je pu accepter cela ?" est une question lancinante. Monika, prostituée dans un bar à hôtesses, confie : "J’avais pris un rythme. J’étais une automate. Avec l’alcool, j’étais dans le gaz."

Cette anesthésie au fond de soi, cette léthargie souvent décrites sont l’autre versant, réel, de ce que les clients semblent prendre pour le fait d’"aimer ça". Les personnes prostituées seraient, semblent croire un certain nombre d’entre eux, forcément conquises par les manifestations de leur virilité. Ce pathétique désir se heurte à une réalité brutale. Suzanne revient sur le souvenir du premier client, un événement souvent vécu comme un viol pur et simple et qui ouvre la voie à l’indifférence ultérieure : "Après, je suis allée prendre une douche. Une heure ; je suis restée une heure entière à essayer de me décrasser. J’étais en larmes. Ma copine m’avait dit : ’Tu verras, c’est le premier qui coûte’." Inès, renvoyée de l’école à 16 ans et qui ne supporte pas de voir sa mère, divorcée et devant élever seule cinq enfants, "ramer à l’usine", serre les dents au moment de passer à l’acte : "Avec le premier client, je suis descendue de la voiture en courant. Impossible. Les autres filles m’ont dit de boire, que ça m’aiderait. C’était vrai. Pour pouvoir y aller, il fallait que je prenne quatre ou cinq Martinis." Inès passe très vite à la drogue pour tenir. Difficile de vivre les passes à froid. Mylène raconte à quelle condition elle a pu franchir le pas : "Sans Valium, je n’aurais pas pu." Linda, toute jeune prostituée pour un copain proxénète, avoue : "Avec la colle, on plane, on se fait des films. Avec les clients, c’est comme si on dormait." Barbara, abusée par son oncle à 16 ans, puis fugueuse, "louée dans des soirées", raconte comment elle prenait des "anxiolytiques et des somnifères avec une goutte d’alcool" pour "travailler" sous la coupe de son proxénète. Les clients ? "Je ne les voyais même pas." D’une voix monocorde, elle décrit la prostitution comme une vie dépourvue de toute sensation : "Se lever le soir, rentrer le matin, dormir." Même chose pour Inès : "C’est comme si je ne l’avais pas vécu, ou comme si je l’avais vu dans un film."

D’autres sont aux prises avec un malaise évident qu’elles tentent en permanence d’étouffer. "Je n’ai jamais pu m’habituer aux fantasmes des hommes", dit Sophie. Muriel a du mal à évoquer ces moments douloureux : "Je me souviens qu’en voyant approcher l’heure, j’avais mal au ventre, mal à la tête." Alida, "masseuse" en appartement, vit une lutte quotidienne : "Avec les clients, je mets mes cheveux comme un rideau, je ne regarde pas, je me ferme de partout. Je me sens mal, je me sens sale, j’ai l’impression d’être une ’pute’." Il n’y a pas que les actes des clients qui sont ressentis comme une agression, il y a les mots. Alicia "bout" quand elle entend ce que certains se permettent de lui dire au téléphone : "C’est dur, tout ce que les types demandent : urologie, sadisme... Je suis atteinte." Alicia donnerait tout pour faire de vrais massages, pour être libérée de ce poids. "J’ai la haine des mecs." "Sale" est un terme qui revient beaucoup dans les récits. "Je ne touchais pas mon fils tant que je ne m’étais pas lavée", dit Anaïs, prostituée l’après-midi dans les chaînes hôtelières à bon marché.

Le décalage entre le discours tenu par les clients et celui que nous entendons au quotidien des personnes prostituées est saisissant ; l’alcool, festif pour les premiers, rend les secondes "malades à vomir", notamment dans les bars à hôtesses où l’usage de médicaments ad hoc semble répandu. Face aux clients qui goûtent par-dessus tout l’ambiance, l’atmosphère, les personnes prostituées montrent des motivations moins érotiques. Ainsi, Paule, prostituée à domicile, use de l’ambiance tamisée "genre bar" mais "surtout pour ne pas les voir, pour ne pas voir leur regard". De même, là où les clients aiment voir des "professionnelles" libérées et sans tabou, se trouvent des personnes qui ont d’abord le souci de se protéger au maximum, de limiter ou d’éviter autant que possible les contacts qu’elles sont contraintes d’avoir avec eux. "Certains pensent qu’on est des bêtes de sexe. En réalité, les hommes, on ne les touche même pas, dit Paule. L’odeur, la peau, j’occultais tout pour ne voir que l’argent. Je mettais des barrières pour ne pas voir, ne pas sentir, leurs dents, leur transpiration, leur haleine. Je posais à peine le bout de mes doigts sur leurs épaules." Monika exprime la même idée avec des mots touchants : "Pour eux, la femme prostituée, c’est une bombe sexuelle, avec beaucoup d’expérience ; c’est leur fantasme ; ils croient qu’ils peuvent faire ce qu’ils voient dans les films porno. Ils ne se rendent pas compte qu’on est humaines ; des femmes comme les autres, comme celle qu’ils ont à la maison."

Eux parlent de fantasmes, elles de la peur, de l’obligation d’avoir en permanence des "yeux autour de la tête". Le plaisir ? "Je les méprisais à un point incroyable. Le plaisir n’était pas physique, il était dans le fait de leur soutirer le maximum." Brigitte, prostituée sur le trottoir, confie : "La peur, c’est tous les jours. Quand vous montez dans une bagnole, quand vous vous retrouvez attachée pour les fantasmes des mecs." "Il y a des tarés ; deux fois, j’ai dû sauter en marche d’une bagnole." Des enquêtes (3) montrent que la majorité des actes violents subis par les personnes prostituées sont le fait des clients, ce que corroborent nos propres entretiens et ce dont ils se gardent de parler. Nadine, chassée par sa mère à l’âge de 18 ans et prostituée par Minitel, a intégré cette peur au quotidien. Pour préserver une distance, elle a fini par opter pour la "domination soft". cravaches, humiliations, insultes, elle raconte comment le nombre d’appels des clients a aussitôt doublé : "Des hommes bizarres." Elle explique comment elle est partie en courant lorsqu’un homme masqué de noir lui a ouvert la porte, armé d’une batte de base-ball Les clients, elle dit avoir envie de les "rassurer", de les "aider" parce qu’ils ont "des problèmes d’enfance, des problèmes d’amour". Puis elle parle d’étouffement, de bouffées de haine, d’envie de violence. Prise d’une envie folle de tout arrêter, elle se dit "déboussolée", en quête d’amour, d’un père qui lui a toujours manqué, lasse de se mettre "dans des situations graves pour faire plaisir aux autres".

La prostitution est constituée de multiples stratégies destinées à se mettre à distance des clients, l’idéal et le sommet de la hiérarchie prostitutionnelle étant de ne pas être touché-e comme c’est le cas dans les pratiques de sadomasochisme. "Pour supporter, on ferme les yeux. Je mettais mon bras devant mon visage, avec mon parfum dessus. Ça permet de protéger une part de soi, une part qu’ils n’auront pas", se souvient Mylène. S’auto-anesthésier, se couper en deux, s’absenter de soi-même semble être quasiment indissociable de la pratique prostitutionnelle. "On se met hors d’atteinte, on compte les moutons. Si on ne se protège pas de cette façon, on peut devenir folle". "Bizarrement, dans la prostitution, ce n‘était pas moi, dit Leïla. J’ai commencé à avoir vraiment l’impression d’être deux personnes." Naïma, prostituée durant deux ans dans un bar à hôtesses, victime de viols et violences de la part du patron, décrit cet étrange processus : "Quand j’arrivais, je fermais mon esprit ; un peu comme si celle qui était dans le bar n’était pas moi mais une autre personne ; à l’intérieur, je faisais beaucoup de choses que je n’aurais jamais admis de faire en temps normal !" Naïma, qui confie avoir "des problèmes de contact" quand elle ne se sent pas en confiance, détaille cette entreprise de dédoublement renforcée par le port d’autres vêtements, l’attribution d’un autre prénom, "une protection vis-à-vis des clients, une garantie d’anonymat". Vivre coupée en deux conduit à une forme de schizophrénie parfois difficile à surmonter. "J’ai fini par croire plus en Tara, mon nom de prostituée, qu’en Leïla. Tara, je la connais bien. En tant que Leïla, je ne sais pas qui je suis ; et j’ai peur..."

Simulation, dissimulation

Eux pensent qu’elles aiment ça, elles disent surtout leur incompréhension totale face à la démarche des clients. "Mais comment peut-on payer pour ça ?" s’écrie Alicia. "Au début, on cherche à comprendre. Après on laisse tomber, avoue Naïma. C’est dur d’être confrontée à la réalité de l’homme. Pour moi, les clients sont violents, Il y a les violents physiques, les barbares - je paie, tu te tais et tu obéis - mais les autres aussi sont violents, moralement, avec leurs moyens de pression." Elle décrit une clientèle de cadres, chefs d’entreprise, médecins, ouvriers dont elle lit la démarche comme "le plaisir de payer", "la possession de la femme", "le fait d’avoir du pouvoir sur quelqu’un de plus faible". Quand elle revient sur ces deux années, sans complaisance, elle a le sentiment que "les clients préfèrent celles qui sont en pleine détresse" parce que "ça les excite plus". "Ils aiment le challenge."

Certes, elles disent rencontrer aussi des clients dans la solitude, en recherche de relation. Mais c’est bien souvent avec un haussement d’épaules. Client frustré, client timide ? "Je ne crois pas dit Christine. Pour lui, il y a le plaisir de la possession, de la soumission, de la vengeance ; il y a aussi le plaisir d’évacuer ses colères, son impuissance, en soumettant l’autre. "Quant à leur désir de relation, il est, dans le fait même de payer, voué à l’échec. Du côté des personnes prostituées, notamment des femmes, s’expriment surtout la méfiance ou le rejet, le refus de tout dialogue, la volonté farouche d’opposer un mur face aux hommes qui les paient. Surtout ne rien dire de soi, ne rien laisser échapper. Simuler et se dissimuler. Simuler au point de faire croire à certains clients qu’ils donnent du plaisir. Une croyance que beaucoup d’entre elles jugent d’un seul mot : "C’est grave !" Se dissimuler : Paule exprime clairement son besoin de fuir devant la demande de relation de certains clients : "Je paniquais si l’un prenait son temps, s’il avait l’air de vouloir mettre du sentiment. Tous sont restés des clients. Rien de plus. Avoir une relation amoureuse avec un homme qui m’aurait payée auparavant, je n’aurais jamais pu. J’aurais pensé qu’il allait en payer d’autres." Pour elle, la prostitution n’est qu’une tromperie : "Ces hommes, ils mentaient. Et moi aussi je mentais. Toujours le sourire. Jamais je ne leur aurais confié mes problèmes. Tout ça, c’est vraiment un marché de voleurs." "Les clients, dit Monika, on leur dit les choses qu’ils ont envie d’entendre. Des mensonges." Brigitte évoque froidement les hommes qui ont besoin de parler : "On ne peut pas les aider ; le soi-disant discours ’on est des thérapeutes du sexe’, c’est complètement faux. Moi, si je les écoutais, c’est parce que c’était autant de temps où j’échappais au reste." Brigitte, recrutée dans un club échangiste où l’a entraînée son mari, décrit son engloutissement progressif, son étouffement dans la prostitution, mais aussi sa capacité de résistance : "La plupart des clients me tutoyaient. Moi je les ai toujours vouvoyés. Pour marquer la barrière." Elle ajoute, en parlant des clients : "Beaucoup me demandaient pourquoi je faisais ça. En général, je disais que c’était un choix. Ça coupait court. Ils n’ont pas à connaître notre vie."

Proxénètes : du harcèlement à la manipulation

Dans cette savante mise à distance, comment "aimer ça" ? Et que signifie l’avoir choisi ? Si Mylène a basculé, c’est le résultat d’une histoire personnelle alliée à l’urgence de rembourser les dettes d’un mari adepte du jeu. La pression des compagnons, la manipulation des proxénètes, catégorie dont il est de bon ton de penser qu’elle est en voie d’extinction à l’exception de brutes épaisses qui seraient cantonnées à l’Albanie ou à l’Ukraine, constituent une dimension banale du paysage prostitutionnel. Si en France les caïds à l’ancienne sont tombés, demeurent une quantité de "proxénètes de proximité" que les premières concernées, souvent amoureuses, sont dans l’impossibilité d’identifier et de rejeter, au même titre que les victimes de violences conjugales. Des hommes, souvent, mais aussi des femmes, passé-es maîtres dans l’art de jouer sur les cordes sensibles : demande affective, besoin de reconnaissance et de valorisation. La relève semble assurée puisque de très jeunes rabatteurs écument aujourd’hui les boîtes de nuit ou les centres commerciaux pour repérer des proies éventuelles (4). Certains parviennent à exercer une véritable emprise. "Il était dans ma tête, il était dans moi", dit Laldja en parlant de son mari proxénète qui l’a amenée à entrer dans un bar à hôtesses "à l’insu de son plein gré" en usant de deux menaces : envoyer des photos compromettantes à sa famille en Tunisie, la priver de sa fille dont il a la garde. "À 20 ans, j’étais sous influence, comme une adepte de secte", dit de son côté Nicole Castioni.

Les gestes "amoureux", la générosité (temporaire), la banalisation savante de la prostitution, l’introduction dans un milieu présenté comme "glamour" sont, de la part de ces compagnons empressés, des armes efficaces. Quand ce n’est pas la violence physique : Brigitte, écrasée sous 700 000 francs de dettes pour s’être portée caution de son mari pour l’achat d’un bar, finira, de guerre lasse, harcelée et battue, par se prostituer. Violences conjugales et prostitution sont d’ailleurs liées dans de nombreux récits. Comme elle, extérieurement, Anaïs, "masseuse", est pourtant le type même de la jeune femme libre, séduisante et cultivée qui fait rêver les clients. Les coulisses ? Abandonnée par sa mère, ballottée dans dix-sept foyers successifs, manipulée par un mari chômeur et violent qui lui vante les mérites de son "ex", "masseuse" justement : "il m’a mis dans le cerveau l’idée que notre fils allait manquer de tout ; petit à petit, la prostitution, j’ai trouvé ça presque ..." Manipulation, harcèlement : un art consommé de la part d’un proxénète qui sait parfaitement que rien ne sera plus insupportable à sa compagne que l’idée que son fils souffre des mêmes manques qu’elle ; qui exploite le manque de confiance en soi d’Anaïs, sa douleur d’enfant abandonnée. "Il me mettait toujours en position de penser que j’avais besoin de lui. Alors qu’en réalité c’est moi qui payais tout, qui gérais tout. Je finançais même l’entreprise familiale. J’ai ramené des millions à cette ordure. Il a tout gardé. Si je pouvais, je serais la première à lui mettre le fusil sur la tempe. Je le hais. Ce n’est pas la violence physique, le plus dur ; les bleus, ça part. C’est la violence psychologique, le harcèlement."

Que savent les clients des véritables motivations de cette jeune Française qui, des jours durant, rentre chez elle en larmes ? Sa liberté ? Elle existe, oui. Anaïs "prend sur elle". "Après tout, dit-elle, j’ai tout vécu, alors je continue." Que croient les clients face à une jeune femme qui adopte en leur présence une incroyable "tchatche" ? Qu’elle aime ça ? En réalité, elle conjure sa peur : "J’ai l’air tellement sûre de moi que ceux qui ne me reviennent pas, j’arrive à les virer. En fait, ils sont persuadés que j’ai quelqu’un qui me protège."

Une expérience dévastatrice

Le malaise, le mal de vivre qui sont le lot de ces personnes, innombrables, qui ont vécu ou vivent encore la prostitution, sont engloutis, ignorés au profit d’un discours plus vendeur, plus médiatique et surtout plus propice au libéralisme. "Les agressions physiques, ce n’est rien à côté de la douleur intérieure, celle qui vous déchire, qui vous empêche de respirer", dit Leïla. "Ce qu’on fait ici, ça nous mange intérieurement, de la même manière qu’une maladie, ça nous bouffe tout entier, physiquement, moralement, psychiquement, ça ne répond à aucune question, ça nous enfonce dans la détresse", déclarait Alexandre, prostitué de 26 ans, dans un silence de mort, sur un plateau télévisé (5). Monika, placée en foyer à 14 ans et qui, à 20 ans, a subi vingt à trente clients par jour dans un bar à hôtesses, décrit un véritable cauchemar : "Comment on supporte ? On ne le supporte pas ; on le vit, on fait le vide ; on ne peut pas pleurer. Si on a des états d’âme, c’est intenable. On ne ressent plus rien. Les types sont rois ; ils ont payé, ils vous pelotent. On n’a aucun droit de refuser un client. Et il y en a des violents." Mylène, en ouvrant sa salle de bains, montre un alignement de détergents ; des produits que, dix ans après son passage dans la prostitution allemande dite "de luxe" et réglementée, elle persiste à utiliser pour se laver. "Le plus lourd, c’est d’avoir été achetée : tu n’es rien du tout, je paie. On en prend plein la gueule : je me sers de toi comme d’une bassine ; pour me vider."

Les mots employés sont durs. Rémi, qui depuis sa tendre enfance n’a connu que la violence familiale, décrit la cruauté quotidienne du milieu où il se prostitue, la manière dont les hommes qu’il rencontre l’utilisent puis le jettent." Au début, aucun problème. On est comme un morceau de viande dans un rayon. Tant que c’est frais, ça se vend bien." Paul, travesti, est résigné : "Quand on est travelo, c’est les moqueries à longueur de temps." il parle avec brio de la clientèle "friquée", des "bourgeois en voiture, cigare au bec", des "gens qui rigolent", du "mari qui n’a jamais eu d’aventure avec un mec et qui vient pour essayer", de l’homophobie. "Les plus dégueulasses, c’est pas nous", dit Paul qui porte sur lui-même un regard sans concession : "On est des pantins assis sur une voiture." Paul se souvient du temps où il arrivait sur le trottoir muni d’une barre de fer pour se défendre. En quittant le "tapin", il ne pesait plus que 56 kilos.

Pour certaines, comme Monika qui n’ira jamais sur un plateau télévisé pour le dire, ces mois de prostitution ont été l’expérience de l’anéantissement. "Je n’ai plus confiance en moi. J’ai été détruite, j’ai été violée. J’ai perdu mon identité. Quel âge j’ai ? Qui je suis, quel est mon nom ? Je prends des anti-dépresseurs, j’ai l’impression de n’être bonne à rien sauf à aguicher les hommes." Comme Naïma, elle tremble pour "toutes ces petites jeunes qui ne font pas gaffe et que leur copain peut pousser là-dedans". Elle voudrait parler, crier même, raconter son histoire, éviter à d’autres de vivre par ignorance ou inconscience la même chose. Muriel subit le même interdit : "Je garde le silence sur ce que j’ai vécu. Si jamais j’en parle, on va me ficher comme ancienne prostituée. Les gens ne me considéreront plus comme un être humain, je ne serai plus capable de rien. Je ne peux pas dévoiler mon passé, parfois j’en ai la tête qui explose." Toutes ou presque sont confinées dans l’interdiction de parole. Le risque de la honte, du stigmate, le refus d’entendre de la société tout entière...

Silence obligé, difficulté d’en sortir, sans main tendue, sans lien avec l’extérieur. "On vit décalés, on fait une croix sur le monde extérieur. En fait, c’est comme une secte", résume Christine, sous-entendant ainsi la difficulté de s’extraire du milieu pour reprendre pied dans la société. La prostitution constitue en effet une des formes les plus abouties de l’enfermement : enfermement par le stigmate, la perte de confiance en soi, l’isolement croissant, l’endettement, le sentiment que la société normale est terrifiante et hypocrite, la peur d’être démasqué-e par d’anciens clients. Quitter le quotidien, aussi dur soit-il, c’est affronter l’angoisse de l’inconnu, le vide, le jugement d’autrui ; c’est arracher le tissu de sa propre histoire, les quelques liens tissés dans le milieu, les bons moments. La logique est désormais bien connue pour les victimes de violences conjugales. Autant dire que beaucoup y restent, non parce qu’elles aiment ça, mais parce que la société les abandonne à la marginalisation et à la honte en leur refusant toute alternative.

Certains, certaines, heureusement, souvent grâce à un accompagnement patient et durable, parviennent à échapper à ce quotidien sans horizon. Le travail de reconstruction est parfois long et douloureux : retour à l’emploi, aux revenus, au logement quand l’État réclame des arriérés d’impôts astronomiques qui poussent à retourner faire des passes, mais aussi difficultés relationnelles, nécessité de se réconcilier, particulièrement avec les hommes dont l’image ne sort pas grandie de l’expérience prostitutionnelle. "Je n’ai aucune envie d’aller vers les autres. Après ce que j’ai traversé, je me sens sale. Je suis incapable d’envisager une relation avec un ..." dit Gisèle, prostituée pendant quatre ans pour payer son héroïne. Mylène a mis des années à pouvoir revivre normalement : "Après je ne supportais plus le sexe. Une main masculine sur mon épaule me brûlait. Je n’ai plus eu aucune sexualité pendant trois ans. Je ne pouvais plus. J’étais dans une anesthésie totale."

Brigitte, partie de chez elle à 14 ans "pour être libre", prostituée en appartement et rackettée par des proxénètes, parle de l’argent comme d’une drogue équivalente à la coke et de la prostitution comme d’une destruction. Elle est aujourd’hui sans illusion : "J’ai arrêté le tapin, j’ai rencontré un homme, il trompe sa femme, alors... Il n’y a pas de dialogue dans les couples. Côté sexualité, c’est nul, ils n’en parlent pas. Dans ce monde, il n’y a pas de dialogue. La règle, c’est “je trahis". "La méfiance à l’égard des hommes, considérés comme "faux", "fourbes", "menteurs", est répandue. Mylène l’exprime avec rage : "Il faudrait leur dire : si vous saviez ce qu’on pense de vous ! A quel point on vous déteste, on vous méprise de nous acheter, pendant qu’on vous appelle ’chéri’ et qu’on vous flatte..."

Beaucoup d’entre elles, beaucoup d’entre eux expriment une véritable révolte : "L’État a l’air de vouloir qu’il y ait des prostituées, il en faut ! Eh bien moi, je l’ai fait ! Je me suis même droguée pour les supporter, tous ces mecs !" Pour elle, "la différence entre les filles de l’Est et nous, c’est qu’elles ont des macs plus dangereux. Mais c’est destructeur pareil. Ce qu’on vit, c’est la même chose". Mylène le vit plus durement encore "En plus, j’ai été volontaire ! Je n’ai jamais eu de revolver sur la tempe ! Quand c’est comme ça, on n’a même pas l’excuse d’avoir été une victime. On a choisi. Mais choisi ou pas, le traumatisme est le même." Et Christine conclut : "Les proxénètes sont des criminels mercantiles, mais les clients sont des voleurs d’âme, des violeurs d’âme."

Notes

1. Les témoignages cités ici ont été publiés dans Prostitution et Société
2. La Vie, 25 janvier 2001.
3. Julie Bindel et Liz Kelly, A Critical Examination of Responses to Prostitution in Four Countries : Victoria/Australia, Ireland, the Netherlands and Sweden, London Metropolitan University, 2003.
4. Biba, mars 2001.
5. " Ce qui fait débat ", présenté par Michel Field, 21 mars 2001.

Extrait de : Claudine Legardinier et Saïd Bouamama, Les clients de la prostitution - l’enquête, Paris, Presses de la Renaissance, 2006.

Achille

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Message  Achille Mar 17 Déc - 18:30



mercredi 23 février 2005


Lettre ouverte au sous-comité sur le racolage
Il faut étudier l’expérience de la Suède, non seulement celle des Pays-Bas et de l’Australie

par Richard Poulin, sociologue



Le gouvernement canadien a nommé un sous-comité sur le racolage formé de député-es des partis siégeant au Parlement. Ce sous-comité a pour fonction de réfléchir sur les lois concernant la prostitution, notamment les articles 210 à 213 du code criminel. Ces articles touchent aussi bien la tenue d’une maison de débauche, le proxénétisme, le transport des femmes à des fins de prostitution que le racolage sur la voie publique.

Avec les bouleversements actuels, notamment la croissance rapide et importante des industries du sexe, liée à des facteurs propres à la mondialisation, la nécessité d’adapter les lois aux nouvelles réalités se fait pressante. En outre, la signature par le Canada de nouvelles conventions internationales sur les droits des enfants et sur la criminalité transnationale impose des ajustements aux lois canadiennes. Il faut également souligner un autre facteur : les débats publics entre les tenant-es de la décriminalisation totale de la prostitution et les partisan-es favorables à une décriminalisation des activités des personnes prostituées et à un renforcement des lois contre le proxénétisme et les trafiquants, et même à une pénalisation des clients, ont eu une influence importante sur l’opinion publique.

Des questions qui ne sont pas faciles à résoudre

Le sous-comité sur le racolage fait face à des analyses diamétralement opposées : d’un côté, la prostitution est considérée comme un « travail sexuel » et, les lois du travail devraient constituer l’encadrement législatif principal, de l’autre, cette activité est l’un des piliers de l’oppression des femmes et une violence à leur endroit. Pour les partisan-es de l’abolition des règles et de la répression qui pèsent sur les personnes prostituées, les rapports sociaux de domination et d’exploitation y règnent, avec son lot de violence. Pour les tenant-es de la décriminalisation totale, ce sont les conditions d’exercice de la prostitution (clandestinité, opprobre social), qui sont la source de la violence, et non l’exercice lui-même.

Aucun des intervenants publics - groupes de femmes, organisations de « travailleuses du sexe », chercheurs, etc. - considèrent la légalisation, qui est en fait une imposition de règlements supplémentaires sur les personnes prostituées, un contrôle accru de leur activité et une manière commode d’engranger taxes et impôts à leur détriment, comme la voie à suivre. Certes, en 2001, le Bloc québécois proposait une telle perspective, mais cela ne reflète aucunement les prises de position de la société civile.

Les données concordent toutes : la légalisation de la prostitution entraîne une croissance importante de l’activité prostitutionnelle tant légale qu’illégale et provoque une aggravation de la traite des femmes et des enfants à des fins de prostitution. Il en ressort que les conditions d’exercice de la prostitution se dégradent, la violence augmente, la clandestinité croît. Aux Pays-Bas, par exemple, le nombre de personnes prostituées clandestines constituent 70 % des cas ; la prostitution des mineur-es y a connu également une recrudescence : de 1996 à 2001, elle a triplé (de 5 000 à 15 000 enfants).

Appelé comme témoin expert au sous-comité sur le racolage, dont les travaux à l’évidence sont sérieux et menés dans un esprit ouvert, j’ai été surpris d’apprendre par l’un de ses membres qu’un voyage avait été planifié aux Pays-Bas pour examiner sur place sa législation et ses effets sur la société. Il me semble que les membres du sous-comité devraient également, à tout le moins, faire un voyage d’étude en Suède où une expérience différente et novatrice, qui tranche par rapport aux politiques réglementaristes des Pays-Bas, est en cours depuis la fin des années quatre-vingt-dix.

L’expérience suédoise

En 1998, la loi-cadre suédoise, appelée Kvinnofrid, la « Paix (ou Tranquillité) des femmes », a mis en place un ensemble impressionnant de mesures « pour lutter contre les violences envers les femmes, la prostitution et le harcèlement sexuel dans la vie professionnelle ». Elle introduit l’infraction pénale de « violation flagrante de l’intégrité de la femme » qui vise à condamner les violences fréquentes commises par un homme envers une femme, suédoise ou immigrée.

C’est dans ce contexte de lutte contre les violences qu’est adoptée, le 1er janvier 1999, la modification du code pénal relative à la prostitution qui permet de pénaliser les « acheteurs de services sexuels ». Cette pénalisation des « clients » a été assortie de mesures d’accompagnement : une campagne d’affichage rendant visible les 10-13 % de la population masculine qui ont eu, un jour, recours à une personne prostituée a été lancée dans le pays, des programmes de sensibilisation ont été développés à destination des enfants. L’État est maintenant en partie responsable d’aider les femmes à sortir de situations violentes, y compris de la prostitution, et de fournir aux femmes l’accès à des refuges, à un conseil juridique et social, à l’éducation et à la formation professionnelle.

Le dernier sondage montre que 86 % de la population suédoise appuie cette loi. Des groupes organisés par des femmes, qui ont été dans le milieu de la prostitution, aussi bien que des femmes qui tentent d’échapper à ce milieu appuient également la loi.

À Stockholm, le nombre de personnes prostituées de rue a diminué des deux tiers. De même, la traite de femmes vers la Suède a été largement freinée par la loi. Dans le pays voisin, la Finlande, là où comme en Norvège il existe des « camps de viol », on estime entre 15 000 et 17 000 le nombre de personnes victimes chaque année de la traite à des fins de prostitution.

Pour déconsidérer cette expérience, sans jamais citer de sources, on affirme régulièrement que la prostitution « cachée » a augmenté en Suède. Ce qui est pourtant le cas en Allemagne, aux Pays-Bas et en Australie (ce qui est abondamment documenté). Or, les femmes suédoises issues de mouvements et de groupes qui travaillent avec les femmes en situation de prostitution affirment que la loi a un effet dissuasif sur les jeunes qui ne sont pas encore dans la prostitution mais qui sont en risque prostitutionnel. Les centres de services et la police affirment que la loi fonctionne aussi comme un élément de dissuasion pour les hommes qui font usage de femmes dans les bordels, les clubs pornographiques et les agences d’escortes. Des hommes qui occupent des postes haut placés, y compris dans les armées en poste au Kosovo, ont été inculpés pour avoir enfreint la loi, ce qui a lancé un signal dissuasif en direction de tous les milieux. Et les « clients » sont, aujourd’hui, huit fois moins nombreux qu’auparavant.

La pénalisation du meurtre, du viol, de la violence dite conjugale ou du harcèlement sexuel n’a pas fait disparaître ces différentes formes de violence. La loi suédoise n’a pas non plus fait disparaître la prostitution, mais c’est le seul pays qui a vu la prostitution régresser et la traite freiner.

Une décriminalisation de ces violences signifierait que la société les accepte.

L’expérience suédoise mérite une attention toute particulière du sous-comité sur le racolage, car elle offre une alternative à l’expansion débridée des industries du sexe.

* Richard Poulin, est professeur au département de sociologie, à l’Université d’Ottawa, et l’auteur de La mondialisation des industries du sexe (Ottawa, L’Interligne, 2004 ; Paris, Imago, 2005).

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Message  Achille Mar 17 Déc - 18:32

"Rien n’a encore pu me détruire" : entretien avec Catharine A. MacKinnon

par Catherine Albertini et Emily Blake


« Mais rien n’a encore pu me détruire. Je n’ai pas l’air de vouloir renoncer ou de vouloir me taire, quoi que l’on puisse me faire. » (Catharine A. MacKinnon)

Catharine A. MacKinnon est l’une des grandes figures du féminisme américain. Docteure en droit et en sciences politiques, avocate à la Cour Suprême, théoricienne, militante, elle est à tous ces titres engagée dans le combat pour les droits humains et l’égalité entre les sexes. Elle enseigne dans les facultés de droit du Michigan et de Chicago après avoir dispensé des cours à Yale, Harvard, Stanford, UCLA, Orgoode Hall (Toronto) et à l’université de Bâle (Suisse). Catharine A. MacKinnon a fortement fait évoluer le droit de ces vingt-cinq dernières années : reconnaissance en 1986 par la Cour Suprême des Etats-Unis du harcèlement sexuel comme discrimination de sexe, puis de la pornographie et de la prostitution comme violences contre les femmes. Elle participe à l’élaboration de politiques pour les droits humains des femmes, au niveau institutionnel comme à celui des ONG, aux Etats-Unis et dans le monde.

Elle a été l’avocate bénévole de femmes et d’enfants victimes d’atrocités sexuelles commises par les Serbes, devant le tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie dont elle a également été nommée juge. Il y a deux ans, je l’avais contactée pour lui demander si elle acceptait que son livre fondamental, Feminism unmodified, soit traduit en français, c’est aujourd’hui chose faite. Le Féminisme irréductible est désormais disponible en librairie grâce à Antoinette Fouque et aux éditions des femmes. De passage à Paris pour donner une série de cours à Nanterre, Catharine A. MacKinnon a bien volontiers accepté de répondre à nos questions le 3 juillet 2005. (Catherine Albertini).


L’ENTREVUE

La loi sur la parité, un changement considérable, de portée universelle

CA : Que pensez-vous du féminisme en France et de ses réalisations récentes ? Je pense aux lois contre les violences et le harcèlement sexuel, mais aussi à la loi sur la parité en politique, comment appréciez-vous la situation française actuelle ?

CAM : Hé ! bien, le mouvement féministe en France est un mouvement important et varié depuis très longtemps, depuis ses débuts avec Antoinette Fouque et Monique Wittig, jusqu’aux développements contemporains que vous mentionnez. Mouvement qui est très riche de militantisme et de théorie dans le but de faire changer ou d’essayer de faire changer les choses à tous les niveaux, comme partout ailleurs dans le monde, mais diversement.

Il est clair, par exemple, que la loi sur la parité est un réel changement, peut-être même un événement majeur. Je voudrais souligner que c’est un changement considérable, de portée universelle.

La loi sur le harcèlement sexuel est récente et était, à l’origine, excessivement réduite. La loi concernant le soi-disant « harcèlement moral », qui est, en réalité, je suppose, le harcèlement psychologique, peut aider, mais il y a de réelles absences - des lacunes - des trous dans cette loi. En règle générale, je pense qu’en France, la possibilité de conjuguer le militantisme et la théorie, sur certaines des questions les plus centrales concernant le statut des femmes, a été limitée par le manque d’études empiriques sur les violences sexuelles. C’est ce que je dis de la situation française depuis trente ans.

Finalement en 2000, il y a eu une étude(1), mais jusque-là, on me disait que les problèmes sur lesquels je travaille n’existaient pas en France. Et je répondais qu’on ne pouvait pas savoir tant que personne ne s’y intéressait. Puis, sous la pression de l’Europe, la question des violences sexuelles en France a été posée et - comme je le dis dans l’introduction au « Féminisme irréductible », qui existe, merci à vous (rires) - on a vu qu’une fois que l’information est disponible, le développement du militantisme et de la théorie peut prendre un tour complètement différent. Mais jusque-là, tant que l’ampleur de la réalité systématique des abus sexuels sur les femmes, en tant que groupe, n’était pas connue, chaque femme était un cas isolé. Un mouvement ne peut pas naître d’une réalité aussi fragmentée. Il est absolument nécessaire de connaître la réalité de la façon la plus large possible. Je pense que cette situation a eu un effet très négatif sur la théorie ainsi que sur le militantisme en France. Maintenant, il est possible que ça change.

Des femmes qui soutiennent le système et en profitent

CA : Mais il y a beaucoup de résistances. Nombre de personnalités très influentes dans les médias, Elisabeth Badinter par exemple, contestent ces enquêtes.

CAM : Bien sûr, la misogynie est permanente, c’est une constante que nous devons avoir à l’esprit. Ce n’est pas parce que vous avez raison que les gens sont d’accord avec vous. Le discours misogyne nie la réalité de la situation des femmes afin que nous continuions à nous y résigner. Quelques femmes qui tirent bénéfice d’une situation relativement privilégiée, dans le système qui maintient l’ensemble des femmes en état d’infériorité, soutiennent le système qui les a élues. La misogynie marche ainsi pour les femmes et elle marche aussi pour les hommes, en tant que groupe, de la même façon. Il n’y a rien là de très remarquable.

EB : Pouvez-vous comparer la situation en France et aux Etats-Unis ?

CAM : Nous avions les informations sur les violences sexuelles dans les années 70, mais aussi la résistance, le déni, le refus d’y faire face et d’y croire et cela continue. Les femmes qui dénient la réalité sont continuellement mises en avant et privilégiées, celles qui soulèvent les problèmes réels sont en permanence attaquées, diffamées, menacées et sanctionnées de toutes les manières possibles. Mais nous avons aussi plus de lois, une théorie plus développée et nous affrontons davantage la réalité, parce que nous l’avons davantage documentée.

CA : En France, en ce moment, la mode est au féminisme post-moderne. Judith Butler dont le livre Gender trouble vient d’être traduit, plaît beaucoup à beaucoup. Je crois que quand vous la lisez, vous n’avez plus rien à faire changer pour les femmes, en tant que groupe, vous n’avez qu’à changer vous-même. C’est ça qui plaît, qu’en pensez-vous ?

CAM : Ou même pas. Ça tourne autour de la présentation de soi. C’est très acceptable parce qu’aucune réalité socialement organisée de l’oppression n’y est analysée qui puisse conduire à la confrontation et au changement. C’est donc d’autant plus appréciable que vous pouvez appeler ça « féminisme ». Chacun peut avoir l’impression de devenir d’avant-garde et progressiste sans avoir à faire quoi que ce soit car tout cela n’est que du théâtre, tout cela n’est qu’un jeu. C’est le maintien du statu quo. Certaines sont, par essence, amoureuses du genre. La domination masculine, à leurs yeux, n’est pas un système réellement oppressif. En parler de la sorte la maintient telle quelle, ce qui explique pourquoi elles sont tellement adorées par ceux qui ont le pouvoir et le désir de répandre ces paroles-là.

CA : « Rien ne doit changer ! »

EB : De plus, vous êtes progressiste et en accord avec ce que vous dites !

CAM : C’est juste, elles occupent le terrain mais le réel problème, ça n’est pas ça. Ces femmes sont simplement utiles au système, elles l’aident en occupant le terrain mais elles ne sont pas le problème. Ces femmes - Judith Butler et les autres - sont seulement des voix pour une certaine forme de misogynie et de déni. Mais elles ne créent pas le problème. Parlons plutôt des pornographes, du proxénétisme international, des violeurs, des harceleurs. Eux sont le problème.

« Etre réelles pour le pouvoir »

EB : J’aimerais citer une expression que vous avez employée lors de votre conférence (« Le 11 septembre des femmes : repenser les lois internationales de la guerre », à Paris X Nanterre). « Etre réelles pour le pouvoir ». Je me demandais ce que cela signifiait pour vous, si vous aviez l’impression d’être « réelle pour le pouvoir » et, dans ce cas, ce que vous aviez de si menaçant pour ceux qui l’ont ?

CAM : Je ne sais pas. C’est vraiment une question que vous devriez leur poser ! (rires) J’ai pour habitude de penser que je ne suis une menace que parce que je dis la vérité que tout le monde connaît mais que personne n’ose dire. Et cela implique que les femmes peuvent s’unir pour changer cette réalité, c’est pourquoi je constitue une menace sans que cela tienne spécifiquement à ma personne.

EB : La possibilité d’un réel changement.

CAM : Oui. C’est ce qui est frustrant, bien sûr. Mais rien n’a encore pu me détruire. Je n’ai pas l’air de vouloir renoncer ou de vouloir me taire, quoi que l’on puisse me faire. Je pense que je ne suis pas différente des autres femmes, je dis juste ce que les autres femmes disent et je fais en sorte, avec les autres femmes, que nos paroles ne soient pas effacées. Et comme je suis déterminée, que rien ne peut m’arrêter dans mon ordre du jour, je suis un danger. Ainsi que le refus de toute compromission. Je ne me taierai pas. Vous pouvez me priver de travail pendant 12 ans, je chercherai le moyen de survivre mais je continuerai de dire ce que je dis. C’est comme ça, je ne me suis pas transformée en quelque chose comme une icône à la mode.

Nous avons vu aux Etats-Unis, par exemple, à un certain moment de l’Histoire, les hommes noirs devenir « réels pour le pouvoir », un groupe qui jusque-là ne l’était pas.

EB : L’est devenu.

CAM : L’est devenu. Ils ont franchi la ligne. Et ils l’ont fait dans la violence. Cette sorte de changement ne peut arriver, je le pense, à des individus atomisés - à part quelques individus : ceux qui ont le pouvoir réel, institutionnel, les membres de la Cour Suprême par exemple - eux sont déjà réels pour le pouvoir. Très bien.

CA : Un des problèmes spécifiques aux femmes, c’est qu’elles sont mélangées aux hommes. Elles vivent avec eux, c’est différent des questions raciales, quand il y a ségrégation.

CAM : Oui, mais la ségrégation est une conséquence, elle est le résultat de la structure de la subordination - la ségrégation facilitait l’exploitation. Cependant, dans le Sud américain, par exemple, les Noirs vivaient avec les Blancs même si ça ne changeait pas la structure de l’exploitation. Cela ne rendait que plus difficile leur organisation parce qu’ils tiraient avantage de leur plus grande proximité avec les dominants. Même actuellement aux Etats-Unis, les Noirs savent que le racisme existe d’une manière dont bien souvent les femmes ne savent pas que le sexisme existe. Et ce n’est pas uniquement lié à la ségrégation, même s’il reste encore beaucoup de ségrégation raciale. Prenez les Noirs de la classe moyenne par exemple. Ils savent que le racisme continue d’exister. Ça ne les dérange pas de le savoir. Ça n’est pas réellement ça le propos, quand nous parlons de savoir si vous êtes ou non « réel-le pour le pouvoir ». Ca n’est pas de savoir si vous vivez ou non avec quelqu’un. C’est tout autre chose. Les Noirs continuent de vivre la ségrégation et sont en définitive devenus « réels pour le pouvoir » en brûlant leurs propres habitations. C’est par cette violence qu’ils ont dû se mobiliser puisque rien d’autre ne marchait. C’est cette sorte de changement que les femmes n’ont jamais trouvé le moyen de mettre en oeuvre. Ce n’est pas réellement ce qui se passe dans votre tête, c’est ce qui se passe dans la tête de la domination qui vous rend « réelle pour le pouvoir ». Nous pourrions être « réelles pour le pouvoir » dès maintenant : nous sommes là, mais rien ne change.

Pas de lieu sans oppression pour les femmes

CA : Une des structures de l’oppression des femmes est la famille.

CAM : En partie, c’est un des lieux de l’oppression, mais on la trouve aussi partout ailleurs.

CA : Oui, mais la famille est la première structure de l’oppression, celle où on la rencontre d’emblée en venant au monde.

CAM : Vous pouvez le dire, moi je ne le dis pas. Je ne crois pas que ce soit le moment. C’est un des lieux de l’oppression des femmes, mais l’oppression a lieu partout ailleurs. Prenez les abus sexuels, ils ont lieu dans la famille quand les filles sont sexuellement abusées par des hommes adultes mais aussi en dehors de la famille.

CA : Mais en venant au monde, l’oppression est la première chose que vous apprenez.

CAM : Oui, mais l’oppression des femmes n’est pas principalement, je crois, ce que nous apprenons. L’oppression des femmes est principalement ce que nous vivons. Elle se rencontre dans la famille, c’est certain, mais aussi n’importe où, c’est-à-dire partout ailleurs, en même temps et tout le temps. La prostitution n’est pas principalement ce qui se fait en famille, la pornographie non plus même si, parfois, il arrive qu’il y ait des liens. Le marché du travail ne se situe pas dans la famille. Vous pouvez avoir un modèle fondé sur la structure familale, si vous voulez, c’est une façon de voir les choses, mais ce n’est pas la mienne.

CA : Oui, mais il me semble que l’oppression est d’autant plus forte qu’elle se rencontre non seulement à l’extérieur de la famille mais aussi dans la famille où vous grandissez.

CAM : Oui.

CA : C’est pourquoi l’oppression des femmes est plus forte que le racisme…

EB : parce qu’elle est plus intime.

CAM : C’est possible, mais je crois quant à moi que c’est plus intime parce que c’est sexuel et que ça ne change rien que vous soyez dans la famille ou pas.

EB : Il est indifférent de savoir si le harcèlement sexuel a lieu dans la famille ou pas.

CAM : Oui et je pense que la difficulté vient davantage de ce que c’est intime que de l’endroit où ça a lieu.

CA : Ce que je voulais dire, c’est que dans la famille, vous aimez ceux qui vous oppriment, père, mère, frères, ça rend les choses encore plus difficiles.

CAM : Oui, mais aussi parce que vous n’avez nulle part où aller pour être délivrée de l’oppression. Je pense que c’est absolument vrai. Ça ne fait pas de la famille le lieu principal de l’oppression mais les personnes que vous aimez vous oppriment elles aussi, ce qui rend l’oppression permanente dans la société : que ce soit en famille, avec vos amis, partout. C’est tout-à-fait vrai, tout-à-fait juste et cela rend les choses plus difficiles. L’autre aspect du problème, c’est que vous n’avez aucun lieu au monde où vous mettre à l’abri de l’oppression. Prenez l’Afrique. En Afrique, tout le monde est noir et ça marche. C’était vraiment très important, aux Etat-Unis, de savoir que l’oppression des Noirs par les Blancs ne se rencontrait pas partout ailleurs. Vous n’avez pas besoin de vous déplacer - même si certains partent ou sont partis - il existe un lieu dans votre esprit où les choses, telles qu’elles sont, ne sont plus pour vous votre destinée éternelle. Il n’existe pas un tel endroit pour les femmes. Et cela aussi rend les choses plus difficiles. Il n’y a pas d’Afrique pour les femmes. C’est pourquoi certaines parlent de matriarcat originel afin d’essayer de le faire vivre dans leur tête en s’efforçant de défaire le système mentalement. Mais il n’y a aucun lieu matériel où - à des degrés divers, bien sûr - l’oppression n’existe pas.

EB : Auquel vous référer pour vous libérer.

CAM : Très juste. Et il n’y a rien là de biologique, ça n’a pas à être perçu comme ça, ça n’est ni d’ordre naturel ni génétique. Mais il n’y a pas d’endroit sans oppression pour les femmes. Pour autant que l’on sache, il n’y en a jamais eu. Même s’il y a eu des endroits où les femmes avaient beaucoup plus de pouvoir qu’elles n’en ont maintenant en maintes places.

Pas de solutions alternatives contre l’oppression

Il y a, à notre époque, de rares endroits où les femmes ont un pouvoir réel même si ça n’est pas, en général, en tant que femmes. Au Canada cela existe - vous pouvez appeler ça féminisme d’État et ça y ressemble. Prenez la Suède, à un certain moment, il y a eu une forte proportion de femmes au Parlement et elles ont réellement commencé à agir en tant que femmes. En Islande aussi. Il y a de tels lieux. Mais le statut de la majorité des femmes ne s’est pas transformé pour autant. Ce n’est pas que ça ne compte pas, ça compte énormément. Mais les femmes se font encore violer, elles se font toujours prostituer, même si, en Suède, les femmes ont décidé qu’on ne pourrait pas les prostituer plus longtemps.

CA : La loi protège spécifiquement les femmes.

CAM : Oui, mais qui est prostitué-e ? Les femmes, à une écrasante majorité. A cause de leur statut. La plupart des hommes peuvent faire autre chose et ils le font. Mais quand ils ne le peuvent pas, on les y trouve aussi. Mais maintenant, en Suède, acheter une femme pour la vendre est devenu un crime pour tout un chacun. La parole de celles qui avaient été achetées, leur témoignage a été entendu.

CA : Beaucoup de femmes semblent se satisfaire de leur statut. Sans doute parce que vous êtes opprimé-e-s deux fois : physiquement mais aussi dans votre tête. Comment faire évoluer les choses pour les changer ?

CAM : Je pense que la plupart des femmes tolèrent la situation telle qu’elle est, en s’efforçant d’en tirer le meilleur parti possible, parce qu’elles n’ont pas de réelles alternatives pour mener une vie différente. Je pense aussi qu’elles pensent comme elles pensent car, dans une large mesure, c’est vrai. Ce n’est pas qu’elles trouvent la situation mirobolante, mais elles n’ont pas d’autre alternative que de s’en accommoder. Je crois que c’est notre tâche que de leur créer de réelles alternatives afin qu’elles puissent décider ce qui ne va pas dans leur situation présente. C’est l’une des raisons pour laquelle je travaille sur le Droit et le changement institutionnel, parce qu’il est possible d’exposer les raisons pour lesquelles les femmes devraient être mécontentes de leur sort. Mais si elles ne peuvent rien y changer, que faire ? La décision que j’ai prise est la suivante : donner aux femmes la possibilité de faire quelque chose pour changer concrètement la situation et, alors, elles verront si elles peuvent continuer de s’en satisfaire ou non, parce qu’alors elles auront une véritable option pour la changer. C’est ainsi que, par exemple, la Loi sur la pornographie que j’ai élaborée avec Andrea Dworkin, donnerait aux femmes le choix - aux femmes utilisées dans les matériaux pornographiques, par exemple ou à celles qui peuvent prouver qu’elles ont été sexuellement abusées ou qui peuvent prouver qu’elles ont été violées à cause de ces matériaux - d’agir. En attendant on pourrait penser qu’elles sont satisfaites, heureuses. Mais la seule raison pour laquelle vous pouvez le penser, c’est qu’elles n’ont pas d’alternative ! Donnez-leur une alternative et nous verrons si elles continuent de s’en satisfaire !

CA : Bien sûr. Mais il y a quelques femmes qui sont satisfaites de la situation parce qu’elles en tirent avantage, elles ont soit des positions académiques imposantes soit une position dominante dans les médias, comme Elisabeth Badinter, par exemple.

Le mensonge du libre choix de la prostitution

CAM : Grand bien leur fasse ! (rires) et pendant ce temps, après qu’elles m’ont demandé pour la 1000ième fois « Ne pensez-vous pas qu’il soit possible que les femmes qui se prostituent puissent avoir une vie merveilleuse ? », je leur pose cette question « Voudriez-vous vous prostituer ? » elles passent, bien souvent, par 6 couleurs différentes avant de répondre « Non », et comme j’insiste « Pourquoi pas ? » alors, elles répondent : « Parce que je préfère être journaliste… »

EB : …professeur de Droit, écrivaine, philosophe médiatique ou star de cinéma…

CAM : Exactement ! A ce moment-là, voilà ce que je leur dis : « OK, pourquoi ne leur donnez-vous pas une alternative ? La possibilité de devenir journaliste, par exemple… »

EB : …celle qui vous a été donnée…

CAM : …à votre place, à vous, qui, en qualité de journaliste, avez l’habitude d’être une journaliste, c’est-à-dire la personne qui vient leur demander l’étendue de leur bonheur d’être prostituées. Pourquoi ne les laissez-vous pas écrire leur propre article ? » Là, elles commencent à entrevoir la question. Mais je peux vous dire qu’il est tout à fait remarquable que partout dans le monde on me raconte que les prostituées sont heureuses. Prendre les femmes qui subissent l’oppression la plus totale et les présenter comme si elles l’avaient choisie. En attendant, nous parlons toutes de ça alors même qu’il y a des études concernant les femmes prostituées - en tant que large groupe, pas uniquement celles que les proxénètes payent désormais pour dire qu’elles prennent du bon temps - des études sur la fréquence des stress post-traumatiques, notamment, qui montrent qu’elle est supérieure, chez les prostituées, à celle que l’on trouve chez les vétérans du Vietnam rescapés des zones de combat. Ca n’est pas à ça que ressemble une personne heureuse. C’est ce à quoi ressemble une personne sur qui on a tiré.

CA : Je sais, mais on vous dira, comme le fait Elisabeth Badinter, que vous ne devriez pas comparer une prostituée avec une journaliste mais avec une ouvrière ou une caissière.

CAM : Oui. Mais personne ne vient nous dire que les ouvrières, caissières etc… mènent la grande vie. Ce qu’elles font, c’est qu’elles s’organisent, qu’elles essaient d’être mieux payées. Ce ne sont pas seulement des femmes qui travaillent en usine, même s’il faut, bien sûr, leur donner aussi des alternatives. La gauche parle tout le temps de l’oppression par le travail et prend les ouvriers pour exemple. Elle ne nous dit pas qu’ils sont libres ; elle ne dit pas qu’ils choisissent de travailler à l’usine.

EB : Personne ne cite l’ouvrière comme exemple de femme heureuse pleinement accomplie !

CAM : Ou de liberté ! La Liberté ! Moi non plus ! Mais tout à coup, la prostituée est devenue l’exemple de ce à quoi la liberté ressemble. Vous n’allez pas à la rencontre des ouvrières pour dire ô combien elles adorent leur boulot de sorte que tout un chacun continue d’acheter ce qu’elles font. Elisabeth Badinter, pour ne pas la citer, est dans la publicité (2). Ca signifie qu’elle a un large accès aux médias publics et qu’elle a identifié une niche pour elle-même, une niche où être « la féministe misogyne ». C’est une position très lucrative où se nicher.

EB : Une position de contrôle effectif du discours.

CAM : Effectif, en effet, puisque maintenant, toutes, vous et moi, nous ne faisons plus que ça : parler d’elle !

EB : La moindre phrase qu’elle profère fait la une des journaux et personne ne rappelle jamais qu’elle est la prostituée de Publicis.

CA : Elle se présente comme philosophe alors qu’elle dirige Publicis, ce que personne ne mentionne dans les médias.

CAM : Elle trimbale partout la misogynie dans un corps de femme…

Prendre conscience et se battre ensemble

CA : Donc vous pensez que les femmes doivent prendre conscience de la réalité de leur condition pour se battre ?

CAM : Oui, collectivement. Pour faire changer les choses, il faut que nous combattions ensemble ainsi que dans nos vies personnelles, sur le plan du Droit mais aussi dans tous les domaines. Est-ce qu’il y a un parti politique féministe en France ?

CA : Au début des années 80, Gisèle Halimi avait essayé de lancer un parti pour les femmes. 100 femmes se sont ainsi présentées aux législatives et Gisèle Halimi a été élue au parlement.

CAM : Puis plus rien ?

CA : Non.

CAM : Nous verrons bien ce qui arrivera. Un tel parti vient de se créer en Suède.

CA : C’est surprenant, car la Suède est le pays le plus avancé en ce qui concerne l’égalité entre les hommes et les femmes.

Mythe de l’égalité des femmes en Suède

CAM : Hé bien, ça ne l’est pas quand on se réfère aux abus sexuels. C’est juste une question de point de vue. Jusqu’à récemment, il n’y avait pas, par exemple, de foyers pour femmes violées en Suède. Par contre, il y avait des asiles pour femmes battues. Parce qu’elles étaient contre la violence et pour le sexe. Andrea Dworkin et moi y sommes allées en 1990 et ça nous a pris une éternité pour le leur faire comprendre avec la pornographie et tout le reste.

CA : Les femmes ont quand même plus de pouvoir en Suède que partout ailleurs ?

CAM : Maintenant, oui. Mais elles ont toujours la pornographie à combattre Pour « la pornographie à la suédoise », des femmes sont trafiquées dans le monde entier. Les choses ont un peu changé, dans une certaine mesure, mais c’est encore ce qui se passe. L’image de l’égalité des femmes en Suède est utilisée pour vendre cette pornographie dans le monde entier. Par conséquent, l’idée que les femmes sont égales aux hommes en Suède y participe…

CA : C’est donc un mythe ?

CAM : C’est un mythe, oui, ça fait consensuel.

EB : Est-ce que c’est pour cela que c’est si difficile ? Quand je suis venue pour la première fois en France et que j’ai entendu parler de parité, j’ai frémi de joie…

CA : Mais la loi n’est pas appliquée.

EB : Je sais bien ! Mais la première fois que j’ai entendu ce mot, j’ai attrapé le journal et j’ai lu : à partir de l’an prochain les listes candidates devront présenter le même nombre d’hommes et de femmes…

CAM : Sur la liste.

EB : Sur la liste.

CAM : C’est ce qui cloche ! Les femmes ne sont pas en position éligible ! Mais au moins, elles y figurent malgré tout.

EB : Exactement. Mais il y a quand même, je pense, un moment d’excitation authentique quand vous pensez, oh regardez…

CA : C’est dû au mode de scrutin. Il y a un seul député par circonscription, donc un seul candidat désigné par parti ou alliance entre plusieurs partis. La parité marche mieux quand il y a un scrutin de listes comme pour les municipales, nombre de femmes ont ainsi été élues.

CAM : Mais les hommes les dépassent constamment surtout aux niveaux supérieurs.

EB : Ça donne quand même l’impression - en apparence institutionnalisée - qu’il y a eu des progrès. De la même manière qu’en Suède. J’ai rencontré des femmes du parlement suédois, il y a deux ans. Elles semblaient plus « radicales » que les françaises rien qu’en termes de façon de parler, de penser à ce qu’elles avaient décidé de faire au niveau parlementaire.

CAM : Absolument.

Les moyens de lutte contre l’oppression des femmes diffèrent de ceux de la lutte contre le racisme

EB : J’ai trouvé que c’était comme une bouffée d’air frais, mais quand vous retournez sur le terrain et que vous regardez ce qui s’y passe, vous voyez que les mêmes choses se répétent encore et encore. Vous parliez tout à l’heure des luttes des Noirs. Vous ne pouvez pas faire d’analogies très précises mais…

CAM : C’est un véritable modèle.

EB : C’est un excellent modèle aux Etats-Unis en termes de radicalité - comme de brûler son propre quartier - quand vous parlez d’avoir de réelles alternatives, si vous donnez aux femmes de véritables choix, elles s’en saisiront, bien sûr. Mais quand vous voyez une population comme celle des Afro-américains qui - sans avoir de véritables choix, que ce soit en termes économiques, d’éducation ou en termes de son rapport propre à l’histoire de l’esclavage - a créé des choix pour elle-même en s’emparant de la violence qui lui avait été imposée et en la retournant contre ceux qui la leur imposait. Il y a là quelque chose qui pourrait véritablement intéresser les femmes pour l’intériorisation de l’idée de libération et sa mise en oeuvre. Pensez-vous que cela nécessitera une lutte de cette sorte ?

CAM : Hé bien, je n’en sais rien. Cela aiderait probablement, mais je ne crois pas que cela se produira. Les femmes sont confrontées au défi d’agir différemment, d’une façon plus adaptée à leur groupe particulier. À propos des femmes et de la violence, il faut d’une part, estimer l’ampleur de la violence qui est dirigée contre elles et la résistance qu’elles peuvent lui opposer. On appelle cela de la passivité mais ça n’en est pas. C’est très réfléchi. L’idée, c’est que si vous essayez de contrer toute cette violence, tout ce que vous obtiendrez, c’est davantage encore de violence. C’est très souvent vrai.

D’autre part, quand vous subissez un certain traitement pendant très longtemps, ça ne vous paraît pas spécialement un progrès très excitant que de le faire subir à autrui. Elle a donné aux hommes l’accès au pouvoir, je le pense. Et je ne crois pas que nous y ferons appel. Ce n’est pas que j’y sois hostile, au contraire. Je suis vraiment de l’école « par tous les moyens possibles et efficaces ». Mais je ne crois pas que cela arrivera. Je ne pense pas que les femmes y feront appel un jour, et je ne crois pas non plus que cela changerait beaucoup les choses. En partie, parce que la violenceest à la base de l’oppression des femmes et n’est donc pas juste un moyen. Elle est fondamentale. Je crois que la violence a été sexualisée. Je ne crois pas que cela soit vrai du racisme. En premier lieu des gens ne passent pas leur temps à bavarder sans fin sur le racisme en se demandant ce que c’est.

EB : C’est clair !

CAM : En fait, ça ne l’est pas, personne n’en sait rien. Il n’y a pas 36 écoles de pensée là-dessus et les gens ne passent pas leur temps à torturer mentalement ceux qui veulent bousculer l’ordre établi, en la matière, en leur demandant POURQUOI le racisme existe. Parce que personne ne le sait, en fait. C’est perçu comme un des moyens que les hommes ont trouvé pour se battre entre eux, se faire la guerre et en tirer des avantages les uns sur les autres. Mais le POURQUOI des barrières raciales, personne ne peut l’expliquer. Quant à savoir POURQUOI ce sont les Noirs d’Afrique qui ont été réduits en esclavage ou POURQUOI il y eut une guerre de mille ans entre la Chine et le Japon, personne ne songe même à penser qu’il a à se poser ce type de question. Ce qui n’empêche personne de juger le racisme illégitime et d’essayer d’y mettre un terme, etc… Personne ne pense qu’il a besoin de savoir POURQUOI il existe pour pouvoir lutter contre.

La violence et la guerre : instruments masculins ultimes

C’est très intéressant. Parce que beaucoup parlent sans cesse des causes de l’oppression des femmes, de son origine comme s’ils avaient besoin de les connaître précisément pour pouvoir y mettre fin. Je n’ai aucun problème avec la connaissance, j’aimerais bien savoir POURQUOI, j’ai moi-même ma petite idée là-dessus et je pense que tout le monde a le droit d’avoir la sienne. Mais je crois que ce qui fait tenir les choses debout MAINTENANT, ce qui les fait marcher et qui produit l’ordre établi que nous connaissons et que nous devons combattre pour y mettre un terme, est, en fait, une question très différente. Je crois, au sujet de la violence et de la guerre, que c’est une sorte d’instrument masculin ultime. Quant à savoir si un tel instrument marcherait entre nos mains ou pas, je n’ai là-dessus aucune certitude. Mais je crois, je crois réellement que la plupart des femmes ont décidé non seulement qu’elles n’en voulaient pas mais qu’il ne marcherait pas. Il reste que c’est vraiment intéressant de considérer les choses sous cet angle plutôt que de les éluder ou de travailler sur des bases morales.

CA : Je ne sais pas si vous allez apprécier la comparaison, mais je trouve qu’il y a une grande proximité entre Noam Chomsky et vous, qu’en pensez-vous ?

CAM : Je n’en sais rien, dites-moi pourquoi je devrais penser cela ?

CA : Tous les deux vous êtes des intellectuels responsables qui dénoncez les injustices partout où elles se produisent.

CAM : Mouaimmmm. Est-ce qu’il va enfin comprendre le genre ??? Je vous le demande, est-ce qu’il comprendra le genre un jour ?

CA : Je ne sais pas. Je ne le crois pas. Il ne parle que très peu des femmes.

EB : Ca n’est pas vraiment son domaine de compétences.

CAM : Pas du tout, en effet. Mais comment il peut être compétent dans son domaine sans comprendre le genre est une question à méditer. Nous sommes tous deux des intellectuels militants, c’est ce que vous vouliez dire, je pense.

Pas réellement féministe sans mouvement de femmes

CA : Avez-vous toujours été féministe ? Je veux dire depuis vos tous débuts ?

CAM : Je suppose que oui, probablement. Mais vous ne pouvez pas réellement être féministe sans un mouvement de femmes, je ne crois pas que ce soit possible. Vous pouvez penser que vous allez y arriver par vous-même, mais vous n’avez pas les moyens d’y arriver totalement. Pour moi, c’est vraiment une action collective et communautaire. Aussi, je crois que je suis devenue féministe avec la naissance du mouvement féministe auquel j’ai participé (3). Mais en terme de niveau de féminisme, je n’avais pour seule impulsion que le respect de soi, le respect dû à toutes les femmes, ce que la plupart des femmes ont !

Notes

1. Le rapport de l’Enveff publié dans Population et Société en janvier 2000.
2. Madame Badinter préside le conseil de surveillance de Publicis.
3. Après avoir participé à la formation du Women’s Lib, Catharine MacKinnon milite actuellement au sein de l’organisation féministe Equality Now.

Propos recueillis par Catherine Albertini et Emily Blake

Achille

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Système prostitueur vs abolitionnisme - Page 2 Empty Re: Système prostitueur vs abolitionnisme

Message  sylvestre Mar 17 Déc - 18:32

Achille a écrit:
Ce sujet aura un autre parti pris

Donc on ne pourra pas y contester ce parti pris ? Ce n'est pas le lieu. Si tu veux faire une compil des articles que tu trouves intéressants, rien ne t'empêche d'ouvrir un blog, mais ici c'est un forum. Sujet fermé donc.
sylvestre
sylvestre

Messages : 4489
Date d'inscription : 22/06/2010

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