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théorie de la valeur-travail

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Roseau
sylvestre
irving
TAO
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théorie de la valeur-travail Empty théorie de la valeur-travail

Message  TAO Mar 29 Oct - 20:55

Bonjour
Soit l'exemple suivant "Quelqu'un qui vend son terrain (un lot de terre non fertile, non travaillé) "
Comment peut on expliquer la valeur de ce terrain avec théorie de la valeur-travail de Marx ?

Merci

TAO

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Message  irving Mer 30 Oct - 2:03

Bonsoir Tao,

La théorie de la valeur travail n'est pas une théorie physiologique de la valeur, comme ses détracteurs aiment à tord la simplifier. La source de la valeur pour Marx, c'est le travail abstrait. Ce ne sont donc pas les conditions immédiates de la production c’est-à-dire le travail dépensé dans le processus productif qui crée la valeur des marchandises, mais le travail pris dans sa dimension sociale comme activité spécifique dans la production de marchandises qui se manifeste par une dépense physique et/ou intellectuelle.

Par ailleurs, il est important d'avoir en tête que si toute marchandise a un prix, tout ce qui a un prix n'est pas une marchandise. Ce qui est cohérent avec le fait que, chez Marx, la valeur et le prix ne sont pas deux notions strictement égales ni équivalentes. La théorie de la valeur travail ne constitue pas seulement une théorie des prix relatifs, mais une théorie de la marchandise. La question à laquelle elle permet de répondre est moins : comment mesurer correctement les prix ? Mais plutôt : pourquoi les objets possèdent-ils une valeur marchande ?

Dans un sens strict, est marchandise tout ce qui est produit par du travail. Pour reprendre ton exemple, un terrain n'est pas une marchandise, mais une ressource naturelle. La théorie de la valeur travail ne s'y applique donc pas, c'est celle de la rente absolue qui s'appliquera au terrain. Cependant, cette définition étroite de la marchandise pose d'ailleurs des problèmes pour la force de travail, qualifiée par Marx de "marchandise particulière" bien que la force de travail ne soit pas produite par du travail.

Quoi qu'il en soit, la théorie de la valeur travail, dans son acception la plus large, soutient que l'activité sociale vouée à la reproduction des moyens matériels de la vie constitue la base des autres formes d'activités sociales. L'énergie déployée par ceux qui travaillent, dans la mesure ou elle produit et reproduit les éléments économiques essentiels à la vie, fournit les moyens matériels de toutes les autres formes de l'activité sociale. L'ensemble de la vie sociale dépend ainsi de l'entretien de la vitalité du travail engagé dans des processus de reproduction économique.
En un mot, la théorie de la valeur travail est l'expression économique du matérialisme historique. Dans toute société, la force de travail, qui reproduit les structures économiques de la vie, doit être elle-même maintenue en état de travailler grâce au renouvellement de ses propres moyens de subsistance. Dans l'histoire, arrive un stade ou la productivité du travail est suffisamment développée pour que le travail fournisse un surproduit, c'est-à-dire une quantité de biens supérieure à celle nécessaire au strict entretien de la force de travail. L'apparition de ce surplus permet l'apparition de la société de classes : une partie de la population peut alors, grâce à la possibilité de s'approprier le surproduit, s'engager dans des activités plus ou moins éloignées de celle des travailleurs engagés dans la reproduction. Avec l'apparition du surproduit apparaît une classe dont l'intérêt n'est plus la reproduction mais l'appropriation, puisque sa survie est liée à la possession et à l'utilisation du surplus. Lutte des classes et théorie de la valeur travail sont indissociables.





irving

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théorie de la valeur-travail Empty Re: théorie de la valeur-travail

Message  TAO Mer 30 Oct - 22:49

Bonsoir,
Merci beaucoup pour ces détails.
comme conseillé ci-dessous je creuserai alors la théorie de la rente foncière afin de répondre à ma question.
Toutefois, je voudrais savoir comment explique t'on la valeur des chef-d'œuvres d'art avec la théorie de la valeur travail?

irving a écrit:

Dans un sens strict, est marchandise tout ce qui est produit par du travail. Pour reprendre ton exemple, un terrain n'est pas une marchandise, mais une ressource naturelle. La théorie de la valeur travail ne s'y applique donc pas, c'est celle de la rente absolue qui s'appliquera au terrain. Cependant, cette définition étroite de la marchandise pose d'ailleurs des problèmes pour la force de travail, qualifiée par Marx de "marchandise particulière" bien que la force de travail ne soit pas produite par du travail.


TAO

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Message  sylvestre Jeu 31 Oct - 13:45

TAO a écrit:Bonsoir,
Merci beaucoup pour ces détails.
comme conseillé ci-dessous je creuserai alors la théorie de la rente foncière afin de répondre à ma question.
Toutefois, je voudrais savoir comment explique t'on la valeur des chef-d'œuvres d'art avec la théorie de la valeur travail?
De manière générale la théorie de la valeur-travail est une clé qui permet de comprendre le système capitaliste, caractérisé par l'accumulation de marchandises identiques du point de vue du marché, et n'a donc pas vocation à s'appliquer à des marchandises individuelles, or quoi de plus individuel qu'une œuvre d'art ? C'est le caractère unique d'une œuvre d'art qui explique qu'elle puisse servir aussi (et pour les toiles de maître, surtout) d'objet de spéculation, dont le prix dépend ne dépend donc qu'incidemment du travail qui lui a été nécessaire.

Il en va différemment pour les copies qui peuvent constituer une industrie, dont la valeur dépend de la quantité de travail social nécessaires à leur production, et dont les produits sont des marchandises qui ne sont pas particulièrement sujettes à la spéculation.
sylvestre
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Message  Roseau Lun 6 Jan - 16:05

18.01.2014
3e séance GRM 7e année

Thème : Critique de l’économie politique et théorie de la valeur

ENS-Paris (45, rue d’Ulm 75005 Paris), salle U/V, de 14h à 17h

Interventions :
•Alain Loute : Critiques conventionnalistes et régulationnalistes des théories de la valeur. Apport des travaux de André Orléan et Michel Aglietta
•Andrea Cavazzini : Argent et médiation sociale
•Stéphane Pihet : L’économie politique spinoziste, une critique de la valeur
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Message  Roseau Ven 21 Mar - 1:39

À nouveau sur J.-M. Harribey, la « sphère non marchande » et la théorie de la valeur de Marx
par Antoine Artous
http://www.contretemps.eu/interventions/%C3%A0-nouveau-sur-j-m-harribey-%C2%AB%C2%A0sph%C3%A8re-non-marchande%C2%A0%C2%BB-th%C3%A9orie-valeur-marx
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théorie de la valeur-travail Empty Ni Marx ni Keynes

Message  Roseau Lun 28 Juil - 16:51

Paul Jorion résume ici sa thèse sur le prix et la valeur,
écartant Keynes et se proposant de "radicaliser Marx".
Billet ouvert à commentaires...
http://www.pauljorion.com/blog/?p=67393#more-67393
Roseau
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théorie de la valeur-travail Empty Théorie de la valeur : livre(s) et article(s)

Message  padawan Ven 22 Aoû - 16:05

Bonjour

Je suis en train de lire le livre d'isaac Roubine "Essais sur la théorie de la valeur de Marx".
Livre très intéressant mais nécessitant déjà une bonne connaissance du sujet pour vraiment en profiter.
Pourriez-vous me conseiller un ou des livres permettant de bien appréhender ce thème.

J'ai cherché de mon côté : le livre de Tran HAI HAC et Pierre Salama " Introduction à l'économie de Marx" serait-il approprié ? ou .........

cordialement

padawan

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théorie de la valeur-travail Empty Re: théorie de la valeur-travail

Message  Dinky Ven 22 Aoû - 21:15

padawan a écrit:Bonjour

Je suis en train de lire le livre d'isaac Roubine "Essais sur la théorie de la valeur de Marx".
Livre très intéressant mais nécessitant déjà une bonne connaissance du sujet pour vraiment en profiter.
Pourriez-vous me conseiller un ou des livres permettant de bien appréhender ce thème.

J'ai cherché de mon côté :   le livre de Tran HAI HAC et Pierre Salama " Introduction à l'économie de Marx" serait-il approprié ? ou .........

cordialement

Le mieux, c'est de lire Marx, tout simplement.

Dinky

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Message  gérard menvussa Sam 23 Aoû - 3:28

Non Le courant de la "valeur travail" est un courant ayant une lecture tout a fait intéressante (même si elle est discutable, comme tous les travaux de ce type) de l'oeuvre de marx Evidement, il faut mieuxconnaitre Marx, mais ça ne suffit pas du tout !
les trois auteurs principaux sont
Anselm Jappe Les Aventures de la marchandise, pour une nouvelle critique de la valeur, Éditions Denoël, 2003.
(c'est également un spécialiste de l'internationale situationiste et de Debort)
L'autre auteur important est robert kutz (dont on peut ne pas partager la position sur israel)
Robert Kurtz Vies et mort du capitalisme. Chroniques de la crise, Éditions Lignes, novembre 2011
Le troisiéme auteur important de ce courant est Moishe Postone dont on peut lire par exemple :
Moishe Postone Temps, travail et domination sociale : Une réinterprétation de la théorie critique de Marx Mille et une Nuits,‎ 2009
gérard menvussa
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théorie de la valeur-travail Empty Théorie de la valeur : livre(s) et article(s)

Message  padawan Sam 23 Aoû - 12:06

Bonjour

D'abord, merci pour vos réponses

@dinky : lire Marx ... effectivement. Je me trompe peut-être mais je ne voulais pas le lire directement

@ gérard menvussa : ok je vais voir ces auteurs. Il y a aussi le lire de David Harvey " lire le capital livre 1" ( je ne suis pas complètement sur du titre ).

Sinon tu écris  "Le courant de la "valeur travail" est un courant", cela laisse entendre qu'il y a plusieurs lectures de la théorie de la valeur ou de la valeur travail ?



padawan

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Message  gérard menvussa Sam 23 Aoû - 12:13

il y a effectivement tout un courant marxite en allemagne regroupé autour des revues "krisis" puis "Exit ! Crise et critique de la société marchande". qu'on appelle "critique de la valeur" "wertkritik" avec comme principaux protagonites ceux que j t'ai indiqué.
ce courant avait pour relais en France le regretté Jean Marie Vincent.
De ce dernier, on peut lire cet article dont les réflexions s'inscrivent dans cette problématique : http://www.palim-psao.fr/article-la-domination-du-travail-abstrait-par-jean-marie-vincent-62261201.html
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théorie de la valeur-travail Empty Théorie de la valeur : livre(s) et article(s)

Message  padawan Sam 23 Aoû - 17:17

merci pour ces indications.
yapuka.

cordialement


padawan

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théorie de la valeur-travail Empty Re: théorie de la valeur-travail

Message  sylvestre Ven 29 Aoû - 15:41

padawan a écrit:Bonjour

D'abord, merci pour vos réponses

@dinky : lire Marx ... effectivement. Je me trompe peut-être mais je ne voulais pas le lire directement


C'est souvent plus simple de lire Marx que de lire ses commentateurs, contrairement à ce qu'on peut croire... En l’occurrence, Marx a écrit un petit bouquin vraiment très utile, Salaire, prix et profit.
sylvestre
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théorie de la valeur-travail Empty Re: théorie de la valeur-travail

Message  irving Ven 12 Sep - 1:56

padawan a écrit:Bonjour

Je suis en train de lire le livre d'isaac Roubine "Essais sur la théorie de la valeur de Marx".
Livre très intéressant mais nécessitant déjà une bonne connaissance du sujet pour vraiment en profiter.
Pourriez-vous me conseiller un ou des livres permettant de bien appréhender ce thème.

J'ai cherché de mon côté :   le livre de Tran HAI HAC et Pierre Salama " Introduction à l'économie de Marx" serait-il approprié ? ou .........

cordialement

salut padawan,

Je me joins aux autres : aussi intéressant soit l'ouvrage de Roubine, mieux vaut commencer par Marx. Roubine commente et discute des thèses de Marx sur des points techniques pas évident à saisir (par exemple, il essaye de résoudre ce qui lui apparaît comme une contradiction entre la théorie du fétichisme de la marchandise qui affirme que la valeur n'est pas inhérente aux objets et celle du travail abstrait, mais aussi sur la transformation des valeurs en prix de production), et il est sans doute préférable de commencer par lire le capital sur ces points afin de se faire une idée.

Sur les questions autours de la théorie de la valeur marxiste je te conseille l'ouvrage de Gilles Dostaler, "valeur et prix, histoire d'un débat" (fin des années 70, avant la "solution" de Dumenil et Levy)

irving

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théorie de la valeur-travail Empty Théorie de la valeur : livre(s) et article(s)

Message  padawan Lun 15 Sep - 13:30

merci irving

je vais suivre ton conseil.

a+

padawan

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Message  Babel Dim 21 Juin - 12:47

Sur La tyrannie de la valeur

Cette lecture de l'ouvrage dirigé par Eric Martin et Maxime Ouellet La tyrannie de la valeur. Débats pour le renouvellement de la théorie critique (Ecosociété, Montréal, Québec, 2014, 277 p., 19€) présente les différentes contributions à un effort collectif visant à établir une refondation complète de la théorie critique à partir d’une analyse radicale de la valeur comme médiation centrale de la société capitaliste. On rejoint par là des enjeux dont des publications précédentes se sont faites l'écho, à l'occasion notamment d'un dialogue entre Antoine Artous et Jean-Marie Harribey.

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Les onze auteurs de cet ouvrage dirigé par Eric Martin et Maxime Ouellet proposent de faire le point sur une refondation complète de la théorie critique à partir d’une analyse radicale de la valeur comme médiation centrale de la société capitaliste. L’enjeu n’est rien de moins que de poser les bases d’un dépassement de la question de la recherche du sujet de l’émancipation, tout en proposant une vision réellement articulée des différentes oppressions et exploitations. Les questions stratégiques qui découlent de cette réflexion théorique ne sont pas éludées : comment éviter les écueils de l’économicisme – la revendication d’une meilleure répartition du revenu nous enferme dans la logique capitaliste de la valeur – sans tomber dans une posture pessimiste de critique de la critique ? Quelques pistes sont proposées au fil du livre, composé d’une introduction des deux directeurs suivie de 9 chapitres.

La tyrannie de la valeur s’empare de trois nouvelles approches théoriques contemporaines et propose de les faire converger. Les travaux de Moishe Postone, en particulier Temps, travail et domination sociale, écrit en 1993 et la sociologie dialectique de Michel Freitag produite tout au long des années 1980, 1990 et 2000 sont rapprochées de la relecture de Marx centrée sur la critique de la valeur (Wertkritik) entreprise par le groupe Krisis à partir de la fin des années 1980. Dans le  premier chapitre, Anselm Jappe revient sur les apports du principal auteur de ce courant, Robert Kurz. On retrouve chez ce dernier une critique du marxisme orthodoxe et du mouvement ouvrier, critique commune aux trois courants qui nous intéressent : la lutte des classes est « un conflit à l’intérieur du rapport capitaliste », si bien que « les sujets collectifs, comme les classes, ne sont pas les acteurs de l’histoire mais ils sont eux-mêmes constitués, et ensuite dissous, par le mouvement de la valeur » (p. 55).

Pour le courant de la critique de la valeur, le concept de valeur a été mal compris par les lecteurs de Marx. Ou plutôt, il s’agit « de reprendre ses intuitions les plus fécondes, même si cela implique de s’opposer à d’autres idées du maître » (p. 60). Loin de naturaliser le travail comme une capacité proprement humaine à agir sur l’environnement en vue d’une fin, Marx « critique plutôt le fait que le travail ait une fonction de médiation sociale dans les sociétés capitalistes » (p. 15), c’est-à-dire qu’il constitue le terrain de mise en relation des activités humaines. Sous le capitalisme, cette mise en relation est une abstraction deshumanisante : la valeur est faite de travail abstrait, qui n’est pas du « travail individuel et isolé » mais plutôt « l’expression du travail en tant que puissance sociale » (p. 15). Il serait alors vain de chercher à mesurer, tout au long du processus productif, le temps de travail concrètement dépensé dans la production d’une marchandise. Il faut au contraire faire porter l’attention sur les effets sociaux du règne de la valeur : l’obligation de vendre sa force de travail, la poursuite effrénée de la croissance, la consommation comme épanouissement, etc.

Contre Althusser et avec Holloway qui propose de Lire la première phrase du capital, la critique de la valeur se fonde sur le premier chapitre du Capital et son analyse du fétichisme de la marchandise, un fétiche qu’il faut comprendre comme une abstraction réelle ayant vraiment cours dans les sociétés marchandes et non comme une illusion subjective. Historiquement, le travail dans la société capitaliste apparait comme une « libération à l’égard des formes sociales antérieures et des formes de domination personnelles [qui] n’a pas pour effet de libérer le sujet ; elle le plonge au contraire dans une aliénation d’autant plus glaciale (pour parler comme Marx) que celle-ci se trouve expurgée de la normativité qui caractérisait encore le rapport traditionnel » (p. 23).

Les luttes traditionnelles du mouvement ouvrier contre l’exploitation s’arrêtent au concept de valeur de Ricardo, une valeur-travail substance de la valeur d’échange qui « s’est avérée utile historiquement en ce qu’elle a fourni une justification normative pour assurer une redistribution plus juste de la richesse produite socialement » mais « s’avère incapable […] de critiquer de manière adéquate la forme de domination abstraite qui est au fondement de la société capitaliste » (p. 17). Ce concept est donc intrinsèquement réformiste : il naturalise le travail et donc dépolitise les luttes. « Le positivisme et le structuralisme qu’on retrouvait dans la théorie de la valeur-travail en vogue jusqu’aux années 1970 étaient tout à fait adaptés à l’idéologie technocratique de la planification, partagée tant par les bureaucrates des régimes sociaux-démocrates à l’Ouest que par ceux du socialisme réellement existant à l’Est ». L’horizon d’émancipation véhiculé par une critique centrée sur la valeur-travail, ce sont les idéaux modernes d’égalité et de liberté abstraites, des idéaux encastrés « dans les catégories du capital qui régissent une société dont [on] prétend s’abstraire » (p. 31-32). Pour penser une autre société, il faut donc s’attaquer à la valeur comme médiation sociale plutôt qu’à son partage.

Jacques Mascatto entreprend dans le second chapitre une critique approfondie quoiqu’un peu unilatérale des régimes communistes à partir de cette perspective. À moins d’abolir la valeur, et donc le travail et la classe ouvrière, on reste sous son emprise. Pour « Lénine, la dictature du prolétariat [... c’est] fonder une société dans laquelle chacun serait membre de la classe ouvrière afin d’institutionnaliser l’universalisation du capital » (p. 75). Ainsi, le « capital peut se passer des capitalistes, mais non du prolétariat, c’est-à-dire du temps de travail » (p. 77). L’auto-valorisation de la valeur s’est donc poursuivie à l’Est. Si les régimes communistes n’ont pas survécus, ce n’est pas face à la concurrence économique ou militaire de l’Ouest, mais parce qu’ils « se sont avérés incapables de produire, comparativement à l’Occident, de l’aliénation » (p. 68). Bien qu’ils partagent une même dynamique d’accumulation de valeur, le capitalisme de marché l’emporte sur le capitalisme d’Etat lorsqu’il s’agit d’entretenir l’adhésion et la subjectivité adéquate.

Gilles Labelle complète dans le troisième chapitre la critique du marxisme orthodoxe pour lequel le social serait sériel (juxtaposant le travail, le capital, l’État, etc.), quand il faudrait l’analyser comme une totalité. Dans le premier cas, « seule une "force" ou une "volonté" extérieure aux séries peut faire tenir ensemble les éléments qui les composent », la lutte consistant alors à faire évoluer le rapport entre ces « forces » pour recomposer une nouvelle série, socialiste. Or une démarche davantage dialectique doit permettre de penser la co-construction des éléments et de leurs rapports : le travail est « nécessairement aliéné, en tant qu’il médiatise (c’est-à-dire qu’il manifeste à l’échelle de la partie) la dynamique propre au tout que constitue le capital » (p. 103). La métaphore du langage permet d’éclaircir cette approche du social comme totalité dynamique : « ni la partie (les sujets parlants), ni le tout (la langue) n’est le fondement de l’autre ; la totalité linguistique existe plutôt comme un échange continu, comme un dialogue entre l’objectivité, commune et héritée (la langue instituée), et la subjectivité comprise comme exercice de la liberté (la puissance instituante) » (p. 113). Ce chapitre ouvre également d’intéressantes perspectives stratégiques à partir d’une conception de la « liberté concrète, située, liberté qui "peut combattre et résister", qui non seulement n’a rien à voir mais qui se situe aux antipodes de la liberté abstraite, déliée, promue unanimement par les néolibéraux et les défenseurs de la "transgression" à l’infini » (p. 117).

Dans le chapitre 4, Pierre Dardot revient sur la lecture ricardienne de Marx et répond aux économistes hétérodoxes français André Orléan et Frédéric Lordon, mais aussi à Moishe Postone. Dans le Capital, « la valeur n’est pas une substance » (p. 118) au sens métaphysique ; le travail n’y est pas essentialisé en catégorie transhistorique. La valeur est plutôt le quelque chose de commun qui permet de mettre en relation quantitative deux marchandises, de même que « le rapport de distance présuppose comme sa condition de possibilité l’appartenance des deux choses qu’il relie à l’espace ». Il n’y a pas de substance métaphysique valeur, comme il n’y a pas d’éther remplissant l’espace : la valeur et l’espace n’existent pas « en dehors et indépendamment des rapports qui sont construits en [eux], parce qu’il[s sont] co-engendré[s] en même temps qu’eux et à travers eux » (p. 127-128).

Franck Fischbach revient sur la similarité entre valeur et espace dans un chapitre centré sur l’ouvrage de Lukács, Histoire et conscience de classe. Le processus d’abstraction typique de la modernité s’appuie sur « la conception newtonienne de l’espace-temps, qu’on peut décrire comme abstraite, mesurable, universelle et objective [et] qui rend possible la quantification de l’activité sociale et donc l’échangeabilité des produits du travail de tous et chacun dans un espace homogène » (p. 24). Suivant cette logique, le temps n’est qu’une dimension de plus de l’espace, l’espace abstrait de la physique opposé à l’espace différencié de la géographie. C’est donc la fin de l’histoire, au sens où le temps ne fait que passer, sans que rien n’arrive d’autre qu’une accumulation quantitative de valeur. Les perspectives d’émancipation – c’est-à-dire d’en finir avec cette abstraction du temps (de travail en valeur) pour redonner au temps une dimension qualitative, historique – apparaissent alors bien illusoires : la spatialisation est trop avancée et les sujets de l’émancipation trop évanescents. Comment trouver un sujet historique de rechange si la classe ouvrière est elle-même partie prenante du capital et s’il n’y a plus d’histoire ?

Marie-Pierre Boucher propose de faire le point sur l’articulation des analyses critiques du patriarcat et du capitalisme, en confrontant les tentatives de la théorie critique de la valeur à celles des féministes matérialistes françaises et de la revue Théorie communiste. Le concept de « dissociation-valeur » propose d’appréhender la binarité des catégories de sexe comme branchée sur l’opposition valeur/non-valeur, le féminin étant associée à la non-valeur. Cette approche prometteuse permet d’« historiciser les catégories de sexe » en lien avec l’évolution du capitalisme : avec le fordisme, « le rôle de la ménagère sera consolidé puis […] abandonné au profit du salariat flexible, de la double tâche, de la superwoman et de la consolidation des figures de ‘‘la femme’’ » (p. 168). Ainsi, la généralisation du salariat féminin peut contribuer à expliquer le parallèle entre « la hausse des heures de travail, de son intensité, la segmentation de l’emploi et sa porosité, l’investissement de soi » qui caractérisent « le rapport contemporain au travail […] avec l’asservissement des femmes, le sexage et "la mise à disposition de soi" » (p. 191).

Face à l’aliénation, il ne suffit pas de s’emparer du pouvoir d’État, ni même du contrôle des moyens de production : « le capitalisme est un système fétichiste et inconscient, régi par le "sujet automate" (l’expression est de Marx) de la valorisation de la valeur » (p. 59). En plus de l’aliénation, la logique de la valeur est celle d’une accumulation illimitée qui « induit une contrainte temporelle, celle de l’accélération continue […et] de l’innovation technologique perpétuelle » (p. 25). C’est pourquoi (et c’est un nouveau désaccord avec l’essentiel du mouvement ouvrier), « la technique n’est pas neutre mais bien la matérialisation des rapports sociaux et de valeurs » (p. 27). C’est ce dont traite le chapitre de Louis Marion : « la machine ne libère pas l’homme du travail, mais au contraire l’assujettit au travail total, sans qualité, abstrait et aliéné » (p. 199). Capital et technique fonctionnent de façon similaire et conjointe, si bien que « le principe d’économie est égal au principe de raison » (p. 202). Ils gèlent de concert la vie dans la valeur, comme l’espace rigidifie le temps dans le chapitre de Fischbach. Au-delà du seul travail concret, l’aliénation investit l’ensemble du « temps historique objectivé, lequel correspond au patrimoine intellectuel, culturel et scientifique de l’humanité, ce que Marx appelait dans les Grundrisse le general intellect, qui est désormais au fondement de la productivité » (p. 40).

Il faut donc désenchanter la raison et ne rechercher aucun espoir du côté du développement scientifique. La recherche d’un sujet de l’émancipation est tout aussi vaine dès lors que tout sujet « est dialectiquement lié à la forme de médiation sociale dominante et constitué par elle » (p. 33). Ce raisonnement conduit une partie du courant de la critique de la valeur à rejoindre l’école de Francfort et ses perspectives très pessimistes, où la seule issue à l’accumulation aliénante de valeur est dans « l’auto-effondrement du capitalisme sous le poids de ses contradictions » (p. 44). Une issue synonyme de destructions sociales et environnementales cataclysmiques.

Perspectives stratégiques

Face à tous ces mécanismes cohérents d’aliénation, Yves-Marie Abraham se demande « comment arrêter l’automate ? » (p. 222). Les tenants de la théorie critique de la valeur proposent non que « nous libérions le travail du capital […] mais que nous nous libérions du travail » (p. 226) sans pour autant formuler de stratégie d’action. Yves-Marie Abraham nous invite à suivre Bernard Friot et de voir dans le salaire socialisé et la qualification une alternative déjà là à la valeur capitaliste, un instrument ouvrant vers « un projet postcapitaliste réfléchi ». En effet, les cotisations reposent « sur une toute autre conception de la valeur (économique) que celle qui s’est imposée avec le capitalisme » (p. 228). Une valeur plus qualitative – puisque fondée sur la qualification – et moins quantitative – puisque déconnectée du temps de travail.

Jean-François Filion compare dans le dernier chapitre la théorie de la valeur à la sociologie dialectique de Michel Freitag. Le cœur commun de ces approches, c’est l’attention portée sur les médiations « constitutives des formes de subjectivité et d’objectivité, donc des pratiques ainsi que des connaissances » (p. 239). Face au matérialisme froid et aliénant « qui nie l’existence d’entités immatérielles et non quantifiables » (p. 241), Freitag soutient « que la dimension transcendantale du symbolique oriente de manière plus ou moins consciente nos pratiques et nos choix de société » (p. 261). Il s’agit alors de rechercher des « formes de médiations non aliénées » (p. 45) dans les identités, les liens et les pratiques communes, y compris des « médiations précapitalistes », quitte à assumer une forme de conservatisme émancipateur. Dans la mesure où « la totalité du monde n’est pas – pour l’heure – irrémédiablement réduite à n’être qu’un signe de la jouissance narcissique du capital », certaines de ces médiations rendent encore possible de « retrouver un sens par rapport à ce que vaut notre vie commune par-delà le fétiche et le règne des abstractions » (p. 45).

Si le livre appelle la recherche de ces médiations alternatives « moins ruineuses », les auteurs sont avares en propositions. En dehors de la qualification et du salariat promu par Friot, Martin et Ouellec mentionnent rapidement la Commune de Paris. Doit-on chercher du côté de La société des affects de Lordon ? Des revendications identitaires, nationales par exemple, la plupart des auteurs étant québécois ? À partir de la critique du moteur et de la technique, on pourrait également penser à des symboliques plus écologiques, en opposant la Pachamama au fétiche de la marchandise. Si on peut regretter que le livre reste assez abstrait, il donne de nombreux outils pour légitimer chacune des dynamiques revendicatives, dès lors qu’elles sont suffisamment partagées pour prétendre accéder au statut de médiation.

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