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L'institution du mariage

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Roseau
fée clochette
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Message  fée clochette Dim 8 Mai - 11:46

http://www.slate.fr/story/37851/mariage-pute-sexe-contrat



Le mariage fait-il de nous des putes?

Dans le cadre de ces controverses militantes autour de la prostitution —pour ou contre la prostitution, pour ou contre la pénalisation des clients— l’argument de la dynamique prostitutionnelle dans le couple est souvent avancé, notamment pour mettre en évidence l’omniprésence d’une certaine forme de tarification sexuelle dans l’institution même du mariage.

A l’opposé des abolitionnistes qui assimilent la prostitution à la traite des êtres humains et à l’esclavage, certains mouvements libertaires estiment que le fait de combattre la prostitution en tant que fléau recouvre en fait une volonté de moraliser notre société. Et pour contrer cette supposée offensive morale, la comparaison de la prostitution «classique» et de la prostitution conjugale est un argument choc, s’appuyant sur les thèses de chercheurs comme Gail Pheterson, qui affirme la présence d’une transaction économique dans le mariage en ces termes:


«Les femmes doivent fournir des services ménagers, sexuels et reproductifs aux hommes en contrepartie de compensations matérielles plus ou moins importantes.» [1]

Paola Tabet, pour sa part, évoque un continuum de l’échange économico-sexuel qui va du flirt au mariage en passant par la prostitution [2].

Dans ce contexte, on est amené à se poser une question: cet échange «économico-sexuel» est-il uniquement le symptôme d’une soumission de la femme à la puissance masculine dans certains couples, ou le mariage, par sa nature même, fait-il de tout conjoint une pute, quel que soit son sexe?

Revenons aux fondamentaux de l’institution: si le mariage est considéré comme un acte solennel fondateur de famille, il reste avant tout un contrat, signé par les parties, et générant des obligations réciproques entre époux, notamment l’obligation de communauté de vie postérieure au mariage, anciennement appelée «affectio matrimonialis». Et le mariage étant primitivement tourné vers la survie de l’espèce, cette communauté de vie va bien au-delà de la seule cohabitation. Le couple marié doit se reproduire.

Qui dit mariage dit sexe

Cette obligation a des conséquences: le mariage suppose l’existence de relations sexuelles dans le couple, fussent-elles stériles. Et ces relations sexuelles sont considérées comme le gage d’une réelle intention matrimoniale, le fameux «affectio matrimonialis». A ce titre, le sexe au sein du couple marié est un élément fondateur de l’institution même.

Par conséquent, un conjoint qui se refuse sexuellement à l’autre peut se voir opposer une demande de divorce de la part de l’abstinent forcé. Plus fort encore, un refus des rapports sexuels «ab initio» (c’est-à-dire un mariage non consommé) peut faire l’objet d’une demande d’annulation.

Evidemment, tout cela est théorique. Mais la réalité quotidienne du couple marié écarte-t-elle pour autant tout échange sexuel à caractère économique? Pas si sûr.

L'offre et la demande

En tant qu’obligation, tacite ou expresse, le sexe peut se rapprocher d’une transaction économique de fait. Et la prestation sexuelle au sein du couple marié s’inscrit bien souvent dans un système de tarification implicite, qui va bien au-delà du simple rapport sexuel consenti pour éviter les conflits. Faire un effort quand on n’a pas réellement envie de faire l’amour, accorder à l’autre une gâterie compensatoire, c’est une chose. Mais le marché global, reposant sur une offre et une demande à long terme, voilà qui est lourd de conséquences et qui suggère souvent une forme de prostitution au long cours dans le mariage.

Le sexe conjugal, c’est parfois un argument de négociation, et un outil de règlement des conflits. Et quand la presse féminine évoque de façon quasi impérative l’importance d’une vie sexuelle épanouie pour «préserver le couple», elle encourage d’une certaine façon la tarification des rapports sexuels.

En effet, expliquer que sans vie sexuelle épanouie (et régulièrement pimentée) le couple est en danger, cela suppose de passer outre l’existence même du désir: il faut baiser pour faire vivre le couple, sous peine de voir le conjoint délaissé se tourner vers des satisfactions extérieures. Il faut fournir, produire du sexe, à la fois en quantité et en qualité, afin de préserver le bon fonctionnement conjugal dans sa globalité. Se forcer un peu est alors considéré comme un acte de maturité sexuelle.

On en arrive donc assez facilement à une sorte de deal qui conditionne la santé même du couple: je couche avec toi, je te satisfais et je te rends heureux. En échange, tu m’apportes une sérénité quotidienne, nous évitons les conflits, et tu restes avec moi. Contrairement aux apparences, on n’est plus là dans la dictature de la performance mais dans un schéma d’échange économique, dont le sexe est la monnaie.

Par ailleurs, les composantes économiques du sexe conjugal dépassent aujourd’hui la simple gestion des flux financiers au sein du couple, bien que la circulation des biens soit encore effective (petits cadeaux, gratifications, attentions matérielles diverses). Et si on a pu affirmer que les femmes fournissaient autrefois des prestations sexuelles en échange d’une sécurité matérielle, l’accès à l’autonomie financière a rendu cette composante presque caduque, même si en pratique les femmes gagnent souvent moins d’argent que les hommes. Le fait est qu’elles ne couchent plus en échange d’un toit et d’une subsistance, mais que les conjoints échangent du sexe contre des compensations relationnelles, tout autant que matérielles.

Aujourd’hui en effet, les deux sexes sont concernés par la tarification sexuelle conjugale: la pression pèse sur les hommes comme sur les femmes, et le sexe est une véritable valeur ajoutée, qui détermine souvent la bonne santé du couple, et devient au fil du temps une sorte de monnaie d’échange.

Et là, il ne s’agit pas simplement de s’envoyer en l’air pour éviter une dispute, ou assouvir les besoins de son conjoint, mais d’utiliser le sexe comme moyen de se vendre à l’autre en tant que partenaire de qualité. Et le retour sur investissement est plutôt rentable, puisque la qualité de la vie sexuelle, indépendamment du désir proprement dit, va influer sur la pérennité même du couple.

C’est là qu’on rejoint la dynamique prostitutionnelle, qui en appelle au consentement à l’acte, et non au désir de l’acte. Et cette distinction entre désir et consentement est au cœur même de la notion de prostitution. Mais à l’opposé de la prostitution classique, dans laquelle l’individu prostitué vend ses faveurs sexuelles, délivrant ainsi son partenaire de toute autre obligation (affection, tendresse, attention), la prostitution dans le couple est au contraire un moyen d’obtenir ces attentions, indépendamment du plaisir qu’on retire éventuellement de l’acte sexuel.

Le système conjugal, qui semble donc être le plus éloigné de la dynamique prostitutionnelle, révèle dans son fondement même la présence d’une prestation sexuelle tarifée. Alors, une fois mariés, nous devenons tous des putes, chacun à notre manière.

Gaëlle-Marie Zimmermann


[1] Le prisme de la prostitution, Gail Pheterson, Editions L’Harmattan, 2003.


[2] La grande arnaque, Sexualité des femmes et échange économico-sexuel, Paola Tabet, Editions L’Harmattan, 2004.


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Message  Roseau Dim 8 Mai - 19:53

Il y a beaucoup de formes de marriages, en fonction des cultures et de leurs évolutions.
Dans la société capitaliste, marriage ou pas, les rapports sexuels, sont soumis à la pression de la marchandisation.
Certains économistes, inspirés par Milton Friedman, et il me semble que lui même, ont tenté de calculer le prix des rapports sexuels bien au delà de la prostitution, en incluant ceux dans le cadre du couple et du marriage.
Mais malheureusement, je n'en sais pas plus. Si quelqu'un avait références, ce serait intéressant.
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Message  fée clochette Dim 8 Mai - 20:13

Roseau a écrit:Il y a beaucoup de formes de marriages, en fonction des cultures et de leurs évolutions.
Dans la société capitaliste, marriage ou pas, les rapports sexuels, sont soumis à la pression de la marchandisation.
Certains économistes, inspirés par Milton Friedman, et il me semble que lui même, ont tenté de calculer le prix des rapports sexuels bien au delà de la prostitution, en incluant ceux dans le cadre du couple et du marriage.
Mais malheureusement, je n'en sais pas plus. Si quelqu'un avait références, ce serait intéressant.

C'est vrai. en fait cet article est complètement idiot. Pas besoin d'être marié "officiellement" pour rentrer dans ces formes de "dépendance"
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Message  Vérosa_2 Dim 8 Mai - 20:58

Ben oui en effet cet article n'est pas "au top". Ce n'est pas le mariage qui crée l'oppression et la dépendance mutuelle, c'est la famille nucléaire.

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Message  Roseau Dim 8 Mai - 22:58

La dépendance mutuelle?
Le fond de l'affaire, c'est l'oppression des femmes.
Pas de socialisme, sans fin de cette oppression.
Pas de fin de fin de toute oppression, sans la fin de la marchandise, autrement dit sans socialisme.
Je crois qu'on est d'accord. MR, oui, même si ça fait rigoler Loriot Embarassed
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Message  Vérosa_2 Lun 9 Mai - 8:01

Je ne suis pas sûr que le "fond de l'affaire" se résume à l'oppression des femmes, même si l'émancipation et la libération féminine est une cause importante pour le socialisme. Le problème sous-jacent à tout ça est le noyau familial entretenu par le capitalisme, et l'oppression au sein de cette famille est générale. A titre d'exemple, si les hommes sont violents envers les femmes, la violence envers les enfants, elle, est le plus souvent le fait des mères de familles (ne serait-ce que parce qu'elles sont en charge de les élever dans la grande majorité des cas). Et au sein de cette structure familiale ("unie" par le mariage ou pas), tant les relations sexuelles que le rapport d'amour filial sont des relations de dépendance mutuelle. Pour employer une expression pompeuse, on retrouve dans la famille cette "implication réciproque" présente entre les deux classes dans la sphère publique capitaliste. On ne peut pas - me semble-t-il - considérer le combat féministe sans considérer dans le même temps le rôle joué par la cellule familiale telle qu'elle existe majoritairement depuis 2 ou 3 siècles.

Maintenant, pour rester dans le fil du sujet, il est bien évident que le mariage est une institution sexiste. Rien que le terme "mariage" désigne en soi une domination de genre.

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Message  bromure Lun 9 Mai - 16:56

Personne n'a parlé de solution concrète? Ça fait bien longtemps que j'ai décidé de ne jamais me marié et de ne pas faire de gosses (c'est mauvais pour la couche d'ozone y parait ^^), mais la ont parle de choix personnelles (comme d'autres qu'on pourrait citer). Qu'est que l'ont peut donner a voir, a proposer pour remplacer la famille patriarcale? Quel solution concrète (et collectivement élaborés blablabla....) apporte t'ont au sexisme? Des pink block comme en Inde?
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Message  sylvestre Mar 10 Mai - 16:34

Quelle solution au sexisme ? Il me semble que c'est l'objet d'autres fils, il est certain que ce n'est pas en se mariant ou pas qu'on résoudra la question, ni même en changeant les formes légales du mariage, même si certaines revendications classiques sont à rappeler comme le divorce sur simple demande de l'un des époux sans notion de "faute" - *
Par ailleurs la lutte pour la libre circulation des personnes est indispensable pour lutter contre un contexte où le mariage signe une dépendance pratique forte : le droit de résidence des conjoints quand il dépend du statut marital.

A part ça, il y a l'idéologie du mariage (et de la monogamie hétéro) qui reste pregnante, mais plus comme conséquence que comme cause de l'oppression sexiste (même si bien sûr effet et cause ne sont pas séparés par une muraille de Chine).

A ce sujet :Marriage obsession reveals its true role
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Message  Vérosa_2 Mar 10 Mai - 16:54

Petit passage qui traite tant du mariage que du féminisme et de la famille :
_________________________

" L'abolition de la famille ! Même les plus radicaux s'indignent de cet infâme dessein des communistes.

Sur quelle base repose la famille bourgeoise d'à présent ? Sur le capital, le profit individuel. La famille, dans sa plénitude, n'existe que pour la bourgeoisie; mais elle a pour corollaire la suppression forcée de toute famille pour le prolétaire et la prostitution publique.

La famille bourgeoise s'évanouit naturellement avec l'évanouissement de son corollaire, et l'une et l'autre disparaissent avec la disparition du capital.

Nous reprochez-vous de vouloir abolir l'exploitation des enfants par leurs parents ? Ce crime-là, nous l'avouons.

Mais nous brisons, dites-vous, les liens les plus intimes, en substituant à l'éducation par la famille l'éducation par la société.

Et votre éducation à vous, n'est-elle pas, elle aussi, déterminée par la société ? Déterminée par les conditions sociales dans lesquelles vous élevez vos enfants, par l'immixtion directe ou non de la société, par l'école, etc. ? Les communistes n'inventent pas l'action de la société sur l'éducation; ils en changent seulement le caractère et arrachent l'éducation à l'influence de la classe dominante.

Les déclamations bourgeoises sur la famille et l'éducation, sur les doux liens qui unissent l'enfant à ses parents deviennent de plus en plus écoeurantes, à mesure que la grande industrie détruit tout lien de famille pour le prolétaire et transforme les enfants en simples articles de commerce, en simples instruments de travail.

Mais la bourgeoisie tout entière de s'écrier en choeur : Vous autres, communistes, vous voulez introduire la communauté des femmes !

Pour le bourgeois, sa femme n'est autre chose qu'un instrument de production. Il entend dire que les instruments de production doivent être exploités en commun et il conclut naturellement que les femmes elles-mêmes partageront le sort commun de la socialisation.

Il ne soupçonne pas qu'il s'agit précisément d'arracher la femme à son rôle actuel de simple instrument de production.

Rien de plus grotesque, d'ailleurs, que l'horreur ultra-morale qu'inspire à nos bourgeois la prétendue communauté officielle des femmes que professeraient les communistes. Les communistes n'ont pas besoin d'introduire la communauté des femmes; elle a presque toujours existé.

Nos bourgeois, non contents d'avoir à leur disposition les femmes et les filles des prolétaires, sans parler de la prostitution officielle, trouvent un plaisir singulier à se cocufier mutuellement.

Le mariage bourgeois est, en réalité, la communauté des femmes mariées. Tout au plus pourrait-on accuser les communistes de vouloir mettre à la place d'une communauté des femmes hypocritement dissimulée une communauté franche et officielle. Il est évident, du reste, qu'avec l'abolition du régime de production actuel, disparaîtra la communauté des femmes qui en découle, c'est-à-dire la prostitution officielle et non officielle. "

Le Manifeste du Parti Communiste.

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Message  Roseau Mer 29 Mai - 22:53

Un entretien avec Christophe Darmangeat. Propos recueillis par Elsa Collonges.
http://npa2009.org/node/37424
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Message  Toussaint Ven 31 Mai - 18:05

Prostitution et mariage : une assimilation douteuse
par Stéphanie Cordellier

Pour justifier et banaliser la prostitution, ses défenseurs la comparent fréquemment à un métier comme un autre ou encore au mariage (1 et 2). Evelina Giobbe, ancienne prostituée, qui a étudié les techniques utilisées par les souteneurs, rapporte :

"Le proxénète utilise la minimisation et le déni pour masquer les impacts que la prostitution a ou va avoir sur la vie d’une prostituée. Il peut dire à une femme qu’elle est plus futée que les autres qui le font pour rien, ou dire que toutes les femmes sont prostituées, argumentant que certaines le font pour des dîners et d’autres pour de l’argent en espèce. Il insiste aussi sur le fait que la prostitution est un travail comme un autre, et qu’elle ne se vend pas elle-même mais qu’elle vend seulement un service"(3).

Il est troublant de noter que l’on retrouve exactement le même discours chez les pro-prostitution, y compris parmi certaines personnes se qualifiant de "féministes" ou "proféministes ". Ce discours se fait de plus en plus fréquent et a des implications politiques précises concernant les femmes, puisque nous sommes toutes prostituables. Il est temps de s’interroger sur le sens des comparaisons qui sont constamment faites entre prostitution et mariage.

***

Historiquement, certains penseurs ont associé le mariage à la prostitution. Dans les années 70, beaucoup de féministes ont également assimilé le mariage à la prostitution. Il s’agissait alors souvent de démystifier le mariage et de révéler la misère sexuelle des femmes. Dans son livre consacré à la sexualité féminine (4), Alice Schwarzer insistait, par exemple, sur la ressemblance entre la vie des femmes mariées qu’elle avait interviewées avec celle d’une prostituée. Ce qui ne l’empêche pas, aujourd’hui où la tolérance face à la prostitution est plus grande que jamais, de lutter contre la normalisation de la prostitution et de dénoncer ses effets déshumanisant.

Aujourd’hui, la comparaison entre le mariage et la prostitution sert des fins politiques moins nobles : il ne s’agit plus de dénoncer le mariage traditionnel et la prostitution mais au contraire de faire accepter cette dernière sous prétexte que le mariage l’est. J’entends par mariage traditionnel la division du travail à l’œuvre dans le couple : l’homme travaille à l’extérieur et la femme à l’intérieur (5). Mais le mot mariage est fréquemment utilisé sans que l’on sache toujours à quoi il se rapporte.

Dans l’assimilation du "mariage" à la prostitution, on effectue en général deux comparaisons que je vais ici distinguer.

- On compare, d’une part, le sexe dans la prostitution et le sexe dans le mariage, particulièrement les rapports sexuels subis, forcés, effectués ou non contre "l’entretien" des femmes. Les couples non mariés peuvent être aussi concernés, c’est en fait la sexualité hétérosexuelle qui est critiquée et/ou comparée. Parfois, on compare également la prostitution à la sexualité homosexuelle. Dans toutes ces approches, la prostitution est perçue comme sexualité.

- On compare, d’autre part, ce que le courant pro-prostitution appelle les "services sexuels", à l’œuvre dans le mariage et dans la prostitution, avec les divers services ménagers rendus aux hommes par les femmes, dans le mariage ou même à l’extérieur (services que l’on retrouve sur le marché du travail avec la même division sexuelle du travail à l’œuvre). On compare donc en fin de compte la prostitution avec les divers métiers féminins ; la prostitution est perçue comme travail.

Après avoir discuté ces deux types de comparaisons, je montrerai qu’il existe encore deux autres points communs entre la prostitution et le mariage traditionnel :

- Le fait que leurs défenseurs utilisent le consentement des femmes pour nier le caractère oppressif de ces institutions.

- Le fait que les partisans de la prostitution et du mariage traditionnel considèrent que le problème principal se situe d’abord au niveau des valeurs et non au niveau de la réalité matérielle.

I - La prostitution comme sexualité

Une des façons de percevoir la prostitution est de mettre l’accent sur le fait qu’elle est comparable à de la sexualité. La prostitution est fréquemment comparée au sexe dans le mariage mais également à la sexualité homosexuelle.

a. Viol et "service sexuel" dans le mariage

Il peut paraître choquant d’affirmer que la sexualité des femmes mariée est un don unilatéral comparable à de la prostitution. Il semble pourtant que l’égalité des sexes ne soit pas encore réalisée dans les chambres à coucher. Un nombre important de femmes auraient été violées par leur mari. Et qui plus est, plusieurs enquêtes révèlent que la moitié des femmes subiraient des rapports sexuels non désirés (6). Quand, en plus, ces femmes ne travaillent pas à l’extérieur et sont économiquement dépendantes de leur mari, leur rapport à la sexualité peut être comparable dans sa nature à celui des femmes prostituées. Comparer la prostitution avec les violences sexuelles fréquemment à l’œuvre dans le mariage a au moins le mérite de replacer la prostitution dans la catégorie plus large des violences faites aux femmes.

b. Limites de la comparaison

Si le mariage peut être vécu comme de la prostitution, il est excessif de le réduire à cela. Peut-être pour la moitié des femmes, la sexualité dans le mariage n’est pas subie mais voulue ; et s’il peut y avoir des viols ou des rapports sexuels non désirés, ceux-ci peuvent aussi ne pas avoir lieu. La sexualité dans le mariage peut être sans violence et libre, alors que le sexe dans la prostitution est par définition non désiré par la femme prostituée, ce rapport forcé par des impératifs économiques n’est pas accidentel mais est la condition du contrat. Cela a déjà été souvent dit : la principale différence entre le mariage et la prostitution est que cette dernière n’est pas réformable.

D’autre part, même en se concentrant sur les femmes mariées qui subissent plutôt que choisissent leur sexualité, on peut supposer qu’il est moins désagréable d’être utilisée sexuellement une fois par jour plutôt que 10 fois par jours ou beaucoup plus avec des hommes qui n’ont même pas été choisis par la victime (même si cette comparaison reste spéculative et que chaque cas est différent).

Je ne veux pas par là prouver que la vie d’une femme mariée est toujours plus heureuse que celle d’une femme prostituée, mais contrer l’affirmation selon laquelle la vie d’une prostituée serait plus agréable car plus émancipée que la vie d’une femme mariée. Certain-e-s auteur-e-s (7) avancent que l’argent reçu par les femmes prostituées leur donnerait un pouvoir de négociation plus fort que celui des femmes mariées. Cette thèse est pourtant invalidée par le fait que les prostituées se plaignent fréquemment de devoir poser des actes sexuels que les femmes mariées refusent. Ainsi, il apparaît que le rôle joué par l’argent est plus ambigu qu’on le croie : s’il donne une certaine indépendance économique à celles qui pratiquent la prostitution à leur compte, il affaiblit en même temps leur pouvoir dans la relation sexuelle prostitutionnelle. Le client est roi, la prostituée est à son service. Toute réciprocité dans la relation sexuelle n’a plus lieu d’être : l’homme prend et ne rend que de l’argent.

c. la prostitution est-elle une forme de sexualité stigmatisée ?

Une autre comparaison qui place toujours la prostitution dans le registre de la sexualité consiste parfois à l’assimiler à la sexualité hors du mariage, à la liberté sexuelle des femmes ou à la sexualité homosexuelle. C’est l’approche souvent adoptée par les associations dites de « travailleuses du sexe » qui reprennent une théorie établie par une universitaire pour le compte du gouvernement néerlandais. Au nom du féminisme, cette théorie argumente en faveur de la revalorisation de la prostitution : la stigmatisation de la prostitution contrôlerait la sexualité des femmes par l’emploi du mot "pute", utilisé chaque fois qu’une femme adopte une sexualité libre (hors du mariage, non appropriée à un seul homme, etc.). La peur du mot "pute" aurait une fonction comparable à la peur du viol dans le contrôle social des femmes, il faudrait donc revaloriser ce mot et l’activité qui s’y rattache - comme les homosexuels et les lesbiennes ont repris avec fierté les insultes « pédé » ou « gouine ».

Selon Gail Pheterson (Cool, les prostituées seraient stigmatisées à cause de leur sexualité plus libre. C’est pour cette raison que les lesbiennes devraient faire alliance avec les prostituées, leur situation étant comparable.

d. Lesbiennes et prostituées : aux deux extrêmes de la condition féminine

Selon moi, on ne peut pas comparer lesbiennes et prostituées car elles se trouvent dans des positions très différentes, aux deux extrêmes de la condition féminine. Entre les lesbiennes et les hétérosexuelles, ce ne sont pas les plus stigmatisées qui sont les plus opprimées. Des enquêtes psychologiques montrent que les lesbiennes sont (souvent) moins déprimées et mieux dans leur peau que les hétérosexuelles (9), ce qui est prévisible si l’on compare leurs conditions matérielles d’existence avec celles des femmes hétérosexuelles devant plus souvent faire face aux brimades et à la violence. Sans nier la stigmatisation des lesbiennes - qui a effectivement fonction d’épouvantail pour les femmes hétérosexuelles -, les lesbiennes sont concrètement moins opprimées que leurs sœurs hétérosexuelles. Les féministes radicales (y compris les hétérosexuelles parmi elles) ont d’ailleurs depuis longtemps abandonné l’approche libérale de « tolérance » envers l’homosexualité pour une analyse critique de la fonction tenue par l’institution hétérosexuelle dans l’oppression des femmes (RICH, MAcKINNON, XX).

Les lesbiennes ont la chance d’échapper au rapport d’appropriation privé par l’homme, même si cela ne veut pas dire qu’il n’existe plus du tout de rapport de pouvoir entre elles (10). Qu’elles soient les seules à y échapper, qu’elles échappent ou non au statut de femme peut se discuter, en tout cas elles vivent généralement de façon plus émancipée. Par contre, les femmes prostituées sont, comme le terme populaire l’indique, des "femmes publiques" qui appartiennent à tous les hommes et qui dans la relation prostitutionnelle ne sont jamais sujet mais toujours objet.

Ce que les lesbiennes et les femmes prostituées ont en commun est peut-être de s’écarter de la norme mariée hétérosexuelle, mais elles ne s’en écartent pas de la même façon : face à l’appropriation des femmes par les hommes, elles occupent des places opposées. De même leur stigmatisation ne revêt pas le même sens : la stigmatisation des lesbiennes empêche les femmes de remettre en cause l’institution hétérosexuelle et de se libérer par-là du joug de leur mari/ami ; la stigmatisation des prostituées ressemble étrangement à la stigmatisation des femmes violées à qui on impute la responsabilité des violences subies ; cette analyse de la stigmatisation des prostituées recoupe l’analyse des féministes radicales qui voient dans la prostitution une des formes de la violence des hommes contre les femmes.

Il est clair que la stigmatisation des personnes dans la prostitution est un problème réel. Mais pourquoi associer systématiquement prostituées et prostitution ?

Le lobby pro-prostitution est passé de l’idée que les femmes dans la prostitution sont injustement stigmatisées à l’idée que c’est la prostitution qui devrait être reconnue. Les femmes prostituées sont assimilées à la prostitution, comme si les intérêts de ces femmes et de cette institution étaient les mêmes.

A-t-on déjà dit, au nom du féminisme, qu’il fallait valoriser la chirurgie esthétique, le mariage ou le viol pour que les femmes opérées, les femmes au foyer ou les femmes violées se sentent moins stigmatisées ?

Il existe une autre façon de lutter contre la stigmatisation des femmes prostituées qui me semble beaucoup plus intéressante.

Les féministes radicales abolitionnistes ont souhaité revaloriser les prostituées mais pas la prostitution. Pour cela, la Coalition Against Trafficking in Women (CATW) recommande, par exemple, d’appeler les prostituées des " femmes dans la prostitution" pour insister sur le fait qu’elles sont des femmes comme les autres, qui se trouvent dans une certaine situation (11). Peut-être, comme le suggèrent Christine Delphy et Claude Faugeron (12), la tolérance de certaines féministes face à la prostitution est-elle due en partie au fait que ces féministes perçoivent les prostituées comme des femmes différentes d’elles-mêmes, et la prostitution comme quelque chose qui ne peut pas leur arriver à elles. L’approche de la CATW est donc bienvenue. Celle-ci ne combat pas la stigmatisation en valorisant le statut de prostituée et en renforçant ainsi le lien identitaire des femmes prostituées à la prostitution, mais en insistant sur le fait que les prostituées sont des femmes comme les autres, qui se trouvent dans une situation particulière où toutes les femmes pourraient se trouver mais qu’elles peuvent donc aussi quitter.

D’autre part, et c’est sans doute le plus important, les féministes abolitionnistes ne réduisent pas l’’"empowerment" des femmes prostituées au discours, mais militent pour la disparition du système prostitutionnel tout en favorisant la prise de pouvoir concrète (et non spirituelle) des femmes sur elles-même : des associations féministes abolitionistes composées d’anciennes prostituées (13) aident des femmes prostituées à quitter la prostitution, ceci en leur faisant aussi quitter le statut de victime pour celui de « survivante », celle qui n’accepte plus et se bat.

II - La prostitution comme travail domestique

a. Le "service sexuel"

Colette Guillaumin (14) a analysé la situation des femmes comme une appropriation publique et privée. Les femmes ne disposant que depuis récemment de leur propre force de travail et effectuant toujours toute une série de travaux domestiques non monnayés pour leur mari, sans que ceux-ci soient limités dans le temps, conduit Colette Guillaumin à la conclusion que les femmes se trouvent dans un rapport proche de l’esclavage ou du servage qu’elle nomme sexage.

L’entrée des femmes sur le marché du travail représente une forme d’émancipation féminine car les femmes n’y donnent plus "gratuitement" et sans limites leurs services. Suivant ce raisonnement, une autre auteure en a conclu que la prostitution représente une forme d’émancipation féminine car les femmes prostituées refusent de donner "gratuitement" et sans limites les services sexuels qu’elles fournissaient à leurs hommes à l’intérieur du mariage (15).

b. Spécificité de l’aliénation du corps

Christine Delphy et Claude Faugeron (16) ont déjà critiqué ces formes de raisonnements qui prennent comme une donnée le « travail sexuel » des femmes pour les hommes (s’indignant seulement sur sa gratuité), alors que le problème réside d’abord dans l’unilatéralité de ces rapports dont les hommes tirent profit au détriment des femmes. Marie-Victoire Louis a également soulevé les questions éthiques qui devraient se poser face à l’aliénation (vente ou location) du corps, questions que l’on se pose plus souvent pour la location d’utérus et le commerce d’organes.

L’aliénation du corps des femmes pour les hommes est-elle inoffensive ?

On évacue souvent les questions éthiques au nom d’un "pragmatisme" et d’une certaine urgence sanitaire. Mais, à y regarder de plus près, cette urgence sanitaire évoquée à propos de la prostitution ne concerne en fait que la santé des clients et leur possible contamination par des MST. Quand on s’intéresse à la santé des femmes prostituées, on s’aperçoit en effet qu’une autre urgence sanitaire existe, mais que celle-ci semble rendre tout le monde indifférent. Comme beaucoup de vétérans de la guerre du Vietnam et comme la majorité des femmes violées, les femmes prostituées souffrent de l’état de stress post-traumatique. Ce trouble se caractérise, entre autres, par des flash-back et des cauchemars récurrents. Il a fallu attendre 1998 pour que des chercheuses examinent l’étendue de ce trouble dans des populations de personnes prostituées de divers continents et découvrent que non seulement il affectait la majorité d’entre elles mais, qu’en outre, l’intensité de ce trouble était plus forte que chez les vétérans du Viet Nam (17).

Les proxénètes et les associations dites de « travailleuses du sexe » insistent sur le fait que les femmes dans la prostitution ne vendent pas leur corps mais seulement des services sexuels. Carole Pateman montre cependant que, contrairement à ce qui se passe dans l’exercice de tous les métiers, ce n’est pas la fonction que remplissent ces « travailleuses » qui intéressent les clients ou les patrons de maisons closes. Les femmes prostituées ne sont pas indispensables pour remplir ces besoins-là. On trouve même une proportion non négligeable de clients qui demandent aux femmes prostituées d’effectuer des services masturbatoires. Cela conduit Carol Pateman à la conclusion que ce ne sont pas des « services sexuels » que recherchent les clients : les clients « achètent l’utilisation sexuelle d’une femme pour une période donnée. Sinon, pourquoi donc entreraient-ils sur le marché et paieraient-ils pour un ’hand relief’ (service masturbatoire) »(18) .

En fait, la comparaison prostitution-viol marital devrait invalider la comparaison prostitution-métier féminin banal : la comparaison du sexe dans la prostitution avec les violences sexuelles dans le mariage devrait confirmer ce que nombre de femmes ressentent déjà, qu’il s’agit plus de violence que de métier. Cependant, l’assimilation de la prostitution au viol marital n’est pas interprétée par le lobby pro-prostitution comme le signe que la prostitution est de la violence ; au contraire, c’est la violence du viol qui est niée et banalisée. Si la prostitution, qui est comparable au viol marital ou à la sexualité forcée des femmes mariée est acceptable, alors ces formes de violence dans le mariage le sont aussi. Plus grave, ce sont toutes les formes possibles de violences sexuelles contre les femmes qui sont banalisées, comme nous allons le voir.

Le danger de l’assimilation de la prostitution à un travail est réel. Il a pour conséquence directe la banalisation de la prostitution mais également la banalisation du viol ; c’est donc un formidable recul pour les féministes. Car il faut en effet mener l’argumentation des pro-prostitution jusqu’au bout : si la prostitution est un métier, si la sexualité unilatérale peut être achetée, alors le viol n’est finalement qu’un vol, un "service sexuel" pris gratuitement et illégalement, éventuellement avec violence. La banalisation de l’achat de sexualité implique la banalisation du crime de viol. Si la sexualité est une marchandise comme une autre, comment peut-on continuer à traiter le viol comme un crime en cours d’assise ? Si la prostitution n’est qu’une vente de service sexuel, le viol n’est que le vol d’un service sexuel, éventuellement accompagné de violence sur personne. Les « autres vols » commis avec violence sont considérés comme bénins et ne sont pas traités en cours d’assise. Comment peut-on alors argumenter que le viol est plus grave qu’un vol ? Peut-être le viol est-il trop puni, parce que le vagin a été trop sacralisé, comme disent déjà certains sur la prostitution(19) ?

III - Les discours de légitimation de la prostitution et du mariage

a. Quand céder n’est pas consentir

Il existe, enfin, d’autres points communs entre la prostitution et le mariage traditionnel comme le fait que leurs défenseurs utilisent le consentement des femmes pour nier le caractère oppressif de ces institutions, et plus généralement pour nier l’oppression des femmes. Il est d’ailleurs intéressant de constater que les appels à la reconnaissance de la prostitution comme un travail et les revendications de rémunération du travail domestique ont émané des mêmes groupes.

La division sexuelle du travail à l’œuvre dans le mariage traditionnel, isolant la femme à l’intérieur du foyer et la mettant en situation de dépendance et d’exploitation économique n’est-elle pas voulue par les femmes elles-mêmes ? Il est vrai que de nombreuses femmes affirment avoir choisi d’être femmes au foyer et que certaines se sont même organisées pour militer pour la revalorisation du statut de mère au foyer. Malgré cet argument du consentement, les féministes ont poursuivi leur critique face au mariage traditionnel, percevant que le consentement était parfois une forme de justification des femmes se trouvant dans des situations oppressives. La rémunération du travail domestique a été critiquée pour ses effets négatifs à long terme sur le renforcement de la division du travail entre hommes et femmes.

Comme le note Catharine Mac Kinnon (20), aujourd’hui le fait qu’une femme battue reste 20 ans avec son mari violent n’est plus interprété comme un "consentement". "La question ’pourquoi ne part-elle pas’ a été remplacée par ’qu’est-ce qui la fait rester ?’." En ce qui concerne la prostitution, nous n’en sommes pas encore là, constate Catharine Mac Kinnon : "Peut-être quand les femmes dans la prostitution subiront les abus de milliers d’hommes pour leur survie économique pendant 20 ans, cela va à un moment donné également être compris comme non consensuel."(21) Si une prostituée nie ou minimise la violence qu’elle subit, comme c’est fréquemment le cas chez les femmes battues, la société s’empressera, à la différence de ces dernières, de la prendre au mot.

Le lobby pro-prostitution se cache derrière "la" parole des prostituées et parle souvent à leur place. Plusieurs prostituées et ex-prostituées, par exemple Yolande Grensen (22), Domenica Niehoff(23) ou Nicole Castioni (24), ont pourtant critiqué les politiques menées par « les associations de travailleuses du sexe » ou le fait que les prostituées n’y soient même pas majoritaires (25). Il y a une sélection des prostituées derrière lesquelles on choisit de se cacher : si celles qui réclament la reconnaissance de la prostitution comme un travail sont présentées en vedettes, les femmes sorties de la prostitution qui ont une position critique ne sont jamais citées. Pourtant, les survivantes sont sûrement celles qui sont le plus libres de parler, avec le recul nécessaire (26). Certaines associations abolitionnistes affiliées à la Coalition Against Trafficking in Women sont constituées à 100% de prostituées et d’anciennes prostituées. Ces organisations font un véritable travail de terrain : leur "pragmatisme" ne se réduit pas à distribuer des préservatifs et à encaisser l’argent des subventions sida, au contraire, elles luttent activement pour aider les femmes à sortir de la prostitution, souvent sans la moindre subvention.

Le consentement des femmes entrées volontairement dans la prostitution est bien relatif : ce sont des conditions matérielles et émotionnelles précises qui les font céder plus que consentir ; la majorité d’entre elles entrent dans la prostitution par besoin financier et la plupart d’entre elles ont subi des abus sexuels dans l’enfance, comme le démontrent nombre d’enquêtes sérieuses (27).

D’ailleurs, l’oppression des femmes dans la prostitution ou dans le mariage traditionnel ne concerne pas seulement les femmes prostituées mais plus largement toutes les femmes. Ainsi que le rappellent Christine Delphy et Claude Faugeron : « Dans la vision féministe, certaines oppressions comme l’interdiction de l’avortement (et plus largement la non-disposition de son corps) ou l’exploitation du travail domestique sont perçues comme des éléments constitutifs de la situation de base de toutes les femmes, qu’ils soient présents ou non dans les situations individuelles. Toutes les femmes peuvent alors se permettre d’en parler car elles sont très directement concernées. »

b. Stigmatisation et évasion mentale

Un autre point commun entre le mariage traditionnel et la prostitution est le fait que leurs défenseurs propagent l’illusion selon laquelle le problème de la prostitution et du mariage traditionnel se situe plus au niveau des valeurs que d’une réalité matérielle oppressive.

Les partisanes du statut de mères au foyer et les partisan-e-s de la prostitution jouent dans le même registre : il s’agit seulement de changer le discours pour mieux s’accommoder d’une réalité devant laquelle on a démissionné ou on s’est résigné. Ce n’est pas une transformation de la société mais une évasion mentale que l’on propose aux femmes concernées. Aux autres femmes pas (ou pas encore) concernées, on propose un camouflage verbal de certains types d’oppression. Comme les partisanes de la Nature féminine, le courant pro-prostitution ne quitte pas le terrain de l’idéologie : c’est seulement la stigmatisation qui est dénoncée et c’est elle qui explique les conditions de vie difficiles des prostituées ou des femmes au foyer. Marx et Engels écrivaient : « Exiger ainsi la transformation de la conscience revient à interpréter différemment ce qui existe, c’est-à-dire à l’accepter au moyen d’une interprétation différente » (28). Cette démarche, qu’ils qualifiaient de conservatrice, est celle qui est à l’œuvre dans la revalorisation idéologique du statut de mère au foyer ou de la prostitution.

Affirmer qu’il y a des femmes au foyer ou des femmes prostituées qui vivent bien ou mal une même situation, qu’il s’agit de perceptions personnelles qui varient, revient à dire que l’oppression n’est pas une réalité matérielle mais est dans la tête. Pour s’en débarrasser, il suffirait donc de changer la perception qu’on a de sa situation en "déstigmatisant" la prostitution ou le statut de mère au foyer. Dire que ces deux groupes de femmes sont injustement méprisés est une chose, dire que c’est leur seul problème en est une autre. C’est une véritable évasion mentale que l’on propose aux femmes dans la prostitution et aux femmes au foyer, une solution apolitique qui a même des implications politiques anti-féministes puisqu’elle se fait par la négation de l’oppression qui est "déstigmatisée", réévaluée, perpétuée (29).

CONCLUSION

Pour terminer, je souhaiterais insister sur le fait qu’il existe une sorte de "gender gap" en ce qui concerne la prostitution : les enquêtes d’opinion montrent que les hommes sont plus favorables que les femmes à la prostitution ; presque tous les oposants à la loi suédoise contre la prostitution sont des hommes (95%) (30) ; il est également très intéressant de remarquer la sur-représentation de l’argumentaire pro-prostitution chez les hommes féministes ou proféministes (31)...

Nous avons vu que la comparaison mariage-prostitution couvre à la fois la dimension sexualité du mariage et la dimension travail des tâches domestiques effectuées en son sein.

La prostitution n’est pas de la sexualité.

La prostitution n’est pas de la sexualité. Nous avons vu que la principale différence entre mariage et prostitution est que le mariage peut inclure des rapports mutuels exempts de violence, ce qui est impossible dans la prostitution où le corps des femmes est toujours utilisé sans réciprocité possible. De même, il existe peu de points communs entre prostituées et lesbiennes contrairement à ce que suggère parfois le lobby pro-prostitution. Celles-ci occupent des places opposées dans l’appropriation des femmes par les hommes. Le seul point commun, qui est la stigmatisation qu’elles subissent, ne remplit pas la même fonction. La stigmatisation des femmes prostituées peut en outre être combattue autrement que par l’assimilation des femmes prostituées à la prostitution. L’approche des féministes abolitionnistes, qui mettent l’accent sur la situation plutôt que sur l’identité des prostituées, donne la possibilité de comprendre que nous sommes toutes prostituables. Cette optique permet de ne pas renoncer à la lutte contre le système prostitutionel, lutte concrète qui ne se réduit pas au discours.

La prostitution n’est pas un travail

La prostitution n’est pas non plus un travail. Les femmes n’ont pas à se résigner à rendre des « services sexuels » à leur mari. Leur rémunération n’est certainement pas un moyen de mettre fin à cette utilisation abusive du corps des femmes par les hommes. Au contraire, elle l’institutionalise. La banalisation de la prostitution banalise et le viol marital, et le viol en général qui n’est plus qu’un vol de la marchandise « sexualité ». Par ailleurs, ni le travail domestique que les femmes effectuent pour les hommes, ni la prostitution ne sont des droits masculins éternels face auxquels nous devrions nous résigner. En particulier, la prostitution n’est pas un droit masculin qui doit être accepté au détriment de la santé des femmes ou de leurs droits humains. Il n’existe aucune raison crédible qui explique pourquoi la location du corps des femmes échappe aux considérations éthiques qui sont prises en compte pour d’autres types d’aliénation du corps. On ne sait pas non plus (mais on devine) pourquoi les conséquences désastreuses de la prostitution sur la majorité des femmes concernées sont ignorées ou tues.

Il existe des points communs intéressants encore peu examinés entre le mariage traditionnel et la prostitution : c’est l’attitude de leurs défenseurs respectifs. Ceux-ci se basent sur le consentement présumé des femmes qui se trouvent dans ces situations et misent sur une revalorisation idéologique de ces institutions,donc sur leur conservation, au lieu de vouloir les abolir.

Les justifications de certaines femmes se trouvant dans des situations oppressives et le désir sincère de reconnaissance sociale de femmes souvent méprisées sont mis en avant et présentés comme leur « consentement ». Un consentement très relatif puisque basé sur des conditions matérielles et émotionnelles spécifiques mais liées à la condition des femmes. Dans le même temps, les avis contraires d’autres femmes se trouvant dans la même situation sont tus et on assiste à la construction d’une « parole » justificatrice prétendument homogène qui sert la perpétuation d’institutions patriarcales (le mariage traditionnel ou la prostitution).

Cette parole unique de femmes opprimées par ces intitutions est présentée, par ailleurs, comme la seule légitime en ce qui concerne la prostitution. L’analyse féministe selon laquelle la prostitution est l’une des formes que revêt l’oppression des femmes, forme qui nous concerne toutes, est donc abandonnée. Les prostituées ne sont plus des femmes qui subissent l’un des aspects du patriarcat, mais un groupe différent qui connaîtrait une oppression spécifique qui ne nous concernerait plus et sur laquelle nous n’aurions rien à dire.

Une autre attitude commune aux défenseurs de la prostitution et du mariage traditionnel est de prôner la revalorisation de ces institutions. On assume que c’est l’idéologie, la stigmatisation, qui oppriment les femmes exploitées dans ces institutions et non leur situation matérielle qui est en cause. La seule solution proposée est donc un changement de valeurs, une évasion mentale. Cette solution a des effets antiféministes puisqu’elle nie l’oppression et contribue à la perpétuer. Les défenseurs de la prostitution et du mariage traditionnel ont assumé que les intérêts liés au maintien de ces institutions (qui sont en fait ceux des hommes bien sûr) sont identiques à ceux des femmes qui y sont exploitées puis, finalement, à ceux de toutes les femmes.

Mais comment expliquer alors que ce soient justement souvent les hommes qui soutiennent la revalorisation du mariage traditionnel ou de la prostitution et les femmes qui soient contre ? Cela ne peut s’expliquer qu’en prenant en compte leurs intérêts matériels véritables, intérêts qui ne correspondent pas du tout à la vision présentée par les défenseurs du mariage traditionnel et de la prostitution.

Stéphanie Cordellier a donné cet exposé à un colloque organisé par Christine Delphy pour « Nouvelles Questions Féministes », à l’Université Paris-X, les 25-26 septembre 2001.

SOURCES
1. Les phrases citées provenant d’ouvrages en langues étrangères ont été traduit par mes soins.
2. Christine Delphy et Claude Faugeron ont écrit une excellente mise au point face aux arguments diffusés dans le mouvement des femmes par les mêmes groupe qui souhaitaient la rémunération du travail ménager (prostitution = mariage = travail). Si Christine Delphy est abondamment citée en France par le courant pro-prostitution, le seul article portant sur la prostitution qu’elle ait à ma connaissance écrit n’est ni discuté ni même mentionné. DELPHY Christine et FAUGERON Claude (hiver 1984), "introduction à l’édition française du rapport du réseau contre l’esclavage sexuel", Nouvelles Questions Feministes, n°8, pp. 5-9.
3. Giobbe Evelina (1993), "An Analysis of Individual, Institutional, and Cultural Pimping." Michigan Journal of Gender & Law, 1, pp. 33-57.
4. SCHWARZER Alice (1975), La petite différence et ses grandes conséquences, éditions Des Femmes.
5. Cela n’exclue aucunement que les femmes qui travaillent à l’exterieur puisse continuer à se faire exploiter en effectuant beaucoup plus de travail domestique que leur époux.
6. Sue Wilkinson et Celia Kitzinger, "Theorizing Heterosexuality" in Sue Wilkinson et Celia Kitzinger (ed), Heterosexuality, a feminism and psychology reader, London, Sage, 1993, p.15
7. Par exemple : TABET Paola (1987), "Du don au tarif. Les relations sexuelles impliquant une compensation", in Les Temps Modernes, n° 490, pp. 1-53.
8. PHETERSON Gail (1996), The Prostitution Prism, Amsterdam. Voir aussi les analyses de l’association Cabiria : "La prostitution est un stigmate, l’homosexualité en était un aussi jusque dans les années 70 au moins" (XXX :45).
9. Sue Wilkinson et Celia Kitzinger, "Theorizing Heterosexuality" in Wilkinson Sue et Kitzinger Celia (ed), Heterosexuality, a feminism and psychology reader, London, Sage, 1993, p. 14.
10. L’analyse de Sheila Jeffreys me paraît le mieux rendre compte de cette réalité complexe : elle oppose ce qu’elle appelle « le désir homosexuel » au « désir hétérosexuel » ; le « désir homosexuel » est basé sur l’égalité tandis que le « désir hétérosexuel » est basé sur la différence entre genre qui n’est rien d’autre qu’une diférence de pouvoir (Sheila Jeffrey reprend l’analyse de Christine Delphy selon laquelle le genre n’est rien d’autre qu’une hiérarchie). Les relations hétérosexuelles peuvent aussi connaître le « désir homosexuel » (même si c’est plus rare et plus difficile), tout comme les relations homosexuelles peuvent connaître le « désir hétérosexuel ». Dans ce dernier cas, le sexe n’est plus là pour marquer la hiérarchie ; celle-ci est alors recréée par la reproduction des rôles sexuels (butch/femme), le sado-masochisme, l’érotisation des différences de « race », de classe ou d’âge. JEFFREYS Sheila (1997), "Heterosexuality and the desire for gender" in RICHARDSON Diane (dir.), Theorising Heterosexuality, Open University Press, pp. 75-90.
11. Hofmann Cecilia (1998), Questions and Issues on Prostitution : What We Need to Know. Quezon City : Coalition Against Trafficking in Women - Asia Pacific.
12. DELPHY Christine et FAUGERON Claude (hiver 1984), "introduction à l’édition française du rapport du réseau contre l’esclavage sexuel", Nouvelles Questions Feministes, n°8, pp. 5-9.
13. Par exemple : Promise, Escape, Whisper aux Etats Unis ; Pandora, Sperrgebiet en Europe.
14. Guillaumin Colette, 1992, Sexe, race et pratique du pouvoir : l’idée de Nature, éd. Côté-Femmes.
15. MaCKINNON, Catharine A. (1993), "Prostitution and civil rights", Michigan Journal of Gender and Law, 1. : 13-31 : http://www.prostitutionresearch.com/mackinnon1.html
16. MaCKINNON, Catharine A. (1993), "Prostitution and civil rights", Michigan Journal of Gender and Law, 1. : 13-31. http://www.prostitutionresearch.com/mackinnon1.html. Catharine McKinnon écrit aussi "(Avant nous avions un mouvement des femmes) qui comprenait que le choix de se laisser battre par un homme pour survivre économiquement n’était pas un choix réel, en dépit de l’apparence du consentement que le contrat du mariage peut donner. ...Maintenant nous sommes sensées croire, au nom du féminisme, que le choix de se laisser baiser par des centaines d’hommes pour la survie économique doit être affirmé comme un choix réel Catharine A. MacKinnon, "Liberalism and the Death of Feminism," in Dorchen Leidholdt and Janice Raymond (eds), The Sexual Liberals and the Attack on Feminism, 1990, Teachers College Press, New York. Cité par Melissa Farley sur internet : http://www.prostitutionresearch.com
17. "Je disais que je voulais faire un travail de terrain. Et puis dans le Conseil d’administration(de l’association PAYOKE qu’elle a créée avec une travailleuse sociale) pas une seule prostituée. Très vite, l’association a pris une tournure bureaucratique qui me déplaisait. Le summum fut atteint lorsqu’elles décidèrent cette option pour la légalisation. Moi qui viens de ce milieu là, j’étais indignée. La légalisation, c’est décider l’enfermement à perpète pour une catégorie de personnes. Je ne comprends même pas comment on peut imaginer une solution pareille." Yolande Grensen est interviewée par le groupe Prostitution de l’Université des femmes in : " "Le marché du sexe ", 1999.
18. "Le problème avec Hydra (organisation allemande dite de travailleuses du sexe), c’est que ce sont presque toutes des travailleuses sociales, qui ne connaissent pas les choses avec leur propre expérience. Et elles croient qu’elles nous font un cadeau à nous, les putes, en racontant cela (que la majorité des prostituées n’ont plus de proxénètes). La vérité est que maximum un tiers des putes ont un mec gentil, qui gagne lui-même son argent, ou bien pas de mec du tout." Domenica Niehoff (prostituée de Hambourg la plus célèbre) interviewée par Alice Schwarzer, Emma, octobre 1988 ; ma traduction.
19. « J’étais moi-même présidente d’une association qui s’appelait ASPASIE et j’ai dû démissionner de cette association. Il faut savoir que j’étais présidente pendant une année sans aucun problème. (...) Une année après j’ai publié mon livre qui s’appelle " Le soleil au bout de la nuit " (...) je revendiquais quand même et je dénonçais surtout certaines attitudes et certaines formes de prostitution qui, pour moi, sont intolérables. Ca a été intolérable au sein de l’association dont j’étais présidente et j’ai dû démissionner. » Nicole Castioni in UNESCO, Peuple de l’Abîme, La prostitution aujourd’hui, colloque du 16 mai 2000, Paris.
20. Janice Raymond évoque le même problème pour l’organisation américaine de sex workers COYOTE. Raymond Janice G. (1998), "Prostitution as Violence Against Women : NGO Stonewalling in Beijing and Elsewhere.", Women’s Studies International Forum, v. 21 (1), pp. 1-9.
21. M. Balaz, " Backstreet ", Actes de la recherche en science sociale numéro 104. Browne, Angela, & Finklehor, David (1986), Impact of child sexual abuse : A review of the research.
22. Psychological Bulletin, vol. 99 (1) : 66-77. Widom, Cathy Spatz and Ames, M. Ashley (1994), "Criminal consequences of Childhood sexual victimization", Child Abuse and Neglect 18(4), pp. 303-318. Malgrès des écarts de resultats et un certain manque de rigueur dans les premières enquêtes, le lien entre abus sexuel et prostitution est aujour’hui démontré. Les enquêtes sont de plus en plus sérieuses, contactent les femmes prostituées sur leur lieu de travail et comparent souvent avec un groupe de contrôle de même niveau socio économique. Widom & Ames montrent par exemple qu’en maintenant constantes les principales variables démographiques, les enfants abusés sexuellement de leur enquête (153) ont 27,7 fois plus de chance d’être plus tard arrêtés pour prostitution que ceux d’un groupe de contrôle de 667 enfants.
23. MARX Karl et ENGELS Friedrich (1845), L’idéologie Allemande (première partie : Feuerbach).
24. Banalisant la prostitution, la dé-stigmatisation peut aussi augmenter le passage à l’acte prostitutionnel. Une prostituée allemande constate : « Le pas vers la prostitution est aussi devenu plus facile qu’avant. Cela m’inquiète. Parce qu’il n’y a rien à glorifier dans ce métier... Les jeunes filles doivent savoir ce qui les attend... De la misère. Tout plein de misère... Une mise en garde, c’est bien le moins qu’on leur doit, nous, les vieilles putes... " Domenica Niehoff (prostituée de Hambourg la plus célèbre) interviewée par Alice Schwarzer, Emma, octobre 1988 (ma traduction).
25. EKBERG Gunilla S. (2001), "Prostitution and trafficking : the legal situation in Sweden", Journées de réflexion La mondialisation de la prostitution et du trafic sexuel, Comité québécois Femme et Développement, Montréal, Québec, 15-16 mars 2001.
26. BOURDIEU Pierre (1998), La domination masculine, Paris, Seuil. WELZER-LANG Daniel et Martine Schutz Samson (dir.) (1999), Prostitution et santé communautaire - Essai critique sur la parité, Lyon, Le dragon lune Cabiria édition.
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