Le Parti conservateur est confortablement installé au pouvoir pour quatre ans, mais le Québec sera sous-représenté dans ce gouvernement. M. Harper devra chercher par tous les moyens à atténuer les conséquences de ce déficit de représentation, ne serait-ce qu'en s'entourant davantage de Québécois dans sa garde rapprochée ou en nommant des sénateurs du Québec dans son cabinet. Mais même de telles mesures ne seraient pas la panacée. M. Harper devra surtout montrer une sensibilité accrue à l'égard du Québec dans ses décisions et dans les mesures qu'il adoptera. Il en a le devoir, s'il ne veut pas que le clivage entre les Québécois et les autres Canadiens ne s'accentue et ne favorise ainsi l'option souverainiste
Le Bloc québécois est vraisemblablement appelé à disparaître. Si cela devait se concrétiser, cela ne serait toutefois pas nécessairement nuisible au Parti québécois. Au contraire, habitués qu'ils sont à souffler le chaud et le froid, les Québécois pourraient bien être tentés d'envoyer plus de souverainistes à Québec lors de la prochaine élection provinciale, maintenant qu'ils viennent d'envoyer plus de fédéralistes à Ottawa.
Le NPD devra pour sa part démontrer qu'il est capable de bien défendre les intérêts du Québec. Cela devrait normalement être facilité par la présence massive de députés québécois dans le caucus néo-démocrate. Je me permets de dire au passage que ce parti est beaucoup plus ouvert au Québec que certaines personnes le laissent entendre. Par exemple, lors de rencontres que j'ai eues avec Jack Layton alors que j'étais ministre, celui-ci m'a dit qu'il était favorable à de l'asymétrie à l'intérieur du fédéralisme canadien, mais seulement pour le Québec.
Quant au PLC, il devra amorcer un profond examen de conscience et surtout, prendre ses distances par rapport à la philosophie trudeauiste. Tout devra être remis en question, de la chefferie à l'idéologie.
Comme les résultats de lundi l'ont démontré, tout peut arriver en politique, en particulier pendant une campagne électorale. Les courants psychologiques qui émanent de l'électorat se transforment en un rien de temps, tantôt en faveur de l'un, tantôt en faveur de l'autre. Ce ne sont pas tant les programmes et les équipes qui frappent l'imaginaire collectif que des choses très simples et, la plupart du temps, impromptues.
Il y a en politique quelque chose d'imprévisible et d'irrationnel, et l'engouement exprimé depuis peu pour le NPD relève de cela. Comprenez-moi bien cependant. Je ne dis pas que rien ne justifiait l'appui populaire à ce parti. Je dis simplement que la force et la spontanéité de cet appui ne sauraient s'expliquer de façon purement cartésienne. Malgré tout, si on risque une explication, il semble bien que ce soient la fragilité du leadership de Michael Ignatieff, la sous-performance de Gilles Duceppe, l'habileté de Stephen Harper et la fraîcheur de Jack Layton qui ont le plus contribué aux résultats du 2 mai dernier.
De fait, pour nombre de citoyens, Jack Layton représente l'authenticité et le renouveau. Nul ne saurait dire par contre pourquoi cette perception est plus forte maintenant qu'avant. L'homme n'est pas particulièrement jeune. Il est plutôt un vieux routier de la politique. Il n'exerce pas son métier très différemment des autres politiciens. Et pourtant, il est devenu la saveur du mois, la surprise et la révélation de cette campagne électorale. Pourquoi maintenant? Et pourquoi autant? Ces questions risquent de demeurer sans réponse.
Quant aux candidats dans les circonscriptions, ils sont, hormis quelques rares exceptions, largement tributaires de la prestation de leur chef et du déroulement de la campagne au niveau national. Les défaites de Lawrence Cannon, de Marcel Proulx et de Richard Nadeau illustrent éloquemment la véracité de cette affirmation.
Toujours est-il que nous nous retrouvons avec un gouvernement et une opposition officielle qui sont aux antipodes. Parmi tous les dossiers qui illustrent ce fossé, je retiens ceux-ci : (1) la militarisation du Canada et la présence des troupes canadiennes en Afghanistan; (2) le rôle de l'État dans la société, les dépenses publiques, l'instauration de programmes sociaux et l'offre de services publics; (3) les valeurs morales, comme l'avortement, la peine de mort ou le mariage entre personnes du même sexe; (4) l'environnement; (5) le traitement accordé aux jeunes délinquants; (6) l'imposition des mieux nantis et des grandes entreprises; et (7) les relations avec les États-Unis, en particulier sur le plan économique.
Reste à voir maintenant comment le choc des idées entre le gouvernement et l'opposition officielle se vivra à la Chambre des communes. On peut toutefois s'attendre à ce que M. Harper aille de l'avant avec l'abolition du registre des armes à feu de même qu'avec celle du financement public des partis politiques. Il pourra aussi être tenté d'accomplir sa réforme du Sénat. Quant au projet de loi sur le bilinguisme des juges à la Cour suprême, il est bel et bien mort et enterré. Enfin, je crois que cette fois la loi sur les élections à date fixe sera respectée. Le prochain rendez-vous électoral aura donc lieu le 19 octobre 2015.
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La déception de la soirée est attribuable à Radio-Canada, en raison de sa couverture presqu'exclusivement québécoise des résultats électoraux. Une fois de plus, les francophones des autres provinces et des territoires ont été laissés pour compte. Les auditeurs qui voulaient en savoir plus sur la position des partis et candidats à l'extérieur du Québec n'avaient d'autre choix que de se brancher sur le réseau anglais. Pour une chaîne dite nationale, c'est pour le moins navrant!
Benoît Pelletier est professeur titulaire à la Faculté de droit de l'Université d'Ottawa et ex-ministre des Affaires intergouvernementales et des Affaires autochtones dans le cabinet de Jean Charest