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Bisphénol A, les dessous d'un scandale sanitaire

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Bisphénol A, les dessous d'un scandale sanitaire Empty Bisphénol A, les dessous d'un scandale sanitaire

Message  gérard menvussa Mar 1 Nov - 20:15



Enquête | LEMONDE | 28.10.11 | 14h19

Les archives sont souvent impitoyables. Pour qui se plonge dans celles des revues scientifiques, l'affaire du bisphénol A (BPA) a tous les traits d'un scandale sanitaire mondial, potentiellement l'un des plus graves de la décennie écoulée.

Scandale rendu possible par les manoeuvres dilatoires de l'industrie et, surtout, par l'hiatus considérable entre le monde de la recherche académique et la plupart des agences de sécurité sanitaire. Si les agences française et canadienne reconnaissent, depuis peu, les dangers du BPA pour la santé humaine, la très grande majorité des autres continue de minimiser ces risques, en dépit de nombreux signaux d'alerte.

En particulier ceux qui ont été lancés dès le début des années 2000 par les premiers chercheurs à avoir travaillé sur les effets à faible dose de ce composé chimique omniprésent, surtout dans les conserves et les plastiques alimentaires.

L'affaire est d'une singulière gravité. La liste des effets secondaires potentiels de l'exposition à de très faibles doses de bisphénol A (BPA) - qui perturbe le système hormonal - s'allonge rapidement, à mesure que de nouvelles études sont publiées. Et il en paraît chaque mois.

De plus, c'est l'ensemble de la population qui est exposée. Selon une étude publiée en 2005 dans Environmental Health Perspectives, le BPA est présent dans les urines de 95 % de la population occidentale.

Que sait-on et depuis quand ?

Les premiers indices d'effets biologiques significatifs du BPA à très faible dose apparaissent dans la littérature scientifique dès le milieu des années 1990 avec les travaux publiés par Frederick vom Saal, professeur à l'université du Missouri à Columbia (Etats-Unis).

"En 1996, raconte-t-il, nous avons accidentellement découvert qu'une dose de BPA 25 000 fois plus faible que la plus faible dose étudiée auparavant était à même d'endommager le système reproducteur des souris mâles, lorsque leur mère avait été exposée à ces doses pendant seulement quelques jours au cours de leur grossesse."

Les travaux de M. vom Saal suggèrent ainsi que l'exposition de rongeurs à des concentrations de l'ordre de la fraction de millionième de gramme de BPA par jour et par kilo de masse corporelle est susceptible de provoquer des effets biologiques significatifs. C'est-à-dire à des doses comparables à celles auxquelles les humains sont exposés.

Largement utilisé depuis la fin des années 1950 par l'industrie du plastique, le BPA présent dans les contenants alimentaires a tendance à migrer, à de très faibles taux, dans la nourriture ou les boissons...

A l'époque, ces faits sont déjà bien connus, de même que les capacités du BPA à mimer l'action de certaines hormones féminines - donc à perturber le système endocrinien. Le faible niveau d'exposition est alors réputé sans risques.

Mais, dès que les travaux pionniers de Frederick vom Saal sont soumis à une revue scientifique - en l'occurrence à Toxicology and Industrial Health -, des industriels s'en inquiètent. Au printemps 1997, un responsable de Dow Chemical, le géant américain de la chimie, demande un entretien à Frederick vom Saal et son coauteur, Wade Welshons, professeur associé à l'université du Missouri.

La rencontre a lieu le 25 avril 1997, en présence de deux autres scientifiques : le patron du département de biologie de l'université du Missouri et un chercheur de l'université de l'Illinois.

Le représentant de Dow Chemical déclare qu'il est dans l'espoir de son entreprise qu'il puisse y avoir "une issue mutuellement bénéfique" à un retrait des travaux soumis pour publication, jusqu'à ce que l'entreprise les "approuve", après avoir fait mener une étude contradictoire par un laboratoire privé sous contrat avec elle.

La scène est détaillée dans une lettre de protestation dont Le Monde a obtenu copie, datée du 12 juin 1997 et adressée par les chercheurs à la Society of the Plastics Industry, l'une des associations des industriels du secteur, et à la Food and Drug Administration (FDA), l'agence de sécurité sanitaire américaine.

L'expression de la recherche d'un "bénéfice mutuel" indigne les scientifiques, qui le font vertement savoir dans leur courrier. Dow Chemical n'a pas répondu aux sollicitations du Monde.

Pour autant, des travaux isolés ne font pas un fait scientifique. Tant s'en faut. "A la fin des années 1990, ces résultats étaient encore controversés", rapporte Patricia Hunt, spécialiste de biologie de la reproduction et professeur à l'université de l'Etat de Washington (Etats-Unis).

De fait, chose étrange et contre-intuitive, d'autres expériences montrent qu'à hautes doses de BPA, des effets remarqués à doses minuscules disparaissent.

Mais la fin des années 1990 voit d'autres chercheurs s'intéresser à la question. Dans le laboratoire de Mme Hunt, par exemple, des effets inattendus sont relevés en 1998 sur des souris femelles exposées accidentellement à des doses infinitésimales de BPA - en particulier des anomalies chromosomiques plus fréquemment observées sur leurs gamètes.

"Si le BPA produit les mêmes effets sur les humains, cela voudrait dire plus de fausses couches et de bébés portant des chromosomes anormaux", explique la chercheuse.

"Nous avons passé plusieurs années à nous assurer que nous comprenions vraiment l'effet avant de publier nos travaux, ce que nous avons fait en 2003, ajoute Patricia Hunt. Mais l'industrie a passé beaucoup de temps à chercher à réfuter nos découvertes et les faire apparaître controversées."

Le consensus de Chapel Hill

A quel moment la majorité des spécialistes se sont-ils accordés sur la réalité des effets du BPA à faible dose ? "C'est très difficile à dire avec certitude, répond Ana Soto, endocrinologue et professeur de biologie cellulaire à l'université Tufts à Boston (Etats-Unis). Il reste aujourd'hui encore de très rares chercheurs qui ne sont pas et ne seront jamais convaincus !"

Obtenir un indicateur objectif de l'état d'esprit de la communauté scientifique est pourtant possible. Fin 2004, Frederick vom Saal passe en revue l'ensemble des travaux publiés sur le sujet dans la littérature savante. Le résultat de cette analyse de la littérature est publié dans Environmental Health Perspectives en août 2005. Il est éloquent.

Au milieu des années 2000, pas mois de 115 études sur les effets des faibles doses de BPA sur des animaux de laboratoire avaient été publiées. Parmi elles, 104 avaient été financées par des fonds publics ou des universités, tandis que 11 avaient été commandées par des industriels.

Parmi les premières, 94 études détectent des effets biologiques significatifs, 10 n'y parviennent pas. Quant aux travaux sponsorisés par l'industrie, aucun d'entre eux ne parvient à mettre en évidence le moindre effet.

Les conséquences biologiques mises au jour par la majorité des études financées sur fonds publics balaient un large spectre : altération du système reproducteur des rongeurs et des glandes mammaires des femelles, neurotoxicité, perturbations du système immunitaire, changement du comportement socio-sexuel des animaux, puberté avancée chez les femelles, etc. De nombreux effets surviennent après exposition foetale ou néonatale, se manifestent et perdurent pendant le reste de la vie des animaux.

"En 2005, avec une centaine de telles études sur les animaux, on avait suffisamment d'éléments pour faire jouer le principe de précaution, estime M. vom Saal. On en savait alors beaucoup plus sur le BPA qu'on ne savait de choses sur les phtalates en 1999, lorsqu'ils ont été interdits en Europe dans les jouets..."

Qu'un ou deux chercheurs entreprennent de passer en revue la littérature scientifique disponible ne fait pas pour autant un consensus.

Mais, à l'automne 2006, près de quarante chercheurs internationaux, pour la plupart ayant mené des travaux sur le BPA, sont réunis à Chapel Hill, en Caroline du Nord (Etats-Unis). Ils ne sont pas invités par Greenpeace ou les Amis de la Terre, mais rassemblés en conclave à l'initiative du National Institute of Environmental Health Sciences (NIEHS) américain.

A l'issue de plusieurs jours de colloque, ils rédigent le Consensus de Chapel Hill sur le BPA, qui sera publié quelques semaines plus tard dans la revue Reproductive Toxicology.

A quelle conclusion parvient la quarantaine de chercheurs ? " La littérature scientifique publiée (...) révèle que plus de 95 % de la population échantillonnée est exposée à des doses suffisantes de BPA pour qu'il soit prévisible que celui-ci soit biologiquement actif, écrivent les auteurs. Le large spectre d'effets indésirables des faibles doses de BPA chez les animaux de laboratoires, exposés au cours de leur développement ou de l'âge adulte, est une cause de grande inquiétude en ce qui concerne des effets indésirables similaires chez les humains."

Leur inquiétude n'est pas seulement prospective. "Des tendances récentes de maladies humaines peuvent être mises en relation avec les effets indésirables des faibles doses de BPA observés sur l'animal, ajoutent-ils. Par exemple, l'augmentation des cancers du sein et de la prostate, les malformations uro-génitales chez les garçons, le déclin de la fertilité, l'avancement de la puberté chez les filles, les désordres métaboliques comme le diabète de type 2 et l'obésité, de même que des problèmes comportementaux comme le déficit d'attention et l'hyperactivité."

"Dès 2006, il est impossible de dire que rien ne se passe avec le BPA à faibles doses", conclut Ana Soto.

En 2009, la Société d'endocrinologie américaine sonne l'alarme à son tour sur les perturbateurs endocriniens et le BPA. Pourtant, l'écrasante majorité des agences de sécurité sanitaire continuent à estimer que le BPA ne pose pas de problème aux niveaux d'exposition constatés dans la population.

La fabrication du doute

Comment un tel fossé s'est-il installé entre la petite communauté des spécialistes du BPA et les agences de sécurité sanitaire ?

"L'industrie est parvenue à remporter un extraordinaire succès en finançant et en faisant publier un petit nombre d'études qui ne trouvent jamais rien, explique Frederick vom Saal. Et ce petit nombre d'études parvient à fabriquer du doute et à créer de l'incertitude. Cela permet de créer de la controverse là où il n'y en a pas et, en définitive, cela permet de dire : avant de réglementer, il faut faire plus de recherche, nous avons besoin d'encore dix ans."

Les industriels, rappelle l'historienne et épidémiologiste Sarah Vogel, de la Johnson Family Foundation, "ne procèdent pas eux-mêmes à ces études, mais les délèguent auprès des laboratoires privés, qui ne font qu'appliquer des procédures de tests standardisées et en rendent publics les résultats". Ces études répondent à des critères très précis, dits de "bonne pratique de laboratoire".

Pour les spécialistes du BPA, le biais est, précisément, dans ces fameux tests standardisés. "Depuis plus d'une décennie, il est reconnu que ces tests ne conviennent pas aux perturbateurs endocriniens", estime Patricia Hunt

"Ces études ne voient rien parce qu'elles ont été mises au point dans les années 1950 et sont complètement obsolètes, précise Frederick vom Saal. C'est un peu comme si on cherchait à déterminer le lieu d'alunissage d'astronautes sur la Lune en regardant avec des jumelles !"

Pourtant, parce qu'ils répondent à des critères utilisés de longue date, les agences de sécurité sanitaires considèrent généralement ces tests comme les plus fiables. Bien souvent, la plupart des études académiques sont ignorées. Une situation "absolument terrifiante", selon Patricia Hunt.

Les toxicologues de la vieille école s'affrontent donc à la biologie du XXIe siècle. D'un côté les experts des agences, formés au dogme de l'"effet dose-réponse", selon lequel l'effet observé doit être proportionnel à la dose de substance qui le suscite. De l'autre, des biologistes pour qui cette loi d'airain n'a plus lieu d'être

De fait, les molécules chimiques qui, comme le BPA, miment certaines hormones peuvent produire des effets importants à des doses minuscule... et n'en avoir aucun à des doses cent fois plus importantes. "Lorsque nous rencontrons les experts des agences, ils nous demandent souvent comment intégrer ces effets à faibles doses dans leurs schémas d'évaluation des risques, raconte un endocrinologue. Or, c'est à eux de s'adapter aux avancées de la science !"

L'inefficacité des études commandées par l'industrie n'est pas tout. Des chercheurs s'interrogent sur l'intégrité de certaines d'entre elles, en particulier celle menée par Rochelle Tyl (Research Triangle Institute), largement citée dans la plupart des rapports des autorités sanitaires. Comme les autres études de ce type, elle ne distingue aucune conséquence à l'exposition au BPA.

Mais de nombreux spécialistes suspectent ce travail d'être biaisé, voire frauduleux. Peu après sa publication, en 2008 dans Toxicological Sciences, plus de trente chercheurs l'ont réfuté en bloc

Entre autres, ils jugeaient irréaliste le poids considérable des prostates prélevées sur des souris âgées de seulement quatorze semaines, selon la publication de Mme Tyl - qui n'a pas répondu aux sollicitations du Monde

Auditionnée peu après par la FDA pour s'expliquer sur ces mesures surprenantes, la biologiste a contredit sa propre publication en déclarant que les animaux avaient en réalité été sacrifiés à vingt-quatre semaines. "Nous avons demandé à ce qu'une enquête officielle soit menée sur l'intégrité de ce travail", explique M. vom Saal.

Pourtant, cette étude est toujours citée et fréquemment mise sur un pied d'égalité avec des travaux académiques qui n'ont pas souffert de critiques. C'est même elle qui conduit l'Agence nationale française de sécurité sanitaire (Anses) à conclure, dans son dernier rapport, que les effets du BPA sur la prostate des rongeurs sont "controversés".

C'est dans cette brèche que se sont engouffrés les industriels. Fin septembre, réagissant au rapport de l'Anses sur le BPA, l'Union des industries chimiques rappelait dans un communiqué que "de nombreuses incertitudes scientifiques marquent ce dossier".
Stéphane Foucart
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