On a beau être ouvert aux différences et pas du tout raciste, mâme Dupont : force est de constater, comme d’aucuns font depuis longtemps, qu’on n’est plus complètement chez nous, puisqu’où désormais qu’on porte son regard de souche, il se cogne contre des mahométans disgracieux, et qui le croisant ne baissent plus même les yeux - mais pour qui se prennent-ils-ce -, et qui d’autre part ont si massivement investi nos cités qu’il nous faut à présent faire des bornes à pied, qui usent les souliers, pour enfin trouver de la bonne viande rouge, sans foutus poils de barbe.
Telle est du moins la teneur de la chronique, mentionnée là, où le dessinateur Siné, l’inaugurant par le rappel qu’il est, of course, « antiraciste » comme pas deux, fait le récit, comme d’une traversée en galère, de sa vie quotidienne et bouchère.
« Dans le coin » où il « crèche », neffet : « La multiplication des musulmans pratiquants est spectaculaire » [1].
Du coup, le poor lonesome Siné, qui n’avait rien demandé, croise, dans les rues - car ces gens sortent dans les rues -, « des nanas en hijab et des barbus en soutane, babouches et calotte sur la tronche » - autant dire une panoplie de parfait pauvre mec -, et ça, franchement, ça l’« irrite ».
Même : ça l’« irrite de plus en plus », et on le comprend, car non seulement ces multipliés musulmans sont le plus souvent « moches » (foi de Siné) - de sorte qu’à les voir on a des chocs inesthétiques -, mais de surcroît ils « arborent fréquemment un air arrogant et légèrement condescendant » - limite sûr de lui et dominateur -, exactement « comme s’ils voulaient signifier » à Siné - sont-ils effrontés - « que leur religion n’est pas de la merde comme toutes les autres », et, même, suprême audace, « qu’ils en sont fiers ».
(Ce n’est donc pas du tout, par exemple, comme s’ils reconnaissaient plutôt en Siné le courageux gars qui - dans une période où l’islamophobie a des représentants jusque dans les plus élevées hauteurs gouvernementales - ose régulièrement leur chier dessus - au nom, il va de soi, de la nécessaire lutte contre les religions aliénantes (fût-ce hors d’Aquitaine) - en narrant que « les musulmans » l’« insupportent » et qu’il a « envie de botter violemment le cul » de leurs femmes, « véritables épouvantails contre la séduction » - et lui montraient par des regards les sentiments que ses insultes leur inspirent.)
Signe probant que l’invasion a commencé - t’avais-je pas dit que t’aurais dû mieux écouter monsieur Vincent -, et de la terrifiante substitution (déjà montrée par le démographe Zemmour) d’une population (barbar(esqu)e) à une autre (d’antique souche, elle, et qui n’est certes pas du genre à se gargariser de fiertés à la con, et dont l’emblème est par conséquent le coq) : Siné doit maintenant faire « près de trois kilomètres, jusqu’à la porte des Lilas » (75020 Paris), un peu comme dans un tract islamophobe, pour enfin tomber, plutôt que sur des marchands de steaks halal, sur « un boucher athée qui vend de la vraie viande, bien rouge et bien saignante », slurp [2].
Pour finir, le chercheur de vraie viande use, comme d’un bémol, d’un procédé, mille fois éprouvé par l’éditocratie, consistant à beugler d’abord qu’on-peut-plus-rien-dire, puis à dérouler, sous le sceau d’une imaginaire insoumission à d’imaginaires censures, tout ce qu’on avait à dire.
Sous la plume de Siné, ça donne ces mots, chargés d’un conséquent taux de foutage de gueule : « Aujourd’hui, à cause de mecs comme Le Pen, Hortefeux, Besson et autres du même acabit, on ne peut plus, hélas, manifester la même irritation, pourtant légitime, envers (les) nouveaux ostensibles » mahométans.
Mais attends, Gontran : tu passes d’entiers pans de tes chroniques à dégueuler sur les muslims, tu mets ta voix dans les crânes choeurs de l’islamophobie, et tu voudrais nous faire penser que tu te sens brimé ?