marxisme et religion
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Re: marxisme et religion
alexi a écrit:
Mais ce qui pèse surtout c'est la quasi-disparition d'un mouvement ouvrier digne de ce nom, rendant possible la progression des idées réactionnaires dans une partie de la jeunesse. C'est bien parce que personne ne leur a appris qu'ils sont avant tout des prolétaires, ...
Le poison de la religion, quel qu'en soit le degré de radicalisme et la chapelle, y pénètre d'autant plus qu'il n'est combattu par personne, et au contraire favorisé par l'État. Les préjugés réactionnaires, ... ensemencé par les religieux qui les remplissent avec des sornettes, les organisations intégristes recrutent.
Tout est dit. Selon LO tout est une histoire de prêche celui des religieux ou celui de... LO. La responsabilité du maintien dans l’oppression est désignée "la" religion (au singulier il faut comprendre la religion musulmane puisque c'est la seule qui est désigné dans le texte) ou la libération avec "l'école" de LO.
Le combat est situé dans une perspective d'apprentissage, le mauvais celui de la religion, le bon celui de LO. LO veut éduquer les populations issues de l'immigration qui après avoir récité "nos ancêtres les gaulois" à l'époque des colonies devront remercier le bwana marxiste de LO venu le libérer. Cette approche moraliste a un objet, l'indigène qui devra "apprendre" et surtout rester un objet, jamais un sujet capable s'organiser politiquement et indépendamment, sur les revendications et objectifs qu'il décidera lui même dont la lutte contre l'islamophobie, contre l'état colonial et ses actes de discriminations racistes (notions TOTALEMENT absentes du texte de LO)
Dernière édition par MO2014 le Mar 20 Jan - 23:49, édité 1 fois
MO2014- Messages : 1287
Date d'inscription : 02/09/2014
Re: marxisme et religion
C'est quand même étonnant que non seulement tu ne saches pas lire mais que tu tronques délibérément le texte de LO.
Il est vrai que sur ce forum, tu as quelques spécialistes en la matière.
Il est vrai que sur ce forum, tu as quelques spécialistes en la matière.
bébair- Messages : 10
Date d'inscription : 16/04/2012
Re: marxisme et religion
Autrement dit, entre le fanatique fondamentaliste et le simple croyant, pas de différence ? Il y a continuité entre les deux ? On comprend que LO apprécie les caricatures de Charlie. Si LO croit pouvoir organiser des gens dans les quartiers populaires en commençant par s'attaquer à leurs croyances, elle va déchanter - à supposer que LO essaie.LO
Le poison de la religion, quel qu'en soit le degré de radicalisme et la chapelle, y pénètre d'autant plus qu'il n'est combattu par personne, et au contraire favorisé par l'État.
Un bon exemple, non dans un quartier mais chez les sous-traitants de la SNCF : les hôtesses de la gare de Lyon en grève. (J'ai déjà posté une vidéo où l'on voit côte à côte des femmes voilées et non voilées le poing levé et chantant.) Aurait-il fallu demander à ces femmes de commencer par se débarrasser du poison religieux avant d'entrer en grève ?
verié2- Messages : 8494
Date d'inscription : 11/07/2010
Re: marxisme et religion
J'ouvre une parenthèse : j'ai commencé à lire les Pages choisies de Lénine en trois volumes que la SFIC à publiées entre 1926 et 1929. Sur un autre forum, un militant avait en effet vanté les qualités de cette édition, exempte des pollutions staliniennes que l'on trouve dans les recueils de textes de Lénine imprimés ultérieurement. Ces trois tomes sont également précieux pour les notes qu'ils contiennent, et que l'on doit à Pierre Pascal, un Français qui a vu la Révolution d'Octobre de très près et qui, bien que croyant, était toujours plus léniniste qu'un Marcel Cachin. Si des communistes lui ont confié ce travail d'édition, c'est sans doute parce qu'ils étaient des communistes, pas des philistins idéalistes. Fin de la parenthèse.verié2 a écrit:Autrement dit, entre le fanatique fondamentaliste et le simple croyant, pas de différence ? Il y a continuité entre les deux ? (...) Aurait-il fallu demander à ces femmes de commencer par se débarrasser du poison religieux avant d'entrer en grève ?LO
Le poison de la religion, quel qu'en soit le degré de radicalisme et la chapelle, y pénètre d'autant plus qu'il n'est combattu par personne, et au contraire favorisé par l'État.
Byrrh- Messages : 1009
Date d'inscription : 12/09/2012
Re: marxisme et religion
Byrrh a écrit:J'ouvre une parenthèse : j'ai commencé à lire les Pages choisies de Lénine en trois volumes que la SFIC à publiées entre 1926 et 1929. Sur un autre forum, un militant avait en effet vanté les qualités de cette édition, exempte des pollutions staliniennes que l'on trouve dans les recueils de textes de Lénine imprimés ultérieurement. Ces trois tomes sont également précieux pour les notes qu'ils contiennent, et que l'on doit à Pierre Pascal, un Français qui a vu la Révolution d'Octobre de très près et qui, bien que croyant, était toujours plus léniniste qu'un Marcel Cachin. Si des communistes lui ont confié ce travail d'édition, c'est sans doute parce qu'ils étaient des communistes, pas des philistins idéalistes. Fin de la parenthèse.verié2 a écrit:Autrement dit, entre le fanatique fondamentaliste et le simple croyant, pas de différence ? Il y a continuité entre les deux ? (...) Aurait-il fallu demander à ces femmes de commencer par se débarrasser du poison religieux avant d'entrer en grève ?LO
Le poison de la religion, quel qu'en soit le degré de radicalisme et la chapelle, y pénètre d'autant plus qu'il n'est combattu par personne, et au contraire favorisé par l'État.
Excellente édition en effet qui mériterait réédition.
Pierre Pascal intellectuel catholique, officier dans la mission militaire française à Petrograd grand connaisseur de la Russie et de sa langue, fut spectateur, sympathisant puis partisan de la révolution russe par son propre cheminement sa propre expérience en concordance avec sa foi catholique.
( à ma connaissance il n'a jamais exigé l'ouverture d'une chapelle catholique à Smolny ou au Kremlin:) ).
On peut dire que si sa foi catholique le mena au communisme c'est elle aussi qui l'en éloigna lorsque les choses commencèrent à se gâter. C''est ce qu'en dit je crois Victor Serge et Body qui l'ont bien connu.
Si Pascal fut choisi avec Serge et Parijanine pour ces traductions ce n'est pas parce qu'il était catholique mais pour sa bonne connaissance du russe et plus encore son honnêteté.
Quand à Vérié il cite un bout de phrase et se parle à lui-même d'autre chose.
C'est sur Vérié n'est pas Pierre Pascal!
artza- Messages : 114
Date d'inscription : 29/04/2013
marxisme et religion
Il y a des bouts de phrase qui sont significatifs, surtout quand rien, dans le texte dont ils sont extraits, ne vient les contredire ou les nuancer...Artza
Quand à Vérié il cite un bout de phrase
verié2- Messages : 8494
Date d'inscription : 11/07/2010
Re: marxisme et religion
- Pierre Pascal s'est surtout éloigné du communisme du fait du stalinisme, comme beaucoup de monde, et non de ses croyances. On trouve ici quatre heures d'entretien avec lui, extrêmement intéressants.
- Ce fil provient d'un échange à propos des attentats du 7 et 9 janvier. Sur la question "marxisme et religion" en général, voici un excellent texte : John Molyneux : Pas seulement un opium
- Ce fil provient d'un échange à propos des attentats du 7 et 9 janvier. Sur la question "marxisme et religion" en général, voici un excellent texte : John Molyneux : Pas seulement un opium
sylvestre- Messages : 4489
Date d'inscription : 22/06/2010
Re: marxisme et religion
Les traductions ne sont pas de Pierre Pascal, mais de G. Gorélik et R. Marchand. Pascal est en revanche l'auteur des introductions et de toutes les notes de bas de page qui ne sont pas de la main de Lénine : une sacrée responsabilité, au final. Si la foi chrétienne de Pierre Pascal n'était pas un avantage, elle n'était vraisemblablement pas non plus un obstacle.artza a écrit:Si Pascal fut choisi avec Serge et Parijanine pour ces traductions ce n'est pas parce qu'il était catholique mais pour sa bonne connaissance du russe et plus encore son honnêteté.
De façon pragmatique, c'est ce que par défaut on devrait se dire de celles et ceux qui ne sont pas athées et qui, dans les entreprises, peuvent éventuellement se tourner vers nos idées. Ils croient en une entité qui n'existe pas, certes, mais du moment qu'ils ne nient pas la nécessité d'une révolution socialiste et que leurs croyances n'impliquent pas toute une série de conceptions problématiques sur les femmes, les homosexuels, l'origine des espèces animales ou le rôle de la violence dans l'Histoire, eh bien qu'ils soient vus comme des révolutionnaires prolétariens comme les autres s'ils souhaitent épouser la cause du communisme.
Dernière édition par Byrrh le Mer 21 Jan - 14:00, édité 3 fois
Byrrh- Messages : 1009
Date d'inscription : 12/09/2012
Re: marxisme et religion
Il y a vait déjà des églises catho, pourquoi demander une chapelle?( à ma connaissance il n'a jamais exigé l'ouverture d'une chapelle catholique à Smolny ou au Kremlin:) ).
yannalan- Messages : 2073
Date d'inscription : 25/06/2010
Re: marxisme et religion
yannalan a écrit:Il y avait déjà des églises catho, pourquoi demander une chapelle?( à ma connaissance il n'a jamais exigé l'ouverture d'une chapelle catholique à Smolny ou au Kremlin:) ).
Mille et dix mille excuses, je vois que sur ce forum on est pas à feu Charlie. On plaisante pas avec ces choses là
Pour Pascal dire "c'est la faute au stalinisme" c'est faire court et pas dire grand chose.
Comme pour Monatte, n'étant pas marxiste...il retourna au syndicalisme.
Je voulais rappeler non pas les responsabilités du stalinisme mais la difficulté (l'impossibilité?) de comprendre et de lutter contre en tant que communiste si on est pas marxiste. Voili, voilà.
artza- Messages : 114
Date d'inscription : 29/04/2013
Re: marxisme et religion
artza a écrit:yannalan a écrit:Il y avait déjà des églises catho, pourquoi demander une chapelle?( à ma connaissance il n'a jamais exigé l'ouverture d'une chapelle catholique à Smolny ou au Kremlin:) ).
Mille et dix mille excuses, je vois que sur ce forum on est pas à feu Charlie. On plaisante pas avec ces choses là
Pour Pascal dire "c'est la faute au stalinisme" c'est faire court et pas dire grand chose.
Comme pour Monatte, n'étant pas marxiste...il retourna au syndicalisme.
Je voulais rappeler non pas les responsabilités du stalinisme mais la difficulté (l'impossibilité?) de comprendre et de lutter contre en tant que communiste si on est pas marxiste. Voili, voilà.
Etrange digression, tant il est vrai qu'on compte de nombreux non-marxistes parmi ceux qui ont lutté (dans le bon sens) contre le stalinisme, et combien à l'inverse il y a eu de marxistes pour le soutenir (et pas seulement des "marxistes" sans réelle connaissance du sujet même si, est-il utile de le préciser, je pense bien sûr qu'une analyse marxiste conséquente ne pouvait mener qu'à la lutte contre le stalinisme).
sylvestre- Messages : 4489
Date d'inscription : 22/06/2010
Re: marxisme et religion
Et bien voilà, nous ne sommes pas d'accord.
Des non-marxistes qui ont lutté dans le bon sens contre le stalinisme? Je ne vois que les ouvriers de Barcelone Berlin-Est et de Budapest. Eux n'ont pas fait de théorie mais avaient plutôt une bonne pratique.
Des marxistes (ayant une bonne connaissance) précises-tu soutenaient le stalinisme
Et bien c'étaient de beaux salopards et plus des marxistes. Peut-on être marxistes en le combattant et en couvrant des assassinats de marxistes?
Des non-marxistes qui ont lutté dans le bon sens contre le stalinisme? Je ne vois que les ouvriers de Barcelone Berlin-Est et de Budapest. Eux n'ont pas fait de théorie mais avaient plutôt une bonne pratique.
Des marxistes (ayant une bonne connaissance) précises-tu soutenaient le stalinisme
Et bien c'étaient de beaux salopards et plus des marxistes. Peut-on être marxistes en le combattant et en couvrant des assassinats de marxistes?
artza- Messages : 114
Date d'inscription : 29/04/2013
Re: marxisme et religion
C'est quoi, un marxiste ?
Guy Mollet aussi s'en réclamait...
Guy Mollet aussi s'en réclamait...
yannalan- Messages : 2073
Date d'inscription : 25/06/2010
Re: marxisme et religion
Raisonnement bizarre. Des gens comme Rosmer - qui, après la mort de Trotsky, ne soutint plus le mouvement trotskyste que de l'extérieur - ou Barta - qui ne participa plus à aucun groupe à partir des années 1950 -, n'étaient-ils pas des marxistes ?artza a écrit:Pour Pascal dire "c'est la faute au stalinisme" c'est faire court et pas dire grand chose.
Comme pour Monatte, n'étant pas marxiste...il retourna au syndicalisme.
Je voulais rappeler non pas les responsabilités du stalinisme mais la difficulté (l'impossibilité?) de comprendre et de lutter contre en tant que communiste si on est pas marxiste. Voili, voilà.
Pour ce qui concerne Pierre Pascal : s'il s'est éloigné de l'engagement politique au moment de la contre-révolution stalinienne, il ne me semble pas pour autant qu'il soit devenu un anticommuniste.
Byrrh- Messages : 1009
Date d'inscription : 12/09/2012
Re: marxisme et religion
Byrrh a écrit: qu'ils soient vus comme des révolutionnaires prolétariens comme les autres s'ils souhaitent épouser la cause du communisme.
Bien sûr, mais ils ne pourront pas être des dirigeants d'un parti révolutionnaire.
trotsky 1923 a écrit: Révolution et mysticisme
Quelles sont les caractéristiques essentielles du révolutionnaire ? Il faut souligner que nous n'avons pas le droit de séparer le révolutionnaire de la base sociale sur laquelle il a évolué et sans laquelle il n'est rien. Le révolutionnaire de notre époque, qui ne peut être lié qu'à la classe ouvrière, a ses particularités psychologiques propres, particularités d'entendement et de volonté. Si cela est nécessaire et possible, le révolutionnaire brise les obstacles historiques, ayant recours à la force pour réaliser son objectif. Si cela n'est pas possible, alors il fait un détour, creuse une sape, et écrase avec patience et détermination. Il est un révolutionnaire par ce qu'il n'a pas peur de briser les obstacles et d'employer la force implacablement ; en même temps il reconnaît la valeur historique. C'est son but permanent que de maintenir son travail, destructif et créateur, à son plus haut degré d'activité, c'est-à-dire de tirer de conditions historiques données le maximum de rendement possible pour la marche en avant de la classe révolutionnaire.
Le révolutionnaire ne connaît que des obstacles extérieurs à son activité et aucun obstacle intérieur. C'est-à-dire : il doit développer en lui-même, la capacité d'apprécier le champ de son activité dans tout son contenu concret, avec ses aspects positifs et négatifs et d'en tirer un bilan politique correct. Mais s'il est empêché intérieurement par des obstacles subjectifs à son action, s'il manque de compréhension ou de volonté, s'il est paralysé par un désaccord intérieur, par des préjugés religieux, nationaux ou corporatifs, alors il est tout au plus un demi-révolutionnaire. Il y a trop d'obstacles rien que dans les conditions objectives pour que le révolutionnaire puisse s'offrir le luxe de multiplier les obstacles et les frottements de caractère objectif par d'autres de caractère subjectif. Eduquer le révolutionnaire doit donc consister, par-dessus tout, à l'affranchir de ces vestiges d'ignorance et superstition que l'on trouve souvent dans une conscience très «sensible». Nous adoptons donc une attitude tout à fait irréconciliable vis-à-vis de tous ceux qui prononcent un seul mot sur la possibilité de combiner le mysticisme et la sentimentalité religieuse avec le communisme. La religion est irréconciliable avec le point de vue marxiste.
Nous pensons que l'athéisme, en tant qu'élément inséparable de la conception matérialiste de la vie, est une condition nécessaire de l'éducation théorique du révolutionnaire. Celui qui croit à un autre monde ne peut concentrer toute sa passion sur la transformation de celui-ci.
https://www.marxists.org/francais/trotsky/oeuvres/1923/06/lt19230618.htm
Giaches_de_Wert- Messages : 117
Date d'inscription : 12/12/2010
Re: marxisme et religion
artza a écrit:Et bien voilà, nous ne sommes pas d'accord.
Des non-marxistes qui ont lutté dans le bon sens contre le stalinisme? Je ne vois que les ouvriers de Barcelone Berlin-Est et de Budapest. Eux n'ont pas fait de théorie mais avaient plutôt une bonne pratique.
Intéressant que tu ne mentionnes pas ceux de Gdansk
Des marxistes (ayant une bonne connaissance) précises-tu soutenaient le stalinisme
Boukharine par exemple ? Non seulement soutien, mais idéologue en chef du premier stalinisme. Et quand même pas un nul en marxisme.
sylvestre- Messages : 4489
Date d'inscription : 22/06/2010
Re: marxisme et religion
Byrrh a écrit:Des gens comme Rosmer - qui, après la mort de Trotsky, ne soutint plus le mouvement trotskyste que de l'extérieur - ou Barta - qui ne participa plus à aucun groupe à partir des années 1950 -, n'étaient-ils pas des marxistes ?
Exactement, pas des marxistes, même si on pourrait discuter de la datation de la validité de cette affirmation.
Giaches_de_Wert- Messages : 117
Date d'inscription : 12/12/2010
Re: marxisme et religion
Ça, c'est autre chose, encore qu'il doit bien y avoir des exceptions historiques. Un Jules Humbert-Droz, qui n'était certes pas un Lénine ou un Trotsky, n'eut pas un parcours si déshonorant que ça. Deux ans avant sa mort, il était encore capable d'écrire : "La dégénération de la Révolution russe est la plus grande déception de ma vie de militant.". On peut estimer qu'il ne fut pas un dirigeant révolutionnaire, mais on peut se demander dans ce cas si les dirigeants révolutionnaires ne sont pas, à l'échelle de l'Histoire, des exceptions.Giaches_de_Wert a écrit:Byrrh a écrit: qu'ils soient vus comme des révolutionnaires prolétariens comme les autres s'ils souhaitent épouser la cause du communisme.
Bien sûr, mais ils ne pourront pas être des dirigeants d'un parti révolutionnaire.
Et d'ailleurs, de manière plus générale, tous les travailleurs et travailleuses qui sont gagnés aux idées communistes ne pourraient pas assumer des responsabilités dirigeantes, pour des raisons diverses et variées qu'on ne maîtrise pas toujours. Même si l'une des tâches d'un parti révolutionnaire est d'augmenter au maximum les capacités de réflexion, de théorisation et d'action de chacun de ses membres, nous sommes tributaires de cette société, de la séparation entre travail intellectuel et travail manuel. C'était vrai du temps de Marx, du temps de Lénine, et c'est encore le cas aujourd'hui.
Mais pour revenir à la croyance religieuse : elle peut sembler incompatible avec une conception matérialiste du monde et de l'histoire, mais la psychologie humaine est parfois pleine de paradoxes. Je me demande si le pragmatisme que j'évoquais plus haut n'est pas la meilleure façon de traiter une question sans véritable réponse.
Byrrh- Messages : 1009
Date d'inscription : 12/09/2012
Re: marxisme et religion
Faut-il te rappeler que LO a soutenu, sinon la direction de Solidarnosc, les ouvriers polonais qui se mettaient parfois tous à genoux pour prier...Artza
Des non-marxistes qui ont lutté dans le bon sens contre le stalinisme?
Ont-ils lutté "dans le bon sens" à moyen terme... c'est une autre question. Mais, sur le coup, ils défendaient tout de même leurs intérêts de classe.
verié2- Messages : 8494
Date d'inscription : 11/07/2010
Re: marxisme et religion
artza a écrit:Et bien voilà, nous ne sommes pas d'accord.
Des non-marxistes qui ont lutté dans le bon sens contre le stalinisme? Je ne vois que les ouvriers de Barcelone Berlin-Est et de Budapest. Eux n'ont pas fait de théorie mais avaient plutôt une bonne pratique.
Des marxistes (ayant une bonne connaissance) précises-tu soutenaient le stalinisme
Et bien c'étaient de beaux salopards et plus des marxistes. Peut-on être marxistes en le combattant et en couvrant des assassinats de marxistes?
ça tourne un peu en rond. Le plus simple est que je me répète.
artza- Messages : 114
Date d'inscription : 29/04/2013
Re: marxisme et religion
Nous savons depuis longtemps, depuis Kausky et sans doute avant, que ce n'est pas le "niveau de connaissance en marxisme" qui détermine nécessairement les choix de classe, même s'il peut aider...Des marxistes (ayant une bonne connaissance) précises-tu soutenaient le stalinisme
verié2- Messages : 8494
Date d'inscription : 11/07/2010
Re: marxisme et religion
A propos de Tévanian, un ami du PIRE
La "haine" marxiste de la religion. Episode I: Marx et Engels.
01 avril 2013 | Par Yann Kindo
On entend de plus en plus souvent ces temps-ci une petite musique à gauche sur le thème du « respect des religions », dont le communiqué du PCF à l'occasion de l'élection du nouveau pape est une caricature. On peut en effet y lire en conclusion cette formule pour le moins surprenante dans la bouche de supposés communistes : « en toute laïcité, dans le rejet de tout "ordre moral", nous avons de l'intérêt pour la parole de l'Eglise et pour les actes des croyants. Parlons de fraternité. »
http://www.humanite.fr/fil-rouge/nouveau-pape-reaction-du-pcf
Parler de fraternité avec l'Eglise catholique qui chaque jour confirme son caractère essentiellement réactionnaire, il fallait l'oser. Je ne sais pas ce que cela veut dire que d'avoir de l' « intérêt » pour « les actes des croyants » : dans la bagarre politique, on s'en fout autant que possible que les gens soient croyants, ce qui compte c'est leurs actes eux-mêmes, non ? Pourquoi avoir de l'intérêt pour les actes des croyants en tant que croyants ? Ce qui nous intéresse, ce sont les actes des travailleurs, en tant que travailleurs, plutôt....Et surtout, avoir de l'intérêt pour « la parole de l'Eglise », là on hallucine ! Sauf si il s'agit de s'intéresser à son ennemi afin de mieux le combattre, comme lorsque l'on a « de l'intérêt » pour la parole du Medef, si l'on veut. Mais ce n'est manifestement pas ça du tout la tonalité de ce très cathophile communiqué du PCF.
Pire, dans une mouvance que l'on qualifiera en gros d' « islamo-gauchiste » [= des gauchistes qui regardent avec un intérêt particulièrement bienveillant l'Islam, parce que religion des « dominés » sous nos latitudes], Pierre Tévanian vient de sortir un petit bouquin intitulé « La haine de la religion » qui, à partir de la pathétique affaire de la candidate voilée du NPA, entreprend de faire la leçon aux marxistes sur la question de la religion. Avec pour ambition d''utiliser les classiques du marxisme pour légitimer le propos absurde du livre, qui est de démontrer, selon la 4e de couverture, que « c’est aujourd’hui l’athéisme et le combat antireligieux, l’irréligion en somme, qui peut être considérée comme l’opium du peuple de gauche. » Rien que ça!
Puisque Tévanian s'efforce de donner des leçons d ' orthodoxie marxiste et de faire appel à ses grandes figures pour justifier ses stupidités post-modernes qui accompagnement la bêtise réactionnaire, je voudrais dans une série de billets, avant de proposer au final une contre-lecture du bouquin de Tévanian, explorer ces classiques fondateurs, via une recherche dans l'excellent site marxists.org, qui recense les œuvres des auteurs dont nous parlons :
http://www.marxists.org/francais/authors.htm
J'ai donc choisi quelques auteurs, parmi les principaux, et choisi quelques textes significatifs, dont je propose des extraits commentés. Je donnerai à chaque fois le lien avec la référence du texte complet, pour que chacun puissé vérifier que ma sélection est conforme (ou pas) à l'esprit de l'auteur, et que je ne procède pas par sélection partiale et excessivement partielle dans les textes pour les tirer du côté de ce que je veux démontrer : que la tradition marxiste, parce que matérialiste et révolutionnaire, est bien une tradition foncièrement athée et anti-religieuse, même si son combat contre la religion se distingue en partie de celui du laïcisme et de l'anticléricalisme bourgeois, dans le sens où :
•
elle vise à extirper le sentiment religieux en l'attaquant dans ses racines sociales, et pas seulement en l'affrontant sur le terrain des idées
•
elle s'oblige à composer éventuellement avec le sentiment religieux, en subordonnant la lutte contre celui-ci aux nécessités de la lutte des classes.
Je précise aussi que le but n'est pas d'aller puiser dans de vieux textes pour tout comprendre du présent, car les marxistes ne reconnaissent aucun texte comme sacré. Je n'ai pas une grande passion pour la marxologie fumeuse consistant à relire et réinterpréter sans cesses les textes classiques , le plus souvent pour accompagner les différents tournants du présent ou pour s'adapter aux modes universitaires successives – c'est ce que fait probablement Tévanian, et c'est ce qu'ont fait des générations de littérateurs marxologues mondains et pénibles, depuis Althusser jusqu'à de nos jours les Badiou, Zizek et compagnie. Mon but est juste de confirmer par les sources que la méthode et l'esprit du marxisme, au delà de telle ou telle phrase éventuellement ambigüe, sont bien foncièrement antireligieuses, et qu'il est absurde et illégitime d'invoquer le marxisme pour critiquer l'athéisme militant et la haine de la religion. Ce serait un peu comme invoquer Darwin, Wallace ou Thomas Huxley pour critiquer le combat contre les créationnistes, en quelque sorte [ceci dit, on ne peut pas exclure l'hypothèse que ce soit là l'objet du prochain ouvrage de Tévanian, maintenant qu'il est lancé...
Bonne lecture de ces morceaux choisis.
YK
A tout seigneur tout honneur, commençons donc par voir ce que Marx en Engels disent de la religion. Pour ce faire, on peut se reporter sur marxists.org au pdf d'une compilation de textes précisément intitulée Sur la religion, ça tombe très bien :
http://www.marxists.org/francais/marx/works/00/religion/Marx_Engels_sur_la_religion.pdf
A partir de la page 36 de ce recueil, on peut lire l'Introduction de la Critique de la philosophie du droit d'Hegel , qui date de fin 1843-1844, et dont est tirée la fameuse formule sur la religion comme « opium du peuple », formule dont la mobilisation par les antireligieux de gauche énerve tant Pierre Tévanian.
[Voir le texte directement ici : http://www.marxists.org/francais/marx/works/1843/00/km18430000.htm]
Ce texte de jeunesse a été rédigé alors que Marx et Engels viennent tout juste de se rallier au « communisme », entament à peine leur fructueuse collaboration intellectuelle, n'ont pas encore vraiment entamé leur action militante au sein du mouvement ouvrier naissant, et participent avant tout aux polémiques philosophiques entre jeunes hégéliens de gauche.
Ce texte s'ouvre par une formule un peu définitive selon laquelle « Pour l'Allemagne, la critique de la religion est finie en substance .», avant de donner une idée de l'importance de la critique de la religion, qui ne conviendra certainement pas à Tévanian : « Or, la critique de la religion est la condition première de toute critique. ». Dont acte....
Voici in extenso les deux paragraphes au début du texte qui amènent à la fameuse formule, dont les critiques de l'athéisme militant disent souvent qu'il faut la replacer dans son contexte, et que c'est beaucoup plus compliqué que ça et bla bla bli et bla bla bla :
« Le fondement de la critique irréligieuse est celui-ci : l'homme fait la religion, ce n'est pas la religion qui fait l'homme. La religion est en réalité la conscience et le sentiment propre de l'homme qui, ou bien ne s'est pas encore trouvé, ou bien s'est déjà reperdu. Mais l'homme n'est pas un être abstrait, extérieur au monde réel. L'homme, c'est le monde de l'homme, l'État, la société. Cet État, cette société produisent la religion, une conscience erronée du monde, parce qu'ils constituent eux-mêmes un monde faux. La religion est la théorie générale de ce monde, son compendium encyclopédique, sa logique sous une forme populaire, son point d'honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, sa raison générale de consolation et de justification. C'est la réalisation fantastique de l'essence humaine, parce que l'essence humaine n'a pas de réalité véritable. La lutte contre la religion est donc par ricochet la lutte contre ce monde, dont la religion est l’arôme spirituel.
La misère religieuse est, d'une part, l'expression de la misère réelle, et, d'autre part, la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l'âme d'un monde sans cœur, de même qu'elle est l'esprit d'une époque sans esprit. C'est l'opium du peuple. »
Ces phrases sont largement inspirées de l'analyse déjà matérialiste du christianisme faite par Ludwig Feuerbach (L'essence du christianisme, 1841), avec les formules sur ce que l'homme projette dans la religion qu'il crée : c'est l'homme qui a crée Dieu, et non l'inverse. Les gauchistes qui ont de la sympathie pour les religions ou pour la motivation religieuse à l'engagement, comme Michael Löwy ou Pierre Tévanian, mettent souvent en avant la formule selon laquelle « La misère religieuse est, d'une part, l'expression de la misère réelle, et, d'autre part, la protestation contre la misère réelle ». La dernière partie de la phrase, sur la protestation contre la misère réelle à travers la religion, vient pour eux justifier le flirt avec des courants chrétiens (type « théologie de la Libération ») ou musulmans (type Tariq Ramadan, invité des forums altermondialistes, comme cette année encore à Tunis). Il y aurait ainsi une motivation religieuse à l'engagement politique qui serait en elle-même progressiste, puisque la religion est la protestation contre la misère réelle.
Pourtant, quand on lit l'ensemble du texte de Marx, on comprend bien que cette « protestation » est totalement illusoire et de l'ordre du refus du monde via la fuite dans un "paradis artificiel", comme l'exprime très clairement la formule sur « l'opium du peuple », qui rappelle ce rôle avant tout anesthésiant de la croyance religieuse. Et c'est pour cela que, au-delà du fait que tout critique doit commencer par la critique de la religion, Marx estime ici que la lutte contre la société inégalitaire qui nourrit la croyance religieuse est aussi une lutte contre la religion elle-même, comme le montre là aussi très clairement la formule : « La lutte contre la religion est donc par ricochet la lutte contre ce monde, dont la religion est l’arôme spirituel. » On pourrait presque reprocher à Marx de trop en faire, en mettant d'abord en avant la lutte contre la religion, avant de ricocher sur celle contre le monde. Et si l'on est adepte des transpositions modernes, on peut tirer logiquement comme conclusion de cette phrase que l'athéisme militant, même non communiste, à la manière des Dawkins ou Hitchens, est utile au combat communiste, si l'on veut bien admettre que « La lutte contre la religion est donc par ricochet la lutte contre ce monde, dont la religion est l’arôme spirituel. ».
Bref, il faut avoir beaucoup d'imagination ou de mauvaise foi pour expliquer que la restitution de l'ensemble du paragraphe, au-delà de la formule sur l' "opium du peuple", tempère la critique marxiste de la religion. En réalité, cette recontextualisation CONFIRME et RENFORCE le sens usuel de la formule si fréquemment citée.
D'ailleurs, Marx enchaîne immédiatement avec ces mots qui enfoncent encore le clou :
« Le véritable bonheur du peuple exige que la religion soit supprimée en tant que bonheur illusoire du peuple. Exiger qu'il soit renoncé aux illusions concernant notre propre situation, c'est exiger qu'il soit renoncé à une situation qui a besoin d'illusions. La critique de la religion est donc, en germe, la critique de cette vallée de larmes, dont la religion est l'auréole. »
Allo, Tévanian, je répète : « Le véritable bonheur du peuple exige que la religion soit supprimée en tant que bonheur illusoire du peuple. »
Comme le disait NTM : « Et j'espère que cette-foi c'est clair ! ».
A peine plus loin dans le texte de Marx, on peut lire un autre passage qui développe cette idée selon laquelle une politique émancipatrice passe par le détricotage des illusions religieuses :
« La critique de la religion désillusionne l'homme, pour qu'il pense, agisse, forme sa réalité comme un homme désillusionné, devenu raisonnable, pour qu'il se meuve autour de lui et par suite autour de son véritable soleil. La religion n'est que le soleil illusoire qui se meut autour de l'homme, tant qu'il ne se meut pas autour de lui-même. »
En anticipant sur la suite de l'histoire du marxisme et de ses formules passées à la postérité , on pourrait dire que l'émancipation des travailleurs par eux-mêmes passe aussi par l'absence d'illusions dans une émancipation via le canal spirituel.
Dans la suite du texte, estimant en gros que Feuerbach avait fait le boulot et que, selon les mots du tout début « « Pour l'Allemagne, la critique de la religion est finie en substance .», Marx passe à ce qui l'intéresse vraiment à l'époque : la critique philosophique du « droit » et de la politique (pour l'essentiel de l'œuvre de Marx, à savoir la grille de lecture centrée sur la lutte des classes et l'analyse du fonctionnement du système capitaliste, il faudra attendre encore un peu...) : « la première tâche de la philosophie, qui est au service de l'histoire, consiste, une fois démasquée l'image sainte qui représentait la renonciation de l'homme à lui-même, à démasquer cette renonciation sous ses formes profanes. La critique du ciel se transforme ainsi en critique de la terre, la critique de la religion en critique du droit, la critique de la théologie en critique de la politique. »
Voilà pour les premières prémisses de l'approche marxiste de la religion.
On retrouve bien évidemment bien d'autres évocations de la religion dans l'œuvre ultérieure de Marx et d'Engels, et l'on peut continuer à s'orienter en suivant ce que propose le petit recueil Sur la religion .
Les Thèses sur Feuerbach de 1845 développent l'idée déjà présente dans la Critique de la philosophie du droit d'Hegel , selon laquelle Feuerbach s'est arrêté en chemin dans la destruction de l'illusion religieuse :
http://www.marxists.org/francais/marx/works/1845/00/kmfe18450001.htm
« Feuerbach part du fait que la religion rend l'homme étranger à lui-même et dédouble le monde en un monde religieux, objet de représentation, et un monde temporel . Son travail consiste à résoudre le monde religieux en sa base temporelle. Il ne voit pas que, ce travail une fois accompli, le principal reste encore à faire. Le fait, notamment, que la base temporelle se détache d'elle-même, et se fixe dans les nuages, constituant ainsi un royaume autonome, ne peut s'expliquer précisément que par le déchirement et la contradiction internes de cette base temporelle. Il faut donc d'abord comprendre celle-ci dans sa contradiction pour la révolutionner ensuite pratiquement en supprimant la contradiction. Donc, une fois qu'on a découvert, par exemple, que la famille terrestre est le secret de la famille céleste, c'est la première désormais dont il faut faire la critique théorique et qu'il faut révolutionner dans la pratique. »
Tout ceci est dit de manière un peu "philosophique" (ampoulée ?) et compliquée, mais la fin est assez explicite sur le fait que la victoire finale contre la religion ne peut pas s'obtenir par le simple dévoilement du caractère illusoire de la croyance religieuse, mais bien par la suppression des racines « matérielles » de celle-ci, c'est à dire par la lutte politique pour la satisfaction concrète des besoins des individus. Certes, on peut objecter que « c'est plus compliqué que ça » et que le développement d'une société socialiste assurant à chacun une existence matérielle satisfaisante ne ferait pas automatiquement disparaître le sentiment religieux, qui peut répondre aussi à d'autres angoisses existentielles, comme la peur de la mort. N'empêche que, sur la longue durée, et sauf cas exceptionnels ou particuliers (comme les Etats pétroliers théocratiques), l'on constate bien une tendance générale à la sécularisation et au progrès de l'irréligion au fur et à mesure du développement économique et de la sécurisation du quotidien permise par le développement. Avec, en sens inverse, une remontée de la croyance en périodes d' « insécurisation » telles que les crises économiques, semble-t-il.
Marx et Engels sont encore plus exagérément optimistes lorsque dans L'Idéologie Allemande (1846), ils ont l'air de penser que dans cette classe émergente et moderne qu'est le prolétariat, le sentiment religieux est de toutes façons en voie de disparition :
« Pour la masse des hommes, c’est-à-dire pour le prolétariat, ces représentations théoriques n’existent pas, donc pour cette masse elles n’ont pas non plus besoin d’être résolues et si celle-ci a jamais eu quelques représentations théoriques telles que la religion, il y a longtemps déjà qu’elles sont dissoutes par les circonstances » (page 75 du recueil Sur la religion)
Si seulement....
A ceux qui vantent le message chrétien comme source d'inspiration pour faire avancer le progrès social, Marx répond très sèchement :
« Les principes sociaux du christianisme ont eu maintenant dix-huit siècles pour se développer et n’ont pas besoin d’un supplément de développement par des conseillers au consistoire prussiens.
Les principes sociaux du christianisme ont justifié l’esclavage antique, magnifié le servage médiéval et s’entendent également, au besoin, à défendre l’oppression du prolétariat, même s’ils le font avec de petits airs navrés.
Les principes sociaux du christianisme prêchent la nécessité d’une classe dominante et d’une classe opprimée et n’ont à offrir à celle-ci que le voeu pieux que la première veuille bien se montrer charitable.
Les principes sociaux dus christianisme placent dans le ciel ce dédommagement de toutes les infamies dont parle notre conseiller, justifiant par là leur permanence sur cette terre.
Les principes sociaux du christianisme déclarent que toutes les vilenies des oppresseurs envers les opprimés sont, ou bien le juste châtiment du péché originel et des autres péchés, ou bien les épreuves que le Seigneur, dans sa sagesse infinie, inflige à ceux qu’il a rachetés.
Les principes sociaux du christianisme prêchent la lâcheté, le mépris de soi, l’avilissement, la servilité, l’humilité, bref toutes les qualités de la canaille ; le prolétariat, qui ne veut pas se laisser traiter en canaille, a besoin de son courage, du sentiment de sa dignité, de sa fierté et de son esprit d’indépendance beaucoup plus encore que des son pain.
Les principes sociaux du christianisme sont des principes de cafards et le prolétariat est révolutionnaire. » [Le communisme de "L'Observatoire rhénan", un texte du 12 septembre 1847 reproduit page 76 du recueil]
Là aussi, je crois que c'est assez clair....Je ne suis pas sûr que le PCF avait bien en tête ces mots de Marx au moment de la rédaction de son communiqué papiste.
Dans le même registre, on trouve dans le Manifeste du Parti Communiste (1847), un chapitre consacré au « socialisme réactionnaire », avec cette rapide analyse de ce qui m'a bien l'air d'être les ancêtres de l'actuel galimatia spiritualiste décroissant qui se dit « écosocialiste » :
http://www.marxists.org/francais/marx/works/1847/00/kmfe18470000c.htm
« Rien n’est plus facile que de donner une teinture de socialisme à l’ascétisme chrétien. Le christianisme ne s’est-il pas élevé lui aussi contre la propriété privée, le mariage, l’Etat ? Et à leur place n’a-t-il pas prêché la charité et la mendicité, le célibat et la mortification de la chair, la vie monastique et l’Eglise ? Le socialisme chrétien n’est que l’eau bénite avec laquelle le prêtre consacre le dépit de l’aristocratie. »
Du coup, je signale au passage que l'on trouve p.85 du recueil Sur la religion un compte rendu du livre d'un certain Daumer, qui promouvait le culte de la nature à la place du christianisme. L'ironie mordante dont font ici preuve Marx et Engels résonne de manière très actuelle, si l'on pense un instant à la mode contemporaine de l'adoration de la Pacha Mama chez une frange des altermondialistes :
« Le culte de la nature du Sieur Daumer est d’ailleurs d’une espèce particulière. Il a réussi à prendre une position réactionnaire, même par rapport au christianisme. Il tente d’instaurer la vieille religion naturelle d’avant le christianisme sous une forme modernisée. Ce faisant, il ne dépasse évidemment pas un radotage à la sauce chrétienno-germano-patriarcale, dont voici un échantillon :
Douce, sainte nature,
Laisse-moi suivre ta trace
Prends-moi par la main et conduis-moi
Comme un enfant tenu en lisière.
De pareilles idées sont passées de mode ; mais la culture, le progrès et le bonheur humain n’y ont rien gagné (t. II, p. 157).
Le culte de la nature se limite, on le voit, aux promenades dominicales d’un provincial, qui manifeste son étonnement puéril de voir le coucou pondre ses oeufs dans des nids étrangers (...) »
Il y a beaucoup de choses très intéressantes dans le recueil Sur la religion que je dois passer sous silence ici , car moins liées à l'enjeu de cette discussion, comme par exemple la brochure d'Engels sur La guerre des paysans, qui est une lecture sous l'angle de la lutte des classes des guerres religieuses en Allemagne au XVIe siècle, ou bien encore beaucoup de textes érudits qui concernent l'histoire des religions.
Très intéressant pour notre propos est ce texte d'Engels en 1871, qui est une analyse critique de la littérature produite par des émigrés blanquistes ayant fui la répression de la Commune de Paris. On peut imaginer Tévanian s'extasier au début du texte, mais moins par la suite....
http://www.marxists.org/francais/engels/works/1873/06/18730600.htm
« Nos blanquistes ont ceci de commun avec les bakouninistes qu'ils prétendent représenter le courant le plus avancé, le plus extrême. C'est pourquoi, soit dit en passant, si opposées que soient leurs fins, ils ont souvent des moyens similaires. Il s'agit donc d'être plus radicaux que tous les autres en ce qui concerne l'athéisme. Etre athée de nos jours n'est plus sorcier heureusement.
L'athéisme est une chose allant à peu près de soi dans les partis ouvriers européens, bien que dans certains pays il ait le même caractère que l'athéisme de ce bakouniniste espagnol qui a déclaré : "Croire en Dieu est contraire à tout socialisme, mais croire à la Sainte Vierge c'est différent, tout socialiste qui se respecte doit croire en elle." On peut même dire de la grande majorité des ouvriers social-démocrates allemands que l'athéisme est pour eux une étape franchie ; cette définition purement négative ne leur est plus applicable, car ils s'opposent à la croyance en Dieu pratiquement et non plus théoriquement ; ils en ont fini avec Dieu, ils vivent et pensent dans le monde réel et c'est pour cela qu'ils sont matérialistes. Il en va sans doute de même en France. Sinon, quoi de plus simple que de diffuser parmi les ouvriers l'excellente littérature matérialiste du siècle passé, littérature qui est jusqu'à présent, tant par la forme que par le contenu, un chef-d'œuvre de l'esprit français, et qui — compte tenu du niveau de la science à l'époque — est toujours infiniment élevée quant au contenu et d'une perfection incomparable quant à la forme. Mais ce n'est pas à la convenance des blanquistes. Pour prouver qu'ils sont les plus radicaux de tous, ils abolissent Dieu par décret, comme en 1793 :
Que la Commune débarrasse à jamais l'humanité de ce spectre de ses misères passées(Dieu), "de cette cause" (Dieu inexistant serait une cause !), de ses misères présentes. Dans la Commune il n'y a pas de place pour le prêtre ; toute manifestation, toute organisation religieuse doit être proscrite.
Et cette exigence de transformer les gens en athées par ordre du mufti est signée par deux membres de la Commune qui ont certainement eu l'occasion de constater que, premièrement, on peut écrire autant d'ordres que l'on voudra sur le papier sans rien faire pour en assurer l'exécution et que, deuxièmement, les persécutions sont le meilleur moyen d'affermir des convictions indésirables ! Ce qui est certain, c'est que le seul service que l'on puisse rendre encore, de nos jours, à Dieu est de proclamer l'athéisme un symbole de foi coercitif et de surpasser les lois anticléricales de Bismarck sur le Kulturkampf, en prohibant la religion en général. »
Ce que critique fermement Engels ici, ce n'est évidemment pas l'athéisme, ni même l'athéisme militant, bien au contraire, puisqu'il loue la prose des athées des Lumières (il ne les cite pas, mais on pense à Diderot et D'Holbach) pour contrer une éventuelle résurgence d'un sentiment religieux qu'il pense quasi disparu chez les ouvriers français et allemands de l'époque. Non, ce qu'Engels critique, c'est uniquement l'évidente stupidité de mesures purement coercitives pour se débarrasser de la religion. Non pas par amour de la religion, mais bien au contraire parce qu'une politique aussi mal conduite renforce la religion qu'il s'agit d'extirper...au lieu de la laisser mourir de sa belle mort, sous les coups meurtriers de l'amélioration des conditions de vie, renforcés si nécessaire par un peu de propagande matérialiste via les écrits des Lumières.
Nous le verrons dans un billet suivant : cette approche de la question religieuse par Engels est celle qui a été au fondement de la politique des bolchéviks, et notamment de Lénine, lors des premières années de la Révolution Russe. Et nous sommes dans un cas comme dans l'autre aux antipodes de la mode postmoderne de la critique des Lumières et de l' « idéologie du progrès », mode qui se traduit concrètement bien souvent par une certaine sympathie pour les religions sous des prétextes divers et avariés.
Je ferais remarquer toutefois que 142 ans après la rédaction de ce texte, et contrairement au jugement hyper- optimiste d'Engels selon lequel « Etre athée de nos jours n'est plus sorcier heureusement », il reste malheureusement beaucoup d'endroits dans le monde où il n'est pas facile d'être athée ; y compris dans la première puissance économique du monde moderne, les Etats-Unis.
En 1875, Marx reproche clairement au parti social-démocrate allemand d'en rester au stade du libéralisme bourgeois à propos de la question de la liberté de conscience , au lieu de prendre clairement position pour la disparition de la religion des consciences :
« Gloses marginales au programme du parti ouvrier allemand
« Liberté de conscience ! » Si on voulait, par ces temps de Kulturekampf, rappeler au libéralisme ses vieux mots d’ordre, on ne pouvait le faire que sous cette forme : « Chacun doit pouvoir satisfaire ses besoins religieux et corporels, sans que la police y fourre le nez ». Mais le Parti ouvrier avait là l’occasion d’exprimer sa conviction que la bourgeoise « liberté de conscience » n’est rien de plus que la tolérance de toutes les sortes possibles de liberté de conscience religieuse, tandis que lui s’efforce de libérer les consciences de la fantasmagorie religieuse. Seulement on se complaît à ne pas dépasser le niveau « bourgeois » (p. 135 du recueil Sur la religion)
En 1878, dans l'Anti-Dühring, Engels ironise encore une fois sur l'idée contre-productive d' « abolir » la religion, lui préférant la perspective plus réaliste de la création des conditions de sa « mort naturelle ». :
« M. Dühring ne peut pas attendre que la religion meure de cette mort naturelle qui lui est promise. Il procède de façon plus radicale. Il est plus bismarckien que Bismarck ; il décrète des lois de mai aggravées, non seulement contre le catholicisme, mais contre toute religion en général ; il lance ses gendarmes de l’avenir à la poursuite de la religion et ainsi il l’aide à accéder au martyre et prolonge sa vie. » (Sur la religion, p. 140)
Dans une Lettre à Conrad Schmidt en 1890, Engels a ce petit commentaire quie j'aime beaucoup, dans tous ses aspects, et dont j'ai du mal à voir comment Tévanian a pu l'inclure dans sa critique soit-disant marxiste de la haine de la religion :
« En ce qui concerne les régions idéologiques qui planent plus haut encore dans les airs, la religion, la philosophie, etc., elles sont composées d’un reliquat — remontant à la préhistoire et que la période historique a trouvé avant elle et recueilli — de… ce que nous appellerions aujourd’hui stupidité. » [Sur la religion, p. 263]
A l'approche de la mort, Engels n'est pas gagné par la révélation divine, loin s'en faut. En 1892, dans l'introduction de l'édition anglaise de Socialisme utopique et socialisme scientifique, il prend la peine d'ironiser sur la pseudo-neutralité faux-cul de l'agnosticisme, à laquelle il préfère un franc et net « matérialisme » qui est dans ce texte l'autre nom de l « athéisme » :
« En fait, qu’est-ce que c’est que l’agnosticisme, sinon un matérialisme honteux ? La conception de la nature qu’a l’agnostique est entièrement matérialiste. Le monde naturel tout entier est gouverné par des lois et n’admet pas l’intervention d’une action extérieure ; mais il ajoute par précaution : « Nous ne possédons pas le moyen d’affirmer ou d’infirmer l’existence d’un être suprême quelconque au delà de l’univers connu. » Cela pouvait avoir raison d’être à l’époque où Laplace répondait fièrement à Napoléon, lui demandant pourquoi, dans sa Mécanique céleste, il n’avait pas même mentionné ne nom du créateur : « Je n’avais pas besoin de cette hypothèse. » Mais aujourd’hui, avec notre conception évolutionniste de l’Univers, il n’y a absolument plus de place pour un créateur ou un ordonnateur ; et parler d’un être suprême, mis à la porte de tout l’univers existant, implique une contradiction dans les termes et me semble par surcroît une injure aux sentiments des croyants. » (Sur la religion p. 275)
Bref, on l'aura compris dès ce premier épisode consacré aux deux fondateurs du marxisme : Pierre Tévanian a le droit de faire la critique de la critique de la religion, mais qu'il endosse pour cela d'autres habits que ceux du marxisme. Parce que se draper de l'autorité de Marx et d'Engels pour tomber sur l'athéisme contemporain et parler à son sujet d'un « opium du peuple de gauche », c'est une tentative constituant un contresens tel que l'on peut parler d'escroquerie intellectuelle.
Suite au prochain épisode....
Yann Kindo
La "haine" marxiste de la religion. Episode I: Marx et Engels.
01 avril 2013 | Par Yann Kindo
On entend de plus en plus souvent ces temps-ci une petite musique à gauche sur le thème du « respect des religions », dont le communiqué du PCF à l'occasion de l'élection du nouveau pape est une caricature. On peut en effet y lire en conclusion cette formule pour le moins surprenante dans la bouche de supposés communistes : « en toute laïcité, dans le rejet de tout "ordre moral", nous avons de l'intérêt pour la parole de l'Eglise et pour les actes des croyants. Parlons de fraternité. »
http://www.humanite.fr/fil-rouge/nouveau-pape-reaction-du-pcf
Parler de fraternité avec l'Eglise catholique qui chaque jour confirme son caractère essentiellement réactionnaire, il fallait l'oser. Je ne sais pas ce que cela veut dire que d'avoir de l' « intérêt » pour « les actes des croyants » : dans la bagarre politique, on s'en fout autant que possible que les gens soient croyants, ce qui compte c'est leurs actes eux-mêmes, non ? Pourquoi avoir de l'intérêt pour les actes des croyants en tant que croyants ? Ce qui nous intéresse, ce sont les actes des travailleurs, en tant que travailleurs, plutôt....Et surtout, avoir de l'intérêt pour « la parole de l'Eglise », là on hallucine ! Sauf si il s'agit de s'intéresser à son ennemi afin de mieux le combattre, comme lorsque l'on a « de l'intérêt » pour la parole du Medef, si l'on veut. Mais ce n'est manifestement pas ça du tout la tonalité de ce très cathophile communiqué du PCF.
Pire, dans une mouvance que l'on qualifiera en gros d' « islamo-gauchiste » [= des gauchistes qui regardent avec un intérêt particulièrement bienveillant l'Islam, parce que religion des « dominés » sous nos latitudes], Pierre Tévanian vient de sortir un petit bouquin intitulé « La haine de la religion » qui, à partir de la pathétique affaire de la candidate voilée du NPA, entreprend de faire la leçon aux marxistes sur la question de la religion. Avec pour ambition d''utiliser les classiques du marxisme pour légitimer le propos absurde du livre, qui est de démontrer, selon la 4e de couverture, que « c’est aujourd’hui l’athéisme et le combat antireligieux, l’irréligion en somme, qui peut être considérée comme l’opium du peuple de gauche. » Rien que ça!
Puisque Tévanian s'efforce de donner des leçons d ' orthodoxie marxiste et de faire appel à ses grandes figures pour justifier ses stupidités post-modernes qui accompagnement la bêtise réactionnaire, je voudrais dans une série de billets, avant de proposer au final une contre-lecture du bouquin de Tévanian, explorer ces classiques fondateurs, via une recherche dans l'excellent site marxists.org, qui recense les œuvres des auteurs dont nous parlons :
http://www.marxists.org/francais/authors.htm
J'ai donc choisi quelques auteurs, parmi les principaux, et choisi quelques textes significatifs, dont je propose des extraits commentés. Je donnerai à chaque fois le lien avec la référence du texte complet, pour que chacun puissé vérifier que ma sélection est conforme (ou pas) à l'esprit de l'auteur, et que je ne procède pas par sélection partiale et excessivement partielle dans les textes pour les tirer du côté de ce que je veux démontrer : que la tradition marxiste, parce que matérialiste et révolutionnaire, est bien une tradition foncièrement athée et anti-religieuse, même si son combat contre la religion se distingue en partie de celui du laïcisme et de l'anticléricalisme bourgeois, dans le sens où :
•
elle vise à extirper le sentiment religieux en l'attaquant dans ses racines sociales, et pas seulement en l'affrontant sur le terrain des idées
•
elle s'oblige à composer éventuellement avec le sentiment religieux, en subordonnant la lutte contre celui-ci aux nécessités de la lutte des classes.
Je précise aussi que le but n'est pas d'aller puiser dans de vieux textes pour tout comprendre du présent, car les marxistes ne reconnaissent aucun texte comme sacré. Je n'ai pas une grande passion pour la marxologie fumeuse consistant à relire et réinterpréter sans cesses les textes classiques , le plus souvent pour accompagner les différents tournants du présent ou pour s'adapter aux modes universitaires successives – c'est ce que fait probablement Tévanian, et c'est ce qu'ont fait des générations de littérateurs marxologues mondains et pénibles, depuis Althusser jusqu'à de nos jours les Badiou, Zizek et compagnie. Mon but est juste de confirmer par les sources que la méthode et l'esprit du marxisme, au delà de telle ou telle phrase éventuellement ambigüe, sont bien foncièrement antireligieuses, et qu'il est absurde et illégitime d'invoquer le marxisme pour critiquer l'athéisme militant et la haine de la religion. Ce serait un peu comme invoquer Darwin, Wallace ou Thomas Huxley pour critiquer le combat contre les créationnistes, en quelque sorte [ceci dit, on ne peut pas exclure l'hypothèse que ce soit là l'objet du prochain ouvrage de Tévanian, maintenant qu'il est lancé...
Bonne lecture de ces morceaux choisis.
YK
A tout seigneur tout honneur, commençons donc par voir ce que Marx en Engels disent de la religion. Pour ce faire, on peut se reporter sur marxists.org au pdf d'une compilation de textes précisément intitulée Sur la religion, ça tombe très bien :
http://www.marxists.org/francais/marx/works/00/religion/Marx_Engels_sur_la_religion.pdf
A partir de la page 36 de ce recueil, on peut lire l'Introduction de la Critique de la philosophie du droit d'Hegel , qui date de fin 1843-1844, et dont est tirée la fameuse formule sur la religion comme « opium du peuple », formule dont la mobilisation par les antireligieux de gauche énerve tant Pierre Tévanian.
[Voir le texte directement ici : http://www.marxists.org/francais/marx/works/1843/00/km18430000.htm]
Ce texte de jeunesse a été rédigé alors que Marx et Engels viennent tout juste de se rallier au « communisme », entament à peine leur fructueuse collaboration intellectuelle, n'ont pas encore vraiment entamé leur action militante au sein du mouvement ouvrier naissant, et participent avant tout aux polémiques philosophiques entre jeunes hégéliens de gauche.
Ce texte s'ouvre par une formule un peu définitive selon laquelle « Pour l'Allemagne, la critique de la religion est finie en substance .», avant de donner une idée de l'importance de la critique de la religion, qui ne conviendra certainement pas à Tévanian : « Or, la critique de la religion est la condition première de toute critique. ». Dont acte....
Voici in extenso les deux paragraphes au début du texte qui amènent à la fameuse formule, dont les critiques de l'athéisme militant disent souvent qu'il faut la replacer dans son contexte, et que c'est beaucoup plus compliqué que ça et bla bla bli et bla bla bla :
« Le fondement de la critique irréligieuse est celui-ci : l'homme fait la religion, ce n'est pas la religion qui fait l'homme. La religion est en réalité la conscience et le sentiment propre de l'homme qui, ou bien ne s'est pas encore trouvé, ou bien s'est déjà reperdu. Mais l'homme n'est pas un être abstrait, extérieur au monde réel. L'homme, c'est le monde de l'homme, l'État, la société. Cet État, cette société produisent la religion, une conscience erronée du monde, parce qu'ils constituent eux-mêmes un monde faux. La religion est la théorie générale de ce monde, son compendium encyclopédique, sa logique sous une forme populaire, son point d'honneur spiritualiste, son enthousiasme, sa sanction morale, son complément solennel, sa raison générale de consolation et de justification. C'est la réalisation fantastique de l'essence humaine, parce que l'essence humaine n'a pas de réalité véritable. La lutte contre la religion est donc par ricochet la lutte contre ce monde, dont la religion est l’arôme spirituel.
La misère religieuse est, d'une part, l'expression de la misère réelle, et, d'autre part, la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée par le malheur, l'âme d'un monde sans cœur, de même qu'elle est l'esprit d'une époque sans esprit. C'est l'opium du peuple. »
Ces phrases sont largement inspirées de l'analyse déjà matérialiste du christianisme faite par Ludwig Feuerbach (L'essence du christianisme, 1841), avec les formules sur ce que l'homme projette dans la religion qu'il crée : c'est l'homme qui a crée Dieu, et non l'inverse. Les gauchistes qui ont de la sympathie pour les religions ou pour la motivation religieuse à l'engagement, comme Michael Löwy ou Pierre Tévanian, mettent souvent en avant la formule selon laquelle « La misère religieuse est, d'une part, l'expression de la misère réelle, et, d'autre part, la protestation contre la misère réelle ». La dernière partie de la phrase, sur la protestation contre la misère réelle à travers la religion, vient pour eux justifier le flirt avec des courants chrétiens (type « théologie de la Libération ») ou musulmans (type Tariq Ramadan, invité des forums altermondialistes, comme cette année encore à Tunis). Il y aurait ainsi une motivation religieuse à l'engagement politique qui serait en elle-même progressiste, puisque la religion est la protestation contre la misère réelle.
Pourtant, quand on lit l'ensemble du texte de Marx, on comprend bien que cette « protestation » est totalement illusoire et de l'ordre du refus du monde via la fuite dans un "paradis artificiel", comme l'exprime très clairement la formule sur « l'opium du peuple », qui rappelle ce rôle avant tout anesthésiant de la croyance religieuse. Et c'est pour cela que, au-delà du fait que tout critique doit commencer par la critique de la religion, Marx estime ici que la lutte contre la société inégalitaire qui nourrit la croyance religieuse est aussi une lutte contre la religion elle-même, comme le montre là aussi très clairement la formule : « La lutte contre la religion est donc par ricochet la lutte contre ce monde, dont la religion est l’arôme spirituel. » On pourrait presque reprocher à Marx de trop en faire, en mettant d'abord en avant la lutte contre la religion, avant de ricocher sur celle contre le monde. Et si l'on est adepte des transpositions modernes, on peut tirer logiquement comme conclusion de cette phrase que l'athéisme militant, même non communiste, à la manière des Dawkins ou Hitchens, est utile au combat communiste, si l'on veut bien admettre que « La lutte contre la religion est donc par ricochet la lutte contre ce monde, dont la religion est l’arôme spirituel. ».
Bref, il faut avoir beaucoup d'imagination ou de mauvaise foi pour expliquer que la restitution de l'ensemble du paragraphe, au-delà de la formule sur l' "opium du peuple", tempère la critique marxiste de la religion. En réalité, cette recontextualisation CONFIRME et RENFORCE le sens usuel de la formule si fréquemment citée.
D'ailleurs, Marx enchaîne immédiatement avec ces mots qui enfoncent encore le clou :
« Le véritable bonheur du peuple exige que la religion soit supprimée en tant que bonheur illusoire du peuple. Exiger qu'il soit renoncé aux illusions concernant notre propre situation, c'est exiger qu'il soit renoncé à une situation qui a besoin d'illusions. La critique de la religion est donc, en germe, la critique de cette vallée de larmes, dont la religion est l'auréole. »
Allo, Tévanian, je répète : « Le véritable bonheur du peuple exige que la religion soit supprimée en tant que bonheur illusoire du peuple. »
Comme le disait NTM : « Et j'espère que cette-foi c'est clair ! ».
A peine plus loin dans le texte de Marx, on peut lire un autre passage qui développe cette idée selon laquelle une politique émancipatrice passe par le détricotage des illusions religieuses :
« La critique de la religion désillusionne l'homme, pour qu'il pense, agisse, forme sa réalité comme un homme désillusionné, devenu raisonnable, pour qu'il se meuve autour de lui et par suite autour de son véritable soleil. La religion n'est que le soleil illusoire qui se meut autour de l'homme, tant qu'il ne se meut pas autour de lui-même. »
En anticipant sur la suite de l'histoire du marxisme et de ses formules passées à la postérité , on pourrait dire que l'émancipation des travailleurs par eux-mêmes passe aussi par l'absence d'illusions dans une émancipation via le canal spirituel.
Dans la suite du texte, estimant en gros que Feuerbach avait fait le boulot et que, selon les mots du tout début « « Pour l'Allemagne, la critique de la religion est finie en substance .», Marx passe à ce qui l'intéresse vraiment à l'époque : la critique philosophique du « droit » et de la politique (pour l'essentiel de l'œuvre de Marx, à savoir la grille de lecture centrée sur la lutte des classes et l'analyse du fonctionnement du système capitaliste, il faudra attendre encore un peu...) : « la première tâche de la philosophie, qui est au service de l'histoire, consiste, une fois démasquée l'image sainte qui représentait la renonciation de l'homme à lui-même, à démasquer cette renonciation sous ses formes profanes. La critique du ciel se transforme ainsi en critique de la terre, la critique de la religion en critique du droit, la critique de la théologie en critique de la politique. »
Voilà pour les premières prémisses de l'approche marxiste de la religion.
On retrouve bien évidemment bien d'autres évocations de la religion dans l'œuvre ultérieure de Marx et d'Engels, et l'on peut continuer à s'orienter en suivant ce que propose le petit recueil Sur la religion .
Les Thèses sur Feuerbach de 1845 développent l'idée déjà présente dans la Critique de la philosophie du droit d'Hegel , selon laquelle Feuerbach s'est arrêté en chemin dans la destruction de l'illusion religieuse :
http://www.marxists.org/francais/marx/works/1845/00/kmfe18450001.htm
« Feuerbach part du fait que la religion rend l'homme étranger à lui-même et dédouble le monde en un monde religieux, objet de représentation, et un monde temporel . Son travail consiste à résoudre le monde religieux en sa base temporelle. Il ne voit pas que, ce travail une fois accompli, le principal reste encore à faire. Le fait, notamment, que la base temporelle se détache d'elle-même, et se fixe dans les nuages, constituant ainsi un royaume autonome, ne peut s'expliquer précisément que par le déchirement et la contradiction internes de cette base temporelle. Il faut donc d'abord comprendre celle-ci dans sa contradiction pour la révolutionner ensuite pratiquement en supprimant la contradiction. Donc, une fois qu'on a découvert, par exemple, que la famille terrestre est le secret de la famille céleste, c'est la première désormais dont il faut faire la critique théorique et qu'il faut révolutionner dans la pratique. »
Tout ceci est dit de manière un peu "philosophique" (ampoulée ?) et compliquée, mais la fin est assez explicite sur le fait que la victoire finale contre la religion ne peut pas s'obtenir par le simple dévoilement du caractère illusoire de la croyance religieuse, mais bien par la suppression des racines « matérielles » de celle-ci, c'est à dire par la lutte politique pour la satisfaction concrète des besoins des individus. Certes, on peut objecter que « c'est plus compliqué que ça » et que le développement d'une société socialiste assurant à chacun une existence matérielle satisfaisante ne ferait pas automatiquement disparaître le sentiment religieux, qui peut répondre aussi à d'autres angoisses existentielles, comme la peur de la mort. N'empêche que, sur la longue durée, et sauf cas exceptionnels ou particuliers (comme les Etats pétroliers théocratiques), l'on constate bien une tendance générale à la sécularisation et au progrès de l'irréligion au fur et à mesure du développement économique et de la sécurisation du quotidien permise par le développement. Avec, en sens inverse, une remontée de la croyance en périodes d' « insécurisation » telles que les crises économiques, semble-t-il.
Marx et Engels sont encore plus exagérément optimistes lorsque dans L'Idéologie Allemande (1846), ils ont l'air de penser que dans cette classe émergente et moderne qu'est le prolétariat, le sentiment religieux est de toutes façons en voie de disparition :
« Pour la masse des hommes, c’est-à-dire pour le prolétariat, ces représentations théoriques n’existent pas, donc pour cette masse elles n’ont pas non plus besoin d’être résolues et si celle-ci a jamais eu quelques représentations théoriques telles que la religion, il y a longtemps déjà qu’elles sont dissoutes par les circonstances » (page 75 du recueil Sur la religion)
Si seulement....
A ceux qui vantent le message chrétien comme source d'inspiration pour faire avancer le progrès social, Marx répond très sèchement :
« Les principes sociaux du christianisme ont eu maintenant dix-huit siècles pour se développer et n’ont pas besoin d’un supplément de développement par des conseillers au consistoire prussiens.
Les principes sociaux du christianisme ont justifié l’esclavage antique, magnifié le servage médiéval et s’entendent également, au besoin, à défendre l’oppression du prolétariat, même s’ils le font avec de petits airs navrés.
Les principes sociaux du christianisme prêchent la nécessité d’une classe dominante et d’une classe opprimée et n’ont à offrir à celle-ci que le voeu pieux que la première veuille bien se montrer charitable.
Les principes sociaux dus christianisme placent dans le ciel ce dédommagement de toutes les infamies dont parle notre conseiller, justifiant par là leur permanence sur cette terre.
Les principes sociaux du christianisme déclarent que toutes les vilenies des oppresseurs envers les opprimés sont, ou bien le juste châtiment du péché originel et des autres péchés, ou bien les épreuves que le Seigneur, dans sa sagesse infinie, inflige à ceux qu’il a rachetés.
Les principes sociaux du christianisme prêchent la lâcheté, le mépris de soi, l’avilissement, la servilité, l’humilité, bref toutes les qualités de la canaille ; le prolétariat, qui ne veut pas se laisser traiter en canaille, a besoin de son courage, du sentiment de sa dignité, de sa fierté et de son esprit d’indépendance beaucoup plus encore que des son pain.
Les principes sociaux du christianisme sont des principes de cafards et le prolétariat est révolutionnaire. » [Le communisme de "L'Observatoire rhénan", un texte du 12 septembre 1847 reproduit page 76 du recueil]
Là aussi, je crois que c'est assez clair....Je ne suis pas sûr que le PCF avait bien en tête ces mots de Marx au moment de la rédaction de son communiqué papiste.
Dans le même registre, on trouve dans le Manifeste du Parti Communiste (1847), un chapitre consacré au « socialisme réactionnaire », avec cette rapide analyse de ce qui m'a bien l'air d'être les ancêtres de l'actuel galimatia spiritualiste décroissant qui se dit « écosocialiste » :
http://www.marxists.org/francais/marx/works/1847/00/kmfe18470000c.htm
« Rien n’est plus facile que de donner une teinture de socialisme à l’ascétisme chrétien. Le christianisme ne s’est-il pas élevé lui aussi contre la propriété privée, le mariage, l’Etat ? Et à leur place n’a-t-il pas prêché la charité et la mendicité, le célibat et la mortification de la chair, la vie monastique et l’Eglise ? Le socialisme chrétien n’est que l’eau bénite avec laquelle le prêtre consacre le dépit de l’aristocratie. »
Du coup, je signale au passage que l'on trouve p.85 du recueil Sur la religion un compte rendu du livre d'un certain Daumer, qui promouvait le culte de la nature à la place du christianisme. L'ironie mordante dont font ici preuve Marx et Engels résonne de manière très actuelle, si l'on pense un instant à la mode contemporaine de l'adoration de la Pacha Mama chez une frange des altermondialistes :
« Le culte de la nature du Sieur Daumer est d’ailleurs d’une espèce particulière. Il a réussi à prendre une position réactionnaire, même par rapport au christianisme. Il tente d’instaurer la vieille religion naturelle d’avant le christianisme sous une forme modernisée. Ce faisant, il ne dépasse évidemment pas un radotage à la sauce chrétienno-germano-patriarcale, dont voici un échantillon :
Douce, sainte nature,
Laisse-moi suivre ta trace
Prends-moi par la main et conduis-moi
Comme un enfant tenu en lisière.
De pareilles idées sont passées de mode ; mais la culture, le progrès et le bonheur humain n’y ont rien gagné (t. II, p. 157).
Le culte de la nature se limite, on le voit, aux promenades dominicales d’un provincial, qui manifeste son étonnement puéril de voir le coucou pondre ses oeufs dans des nids étrangers (...) »
Il y a beaucoup de choses très intéressantes dans le recueil Sur la religion que je dois passer sous silence ici , car moins liées à l'enjeu de cette discussion, comme par exemple la brochure d'Engels sur La guerre des paysans, qui est une lecture sous l'angle de la lutte des classes des guerres religieuses en Allemagne au XVIe siècle, ou bien encore beaucoup de textes érudits qui concernent l'histoire des religions.
Très intéressant pour notre propos est ce texte d'Engels en 1871, qui est une analyse critique de la littérature produite par des émigrés blanquistes ayant fui la répression de la Commune de Paris. On peut imaginer Tévanian s'extasier au début du texte, mais moins par la suite....
http://www.marxists.org/francais/engels/works/1873/06/18730600.htm
« Nos blanquistes ont ceci de commun avec les bakouninistes qu'ils prétendent représenter le courant le plus avancé, le plus extrême. C'est pourquoi, soit dit en passant, si opposées que soient leurs fins, ils ont souvent des moyens similaires. Il s'agit donc d'être plus radicaux que tous les autres en ce qui concerne l'athéisme. Etre athée de nos jours n'est plus sorcier heureusement.
L'athéisme est une chose allant à peu près de soi dans les partis ouvriers européens, bien que dans certains pays il ait le même caractère que l'athéisme de ce bakouniniste espagnol qui a déclaré : "Croire en Dieu est contraire à tout socialisme, mais croire à la Sainte Vierge c'est différent, tout socialiste qui se respecte doit croire en elle." On peut même dire de la grande majorité des ouvriers social-démocrates allemands que l'athéisme est pour eux une étape franchie ; cette définition purement négative ne leur est plus applicable, car ils s'opposent à la croyance en Dieu pratiquement et non plus théoriquement ; ils en ont fini avec Dieu, ils vivent et pensent dans le monde réel et c'est pour cela qu'ils sont matérialistes. Il en va sans doute de même en France. Sinon, quoi de plus simple que de diffuser parmi les ouvriers l'excellente littérature matérialiste du siècle passé, littérature qui est jusqu'à présent, tant par la forme que par le contenu, un chef-d'œuvre de l'esprit français, et qui — compte tenu du niveau de la science à l'époque — est toujours infiniment élevée quant au contenu et d'une perfection incomparable quant à la forme. Mais ce n'est pas à la convenance des blanquistes. Pour prouver qu'ils sont les plus radicaux de tous, ils abolissent Dieu par décret, comme en 1793 :
Que la Commune débarrasse à jamais l'humanité de ce spectre de ses misères passées(Dieu), "de cette cause" (Dieu inexistant serait une cause !), de ses misères présentes. Dans la Commune il n'y a pas de place pour le prêtre ; toute manifestation, toute organisation religieuse doit être proscrite.
Et cette exigence de transformer les gens en athées par ordre du mufti est signée par deux membres de la Commune qui ont certainement eu l'occasion de constater que, premièrement, on peut écrire autant d'ordres que l'on voudra sur le papier sans rien faire pour en assurer l'exécution et que, deuxièmement, les persécutions sont le meilleur moyen d'affermir des convictions indésirables ! Ce qui est certain, c'est que le seul service que l'on puisse rendre encore, de nos jours, à Dieu est de proclamer l'athéisme un symbole de foi coercitif et de surpasser les lois anticléricales de Bismarck sur le Kulturkampf, en prohibant la religion en général. »
Ce que critique fermement Engels ici, ce n'est évidemment pas l'athéisme, ni même l'athéisme militant, bien au contraire, puisqu'il loue la prose des athées des Lumières (il ne les cite pas, mais on pense à Diderot et D'Holbach) pour contrer une éventuelle résurgence d'un sentiment religieux qu'il pense quasi disparu chez les ouvriers français et allemands de l'époque. Non, ce qu'Engels critique, c'est uniquement l'évidente stupidité de mesures purement coercitives pour se débarrasser de la religion. Non pas par amour de la religion, mais bien au contraire parce qu'une politique aussi mal conduite renforce la religion qu'il s'agit d'extirper...au lieu de la laisser mourir de sa belle mort, sous les coups meurtriers de l'amélioration des conditions de vie, renforcés si nécessaire par un peu de propagande matérialiste via les écrits des Lumières.
Nous le verrons dans un billet suivant : cette approche de la question religieuse par Engels est celle qui a été au fondement de la politique des bolchéviks, et notamment de Lénine, lors des premières années de la Révolution Russe. Et nous sommes dans un cas comme dans l'autre aux antipodes de la mode postmoderne de la critique des Lumières et de l' « idéologie du progrès », mode qui se traduit concrètement bien souvent par une certaine sympathie pour les religions sous des prétextes divers et avariés.
Je ferais remarquer toutefois que 142 ans après la rédaction de ce texte, et contrairement au jugement hyper- optimiste d'Engels selon lequel « Etre athée de nos jours n'est plus sorcier heureusement », il reste malheureusement beaucoup d'endroits dans le monde où il n'est pas facile d'être athée ; y compris dans la première puissance économique du monde moderne, les Etats-Unis.
En 1875, Marx reproche clairement au parti social-démocrate allemand d'en rester au stade du libéralisme bourgeois à propos de la question de la liberté de conscience , au lieu de prendre clairement position pour la disparition de la religion des consciences :
« Gloses marginales au programme du parti ouvrier allemand
« Liberté de conscience ! » Si on voulait, par ces temps de Kulturekampf, rappeler au libéralisme ses vieux mots d’ordre, on ne pouvait le faire que sous cette forme : « Chacun doit pouvoir satisfaire ses besoins religieux et corporels, sans que la police y fourre le nez ». Mais le Parti ouvrier avait là l’occasion d’exprimer sa conviction que la bourgeoise « liberté de conscience » n’est rien de plus que la tolérance de toutes les sortes possibles de liberté de conscience religieuse, tandis que lui s’efforce de libérer les consciences de la fantasmagorie religieuse. Seulement on se complaît à ne pas dépasser le niveau « bourgeois » (p. 135 du recueil Sur la religion)
En 1878, dans l'Anti-Dühring, Engels ironise encore une fois sur l'idée contre-productive d' « abolir » la religion, lui préférant la perspective plus réaliste de la création des conditions de sa « mort naturelle ». :
« M. Dühring ne peut pas attendre que la religion meure de cette mort naturelle qui lui est promise. Il procède de façon plus radicale. Il est plus bismarckien que Bismarck ; il décrète des lois de mai aggravées, non seulement contre le catholicisme, mais contre toute religion en général ; il lance ses gendarmes de l’avenir à la poursuite de la religion et ainsi il l’aide à accéder au martyre et prolonge sa vie. » (Sur la religion, p. 140)
Dans une Lettre à Conrad Schmidt en 1890, Engels a ce petit commentaire quie j'aime beaucoup, dans tous ses aspects, et dont j'ai du mal à voir comment Tévanian a pu l'inclure dans sa critique soit-disant marxiste de la haine de la religion :
« En ce qui concerne les régions idéologiques qui planent plus haut encore dans les airs, la religion, la philosophie, etc., elles sont composées d’un reliquat — remontant à la préhistoire et que la période historique a trouvé avant elle et recueilli — de… ce que nous appellerions aujourd’hui stupidité. » [Sur la religion, p. 263]
A l'approche de la mort, Engels n'est pas gagné par la révélation divine, loin s'en faut. En 1892, dans l'introduction de l'édition anglaise de Socialisme utopique et socialisme scientifique, il prend la peine d'ironiser sur la pseudo-neutralité faux-cul de l'agnosticisme, à laquelle il préfère un franc et net « matérialisme » qui est dans ce texte l'autre nom de l « athéisme » :
« En fait, qu’est-ce que c’est que l’agnosticisme, sinon un matérialisme honteux ? La conception de la nature qu’a l’agnostique est entièrement matérialiste. Le monde naturel tout entier est gouverné par des lois et n’admet pas l’intervention d’une action extérieure ; mais il ajoute par précaution : « Nous ne possédons pas le moyen d’affirmer ou d’infirmer l’existence d’un être suprême quelconque au delà de l’univers connu. » Cela pouvait avoir raison d’être à l’époque où Laplace répondait fièrement à Napoléon, lui demandant pourquoi, dans sa Mécanique céleste, il n’avait pas même mentionné ne nom du créateur : « Je n’avais pas besoin de cette hypothèse. » Mais aujourd’hui, avec notre conception évolutionniste de l’Univers, il n’y a absolument plus de place pour un créateur ou un ordonnateur ; et parler d’un être suprême, mis à la porte de tout l’univers existant, implique une contradiction dans les termes et me semble par surcroît une injure aux sentiments des croyants. » (Sur la religion p. 275)
Bref, on l'aura compris dès ce premier épisode consacré aux deux fondateurs du marxisme : Pierre Tévanian a le droit de faire la critique de la critique de la religion, mais qu'il endosse pour cela d'autres habits que ceux du marxisme. Parce que se draper de l'autorité de Marx et d'Engels pour tomber sur l'athéisme contemporain et parler à son sujet d'un « opium du peuple de gauche », c'est une tentative constituant un contresens tel que l'on peut parler d'escroquerie intellectuelle.
Suite au prochain épisode....
Yann Kindo
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Re: marxisme et religion
La haine marxiste de la religion II : Les héritiers directs
27 juillet 2013 | Par Yann Kindo
Ce billet est le deuxième d'une série qui vise à explorer, en voyageant dans les textes, l'attitude des fondateurs du marxisme face à la religion. Cette série est une réponse directe aux falsifications grotesques de Pierre Tévanian, qui essaie d'expliquer que l'athéisme serait devenu « l'opium du peuple de gauche », et que la critique contemporaine de la religion serait une rupture avec les classiques du marxisme. Dans le premier billet, j'avais montré quelles étaient les analyses de Marx et d'Engels sur le sujet, et en quoi les déformations intéressées de Tévanian relèvent en fait du contresens : http://blogs.mediapart.fr/blog/yann-kindo/010413/la-haine-marxiste-de-la-religion-episode-i-marx-et-engels Je signale que, depuis la parution de ce billet, un autre bloggeur de Médiapart, Germinal Pinalie, a publié un billet très érudit qui montre comment Tévanian triture les différentes traductions disponibles des textes marxistes pour essayer de les faire coller le plus possible avec ce qu'il a envie de montrer : http://blogs.mediapart.fr/blog/germinal-pinalie/100613/les-mots-de-marx-sont-importants-sur-la-haine-de-la-religion-de-pierre-tevanian Dans ce deuxième billet, on poursuit le voyage dans les textes classiques, en s'intéressant à la « deuxième génération » des fondateurs du marxisme, ceux qui œuvrent au tournant du siècle pour diffuser et approfondir les théories marxistes. La génération « Deuxième internationale », en quelque sorte. Je m'appuie toujours sur ce que propose le site marxists.org, qui souffre de quelques fautes de frappes ponctuelles mais qui est d'une très grande richesse et très pratique pour se livrer à ce genre d'explorations : http://www.marxists.org/francais/index.htm Plus encore que dans le dernier billet, je me contenterai de largement laisser parler les textes eux-mêmes, parce qu'ils sont très explicites et qu'il n'y a pas grand chose à rajouter, mais aussi parce que j'ai surtout envie de les faire connaître, et peut-être donner envie de les lire, plutôt que de les commenter pour le plaisir de commenter. L'ordre alphabétique des choix opérés appelle en premier lieu un classique relativement connu [si tant est que les textes marxistes aient jamais été « connus », au sens de « largement diffusés dans la population »] : « La femme et le socialisme », publié par le dirigeant du SPD allemand Auguste Bebel en 1891 : http://www.marxists.org/francais/bebel/bebel_fs5.htm Le livre de Tévénian ayant en fait pour origine pratique les débats autour du voile islamique, il n'est pas inintéressant de commencer par un texte abordant la question religieuse sous l'angle de l'oppression des femmes : « Il serait facile de produire encore des centaines de citations empruntées aux plus considérables des hommes que l'on appelle des lumières de l’Église. Tous ont enseigné dans le même sens ; tous, par leurs prédications constantes, ont contribué à répandre ces idées monstrueuses sur les choses sexuelles et les relations de l'homme et de la femme, relations qui sont pourtant une loi de la nature dont l'application est un des devoirs les plus essentiels des fins humaines. La société actuelle souffre encore cruellement de ces doctrines et elle ne s'en guérit qu'avec lenteur. Pierre dit aux femmes avec insistance : « femmes, soyez dociles à vos maris. » Paul écrit aux Éphésiens : « l'homme est le maître de la femme comme le Christ est le chef de l’Église » ; aux Corinthiens : « l'homme est l'image et la gloire de Dieu, et la femme est la gloire de l'homme. » D'après tout cela, le premier niais venu peut se croire au-dessus de la femme la plus distinguée, et, dans la pratique, il en est ainsi, même à présent. » Bebel poursuit plus loin en répondant aux apôtres du caractère progressiste du christianisme, au moins comme facteur de civilisation : « Ce qui a progressivement amélioré le sort de la femme dans ce qu'on est convenu d'appeler le monde chrétien, ce n'est pas le christianisme, mais bien les progrès que la civilisation a faits en Occident malgré lui. Ce n'est donc pas la faute du christianisme si la situation de la femme est aujourd'hui supérieure à ce qu'elle était lorsqu'il naquit. Ce n'est qu'à contre-cœur et la main forcée qu'il a renoncé à sa véritable façon d'agir à l'endroit de la femme. Les fanatiques de la « mission libératrice du christianisme » sont d'un avis opposé sur ce point comme sur beaucoup d'autres. Ils affirment audacieusement que le christianisme a délivré la femme de sa basse condition primitive ; ils s'appuient surtout pour cela sur le culte de Marie, mère de Dieu, qui surgit postérieurement dans la religion nouvelle et qui devait être considéré par le sexe féminin comme un hommage à lui rendu. L’Église catholique, qui observe aujourd'hui encore ce culte, devrait hautement protester contre cette assertion. Les Saints et les Pères de l’Église - et nous pourrions facilement en citer bien d'autres, parmi lesquels les premiers et les plus illustres - se prononcent tous, sans exception, contre la femme. Le concile de Mâcon, que nous avons déjà cité, et qui, au VIème siècle, discuta sur la question de savoir si la femme avait une âme ou non, fournit un argument probant contre cette version de la bienveillance des doctrines du catholicisme pour la femme. L'introduction du célibat des prêtres par Grégoire VII , la furie des réformateurs, de Calvin en particulier, contre les « plaisirs de la chair », et avant tout la Bible elle-même dans ses monstrueuses sentences d'hostilité contre la femme et le genre humain, nous démontrent le contraire. » On retrouve des années plus tard le même son de cloche féministe irréductiblement hostile au christianisme du côté de la dirigeante bolchévique Alexandra Kollontaï, qui dans sa « IVe Conférence à l'université Sverdlov sur la libération des femmes » (1921), dresse un portait unilatéralement négatif de la religion chrétienne : http://www.marxists.org/francais/kollontai/works/1921/0a/kollontai_conf_04.htm « Toutes les religions marquées par le patriarcat se sont rendues coupables de discriminations envers les femmes, essentiellement pour avoir érigé en loi divine l'infériorité de la femme par rapport à l'homme. Le christianisme, au départ religion des esclaves, mais dont les riches et les puissants ont su rapidement tirer parti, a de ce point de vue particulièrement frappé les femmes. Le christianisme doit sa formidable expansion au Moyen Age à son empressement à légaliser la propriété privée, l'abîme creusé entre les classes et la violence envers les pauvres. Le christianisme élevait la pauvreté, la douceur et la patience au rang de vertus que les serfs sans droits avaient le devoir de pratiquer et pour lesquelles un jour, dans l'au-delà, ils seraient largement récompensés. L'effet soporifique de la religion sur la pensée et la volonté empêchait tout réveil : « Crois sans douter !» La classe des grands propriétaires terriens avait besoin d'être appuyée par Dieu lui-même pour assurer sa suprématie. Se « mortifier » était extrêmement désagréable. Les chevaliers, les propriétaires terriens ou même les représentants fanatiques de l'Eglise respectaient-ils ces saintes règles de vie ? Non, d'aucune manière ! Ils menaient une vie de débauche écœurante et abandonnèrent aux moines et aux ermites le soin de « mortifier leur corps ». Ils versaient des dons aux couvents pour le rachat de leurs péchés. Le christianisme était donc, et à tous égards, une religion très commode pour les puissants, puisqu'elle confirmait les classes non possédantes et dominées et en particulier les femmes appartenant à ces classes dans leur oppression et les terrorisait. L'appel au Tout-Puissant légalisa le droit du plus fort au sein de la famille et l'assujettissement de la femme à la tyrannie de l'homme. Ce qui eut naturellement des conséquences catastrophiques sur le futur destin de la femme. Le christianisme reprochait à la femme d'inciter l'homme à l'amour charnel. Les pères de l'Eglise du Moyen Age remplirent d'énormes grimoires pour tenter de prouver la nature pécheresse de la femme. Ils rendirent les femmes responsables de leur propre concupiscence. Et le peuple, simple et inculte, qui n'avait pas appris à penser par lui-même, croyait aveuglément les enseignements de l'Eglise. » « Le christianisme soutenait la paresse de l'esprit et le conservatisme, reculait devant toute innovation et considérait naturellement toute forme de travail intellectuel comme néfaste. Les sciences, par exemple, étaient persécutées parce que l'Eglise soupçonnait les savants capables de découvrir le charlatanisme religieux et de dessiller les yeux des croyants. Tous ceux qui exerçaient une influence spirituelle sur leur entourage sans porter soutane étaient énergiquement poursuivis par l'Eglise. » Toujours en Russie, quelques années plus tôt, dans une lettre de 1907 intitulée « Réponse à une enquête faite par le Mercure de France sur l'avenir de la religion », Plekhanov, qui était le fondateur du marxisme en Russie et à cette époque une influence majeure de Lénine, discute la question de l'avenir de la religion, et rassure ceux qui voient dans l'effacement de celle-ci une menace pour la morale. Il présente les religions, en tant que croyances et pas seulement en tant qu'Eglises constituées, comme des survivances archaïques appelées à disparaître au fur et à mesure du progrès scientifique et du progrès social, qui allaient de paire dans l'esprit des fondateurs du marxisme : « L'alliance qui semblait indissoluble entre la religion et la morale est condamnée à disparaître de par le progrès de l'esprit humain. L'explication scientifique des phénomènes est forcément matérialiste. L'intervention des êtres spirituels, qui, aux yeux du sauvage, explique tous les phénomènes, n'explique rien aux yeux d'un Berthelot ; sa valeur diminue de plus en plus pour l'homme civilisé qui peut s'assimiler les résultats du travail scientifique. Si nombre de gens croient à l'existence d'êtres spirituels et surnaturels, c'est que — pour diverses raisons — ils n'ont pu surmonter les obstacles qui les empêchent de se placer au point de vue scientifique. Une fois ces obstacles écartés — et il faut croire que ce sera l'oeuvre de l'évolution sociale — toute conception surnaturelle s'évanouira, et alors la morale sera forcée de reprendre son existence indépendante. La religion, dans le sens de sa définition maximum, aura vécu. — Quant au sentiment religieux, il disparaîtra évidemment avec la dissolution de l'idée religieuse. Mais il y a plus de conservatisme dans les sentiments que dans les idées. Il peut y avoir et il y aura certainement des survivances qui engendreront des conceptions plus ou moins bâtardes, mi-spiritualistes, mi-matérialistes, du monde. Mais à leur tour ces survivances sont condamnées à disparaître, surtout quand disparaîtront certaines institutions sociales que la religion paraît sanctionner. Le progrès de l'humanité apporte avec lui l'arrêt de mort de l'idée et du sentiment religieux. Les gens timides ou intéressés ont peur pour la morale. Mais, je le répète, la morale peut mener une existence indépendante. La croyance en des êtres spirituels, même à l'heure qu'il est, est loin de renforcer la morale. Bien au contraire, les religions des peuples civilisés actuels sont, pour la plupart, en arrière du développement moral de ces peuples. » Allons voir maintenant du côté des dirigeants socialistes français, avec les deux figures qui sont généralement opposées, celle de l' « orthodoxe » Jules Guesde et celle du socialiste républicain Jean Jaurès. Il n'est pas question ici de commenter leurs positions politiques en général, que ce soit sur la participation gouvernementale ou sur le patriotisme [un mal dont il étaient tous les deux affectés, ce qui en fait des marxistes d'un genre particulier]. Il s'agit uniquement de constater leur divergence sur la manière d'aborder la question de la religion, dans le contexte particulier de la campagne laïque qui s'est développée sous la IIIe République, jusqu'à institutionnaliser la notion. Voici ce que dit Jules Guesde, dans un « Discours au Congrès d'Amsterdam » (1904), qui est précisément une intervention dans le cadre d'une polémique avec Jaurès lors d'un Congrès Socialiste international : http://www.marxists.org/francais/guesde/works/1904/08/guesde_19040813.htm « "La victoire de la laïcité", dont s'est vanté Jaurès, est encore à venir. Depuis le temps qu'on expulse des moines de tout sexe et de toute robe, il n'est pas même prouvé qu'il y en ait un de disparu - et encore ! Ce n'est que dans un délai de dix ans que devront avoir été fermées toutes les écoles congréganistes, et rien n'a été fait contre les congrégations les plus dangereuses, celles qui spéculent sur la misère, la faim et la maladie ouvrières. L'anticléricalisme dont on fait parade a surtout pour but de détourner les travailleurs de leur lutte contre le capitalisme. C'est une "comédie", comme on a pu en juger tout à l'heure, lorsque, après avoir annoncé triomphalement le prochain dépôt par M. Combes d'un projet de séparation de l'Eglise et de l'Etat, Jaurès a suffisamment indiqué qu'il ne croyait pas à une majorité pour la voter. Mais en fût-il autrement, dût le Concordat être supprimé avec le budget des cultes qu'on n'aurait pas le droit de parler d'"affranchissement des consciences" et de "liberté intellectuelle" à propos d'une mesure qui a été prise depuis longtemps, depuis toujours, aux Etats-Unis, sans que pour cela le cléricalisme, catholique ou protestant, ait cessé d'empoisonner la grande république américaine. C'est que, comme le déclarait la première Internationale, la servitude économique est la source de toutes les servitudes, politiques et religieuses. L'émancipation intellectuelle ou morale ne précèdera pas, elle ne peut que suivre l'émancipation matérielle. Ce n'est que dans la société socialiste qu'il en sera fini de toute religion ou superstition, seul le paradis réalisé pour tous dans la vie pouvant et devant faire disparaître jusqu'à l'idée du paradis dans la mort. » En juillet de la même année (1904) dans un discours à Castres intitulé « L'enseignement laïque », Jean Jaurès exposait ses propres vues sur la question : http://www.marxists.org/francais/general/jaures/works/1904/07/laique.htm « Et si la démocratie fonde en dehors de tout système religieux toutes ses institutions, tout son droit politique et social, famille, patrie, propriété, souveraineté, si elle ne s'appuie que sur l'égale dignité des personnes humaines appelées aux mêmes droits et invitées à un respect réciproque, si elle se dirige sans aucune intervention dogmatique et surnaturelle, par les seules lumières de la conscience et de la science, si elle n'attend le progrès que du progrès de la conscience et de la science, c'est-à-dire d'une interprétation plus hardie du droit des personnes et d'une plus efficace domination de l'esprit sur la nature, j'ai bien le droit de dire qu'elle est foncièrement laïque, laïque dans son essence comme dans ses formes, dans son principe comme dans ses institutions, et dans sa morale comme dans son économie. » « Ceux-là vont contre cette grande œuvre, ceux-là sont impies au droit humain et au progrès humain, qui se refusent à l'éducation de laïcité. Ouvriers de cette cité, ouvriers de la France républicaine, vous ne préparerez l'avenir, vous n'affranchirez votre classe que par l'école laïque, par l'école de la République et de la raison. » Où l'on voit que, pour le coup, c'est le laïcard républicain pas très marxiste qui ne fait pas preuve de beaucoup de « haine de la religion » dans son texte, se contentant de prôner la séparation des ordres, mais sans aucune critique de fond du christianisme et de la religion. Alors que Guesde, lui, qui ironise contre la campagne anticléricale comme étant une manœuvre de diversion, affiche l'objectif de la disparition des religions et autres superstitions. L'islamo-gauchisme contemporain de Tévanian et des Indigènes de la République n'est donc ni du côté de Guesde ni de celui de Jaurès, il est ailleurs, et en général totalement étranger au marxisme. Paul Lafargue est un autre dirigeant socialiste français, notamment connu pour son ouvrage « Le droit à la paresse ». En 1909, dans Le déterminisme économique de Karl Marx. Recherches sur l'origine et l'évolution des idées de justice, du bien, de l'âme et de Dieu, il consacre de longs développements à la question de la religion, que nous allons suivre maintenant de manière détaillée : http://www.marxists.org/francais/lafargue/works/1909/00/laf_19090000i.htm Dès première phrase de cette section de l'ouvrage, il ne critique pas les libre-penseurs pour leurs excès antireligieux mais pour leurs insuffisances sur ce plan : « La libre-pensée bourgeoise, sous les auspices de deux illustres savants, Berthelot et Hœckel, a été dresser à Rome sa tribune en face du Vatican, pour tonner ses foudres oratoires contre le catholicisme qui, par son clergé hiérarchisé et ses dogmes, prétendus immuables, représente pour elle la religion. Les libres-penseurs, parce qu'ils font le procès du Catholicisme, pensent-ils être affranchis de la croyance en Dieu, la base fondamentale de toute religion ? - Croient-ils que la Bourgeoisie, la classe à laquelle ils appartiennent, peut se passer du Christianisme, dont le Catholicisme est une manifestation ? Le Christianisme, bien qu'il ait pu s'adapter à d'autres formes sociales, est, par excellence, la religion des sociétés qui reposent sur la propriété individuelle et 1'exploitation du travail salarié ; c'est pourquoi il a été, est et sera, quoi qu'on dise et qu'on fasse, la religion de la Bourgeoisie. » On peut être d'accord ou pas avec ces analyses, mais la question ici est plutôt de constater qu'elles ne témoignent d'aucune neutralité ni encore moins de sympathie à l'égard du christianisme, c'est à dire de la religion quasi unique dans l'Europe du XIXe siècle. Lafargue s'efforce de lier la bourgeoisie à la croyance en général, dans ce beau passage qui ravira les rationalistes et les athées : « Les fortes têtes de la libre-pensée ont affirmé et affirment encore, malgré l'évidence, que la science désencombrerait le cerveau humain de l'idée de Dieu, en la rendant inutile pour comprendre la mécanique de l'univers. Cependant, les hommes de science, à quelques exceptions près, sont encore sous le charme de cette croyance : si dans sa propre science, un savant, selon le mot de Laplace, n'a pas besoin de l'hypothèse de Dieu pour expliquer les phénomènes qu'il étudie, il ne s'aventure pas à déclarer qu'elle est inutile pour se rendre compte de ceux qui ne rentrent pas dans le cadre de ses recherches ; et tous les savants reconnaissent que Dieu est plus ou moins nécessaire pour le bon fonctionnement des rouages sociaux et pour la moralisation des masses populaires. Non seulement l'idée de Dieu n'est pas complètement dissipée dans la tête des hommes de science, mais la plus grossière superstition fleurit, non dans les campagnes enténébrées et chez les ignorants, mais dans les capitales de la civilisation et chez les bourgeois instruits : les uns entrent en pourparlers avec les esprits pour avoir des nouvelles d'outre-tombe, les autres s'agenouillent devant saint Antoine-de-Padoue pour retrouver un objet perdu, deviner le numéro gagnant de la loterie, passer un examen à l'École Polytechnique, etc., consultent des chiromanciennes, des somnambules, des tireuses de cartes pour connaître l'avenir, interpréter les songes, etc. Les connaissances scientifiques qu'ils possèdent, ne les protègent pas contre la plus ignare crédulité. » Il développe ensuite la thèse peut-être excessivement optimiste de Marx et Engels selon laque le prolétariat est lui particulièrement vacciné contre la croyance religieuse. On est bien loin de la dite « théologie de la Libération » : « Mais, tandis que dans toutes les couches de la Bourgeoisie le sentiment religieux reste vivace et se manifeste de mille façons, une indifférence religieuse irraisonnée, mais inébranlable, caractérise le Prolétariat industriel. » « L'indifférence en matière religieuse, le plus grave symptôme de l'irréligion, selon Lamennais, est innée dans la classe ouvrière moderne. Si les mouvements politiques de la Bourgeoisie ont revêtu une forme religieuse ou antireligieuse, on ne peut observer dans le Prolétariat de la grande industrie d'Europe et d'Amérique, aucune velléité d'élaboration d'une religion nouvelle pour remplacer le Christianisme, ni aucun désir de le réformer. Les organisations économiques et politiques de la classe ouvrière des deux mondes se désintéressent de toute discussion doctrinale sur les dogmes religieux et les idées spiritualistes, ce qui ne les empêche pas de faire la guerre aux prêtres de tous les cultes, parce qu'ils sont les domestiques de la classe capitaliste. » Lafargue ne s'arrête pas à ces constats, et cherche à expliquer les origines sociales de ces attitudes différenciées par rapport à la religion. Comment un savant bourgeois éduqué peut-il continuer à croire en Dieu, alors que le prolétaire privé d'éducation tend lui spontanément à abandonner ces fariboles ? La clé de l'explication de la crédulité bourgeoise serait à trouver dans le refus d'étendre le champ de la pensée scientifique aux phénomènes sociaux : « On était en droit d'espérer que l'extraordinaire développement et vulgarisation des connaissances scientifique et que la démonstration de l'enchaînement nécessaire des phénomènes naturels auraient établi l'idée, que l'univers, régi par la loi de nécessité, était soustrait aux caprices d'une volonté humaine ou surhumaine et que, par conséquent, Dieu devenait inutile puisqu'il était dépouilla des multiples fonctions que l'ignorance des sauvages l'avait chargé de remplir ; cependant on est obligé de reconnaître que la croyance en un Dieu, pouvant à sa guise, bouleverser l'ordre nécessaire des choses, subsiste encore chez les hommes de science et qu'il se rencontre des bourgeois instruits qui lui demandent, comme les sauvages, des pluies, des victoires, des guérisons, etc. Même si les savants étaient parvenus à créer dans les milieux bourgeois la conviction que les phénomènes du monde naturel obéissent à la loi de nécessité, de sorte que déterminés par ceux qui les précèdent, ils déterminent ceux qui les suivent, il resterait encore à démontrer que les phénomènes du monde social sont, eux aussi, soumis à la loi de nécessité. Mais les économistes, les philosophes, les moralistes, les historiens, les sociologues et les politiciens, qui étudient les sociétés humaines et qui, même, ont la prétention de les diriger, ne sont pas parvenus et ne pouvaient pas parvenir à faire naître la conviction que les phénomènes sociaux relèvent de la loi de nécessité, comme les phénomènes naturels ; et c'est parce qu'ils n'ont pu établir cette conviction que la croyance en Dieu est une nécessité pour les cerveaux bourgeois, même les plus cultivés. » D'où vient cette nécessité, selon Lafargue ? Du fonctionnement anarchique du système capitaliste, et de l'incapacité de ses profiteurs et thuriféraires à penser son fonctionnement, pour ne pas mettre en lumière leur propre caractère parasitaire. Du coup, face à ce chaos social, comparable au chaos de la nature aux yeux du « sauvage » primitif, l'idée de Dieu reste nécessaire pour expliquer les phénomènes inexplicables : « Le monde économique fourmille pour le bourgeois d'insondables mystères, que les économistes se résignent à ne pas approfondir. Le capitaliste, qui grâce à ses savants, est parvenu à domestiquer les forces naturelles, est tellement ahuri par les incompréhensibles effets des forces économiques, qu'il les déclare incontrôlables, comme l'est Dieu, et il pense que le plus sage est de supporter avec résignation les malheurs qu'elles infligent et d'accepter avec reconnaissance les bonheurs qu'elles accordent. Il dit avec Job : "l'Eternel me l'avait donné, l'Eternel me l'a ôté, que le nom de l'Eternel soit béni." Les forces économiques lui apparaissent fantasmagoriquement comme des êtres bienfaisants et malfaisants . Les terribles inconnus d'ordre social qui environnent le bourgeois et qui, sans qu'il sache pourquoi et comment, le frappent, dans son industrie, son commerce, sa fortune, son bien-être, sa vie, sont pour lui aussi troublants que l'étaient pour le sauvage les inconnus d'ordre naturel, qui ébranlaient et surchauffaient son exubérante imagination. Les anthropologistes attribuent la sorcellerie, la croyance à l'âme, aux esprits, et en Dieu de l'homme primitif, à son ignorance du monde naturel : la même explication est valable pour le civilisé, ses idées spiritualistes et sa croyance en Dieu, doivent être attribuées à son ignorance du monde social. L'incertaine continuité de sa prospérité et les inconnaissables causés de ses fortunes et infortunes, prédisposent les bourgeois à admettre, ainsi que le sauvage, l'existence d'êtres supérieurs, qui selon leurs fantaisies agissent sur les phénomènes sociaux, pour qu'ils soient favorables ou défavorables, comme le disent Théognis et les livres de l'Ancien Testament ; et c'est pour les propitier qu'il se livre aux pratiques de la plus grossière superstition, qu'il communique avec les esprits de l'autre monde, qu'il brûle des cierges devant les saintes images et qu'il prie le Dieu trinitaire des chrétiens ou le Dieu unique des philosophes. Le sauvage, vivant dans la nature, est surtout impressionné par les inconnus d'ordre naturel, qui au contraire inquiètent médiocrement le bourgeois : celui-ci ne connaît qu'une nature d'agrément, décorative, taillée, sablée, ratissée, domestiquée. Les nombreux services que la science lui a rendus pour son enrichissement, et ceux qu'il attend encore d'elle ont fait naître dans son esprit une foi aveugle dans sa puissance, il ne doute pas qu'elle finira un jour par résoudre les inconnus de la nature et même par prolonger indéfiniment sa vie, comme le promet M. Metchnikoff, le microbomaniaque : mais il n'en est pas de même pour les inconnus du monde social, les seuls qui le troublent ; il n'admet pas qu'il soit possible de les comprendre. Ce sont les inconnaissables du monde social et non ceux du monde naturel, qui insinuent dans sa tête, peu imaginative, l'idée de Dieu, qu'il n'a pas eu la peine d'inventer et qu'il a trouvée toute prête à être appropriée. Les incompréhensibles et insolubles problèmes sociaux rendent Dieu si nécessaire qu'il l'aurait inventé, s'il avait été besoin. » Toujours dans le registre d'une psychologie sociale marxiste, j'aime bien ce développement qui met en lumière l'utilité de la croyance en la vie éternelle du point de vue du bourgeois, à son propre égard ou à l'égard de l'ouvrier : « La perpétuelle et générale contradiction entre les actes et les notions de justice et de morale, que l'on croirait de nature à ébranler chez les bourgeois l'idée d'un Dieu justicier, la consolide au contraire et prépare le terrain pour celle de l'immortalité de l'âme, qui s'était évanouie chez les peuples arrivés à la période patriarcale ; cette idée est entretenue, fortifiée et constamment avivée chez le bourgeois par son habitude d'attendre une rémunération pour tout ce qu'il fait et ne fait pas . Il n'emploie des ouvriers, il ne fabrique des marchandises, il ne vend, achète, prête de l'argent, rend un service quelconque, que dans l'espoir d'être rétribué, de tirer un bénéfice. La constante attente d'un profit fait qu'il n'accomplit aucune action pour le plaisir de l'accomplir, mais pour encaisser une récompense : s'il est généreux, charitable, honnête, ou même s'il se borne à n'être pas déshonnête, la satisfaction de sa conscience ne lui suffit pas ; il lui faut une rétribution pour être satisfait et pour ne pas se croire la dupe de ses bons et naïfs sentiments ; s'il ne reçoit pas sur terre sa récompense, ce qui est généralement le cas, il compte l'obtenir au ciel. Non seulement il attend une rémunération pour ses bonnes actions, et pour son abstention des mauvaises, mais il espère une compensation pour ses infortunes, ses insuccès, ses déboires et même ses chagrins. Son Moi est tellement envahissant que pour le contenter il annexe le ciel à la terre. Les injustices dans la civilisation sont si nombreuses et si criantes, et celles dont il est la victime prennent à ses yeux des proportions si démesurées que sa jugeote ne peut admettre qu'elles ne seront pas un jour réparées et ce jour ne peut luire que dans l'autre monde : ce n'est qu'au ciel qu'il a l'assurance de recevoir la rémunération de ses infortunes. La vie après la mort devient pour lui une certitude, car son Dieu bon, juste et agrémenté de toutes les vertus bourgeoises ne peut faire autrement que de lui accorder des récompenses pour ce qu'il a fait et n'a pas fait, et des réparations pour ce qu'il a souffert : au tribunal de commerce du ciel, les comptes qui n'ont pu être réglés sur terre seront apurés. Le bourgeois n'appelle pas injustice l'accaparement des richesses créées par les salariés ; ce vol est pour lui la justice même ; et il ne peut concevoir que Dieu ou n'importe qui ait sur ce sujet une autre opinion. Néanmoins, il ne croit pas qu'on viole la justice éternelle, quand on permet aux ouvriers d'avoir le désir d'améliorer leurs conditions de vie et de travail ; mais comme il sait pertinemment que ces améliorations devront être réalisées à ses dépens, il pense qu'il est d'une sage politique de leur promettre une vie future, où ils vivront en bombance, comme des bourgeois. La promesse du bonheur posthume est pour lui la plus économique manière de donner satisfaction aux réclamations ouvrières. La vie par delà la mort, qu'il se plaît d'espérer pour contenter son Moi, se change en instrument d'exploitation. » Avec Lafargue, on est bien à des années-lumières de l'idée de Tévanian selon laquelle l'athéisme serait l'opium du peuple de gauche, et la critique de la bourgeoisie porte également sur son incapacité à se débarrasser de l'idée de Dieu. Chez Lafargue, la religion est l'opium du peuple, mais aussi la cocaïne du bourgeois: « La croyance de la Bourgeoisie en Dieu et en l'immortalité de l'âme est un des phénomènes idéologiques de son milieu social ; on ne l'en débarrassera qu'après l'avoir dépossédé de ses richesses volées aux salariés, et qu'après l'avoir transformée de classe parasitaire en classe productive. La Bourgeoisie du XVIII° siècle, qui luttait en France pour s'emparer de la dictature sociale, attaqua avec fureur le clergé catholique et le christianisme, parce qu'ils étaient les soutiens de l'aristocratie ; si dans l'ardeur de la bataille, quelques-uns de ses chefs : Diderot, La Mettrie, Helvétius, d'Holbach, poussèrent l'irréligion jusqu'à l'athéisme, d'autres, tout aussi représentatifs de son esprit, si ce n'est plus, Voltaire, Rousseau, Turgot, n'arrivèrent jamais jusqu'à la négation de Dieu . Les philosophes matérialistes et sensualistes, Cabanis, Maine de Biran, de Gérando, qui survécurent à la Révolution, rétractèrent publiquement leurs mécréantes doctrines. On ne doit pas perdre son temps à accuser ces hommes remarquables d'avoir trahi les opinions philosophiques qui, au début de leur carrière, leur avaient assuré la notoriété et des moyens d'existence ; la Bourgeoisie seule est coupable ; victorieuse, elle perdit son irréligieuse combativité et ainsi que les chiens de la Bible elle retourna à son vomi, le christianisme, qui comme la syphilis, est une maladie constitutionnelle qu'elle a dans le sang. Ces philosophes subirent l'influence de l'ambiance sociale : ils étaient bourgeois, ils évoluèrent avec leur classe. Cette ambiance sociale, à l'action de laquelle ne peuvent se soustraire les bourgeois les plus instruits et les plus émancipés intellectuellement, est responsable du déisme d'hommes de génie, comme Cuvier, Geoffroy Saint-Hilaire, Faraday, Darwin, et de l'agnosticisme et du positivisme de savants contemporains, qui n'osant pas nier Dieu s'abstiennent de s'en occuper. Mais cette abstention est une implicite reconnaissance de l'existence de Dieu, dont ils ont besoin pour comprendre le monde social qui leur semble le jouet du hasard au lieu d'être régenté par la loi de nécessité, comme le monde naturel. » A l'autre bout de la chaîne de production, le salarié est lui au contraire placé dans une position qui favorise l'irréligiosité : « La vie que mène l'ouvrier de la grande industrie le soustrait encore plus que le bourgeois aux influences du milieu naturel, qui entretiennent chez le paysan la croyance aux revenants, aux sorciers, aux maléfices et autres idées superstitieuses. Il lui arrive de n'apercevoir le soleil qu'à travers les fenêtres de l'atelier et de ne connaître de la nature que la campagne environnante de la ville où il travaille et de ne la voir qu'à de rares occasions : il ne saurait distinguer un champ de blé d'un champ d'avoine et un pied de pommes de terre d'un pied de chanvre ; il ne connaît les productions de la terre que sous la forme qu'il les consomme. Il est dans une complète ignorance des travaux des champs et des causes qui influent sur le rendement des moissons : la sécheresse, les pluies torrentielles, la grêle, les ouragans, etc., ne lui font jamais songer à leur action sur la nature et ses récoltes. Sa vie urbaine le met à l'abri des inquiétudes et des troublantes préoccupations qui assaillent l'esprit du cultivateur. La nature n'a pas de prise sur son imagination. Le travail de l'atelier mécanique met le salarié en rapport avec de terribles forces naturelles que le paysan ignore : mais au lieu d'être dominé par elles, il les contrôle. Le gigantesque outillage de fer et d'acier qui emplit l'usine, qui le fait mouvoir, comme un automate, qui parfois l'agrippe, le mutile, le broie, au lieu d'engendrer chez lui une terreur superstitieuse, comme le tonnerre chez le paysan, le laisse impassible et impavide, car il sait que les membres du monstre métallique ont été fabriqués et montés par des camarades et qu'il n'a qu'à déplacer une courroie pour le mettre en marche ou l'arrêter. La machine, malgré sa puissance et sa production miraculeuses, n'a pour lui aucun mystère. L'ouvrier des usines productrices d'électricité, qui n'a qu'à tourner une manivelle sur un cadran pour envoyer à des kilomètres la force motrice à des tramways, ou la lumière aux lampes d'une ville, n'a qu'à dire comme le Dieu de la Genèse : "Que la lumière soit", pour que la lumière soit... jamais sorcellerie plus fantastique n'a été imaginée ; cependant pour lui cette sorcellerie est chose simple et naturelle. On l'étonnerait fort si on venait lui dire qu'un Dieu quelconque pourrait, s'il le voulait, arrêter les machines et éteindre les lampes quand il leur a communiqué l'électricité ; il répondrait que ce Dieu anarchiste serait tout bonnement un engrenage dérangé ou un fil conducteur rompu et qu'il lui serait facile de chercher et de mettre à la raison ce Dieu perturbateur. La pratique de l'atelier moderne enseigne au salarié le déterminisme scientifique, sans qu'il ait besoin de passer par l'étude théorique des sciences. » La conclusion de Lafargue développe ce qui fait la différence entre l'athéisme marxiste et l'athéisme « bourgeois » des libre-penseurs : la volonté de transformer au préalable la société pour éradiquer la religion. Mais il n'y a aucun doute dans l'esprit de Lafargue, contrairement à ce qui se passe dans les esprits confus des philosophes post-modernes et autre penseurs « critiques » gramsco-chiants : l'objectif est bien, pour Lafargue comme pour Marx et Engels, de développer la méthode scientifique et de se débarrasser des croyances religieuses : « La libre et impartiale étude de la nature a fait naître et a fermement établi dans certains milieux scientifiques la conviction que tous ses phénomènes sont soumis à la loi de nécessité et que l'on doit rechercher leurs causes déterminantes dans la nature et non pas en dehors d'elle. Cette étude a de plus permis la domestication des forces naturelles à l'usage de l'homme. Mais l'emploi industriel des forces naturelles a transformé les moyens de production en organismes économiques. si gigantesques qu'ils échappent au contrôle des capitalistes qui les monopolisent, ce que démontrent les crises périodiques de l'industrie et du commerce. Ces organismes de production, quoique de création humaine, bouleversent le milieu social, lorsque les crises éclatent, aussi aveuglément que les forces naturelles troublent la nature lorsqu'elles se déchaînent. Les moyens de production modernes ne peuvent plus être contrôlés que par la société ; et pour que ce contrôle puisse s'établir, ils doivent au préalable devenir propriété sociale : alors seulement ils cesseront d'engendrer les inégalités sociales, de donner les richesses aux parasites et d'infliger les misères aux producteurs salariés et de créer les perturbations mondiales que le capitaliste et ses économistes ne savent attribuer qu'au hasard et à des causes inconnues. Lorsqu'ils seront possédés et contrôlés par la société, il n'y aura plus d'Inconnaissable d'ordre social ; alors, et alors seulement, sera définitivement éliminée de la tête humaine la croyance en Dieu. » Prochain épisode : L'attitude de Lénine et Trotsky face à la religion. Yann Kindo
27 juillet 2013 | Par Yann Kindo
Ce billet est le deuxième d'une série qui vise à explorer, en voyageant dans les textes, l'attitude des fondateurs du marxisme face à la religion. Cette série est une réponse directe aux falsifications grotesques de Pierre Tévanian, qui essaie d'expliquer que l'athéisme serait devenu « l'opium du peuple de gauche », et que la critique contemporaine de la religion serait une rupture avec les classiques du marxisme. Dans le premier billet, j'avais montré quelles étaient les analyses de Marx et d'Engels sur le sujet, et en quoi les déformations intéressées de Tévanian relèvent en fait du contresens : http://blogs.mediapart.fr/blog/yann-kindo/010413/la-haine-marxiste-de-la-religion-episode-i-marx-et-engels Je signale que, depuis la parution de ce billet, un autre bloggeur de Médiapart, Germinal Pinalie, a publié un billet très érudit qui montre comment Tévanian triture les différentes traductions disponibles des textes marxistes pour essayer de les faire coller le plus possible avec ce qu'il a envie de montrer : http://blogs.mediapart.fr/blog/germinal-pinalie/100613/les-mots-de-marx-sont-importants-sur-la-haine-de-la-religion-de-pierre-tevanian Dans ce deuxième billet, on poursuit le voyage dans les textes classiques, en s'intéressant à la « deuxième génération » des fondateurs du marxisme, ceux qui œuvrent au tournant du siècle pour diffuser et approfondir les théories marxistes. La génération « Deuxième internationale », en quelque sorte. Je m'appuie toujours sur ce que propose le site marxists.org, qui souffre de quelques fautes de frappes ponctuelles mais qui est d'une très grande richesse et très pratique pour se livrer à ce genre d'explorations : http://www.marxists.org/francais/index.htm Plus encore que dans le dernier billet, je me contenterai de largement laisser parler les textes eux-mêmes, parce qu'ils sont très explicites et qu'il n'y a pas grand chose à rajouter, mais aussi parce que j'ai surtout envie de les faire connaître, et peut-être donner envie de les lire, plutôt que de les commenter pour le plaisir de commenter. L'ordre alphabétique des choix opérés appelle en premier lieu un classique relativement connu [si tant est que les textes marxistes aient jamais été « connus », au sens de « largement diffusés dans la population »] : « La femme et le socialisme », publié par le dirigeant du SPD allemand Auguste Bebel en 1891 : http://www.marxists.org/francais/bebel/bebel_fs5.htm Le livre de Tévénian ayant en fait pour origine pratique les débats autour du voile islamique, il n'est pas inintéressant de commencer par un texte abordant la question religieuse sous l'angle de l'oppression des femmes : « Il serait facile de produire encore des centaines de citations empruntées aux plus considérables des hommes que l'on appelle des lumières de l’Église. Tous ont enseigné dans le même sens ; tous, par leurs prédications constantes, ont contribué à répandre ces idées monstrueuses sur les choses sexuelles et les relations de l'homme et de la femme, relations qui sont pourtant une loi de la nature dont l'application est un des devoirs les plus essentiels des fins humaines. La société actuelle souffre encore cruellement de ces doctrines et elle ne s'en guérit qu'avec lenteur. Pierre dit aux femmes avec insistance : « femmes, soyez dociles à vos maris. » Paul écrit aux Éphésiens : « l'homme est le maître de la femme comme le Christ est le chef de l’Église » ; aux Corinthiens : « l'homme est l'image et la gloire de Dieu, et la femme est la gloire de l'homme. » D'après tout cela, le premier niais venu peut se croire au-dessus de la femme la plus distinguée, et, dans la pratique, il en est ainsi, même à présent. » Bebel poursuit plus loin en répondant aux apôtres du caractère progressiste du christianisme, au moins comme facteur de civilisation : « Ce qui a progressivement amélioré le sort de la femme dans ce qu'on est convenu d'appeler le monde chrétien, ce n'est pas le christianisme, mais bien les progrès que la civilisation a faits en Occident malgré lui. Ce n'est donc pas la faute du christianisme si la situation de la femme est aujourd'hui supérieure à ce qu'elle était lorsqu'il naquit. Ce n'est qu'à contre-cœur et la main forcée qu'il a renoncé à sa véritable façon d'agir à l'endroit de la femme. Les fanatiques de la « mission libératrice du christianisme » sont d'un avis opposé sur ce point comme sur beaucoup d'autres. Ils affirment audacieusement que le christianisme a délivré la femme de sa basse condition primitive ; ils s'appuient surtout pour cela sur le culte de Marie, mère de Dieu, qui surgit postérieurement dans la religion nouvelle et qui devait être considéré par le sexe féminin comme un hommage à lui rendu. L’Église catholique, qui observe aujourd'hui encore ce culte, devrait hautement protester contre cette assertion. Les Saints et les Pères de l’Église - et nous pourrions facilement en citer bien d'autres, parmi lesquels les premiers et les plus illustres - se prononcent tous, sans exception, contre la femme. Le concile de Mâcon, que nous avons déjà cité, et qui, au VIème siècle, discuta sur la question de savoir si la femme avait une âme ou non, fournit un argument probant contre cette version de la bienveillance des doctrines du catholicisme pour la femme. L'introduction du célibat des prêtres par Grégoire VII , la furie des réformateurs, de Calvin en particulier, contre les « plaisirs de la chair », et avant tout la Bible elle-même dans ses monstrueuses sentences d'hostilité contre la femme et le genre humain, nous démontrent le contraire. » On retrouve des années plus tard le même son de cloche féministe irréductiblement hostile au christianisme du côté de la dirigeante bolchévique Alexandra Kollontaï, qui dans sa « IVe Conférence à l'université Sverdlov sur la libération des femmes » (1921), dresse un portait unilatéralement négatif de la religion chrétienne : http://www.marxists.org/francais/kollontai/works/1921/0a/kollontai_conf_04.htm « Toutes les religions marquées par le patriarcat se sont rendues coupables de discriminations envers les femmes, essentiellement pour avoir érigé en loi divine l'infériorité de la femme par rapport à l'homme. Le christianisme, au départ religion des esclaves, mais dont les riches et les puissants ont su rapidement tirer parti, a de ce point de vue particulièrement frappé les femmes. Le christianisme doit sa formidable expansion au Moyen Age à son empressement à légaliser la propriété privée, l'abîme creusé entre les classes et la violence envers les pauvres. Le christianisme élevait la pauvreté, la douceur et la patience au rang de vertus que les serfs sans droits avaient le devoir de pratiquer et pour lesquelles un jour, dans l'au-delà, ils seraient largement récompensés. L'effet soporifique de la religion sur la pensée et la volonté empêchait tout réveil : « Crois sans douter !» La classe des grands propriétaires terriens avait besoin d'être appuyée par Dieu lui-même pour assurer sa suprématie. Se « mortifier » était extrêmement désagréable. Les chevaliers, les propriétaires terriens ou même les représentants fanatiques de l'Eglise respectaient-ils ces saintes règles de vie ? Non, d'aucune manière ! Ils menaient une vie de débauche écœurante et abandonnèrent aux moines et aux ermites le soin de « mortifier leur corps ». Ils versaient des dons aux couvents pour le rachat de leurs péchés. Le christianisme était donc, et à tous égards, une religion très commode pour les puissants, puisqu'elle confirmait les classes non possédantes et dominées et en particulier les femmes appartenant à ces classes dans leur oppression et les terrorisait. L'appel au Tout-Puissant légalisa le droit du plus fort au sein de la famille et l'assujettissement de la femme à la tyrannie de l'homme. Ce qui eut naturellement des conséquences catastrophiques sur le futur destin de la femme. Le christianisme reprochait à la femme d'inciter l'homme à l'amour charnel. Les pères de l'Eglise du Moyen Age remplirent d'énormes grimoires pour tenter de prouver la nature pécheresse de la femme. Ils rendirent les femmes responsables de leur propre concupiscence. Et le peuple, simple et inculte, qui n'avait pas appris à penser par lui-même, croyait aveuglément les enseignements de l'Eglise. » « Le christianisme soutenait la paresse de l'esprit et le conservatisme, reculait devant toute innovation et considérait naturellement toute forme de travail intellectuel comme néfaste. Les sciences, par exemple, étaient persécutées parce que l'Eglise soupçonnait les savants capables de découvrir le charlatanisme religieux et de dessiller les yeux des croyants. Tous ceux qui exerçaient une influence spirituelle sur leur entourage sans porter soutane étaient énergiquement poursuivis par l'Eglise. » Toujours en Russie, quelques années plus tôt, dans une lettre de 1907 intitulée « Réponse à une enquête faite par le Mercure de France sur l'avenir de la religion », Plekhanov, qui était le fondateur du marxisme en Russie et à cette époque une influence majeure de Lénine, discute la question de l'avenir de la religion, et rassure ceux qui voient dans l'effacement de celle-ci une menace pour la morale. Il présente les religions, en tant que croyances et pas seulement en tant qu'Eglises constituées, comme des survivances archaïques appelées à disparaître au fur et à mesure du progrès scientifique et du progrès social, qui allaient de paire dans l'esprit des fondateurs du marxisme : « L'alliance qui semblait indissoluble entre la religion et la morale est condamnée à disparaître de par le progrès de l'esprit humain. L'explication scientifique des phénomènes est forcément matérialiste. L'intervention des êtres spirituels, qui, aux yeux du sauvage, explique tous les phénomènes, n'explique rien aux yeux d'un Berthelot ; sa valeur diminue de plus en plus pour l'homme civilisé qui peut s'assimiler les résultats du travail scientifique. Si nombre de gens croient à l'existence d'êtres spirituels et surnaturels, c'est que — pour diverses raisons — ils n'ont pu surmonter les obstacles qui les empêchent de se placer au point de vue scientifique. Une fois ces obstacles écartés — et il faut croire que ce sera l'oeuvre de l'évolution sociale — toute conception surnaturelle s'évanouira, et alors la morale sera forcée de reprendre son existence indépendante. La religion, dans le sens de sa définition maximum, aura vécu. — Quant au sentiment religieux, il disparaîtra évidemment avec la dissolution de l'idée religieuse. Mais il y a plus de conservatisme dans les sentiments que dans les idées. Il peut y avoir et il y aura certainement des survivances qui engendreront des conceptions plus ou moins bâtardes, mi-spiritualistes, mi-matérialistes, du monde. Mais à leur tour ces survivances sont condamnées à disparaître, surtout quand disparaîtront certaines institutions sociales que la religion paraît sanctionner. Le progrès de l'humanité apporte avec lui l'arrêt de mort de l'idée et du sentiment religieux. Les gens timides ou intéressés ont peur pour la morale. Mais, je le répète, la morale peut mener une existence indépendante. La croyance en des êtres spirituels, même à l'heure qu'il est, est loin de renforcer la morale. Bien au contraire, les religions des peuples civilisés actuels sont, pour la plupart, en arrière du développement moral de ces peuples. » Allons voir maintenant du côté des dirigeants socialistes français, avec les deux figures qui sont généralement opposées, celle de l' « orthodoxe » Jules Guesde et celle du socialiste républicain Jean Jaurès. Il n'est pas question ici de commenter leurs positions politiques en général, que ce soit sur la participation gouvernementale ou sur le patriotisme [un mal dont il étaient tous les deux affectés, ce qui en fait des marxistes d'un genre particulier]. Il s'agit uniquement de constater leur divergence sur la manière d'aborder la question de la religion, dans le contexte particulier de la campagne laïque qui s'est développée sous la IIIe République, jusqu'à institutionnaliser la notion. Voici ce que dit Jules Guesde, dans un « Discours au Congrès d'Amsterdam » (1904), qui est précisément une intervention dans le cadre d'une polémique avec Jaurès lors d'un Congrès Socialiste international : http://www.marxists.org/francais/guesde/works/1904/08/guesde_19040813.htm « "La victoire de la laïcité", dont s'est vanté Jaurès, est encore à venir. Depuis le temps qu'on expulse des moines de tout sexe et de toute robe, il n'est pas même prouvé qu'il y en ait un de disparu - et encore ! Ce n'est que dans un délai de dix ans que devront avoir été fermées toutes les écoles congréganistes, et rien n'a été fait contre les congrégations les plus dangereuses, celles qui spéculent sur la misère, la faim et la maladie ouvrières. L'anticléricalisme dont on fait parade a surtout pour but de détourner les travailleurs de leur lutte contre le capitalisme. C'est une "comédie", comme on a pu en juger tout à l'heure, lorsque, après avoir annoncé triomphalement le prochain dépôt par M. Combes d'un projet de séparation de l'Eglise et de l'Etat, Jaurès a suffisamment indiqué qu'il ne croyait pas à une majorité pour la voter. Mais en fût-il autrement, dût le Concordat être supprimé avec le budget des cultes qu'on n'aurait pas le droit de parler d'"affranchissement des consciences" et de "liberté intellectuelle" à propos d'une mesure qui a été prise depuis longtemps, depuis toujours, aux Etats-Unis, sans que pour cela le cléricalisme, catholique ou protestant, ait cessé d'empoisonner la grande république américaine. C'est que, comme le déclarait la première Internationale, la servitude économique est la source de toutes les servitudes, politiques et religieuses. L'émancipation intellectuelle ou morale ne précèdera pas, elle ne peut que suivre l'émancipation matérielle. Ce n'est que dans la société socialiste qu'il en sera fini de toute religion ou superstition, seul le paradis réalisé pour tous dans la vie pouvant et devant faire disparaître jusqu'à l'idée du paradis dans la mort. » En juillet de la même année (1904) dans un discours à Castres intitulé « L'enseignement laïque », Jean Jaurès exposait ses propres vues sur la question : http://www.marxists.org/francais/general/jaures/works/1904/07/laique.htm « Et si la démocratie fonde en dehors de tout système religieux toutes ses institutions, tout son droit politique et social, famille, patrie, propriété, souveraineté, si elle ne s'appuie que sur l'égale dignité des personnes humaines appelées aux mêmes droits et invitées à un respect réciproque, si elle se dirige sans aucune intervention dogmatique et surnaturelle, par les seules lumières de la conscience et de la science, si elle n'attend le progrès que du progrès de la conscience et de la science, c'est-à-dire d'une interprétation plus hardie du droit des personnes et d'une plus efficace domination de l'esprit sur la nature, j'ai bien le droit de dire qu'elle est foncièrement laïque, laïque dans son essence comme dans ses formes, dans son principe comme dans ses institutions, et dans sa morale comme dans son économie. » « Ceux-là vont contre cette grande œuvre, ceux-là sont impies au droit humain et au progrès humain, qui se refusent à l'éducation de laïcité. Ouvriers de cette cité, ouvriers de la France républicaine, vous ne préparerez l'avenir, vous n'affranchirez votre classe que par l'école laïque, par l'école de la République et de la raison. » Où l'on voit que, pour le coup, c'est le laïcard républicain pas très marxiste qui ne fait pas preuve de beaucoup de « haine de la religion » dans son texte, se contentant de prôner la séparation des ordres, mais sans aucune critique de fond du christianisme et de la religion. Alors que Guesde, lui, qui ironise contre la campagne anticléricale comme étant une manœuvre de diversion, affiche l'objectif de la disparition des religions et autres superstitions. L'islamo-gauchisme contemporain de Tévanian et des Indigènes de la République n'est donc ni du côté de Guesde ni de celui de Jaurès, il est ailleurs, et en général totalement étranger au marxisme. Paul Lafargue est un autre dirigeant socialiste français, notamment connu pour son ouvrage « Le droit à la paresse ». En 1909, dans Le déterminisme économique de Karl Marx. Recherches sur l'origine et l'évolution des idées de justice, du bien, de l'âme et de Dieu, il consacre de longs développements à la question de la religion, que nous allons suivre maintenant de manière détaillée : http://www.marxists.org/francais/lafargue/works/1909/00/laf_19090000i.htm Dès première phrase de cette section de l'ouvrage, il ne critique pas les libre-penseurs pour leurs excès antireligieux mais pour leurs insuffisances sur ce plan : « La libre-pensée bourgeoise, sous les auspices de deux illustres savants, Berthelot et Hœckel, a été dresser à Rome sa tribune en face du Vatican, pour tonner ses foudres oratoires contre le catholicisme qui, par son clergé hiérarchisé et ses dogmes, prétendus immuables, représente pour elle la religion. Les libres-penseurs, parce qu'ils font le procès du Catholicisme, pensent-ils être affranchis de la croyance en Dieu, la base fondamentale de toute religion ? - Croient-ils que la Bourgeoisie, la classe à laquelle ils appartiennent, peut se passer du Christianisme, dont le Catholicisme est une manifestation ? Le Christianisme, bien qu'il ait pu s'adapter à d'autres formes sociales, est, par excellence, la religion des sociétés qui reposent sur la propriété individuelle et 1'exploitation du travail salarié ; c'est pourquoi il a été, est et sera, quoi qu'on dise et qu'on fasse, la religion de la Bourgeoisie. » On peut être d'accord ou pas avec ces analyses, mais la question ici est plutôt de constater qu'elles ne témoignent d'aucune neutralité ni encore moins de sympathie à l'égard du christianisme, c'est à dire de la religion quasi unique dans l'Europe du XIXe siècle. Lafargue s'efforce de lier la bourgeoisie à la croyance en général, dans ce beau passage qui ravira les rationalistes et les athées : « Les fortes têtes de la libre-pensée ont affirmé et affirment encore, malgré l'évidence, que la science désencombrerait le cerveau humain de l'idée de Dieu, en la rendant inutile pour comprendre la mécanique de l'univers. Cependant, les hommes de science, à quelques exceptions près, sont encore sous le charme de cette croyance : si dans sa propre science, un savant, selon le mot de Laplace, n'a pas besoin de l'hypothèse de Dieu pour expliquer les phénomènes qu'il étudie, il ne s'aventure pas à déclarer qu'elle est inutile pour se rendre compte de ceux qui ne rentrent pas dans le cadre de ses recherches ; et tous les savants reconnaissent que Dieu est plus ou moins nécessaire pour le bon fonctionnement des rouages sociaux et pour la moralisation des masses populaires. Non seulement l'idée de Dieu n'est pas complètement dissipée dans la tête des hommes de science, mais la plus grossière superstition fleurit, non dans les campagnes enténébrées et chez les ignorants, mais dans les capitales de la civilisation et chez les bourgeois instruits : les uns entrent en pourparlers avec les esprits pour avoir des nouvelles d'outre-tombe, les autres s'agenouillent devant saint Antoine-de-Padoue pour retrouver un objet perdu, deviner le numéro gagnant de la loterie, passer un examen à l'École Polytechnique, etc., consultent des chiromanciennes, des somnambules, des tireuses de cartes pour connaître l'avenir, interpréter les songes, etc. Les connaissances scientifiques qu'ils possèdent, ne les protègent pas contre la plus ignare crédulité. » Il développe ensuite la thèse peut-être excessivement optimiste de Marx et Engels selon laque le prolétariat est lui particulièrement vacciné contre la croyance religieuse. On est bien loin de la dite « théologie de la Libération » : « Mais, tandis que dans toutes les couches de la Bourgeoisie le sentiment religieux reste vivace et se manifeste de mille façons, une indifférence religieuse irraisonnée, mais inébranlable, caractérise le Prolétariat industriel. » « L'indifférence en matière religieuse, le plus grave symptôme de l'irréligion, selon Lamennais, est innée dans la classe ouvrière moderne. Si les mouvements politiques de la Bourgeoisie ont revêtu une forme religieuse ou antireligieuse, on ne peut observer dans le Prolétariat de la grande industrie d'Europe et d'Amérique, aucune velléité d'élaboration d'une religion nouvelle pour remplacer le Christianisme, ni aucun désir de le réformer. Les organisations économiques et politiques de la classe ouvrière des deux mondes se désintéressent de toute discussion doctrinale sur les dogmes religieux et les idées spiritualistes, ce qui ne les empêche pas de faire la guerre aux prêtres de tous les cultes, parce qu'ils sont les domestiques de la classe capitaliste. » Lafargue ne s'arrête pas à ces constats, et cherche à expliquer les origines sociales de ces attitudes différenciées par rapport à la religion. Comment un savant bourgeois éduqué peut-il continuer à croire en Dieu, alors que le prolétaire privé d'éducation tend lui spontanément à abandonner ces fariboles ? La clé de l'explication de la crédulité bourgeoise serait à trouver dans le refus d'étendre le champ de la pensée scientifique aux phénomènes sociaux : « On était en droit d'espérer que l'extraordinaire développement et vulgarisation des connaissances scientifique et que la démonstration de l'enchaînement nécessaire des phénomènes naturels auraient établi l'idée, que l'univers, régi par la loi de nécessité, était soustrait aux caprices d'une volonté humaine ou surhumaine et que, par conséquent, Dieu devenait inutile puisqu'il était dépouilla des multiples fonctions que l'ignorance des sauvages l'avait chargé de remplir ; cependant on est obligé de reconnaître que la croyance en un Dieu, pouvant à sa guise, bouleverser l'ordre nécessaire des choses, subsiste encore chez les hommes de science et qu'il se rencontre des bourgeois instruits qui lui demandent, comme les sauvages, des pluies, des victoires, des guérisons, etc. Même si les savants étaient parvenus à créer dans les milieux bourgeois la conviction que les phénomènes du monde naturel obéissent à la loi de nécessité, de sorte que déterminés par ceux qui les précèdent, ils déterminent ceux qui les suivent, il resterait encore à démontrer que les phénomènes du monde social sont, eux aussi, soumis à la loi de nécessité. Mais les économistes, les philosophes, les moralistes, les historiens, les sociologues et les politiciens, qui étudient les sociétés humaines et qui, même, ont la prétention de les diriger, ne sont pas parvenus et ne pouvaient pas parvenir à faire naître la conviction que les phénomènes sociaux relèvent de la loi de nécessité, comme les phénomènes naturels ; et c'est parce qu'ils n'ont pu établir cette conviction que la croyance en Dieu est une nécessité pour les cerveaux bourgeois, même les plus cultivés. » D'où vient cette nécessité, selon Lafargue ? Du fonctionnement anarchique du système capitaliste, et de l'incapacité de ses profiteurs et thuriféraires à penser son fonctionnement, pour ne pas mettre en lumière leur propre caractère parasitaire. Du coup, face à ce chaos social, comparable au chaos de la nature aux yeux du « sauvage » primitif, l'idée de Dieu reste nécessaire pour expliquer les phénomènes inexplicables : « Le monde économique fourmille pour le bourgeois d'insondables mystères, que les économistes se résignent à ne pas approfondir. Le capitaliste, qui grâce à ses savants, est parvenu à domestiquer les forces naturelles, est tellement ahuri par les incompréhensibles effets des forces économiques, qu'il les déclare incontrôlables, comme l'est Dieu, et il pense que le plus sage est de supporter avec résignation les malheurs qu'elles infligent et d'accepter avec reconnaissance les bonheurs qu'elles accordent. Il dit avec Job : "l'Eternel me l'avait donné, l'Eternel me l'a ôté, que le nom de l'Eternel soit béni." Les forces économiques lui apparaissent fantasmagoriquement comme des êtres bienfaisants et malfaisants . Les terribles inconnus d'ordre social qui environnent le bourgeois et qui, sans qu'il sache pourquoi et comment, le frappent, dans son industrie, son commerce, sa fortune, son bien-être, sa vie, sont pour lui aussi troublants que l'étaient pour le sauvage les inconnus d'ordre naturel, qui ébranlaient et surchauffaient son exubérante imagination. Les anthropologistes attribuent la sorcellerie, la croyance à l'âme, aux esprits, et en Dieu de l'homme primitif, à son ignorance du monde naturel : la même explication est valable pour le civilisé, ses idées spiritualistes et sa croyance en Dieu, doivent être attribuées à son ignorance du monde social. L'incertaine continuité de sa prospérité et les inconnaissables causés de ses fortunes et infortunes, prédisposent les bourgeois à admettre, ainsi que le sauvage, l'existence d'êtres supérieurs, qui selon leurs fantaisies agissent sur les phénomènes sociaux, pour qu'ils soient favorables ou défavorables, comme le disent Théognis et les livres de l'Ancien Testament ; et c'est pour les propitier qu'il se livre aux pratiques de la plus grossière superstition, qu'il communique avec les esprits de l'autre monde, qu'il brûle des cierges devant les saintes images et qu'il prie le Dieu trinitaire des chrétiens ou le Dieu unique des philosophes. Le sauvage, vivant dans la nature, est surtout impressionné par les inconnus d'ordre naturel, qui au contraire inquiètent médiocrement le bourgeois : celui-ci ne connaît qu'une nature d'agrément, décorative, taillée, sablée, ratissée, domestiquée. Les nombreux services que la science lui a rendus pour son enrichissement, et ceux qu'il attend encore d'elle ont fait naître dans son esprit une foi aveugle dans sa puissance, il ne doute pas qu'elle finira un jour par résoudre les inconnus de la nature et même par prolonger indéfiniment sa vie, comme le promet M. Metchnikoff, le microbomaniaque : mais il n'en est pas de même pour les inconnus du monde social, les seuls qui le troublent ; il n'admet pas qu'il soit possible de les comprendre. Ce sont les inconnaissables du monde social et non ceux du monde naturel, qui insinuent dans sa tête, peu imaginative, l'idée de Dieu, qu'il n'a pas eu la peine d'inventer et qu'il a trouvée toute prête à être appropriée. Les incompréhensibles et insolubles problèmes sociaux rendent Dieu si nécessaire qu'il l'aurait inventé, s'il avait été besoin. » Toujours dans le registre d'une psychologie sociale marxiste, j'aime bien ce développement qui met en lumière l'utilité de la croyance en la vie éternelle du point de vue du bourgeois, à son propre égard ou à l'égard de l'ouvrier : « La perpétuelle et générale contradiction entre les actes et les notions de justice et de morale, que l'on croirait de nature à ébranler chez les bourgeois l'idée d'un Dieu justicier, la consolide au contraire et prépare le terrain pour celle de l'immortalité de l'âme, qui s'était évanouie chez les peuples arrivés à la période patriarcale ; cette idée est entretenue, fortifiée et constamment avivée chez le bourgeois par son habitude d'attendre une rémunération pour tout ce qu'il fait et ne fait pas . Il n'emploie des ouvriers, il ne fabrique des marchandises, il ne vend, achète, prête de l'argent, rend un service quelconque, que dans l'espoir d'être rétribué, de tirer un bénéfice. La constante attente d'un profit fait qu'il n'accomplit aucune action pour le plaisir de l'accomplir, mais pour encaisser une récompense : s'il est généreux, charitable, honnête, ou même s'il se borne à n'être pas déshonnête, la satisfaction de sa conscience ne lui suffit pas ; il lui faut une rétribution pour être satisfait et pour ne pas se croire la dupe de ses bons et naïfs sentiments ; s'il ne reçoit pas sur terre sa récompense, ce qui est généralement le cas, il compte l'obtenir au ciel. Non seulement il attend une rémunération pour ses bonnes actions, et pour son abstention des mauvaises, mais il espère une compensation pour ses infortunes, ses insuccès, ses déboires et même ses chagrins. Son Moi est tellement envahissant que pour le contenter il annexe le ciel à la terre. Les injustices dans la civilisation sont si nombreuses et si criantes, et celles dont il est la victime prennent à ses yeux des proportions si démesurées que sa jugeote ne peut admettre qu'elles ne seront pas un jour réparées et ce jour ne peut luire que dans l'autre monde : ce n'est qu'au ciel qu'il a l'assurance de recevoir la rémunération de ses infortunes. La vie après la mort devient pour lui une certitude, car son Dieu bon, juste et agrémenté de toutes les vertus bourgeoises ne peut faire autrement que de lui accorder des récompenses pour ce qu'il a fait et n'a pas fait, et des réparations pour ce qu'il a souffert : au tribunal de commerce du ciel, les comptes qui n'ont pu être réglés sur terre seront apurés. Le bourgeois n'appelle pas injustice l'accaparement des richesses créées par les salariés ; ce vol est pour lui la justice même ; et il ne peut concevoir que Dieu ou n'importe qui ait sur ce sujet une autre opinion. Néanmoins, il ne croit pas qu'on viole la justice éternelle, quand on permet aux ouvriers d'avoir le désir d'améliorer leurs conditions de vie et de travail ; mais comme il sait pertinemment que ces améliorations devront être réalisées à ses dépens, il pense qu'il est d'une sage politique de leur promettre une vie future, où ils vivront en bombance, comme des bourgeois. La promesse du bonheur posthume est pour lui la plus économique manière de donner satisfaction aux réclamations ouvrières. La vie par delà la mort, qu'il se plaît d'espérer pour contenter son Moi, se change en instrument d'exploitation. » Avec Lafargue, on est bien à des années-lumières de l'idée de Tévanian selon laquelle l'athéisme serait l'opium du peuple de gauche, et la critique de la bourgeoisie porte également sur son incapacité à se débarrasser de l'idée de Dieu. Chez Lafargue, la religion est l'opium du peuple, mais aussi la cocaïne du bourgeois: « La croyance de la Bourgeoisie en Dieu et en l'immortalité de l'âme est un des phénomènes idéologiques de son milieu social ; on ne l'en débarrassera qu'après l'avoir dépossédé de ses richesses volées aux salariés, et qu'après l'avoir transformée de classe parasitaire en classe productive. La Bourgeoisie du XVIII° siècle, qui luttait en France pour s'emparer de la dictature sociale, attaqua avec fureur le clergé catholique et le christianisme, parce qu'ils étaient les soutiens de l'aristocratie ; si dans l'ardeur de la bataille, quelques-uns de ses chefs : Diderot, La Mettrie, Helvétius, d'Holbach, poussèrent l'irréligion jusqu'à l'athéisme, d'autres, tout aussi représentatifs de son esprit, si ce n'est plus, Voltaire, Rousseau, Turgot, n'arrivèrent jamais jusqu'à la négation de Dieu . Les philosophes matérialistes et sensualistes, Cabanis, Maine de Biran, de Gérando, qui survécurent à la Révolution, rétractèrent publiquement leurs mécréantes doctrines. On ne doit pas perdre son temps à accuser ces hommes remarquables d'avoir trahi les opinions philosophiques qui, au début de leur carrière, leur avaient assuré la notoriété et des moyens d'existence ; la Bourgeoisie seule est coupable ; victorieuse, elle perdit son irréligieuse combativité et ainsi que les chiens de la Bible elle retourna à son vomi, le christianisme, qui comme la syphilis, est une maladie constitutionnelle qu'elle a dans le sang. Ces philosophes subirent l'influence de l'ambiance sociale : ils étaient bourgeois, ils évoluèrent avec leur classe. Cette ambiance sociale, à l'action de laquelle ne peuvent se soustraire les bourgeois les plus instruits et les plus émancipés intellectuellement, est responsable du déisme d'hommes de génie, comme Cuvier, Geoffroy Saint-Hilaire, Faraday, Darwin, et de l'agnosticisme et du positivisme de savants contemporains, qui n'osant pas nier Dieu s'abstiennent de s'en occuper. Mais cette abstention est une implicite reconnaissance de l'existence de Dieu, dont ils ont besoin pour comprendre le monde social qui leur semble le jouet du hasard au lieu d'être régenté par la loi de nécessité, comme le monde naturel. » A l'autre bout de la chaîne de production, le salarié est lui au contraire placé dans une position qui favorise l'irréligiosité : « La vie que mène l'ouvrier de la grande industrie le soustrait encore plus que le bourgeois aux influences du milieu naturel, qui entretiennent chez le paysan la croyance aux revenants, aux sorciers, aux maléfices et autres idées superstitieuses. Il lui arrive de n'apercevoir le soleil qu'à travers les fenêtres de l'atelier et de ne connaître de la nature que la campagne environnante de la ville où il travaille et de ne la voir qu'à de rares occasions : il ne saurait distinguer un champ de blé d'un champ d'avoine et un pied de pommes de terre d'un pied de chanvre ; il ne connaît les productions de la terre que sous la forme qu'il les consomme. Il est dans une complète ignorance des travaux des champs et des causes qui influent sur le rendement des moissons : la sécheresse, les pluies torrentielles, la grêle, les ouragans, etc., ne lui font jamais songer à leur action sur la nature et ses récoltes. Sa vie urbaine le met à l'abri des inquiétudes et des troublantes préoccupations qui assaillent l'esprit du cultivateur. La nature n'a pas de prise sur son imagination. Le travail de l'atelier mécanique met le salarié en rapport avec de terribles forces naturelles que le paysan ignore : mais au lieu d'être dominé par elles, il les contrôle. Le gigantesque outillage de fer et d'acier qui emplit l'usine, qui le fait mouvoir, comme un automate, qui parfois l'agrippe, le mutile, le broie, au lieu d'engendrer chez lui une terreur superstitieuse, comme le tonnerre chez le paysan, le laisse impassible et impavide, car il sait que les membres du monstre métallique ont été fabriqués et montés par des camarades et qu'il n'a qu'à déplacer une courroie pour le mettre en marche ou l'arrêter. La machine, malgré sa puissance et sa production miraculeuses, n'a pour lui aucun mystère. L'ouvrier des usines productrices d'électricité, qui n'a qu'à tourner une manivelle sur un cadran pour envoyer à des kilomètres la force motrice à des tramways, ou la lumière aux lampes d'une ville, n'a qu'à dire comme le Dieu de la Genèse : "Que la lumière soit", pour que la lumière soit... jamais sorcellerie plus fantastique n'a été imaginée ; cependant pour lui cette sorcellerie est chose simple et naturelle. On l'étonnerait fort si on venait lui dire qu'un Dieu quelconque pourrait, s'il le voulait, arrêter les machines et éteindre les lampes quand il leur a communiqué l'électricité ; il répondrait que ce Dieu anarchiste serait tout bonnement un engrenage dérangé ou un fil conducteur rompu et qu'il lui serait facile de chercher et de mettre à la raison ce Dieu perturbateur. La pratique de l'atelier moderne enseigne au salarié le déterminisme scientifique, sans qu'il ait besoin de passer par l'étude théorique des sciences. » La conclusion de Lafargue développe ce qui fait la différence entre l'athéisme marxiste et l'athéisme « bourgeois » des libre-penseurs : la volonté de transformer au préalable la société pour éradiquer la religion. Mais il n'y a aucun doute dans l'esprit de Lafargue, contrairement à ce qui se passe dans les esprits confus des philosophes post-modernes et autre penseurs « critiques » gramsco-chiants : l'objectif est bien, pour Lafargue comme pour Marx et Engels, de développer la méthode scientifique et de se débarrasser des croyances religieuses : « La libre et impartiale étude de la nature a fait naître et a fermement établi dans certains milieux scientifiques la conviction que tous ses phénomènes sont soumis à la loi de nécessité et que l'on doit rechercher leurs causes déterminantes dans la nature et non pas en dehors d'elle. Cette étude a de plus permis la domestication des forces naturelles à l'usage de l'homme. Mais l'emploi industriel des forces naturelles a transformé les moyens de production en organismes économiques. si gigantesques qu'ils échappent au contrôle des capitalistes qui les monopolisent, ce que démontrent les crises périodiques de l'industrie et du commerce. Ces organismes de production, quoique de création humaine, bouleversent le milieu social, lorsque les crises éclatent, aussi aveuglément que les forces naturelles troublent la nature lorsqu'elles se déchaînent. Les moyens de production modernes ne peuvent plus être contrôlés que par la société ; et pour que ce contrôle puisse s'établir, ils doivent au préalable devenir propriété sociale : alors seulement ils cesseront d'engendrer les inégalités sociales, de donner les richesses aux parasites et d'infliger les misères aux producteurs salariés et de créer les perturbations mondiales que le capitaliste et ses économistes ne savent attribuer qu'au hasard et à des causes inconnues. Lorsqu'ils seront possédés et contrôlés par la société, il n'y aura plus d'Inconnaissable d'ordre social ; alors, et alors seulement, sera définitivement éliminée de la tête humaine la croyance en Dieu. » Prochain épisode : L'attitude de Lénine et Trotsky face à la religion. Yann Kindo
alexi- Messages : 1815
Date d'inscription : 10/07/2010
Re: marxisme et religion
Celui qui prend la défense du nucléaire, de toutes les multinationales et leurs pratiques les plus dégueulasses au nom de la lutte "contre l'obscurantisme"? Je crois que tant sur le terrain des sciences que de la religion, on peut se passer de ses "lumières"...alexi a écrit: Par Yann Kindo
Duzgun- Messages : 1629
Date d'inscription : 27/06/2010
Re: marxisme et religion
C'est ton droit.Duzgun :
Celui qui prend la défense du nucléaire, de toutes les multinationales et leurs pratiques les plus dégueulasses au nom de la lutte "contre l'obscurantisme"? Je crois que tant sur le terrain des sciences que de la religion, on peut se passer de ses "lumières"...
Mais le sujet est la Marx et la religion, pas le nucléaire etc etc...
Il aurait été plus simple de dire que cette thèse te contrarie car pas favorable aux "islamo-gauchistes".
alexi- Messages : 1815
Date d'inscription : 10/07/2010
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