Yannick Noah (2014) : Misère de l’antiracisme
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Yannick Noah (2014) : Misère de l’antiracisme
« Ma colère », Yannick Noah (2014) : Misère de l’antiracisme
21 août 2014 Posté par Thomas J
L’album de Yannick Noah intitulé Combats ordinaires est sorti durant la première moitié de l’année 2014. Bien qu’étant apparemment un moindre succès que les précédents albums, cet album a pu obtenir une audience plus qu’honorable1, se hissant même en juin au top des ventes de disques en France. Ce succès relatif est probablement dû en partie à la chanson Ma Colère qui a fait grand bruit, diffusée juste avant les municipales et explicitement dirigée contre le Front National.
C’est de cette chanson que je souhaite proposer une analyse ici. En voici le clip : https://www.youtube.com/watch?v=Qvhf1k-WP7Y
1- Avertissement préalable.
Avant toute chose, je précise que l’angle de mon analyse ne reprendra pas un certain nombre de critiques considérant que la formulation de revendications antiracistes suffit à discréditer une chanson. On peut certes chipoter sur la forme que prend cette revendication ici ou encore sur la valeur proprement musicale du morceau (ce que je ne ferai pas car ce n’est pas mon objet). Cela dit, un grand nombre de critiques, du moins parmi celles que j’ai lu ou entendu principalement2, rejetaient le principe même d’une chanson dont le propos serait de dire « le racisme, c’est mal », au prétexte qu’une chanson devrait être plus subtile et s’attarder sur des choses moins simplistes et « bisounours ». Ainsi, pour ne pas créer d’ambiguïté, j’informe poliment mais clairement les personnes qui seraient parvenues sur cette page en tapant les mots clés « antiracisme_truc de bobo_dictature du politiquement correct_Yannick Noah_nul_quelle misère_bienpensance », que je les emmerde de tout mon cœur.
2- Une photographie parfaite de la façon politiquement désastreuse dont les revendications antiracistes sont défendues aujourd’hui.
En réalité, si je souhaite analyser ce clip, ce n’est ni pour taper sur Yannick Noah comme individu, et encore moins pour critiquer les combats antiracistes en tant que tels : c’est plutôt pour mettre en lumière la forme bien particulière que doit prendre l’antiracisme aujourd’hui en France pour être considéré comme « respectable », forme bien particulière d’antiracisme qui domine le champ politique en général et qui me paraît tout à fait désastreuse.
En effet, ce clip vise explicitement à montrer
→ quelle forme doit prendre le bon antiracisme,
- par opposition à la mauvaise colère des racistes (le Front National est explicitement désigné)
- et aussi, par opposition à la mauvaise colère des personnes qui ont toutes les raisons d’être en pétard mais qui l’expriment parfois mal.
La chanson prend ainsi la forme suivante : « ma colère » est ceci, « ma colère » est cela, « ma colère » n’est pas ceci, « ma colère » n’est pas cela… Elle est donc explicitement normative : elle vise à présenter un modèle d’antiracisme respectable (la bonne colère respectable du chanteur) et à dénigrer les autres colères non légitimes qui ne se conforment pas à ce modèle merveilleux.
En cela, ce clip constitue un vrai bijou politique car c’est à mon avis une photographie parfaite de la forme bien particulière d’antiracisme qui domine actuellement en France.
Certes, d’un point de vue « stylistique », il est possible de reprocher à ce clip son manque de subtilité3. Mais c’est précisément pour cela que je trouve cette chanson très intéressante : elle est chantée par un chanteur unanimement reconnu comme antiraciste, elle se veut engagée, elle fait apparaître plusieurs célébrités qui considèrent que le message de cette chanson est évidemment une bonne chose, et elle a eu un certain succès médiatique. Bref, ce n’est pas un chef d’oeuvre, c’est juste une petite chanson qui vise à rappeler quelques convictions sympathiques et à donner un peu d’amour : elle ne fait donc que mettre en mots un certain nombre de présupposés politiques, considérées comme des évidences admises par à peu près tout le monde. Elle est donc tout à fait ordinaire et consensuelle, elle représente ce que tout le monde est censé normalement penser : c’est pour cela qu’elle permet de cerner d’autant plus l’ampleur du désastre.
Cet article n’a pas la prétention d’être original, je vais juste essayer de montrer en gros :
- quelques caractéristiques de cette forme d’antiracisme dominant aujourd’hui, parfaitement mis en lumière par le clip,
- comment cette forme d’antiracisme s’impose de façon systématique et oppressante aux descendant-e-s d’immigré-é-s en particulier, qui sont sommé-e-s d’exprimer leur « colère » sous cette forme, et uniquement sous cette forme
- quelles conséquences négatives cela engendre, et quelques vagues pistes sur ce que l’on pourrait peut-être essayer de faire.
J’insiste une dernière fois pour être absolument certain que l’on ne puisse pas me comprendre de travers : je n’attaque pas du tout l’antiracisme en lui-même mais la forme bien particulière d’antiracisme qui est exposée et défendue dans ce clip, et qui domine le champ politique français actuellement. Je ne souhaite évidemment pas que cette forme-là d’antiracisme avec tous ces défauts et ces traits détestables soit remplacé par un racisme décomplexé, mais plutôt par un antiracisme politiquement plus offensif.
L’antiracisme « respectable » est un combat contre la haine, la peur de l’autre et le repli sur soi en général.
La « colère » dont il est question dans le clip de Yannick Noah s’attaque à une disposition psychologique : il y a des gens qui n’aiment pas les autres, qui les rejettent parce qu’illes manquent d’ouverture et parce qu’illes sont intolérant-e-s : face à cette intolérance, il faut opposer l’amour de son prochain. L’antiracisme « respectable » (j’appellerai maintenant de cette façon cette forme d’antiracisme défendue dans le clip) est donc un message d’amour.
C’est ce que l’on perçoit de façon transparente dans les paroles du clip :
« Ma colère n’est pas un vice / car elle combat toutes les haines. /Ma colère aime la tolérance (…) Ma colère a peur aussi / C’est la peur son ennemie ».
L’ambiance générale du clip permet aussi de le remarquer : l’utilisation de personnes de tous âges, et en particulier de jeunes adolescents qui jouent et qui dansent, vise certainement à nous montrer une France riche de sa diversité, heureuse de vivre (et de vivre avec l’autre) et dont la colère prend surtout la forme d’une incompréhension face à celleux qui ne font pas preuve de ce même amour.
Le fait que cette chanson soit une « chanson d’amour » est explicité par Yannick Noah à peu près à chaque fois qu’on lui demande d’en parler.
Voici quelques-uns des commentaires qu’il effectue sur Ma colère :
« Avec mes petits moyens, avec ma petite chanson d’amour, ma colère, j’exprime ça… j’essaye de la mettre au service des gens qui me suivent (…). Nous avons tous des combats. Tous. Ça va être des combats pour survivre, ça va être des combats pour se faire entendre, ça va être des combats pour trouver du boulot, mais ça peut être aussi des combats pour exprimer l’amour, pour comprendre l’autre, faire un effort sur soi pour tolérer l’autre également… Je pense que tout ça fait partie d’un combat ». (20h de TF1, 1er juin 2014)4.
« Au début de ma carrière, j’avais envie d’évoquer ma double culture, l’amour de mon père pour ma mère, une magnifique histoire entre deux êtres, deux couleurs, deux peuples… Maintenant je veux chanter ma colère. Une colère tolérante. Le »combat » pour l’amour, la tolérance… (…) J’ai grandi dans l’optimisme. Mon métissage, c’est ma richesse. C’est l’autre qui n’a pas cette ouverture d’esprit.» (Le Parisien Magazine, 23 mai 2014)5
« Même si j’ai déjà chanté l’amour, je ne l’avais jamais fait comme ça. Avec le temps, j’ai eu envie de parler de choses plus intimes : le métissage, le besoin de fraternité, de tolérance, ça me parle tellement. (…) Cette chanson ce n’est pas un « coup » pour les élections européennes. Je m’en fous des élections, ma vie, elle est comme ça, avec ou sans élections, je sais qui je suis, j’ai une voix dont j’essaie de me servir au mieux. Cet album, c’est une pause, une méditation, une respiration. (…) J’ai toujours eu cette volonté dans les tripes de rassembler les gens. » (Metronews, 07 juin 2014)6
Cette forme de colère antiraciste revendiquée dans cette chanson par Yannick Noah repose ainsi sur une définition du racisme largement partagée : le racisme, c’est la peur ou la haine de l’autre. Par conséquent, le remède idéal au racisme, c’est le combat contre les préjugés, l’amour de l’autre, la tolérance, ou encore le « métissage ».
Encore une fois, mon but n’est pas d’attaquer Yannick Noah personnellement, qui a bien le droit de chanter ce qu’il veut. Ce qui m’embête, comme je l’ai indiqué dans l’introduction, c’est qu’à mon avis cette chanson est révélatrice d’une forme d’antiracisme absolument dominante et à laquelle il est très difficile d’échapper en ce moment.
Je reformule : ce qui me pose problème, ce n’est pas que Yannick Noah ait envie de chanter l’amour. Ce qui me pose problème, c’est que la forme quasi-exclusive de l’antiracisme aujourd’hui prenne la forme d’un chant d’amour. Ce qui me pose problème, c’est que l’antiracisme soit aujourd’hui synonyme de combat contre « la haine » en général, car chacun sait que racisme = « haine ». Ce qui me pose problème en bref, c’est qu’il soit socialement admis de façon écrasante que pour combattre le racisme, la seule artillerie dont on dispose soit constituée de bisous et de câlins.
En somme, ce qui me pose problème, c’est que cet antiracisme « respectable » qui a le vent en poupe en ce moment repose sur une définition du racisme dépolitisante, qui peut se décliner en deux points :
1- le racisme est simplement un problème moral : si on s’aime et qu’on n’a plus peur les uns des autres, tout ira bien. C’est une idée que l’on perçoit notamment dans une campagne de publicité mise en place par TF1 qui fait du « métissage » la preuve par A + B de l’antiracisme. (Cf la vidéo suivante, à 20 secondes : https://www.youtube.com/watch?v=5Hf3wOCUr7s)
2- comme tout le monde est capable d’être haineux, on peut alors penser que le racisme est la chose du monde la mieux partagée. C’est une idée dont on entend beaucoup plus parler depuis un an ou deux au moins, avec la mise en avant dans le champ politique des problèmes dits de « racisme anti-blancs ». Il y a ainsi une stricte égalité entre tous les racismes différents qui existent, car il en existe plein et ils se valent tous : les racismes anti-noir-e-s, les racismes anti-blanc-he-s, les racismes anti-hétéros, les racismes anti-famille, les racismes anti-riches, anti-entreprises, anti-chatons, ou que sais-je encore… (D’ailleurs, personnellement, je suis raciste anti-gousse-d’ail et anti-endives, je ne comprends pas les gens qui aiment en manger, je trouve ça dégoûtant).
Cette dépolitisation conjointe du racisme et de l’antiracisme (racisme = haine de n’importe qui envers n’importe quoi / antiracisme = amour) a été analysée et dénoncée sur ce site à quelques reprises, notamment dans les articles sur Neuilly-sa-mère ! et Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu ?. [Concernant ce dernier film, on peut d'ailleurs remarquer au passage que Chantal Lauby, qui a joué Marie Verneuil dans Qu'est-ce qu'on a fait au bon dieu ?, apparaît dans le clip Ma colère : c'est une coïncidence tout à fait opportune vu que cette même dépolitisation du racisme est assumée dans ces deux productions.]
Le problème de cet antiracisme « respectable » qui se veut simplement une dénonciation de la « haine » des gens en général, est qu’il occulte généralement le fait suivant :il y a des perceptions négatives véhiculées par tout un tas de canaux très officiels (médias, école, champ politique…), ainsi que tout un ensemble de discriminations qui visent les mêmes communautés (principalement les immigré-e-s et leurs descendant-e-s) et qui s’abattent à peu près systématiquement sur elles. On peut appeler ça le « racisme institutionnel ». Or, faire de l’antiracisme un simple combat contre la « haine » en général, c’est occulter cette dimension sociale du racisme : c’est ainsi préférer s’attaquer aux préjugés moralement dérangeants que n’importe qui peut avoir à l’égard de n’importe quoi, plutôt qu’aux problèmes sociaux de « racisme institutionnel » dont les conséquences sont bien plus désastreuses, et que l’on peut difficilement contrecarrer avec des bisous et des arc-en-ciel7…
Encore une fois, je ne trouve pas très dérangeant que Yannick Noah chante un antiracisme aussi socialement dilué, ce n’est qu’une chanson de 2’30, ce n’est pas un manifeste politique très élaboré ni un livre de sociologie8. Ce qui est beaucoup plus dérangeant, c’est que la vision de l’antiracisme exposée dans son clip soit aussi hégémonique à l’heure actuelle.
L’antiracisme « respectable » est une conviction morale, rien de plus.
Une des autres dimensions du clip consiste dans l’idée suivante : l’antiracisme « respectable » (la bonne colère) ne met en place aucun moyen concret pour faire valoir les droits des personnes qu’elle défend. Cet antiracisme repose uniquement sur la conviction morale d’être du « bon côté », celui de l’amour et pas celui de la haine.
Les paroles du clip se suffisent à elles-mêmes :
« Ma colère n’est pas amnésique / ma colère n’est pas naïve (…) / Ma colère n’est pas stratégique / ma colère est sans défense / ma colère n’a pas de rhétorique / pour insulter l’intelligence / (…) Ma colère a tout l’honneur de combattre la leur ! »
La colère antiraciste, vue par Yannick Noah.
Cette dimension de l’antiracisme « respectable », sur laquelle je ne m’attarderai pas car elle est très bien mise en lumière dans les paroles de la chanson, découle directement de la dépolitisation du racisme. Si ce dernier n’est qu’un problème de manque d’amour, il suffira d’aimer autrui et tout ira bien. L’antiracisme n’est donc pas politique, autrement dit, il ne nécessite aucune mobilisation collective : c’est un problème individuel, qui nécessite uniquement un travail d’expansion d’amour dans sa propre tête, rien de plus concret.
- Il ne faut pas être « naïf » et « amnésique », dit la chanson : j’imagine qu’il est important de se souvenir des heures les plus sombres de notre histoire (heureusement révolues, ouf !) où le racisme existait encore afin de se rappeler à quel point la haine c’est mal, et afin de ne pas tomber dans les sophismes soutenus par certains partis d’extrême-droite qui risquerait de le faire resurgir.
- Il ne faut pas être « stratégique » ou « rhétorique » mais mettre un point d’ « honneur » moral à « combattre » la haine d’autrui véhiculée par le Front National. (Mais attention, un combat sans stratégie, sans rhétorique et sans défense… Ça risque de tourner court…)
Encore une fois, je pense que ce clip ne fait que mettre en lumière une idée partagée, et qui n’est pas du tout perçue comme absurde.
En effet, comme indiqué précédemment, l’antiracisme « respectable » est un antiracisme moral, qui se satisfait uniquement du fait de lutter contre des idées reçues dans sa tête. Pourquoi alors faire autre chose ? Je ne suis pas spécialiste des luttes des descendant-e-s d’immigré-e-s, mais je crois savoir que ces dernier-e-s ont régulièrement lutté pour leurs droits et pour mener leur combat de façon autonome. Il semblerait que pour l’instant, cela n’ait pas incroyablement réussi, notamment par récupération ou anéantissement des luttes en question par des organisations plus puissantes : je pense ici notamment à la Marche pour l’égalité et contre le racisme dont on a fêté fin 2013 le 30ème anniversaire et dont la portée politique a été considérablement diluée par SOS Racisme, ou encore aux luttes dans l’industrie automobile au début des années 1980 qui ont vu pas mal de syndicats tenter de les obstruer9. Je pense aussi au Parti des Indigènes de la République, qui s’efforce de construire une stratégie politique ayant pour but l’accès à l’égalité des droits pour les descendant-e-s d’immigré-e-s, et qui a fait l’objet de ripostes assez violentes lors de sa création en 2005 sur le thème suivant (je résume grossièrement) : « mais pourquoi tou-te-s ces arabes se réunissent entre elleux, enfin, illes ne voient pas que cela dessert leur cause de se présenter de façon aussi sectaire ? »…
Je pense que ces quelques problèmes qu’ont pu subir les tentatives d’auto-organisation des descendant-e-s d’immigré-e-s sont liés à la façon dont cet antiracisme « respectable » est conçu : vu qu’il ne s’agit que d’avoir la certitude individuelle que l’on est du bon côté, une lutte collective où des descendant-e-s d’immigré-e-s décideraient de se réunir pour lutter contre les oppressions dont illes sont victimes, ne peut être qu’un excès inutile que l’on pourrait légitimement taxer de « communautarisme »…
L’antiracisme respectable ne passe que par les voies autorisées par la sacro-sainte République Française.
C’est une des dimensions de l’antiracisme « respectable » que le clip met en lumière de la façon la plus limpide : la bonne colère ne trahit jamais la République, elle aime la France, et chante la Marseillaise. C’est le respect de cette condition indispensable qui, seule, peut garantir que cette colère ne soit pas un cri de haine.
Plusieurs petits indices subtilement disséminés dans le clip l’indiquent de façon extrêmement fine.
Alors, vous avez trouvé ??
En plus de son design tricolore poussé à la limite du burlesque, les paroles de la chanson vont dans le même sens :
Ma colère croit en la justice / ma colère n’est que citoyenne / (…) ma colère est pleine d’espoir ».
On voit passer dans le clip, au milieu de tous ces appels à une colère citoyenne et bleu-blanc-rouge les trois personnages suivants : une personne qui met son écharpe de maire, un cadre qui sort du travail et un ouvrier travaillant sur un chantier.
L’image de la maire apparaît par ailleurs à la seconde près où Yannick Noah indique que sa « colère n’est que citoyenne ».
Je ne crois pas me tromper en interprétant ces trois images de la façon suivante : nous, c’est-à-dire en particulier les descendant-e-s d’immigré-e-s, nous devons garder « espoir » (« ma colère est pleine d’espoir »).
Avoir une colère « pleine d’espoir » et « citoyenne »,
- c’est voter/se présenter aux élections pour participer à la bonne marche de la République,
- c’est savoir que dans notre société, on peut être noir-e et réussir socialement,
- c’est savoir que tout le monde a sa place dans la société, quelque soit son rôle : l’ouvrier aussi concourt à la grandeur de la France (un indice subliminal permet de s’en assurer. Allez, je vous aide : ça se situe à peu près au niveau de son casque…)
Bref, nous vivons dans un beau pays et être antiraciste, c’est lutter au nom des valeurs de notre belle République Française (cf l’image précédente de la personne en moto avec la devise « Liberté, Égalité, Fraternité » gravée sur le blouson).
18 Le résumé du clip en une image.
L’idée impliquée par cette colère tricolore, comme vous l’avez peut-être deviné, c’est que la République Française est quasiment une divinité, progressiste par essence, et dont le patrimoine génétique produit de l’antiracisme par kilotonnes. D’ailleurs, avant de prononcer les mots « discriminations », « stigmatisation » ou « inégalités » tout bon antiraciste a l’obligation de se prosterner devant la République et de lui témoigner son amour.
Comme je vous le disais dans l’introduction, j’adore ce clip car il est d’une limpidité absolue. En effet, l’idée du paragraphe précédent, Yannick Noah choisit de la mettre en scène littéralement dès le 1er couplet, par une révérence à la République Française.
19 « Ma colère aime la République »
Évidemment, affirme l’antiracisme « respectable », il existe des problèmes dans notre beau pays, qui sont liés au Front National. (« Ma colère n’est pas un Front / Elle n’est pas Nationale ! »10) Mais rassurez-vous, celui-ci, loin d’être républicain, n’est qu’un pastiche de République, une dérive, une protubérance infâme qui nie les valeurs intrinsèquement progressistes et égalitaires de notre belle France. Comme le dit Yannick Noah pendant sa révérence, « Ma colère aime la République / mais j’en combats toutes les dérives. »
Une telle profession de foi conduit, à mon avis, à trois conséquences problématiques.
1- En affirmant que la colère légitime est celle qui garde « espoir » dans la capacité d’ « intégration » sociale des descendant-e-s d’immigré-e-s (cf les 3 images analysées ci-dessus), l’antiracisme « respectable » défendu dans le clip délégitime la perte d’espoir, le sentiment d’être un-e citoyen-ne de seconde zone, et rejette du côté des colères absurdes – ou tout au moins mal formulées et regrettables- celles qui reposent sur le désespoir.
C’est un peu le credo défendu par SOS Racisme, et qui repose sur le thème du combat contre la « victimisation ». Je cite la profession de foi de SOS Racisme, disponible sur son site dans l’onglet « Nos valeurs, nos combats» :
« Défendre la République, c’est la faire considérer comme une source d’émancipation, c’est la rendre crédible en faisant que ses valeurs soient vécues par tous et partout dans le quotidien. (…) Pour cela, il est urgent de rompre avec le discours de victimisation dans lequel certains, qui y voient là un moyen d’apaiser leur conscience, souhaiteraient enfermer les jeunes générations. Notre rôle consiste non pas à considérer les gens comme des victimes mais comme des acteurs de la société qui ont le pouvoir de la faire évoluer. »11
Indépendamment du fait qu’il est probablement bien intentionné d’inviter les gens à prendre leur destin en main, on peut tout de même remarquer qu’il y a d’assez bonnes raisons d’être désespéré-e-s à l’heure actuelle en ce qui concerne l’égalité effective entre descendant-e-s direct-e-s d’immigré-e-s (disons, à peu près sur les 2 ou 3 générations précédentes) et les autres.
Pour ne garder que les éléments mis en valeur dans le clip (la « citoyenneté » et l’emploi), au niveau électoral par exemple, le tableau laisse encore considérablement à désirer.
D’après une enquête datant de 2008, réalisée par l’Institut National de la Statistique et des Études Économiques (INSEE) et l’Institut National d’Études Démographiques (INED) les immigré-e-s tout court constituaient à ce moment là 8,4% de la population française et les descendant-e-s d’immigré-e-s direct-e-s (un-e ou deux parent-e-s immigré-e-s) 11 % de la population française. Sur la base de cette enquête, cela porte donc à pratiquement 1/5ème de la population française le nombre de personnes issu-e-s de l’immigration en France (les résultats de cette enquête sont résumées clairement dans cet article).
Or, pour citer quelques exemples au hasard, une enquête réalisée par le Conseil Représentatif des Associations Noires de France (CRAN) à l’occasion des municipales12 laisse entrevoir à quel point la colère qui « n’est que citoyenne » aboutit pour l’instant à des résultats limités…
Ça vaut bien la peine d’avoir une colère qui « n’est que citoyenne », la démocratie dite « représentative » offre des résultats tellement probants…
C’est encore pire en ce qui concerne les député-e-s, l’Assemblée Nationale comptant actuellement 10 député-e-s élu-e-s issu-e-s de l’immigration sur 577, soit moins de 2 % de celle-ci13…
De plus, sur le plan de l’emploi, comme chacun sait, les discriminations à l’embauche ne sont pas encore tout à fait une histoire dépassée14…
Alors bien sûr, il est probablement mieux de voir le positif, et de ne pas ruminer toute la journée en se disant que l’on n’arrivera jamais à rien. Cela dit, tous ces appels à avoir plus d’ « espoir », ces critiques de la « victimisation » et autres injonctions à se remuer les fesses peuvent avoir pour effet d’occulter le contexte social qui provoque la perte d’espoir : en gros, elles peuvent contribuer à faire porter la responsabilité des échecs de « l’intégration » non pas sur la société qui a besoin d’être transformée mais sur la personne qui subit les oppressions et qui manquerait d’ambition, de courage, ou d’ « espoir ». Ce qui serait une conséquence très fâcheuse et assez peu antiraciste…
2- Adorer la République, et considérer que celle-ci est le fer de lance de l’égalité et du progressisme, c’est avoir une démarche idéaliste, consistant à séparer
- la République idéale, celle qui devrait exister, celle qui serait conforme à ses Valeurs sublimissimes, et sur laquelle on va exclusivement focaliser toute notre attention,
- et la vilaine République existante, concrète, celle que l’on va occulter, celle qui interdit à ses citoyen-n-es de manifester contre le massacre israëlien à Gaza pour des raisons fumeuses, ou encore celle qui considère les Rroms comme des indésirables à expulser hors du territoire (cf -entre autres!- les condamnations sévères du Comité européen des droits sociaux, ou encore de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme).
Alors évidemment, il n’est pas interdit d’être idéaliste (j’entends par ce terme le fait de séparer l’idéal de la réalité et de se focaliser sur l’idéal à atteindre -je n’emploie pas ce mot de façon péjorative). Je pense d’ailleurs que nous sommes tou-te-s forcément idéalistes sur un domaine donné, à un moment ou à un autre, en fonction des situations, des compromis que nous sommes amené-e-s à faire, et des choix que nous faisons. Cela étant, le fait d’idéaliser la République n’est pas un choix politique parmi d’autres : c’est une injonction systématique, c’est même quasiment la seule possibilité politique qui s’offre à nous, et c’est encore pire quand on est descendant-e d’immigré-e. Ça va même beaucoup plus loin si l’on est étranger. En effet, si l’on souhaite devenir français, l’idéalisation de la République n’est même pas une norme politique très pesante, c’est une partie obligatoire de la procédure de naturalisation : je dois manifester mon « adhésion aux principes et valeurs essentiels de la République française » sous peine de ne pas pouvoir devenir français, alors qu’il est par ailleurs très clair que la République française actuelle se serait lamentablement plantée à son propre test d’adhésion à la nationalité française et ne pourrait pas signer sa propre « Charte des droits et des devoirs »15.
3- Considérer le Front National comme une exception raciste dans un univers républicano-progressiste,
- c’est considérer le racisme comme une exception alors qu’il est la règle,
- c’est masquer la profondeur des convergences entre le Front National et les gouvernements qui se succèdent pour l’instant, de droite comme de gauche,
- c’est oublier que nous sommes médiatiquement assommé-e-s par les thèmes qui sont chers au Front National, sans que cela soit nécessairement le produit d’une opinion partisane : les contraintes auxquelles sont soumis les médias rendent simplement beaucoup plus simple et rentable le fait de pondre une énième enquête sur le thème « Jeunes des quartiers, violences, émeutes, grosses barbes, caves humides : l’enfer de Villedozier-les-coin-coin » (je pense ici à l’exemple édifiant du procès de France 2, traîné en justice pour un reportage stigmatisant réalisé par Envoyé Spécial. Pour citer juste un élément frappant révélé lors du procès : les conclusions du reportage -à charge- devaient impérativement être finalisées… avant que la moindre enquête n’ait été effectuée sur le terrain ! )
Quelques remarques pour finir.
Résumons donc les caractéristiques de cet antiracisme « respectable » mis en lumière par le clip Ma colère:
- il se définit par un élan d’amour et de tolérance pour accepter autrui. En effet, le racisme est synonyme de « haine » et de « préjugés », c’est donc cela qu’il faut combattre, en faisant un effort sur soi-même.
- il se caractérise par une conviction morale : être antiraciste, c’est ne pas oublier que la haine, c’est mal (« ma colère n’est pas amnésique »), et c’est ne pas croire aux stupidités de certains partis d’extrême-droite qui veulent me faire gober n’importe quoi (« ma colère n’est pas naïve », « ma colère fait la différence / entre une cause et ses effets »16). C’est donc un effort, certes, mais essentiellement un effort personnel de vigilance mentale contre les préjugés… What else ?
- il doit obligatoirement passer par une prosternation devant la République Éternelle et ses valeurs, symbolisées par sa devise exquise « Liberté, Égalité, Fraternité », par son doux hymne « La Marseillaise », et par son merveilleux drapeau tricolore.
Je ferai juste quelques petites remarques sur cette troisième caractéristique de l’antiracisme « respectable ».
→ L’idéalisation de la République Française et de ses Valeurs Mirifiques s’impose comme une façon à peu près incontournable de combattre le racisme dans le champ politique.
En gros, on a le nationalisme de la droite radicale qui défend de façon explicite une pureté du corps national, grâce à une sélection scrupuleuse des membres qui auraient le droit d’en faire partie17.
Et face à ce nationalisme de droite, différentes réponses sont proposées, qui comportent beaucoup de similitudes entre elles au niveau de l’attitude adoptée face à notre Grande et Belle France.
- Un nationalisme de gauche, porté récemment de façon exemplaire par le co-président du Parti de Gauche, Jean-Luc Mélenchon, qui défend et glorifie l’ADN intrinsèquement progressiste de « notre beau pays »… Une telle position morale vis-à-vis des Valeurs de la République a une conséquence gênante en termes d’aveuglement politique : chaque résultat positif du Front National entraîne logiquement notre républicain convaincu au bord de la crise cardiaque, lui qui ne peut concevoir que dans la sublime Patrie des droits de l’Homme, des gens manquent autant d’ouverture à l’autre… Cette idéalisation de la République, propre à l’antiracisme « respectable », l’empêche ainsi probablement de cerner toutes les causes sociales d’un phénomène qui lui échappe, ainsi que sa propre contribution à celui-ci…
- Une glorification récurrente de la République et de ses valeurs chez les descendant-e-s d’immigré-e-s. Entendons-nous bien : je n’accuse évidemment pas Yannick Noah, les immigré-e-s ou leurs descendant-e-s de s’incliner devant la République avant de revendiquer quoi que ce soit. En effet, si nous sommes contraints de passer par une courbette républicaine avant d’ouvrir la bouche sur n’importe quel sujet, c’est parce que nous serions beaucoup moins entendu-e-s autrement, taxé-e-s de « communautaristes » (est « communautariste » tout groupe d’individus qui n’adhère pas aux valeurs de la communauté dominante…), en bref, suspecté-e-s de ne pas aimer la France dès lors que nous disons quelque chose d’un tant soit peu radical, désamour qui serait perçu comme criminel18.
Pour prendre un exemple simple, si l’on est musulman-e et que l’on est pour cette raison traité comme un sous-citoyen, il est pourtant difficile de dire les choses comme on les ressent et de lutter directement pour ce qui nous paraît essentiel, à savoir la volonté de croire en notre Dieu et de vivre en tant que fidèle de l’Islam. Il semble plus acceptable (et plus policé) de chercher à montrer aux personnes qui ont le pouvoir que les musulman-e-s contribuent aussi à la grandeur de la Nation Française comme le clamait le CCIF [Collectif Contre l'Islamophobie en France] dans sa campagne « Nous aussi, nous sommes la Nation ». Ou encore, il est préférable de montrer qu’il est dans l’intérêt des Français-e-s Républicain-es non musulman-e-s de laisser tranquille tou-te-s ces croyant-e-s afin qu’illes soient mieux intégré-e-s et qu’illes puissent assimiler plus sereinement nos belles valeurs Républicaines. Ou sinon, il est aussi possible de montrer que la plupart des musulman-e-s ne sont pas du tout « ostentatoires » mais ont le bon goût de rester invisibles la plupart du temps, contrairement à quelques excité-e-s qui n’ont pas honte d’être musulman-e-s et de faire de la politique (mais rassurez-vous : ce sont des exceptions)19.
- Quant à une personne très populaire en ce moment qui prétend incarner un sursaut de dignité des descendant-e-s d’immigré-e-s (je pense ici à Dieudonné M’Bala M’Bala), celui-ci se vautre dans une adoration nationaliste quasi-mystique.
Si je suis en désaccord profond et radical avec lui sur le plan politique [j'explique de façon précise mes désaccords avec Dieudonné dans la note de bas de page suivante20, pour ne pas alourdir l'article lui-même], il me paraît indéniable qu’il symbolise, en particulier pour un certain nombre de descendant-e-s d’immigré-e-s qui constituent son public, une façon revigorante de casser les pieds au pouvoir en place. Je ne pense pas que le contenu de son propos ou la façon dont il mène son combat soit spécialement bénéfique pour les descendant-e-s d’immigré-e-s, mais je suis convaincu qu’il symbolise, pour une partie de ce public, un élan de révolte légitime qui leur donne du baume au cœur. Pour tout dire, je pense que son succès serait totalement incompréhensible si l’on n’admettait pas qu’il est aussi perçu comme un descendant d’immigré qui ne se laisse pas faire. D’ailleurs, lui-même le sait, et en joue de façon explicite21.
Eh bien, que fait notre antisystème en chef qui se fait une gloire de s’opposer au pouvoir en place et prétend résister à ceux qu’il appelle les « maîtres esclavagistes » qui nous gouvernent et nous infériorisent ? Il glorifie la Marseillaise et est ému par les élans de patriotisme de ses fans envers notre beau pays22, appelle à l’amour et aux embrassades avec ceux qui ne rêvent que de nous faire la peau23, et se rêve lui-même en nouveau héros des Valeurs de la République Tricolore… Ainsi, par son nationalisme éclatant, Dieudonné qui a probablement gagné une grande partie de sa popularité parce qu’il mettait en lumière la mémoire sélective de la République Française et ses Valeurs à géométrie variable (comme dans le sketch suivant datant de 2004 où il évoque notamment l’affaire de la « grotte d’Ouvéa »24) commet maintenant l’exploit de laver cette chère Patrie de ses atrocités coloniales… La République Française, dont le drapeau tricolore trône derrière lui dans toutes ses vidéos, n’est même pas perçue de façon idéaliste au sens où on ferait arbitrairement le tri entre ce qui serait « bon à prendre » et ce qui relèverait des « accidents » : elle devient tout simplement Immaculée. Tout va bien, circulez, égalité et réconciliation entre les bourreaux qui n’en sont pas et les victimes qui n’existent pas25.
→ Mais peut-être faudrait-il convenir enfin (et je terminerai sur cette suggestion) que la République nous méprise, nous les descendant-e-s d’immigré-e-s, et qu’on a par conséquent tout à fait le droit de la mépriser aussi.
- C’est la République qui attaque les musulman-e-s et les rroms (pour ne parler que d’elleux, vu qu’illes semblent un peu plus sous le feu politique en ce moment) et rend partiellement légitimes leurs agressions : on peut en effet soutenir que ces dernières ne sont que le prolongement physique des mauvais traitements qui s’abattent déjà sur elleux au niveau institutionnel26.
- C’est la République qui hiérarchise les différentes communautés en son sein27, en distinguant comme des citoyen-n-e-s « à l’avant-garde de la République » celleux qu’elle exterminait sans le moindre scrupule hier (et qu’elle écraserait sans scrupule demain si ses intérêts stratégiques du moment la poussait à le faire à nouveau), et en interdisant aux autres d’exprimer leurs positions politiques en toute liberté, probablement parce qu’illes ne sont que « l’arrière-garde » sans valeur.
Je pense ici notamment à l’intervention de Manuel Valls au Trocadéro le 19 mars 2014. Dans cette vidéo, le Ministre de l’Intérieur de la France, qui deviendra 12 jours plus tard le Premier Ministre de la République Française affirme très explicitement deux choses : 1] La mise en cause de la politique coloniale d’Israël « État ami, État frère », « c’est l’antisémitisme d’aujourd’hui » (de 2 min 22 à 4 min 25), 2] « Les juifs de France sont plus que jamais les Français à l’avant-garde de la République et de nos valeurs ! » (de 5 min 45 à la fin). Ainsi, il y a très officiellement et de façon très Républicaine, des communautés d’ « avant-garde » qui sont (pour l’instant et aujourd’hui!) considérées comme acceptables et, par déduction, des communautés d’ « arrière-garde » dont on sait bien qu’elles n’ont « pas vocation à s’intégrer »….
- C’est la République qui tente de faire croire que les problèmes qu’elle provoque elle-même en ne remédiant pas aux inégalités criantes entre les différentes fractions de sa population pourront être résolus au moyen d’un préchi-prêcha patriotique « moralement laïque » distribué par l’Éducation Nationale dès le biberon et à haute dose28.
- C’est la République qui marginalise les langues régionales et les créoles, en affirmant que son Unité Indivisible repose sur la domination écrasante et exclusive de la langue française académique, et qu’il est inconcevable de promouvoir celle-ci en même temps que d’autres langues non valorisées (c’est-à-dire, en particulier, non-européennes)29.
- C’est la République qui fut heureuse et fière d’être une grande puissance coloniale30, au point par exemple de massacrer des milliers d’Algériens le jour de son retour triomphal parmi le cercle des vainqueurs, le 8 mai 194531.
Alors d’après moi, un des grands mérites de cette chanson, avec toutes ses paroles sympathiques, toute son imagerie tricolore, tous ses appels à l’effort moral, toutes ses invitations à la modération républicaine, c’est qu’elle permet indirectement de se poser franchement les questions suivantes :
Pourquoi serions-nous obligé-e-s de crier notre « colère » emmitouflé-e-s dans des drapeaux français ?
Pourquoi devrions-nous avoir une « colère » qui « n’est que citoyenne » et se prosterne à plat ventre devant la République ?
Pourquoi devrions-nous avoir une « colère » gentille, douce, et « sans défense » face à un État qui mériterait légitimement de grosses baffes sur bien des aspects ?
Pourquoi, sous prétexte que la République est libératrice parfois, devrions-nous croire et affirmer qu’elle n’est jamais oppressante et aliénante (alors qu’elle l’est souvent, et souvent de façon simultanée) ?
Pourquoi nous faudrait-il croire qu’être antiraciste revient à défendre les Valeurs de la France, et à attendre l’âme « pleine d’espoir » que celle-ci nous apporte l’amour et la reconnaissance ?
Au fond, quitte à être en « colère », pourquoi ne prendrions-nous pas frontalement la liberté de dire merde à la République Française ?
Thomas J
L'article complet avec clip et photos :
http://www.lecinemaestpolitique.fr/ma-colere-yannick-noah-2014-misere-de-lantiracisme/
21 août 2014 Posté par Thomas J
L’album de Yannick Noah intitulé Combats ordinaires est sorti durant la première moitié de l’année 2014. Bien qu’étant apparemment un moindre succès que les précédents albums, cet album a pu obtenir une audience plus qu’honorable1, se hissant même en juin au top des ventes de disques en France. Ce succès relatif est probablement dû en partie à la chanson Ma Colère qui a fait grand bruit, diffusée juste avant les municipales et explicitement dirigée contre le Front National.
C’est de cette chanson que je souhaite proposer une analyse ici. En voici le clip : https://www.youtube.com/watch?v=Qvhf1k-WP7Y
1- Avertissement préalable.
Avant toute chose, je précise que l’angle de mon analyse ne reprendra pas un certain nombre de critiques considérant que la formulation de revendications antiracistes suffit à discréditer une chanson. On peut certes chipoter sur la forme que prend cette revendication ici ou encore sur la valeur proprement musicale du morceau (ce que je ne ferai pas car ce n’est pas mon objet). Cela dit, un grand nombre de critiques, du moins parmi celles que j’ai lu ou entendu principalement2, rejetaient le principe même d’une chanson dont le propos serait de dire « le racisme, c’est mal », au prétexte qu’une chanson devrait être plus subtile et s’attarder sur des choses moins simplistes et « bisounours ». Ainsi, pour ne pas créer d’ambiguïté, j’informe poliment mais clairement les personnes qui seraient parvenues sur cette page en tapant les mots clés « antiracisme_truc de bobo_dictature du politiquement correct_Yannick Noah_nul_quelle misère_bienpensance », que je les emmerde de tout mon cœur.
2- Une photographie parfaite de la façon politiquement désastreuse dont les revendications antiracistes sont défendues aujourd’hui.
En réalité, si je souhaite analyser ce clip, ce n’est ni pour taper sur Yannick Noah comme individu, et encore moins pour critiquer les combats antiracistes en tant que tels : c’est plutôt pour mettre en lumière la forme bien particulière que doit prendre l’antiracisme aujourd’hui en France pour être considéré comme « respectable », forme bien particulière d’antiracisme qui domine le champ politique en général et qui me paraît tout à fait désastreuse.
En effet, ce clip vise explicitement à montrer
→ quelle forme doit prendre le bon antiracisme,
- par opposition à la mauvaise colère des racistes (le Front National est explicitement désigné)
- et aussi, par opposition à la mauvaise colère des personnes qui ont toutes les raisons d’être en pétard mais qui l’expriment parfois mal.
La chanson prend ainsi la forme suivante : « ma colère » est ceci, « ma colère » est cela, « ma colère » n’est pas ceci, « ma colère » n’est pas cela… Elle est donc explicitement normative : elle vise à présenter un modèle d’antiracisme respectable (la bonne colère respectable du chanteur) et à dénigrer les autres colères non légitimes qui ne se conforment pas à ce modèle merveilleux.
En cela, ce clip constitue un vrai bijou politique car c’est à mon avis une photographie parfaite de la forme bien particulière d’antiracisme qui domine actuellement en France.
Certes, d’un point de vue « stylistique », il est possible de reprocher à ce clip son manque de subtilité3. Mais c’est précisément pour cela que je trouve cette chanson très intéressante : elle est chantée par un chanteur unanimement reconnu comme antiraciste, elle se veut engagée, elle fait apparaître plusieurs célébrités qui considèrent que le message de cette chanson est évidemment une bonne chose, et elle a eu un certain succès médiatique. Bref, ce n’est pas un chef d’oeuvre, c’est juste une petite chanson qui vise à rappeler quelques convictions sympathiques et à donner un peu d’amour : elle ne fait donc que mettre en mots un certain nombre de présupposés politiques, considérées comme des évidences admises par à peu près tout le monde. Elle est donc tout à fait ordinaire et consensuelle, elle représente ce que tout le monde est censé normalement penser : c’est pour cela qu’elle permet de cerner d’autant plus l’ampleur du désastre.
Cet article n’a pas la prétention d’être original, je vais juste essayer de montrer en gros :
- quelques caractéristiques de cette forme d’antiracisme dominant aujourd’hui, parfaitement mis en lumière par le clip,
- comment cette forme d’antiracisme s’impose de façon systématique et oppressante aux descendant-e-s d’immigré-é-s en particulier, qui sont sommé-e-s d’exprimer leur « colère » sous cette forme, et uniquement sous cette forme
- quelles conséquences négatives cela engendre, et quelques vagues pistes sur ce que l’on pourrait peut-être essayer de faire.
J’insiste une dernière fois pour être absolument certain que l’on ne puisse pas me comprendre de travers : je n’attaque pas du tout l’antiracisme en lui-même mais la forme bien particulière d’antiracisme qui est exposée et défendue dans ce clip, et qui domine le champ politique français actuellement. Je ne souhaite évidemment pas que cette forme-là d’antiracisme avec tous ces défauts et ces traits détestables soit remplacé par un racisme décomplexé, mais plutôt par un antiracisme politiquement plus offensif.
L’antiracisme « respectable » est un combat contre la haine, la peur de l’autre et le repli sur soi en général.
La « colère » dont il est question dans le clip de Yannick Noah s’attaque à une disposition psychologique : il y a des gens qui n’aiment pas les autres, qui les rejettent parce qu’illes manquent d’ouverture et parce qu’illes sont intolérant-e-s : face à cette intolérance, il faut opposer l’amour de son prochain. L’antiracisme « respectable » (j’appellerai maintenant de cette façon cette forme d’antiracisme défendue dans le clip) est donc un message d’amour.
C’est ce que l’on perçoit de façon transparente dans les paroles du clip :
« Ma colère n’est pas un vice / car elle combat toutes les haines. /Ma colère aime la tolérance (…) Ma colère a peur aussi / C’est la peur son ennemie ».
L’ambiance générale du clip permet aussi de le remarquer : l’utilisation de personnes de tous âges, et en particulier de jeunes adolescents qui jouent et qui dansent, vise certainement à nous montrer une France riche de sa diversité, heureuse de vivre (et de vivre avec l’autre) et dont la colère prend surtout la forme d’une incompréhension face à celleux qui ne font pas preuve de ce même amour.
Le fait que cette chanson soit une « chanson d’amour » est explicité par Yannick Noah à peu près à chaque fois qu’on lui demande d’en parler.
Voici quelques-uns des commentaires qu’il effectue sur Ma colère :
« Avec mes petits moyens, avec ma petite chanson d’amour, ma colère, j’exprime ça… j’essaye de la mettre au service des gens qui me suivent (…). Nous avons tous des combats. Tous. Ça va être des combats pour survivre, ça va être des combats pour se faire entendre, ça va être des combats pour trouver du boulot, mais ça peut être aussi des combats pour exprimer l’amour, pour comprendre l’autre, faire un effort sur soi pour tolérer l’autre également… Je pense que tout ça fait partie d’un combat ». (20h de TF1, 1er juin 2014)4.
« Au début de ma carrière, j’avais envie d’évoquer ma double culture, l’amour de mon père pour ma mère, une magnifique histoire entre deux êtres, deux couleurs, deux peuples… Maintenant je veux chanter ma colère. Une colère tolérante. Le »combat » pour l’amour, la tolérance… (…) J’ai grandi dans l’optimisme. Mon métissage, c’est ma richesse. C’est l’autre qui n’a pas cette ouverture d’esprit.» (Le Parisien Magazine, 23 mai 2014)5
« Même si j’ai déjà chanté l’amour, je ne l’avais jamais fait comme ça. Avec le temps, j’ai eu envie de parler de choses plus intimes : le métissage, le besoin de fraternité, de tolérance, ça me parle tellement. (…) Cette chanson ce n’est pas un « coup » pour les élections européennes. Je m’en fous des élections, ma vie, elle est comme ça, avec ou sans élections, je sais qui je suis, j’ai une voix dont j’essaie de me servir au mieux. Cet album, c’est une pause, une méditation, une respiration. (…) J’ai toujours eu cette volonté dans les tripes de rassembler les gens. » (Metronews, 07 juin 2014)6
Cette forme de colère antiraciste revendiquée dans cette chanson par Yannick Noah repose ainsi sur une définition du racisme largement partagée : le racisme, c’est la peur ou la haine de l’autre. Par conséquent, le remède idéal au racisme, c’est le combat contre les préjugés, l’amour de l’autre, la tolérance, ou encore le « métissage ».
Encore une fois, mon but n’est pas d’attaquer Yannick Noah personnellement, qui a bien le droit de chanter ce qu’il veut. Ce qui m’embête, comme je l’ai indiqué dans l’introduction, c’est qu’à mon avis cette chanson est révélatrice d’une forme d’antiracisme absolument dominante et à laquelle il est très difficile d’échapper en ce moment.
Je reformule : ce qui me pose problème, ce n’est pas que Yannick Noah ait envie de chanter l’amour. Ce qui me pose problème, c’est que la forme quasi-exclusive de l’antiracisme aujourd’hui prenne la forme d’un chant d’amour. Ce qui me pose problème, c’est que l’antiracisme soit aujourd’hui synonyme de combat contre « la haine » en général, car chacun sait que racisme = « haine ». Ce qui me pose problème en bref, c’est qu’il soit socialement admis de façon écrasante que pour combattre le racisme, la seule artillerie dont on dispose soit constituée de bisous et de câlins.
En somme, ce qui me pose problème, c’est que cet antiracisme « respectable » qui a le vent en poupe en ce moment repose sur une définition du racisme dépolitisante, qui peut se décliner en deux points :
1- le racisme est simplement un problème moral : si on s’aime et qu’on n’a plus peur les uns des autres, tout ira bien. C’est une idée que l’on perçoit notamment dans une campagne de publicité mise en place par TF1 qui fait du « métissage » la preuve par A + B de l’antiracisme. (Cf la vidéo suivante, à 20 secondes : https://www.youtube.com/watch?v=5Hf3wOCUr7s)
2- comme tout le monde est capable d’être haineux, on peut alors penser que le racisme est la chose du monde la mieux partagée. C’est une idée dont on entend beaucoup plus parler depuis un an ou deux au moins, avec la mise en avant dans le champ politique des problèmes dits de « racisme anti-blancs ». Il y a ainsi une stricte égalité entre tous les racismes différents qui existent, car il en existe plein et ils se valent tous : les racismes anti-noir-e-s, les racismes anti-blanc-he-s, les racismes anti-hétéros, les racismes anti-famille, les racismes anti-riches, anti-entreprises, anti-chatons, ou que sais-je encore… (D’ailleurs, personnellement, je suis raciste anti-gousse-d’ail et anti-endives, je ne comprends pas les gens qui aiment en manger, je trouve ça dégoûtant).
Cette dépolitisation conjointe du racisme et de l’antiracisme (racisme = haine de n’importe qui envers n’importe quoi / antiracisme = amour) a été analysée et dénoncée sur ce site à quelques reprises, notamment dans les articles sur Neuilly-sa-mère ! et Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu ?. [Concernant ce dernier film, on peut d'ailleurs remarquer au passage que Chantal Lauby, qui a joué Marie Verneuil dans Qu'est-ce qu'on a fait au bon dieu ?, apparaît dans le clip Ma colère : c'est une coïncidence tout à fait opportune vu que cette même dépolitisation du racisme est assumée dans ces deux productions.]
Le problème de cet antiracisme « respectable » qui se veut simplement une dénonciation de la « haine » des gens en général, est qu’il occulte généralement le fait suivant :il y a des perceptions négatives véhiculées par tout un tas de canaux très officiels (médias, école, champ politique…), ainsi que tout un ensemble de discriminations qui visent les mêmes communautés (principalement les immigré-e-s et leurs descendant-e-s) et qui s’abattent à peu près systématiquement sur elles. On peut appeler ça le « racisme institutionnel ». Or, faire de l’antiracisme un simple combat contre la « haine » en général, c’est occulter cette dimension sociale du racisme : c’est ainsi préférer s’attaquer aux préjugés moralement dérangeants que n’importe qui peut avoir à l’égard de n’importe quoi, plutôt qu’aux problèmes sociaux de « racisme institutionnel » dont les conséquences sont bien plus désastreuses, et que l’on peut difficilement contrecarrer avec des bisous et des arc-en-ciel7…
Encore une fois, je ne trouve pas très dérangeant que Yannick Noah chante un antiracisme aussi socialement dilué, ce n’est qu’une chanson de 2’30, ce n’est pas un manifeste politique très élaboré ni un livre de sociologie8. Ce qui est beaucoup plus dérangeant, c’est que la vision de l’antiracisme exposée dans son clip soit aussi hégémonique à l’heure actuelle.
L’antiracisme « respectable » est une conviction morale, rien de plus.
Une des autres dimensions du clip consiste dans l’idée suivante : l’antiracisme « respectable » (la bonne colère) ne met en place aucun moyen concret pour faire valoir les droits des personnes qu’elle défend. Cet antiracisme repose uniquement sur la conviction morale d’être du « bon côté », celui de l’amour et pas celui de la haine.
Les paroles du clip se suffisent à elles-mêmes :
« Ma colère n’est pas amnésique / ma colère n’est pas naïve (…) / Ma colère n’est pas stratégique / ma colère est sans défense / ma colère n’a pas de rhétorique / pour insulter l’intelligence / (…) Ma colère a tout l’honneur de combattre la leur ! »
La colère antiraciste, vue par Yannick Noah.
Cette dimension de l’antiracisme « respectable », sur laquelle je ne m’attarderai pas car elle est très bien mise en lumière dans les paroles de la chanson, découle directement de la dépolitisation du racisme. Si ce dernier n’est qu’un problème de manque d’amour, il suffira d’aimer autrui et tout ira bien. L’antiracisme n’est donc pas politique, autrement dit, il ne nécessite aucune mobilisation collective : c’est un problème individuel, qui nécessite uniquement un travail d’expansion d’amour dans sa propre tête, rien de plus concret.
- Il ne faut pas être « naïf » et « amnésique », dit la chanson : j’imagine qu’il est important de se souvenir des heures les plus sombres de notre histoire (heureusement révolues, ouf !) où le racisme existait encore afin de se rappeler à quel point la haine c’est mal, et afin de ne pas tomber dans les sophismes soutenus par certains partis d’extrême-droite qui risquerait de le faire resurgir.
- Il ne faut pas être « stratégique » ou « rhétorique » mais mettre un point d’ « honneur » moral à « combattre » la haine d’autrui véhiculée par le Front National. (Mais attention, un combat sans stratégie, sans rhétorique et sans défense… Ça risque de tourner court…)
Encore une fois, je pense que ce clip ne fait que mettre en lumière une idée partagée, et qui n’est pas du tout perçue comme absurde.
En effet, comme indiqué précédemment, l’antiracisme « respectable » est un antiracisme moral, qui se satisfait uniquement du fait de lutter contre des idées reçues dans sa tête. Pourquoi alors faire autre chose ? Je ne suis pas spécialiste des luttes des descendant-e-s d’immigré-e-s, mais je crois savoir que ces dernier-e-s ont régulièrement lutté pour leurs droits et pour mener leur combat de façon autonome. Il semblerait que pour l’instant, cela n’ait pas incroyablement réussi, notamment par récupération ou anéantissement des luttes en question par des organisations plus puissantes : je pense ici notamment à la Marche pour l’égalité et contre le racisme dont on a fêté fin 2013 le 30ème anniversaire et dont la portée politique a été considérablement diluée par SOS Racisme, ou encore aux luttes dans l’industrie automobile au début des années 1980 qui ont vu pas mal de syndicats tenter de les obstruer9. Je pense aussi au Parti des Indigènes de la République, qui s’efforce de construire une stratégie politique ayant pour but l’accès à l’égalité des droits pour les descendant-e-s d’immigré-e-s, et qui a fait l’objet de ripostes assez violentes lors de sa création en 2005 sur le thème suivant (je résume grossièrement) : « mais pourquoi tou-te-s ces arabes se réunissent entre elleux, enfin, illes ne voient pas que cela dessert leur cause de se présenter de façon aussi sectaire ? »…
Je pense que ces quelques problèmes qu’ont pu subir les tentatives d’auto-organisation des descendant-e-s d’immigré-e-s sont liés à la façon dont cet antiracisme « respectable » est conçu : vu qu’il ne s’agit que d’avoir la certitude individuelle que l’on est du bon côté, une lutte collective où des descendant-e-s d’immigré-e-s décideraient de se réunir pour lutter contre les oppressions dont illes sont victimes, ne peut être qu’un excès inutile que l’on pourrait légitimement taxer de « communautarisme »…
L’antiracisme respectable ne passe que par les voies autorisées par la sacro-sainte République Française.
C’est une des dimensions de l’antiracisme « respectable » que le clip met en lumière de la façon la plus limpide : la bonne colère ne trahit jamais la République, elle aime la France, et chante la Marseillaise. C’est le respect de cette condition indispensable qui, seule, peut garantir que cette colère ne soit pas un cri de haine.
Plusieurs petits indices subtilement disséminés dans le clip l’indiquent de façon extrêmement fine.
Alors, vous avez trouvé ??
En plus de son design tricolore poussé à la limite du burlesque, les paroles de la chanson vont dans le même sens :
Ma colère croit en la justice / ma colère n’est que citoyenne / (…) ma colère est pleine d’espoir ».
On voit passer dans le clip, au milieu de tous ces appels à une colère citoyenne et bleu-blanc-rouge les trois personnages suivants : une personne qui met son écharpe de maire, un cadre qui sort du travail et un ouvrier travaillant sur un chantier.
L’image de la maire apparaît par ailleurs à la seconde près où Yannick Noah indique que sa « colère n’est que citoyenne ».
Je ne crois pas me tromper en interprétant ces trois images de la façon suivante : nous, c’est-à-dire en particulier les descendant-e-s d’immigré-e-s, nous devons garder « espoir » (« ma colère est pleine d’espoir »).
Avoir une colère « pleine d’espoir » et « citoyenne »,
- c’est voter/se présenter aux élections pour participer à la bonne marche de la République,
- c’est savoir que dans notre société, on peut être noir-e et réussir socialement,
- c’est savoir que tout le monde a sa place dans la société, quelque soit son rôle : l’ouvrier aussi concourt à la grandeur de la France (un indice subliminal permet de s’en assurer. Allez, je vous aide : ça se situe à peu près au niveau de son casque…)
Bref, nous vivons dans un beau pays et être antiraciste, c’est lutter au nom des valeurs de notre belle République Française (cf l’image précédente de la personne en moto avec la devise « Liberté, Égalité, Fraternité » gravée sur le blouson).
18 Le résumé du clip en une image.
L’idée impliquée par cette colère tricolore, comme vous l’avez peut-être deviné, c’est que la République Française est quasiment une divinité, progressiste par essence, et dont le patrimoine génétique produit de l’antiracisme par kilotonnes. D’ailleurs, avant de prononcer les mots « discriminations », « stigmatisation » ou « inégalités » tout bon antiraciste a l’obligation de se prosterner devant la République et de lui témoigner son amour.
Comme je vous le disais dans l’introduction, j’adore ce clip car il est d’une limpidité absolue. En effet, l’idée du paragraphe précédent, Yannick Noah choisit de la mettre en scène littéralement dès le 1er couplet, par une révérence à la République Française.
19 « Ma colère aime la République »
Évidemment, affirme l’antiracisme « respectable », il existe des problèmes dans notre beau pays, qui sont liés au Front National. (« Ma colère n’est pas un Front / Elle n’est pas Nationale ! »10) Mais rassurez-vous, celui-ci, loin d’être républicain, n’est qu’un pastiche de République, une dérive, une protubérance infâme qui nie les valeurs intrinsèquement progressistes et égalitaires de notre belle France. Comme le dit Yannick Noah pendant sa révérence, « Ma colère aime la République / mais j’en combats toutes les dérives. »
Une telle profession de foi conduit, à mon avis, à trois conséquences problématiques.
1- En affirmant que la colère légitime est celle qui garde « espoir » dans la capacité d’ « intégration » sociale des descendant-e-s d’immigré-e-s (cf les 3 images analysées ci-dessus), l’antiracisme « respectable » défendu dans le clip délégitime la perte d’espoir, le sentiment d’être un-e citoyen-ne de seconde zone, et rejette du côté des colères absurdes – ou tout au moins mal formulées et regrettables- celles qui reposent sur le désespoir.
C’est un peu le credo défendu par SOS Racisme, et qui repose sur le thème du combat contre la « victimisation ». Je cite la profession de foi de SOS Racisme, disponible sur son site dans l’onglet « Nos valeurs, nos combats» :
« Défendre la République, c’est la faire considérer comme une source d’émancipation, c’est la rendre crédible en faisant que ses valeurs soient vécues par tous et partout dans le quotidien. (…) Pour cela, il est urgent de rompre avec le discours de victimisation dans lequel certains, qui y voient là un moyen d’apaiser leur conscience, souhaiteraient enfermer les jeunes générations. Notre rôle consiste non pas à considérer les gens comme des victimes mais comme des acteurs de la société qui ont le pouvoir de la faire évoluer. »11
Indépendamment du fait qu’il est probablement bien intentionné d’inviter les gens à prendre leur destin en main, on peut tout de même remarquer qu’il y a d’assez bonnes raisons d’être désespéré-e-s à l’heure actuelle en ce qui concerne l’égalité effective entre descendant-e-s direct-e-s d’immigré-e-s (disons, à peu près sur les 2 ou 3 générations précédentes) et les autres.
Pour ne garder que les éléments mis en valeur dans le clip (la « citoyenneté » et l’emploi), au niveau électoral par exemple, le tableau laisse encore considérablement à désirer.
D’après une enquête datant de 2008, réalisée par l’Institut National de la Statistique et des Études Économiques (INSEE) et l’Institut National d’Études Démographiques (INED) les immigré-e-s tout court constituaient à ce moment là 8,4% de la population française et les descendant-e-s d’immigré-e-s direct-e-s (un-e ou deux parent-e-s immigré-e-s) 11 % de la population française. Sur la base de cette enquête, cela porte donc à pratiquement 1/5ème de la population française le nombre de personnes issu-e-s de l’immigration en France (les résultats de cette enquête sont résumées clairement dans cet article).
Or, pour citer quelques exemples au hasard, une enquête réalisée par le Conseil Représentatif des Associations Noires de France (CRAN) à l’occasion des municipales12 laisse entrevoir à quel point la colère qui « n’est que citoyenne » aboutit pour l’instant à des résultats limités…
Ça vaut bien la peine d’avoir une colère qui « n’est que citoyenne », la démocratie dite « représentative » offre des résultats tellement probants…
C’est encore pire en ce qui concerne les député-e-s, l’Assemblée Nationale comptant actuellement 10 député-e-s élu-e-s issu-e-s de l’immigration sur 577, soit moins de 2 % de celle-ci13…
De plus, sur le plan de l’emploi, comme chacun sait, les discriminations à l’embauche ne sont pas encore tout à fait une histoire dépassée14…
Alors bien sûr, il est probablement mieux de voir le positif, et de ne pas ruminer toute la journée en se disant que l’on n’arrivera jamais à rien. Cela dit, tous ces appels à avoir plus d’ « espoir », ces critiques de la « victimisation » et autres injonctions à se remuer les fesses peuvent avoir pour effet d’occulter le contexte social qui provoque la perte d’espoir : en gros, elles peuvent contribuer à faire porter la responsabilité des échecs de « l’intégration » non pas sur la société qui a besoin d’être transformée mais sur la personne qui subit les oppressions et qui manquerait d’ambition, de courage, ou d’ « espoir ». Ce qui serait une conséquence très fâcheuse et assez peu antiraciste…
2- Adorer la République, et considérer que celle-ci est le fer de lance de l’égalité et du progressisme, c’est avoir une démarche idéaliste, consistant à séparer
- la République idéale, celle qui devrait exister, celle qui serait conforme à ses Valeurs sublimissimes, et sur laquelle on va exclusivement focaliser toute notre attention,
- et la vilaine République existante, concrète, celle que l’on va occulter, celle qui interdit à ses citoyen-n-es de manifester contre le massacre israëlien à Gaza pour des raisons fumeuses, ou encore celle qui considère les Rroms comme des indésirables à expulser hors du territoire (cf -entre autres!- les condamnations sévères du Comité européen des droits sociaux, ou encore de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme).
Alors évidemment, il n’est pas interdit d’être idéaliste (j’entends par ce terme le fait de séparer l’idéal de la réalité et de se focaliser sur l’idéal à atteindre -je n’emploie pas ce mot de façon péjorative). Je pense d’ailleurs que nous sommes tou-te-s forcément idéalistes sur un domaine donné, à un moment ou à un autre, en fonction des situations, des compromis que nous sommes amené-e-s à faire, et des choix que nous faisons. Cela étant, le fait d’idéaliser la République n’est pas un choix politique parmi d’autres : c’est une injonction systématique, c’est même quasiment la seule possibilité politique qui s’offre à nous, et c’est encore pire quand on est descendant-e d’immigré-e. Ça va même beaucoup plus loin si l’on est étranger. En effet, si l’on souhaite devenir français, l’idéalisation de la République n’est même pas une norme politique très pesante, c’est une partie obligatoire de la procédure de naturalisation : je dois manifester mon « adhésion aux principes et valeurs essentiels de la République française » sous peine de ne pas pouvoir devenir français, alors qu’il est par ailleurs très clair que la République française actuelle se serait lamentablement plantée à son propre test d’adhésion à la nationalité française et ne pourrait pas signer sa propre « Charte des droits et des devoirs »15.
3- Considérer le Front National comme une exception raciste dans un univers républicano-progressiste,
- c’est considérer le racisme comme une exception alors qu’il est la règle,
- c’est masquer la profondeur des convergences entre le Front National et les gouvernements qui se succèdent pour l’instant, de droite comme de gauche,
- c’est oublier que nous sommes médiatiquement assommé-e-s par les thèmes qui sont chers au Front National, sans que cela soit nécessairement le produit d’une opinion partisane : les contraintes auxquelles sont soumis les médias rendent simplement beaucoup plus simple et rentable le fait de pondre une énième enquête sur le thème « Jeunes des quartiers, violences, émeutes, grosses barbes, caves humides : l’enfer de Villedozier-les-coin-coin » (je pense ici à l’exemple édifiant du procès de France 2, traîné en justice pour un reportage stigmatisant réalisé par Envoyé Spécial. Pour citer juste un élément frappant révélé lors du procès : les conclusions du reportage -à charge- devaient impérativement être finalisées… avant que la moindre enquête n’ait été effectuée sur le terrain ! )
Quelques remarques pour finir.
Résumons donc les caractéristiques de cet antiracisme « respectable » mis en lumière par le clip Ma colère:
- il se définit par un élan d’amour et de tolérance pour accepter autrui. En effet, le racisme est synonyme de « haine » et de « préjugés », c’est donc cela qu’il faut combattre, en faisant un effort sur soi-même.
- il se caractérise par une conviction morale : être antiraciste, c’est ne pas oublier que la haine, c’est mal (« ma colère n’est pas amnésique »), et c’est ne pas croire aux stupidités de certains partis d’extrême-droite qui veulent me faire gober n’importe quoi (« ma colère n’est pas naïve », « ma colère fait la différence / entre une cause et ses effets »16). C’est donc un effort, certes, mais essentiellement un effort personnel de vigilance mentale contre les préjugés… What else ?
- il doit obligatoirement passer par une prosternation devant la République Éternelle et ses valeurs, symbolisées par sa devise exquise « Liberté, Égalité, Fraternité », par son doux hymne « La Marseillaise », et par son merveilleux drapeau tricolore.
Je ferai juste quelques petites remarques sur cette troisième caractéristique de l’antiracisme « respectable ».
→ L’idéalisation de la République Française et de ses Valeurs Mirifiques s’impose comme une façon à peu près incontournable de combattre le racisme dans le champ politique.
En gros, on a le nationalisme de la droite radicale qui défend de façon explicite une pureté du corps national, grâce à une sélection scrupuleuse des membres qui auraient le droit d’en faire partie17.
Et face à ce nationalisme de droite, différentes réponses sont proposées, qui comportent beaucoup de similitudes entre elles au niveau de l’attitude adoptée face à notre Grande et Belle France.
- Un nationalisme de gauche, porté récemment de façon exemplaire par le co-président du Parti de Gauche, Jean-Luc Mélenchon, qui défend et glorifie l’ADN intrinsèquement progressiste de « notre beau pays »… Une telle position morale vis-à-vis des Valeurs de la République a une conséquence gênante en termes d’aveuglement politique : chaque résultat positif du Front National entraîne logiquement notre républicain convaincu au bord de la crise cardiaque, lui qui ne peut concevoir que dans la sublime Patrie des droits de l’Homme, des gens manquent autant d’ouverture à l’autre… Cette idéalisation de la République, propre à l’antiracisme « respectable », l’empêche ainsi probablement de cerner toutes les causes sociales d’un phénomène qui lui échappe, ainsi que sa propre contribution à celui-ci…
- Une glorification récurrente de la République et de ses valeurs chez les descendant-e-s d’immigré-e-s. Entendons-nous bien : je n’accuse évidemment pas Yannick Noah, les immigré-e-s ou leurs descendant-e-s de s’incliner devant la République avant de revendiquer quoi que ce soit. En effet, si nous sommes contraints de passer par une courbette républicaine avant d’ouvrir la bouche sur n’importe quel sujet, c’est parce que nous serions beaucoup moins entendu-e-s autrement, taxé-e-s de « communautaristes » (est « communautariste » tout groupe d’individus qui n’adhère pas aux valeurs de la communauté dominante…), en bref, suspecté-e-s de ne pas aimer la France dès lors que nous disons quelque chose d’un tant soit peu radical, désamour qui serait perçu comme criminel18.
Pour prendre un exemple simple, si l’on est musulman-e et que l’on est pour cette raison traité comme un sous-citoyen, il est pourtant difficile de dire les choses comme on les ressent et de lutter directement pour ce qui nous paraît essentiel, à savoir la volonté de croire en notre Dieu et de vivre en tant que fidèle de l’Islam. Il semble plus acceptable (et plus policé) de chercher à montrer aux personnes qui ont le pouvoir que les musulman-e-s contribuent aussi à la grandeur de la Nation Française comme le clamait le CCIF [Collectif Contre l'Islamophobie en France] dans sa campagne « Nous aussi, nous sommes la Nation ». Ou encore, il est préférable de montrer qu’il est dans l’intérêt des Français-e-s Républicain-es non musulman-e-s de laisser tranquille tou-te-s ces croyant-e-s afin qu’illes soient mieux intégré-e-s et qu’illes puissent assimiler plus sereinement nos belles valeurs Républicaines. Ou sinon, il est aussi possible de montrer que la plupart des musulman-e-s ne sont pas du tout « ostentatoires » mais ont le bon goût de rester invisibles la plupart du temps, contrairement à quelques excité-e-s qui n’ont pas honte d’être musulman-e-s et de faire de la politique (mais rassurez-vous : ce sont des exceptions)19.
- Quant à une personne très populaire en ce moment qui prétend incarner un sursaut de dignité des descendant-e-s d’immigré-e-s (je pense ici à Dieudonné M’Bala M’Bala), celui-ci se vautre dans une adoration nationaliste quasi-mystique.
Si je suis en désaccord profond et radical avec lui sur le plan politique [j'explique de façon précise mes désaccords avec Dieudonné dans la note de bas de page suivante20, pour ne pas alourdir l'article lui-même], il me paraît indéniable qu’il symbolise, en particulier pour un certain nombre de descendant-e-s d’immigré-e-s qui constituent son public, une façon revigorante de casser les pieds au pouvoir en place. Je ne pense pas que le contenu de son propos ou la façon dont il mène son combat soit spécialement bénéfique pour les descendant-e-s d’immigré-e-s, mais je suis convaincu qu’il symbolise, pour une partie de ce public, un élan de révolte légitime qui leur donne du baume au cœur. Pour tout dire, je pense que son succès serait totalement incompréhensible si l’on n’admettait pas qu’il est aussi perçu comme un descendant d’immigré qui ne se laisse pas faire. D’ailleurs, lui-même le sait, et en joue de façon explicite21.
Eh bien, que fait notre antisystème en chef qui se fait une gloire de s’opposer au pouvoir en place et prétend résister à ceux qu’il appelle les « maîtres esclavagistes » qui nous gouvernent et nous infériorisent ? Il glorifie la Marseillaise et est ému par les élans de patriotisme de ses fans envers notre beau pays22, appelle à l’amour et aux embrassades avec ceux qui ne rêvent que de nous faire la peau23, et se rêve lui-même en nouveau héros des Valeurs de la République Tricolore… Ainsi, par son nationalisme éclatant, Dieudonné qui a probablement gagné une grande partie de sa popularité parce qu’il mettait en lumière la mémoire sélective de la République Française et ses Valeurs à géométrie variable (comme dans le sketch suivant datant de 2004 où il évoque notamment l’affaire de la « grotte d’Ouvéa »24) commet maintenant l’exploit de laver cette chère Patrie de ses atrocités coloniales… La République Française, dont le drapeau tricolore trône derrière lui dans toutes ses vidéos, n’est même pas perçue de façon idéaliste au sens où on ferait arbitrairement le tri entre ce qui serait « bon à prendre » et ce qui relèverait des « accidents » : elle devient tout simplement Immaculée. Tout va bien, circulez, égalité et réconciliation entre les bourreaux qui n’en sont pas et les victimes qui n’existent pas25.
→ Mais peut-être faudrait-il convenir enfin (et je terminerai sur cette suggestion) que la République nous méprise, nous les descendant-e-s d’immigré-e-s, et qu’on a par conséquent tout à fait le droit de la mépriser aussi.
- C’est la République qui attaque les musulman-e-s et les rroms (pour ne parler que d’elleux, vu qu’illes semblent un peu plus sous le feu politique en ce moment) et rend partiellement légitimes leurs agressions : on peut en effet soutenir que ces dernières ne sont que le prolongement physique des mauvais traitements qui s’abattent déjà sur elleux au niveau institutionnel26.
- C’est la République qui hiérarchise les différentes communautés en son sein27, en distinguant comme des citoyen-n-e-s « à l’avant-garde de la République » celleux qu’elle exterminait sans le moindre scrupule hier (et qu’elle écraserait sans scrupule demain si ses intérêts stratégiques du moment la poussait à le faire à nouveau), et en interdisant aux autres d’exprimer leurs positions politiques en toute liberté, probablement parce qu’illes ne sont que « l’arrière-garde » sans valeur.
Je pense ici notamment à l’intervention de Manuel Valls au Trocadéro le 19 mars 2014. Dans cette vidéo, le Ministre de l’Intérieur de la France, qui deviendra 12 jours plus tard le Premier Ministre de la République Française affirme très explicitement deux choses : 1] La mise en cause de la politique coloniale d’Israël « État ami, État frère », « c’est l’antisémitisme d’aujourd’hui » (de 2 min 22 à 4 min 25), 2] « Les juifs de France sont plus que jamais les Français à l’avant-garde de la République et de nos valeurs ! » (de 5 min 45 à la fin). Ainsi, il y a très officiellement et de façon très Républicaine, des communautés d’ « avant-garde » qui sont (pour l’instant et aujourd’hui!) considérées comme acceptables et, par déduction, des communautés d’ « arrière-garde » dont on sait bien qu’elles n’ont « pas vocation à s’intégrer »….
- C’est la République qui tente de faire croire que les problèmes qu’elle provoque elle-même en ne remédiant pas aux inégalités criantes entre les différentes fractions de sa population pourront être résolus au moyen d’un préchi-prêcha patriotique « moralement laïque » distribué par l’Éducation Nationale dès le biberon et à haute dose28.
- C’est la République qui marginalise les langues régionales et les créoles, en affirmant que son Unité Indivisible repose sur la domination écrasante et exclusive de la langue française académique, et qu’il est inconcevable de promouvoir celle-ci en même temps que d’autres langues non valorisées (c’est-à-dire, en particulier, non-européennes)29.
- C’est la République qui fut heureuse et fière d’être une grande puissance coloniale30, au point par exemple de massacrer des milliers d’Algériens le jour de son retour triomphal parmi le cercle des vainqueurs, le 8 mai 194531.
Alors d’après moi, un des grands mérites de cette chanson, avec toutes ses paroles sympathiques, toute son imagerie tricolore, tous ses appels à l’effort moral, toutes ses invitations à la modération républicaine, c’est qu’elle permet indirectement de se poser franchement les questions suivantes :
Pourquoi serions-nous obligé-e-s de crier notre « colère » emmitouflé-e-s dans des drapeaux français ?
Pourquoi devrions-nous avoir une « colère » qui « n’est que citoyenne » et se prosterne à plat ventre devant la République ?
Pourquoi devrions-nous avoir une « colère » gentille, douce, et « sans défense » face à un État qui mériterait légitimement de grosses baffes sur bien des aspects ?
Pourquoi, sous prétexte que la République est libératrice parfois, devrions-nous croire et affirmer qu’elle n’est jamais oppressante et aliénante (alors qu’elle l’est souvent, et souvent de façon simultanée) ?
Pourquoi nous faudrait-il croire qu’être antiraciste revient à défendre les Valeurs de la France, et à attendre l’âme « pleine d’espoir » que celle-ci nous apporte l’amour et la reconnaissance ?
Au fond, quitte à être en « colère », pourquoi ne prendrions-nous pas frontalement la liberté de dire merde à la République Française ?
Thomas J
L'article complet avec clip et photos :
http://www.lecinemaestpolitique.fr/ma-colere-yannick-noah-2014-misere-de-lantiracisme/
MO2014- Messages : 1287
Date d'inscription : 02/09/2014
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