Forum des marxistes révolutionnaires
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Union Communiste

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Pedrolito
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alexi
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Message  alexi Lun 4 Aoû - 21:48

Allocution écrite d'Irène/Louise le 16 janvier 2000 pour ses 80 ans :


Je ne suis pas une vedette, seulement une militante âgée qui a traversé presque le vingtième
siècle, le siècle de Verdun et d’Auschwitz, de la révolution d’octobre et du stalinisme.
J’ai vu le jour un an après la première guerre mondiale. Mon père avait encore dans les yeux
et dans la tête la vision des horreurs qu’il avait vécues comme simple soldat sur le front et
dans les tranchées de l’armée autrichienne. Je n’ai bien sûr pas eu conscience des
bouleversements qui se déroulaient en Europe dans les années 20 : le grand courant de
sympathie à l’égard de la révolution russe, mais aussi la défaite des soulèvements ouvriers à
Berlin, en Bavière, en Finlande, la victoire du fascisme en Italie et son irrésistible montée en
Allemagne.
Les conditions dans lesquelles j’ai vécu en Roumanie mon enfance, m’ont amené à
développer un sentiment fort de révolte contre l’injustice et une passion pour la lecture. Cette
révolte m’a conduit non pas à la charité pour les pauvres mais à la lutte de classes, grâce à la
lecture des romans sociaux de l’époque et à l’étude de la théorie marxiste. Tout un chacun
peut lire le « manifeste communiste », les deux brochures « Travail salarié et capital »,
« Salaire, prix, profit », « Ludwig Feuerbach », « l’origine de la famille, de la propriété et de
l’Etat ».
Un esprit critique m’a permis très tôt de rejeter la religion. Car comme l’a si bien dit Diderot :
« si la raison est un don du ciel et que l’on puisse dire autant de la foi, le ciel nous a fait deux
présents incompatibles et contradictoires ». L’homme a-t-il été créé par dieu à son image, ou
l’homo sapiens-sapiens est-il le résultat d’une chaîne de l’évolution ?
Quant à la spiritualité, je la situe bien plus que dans la croyance à des chimères, l’opium du
peuple.
La réflexion critique m’a conduit aussi à dénoncer en août 1936, envers et contre tous, les
procès de Moscou et à rejeter le stalinisme ; puis de décider en septembre, de concert avec
trois militants trotskistes un peu plus âgés, de rejoindre le front de la révolution espagnole.
Pour comprendre notre engagement, la signification de la révolution espagnole et les causes
de sa défaite, il faut voir le film de Ken Loach « Land and Freedom » et lire le livre de George
Orwell « Hommage à la catalogne ». Notre route passait obligatoirement par Paris, où
l’organisation devait nous donner les moyens de poursuivre. Or c’est justement la section
française qui avait le plus besoin du renfort de ses militants. « La révolution française a
commencé », écrivait Trotski en juin 36. « Le destin de la classe européenne pour les
décennies à venir est en train de se décider en France… il nous faut soutenir de toutes nos
forces la section française ». Nous fûmes donc retenus à Paris. Barta, âgé de 22 ans était déjà
connu dans la section française depuis 1933 pour avoir participé à plusieurs occasions à son
action. Les trois années de cette brève période furent pour moi les années de mon université,
dans le sens que lui donnait Gorki. La politique du front populaire (le compromis avec la
bourgeoisie) menée par le PC et la SFIO a conduit à l’effondrement d’un des plus puissants
mouvements ouvriers ; mais j’ai appris sur le vif ce qu’était et ce que signifiait Juin 36 : la
force, l’espoir, la fraternité.
En septembre 1939 la France et l’Angleterre déclarent la guerre à Hitler parce qu’il occupait
Danzig en Pologne, alors que dans les années précédentes il avait déjà occupé avec leur
bénédiction - les accords de Munich – l’Autriche et la Tchécoslovaquie. Le pacte de non
agression entre Hitler et Staline fut le prétexte (pour le même gouvernement Daladier qui
avait signé les accords de Munich) de la dissolution du PC et dans la foulée celle des petites
organisations d’extrême gauche. C’est là que se situe en janvier 40 l’épisode de notre
arrestation, trois filles des JSOP parmi de milliers de militants ou supposés tels. La petite
roquette était une prison préventive pour femmes qui n’existe plus, pas plus que celle de Saint
Lazare où fut incarcéré notre illustre Louise Michel. Mais notre séjour de quelques mois
n’avait rien d’insupportables et grâce à l’existence d’une bibliothèque nous deux (fanny et
moi) avons lu, pour notre plus grand bien, les oeuvres complètes de Balzac. L’offensive
allemande entraina ce qu’on a appelé l’exode, c'est-à-dire la fuite des populations devant
l’avance des chars. C’est pendant cet exode que Barta et moi apprîmes en province par
entrefilet dans un journal, l’assassinat de Trotski, le 20 août 1940, par un agent de Moscou,
Ramon Mercader. Nous avions pour le vieux non seulement le respect pour le penseur et le
dirigeant, celui de la révolution russe et celui de l’opposition au stalinisme, mais aussi un
attachement affectif pour cette personnalité hors du commun. Le coup fut dur, car nous
devions poursuivre sans lui, mais soutenus par l’immense capital idéologique et politique
qu’il nous laissait en héritage.
Pendant la guerre, c'est-à-dire l’occupation de la France par l’armée allemande, nous vivions
et militions dans la clandestinité. Nous n’avons pas eu de camarades déportés, grâce en
grande partie aux mesures très strictes que nous observions dans notre activité. Mais après la
déroute d’Hitler en Russie et au moment de la « libération » en France, notre meilleur
camarade, Pamp (Mathieu Bucholz) un jeune de 22 ans, fut assassiné par les staliniens. Un
assassinat qui s’ajoutait à la longue liste de leurs crimes contre les révolutionnaires. C’est au
moment où nous recevions ce coup terrible, que les évènements exigeaient de nous - l’UC – le
plus d’énergie, de détermination et d’engagement. Cette période de trois ans de grande tension
culmina avec la grève d’avril-mai 1947 chez Renault. Un combat de David contre Goliath,
mené, avec l’appui des ouvriers, par une vingtaine de militants garçons et filles, alors que les
staliniens, qui dominaient la puissante CGT de l’époque et menaient la politique de
collaboration de classes (« produire d’abord revendiquer ensuite »), nous estimaient à « 250
énervés » selon leur expression. Pour connaitre cette époque héroïque et sa fin, on dispose de
trois volumes* publiés à la brèche, où sont reproduits les articles de nos journaux « la lutte de
classes » et « la voix des travailleurs », ainsi que bien d’autres documents. On doit ce travail à
notre camarade Richard, effort auquel il m’a heureusement associée. Avec ma qualification de
dactylo j’ai pu taper tous ses textes d’après les documents originaux. Mais alors que dans les
années 40 je tapais des stencils sur une machine classique, cette fois c’était sur un ordinateur.
J’ai vécu un grand moment avec la révolte de la jeunesse des années 60. C’est une belle
histoire, que notre brochure « mai 68 une histoire gaie » raconte brièvement à Paris ; mais
c’est dans le monde entier que les jeunes se sont fait entendre, à commencer par les Etats
Unis. La révolte de la jeunesse américaine est née de son refus de la guerre dévastatrice au
Vietnam. La France colonialiste avait déjà fait la guerre pendant huit ans dans ce qu’on
appelait encore l’Indochine et quand celle-ci s’acheva en 1954 sur la défaite de Dien-Bien-
Phu, elle s’embourba dans la guerre d’Algérie jusqu’en 1962. C’est la même année que
l’Amérique attaqua le Vietnam, dévasta le pays puis connut la défaite.
Ce serait trop long de reconstituer l’histoire de ce demi-siècle, où je n’ai pas eu une activité
militante suivie. Je suis restée constamment les yeux ouverts sur les évènements et il m’est
arrivé de donner un coup de main quand l’occasion se présentait et que je pouvais la saisir.
C’est aussi le cas avec « cinquième zone* ».
Mon plus ardent désir est que la jeunesse s’implique dans la lutte sociale. Je conseille aux
jeunes, aussi bien à ceux qui n’ont pas beaucoup de temps parce qu’ils font des études, qu’à
ceux à qui la lecture parait difficile, de faire un effort pour apprendre l’histoire des
générations qui ont lutté pour un monde égalitaire et de prendre le relais. Pour comprendre
l’évènement majeur qu’a été dans ce siècle la décomposition et la chute du régime stalinien il
faut lire absolument « la révolution trahie » de Trotski, et j’espère que parmi les nombreux
romans remarquables des dissidents, tout le monde a au moins lu le livre de Vassili
Grossman « Vie et destin ». Un des plus beaux livres que l’on puisse aussi lire est « Ma Vie »
de Trotski écrit en 1929. Dans le testament qu’il rédigea en 1940 six mois avant sa mort
figure sa profession de foi : « Je mourrai révolutionnaire prolétarien, marxiste, matérialiste
dialectique, et par conséquent athée intraitable. Ma foi dans l’avenir communiste de
l’humanité n’est pas moins ardente, bien au contraire, elle est plus forte qu’au temps de ma
jeunesse».
Dans cette lignée, je me dois d’évoquer quelques noms qui ont marqué ma vie. Je n’ai pas
connu Rosa Luxembourg que l’on me donnait en exemple, puisqu’elle a été assassinée un an
avant ma naissance. Je n’ai pas connu Trotski, puisqu’il était déjà expulsé de France quand j’y
suis arrivée. Mais j’ai connu dans l’organisation trotskiste, le POI, maintes personnes qui ne
sont plus de ce monde. Pierre Naville était un grand intellectuel et en même temps un militant
de la première heure d’une absolue fidélité. Daniel Guérin, qui n’adhérait pas entièrement au
trotskisme, nous a laissé des livres importants, notamment sur le fascisme en Allemagne et
une histoire de la révolution française. J’ai milité plus de 10 ans au coté de Barta qui a marqué
une page dans l’histoire du trotskisme. Et dans notre organisation dont il fut le fondateur, j’ai
connu une grande solidarité entre militants et militantes courageux et avides de connaissances.
Parmi ces militants je veux rendre hommage à mon compagnon Gustave aujourd’hui disparu,
qui était un militant révolutionnaire dans la meilleure tradition socialiste. Fils d’une famille
ouvrière communiste, ouvrier lui-même, il avait le niveau de connaissances d’un vrai
intellectuel passionné d’études et de lecture mais aussi de musique, gardant toujours sa liberté
de pensée, militant dés l’âge de 18 ans jusqu’à sa mort. Puisse t-il servir d’exemple.
Pour finir, j’aimerai que les jeunes se rappellent la chanson de John Lennon « imagine » :
imaginez un monde de fraternité sans haine et sans misère. Car comme l’a écrit Oscar Wilde
dans un essai et bien d’autres avant et après lui, le progrès est la réalisation des utopies.
*Les textes de Barta et de L’UC : http://unioncommuniste.free.fr/
*Cinquième zone est un petit journal adressé à la jeunesse auquel mémé participait.
http://www.cinquieme-zone.org/


Dernière édition par alexi le Lun 4 Aoû - 23:08, édité 1 fois

alexi

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Message  alexi Lun 4 Aoû - 21:54

Biographie de Barta :

Né à Buhusi en Roumanie dans une famille de petits commerçants juifs, David Korner [19
octobre 1914-6 septembre 1976], le futur Barta (Albert ou A. Mathieu), suit le parcours de
ceux des intellectuels de cette génération qui, à peine sortis de l’adolescence, se consacrent à
la lutte révolutionnaire.
"Création du Traité de Versailles", dominée par le capital français, la Roumanie semi-féodale,
semi-coloniale de l’entre deux guerres vivait la répression policière, l’antisémitisme, la misère
et l’analphabétisme, la chasse aux communistes. Le "cordon sanitaire" l’isolait à l’est de
l’URSS, mais les idées d’Octobre exerçaient une forte attraction sur l’élite intellectuelle et sur
une petite minorité du prolétariat" .
En 1931-1932, vers la fin de ses études secondaires, le jeune David Korner commence à
militer avec le Parti communiste roumain, à Bucarest.
Même s’il ne vit en Roumanie que jusqu’en 1936 -Barta a alors 22 ans-, ses origines et les
conditions dans lesquelles il a commencé à militer ont eu, de son propre aveu, une influence
sur sa formation et sur ses conceptions ultérieures : "Je suis le produit de deux pays. J’ai eu
cet avantage énorme d’être né dans un pays où des révolutionnaires peuvent exister
psychologiquement. Une société qui était précapitaliste à l’époque. Il y avait des rapports
humains qui seuls peuvent donner à quelqu’un la détermination, une haine véritable des
possédants".
En outre, l’intransigeante fidélité à l’internationalisme qui marque son action s’enracine peutêtre
dans le souvenir des ravages que le racisme, le nationalisme et les micro-nationalismes
occasionnaient dans son pays natal.
Enfin, le fait d’être "le produit de deux pays", la Roumanie et la France -dont l’un vassalisait
l’autre- a peut-être contribué à lui rendre plus naturelle la perception de la dimension
internationale des événements.
Barta fait son premier séjour à Paris en novembre 1933, sous le prétexte de s’inscrire à
l’université et c’est là, selon toute vraisemblance, qu’il devient trotskyste.
Pendant trois ans, de novembre 1933 à octobre 1936, date de son établissement définitif en
France, son temps et son activité se partagent entre Bucarest et Paris. On ne connaît guère de
son activité roumaine que ce qu’il en dit dans un rapport intitulé "Comment s’est formé le
groupe B.L. de Roumanie" publié à Paris dans le Bulletin intérieur de la Ligue des
Communistes Internationalistes de novembre 1935 et dans deux lettres qu’il adresse à Trotsky
en 1936.
"Les conditions dans lesquelles doit militer notre groupe sont très dures : aux persécutions
policières il faut ajouter celles des sociaux-démocrates et des stalinistes" écrit-il en 1935. Il
précise à l’adresse de Trotsky en janvier 1936 : "Si du point de vue conspiratif nous avons une
éducation parfaite, (vous l’avez vu d’après nos publications), au point de vue politique, nous
avons besoin de votre aide soutenue. Sans elle, notre chemin sera extrêmement difficile, nous
sommes tous des jeunes".
Elargissement de l’audience du groupe, recrutement et éducation de militants, traduction et
diffusion de brochures paraissent avoir été l’essentiel de l’activité des B.L. roumains. On ne
peut cependant pas ne pas être frappé au travers de ce que mentionne Barta, à la fois de son
attention à l’éducation politique et de son souci des "liaisons avec des couches ouvrières"
Affirmées à l’aube de son action politique, ces préoccupations imprègnent toute sa vie
politique.
A Paris, Barta mène l’existence des militants révolutionnaires. Il participe aux journées de
février 1934, vit la montée ouvrière qui les suit. Ces événements le marquent profondément
ainsi qu’il l’écrit en 1976 (parlant de lui à la troisième personne, en réponse à une question
qui appelait cette forme). Si Barta "s’est formé quant aux méthodes d’organisation, en
Roumanie dans la clandestinité (1932-33), politiquement il a eu la plus grande école possible
pendant une longue période avant la guerre : la lutte des travailleurs en France, anti-fasciste
donc politique d’abord, en 1934 et 35, économique ensuite, de 1935 à 1939 (naturellement ces
deux aspects s’entremêlent !). Il a participé directement à la lutte anti-fasciste non seulement
au quartier Latin, mais aussi dans les meetings des quartiers populaires (13°, 14° et 15°
arrondissements) où il lui est même arrivé de prendre la parole à côté de militants
communistes et socialistes sans parler de sa participation aux immenses manifestations de
masses !" .
En mai 1936, Barta est en Roumanie. Les nouvelles l’y atteignent. D’abord celles de la grève
générale de juin 1936 en France. Puis, surtout, l’écho de la riposte révolutionnaire de la classe
ouvrière espagnole à la tentative de coup d’Etat de Franco en juillet 1936. "On sentait l’air
vibrer jusqu’à Bucarest" dit Louise. La décision de rejoindre la révolution espagnole est prise.
Au nombre des trotskystes sur le départ figure Louise, 16 ans. Née en 1920, fille d’un militant
socialiste juif autrichien, elle a suivi le même parcours que Barta. Proche du PC roumain, elle
rompt en août 1936, révoltée par les premiers procès de Moscou. Présentée à un militant
trotskyste par une camarade de classe, elle décide aussitôt de les accompagner en Espagne.
Sous le nom d’Irène, elle sera de toute l’aventure de l’Union communiste. "Sans elle notre
organisation n’aurait pas existé" dit Barta.
Pourtant, en octobre 1936, date à laquelle les quatre jeunes trotskystes roumains (Barta,
Louise, Marcoux et sa compagne) arrivent à Paris, Trotsky fonde des espoirs sur l’évolution
de la situation en France où le mouvement trotskyste à une force relative. Les Roumains y
demeurent, militant au POI, la tendance restée fidèle à Léon Trotsky après la scission
provoquée par Raymond Molinier et Pierre Frank qui créent le PCI.
Malgré l’envergure de nombre de ses militants (Pierre Naville, Jean Rous, Marcel Hic, Yvan
Craipeau, David Rousset), le POI souffre de ce que Trotsky appelle le "mal français", son
incapacité à mener une activité organisée et suivie. Barta et Louise le ressentent.
"Autant le mouvement ouvrier français, de 1934 à 1938 m’a impressionné profondément, j’ai
vu ce que ça pouvait être une révolution, autant les militants qui se réclamaient du trotskysme
m’ont paru quelque chose d’absolument bizarre. Cela aboutissait à ceci, que normalement une
organisation ça veut dire qu’on est dix, et ça donne cent, mille. Comme résultat ça multiplie
les forces. Mais ici, c’était exactement l’inverse" déplore Barta.
Outre leur participation aux activités du POI, Barta et Louise passent des heures en
bibliothèque. "Il y avait aussi la nourriture quotidienne, riche et irremplaçable, des écrits du
Vieux, l’apprentissage théorique et politique, les heures consacrées à l’étude" se souvient-elle.
Malgré les conseils et les exhortations répétés de Trotsky l’organisation française ne parvient
ni à s’implanter parmi les travailleurs, ni à corriger son mode de fonctionnement, ni à
surmonter ses divisions. Elle demeure marginale alors que la guerre approche.
Une dernière occasion de gagner de l’influence parait s’offrir avec la création du PSOP, après
que la SFIO, préparant l’Union sacrée dans ses rangs, ait, en 1938, exclu Marceau Pivert et
ses camarades de la Gauche révolutionnaire. Trotsky encourage ses partisans en France à
rejoindre le nouveau parti qui compte plusieurs milliers de membres et au sein duquel la
tendance de Daniel Guérin défend des positions internationalistes. Ils ne le font qu’avec des
mois de retard et en ordre dispersé.
Barta, associé à la direction de la fraction trotskyste du PSOP collabore à sa revue La Voie de
Lénine.
Mais, sans laisser le temps à l’activité des militants trotskystes de produire ses fruits si tant est
que la possibilité en ait existé, les événements se précipitent.
Le Pacte germano-soviétique est signé le 23 août, la presse communiste interdite le 26. La
Pologne est attaquée le 1er septembre et la guerre déclarée le 3 septembre.
Les diverses tendances trotskystes, sans parler du PSOP, ne résistent pas au choc politique et à
la répression policière puis à la mobilisation qui suivent la déclaration de guerre. Les groupes
sont dispersés. Le 1er septembre 1939, à la suite d’un incident (dont Barta lui-même dit qu’il
"n’était pas du tout politique" ) lors d’une réunion de leur Comité central, il coupe les ponts
avec les Comités pour la IVe internationale (la fraction internationaliste du PSOP), dont les
moeurs illustrent à ses yeux le manque de sérieux. La dispersion générale du mouvement
trotskyste fait que la question de recontacter tel ou tel débris de l’organisation ne se pose
même pas.
Coupés des trotskystes "officiels", Barta et Louise entreprennent, grâce aux liens que cette
dernière a conservé avec des jeunes JSOP, la publication d’un petit journal internationaliste
intitulél’Ouvrier, organe "de lutte contre le daladiérisme, la guerre et le rôle des socialdémocrates
dans la destruction des syndicats" selon les termes d’une lettre de Barta à Natalia
Sedova en 1947. Trois numéros paraissent fin 1939 et début 1940. Si la diffusion de cette
feuille est faible, elle permet à Barta une expression publique de ses conceptions politiques
dont il est intéressant de remarquer la concordance avec celles de Trotsky à la même époque
(alors que, depuis le début de la guerre, ses écrits ne sont pas connus en France).
Cette publication est interrompue par l’arrestation de Louise sur qui reposait l’essentiel de la
diffusion du journal. Elle est emprisonnée trois mois à la Petite Roquette, en compagnie de
Fanny, la future Lucienne de l’Union communiste. Toutes deux sont libérées à la veille de la
débâcle. La déroute de l’armée française de juin 1940 et l’exode ayant jeté sur les routes des
millions de gens, Barta et Louise n’ont plus rien à faire dans une ville déserte. Ils traversent
tout le pays, puis, l’armistice signé, ils remontent en passant par l’Isère où un cousin de Barta
est médecin. Ils y retrouvent un ancien JC écoeuré par le nationalisme du PC, Jacques
Ramboz, (le futur responsable légal de toutes les publications de l’UC), qu’ils avaient connu
dans les Auberges de jeunesse avant la guerre. Tous trois décident de rentrer à Paris où ils
sont de retour en octobre 1940.
Barta découvre les positions des trotskystes "officiels" vis-à-vis de la guerre. Pour les Comités
pour la IVe Internationale, issus du POI, l’occupation militaire du pays place la France dans
une situation d’oppression nationale comparable à celle des pays coloniaux et ouvre la
possibilité d’alliance entre la classe ouvrière et les fractions de la bourgeoisie "pensant
français". Pour d’autres, proches de l’ancien PCI moliniériste, Hitler sera peut-être
l’unificateur de l’Europe. Face à ces positions, qui constituent des reniements de
l’internationalisme et la négation des perspectives révolutionnaires, Barta entreprend la
rédaction d’une brochure "La Lutte contre la deuxième Guerre impérialiste mondiale" ,
réaffirmant les positions trotskystes face à la guerre.
Même si Barta ne le sait pas encore, ce texte constitue, en même temps que le seul manifeste
authentiquement internationaliste de l’époque, le véritable acte de fondation de sa tendance.
Ajoutons, mais ce n’est peut-être qu’un sous-produit de sa fidélité aux analyses de Trotsky,
qu’il y prédit le retournement de Hitler contre Staline et la défaite de l’Allemagne.
Le groupe comprend alors quatre militants, Barta et Louise ainsi que Jacques Ramboz et
Lucienne, que Louise a retrouvée au début de l’Occupation.
Début 1941 Jacques Ramboz gagne l’un de ses anciens condisciples du lycée Michelet,
Mathieu Bucholz. Il a 19 ans. La recrue s’avère de premier ordre. Pamp -son pseudonymechoisit
rapidement la vie de militant révolutionnaire professionnel et devient la cheville
ouvrière du groupe. Il est le "contact" du Groupe communiste, comme il s’intitulera en 1942,
avec la "résistance", contact vital pour des clandestins.
Pendant toute la guerre, il pourvoit ses camarades des faux papiers indispensables, de cartes
d’étudiants pour permettre aux plus jeunes d’échapper au STO, de cartes d’alimentation, de
tickets de rationnement. Bref, c’est dans une grande mesure à lui que le groupe doit sa survie
physique.
D’autre part, Pamp amène quelques renforts. Celui de son frère cadet Michel, puis celui de
Pierre et de Jean Bois, ses anciens camarades d’école, ex-Jeunes Communistes.
Décrivant la politique de recrutement du groupe, Jacques Ramboz écrit : "L’isolement fait que
les premiers contacts établis sont ceux d’anciens amis ou connaissances de jeunesse qui sont
soigneusement observés, sondés, et ne sont "acceptés" que lorsque leur sérieux, leur capacité
de travail et le choix qu’ils font de consacrer leur vie à la révolution semblent assurés. Alors
commence pour eux l’étude du marxisme et des écrits de Trotsky. Cette étude se mène sous le
contrôle du noyau primitif, qui contrôle également les fréquentations et "contacts" de la
nouvelle recrue, avec laquelle il définit la stratégie à appliquer pour faire pénétrer en milieu
communiste le besoin de réflexion et y faire assimiler ce qui alors lui paraît essentiel : la
permanence de la lutte des classes, l’internationalisme et la nécessité d’une activité ouvrière
autonome".
L’étude a une part prépondérante dans les activités du Groupe communiste. A la Bibliothèque
nationale, que la sympathie d’employés du bureau des cartes leur permet de fréquenter, les
ouvrages marxistes interdits ailleurs sont encore consultables. Barta et ses jeunes camarades y
sont assidus.
La guerre continue. Début 1941, l’Allemagne hitlérienne est au zénith, dominant
pratiquement toute l’Europe. Pourtant, son incapacité à débarquer en Grande-Bretagne et son
échec à la briser par les bombardements aériens condamnent Hitler à se retourner contre
l’URSS, comme l’avait annoncé Barta en novembre 1940 : "Tout revers, ou même le
piétinement sur place, menace de faire exploser leur machine de guerre : ils [Hitler et
Mussolini] sont contraints à l’offensive permanente ; ils doivent briser coûte que coûte leur
encerclement européen. Cette situation stratégique poussa autrefois Napoléon à sa campagne
de Russie !" .
Le 22 juin 1941, Hitler attaque son allié de la veille, l’URSS stalinienne. La guerre bascule.
Le PCF se débarrasse du langage pseudo-internationaliste qui avait été le sien depuis le pacte
germano-soviétique et renoue ouvertement avec le chauvinisme.
Misant tout à la fois sur les insurrections prolétariennes dans les pays impérialistes qui dans
l’esprit des révolutionnaires de l’époque ne pouvaient manquer de naître du second conflit
mondial comme elles l’avaient fait du premier (1917 en Russie, 1918 en Allemagne mais
aussi en Hongrie, en Finlande puis en Italie, en France, etc.) et sur la reconquête par la classe
ouvrière soviétique du pouvoir usurpé par la bureaucratie stalinienne, le Groupe communiste
rédige, édite et distribue à 2 000 exemplaires un tract intitulé "Vive l’armée rouge" : "La
résistance de l’Armée rouge doit permettre aux forces révolutionnaires du monde entier
d’entrer en lutte. La stratégie communiste a pour but de coordonner la lutte de l’Armée rouge
avec le développement de la lutte de classes dans les pays capitalistes" . Après les
catastrophiques reculs des premiers mois, l’Armée rouge parvient, au prix de pertes énormes,
à contenir l’avance allemande devant Léningrad et Moscou tandis que l’entrée en guerre des
Etats-Unis et du Japon porte le conflit au "stade suprême où tous les peuples du globe sont
devenus les victimes directes du carnage impérialiste" .
Dans ce contexte, le renforcement du groupe donne à Barta et à ses camarades les moyens
techniques d’entreprendre la publication de La Lutte de Classes à partir d’octobre 1942.
Evoquant cette période dans une lettre à Natalia Sedova, Barta écrit : "C’est en 1942, après
avoir pu éduquer et instruire un certain nombre de jeunes camarades venant du PCF ou sans
passé politique, que nous avons sorti notre journal La Lutte de Classes. Le choix du titre était
déterminé par notre volonté d’opposer une propagande révolutionnaire et internationaliste au
courant d’union nationale et gaulliste justifié par la lutte contre l’occupant" . "Le but de notre
activité pratique était d’entrer en contact avec des ouvriers et de donner à des éléments
prolétariens la possibilité de s’instruire dans l’esprit et selon les méthodes d’une formation
révolutionnaire professionnelle" .
Trente-quatre numéros de cette feuille ronéotypée paraissent sous l’Occupation d’octobre
1942 à août 1944.
Là encore, le "talent d’organisateur et l’imagination inventive de Pamp" jouent un rôle décisif.
Il réussit, malgré les restrictions et les interdictions, à se procurer du papier, les moyens de
fabriquer de l’encre et un appareil à polycopier.
Publication d’un internationalisme sans concession, La Lutte de Classes dénonce les avatars
de l’ordre européen défendus, avec la peau des peuples, par chacun des camps en présence et
met systématiquement en avant le thème des Etats-Unis socialistes d’Europe, seul remède aux
continuels déchirements du Vieux continent. Abordant la question par tous les angles, ceux de
la stratégie des puissances impliquées dans le conflit mais aussi ceux, (parfois les plus
quotidiens), du sort des opprimés elle s’efforce de renouer le fil de la tradition
internationaliste rompu par la social-démocratie et le stalinisme. Refus d’identifier
l’occupation de la France à une oppression coloniale (l’Occupation n’est, finalement, qu’un
sous-produit du déplacement des fronts dans le cadre du conflit mondial). Refus d’assimiler le
"travailleur-soldat" allemand à ses dirigeants (et, en particulier, dénonciation du terrorisme
aveugle qui aboutit à solidariser les simples soldats avec leurs officiers et, par là, renforce
Hitler), La Lutte de Classes s’attache à découvrir dans chaque situation les ressorts cachés, les
forces sociales à l’oeuvre et les perspectives du point de vue du prolétariat.
Analysant les effets du STO, Barta explique : "Prendre le mouvement ouvrier européen
comme un tout signifie que ce qui constitue, à un moment donné, un moins pour la classe
ouvrière d’un pays peut constituer un plus pour l’ensemble du mouvement. Ainsi, la
déportation en Allemagne a privé la classe ouvrière des pays occupés de ses éléments les plus
jeunes et les plus actifs. En revanche, 8 millions de ces éléments transportés en Allemagne
sous la pression des nécessités militaires ont créé dans ce pays une situation sans précédent
pour la lutte révolutionnaire. En cas de conflit ouvert entre la bourgeoisie et le prolétariat en
Allemagne, à la faveur de la crise militaire par exemple, les ouvriers déportés se retrouveront
tout naturellement soudés à la lutte menée par les ouvriers allemands contre leur bourgeoisie
(...) Ainsi l’union de tous les pays dans une lutte commune peut être facilitée par les mesures
mêmes qui doivent l’"anéantir" .
Parallèlement à ses buts de propagande, La Lutte de Classes se livre à une activité d’agitation,
dénonce la détérioration du sort de la classe ouvrière en France, mène campagne contre le
STO et la dictature pétainiste.
Mais, rappelle Jacques Ramboz, "cette agitation, réduite du fait des forces du groupe, contre
le STO et la guerre n’est, pendant toute la guerre, qu’un aspect secondaire de l’activité du
Groupe communiste, activité qui consiste essentiellement en l’éducation marxiste des
militants et de leurs liaisons, en la recherche systématique de contacts en milieu ouvrier, et en
propagande dans la ligne des écrits de Trotsky, pour la création d’une IVe Internationale et la
constitution des Etats-unis socialistes d’Europe" .
Le Rapport sur l’Organisation de juillet 1943 marque une étape dans le développement du
Groupe communiste qui, jusqu’alors n’existait pas formellement. Il explicite ses principes
organisationnels. Ils n’ont, à dire vrai, rien d’original par rapport à ceux exposés par Lénine
dans Que faire ? Toute la valeur de cette courte brochure tient dans son rappel de ce qu’est
réellement le centralisme démocratique léniniste dont beaucoup se réclament pour n’en retenir
que le centralisme (et encore..).
Justifiant l’existence autonome de sa tendance par les moeurs petites-bourgeoises et la
politique ambiguë vis-à-vis du nationalisme des autres groupes trotskystes, Barta définit ses
objectifs : "Le bolchévisme implique, avec une politique juste, un contact réel et étendu avec
la classe ouvrière, la participation quotidienne à ses luttes" , la "sélection des éléments
révolutionnaires" en vue de "déclencher ou précipiter un regroupement sur la base
communiste de tous les militants vraiment révolutionnaires de la classe ouvrière française".
Il présente une sorte de condensé de sa morale militante : "Ce qui caractérise le militant, c’est
qu’il n’attend de son activité qu’une seule récompense, c’est la reconnaissance tôt ou tard que
celle-ci a été conforme aux intérêts véritables de l’humanité. C’est pourquoi il peut résister à
toutes les épreuves : s’il est relativement facile de donner sa vie d’un seul coup, il faut aussi
savoir la donner peu à peu dans la lutte opiniâtre que nécessite le renversement de la
bourgeoisie. Ce type d’individu n’est pas rare. Le parti dégage ce sentiment de sacrifice total,
de dignité et, si l’on veut, de félicité" .
Début 1943, le cours de la guerre s’inverse. Les Alliés ont débarqué en Afrique du Nord en
novembre 1942 et l’armée de Von Paulus capitule à Stalingrad (31 janvier 1943).
La situation en Italie où, à la suite du débarquement allié en Sicile de juillet 1943, grèves et
émeutes ouvrières ont chassé Mussolini et ouvert les prisons, fait dire à Barta, dans un rapport
du début août 1943 : "Les événements qui ont lieu en Italie ne sont pas la révolution
prolétarienne, mais c’est le début de la révolution".
Mais, les Alliés réussissent à juguler la montée ouvrière. Les Anglo-américains chargent
Staline de désorienter le mouvement ouvrier italien en pleine renaissance en reconnaissant le
premier le gouvernement de Badoglio, (fidèle de Mussolini fraîchement reconverti à l’antifascisme).
Ils utilisent d’autre part leur maîtrise des opérations militaires pour briser la
population et se livrent à des bombardements terroristes systématiques des villes italiennes,
(préfiguration de ceux qui frapperont massivement l’Allemagne avec les mêmes objectifs).
Pourtant, rien n’est assuré : "L’Europe est un immense dépôt de poudre où il suffit d’une
étincelle révolutionnaire sur n’importe quel point du continent pour que la révolution
prolétarienne s’étende aux endroits les plus favorables à cette lutte"écrit Barta.
Face aux échéances ouvertes par l’ouverture annoncée d’un second front à l’ouest, le CCI et
le POI, les deux principales organisations trotskystes françaises entament les pourparlers qui
aboutissent en février 1944 à leur unification au sein du PCI.
La proposition qu’ils adressent, en décembre 1943, au groupe Lutte de Classes de les
rejoindre donne lieu à un échange de correspondance et à la rédaction par Barta d’un
deuxième Cahiers du Militant.
Le premier de ces Cahiers, rédigé en décembre 1942, avait déjà été consacré à l’analyse de la
politique du POI et à la confusion entretenue par sa formule des "Comités de vigilance
nationale" avec des bourgeois "pensant français". "Le bourgeois ne pense ni "français", ni
"allemand", ni "anglais", etc. ; le bourgeois pense marché" réplique-t-il en montrant que, loin
d’être "transformée en semi-colonie", la France demeure une puissance impérialiste "qui n’a
pas cessé un seul instant d’exploiter non seulement la France, mais encore les quatre coins du
monde" .
L’échange de correspondance avec le Comité d’unification POI-CCI, fin 1943-début 1944,
conduit Barta à préciser ses critiques. Il tire le bilan de son expérience du POI (1933-1939) :
"Les milieux de recrutement, les méthodes organisationnelles, politiques et d’éducation ne
pouvaient et n’ont pu faire sortir les "B.L." de France de l’état de groupes politiques d’essence
petite-bourgeoise et de ce fait, malgré toute une série d’événements exceptionnellement
favorables (...) dans les années qui ont précédé la guerre, celle-ci a provoqué l’effondrement
des organisations de la IVe, et après quatre ans de guerre, rien ne laisse voir effectivement
qu’un changement véritable se soit produit".
S’il reconnait, dans le second Cahiers du Militant (15 février 1944) que "formellement,
l’attitude du POI" a changé, il dénonce le tour de passe-passe des participants à la
réunification s’absolvant mutuellement de leurs errements du début de la guerre : "Un parti
qui se réclame de l’internationalisme n’est garanti contre les errements social-patriotiques que
s’il découvre, par une critique inexorable, les sources mêmes de ses erreurs passées" .
Il est hors de question dans ces conditions que le groupe Lutte de Classes rejoigne le nouveau
PCI.
Les ponts ne sont pourtant pas rompus et, tout au long de son existence, l’Union Communiste
s’adressera aux militants trotskystes dans l’espoir de favoriser le regroupement des
révolutionnaires sur les bases politiques et organisationnelles qu’elle estime saines.
Le début de l’année 1944 est dominé par la perspective du débarquement.
"On attend plus que le signale pour que les prolétaraires d’Europe, d’Amérique et les soldats
amenés des quatres coins du globe s’empoignent dans une dernière étreinte mortelle. La
raison humaine vacille quand elle tâche de saisir l’immensité du crime, l’horreur des
convulsions qui se préparent !"
La Lutte de Classes qui écrit cela le 31 décembre 1943 rappelle "La tâche historique du
prolétariat d’Europe est de bâtir les Etats-Unis socialistes d’Europe et non de tracer avec leur
sang des frontières pour les capitalistes. 1944 doit sonner le glas du capitalisme en Europe et
dans le monde".
Le 6 juin 1944, devant le nouvelle tournure prise par la guerre, dans une circulaire destinée
aux militants, Barta écrit : "Avec l’invasion des forces impérialistes anglo-américaines à
l’Ouest, nous entrons dans une période au cours de laquelle la bourgeoisie tentera par tous les
moyens, bombardements, paniques, chômage, famine, de disperser à nouveau la classe
ouvrière et de la démoraliser complètement afin de pouvoir liquider la guerre sans danger
révolutionnaire"
Si, du fait de leur importance numérique et de leurs traditions, les classes ouvrières des trois
principaux pays d’Europe continentale subissant le conflit (Italie, Allemagne et France)
représentent le danger principal aux yeux de l’impérialisme, les Alliés manifestent la plus
grande vigilance sur tous les fronts. Ils savent que, même allumé dans une région
périphérique, (Balkans, Pays-Bas, Belgique, etc...), l’incendie révolutionnaire pourrait
s’étendre à tout le continent dans le contexte de misère généralisée et le brassage général des
populations.
En Italie, la conjugaison des bombardements alliés et de la répression fasciste ainsi que la
politique des partis social-démocrate et stalinien ont, pour l’heure, contenu l’offensive
ouvrière. En Allemagne, le 20 juillet 1944, des officiers tentent d’assassiner Hitler. Barta ne
s’y trompe pas : "Les généraux de la Wehrmacht ont voulu se débarrasser de Hitler, de même
qu’en Italie le roi et Badoglio s’étaient débarrassé de Mussolini pour se sauver eux-mêmes et
sauver le régime capitaliste de la vague populaire qui montait".
Le coup d’Etat ayant échoué, les officiers sont exécutés par centaines. "La révolte des
généraux contre Hitler, c’est le coup de tonnerre qui avertit le peuple allemand et les soldats
qui se battent sur tous les fronts, qu’il n’y a plus aucun espoir, ni chez Hitler, ni chez les
généraux, que ce soit pour la guerre ou pour la paix ; C’EST LE SIGNAL POUR LES
MASSES DE SE SAUVER ELLES-MEMES" analyse-t-il.
Mais, écrasée sous les tapis de bombes, la population allemande est menacée de toute part des
pires "punitions". C’est l’acculer à la guerre et la condamner à "se défendre et nous suivre
jusqu’au bout" comme l’y invite Goebbels. "Quand le peuple allemand n’entend nulle part
une voix anti-impérialiste" s’indigne La Lutte de Classes, "quand, au contraire de prétendus
communistes ont pris comme devise suprême "Mort aux Boches", cela ne fait-il pas le jeu de
Goebbels ?".
De fait, la classe ouvrière allemande courbe l’échine, subit jusqu’au bout le joug hitlérien et se
prépare à ployer sous celui des vainqueurs. En France, le risque de l’effondrement de l’Etat
est réel. Après cinq années de guerre, quatre années d’occupation et de pétainisme, l’armée est
très amoindrie et divisée, la police unanimement haïe, la justice méprisée. Le problème est si
réel que les Etats-Unis ont prévu l’administration militaire directe du pays.
Grâce au Parti communiste, De Gaulle réussit pourtant à restituer à l’Etat les apparences de la
légitimité. Barta en tire la leçon le 2 septembre 1944 : "Ainsi l’effort des ouvriers pour
s’arracher au bâillon de l’Etat bourgeois n’a abouti une fois de plus qu’à tirer les marrons du
feu pour leur ennemi, la bourgeoisie. La police qui, pendant cinq ans avait martyrisé la classe
ouvrière redore son blason à l’avant-garde de "l’insurrection nationale". L’armée permanente
impérialiste de la bourgeoisie française qui s’était brisée dans les événements se reconstitue
par un nouvel afflux de chair à canon : les travailleurs dupés. Les "compétences", c’est-à-dire
la haute bureaucratie qui a organisé savamment la famine pour les masses et le marché noir
pour la bourgeoisie, reste en place sous prétexte d’organiser le ravitaillement. Comment cela
fut possible ? Cette tromperie nouvelle fut possible parce qu’à la rescousse de la bourgeoisie
volèrent les social-patriotes, notamment les "communistes".
Mis au service de la bourgeoisie par son maître Staline, le PCF lui apporte son savoir-faire : le
dévoiement de l’énergie de la classe ouvrière, la prostitution des idéaux communistes et
l’assassinat de militants révolutionnaires.
Pendant l’occupation un certain nombre de militants communistes se sont trouvés livrés à
eux-même. Le petit groupe trotskyste, qui avait noué des contacts avec certains d’entre eux,
publie plusieurs tracts s’adressant à la conscience révolutionnaire de ces ouvriers et signés
"Un groupe de communistes" . Ces contacts avec des militants communistes se multiplient.
En septembre la direction du Parti communiste reprend le contrôle de ses troupes et, sentant le
danger, traque plus que jamais les trotskystes. Chacun de leur côté, Pierre et Jean Bois sont
"arrêtés" par des FTP. La chance aidant, ils s’échappent.
Mathieu Bucholz est, lui-aussi, "arrêté" au cours d’une réunion avec des jeunes communistes.
Torturé, il est ensuite assassiné comme l’avaient été, avant lui, d’autres militants
internationalistes dont le dirigeant trotskyste italien Pietro Tresso (Blasco) disparu dans un
maquis stalinien en 1944. Le corps de Mathieu Bucholz est retrouvé dans la Seine. La police
refuse de mener une enquête.
La collaboration du PCF et la participation des ministres communistes au renforcement de
l’Etat et de l’ordre bourgeois présentent l’incomparable avantage pour la bourgeoisie de
museler à peu près pacifiquement la classe ouvrière en une circonstance où le recours à la
manière forte ne lui laisserait peut-être pas le dernier mot.
Le désarmement des Milices patriotiques est, à ses yeux, une urgence. Elles sont, en effet,
explique La Lutte de Classes, "composées en majorité d’ouvriers, d’exploités qui bien que
prisonniers de la politique d’union sacrée des social-patriotes, aspirent quand même à
l’abolition de l’injustice et de l’inégalité". Or, l’Etat bourgeois "ne peut tolérer aucune force
armée qui soit indépendante de lui, sauf les groupements directement aux ordres de la
bourgeoisie (fascistes, briseurs de grèves, gardes du corps, etc,)". La décision de De Gaulle
d’incorporer les Milices patriotiques aux forces régulières provoque un réel mécontentement
mais, cautionnée par Thorez à son retour de Moscou ("un seul Etat, une seule armée, une
seule police"), elle est appliquée.
En Belgique, où la bourgeoisie rencontre des difficultés analogues, les Alliés recourent aux
fusillades en novembre 1944 pour obtenir le désarmement des milices.
La Grèce, bien que pratiquement libérée de l’occupation allemande par la guérilla animée par
les staliniens, a été placée dans l’orbite britannique. Face aux manifestations populaires,
"n’hésitez pas à agir comme si vous vous trouviez dans une ville conquise où se développe
une rébellion" câble Churchill au général Scobie. La guerre civile durera jusqu’en 1949 mais
le partage du monde entre Grands sera respecté. Se fondant sur les maigres informations qui
filtrent, La Lutte de Classes analyse la situation dans les régions placées sous l’autorité
soviétique : "Comme c’était à prévoir, l’apparition de l’Armée rouge sur les frontières des
Etats que le traité de Versailles avait créés pour former un rempart de sécurité contre la
révolution prolétarienne, a exaspéré la tension et les luttes entre exploiteurs et exploités dans
l’Est de l’Europe et les Balkans. (...) Devant l’assurance nouvelle des exploités, la bourgeoisie
des Balkans et de l’Est tremble pour sa domination. Mais elle trouve des alliés non seulement
du côté de l’impérialisme anglo-américain, mais aussi du côté des dirigeants soviétiques, CE
QUI EST BEAUCOUP PLUS GRAVE".
Dans un Rapport d’organisation Barta est plus explicite encore : "Croire d’une façon puérile
que l’Armée rouge n’acceptera pas n’importe quelle tâche de la part de la bureaucratie, c’est
se faire des idées fausses. (...) La propagande internationaliste pour désagréger l’Armée rouge
est plus facile que vis-à-vis de l’armée impérialiste, mais la révolution prolétarienne ne pourra
pas se dispenser de conquérir l’Armée rouge" .
L’Union communiste tire la conséquence de l’attitude de Staline en février 1945 en réclamant
son retrait de Pologne : "La IVe Internationale soutient le droit du peuple polonais à disposer
de lui-même non seulement contre les impérialistes de Berlin et de Londres, mais aussi vis-àvis
de la bureaucratie soviétique".
En mars 1949, Barta en tirera les conclusions : "Nous avons abandonné (la position
traditionnelle de défense de l’URSS) au moment où en avançant hors du territoire de l’URSS,
la bureaucratie a inauguré une politique de pillage dans les pays occupés ; c’est en 1944, en
exigeant le retrait de toutes les troupes d’occupation que nous avons marqué la rupture avec la
défense de l’URSS" .
L’Allemagne vaincue, les hostilités continuent en Asie. Même si son sort est scellé, le Japon
poursuit la guerre faute de pouvoir faire la paix sans mettre en mouvement des forces sociales
explosives.
"Après avoir engagé le peuple dans une aventure où il eut à supporter toutes les conséquences
des appétits de conquêtes des capitalistes, les dirigeants japonais devaient trouver une raison
"imprévisible" à leur défaite, pour sauver leur domination de classe. Ce souci (...) était partagé
dans une égale mesure par les capitalistes alliés. (...) Ce fut la bombe atomique, "intervention
divine", qui servit d’excuse aux dirigeants japonais vis-à-vis de leur peuple".
Planche de salut de la bourgeoisie japonaise, la bombe atomique constitue en même temps
une démonstration de puissance face à l’URSS et, sur un autre plan, face aux opprimés du
monde entier. Ainsi, les impérialismes des deux camps, la bureaucratie soviétique et les partis
sociaux-démocrates et staliniens sont parvenus à conjurer la montée révolutionnaire redoutée.
"Le prolétariat d’Europe, malgré ses années de luttes et d’expériences, a été devancé par la
bourgeoisie dans ce combat. La catastrophe du continent a été consommée. Une des forces
essentielles de la lutte socialiste en Europe, le prolétariat allemand, a été enseveli sous les
ruines causées par la bourgeoisie".
Pourtant, poursuit Barta au lendemain de la reddition allemande, "Malgré les terribles ravages
et le recul de la civilisation, il reste au prolétariat assez de forces vives capables de prendre le
dessus" .
L’illusion d’un retour rapide à la normale est vite dissipée. En effet, partout en Europe la
classe ouvrière, endurcie par les épreuves, est misérable, souffrant du rationnement
alimentaire, travaillant des semaines de soixante heures, manquant de vêtements, de
chauffage, de logements.
Barta a plusieurs fois rappelé les analyses de la situation nationale et internationale sur
lesquelles l’UC se fondait alors. "Nous pensions" écrit-il en 1972, "que le principal danger
était l’instauration d’un pouvoir fort gaulliste, (...) nous espérions que la lutte anticolonialiste
jouerait un rôle décisif dans la chute du capitalisme mondial, (...) nous étions convaincus que,
sans révolution socialiste, une troisième guerre mondiale était inévitable à plus ou moins bref
délai".
Il insiste en 1976, "La révolution avant la fin de la deuxième guerre mondiale et encore
jusqu’à la fin de la guerre de Corée (parce que jusqu’à la fin de la guerre de Corée nous ne
savions pas si nous allions déboucher sur une troisième guerre mondiale ou pas), la révolution
était une question de vie ou de mort, immédiatement. Et il y avait, ou progression
révolutionnaire, ou recul vers le fascisme jusqu’à la guerre" .
L’action de l’UC de 1944 à 1950 s’inscrit dans cette perspective. Début 1945, l’autorité de
l’Etat rétablie avec la caution du Parti communiste, le débat sur les futures institutions de la
IVe République s’ouvre. Au-delà des péripéties politiciennes qui l’émaillent, c’est en réalité
la nature même du régime qui est en question. De Gaulle, le chef du gouvernement provisoire,
prétend au "pouvoir fort". Les partis de gauche, prisonniers volontaires du mythe de "sauveur"
qu’ils lui ont forgé ne s’émeuvent que dès lors que De Gaulle souhaite réduire les prérogatives
du Parlement en recourant aux "referendum-pétainistes". "Sous le prétexte d’une
"constitution", De Gaulle s’exerce au coup d’Etat" prévient La Lutte de Classes.
A l’extérieur, la bourgeoisie rencontre des difficultés à reprendre en main ses colonies.
En dévoilant la faiblesse des vieilles puissances coloniales, la guerre a donné un coup de fouet
aux aspirations nationales. La Lutte de Classes se fait l’écho de la situation dans les colonies,
aussi largement que les informations le permettent. Ainsi le numéro du 18 janvier 1945
consacre-t-il un long article au sort des peuples d’Afrique du Nord , et celui du 8 mai un autre
à la situation de ceux d’Indochine. L’organe de l’UC affirme sa solidarité aux dizaines de
milliers de victimes de la répression coloniale du 8 mai 1945 à Sétif et à Guelma . En Afrique
du Nord, comme en 1947 à Madagascar les officiers français manifestent une ardeur qu’on ne
leur connaissait pas en juin 1940. "Avec une férocité toute capitaliste, la répression s’est
abattue sur les masses nord-africaines et a transformé le pays en un vaste Oradour-sur-Glane"
écrit Barta qui fustige la complicité du PCF : l’Humanité "demande au gouvernement de
"punir comme ils le méritent les chefs pseudo-nationalistes".
La dénonciation des exactions colonialistes et le soutien aux peuples opprimés ne sont pas
seulement un élémentaire devoir de solidarité. Pour Barta et ses camarades, la révolte des
colonisés appartient au processus même de l’affranchissement de l’humanité : "Dans le réveil
des peuples coloniaux, nous saluons l’aube de la révolution prolétarienne mondiale
triomphante".
La Lutte de Classes fait paraître de nombreux articles consacrés à la situation dans les
colonies ou reproduit les textes de militants anti-colonialistes tel celui signé "Les Tirailleurs
Indochinois en France" s’élevant contre la "répression coloniale".
Les tensions entre impérialismes rivaux resurgissent (conflit franco-britannique en Syrie par
exemple), les fissures entre les grandes puissances, alliés de la veille, se font jour.
Dès février 1945, au lendemain de Yalta où les trois "Grands" (Etats-Unis, URSS, Grande-
Bretagne) entérinent leur partage du monde et s’efforcent de préserver les apparences de
l’unité, La Lutte de Classes avertit :
"Cette union est tellement chancelante, que chacun des trois tient en réserve un système
d’alliances avec des moyennes et des petites puissances, système qui, en cas de conflit entre
les trois, divisera automatiquement le monde en blocs antagonistes" . En effet, si les
impérialismes anglais et américain ont bien atteint leurs buts de guerre en brisant l’Allemagne
et le Japon, la question soviétique reste pendante. Les projets caressés par Churchill de
poursuite de la guerre contre l’URSS ont dû être abandonnés : leur réalisation aurait conduit
tout droit à l’explosion révolutionnaire que les Alliés n’ont évitée qu’avec l’appui de Staline.
Mais dans les mois qui suivent les alliances se lézardent et le spectre d’une troisième guerre
mondiale se précise. La reconstruction exige de remettre la classe ouvrière au travail. Pour la
bourgeoisie, la reconquête de ses marchés, de son influence future, de ses possessions
coloniales, en dépend. Il faut mobiliser et produire, vite et beaucoup. C’est-à-dire, pressurer la
classe ouvrière. Le Parti communiste y prête la main, avec ardeur. Avec l’aval de Staline, il
met son influence sur la CGT et à travers elle sur la classe ouvrière, au service de la
bourgeoisie. Quelques "Grands chefs" communistes deviennent ministres. Dans les usines, les
délégués et les petits bureaucrates se font petits chefs, nouvelle maîtrise qui dépasse
l’ancienne par son arrogance et son zèle productif. "Produire d’abord, revendiquer ensuite"
devient son maître mot.
Pour la première fois d’une façon aussi cynique le PCF se range ouvertement au côté de la
bourgeoisie contre la classe ouvrière. Pour la première fois chaque ouvrier peut en faire
l’expérience, quotidiennement, des mois durant. Situation difficile pour les travailleurs. Mais
aussi, situation riche de possibilités.
"Ce qui fait notre force," affirme Barta en juillet 1945, dans une Lettre ouverte aux militants
et sympathisants du PCI, "c’est notre politique énergique de défense des intérêts des masses,
poursuivie sans hésitation et sans équivoque".
Au-delà de son but immédiat (défendre la politique de l’UC devant les membres du PCI),
cette Lettre ouverte présente le programme d’action de l’UC. "Là se résument tous les
problèmes de notre travail. Comment faire bien comprendre la situation à une centaine
d’ouvriers, les gagner corps et âme à la politique révolutionnaire, en faire des cadres de la
classe ouvrière et du trotskysme ; c’est par eux que nous pourrons apparaître aux masses
comme leurs seuls défenseurs, dans ce monde où elles n’ont que des ennemis" .
Sur cette base, l’UC développe son activité de propagande, d’agitation et d’implantation dans
la classe ouvrière. Depuis la "Libération", un certain nombre de jeunes sont venus renforcer le
groupe, qui doit, à ce moment-là, compter une vingtaine de membres, et, surtout "les liaisons
ouvrières s’étaient accrues" .
L’UC réédite des brochures comme celle d’André Marty "On croit se battre pour la patrie...
on meurt pour les industriels et les banquiers" qui dénonçait, en 1926, la guerre coloniale du
Rif ou "La catastrophe imminente et les moyens de la conjurer" de Lénine (en octobre 1945),
proposition d’un plan ouvrier de reconstruction.
Pour n’avoir pas à arguer des faits de "résistance" (exigés pour obtenir l’autorisation de
parution et du papier), comme Barta reproche au PCI d’accepter de le faire, La Lutte de
Classes continue de paraître illégalement. Une modeste imprimerie clandestine a été installée
en banlieue, les caractères sont fournis par un ouvrier de l’Imprimerie nationale.
Mais, en décembre 1945, le développement de l’activité militante permet la publication d’une
adresse, impasse du Rouet, dans le XIVe. Ce local devient une permanence pour les cercles
d’éducation et les réunions de travail.
L’UC publie des tracts signés "Un groupe d’ouvriers" dans les entreprises où elle a des
militants ou des contacts, à la Thomson, au LMT, chez Citroën, à Levallois, à Clichy et à
Grenelle, chez Gnome et Rhône, adressés aux travailleurs de la radio, à ceux des ascenseurs,
etc. Les conditions de travail, les salaires, l’attitude de la maîtrise, le gouvernement et le
patronat y sont dénoncés mais aussi les staliniens qui poussent à la production.
L’accueil favorable réservé à ces feuilles montre que l’opposition sans concession au
gouvernement et au PC correspond à une volonté des ouvriers.
Au cours de l’année 1945, apparait sur les tracts la signature "Opposition syndicale Lutte de
classes" et, en octobre 1945 sort "La Voix des Travailleurs, Bulletin inter-usines de
l’Opposition syndicale Lutte de Classes-CGT". L’éditorial définit ses buts : "éduquer de
nouveaux cadres et [...] permettre la coordination de leur travail". Elle "se propose d’être le
porte-parole des ouvriers". "Il faut briser la barrière de silence qui entoure actuellement les
abominables conditions de travail de la classe ouvrière. Nous demandons aux ouvriers de
nous signaler de partout ces conditions. La Voix des Travailleurs les exposera et mènera
campagne contre les abus capitalistes" . Douze numéros paraissent, d’octobre 1945 à avril
1946.
Ce journal trouve une incontestable sympathie parmi les ouvriers. A côté des articles
affirmant la solidarité internationale des travailleurs et rendant compte des luttes ouvrières à
l’étranger et de ceux défendant les revendications (augmentation des salaires, échelle mobile,
diminution de la durée du travail, le contrôle ouvrier sur la production et le ravitaillement,
etc), la multiplicité des échos d’entreprises, dénonçant les faits, petits et grands de
l’exploitation et la morgue des bureaucrates, témoigne de la sympathie des travailleurs.
Dressé depuis des années à la chasse aux trotskystes, et décidé plus que jamais à empêcher la
constitution d’une opposition sur sa gauche au moment où il assume directement la
responsabilité d’une politique anti-ouvrière, le PCF réagit violemment. A partir de l’automne
1945, les bagarres sont fréquentes aux portes des entreprises où l’Union communiste veut
imposer la liberté d’expression.
La disproportion des forces est en apparence écrasante. Mais les chiffres ne disent pas tout,
comme l’explique Barta, à propos d’une vente devant Gnome et Rhône, boulevard Kellerman,
à Paris (devenue par la suite la SNECMA) : "Des camarades ont fait la remarque que le
rapport des forces était en notre défaveur, étant donné que la cellule stalinienne Gnome et
Rhône a six cents membres. Une telle façon de poser la question n’est pas juste. 1°) Les
camarades connaissent le mode de recrutement de ce parti parlementaire. 2°) Tous les
ouvriers adhérents au PCF s’ils ont des sentiments communistes sont loin d’être tous
staliniens. (...) Si on pouvait dénombrer les staliniens de G.R., on en trouverait une trentaine" .
De fait, "A la vente, la bagarre éclate, mais les ouvriers prennent notre défense". Même si
l’indignation des travailleurs ne va pas jusqu’à intervenir physiquement, leur désapprobation
freine les staliniens. Le PCI, par contre, loin de marquer la moindre solidarité, condamne
catégoriquement l’attitude de l’UC où il ne voit que provocation.
Mais la sympathie recueillie par La Voix des Travailleurs ne débouche que peu sur un soutien
actif. Dans sa manière directe, sans mépris mais sans concession, Barta l’exprime le 30 avril
1946 : "L’effort matériel des ouvriers qui approuvent La Voix des Travailleurs est de
beaucoup en retard sur la sympathie qu’ils lui manifestent. (...) [Ils] n’ont pas eu
suffisamment conscience des difficultés qu’un tel journal avait à vaincre. Devant en assumer
nous-mêmes toutes les charges, il s’est créé un déséquilibre dangereux au détriment de notre
organe politique" .
Assurer l’édition de deux journaux est au-dessus des seules forces de l’UC. Or, et c’est
indispensable aux yeux de Barta, La Lutte de Classes, l’organe politique du groupe, doit
continuer sa parution. La Voix des Travailleurs disparaît comme organe autonome et son
contenu parait au verso de La Lutte de Classes.
Le "déséquilibre" souligné par Barta entre l’écho favorable recueilli auprès des ouvriers et
leur soutien concret a d’autres conséquences que ces difficultés matérielles qui conduisent à la
suppression de la La Voix des Travailleurs, il entraîne une scission en 1946. Quelques
militants et sympathisants, menés par Goupi, un militant de chez Renault, s’élèvent "contre
cette priorité accordée à un travail qu’ils estiment sans but clair et dont les résultats tangibles
tardent à apparaître" . Ils voulaient, écrit Barta "revenir en arrière, à l’époque où notre
principale activité était des réunions de groupes étudiant la Révolution".
Tandis que sur la scène internationale les antagonismes entre les deux blocs en voie de
constitution s’aiguisent, l’année 1946 est marquée par l’échec des tentatives de conciliation de
Ho-Chi-Minh qui multiplie les concessions à l’impérialisme français sans parvenir à le
satisfaire jamais. Au bout du compte, les armes parlent. Le 23 novembre 1946, l’Amiral
d’Argenlieu fait bombarder Haïphong à l’artillerie de marine, tuant plusieurs milliers de civils
et donnant le coup d’envoi de la guerre d’Indochine.
Le soutien de l’UC à la lutte des peuples coloniaux trouve à s’exprimer d’une façon plus
concrète. Une trentaine de milliers de Vietnamiens ont été déportés en France en 1939 pour
remplacer des ouvriers mobilisés. A la fin de la guerre, ils ont été parqués dans des camps,
avec les rescapés des Tirailleurs Indochinois. Leur refus de s’enrôler dans le corps
expéditionnaire français en Indochine et de travailler à la production d’armement suscite de
fréquents et violents incidents. Ils ont élu des délégués parmi lesquels des trotskystes proches
du groupe révolutionnaire vietnamien La Lutte. Entrée en contact avec eux par l’intermédiaire
d’un déserteur de ces camps travaillant chez Citroën, l’Union communiste apporte son aide
aux Indochinois, participant à des réunions, tirant des tracts ou diffusant leurs communiqués.
Les listes de souscription publient à plusieurs reprises les sommes versées par des Indochinois
à La Lutte de Classes.
En France la rupture entre De Gaulle et ceux qu’il nomme avec mépris "les partis" est
consommée. Il démissionne le 20 janvier 1946. "La preuve est donc faite que la crise mortelle
du capitalisme français ne peut être maîtrisée par "l’unanimité nationale"de tous les Partis
autour d’un "arbitre" au-dessus d’eux écrit La Lutte de Classes qui prédit : "Maintenant qu’il
n’est plus au gouvernement, De Gaulle veut utiliser la situation catastrophique, résultat de sa
propre politique dans le but de discréditer le régime des Partis, en faveur d’un s’imposant à
tous par la force".
Rapprochant le discours de De Gaulle appelant à "un Etat fort" à Bayeux le 16 juin 1946 du
sac du siège du PCF par des gaullistes deux jours plus tard, Barta montre la nécessité d’une
riposte. "Cette riposte, ce n’est pas la grève d’une heure et une manifestation symbolique"
auxquelles le PC a appelé, "c’est la GREVE GENERALE ayant pour objectifs : 1) Le salaire
minimum vital, l’échelle mobile et le contrôle ouvrier. 2) Le désarmement des bandes
fascistes par les piquets de grève et l’armement des travailleurs. 3) La rupture de la
collaboration des partis se réclamant de la classe ouvrière avec les partis bourgeois, et la
formation d’un pouvoir à la fois fort et démocratique, parce qu’appuyé sur l’activité et le
contrôle direct des millions de travailleurs organisés dans leurs partis, leurs syndicats, le
gouvernement ouvrier et paysan" .
Fin 1945 éclatent les premières grandes grèves de l’après-guerre qui témoignent de la montée
de la combativité ouvrière. En janvier 1946 la grève des rotativistes traités de "privilégiés" par
le PCF a un fort retentissement. D’autres mouvements suivent, en particulier, en juillet la
grève des PTT. "Le résultat que les postiers ont obtenu, ils pouvaient l’avoir sans grève" dit
Frachon le dirigeant de la fraction stalinienne de la CGT.
"La grève n’est pas une arme dont on use à tort et à travers" poursuit-il, "Il est des gens qui
sont pris d’une subite et violente passion de retour d’âge pour la grève (...) Nous demandons à
nos militants de faire échec à toutes les tentatives des excitateurs pour qui les revendications
ne sont qu’un prétexte" .
Comme il le rappelera dans la Mise au point de 1972, Barta, analyse la situation en terme de
crise : "L’histoire à cette époque-là faisait de la révolution une question de vie ou de mort non
seulement pour l’Asie, l’Afrique et l’Amérique latine, mais aussi pour toute l’Europe y
compris occidentale, où la situation de l’écrasante majorité des travailleurs était misérable et
sans espoir" . Au moyen de ses tracts comme au travers de La Lutte de Classes et de ses
militants dans les entreprises, l’Union communiste explique inlassablement aux ouvriers la
nécessité de la grève générale pour défendre "leur droit à la vie".
La recherche de l’efficacité dans l’action conduit l’organisation à opérer un regroupement de
militants chez Renault.
"La grève fut préparée de longs mois à l’avance, par le travail d’un petit nombre de militants
ouvriers groupés autour du journal La Lutte de Classes" dira Barta un an après le conflit des
usines Renault. Au début 1947, le mécontentement ouvrier cherche à s’exprimer. Chez
Renault, des débrayages se produisent : dans l’Ile Seguin, à l’Entretien, au Modelage-
Fonderie, à l’Artillerie, ainsi qu’à la Trempe et dans le secteur Collas où travaille Pierre Bois.
Depuis février paraît La Voix des Travailleurs de chez Renault. Une petite équipe s’est
constituée qui organise des réunions qui rassemblent bientôt quelques dizaines de travailleurs
et de militants et fait circuler des pétitions contre la mauvaise répartition des primes au
rendement. Même s’ils n’osent pas le dire à haute voix, le contenu de cette agitation, comme
antérieurement celui des tracts signés "Un groupe d’ouvriers", correspond à ce que souhaitent
les travailleurs. "Quand les camarades de l’UC ont pu se montrer au grand jour, un ouvrier de
la fonderie, ancien communiste, a raconté que ne sachant à qui s’adresser, il avait recopié luimême
à la main, en sept exemplaires, un de ces tracts signés qu’il approuvait entièrement" .
En mars dans le secteur Collas, un premier débrayage a lieu. Près de la moitié des 1200
travailleurs débrayent mais "les délégués, qui étaient en réunion et qui ont appris la chose,
reviennent en hâte, remettent les moteurs en route et engagent leur campagne de dénigrement,
de démoralisation et de calomnies" . Cet échec ne décourage pas les ouvriers. Des pétitions
réclamant 10 francs d’augmentation sur le taux de base (et non sous forme de prime)
recueillent de nombreuses signatures. Le 17 avril, au cours d’une assemblée, la revendication
des 10 francs d’augmentation sur le taux de base est adoptée et un Comité de grève élu. Il est
chargé de déposer cette revendication auprès de la direction qui ne répond pas. Un nouveau
meeting se tient le mercredi 23. Pierre Bois prévient les quelques 700 travailleurs présents :
"Il ne sera plus question de jouer de l’accordéon ou de rester les bras croisés à attendre que ça
tombe, mais il faudra s’organiser pour faire connaître le mouvement dans toutes les usines,
faire des piquets de grève et défendre les issues de l’usine au besoin. (...) Quant aux
"lacrymogènes" de la police, pendant plus de six ans nous avons reçu des bombes sur la
gueule et on n’a rien dit. (...) Et aujourd’hui, nous n’aurions pas la force et le courage d’en
faire au moins une infime partie pour nous ? Appuyant ces paroles de cris bruyants, les
ouvriers marquaient leur approbation" .
Malgré l’opposition des responsables syndicaux, la grève "dans les délais les plus courts" est
massivement votée et la confiance au Comité de grève renouvelée.
Après s’être renseigné sur l’état des stocks de pièces (le secteur Collas produit, entre autres,
les pignons) les onze membres du Comité décident la grève pour le vendredi 25 avril,
lendemain de la paye et aussi des élections à la Sécurité Sociale qu’ils ne veulent pas être
accusés d’entraver. Le vendredi 25 au matin, un piquet secrètement constitué la veille,
distribue l’"ordre de grève", signé de chacun des membres du Comité et rappelant les
revendications, 10 francs d’augmentation et le paiement des heures de grève. L’électricité est
coupée, les transformateurs gardés.

alexi

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Date d'inscription : 10/07/2010

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Union Communiste Empty Re: Union Communiste

Message  alexi Lun 4 Aoû - 21:55

Suite de la biographie :

"Le mouvement était donc parti. Mais le plus difficile restait à faire. Personne n’avait la
naïveté de croire qu’une augmentation de 10 francs sur le salaire de base et le paiement des
heures de grève pouvaient être obtenus par douze cents grévistes ! (...) Pour renverser la
vapeur, pour mettre un frein à la rapacité capitaliste, il fallait, comme en juin 1936, une action
gréviste de la majorité de la classe ouvrière" .
Dès le démarrage de la grève, ceux de Collas se répandent dans l’usine pour tenter de rallier
les autres secteurs. "Les moteurs s’arrêtent ; les délégués syndicaux les remettent en route" .
Plaisance, secrétaire de la CGT, accuse : "Ce matin, une bande d’anarcho-hitléro-trotskystes a
voulu faire sauter l’usine" . Il prétendra par la suite que "faire sauter l’usine" signifiait dans
son esprit la mettre en grève... Le vendredi soir, la grève est installée à Collas mais elle ne
s’est pratiquement pas étendue. Un tract des ouvriers du secteur Collas appelle à un meeting
de toute l’usine le lundi 28 avril. Les staliniens y ont amené trois voitures sono. Pas de
chance, les Jeunesses socialistes (en voie de rupture avec la SFIO) en prêtent une, plus
puissante, aux grévistes. Le soir, malgré les incidents provoqués par les staliniens, 10 000
ouvriers (sur 30 000) sont en grève et 12 000 le lendemain matin. Pour tenter de récupérer le
mouvement la CGT appelle à une heure de grève (sur ses revendications) le 29 avril de 11 à
12 heures. L’usine débraye massivement mais, à midi, le travail ne reprend pas. La grève est
générale à Billancourt. Le Comité de grève Collas est submergé. Un Comité Central de Grève
de 105 membres est constitué mais, dit Barta en 1948, "les ouvriers qui viennent représentent
leur propre bonne volonté mais n’ont pas d’appui sérieux parmi leurs camarades d’atelier" .
Les commandos cégétistes multiplient les incidents et, le 30 avril au soir, en prévision du
défilé du 1er mai où le PC redoute l’intervention de grévistes, se présentent à plusieurs
centaines, barres de fer à la main, pour évacuer Collas. La détermination des grévistes
("caisses de boulons, de pignons, air comprimé pour pulvériser de l’acide" ) les calme. Le
lendemain, 1er mai, un tract (tiré gratuitement à 100 000 exemplaires par les ouvriers de
l’imprimerie Réaumur) signé "Comité de grève général des Usines Renault" est distribué dans
le cortège cégétiste.
"La revendication que nous formulons est une revendication générale qui intéresse tous les
ouvriers. Camarades, nous faisons appel à vous parce que vous êtes dans la même situation
que nous et que personne ne peut se résigner à la situation actuelle. Par conséquent, puisque la
lutte est inévitable et nécessaire, il faut que nous nous mettions tous ensemble en mouvement,
car seule l’union de tous les travailleurs assurera la victoire pour tous. (...) Notre usine a
commencé le mouvement. Nous appelons tous nos camarades de la métallurgie, tous les
ouvriers de la région parisienne, à se joindre à nous. (...) VIVENT LES 10 FRANCS ! VIVE
LE MINIMUM VITAL GARANTI PAR L’ECHELLE MOBILE !" . Comme l’écrit Barta
plus tard : "Nous l’avons [la grève Renault], considérée comme le début d’une grève générale.
Aussitôt la grève étendue à toute l’usine (le 29 avril), j’ai rédigé (le 30 avril) un tract, au nom
du Comité de grève, appelant les travailleurs de toute la métallurgie à suivre l’exemple de
Renault. Et dans cette perspective, j’y posais une revendication nouvelle : l’échelle mobile des
salaires, bête noire, à l’époque de la CGT et du gouvernement. Car, pour nous, tout
élargissement de la grève devait se traduire par un approfondissement des revendications" .
"Inversement, quand au bout de deux semaines, la grève Renault s’est trouvée réduite aux
départements 6 et 18, j’ai limité son objectif au paiement des heures de grève" précise-t-il
dans une note.
Pourtant, si la grève de chez Renault est regardée avec espoir par la classe ouvrière du pays,
elle ne s’étend pas. La faiblesse du mouvement, analyse Barta,
"c’est le manque d’une organisation véritablement ouvrière. De ce fait les ouvriers sont sans
défense devant l’action répressive de l’appareil bureaucratique cégétiste, aussi bien dans la
majeure partie des usines Renault que dans les autres usines. Le Comité de grève voit ainsi
diminuer considérablement ses chances de déclencher un mouvement général comme en juin
1936" .
Ayant circonscrit le mouvement, les dirigeants CGT entreprennent de le réduire chez Renault
même. Ils organisent, dès le 2 mai, un vote sur la reprise avec 3 francs de prime... que la
direction n’a pas encore cédés. Proposition repoussée par 11 354 voix contre 8 015. Jusqu’à
ce vote, le PCF a pu espérer parvenir à étouffer la grève Renault comme il l’avait fait de celles
des rotativistes et des postiers. Le vote du 2 mai le détrompe. Les ouvriers ne se résignent
plus. La CGT et le PC risquent d’être débordés.
Or, l’évolution de la situation internationale, l’exacerbation des tensions, de plus en plus
ouvertes, entre les blocs occidental et soviétique où chacun resserre les rangs, condamne, à
terme, le parti stalinien à quitter le gouvernement. Il choisit de ne pas sacrifier son audience
ouvrière au piège que lui tend le chef du gouvernement, le socialiste Ramadier. Lorsque ce
dernier réclame le 4 mai à l’Assemblée un vote de confiance sur sa politique de blocage -
théorique- des prix et -bien réel- des salaires, les députés et les ministres communistes la lui
refusent. Ils sont mis à la porte. "Un petit ouvrier de 25 ans a forcé Auriol à démissioner
Maurice Thorez" clame, à la une, France-Dimanche. Chez Renault, la grève continue. Le 9
mai, la direction est autorisée par le gouvernement à donner satisfaction à la CGT en
accordant 3 francs de prime. Le syndicat s’empresse de crier victoire et de faire voter les
travailleurs.
"Nous avons commis -j’ai commis - la lourde faute d’accepter, après deux semaines de grève,
un second vote demandé par la CGT alors qu’une semaine auparavant les ouvriers avaient
voté à une très forte majorité la poursuite du mouvement jusqu’à satisfaction de leur
principale revendication" dit, a posteriori, Barta.
Cette fois le PCF a gain de cause, la majorité de l’usine se prononce pour la reprise. Mais sa
"victoire" n’est que partielle : le secteur Collas, lui, ne reprend pas. "Partout où il y a une
direction (secteur Collas, département 88), une forte majorité se prononce pour la
continuation de la grève" jusqu’au paiement des heures de grève.
Après presque une nouvelle semaine de grève, le 15 mai au soir, la direction et le ministère
capitulent. Ils tentent certes de sauver la face. Ils ne concèdent que 1 600 francs pour la
reprise et une avance de 900 francs (qui ne sera jamais réclamée aux travailleurs). Mais
personne ne s’y trompe, cela revient au paiement des heures de grève. "C’est bien grâce à
vous, les gars des pignons, si on les a eu, les 1 600 et les 900 balles" dit un ouvrier. Collas
reprend le travail, la tête haute.
Dans le secteur Collas, le problème de l’organisation des ouvriers qui, après trois semaines de
calomnies et d’affrontements, ne veulent plus entendre parler du Parti communiste et de la
CGT stalinienne se pose immédiatement. Une nouvelle Commission Exécutive de la section
CGT est élue. Les bureaucrates refusent de la reconnaître. Placée devant l’alternative,
s’incliner et démoraliser les travailleurs ou persister à les organiser, cette C.E. provisoire se
transforme en Comité d’action puis en syndicat, le SDR (Syndicat démocratique Renault) que
rejoignent plusieurs centaines d’ouvriers d’autres secteurs.
Il ne s’agit pas de créer une nouvelle tendance syndicale comme l’avaient fait des anarchistes
en mai 1946 avec la CNT . "Le problème que nous posons n’est pas de faire un nouveau
syndicat opposé à la CGT. Ce que nous voulons, c’est RECONSTRUIRE LE SYNDICAT A
LA BASE" écrit Barta sous la signature de Pierre Bois, en juin 1947 dans La Voix des
Travailleurs de chez Renault, sous le titre "Comment s’organiser". "Il fallait fournir à l’avantgarde
ouvrière surgie par et avec la grève, un point d’appui organisationnel pour poursuivre la
lutte contre le stalinisme et le réformisme" rappelle Barta en 1952.
Les événements ne laissent pas de répit. A peine créé, le SDR doit affronter les élections de
délégués. Malgré l’influence que la grève vient de lui donner, CGT et direction lui interdisent
de présenter des candidats au nom de la loi Croizat qui, alors, n’autorise pour les deux
premiers tours de scrutin que les candidatures présentées sur des listes sans possibilité de
ratures ni de surcharge par les syndicats "patriotiques" (CGT, CFTC et CGC à l’époque). Un
amendement ultérieur à cette loi la limitera au premier tour. Le SDR appelle à l’abstention
dans l’espoir que le quorum n’étant pas atteint, il pourra être présent au troisième. 6 696
travailleurs boycottent les élections, la CGT n’obtient que 12 683 suffrages mais elle rafle
tous les sièges.
Les deux dizaines de militants de l’UC se trouvent devant des responsabilités et des tâches
démesurées.
Sans doute, la grève des usines Renault n’a pas atteint ses objectifs. Sans la grève générale,
contenue par le Parti communiste, la revendication des 10 francs s’est avérée inaccessible.
Mais les 3 francs obtenus ne l’auraient pas été sans lutte et la quasi-totalité des heures de
grève de la majorité des ouvriers ont été payées (même si ceux de Collas, partis avant et
rentrés plus tard, perdent quelques jours de salaire). Mais, surtout, -et c’est le plus important
politiquement- cette grève prouve avec éclat que la classe ouvrière a conservé ses capacités de
combat.
Elle a, de plus, imposé la liberté d’expression face au totalitarisme des dirigeants de la CGT.
Du point de vue de l’Union communiste, la grève est un succès. Elle est la preuve, par les
faits, de la possibilité de militer dans la classe ouvrière et d’y gagner de l’influence sur la base
d’une politique révolutionnaire. Enfin, précise Barta, "si la grève a été dirigée par
l’organisation politiquement, c’est à Pierre Bois que reviennent toutes les initiatives pratiques
dans l’usine où il fallait, la grève déclenchée, se comporter comme un capitaine sur un bateau
à voiles dans une tempête" .
Mais ce succès est écrasant pour l’UC. Dès la grève, elle a sacrifié la parution de La Lutte de
Classes à celle de La Voix des Travailleurs de chez Renault. Toute l’énergie de l’organisation
se concentre sur Renault et l’UC finit par se fondre dans le SDR qui absorbe toutes ses forces.
Sur le plan politique, le tournant de l’année 1947 s’accuse. Aux yeux de Barta, le trait
dominant de la période est l’inévitabilité d’un troisième conflit mondial.
La rupture entre Alliés est consommée. Etats-Unis et Union soviétique assurent leur emprise
sur leur camp tandis que le ton monte. "La deuxième guerre mondiale n’est pas terminée
depuis deux ans que l’on considère partout la troisième comme proche et inévitable" écrit La
Voix des Travailleurs en octobre 1947. "Nous voyons les Etats-Unis imposer leur volonté en
échange de leur aide économique partout où ils ne l’imposent pas encore par la force"
poursuit-elle, ajoutant à propos de l’URSS : "Il ne s’agit pas, du côté de Moscou, d’une lutte
contre la guerre, mais d’une politique de guerre, tout comme celle de Washington ". En 1948,
la tension entre blocs croit encore : coup de Prague" et "suicide" de Masaryk en février,
adoption du plan Marshall en mars, début du blocus de Berlin et rupture Tito-Staline en juin,
exacerbation de la crise de Berlin à l’automne.
Les articles de La Voix des Travailleurs contre la guerre se multiplient jusqu’à constituer une
rubrique régulière. Confirmant sa rupture avec la défense de l’URSS, l’UC renvoie
pratiquement dos à dos les fauteurs de guerre. "Les travailleurs ne veulent pas être les
victimes d’un bloc contre l’autre" écrit La Voix des Travailleurs en 1947. Elle précise, à la
veille de la crise de Berlin, "les travailleurs du monde entier ne seront des jouets sans défense
soumis aux intérêts et aux caprices des militaristes de Washington et de Moscou que s’ils le
veulent".
"Peut-on s’attendre à ce que la révolution puisse prévenir la guerre ?" s’interroge Barta dans
un rapport d’organisation du 1er octobre 1948. "Depuis 1945, les soulèvements des peuples
coloniaux ne font que se renforcer et peuvent même embraser l’Asie et l’Afrique entière.
D’autre part, la classe ouvrière d’Italie, de France, d’Angleterre, de Belgique et partiellement
d’Allemagne, continue à se manifester. Mais le mouvement ouvrier et colonial, sans parti
révolutionnaire, en proie au parti stalinien, à la social-démocratie ou au nationalisme, est toutà-
fait incapable de se dresser d’une façon efficace contre la guerre. Cependant [du fait de] leur
existence, (...) on peut affirmer avec certitude que le nouveau conflit s’accompagnera dès le
début de vastes guerres civiles et soulèvements des peuples qui offriront des possibilités
immenses au travail révolutionnaire" ).
En Indochine la reconquête coloniale a commencé. Toujours en liaison avec les Indochinois
internés en France, l’UC continue de leur apporter son soutien. Parallèlement à
l’intensification des combats en Indochine, "les provocations se multiplient et la tension
monte dans les camps. Dans ces conditions l’UC propose de faire déserter un certain nombre
de délégués, pour préserver les meilleurs cadres ; ceux-ci refusent d’abord") . Quand ils s’y
résignent enfin, il est trop tard. A la suite d’une nouvelle provocation, une révolte éclate en
juillet 1948 au camp de Mazargue. La police ouvre le feu, tuant cinq délégués. 300 "meneurs"
(s’ajoutant aux centaines qui ont été arrêtés au cours des mois précédents) sont transférés dans
des bagnes indochinois où, dénonce La Voix des Travailleurs, ils ont 90% de probabilité de
mourir. Le mouvement des Indochinois en France est décapité. Il l’avait été dès août 1945, en
Indochine même par l’assassinat du dirigeant du groupe La Lutte, Tha-Thu-Tau. Les
nationalistes-staliniens ont le champ libre pour cantonner la révolte du peuple indochinois aux
objectifs nationaux. Les tensions de la scène internationale se répercutent sur la situation
intérieure. Après avoir encore combattu la grève des cheminots et celle de Peugeot de l’été
1947, le Parti communiste fait volte-face et prend la tête du mécontentement ouvrier. La grève
générale que l’UC avait tenté de déclencher à partir de Renault, le PCF la dévoie en une série
de manifestations violentes et de grèves dures, dans les transports parisiens, à EDF, chez
Citroën, dans les mines en 1948, insuffisantes pour faire triompher les revendications
ouvrières mais attestant sa puissance aux yeux de la bourgeoisie. Face à ces difficultés, la
bourgeoisie est plus que jamais tentée par un pouvoir fort. De mai 1947 au début des années
50, le centre de gravité des gouverne-ments se déplace vers la droite tandis que leurs mesures,
réarmement accéléré, intensification de la guerre d’Indochine et, sur le plan intérieur, blocage
des salaires, restriction des droits ouvriers, répression de plus en plus brutale contre les
ouvriers font écrire à Barta "comme en 1939 celle de Daladier, cette politique mène à la "
gaullisation de la France" avec ou sans De Gaulle") . Prenant la tête des grèves, au besoin les
suscitant sans même leur avis, la CGT et le PC cessent d’être, aux yeux des travailleurs, les
agents directs de la bourgeoisie dans leurs rangs. Chez Renault, certains de ses militants qui
avaient rejoint le SDR après la grève réintègrent la CGT. Pour ceux de l’UC, la situation
devient infiniment plus complexe. "Avant 1947, notre situation était simple" explique Barta,
"il fallait se dévouer, pouvoir résister, mais c’était facile de fixer l’objectif parce que à ce
moment là les ouvriers avaient contre eux toutes les organisations, tout ce qui était officiel.
Mais depuis la grève de mai, la situation est beaucoup plus compliquée ; il faut savoir garder
l’initiative") . Dans l’usine, le SDR propose aux autres syndicats d’agir en commun, sur la
base des revendications et des souhaits réels des travailleurs. Mais traduire cette politique de
Front unique dans la réalité quotidienne de l’usine, l’adapter à la multiplicité des situations,
requiert toutes les forces de l’organisation et de sa direction. Même privés du statut de
délégué, les militants du SDR interviennent sur tous les sujets qui préoccupent les ouvriers :
salaires, rapports avec la maîtrise, sécurité, ravitaillement, cantine. Ils poursuivent, d’autre
part, une lutte, politique et juridique, pour obtenir la représentativité de leur syndicat et le
droit de présenter des candidats aux élections professionnelles. En janvier 1948 des élections
partielles sont organisées dans le secteur Collas, à la suite de la démission de délégués CGT
passés à Force Ouvrière. Le SDR appelle à l’abstention et, au second tour au département 6,
obtient exactement le même nombre de voix que le candidat CGT qui est proclamé élu au
bénéfice de l’âge. Ce résultat "inattendu" -et inférieur à celui espéré- commente Barta, est le
produit "d’une maladie qui n’a pas fini de causer le plus grand mal à la classe ouvrière : le
scepticisme") qui fait dire aux travailleurs des discussions entre organisations, "qu’ils se
débrouillent entre eux". Malgré ces conditions difficiles, le SDR parvient à exercer une
influence durable. "Pendant trois ans le SDR a été le facteur décisif dans l’usine" . L’audience
dont il bénéficie n’est "pas un reste d’influence de 1947, mais le fruit d’un travail acharné et
d’une tactique nouvelle élaborée de 1947 à 1949") . En effet, "L’influence née de la grève
[disparaît] pratiquement par le tournant stalinien d’octobre-novembre 1947" constate Barta
qui, pour décrire l’histoire du SDR, récuse "l’image d’une flambée" ). L’année 1949 voit le
SDR remporter deux succès importants. Suite à un arrêt de la Cour de cassation, il obtient sa
représentativité en mai 1949 et le droit de présenter des candidats aux élections de délégués.
En juin, il recueille 1283 voix (contre 17 368 à la CGT) et a sept élus. Les ouvriers, analyse le
Conseil syndical en reconnaissant qu’il en espérait davantage, "sentent que cela va mal et
aussi la nécessité d’une opposition au gouvernement, ils ont voté pour la CGT qui fait
opposition sur le papier. (...) Ils ont voté à gauche sans engager leur responsabilité") . Mais
l’influence réelle du SDR reste bien supérieure à ces résultats électoraux. Confirmation en est
donné à l’automne 1949 où, cette fois, le SDR obtient sa reconnaissance politique officielle
des staliniens. A l’occasion d’une grève dans le secteur de la 4 CV, la CGT est, en effet,
contrainte d’accepter officiellement la présence du SDR dans le cartel constitué par les
organisations syndicales. "Nous avons imposé aux staliniens une unité d’action sans
précédent : un meeting commun où chaque organisation a exprimé librement, à la même
tribune, son point de vue sur la grève en cours. Ceci le 24 novembre 1949, en plein
stalinisme !" . "Nous avons imposé la liberté d’expression face au totalitarisme des dirigeants
de la CGT" . Pourtant, au moment où le SDR connait ces succès, son existence même est
menacée. En réalité, l’Union communiste se trouve aux prises à des difficultés qui la broient.
Réorganisations, discussions, résolutions se succèdent mais rien n’y fait, le malaise persiste et
s’exacerbe. Depuis des mois, sur des questions de tactique syndicale, sur les méthodes de
l’organisation ou encore sur l’abondance du matériel à diffuser quelques militants, dont Pierre
Bois, s’opposent à Barta. Les militants de chez Renault ont, par la force des choses, la
tentation d’interpréter la situation à partir de l’usine, là où Barta impose une vue à l’échelle
nationale et internationale. La question est d’autant plus sensible que "l’organisation se
confond avec une fraction d’usine") . L’organisation tente de trouver des solutions : "Il faut
reprendre le système de sorties périodiques des camarades de l’usine afin qu’ils puissent
reprendre leur esprit et voir la situation en général" décide-t-elle en août 1948. Mais huit mois
plus tard, en avril 1949, l’UC en est toujours au même point : il faut "trouver des éléments qui
puissent se consacrer à l’activité révolutionnaire d’une façon permanente et efficace. En
même temps nous devons faire ce travail sans mettre en danger le syndicat et les possibilités
de notre activité chez Renault. (...) Il faudra qu’on arrive à sortir quelques camarades de
l’usine, progressivement, en vérifiant l’expérience pas à pas". Dans les faits, les circonstances
interdisent le remède. Impossible au moment où le SDR est enfin reconnu de faire sortir
quiconque de l’usine. Les différends s’accusent, les rapports se tendent. Deux fractions se
constituent en septembre 1949. La scission intervient fin novembre 1949. Malgré la scission,
dans un premier temps, les deux fractions collaborent au sein du SDR. Mais, rapidement le
conflit s’envenime et devient public entre "la majorité des délégués SDR" (quatre sur sept
sont restés avec Barta) et le représentant officiel du syndicat, Pierre Bois. Aux élections de
juin 1950 le SDR ne recueille plus que 500 voix. Il disparaît dans les années qui suivent.
Quels que soient les griefs personnels -et comme dans toute scission ils ne manquent pas-, aux
yeux de Barta, la disparition de l’UC a des causes autrement profondes que l’attitude de tel ou
tel. Elle tient avant tout à l’isolement de l’UC qui la condamne à choisir entre deux morts. "La
sortie des militants [de l’usine] était en fait un renoncement" . Y demeurer conduisait à
l’impasse. En effet, le regroupement des "éléments authentiquement révolutionnaires" ne s’est
produit ni à l’occasion de la grève de 1947, ni après. Les tendances d’extrême-gauche
campent sur leurs positions, en particulier le PCI. Chez Renault ses militants ont participé au
mouvement en 1947 mais, par crainte de s’opposer radicalement au PC, leur organisation se
refuse à voir en quoi il est le produit d’une politique consciente. "Si nous n’avons pas rallié
l’opposition aux staliniens, ce n’est pas que nous étions incapables" commente Barta en 1952,
"mais parce que celle-ci n’existait pas dans les actes" . Mais, plus fondamentalement,
explique-t-il, l’isolement dans lequel est restée l’UC malgré sa politique juste est l’illustration
de l’impossibilité pour la classe ouvrière française de l’époque de secréter une avant-garde.
Un point de vue qu’il résume d’une façon lapidaire en 1972 : "Nos forces, de la grève à la
disparition de l’organisation, ne se sont ni augmentées ni renouvelées : l’arbre prolétarien
rejetait en fin de compte la greffe révolutionnaire" . La formule lui a été reprochée, parfois
avec vulgarité. Elle est pourtant l’exact prolongement de ce qu’il affirme tout au long de sa
vie militante. "Tout ce qu’on peut reprocher à la situation objective" écrit-il par exemple, le
22 août 1948, "c’est qu’en fait nous n’avons pas trouvé une aile révolutionnaire des ouvriers
et une jeunesse révolutionnaire capable de rallier les méthodes révolutionnaires". Devant la
baisse du nombre de journaux vendus, le tarissement des soutiens financiers, la diminution de
la participation aux réunions, il constate, en avril 1949, "malgré l’accueil favorable que notre
propagande rencontrait nous n’avons pas trouvé au sein de la classe ouvrière même des
éléments avancés capables de lutter". Un propos qu’il illustre en 1952 en rappelant : "Il fallait
la présence hebdomadaire de la totalité des membres de l’UC aux réunions SDR pour
résoudre non seulement les tâches politiques et tactiques, mais également les tâches
organisationnelles de liaison avec l’usine, etc..." tandis que "l’usine ne nous fournit [pas de]
cadres syndicaux, à peine quelques cotisants talonnés par nos militants" Au bout du compte,
dit-il, "Le manque de sève (...) provoqua la scission et la fin, quels qu’en soient les
responsables. Car si d’en bas et latéralement l’organisation avait reçu des forces nouvelles, de
toutes façons des militants défaillants, quel qu’ait été leur travail, auraient été remplacés,
comme ce fut le cas avec la scission début 1946 qui n’empêcha nullement l’organisation
d’accomplir sa mission" . Barta et les quelques militants demeurés à ses côtés publient neuf
numéros de La Lutte de Classes de janvier à mars 1950 et, chez Renault, quelques numéros de
La Voix des Travailleurs en 1950 et 1951. Par la suite Barta fait plusieurs tentatives pour
reprendre une activité. Il lance en particulier un "appel à tous les anciens militants" de l’UC
en décembre 1950, les invitant à "trouver une base de collaboration, même en dehors de liens
organisationnels" face aux échéances ouvertes par la guerre de Corée. Les contacts
épisodiques pris avec les anciens militants n’ont pas permis de concrétiser ce souhait. En
1956, quelques anciens militants de l’UC créent le groupe Voix Ouvrière, devenu Lutte
Ouvrière en 1968. Mais si Lutte Ouvrière se réclame de la tradition de l’UC, Barta, entre
autres dans sa Mise au point d’août 1972, déclarait ne pas s’y reconnaître. Les textes de Barta
demeurent. Quelques uns ont été réédités, depuis quelques années sous son nom. Mais la
majorité d’entre eux restent inconnus. Les faire paraître n’est pas, à nos yeux, seulement
oeuvre d’historien. C’est aussi, compte-tenu de leur intérêt, y compris pour la période
présente, contribuer à sa compréhension. "J’espère que cette brève analyse incitera à réfléchir
ceux pour qui agir c’est comprendre", écrivait Barta dans sa Mise au Point. A sa modeste
échelle, ce site n’a pas d’autre ambition.

MOYON RICHARD

alexi

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Union Communiste Empty Barta : notes dictées 1954

Message  alexi Mer 6 Aoû - 18:56

Barta

EFFICACITE ET LIMITES
DE L'INITIATIVE REVOLUTIONNAIRE


1954

Notes dictées en 1954

Apparemment le SDR disparaît après l'échec aux élections de délégués de 1950 quand le syndicat
recueille à peu près 500 voix au lieu de 1.300 l'année précédente. Mais en réalité si cela était vrai, la
chose serait très simple et ne demanderait pas beaucoup d'explications, mais l'opinion la plus
répandue c'est en effet que du succès gréviste de 1947 jusqu'en 1950 le syndicat continue à perdre
du terrain et finit par disparaître. L'image d'une flambée résume cette opinion. Mais rien n'est plus
contraire à la réalité : le syndicat conquiert constamment... il disparaît juste au moment où il
remporte les deux plus grands succès. C'est cela qui demande une explication.
1.300 voix en 1949, ce n'est pas un reste d'influence de 47, mais le fruit d'un travail acharné et d'une
tactique nouvelle élaborée de 47 à 49. (L'influence née de la grève disparaissant pratiquement par le
tournant stalinien octobre-novembre 47).
Pourquoi le SDR malgré ses succès constants (attestés par chiffres et faits) a-t-il disparu, qui plus
est après avoir remporté deux succès décisifs (1.300 voix et 24 novembre). Nous nous trouvons
devant ce paradoxe le SDR disparaissant au sommet de ses plus grands succès. Il n'y eut pas de
revirement ouvrier se traduisant par reflux, 1.300 voix à 500, mais scission, etc...
Scission SDR. Délégués 4/7. Journaux différents. Conflit ouvert.
Nous analysons ici les contradictions qui ont amené la scission et la fin du SDR et de l'UC, l'un se
confondant avec l'autre de 47 à 49, en laissant de côté les positions prises par chacun dans cette
crise et portant les responsabilités respectives. Le manque de sève qui provoqua la scission et la fin,
quels qu'en soient les responsables, car si d'en bas et latéralement l'organisation avait reçu des forces
nouvelles de toutes façons des militants défaillants, quel qu'ait été leur travail, auraient été
remplacés, comme ce fut le cas avec la scission début 46 qui n'empêcha nullement l'organisation
d'accomplir sa mission.
Le SDR ne finit pas en juin 50 parce qu'il ne recueille que 500 voix, il ne recueille que 500 voix que
parce qu'après scission. La scission devient définitive après le succès du 24 novembre.
Contradiction capitale : l'activité était menée à l'échelle d'un syndicat d'usine (bien que
révolutionnaire) mais il fallait élaborer la tactique et la stratégie comme à l'échelle de la nation, ce
qui était donc impossible à réaliser par une équipe d'ouvriers d'usine quelles qu'auraient été leurs
qualités.
Exemple : Chambre des députés, cela dépassait l'horizon de l'équipe, les conflits n'étaient solubles
que par des succès constants. Car ce n'était pas par l'appareil syndical produit par l'usine que nous
vivions ; mais par des initiatives constantes justes.
La force décisive de l'UC, c'est-à-dire du syndicat, c'était sa capacité d'exprimer à chaque étape et
pendant tout le temps que s'est exercée son action le point de vue prolétarien, selon les intérêts de sa
masse, au niveau.
Un langage toujours clair, non pas en fonction des antagonismes de l'UC avec les autres
organisations se réclamant de la classe ouvrière, mais au point de vue de la masse.
Créer des cadres nouveaux face aux appareils de trahison, impossible sans croissance
révolutionnaire du mouvement ouvrier. De même que la social-démocratie, cadavre puant depuis
1914, continue de subsister en tant que parti ouvrier de collaboration avec la bourgeoisie, de même
que le stalinisme, sans croissance révolutionnaire de la classe ouvrière empoisonnera encore
longtemps le mouvement ouvrier.
Aucun des cadres de l'opposition LdC, cadres qui constituent le SDR, n'était avant la constitution de
cette opposition ouvrier d'usine ; aucun sans exception. D'origine : 2 employés SNCF, une
couturière, un technicien, quelques étudiants, un seul O.S., mais dont le rôle ne fut pas déterminant.
Il fallait la présence hebdomadaire de la totalité des membres de l'UC aux réunions SDR pour
résoudre non seulement les tâches politiques et tactiques, mais également les tâches
organisationnelles de liaison avec l'usine, etc...
L'activité déployée était celle d'une équipe sur le pied de bataille et non pas le train-train des
réunions.
La grève de Mai telle qu'elle a été déclenchée n'était pas par hasard déclenchée par des camarades
dans l'usine, mais fruit d'un travail acharné précisément en vue de ce but et sous cette forme. D'un
côté travail organisationnel (opposition syndicale LdC), de l'autre : citation LdC au sujet grève
générale et moindre mal.
Tout le long de son existence le syndicat fonctionne par la présence hebdomadaire de l'UC. Sur 12
ou 15 présents (sauf exception) la moitié sont du dehors comme l'étaient les autres avant d'entrer en
usine.
Et le syndicat ne peut vivre que par l'appui organisationnel, sinon seul, mais par l'appui idéologique,
stratégique, tactique écrit du journal ou moindre tract des camarades de l'extérieur, mais aussi par le
travail d'usine des éléments du dehors (étudiants ou autres) maintenant le contact du SDR par visites
à domicile, à la porte de l'usine, avec sympathisants de l'usine, etc...
La politique révolutionnaire juste existait ; elle est prouvée par les succès de masse pendant
plusieurs années par un groupe d'une dizaine de camarades contre des ennemis disposant d'appareils
qui, jusqu'alors, avaient pu étouffer toute autre opposition.
Bilan des succès pendant des années. Comment expliquer la disparition ? Eléments employés, etc...
Le séjour en usine finit par leur enlever les "illusions" révolutionnaires... Appui incomplet des
travailleurs : "c'est très bien, continuez" mais sans proposition de diffuser.
Caractère incomplet de l'appui rencontré dans la classe ouvrière. D'un côté, dès 45, les ouvriers
empêchèrent les matraqueurs du PCF d'assommer nos camarades, bien qu'ils reçurent souvent des
horions, et leur permirent de s'accrocher au terrain (Gnôme & Rhône, Renault, Citroën). Soutien de
l'action de l'action de masse. Cadre de la grève : la grève trouvant son noyau d'éléments frais, jeunes
d'usine, mais par ailleurs pas de diffuseurs pour la presse, pas de cadres SDR, pas de votes.
Si les éléments les plus conscients de l'usine ne s'élevèrent pas, ne fut-ce qu'au niveau du SDR
(syndicalisme sur des bases révolutionnaires, seul syndicalisme honnête possible à notre époque),
nous nous heurtâmes de plus à l'hostilité presque physique des éléments PCI qui aboyèrent avec les
dirigeants PCF contre nous, en nous accusant d'être des diviseurs, etc...
Si nous n'avons pas rallié l'opposition aux staliniens, ce n'est pas parce que nous étions incapables,
mais parce que celle-ci n'existait pas dans les actes. Les militants ouvriers "vieux" d'avant-guerre, ne
se montrèrent actifs, ni dans la grève, ni ensuite, soit fatigués, soit dégoûtés.
Attitude des ouvriers vis-à-vis du SDR. Si les travailleurs suivent les appels du SDR, sans
exception, rencontrent des succès auprès des ouvriers, en soulignant telle revendication, mot-d'ordre
préconisant telle attitude ou défendre une situation qui... organisationnellement et électoralement la
situation change. Par contre les ouvriers susceptibles de renforcer l'organisation (sympathisants,
militants, diffuseurs). Les uns accusent le SDR de faire de la politique, les autres du syndicalisme.
Le comité de grève organisationnellement c'était l'usine, composé dans sa grande majorité
d'éléments surgis avec la lutte (simultanément presque) la précédant seulement de quelques jours, ne
s'étant pas manifestée auparavant de manière importante. Le SDR fut l'UC plus cela pendant
quelques mois, ensuite l'UC seule avec quelques éléments restés quand les autres...
Nous n'avons plus à faire socialement au prolétariat d'avant 38 et à plus forte raison à celui d'avant
14. Des couches importantes de travailleurs, surtout dans la période 45-48, conséquence directe de
la guerre, descendent par pas mal de côtés au niveau balkanique (la grève a été une grève de
manoeuvres et d'OS).
Le déséquilibre cadres - influence fut comblé par une multiplication... "interdiction de mourir ou de
tomber malade sous peine d'exclusion".
L'usine ne nous fournit ni cadres syndicaux, à peine quelques cotisants talonnés par nos militants.
En revanche l'organisation par ses initiatives mobilisa les travailleurs, maintint la démocratie,
imposa aux staliniens...
Le SDR ne représentait pas, comme il le semblait vu de l'extérieur, une croissance de la grève qui
alla jusqu'à donner naissance à une organisation non stalinienne, non réformiste qui n'existait pas
auparavant.
Le SDR c'était une organisation déjà existante et préparée de longues années à l'avance. A aucun
moment organisationnellement il ne fut autre chose : non seulement en ce sens qu'idéologiquement
et politiquement c'est l'organisation (UC) qui avait préparé à la grève qui détermina toute sa
physionomie, mais en ce sens tragique que les apports organisationnels de la grève furent si
minimes que nous n'eûmes numériquement et qualitativement que 25% environ de gens apportés
par la grève.
Pourrait-on imputer ce manque de cadres venant de l'usine, à l'organisation, ses méthodes... Il est
évident que non, car il ne peut y avoir de contradiction absolue entre des succès révolutionnaires,
politiques, syndicaux d'une organisation et sa politique organisationnelle. L'histoire des cadres de
l'UC du reste prouve au contraire que c'était là ses premiers points forts, les méthodes
organisationnelles de l'UC. Points forts qui précisément déterminèrent une différence essentielle
avec les autres organisations "oppositionnelles" et qui lui permirent d'affronter avec succès la
pénétration des usines et la conquête de la sympathie ouvrière.
Ce n'est pas la grève et l'activité du SDR qui nous révélèrent les méthodes de travail et les objectifs
à atteindre. Les méthodes et les objectifs avaient été élaborés de 45 à 47 et la grève ne fit que
consacrer ces méthodes, tout en les enrichissant naturellement.
Il n 'y eut pas de croissance organisationnelle de bas en haut vers le syndicat. Ce sont les cadres
éduqués par l'UC qui s'avèrent les seuls capables d'accomplir des tâches syndicales dans les
conditions de 1947 c'est-à-dire en opposition complète, par conséquent violente et illégale, vis-à-vis
de l'appareil cégétiste qui se manifestait d'une façon totalitaire à l'égard des ouvriers et des
opposants.
Dans la première période une poignée de militants formés dans les circonstances spéciales de
l'occupation réussissent par une politique juste à utiliser la scission morale profonde entre dirigeants
et masse ouvrière et des succès leur assurent la cohésion morale nécessaire à la lutte, malgré des
défections.
Dans la deuxième phase le non renouvellement des cadres provoque l'usure physique et morale
malgré des succès bien plus importants. Il fallait vivre révolutionnairement au milieu
d'organisations non révolutionnaires et malgré appui ouvrier.... etc.
A part deux militants dont les débuts politiques remontent à 31, 33 aucun militant du SDR au
moment de la grève ne possède une expérience de plus de 2 ou 3 années de travail ouvrier sérieux.
Tous sont des jeunes, physiquement et politiquement, ayant commencé leur éducation intellectuelle
en 42-43 et politique et syndicale en 45 - par le travail syndical d'usine.
Il fallut tout redécouvrir chemin faisant : comment rédiger un tract etc... ce fut un très long
apprentissage pour les "vieux" précisément.
L'organisation de la grève et du SDR est le fruit de cette opposition syndicale, travail de l'UC depuis
45.
But : descendre au plus près de la masse O.S., manoeuvres. Les militants de l'opposition syndicale
LdC et du SDR étaient en majorité hors de l'usine (porte à porte, ventes, discussions, liaisons, etc..).
Tout le noyau qui entreprit le travail ouvrier est un noyau d'intellectuels. Ce sont eux qui
préconisent et mettent au point le travail d'usine avant que le noyau prolétarien (éduqué par eux) en
ait la moindre idée.
Le premier succès de l'organisation fut la création de ce noyau prolétarien dont la majorité était loin
d'être des militants de vocation. Initiative permanente des vieux... Grève et SDR non pas une
circonstance fortuite, utilisation, d'un mouvement qui surgit, mais préparation et prévision de longue
haleine, fruit d'initiatives antérieures, création de cadres ouvriers (éducation organisation etc..)
conquête de la liberté (démocratie d'usine, agitation individuelle, ventes, mobilisation pour
protection).
On ne peut pas assurer indéfiniment avec succès un travail de masse à tendance numériquement
faible qui se limite à une seule usine. Car les cadres de la tendance et les éléments éclairés de la
classe ouvrière ont besoin d'être nourris idéologiquement et soutenus à l'échelle nationale.
Efficacité des cadres qui donnèrent le meilleur d'eux-mêmes sur la base historique donnée, mais
limités par leur manque d'expérience révolutionnaire d'une part, et de l'absence presque totale de
sève leur venant de la classe ouvrière, et surtout de sève révolutionnaire provenant de l'émulation
avec d'autres organisations révolutionnaires. Mais dans la mesure où la classe ouvrière répond
favorablement à notre travail de 45 à 50 les cadres y trouvent l'appui moral indispensable pour
déployer le meilleur d'eux-mêmes.
Si les premiers succès vis-à-vis de la classe ouvrière permettent à l'organisation de moralement
subsister, à la longue l'appui incomplet venant d'en bas et l'atmosphère irrespirable entre différentes
tendances (manque de milieu révolutionnaire qui ne saurait être celui d'une organisation même s'il
ne s'était agi d'une petite mais d'une grande organisation), provoqua l'émulation en sens inverse.
Scission 35% avant grève de mai, s'élevant contre le travail ouvrier sans but, sans résultat. Si la
grève avait tardé, il est probable que l'organisation n'aurait pas pu continuer l'effort en direction
Renault. La disparition lui interdisait tout avenir. Conquérir une influence de masse était la première
étape d'un travail révolutionnaire.
Début 49, décision de sortir les militants de l'usine pour leur permettre de respirer, mais la
reconnaissance du syndicat obligea de rester. Deux genres de mort. La sortie des militants était en
fait un renoncement, la fin du SDR, que seule la reconnaissance, obtenue par les efforts depuis 47,
retarda. Délai fixé, même dilemme.
Si les appareils staliniens et réformistes sont incapables d'empêcher la classe ouvrière de se mettre
en branle quand elle prend conscience que c'est la seule voie, ils sont par contre parfaitement
capables de saboter et d'empêcher que les travailleurs se renforcent dans le combat. Ils tarissent à la
source même pour les tendances révolutionnaires authentiques les possibilités de se renforcer, de
croître, etc..
En quatre ans de luttes grévistes formidables, les travailleurs ont évité le pire, empêché le
totalitarisme gouvernemental et ouvrier de s'installer, mais ils se sont en même temps usés [*] et ne
prirent pas de grandes initiatives révolutionnaires. Ex. Renault, qui n'entraîna pas tout de suite...
grève surgissant ensemble de la même façon que chez Renault, S.N.C.F.
L'avantage décisif de notre explication, outre qu'elle est basée sur des faits matériels incontestables,
c'est qu'elle n'est pas une explication à posteriori. A chaque étape nous savions les dangers qui nous
menaçaient et nous savions d'avance ce qui nous est arrivé, faute de pouvoir les surmonter
révolutionnairement.
L'expérience UC (Opposition Lutte de Classes) prouve que ce n'est pas la classe ouvrière qui est
stalinienne ou social-démocrate, qu'elle est incapable de comprendre et d'accepter une direction
révolutionnaire. La classe ouvrière est prête à accepter et à suivre une telle direction, dans la mesure
où cette direction existerait et prouverait ses capacités révolutionnaires.
Cette expérience prouve que c'est l'avant-garde ouvrière (nous entendons par là les ouvriers les plus
avancés et les plus décidés) qui ne peut se hausser à un niveau véritablement révolutionnaire,
constituer des cadres véritablement révolutionnaires.
Ce double fait contradictoire s'explique, croyons-nous, d'un côté par la crise profonde du régime et
la chute du niveau de vie – et d'un autre côté par la persistance de la mentalité individualiste du
temps de la "prospérité" capitaliste. Les meilleurs éléments, au bout de quelques années d'activité
révolutionnaire, finissent par abandonner ou acquérir une mentalité "au-dessus" des ouvriers du
rang.
L'UC crée le SDR non pas en raison d'une orientation stratégique générale - par exemple solution du
problème syndical par la création du syndicat autonome – mais pour résoudre un problème précis. Il
fallait fournir à l'avant-garde ouvrière surgie par et avec la grève, un point d'appui organisationnel
pour poursuivre la lutte contre le stalinisme et le réformisme, cette lutte ne pouvant pas, comme au
temps de l'Opposition Lutte de Classes du reste, être menée à l'intérieur de la CGT (refus de la
direction CGT de reconnaître la nouvelle direction des départements 6-18).
Mais cette avant-garde issue de la grève disparut après Novembre-Décembre 1947 (tournant
stalinien) à la fois pour des raisons objectives - sabotage du mouvement de grève générale de Mai
jusqu'à Octobre-Novembre par les stalino-réformistes, – et pour des raisons subjectives (le tournant
stalinien réconcilia la CGT avec ses éléments qui avaient tendance à s'émanciper de son contrôle
dans le période précédente). Seuls quelques éléments furent assimilés par l'organisations, pas par le
syndicat. L'idéologie découlant ou servant de base à l'activité syndicale proprement dite s'avéra
incapable de servir de support à l'action syndicale elle-même, cette activité syndicale ayant acquis,
comme Trotsky l'a bien fait ressortir, un caractère éminemment révolutionnaire.
La disparition de l'avant-garde gréviste de Mai nous place à nouveau devant un dilemme, semblable
à celui de l'Opposition Lutte de Classes : assumer nous-mêmes directement la responsabilité du
SDR, être le SDR à la place des éléments d'usine, ou renoncer à une activité de masse, inconcevable
sans l'activité syndicale.
Une croissance révolutionnaire aurait permis de résoudre le problème, l'activité syndicale nous
permettant de maintenir le contact avec les masses sans que nous soyons absorbés par cette activité
syndicale. Nous avons dû être le SDR non pas en ce sens que c'est nous qui devions trouver la
tactique et la stratégie du syndicat. Le SDR et même le Comité de grève, y compris nos militants en
faisant partie, ne pouvaient évidemment élaborer seuls la stratégie et la tactique – et cela est normal.
Ce n'est pas cela qu'on demande à un syndicat ou à un comité de grève, même à l'échelle Renault.
Ce qu'on leur demande, c'est qu'ils appliquent correctement et en l'assimilant la politique ouvrière
révolutionnaire, que seule une organisation s'élevant au niveau national et international pouvait
élaborer.
Mais l'UC dût être le SDR aussi en ce qui concerne l'apport qui devait venir de l'usine. L'usine aurait
dû nous fournir l'armature ouvrière militante du syndicat. L'UC devint à tel point le SDR, qu'à un
moment donné elle dût renoncer à sa presse spécifique pour ne plus éditer que le bulletin SDR.
Nous espérions fermement que le problème serait résolu à la longue par la croissance
révolutionnaire. Un groupe si faible numériquement n'a pu accomplir les tâches qu'il a accomplies
qu'animé par une forte volonté révolutionnaire au niveau de sa politique révolutionnaire. Le nombre
de ses publications, des tracts, la quantité de travail purement matériel fourni par lui, sont énormes
par rapport au faible nombre. C'était un combat de tous les jours, et tout tenait à un fil qui ne
pouvait pas ne pas casser. A tel point, que nous avions l'habitude, en "plaisantant", de spécifier qu'il
était interdit de tomber malade ou de mourir, sous peine d'exclusion.
Ce ne sont pas les idées et la direction révolutionnaire que la classe ouvrière a refusées ; ce qui a
manqué, ce sont les ouvriers conscients qui dans les conditions "occidentales" ne peuvent se hausser
à l'activité révolutionnaire constante (voir à ce sujet "Souvenirs" de Kroupskaïa : "sans ouvriers
capables de mourir pour leur cause... pas de parti révolutionnaire...").
L'Opposition Lutte de Classes et le SDR ne furent pas le fruit de la fraction ouvrière de l'Union
Communiste, mais la fraction ouvrière de l'UC y compris l'Opposition Lutte de Classes et le SDR
furent le fruit de l'orientation fondamentale de l'UC (voir rapport 1941). Le noyau ouvrier fut
éduqué dans ses tâches révolutionnaires et spécifiquement ouvrières par le noyau intellectuel
révolutionnaire de l'UC qui jeta les bases théoriques et organisationnelles de l'UC.
Doit-on considérer le SDR comme un nouvel échec d'une petite organisation tentant d'émanciper les
ouvriers du stalinisme et de la social-démocratie ? Rien n'est plus contraire à la vérité.
La fin du SDR n'est pas l'échec d'une petite organisation incapable d'exploiter jusqu'au bout un
premier succès (Avril 1947). Comme nous l'avons vu, la grève de Mai de même que l'Opposition
Lutte de Classes, le SDR et ses succès, tout cela a été arraché de haute lutte par une petite
organisation, en dépit des circonstances insuffisamment favorables à l'obtention de grands succès si
sa volonté avait été moins forte, sa politique moins pénétrante, etc.
La fin du SDR c'est la limite tracée par l'état général de la société et de la classe ouvrière devant
l'initiative révolutionnaire la plus efficace qu'on ait connue en Occident jusqu'à l'heure actuelle.
L'UC, le SDR, loin de bénéficier par ailleurs de l'appui des autres oppositionnels, des
révolutionnaires comme le PCI par exemple, furent sabotés politiquement et quelquefois
organisationnellement par ces soi-disant révolutionnaires.
La grève, elle, fournit ses propres cadres. Sans quoi elle n'eut pas été une véritable grève surgie du
plus profond de la classe ouvrière. Mais ces cadres ne durèrent que ce que dura l'état d'esprit
gréviste surgi d'en bas en opposition avec les directions syndicales. Des éléments changèrent de
département, d'autres changèrent d'usine, certains, repentis, revinrent à la CFTC ou à la CGT.
Origine sociale des militants entrés en usine : militants les plus actifs, deux employés SNCF, un
pâtissier, un technicien, une couturière, un jeune sans profession fils d'artisan, un étudiant.
La conquête des usines se fait de l'extérieur vers l'intérieur et politiquement (syndicalement) et
organisationnellement (camarades entrés). Jamais, aussi bien avant qu'après la grève de Mai, nous
ne trouvons à l'intérieur de l'usine un appui organisationnel direct (éléments révolutionnaires
adhérant à l'organisation) – appuis de toutes sortes selon les circonstances, mais s'arrêtant là.
Pourquoi cette conquête des usines de l'extérieur à l'intérieur ? But fondamental de l'organisation :
rapport 41. Prévision du mouvement gréviste et ses conséquences, Lutte de Classes, "Thorez hors
du gouvernement" et "Le moindre mal". Organisationnellement : camarades entrés, et dilemme.
Quelle a été l'attitude personnelle de chaque élément dans le déclenchement de la crise, et la rupture
intervenue ? Cela est une autre question, qui peut être étudiée sur la base de documents, des
attitudes prises en présence des tâches. Nous voulons expliquer ici que la crise était inévitable par
l'impossibilité de recruter et de renouveler les cadres, nourrir l'organisation de sève prolétarienne.
Pendant la grève et le mouvement gréviste d'avril à novembre, les travailleurs d'usine formant le
comité de grève agissant au sein du SDR dépassèrent quelquefois en activité et énergie certains de
nos militants. La masse cent fois plus à gauche (Lénine) (mais très limité dans le temps). Le rapport
de 1941 posait comme objectif fondamental de l'organisation la fusion révolutionnaire avec la classe
ouvrière.
L'attitude prise par chacun appartient à l'histoire intérieure de l'UC Mais l'UC ne pouvait pas vivre,
c'est-à-dire se développer, faute de trouver une avant-garde révolutionnaire dans la classe ouvrière.
Appuyée sur la volonté de résistance ouvrière aux conditions morales et économiques que la
bourgeoisie imposa à la "Libération" aux travailleurs avec l'aide des staliniens et des socialdémocrates,
une poignée de militants agissant sur des bases révolutionnaires put infliger des coups
sérieux aux social-traîtres et arracher partiellement les ouvriers à leur influence, dans certaines
usines parisiennes. Cette action efficace culmina dans la grève Renault d'Avril-Mai 1947 et dans
l'action du SDR qui infligea de rudes coups au totalitarisme stalinien et à la collaboration de classes
FO A l'échelle d'une expérience de laboratoire l'Union Communiste (trotskyste) a donc apporté la
preuve, pensons-nous, de l'efficacité de l'initiative véritablement révolutionnaire face au
totalitarisme stalinien, dont la "toute-puissance" s'avéra inopérante dès qu'il n'eut plus devant lui des
opposants de tendance ouvrière conservatrice de par ses tendances théoriques, ou en fait, malgré des
théories "révolutionnaires" (par ex. PCI toujours à la remorque des initiatives staliniennes).
Cette forte volonté ouvrière de résistance – sur laquelle était basée toute la stratégie et tactique de
l'UC avant 47 (voir nombreux articles, notamment Le moindre mal) fut telle, que la classe ouvrière
entra en lutte avec ou sans initiative révolutionnaire préméditée – comme ce fut le cas chez Renault
(Villeneuve St. Georges même année, phénomène identique, avec la base syndicale comme pointe
avancée). Cette volonté de résistance fut suffisante pour amener la classe ouvrière à la résistance
gréviste même sans direction centrale (direction à la base seulement) contre leurs propres directions
au sommet.
Mais la volonté ouvrière fit complètement défaut à la création de nouvelles organisations
prolétariennes. Malgré la sympathie rencontrée par l'UC et malgré son efficacité dans la lutte de
masses (qui dut être menée sans interruption depuis la grève jusqu'à la disparition du SDR), jamais
l'apport organisationnel venant d'en bas ne suffit à combler (à plus forte raison permettre le
développement) les pertes en énergie et fatigue physique provoquées par le combat. Car c'était un
combat de tous les jours. Le décalage est décisif entre l'influence dans les conflits (toujours
déterminante par l'attitude prise) et l'influence morale dans la masse à chaque moment – votes
syndicaux (élections 47, 48, 49 etc.) – soutien organisationnel (diffusions, souscriptions, etc.),
organisation (adhérents etc.), militantisme!
Ce décalage empêche à la longue l'organisation de survivre, malgré son action objectivement
efficace dans les luttes ouvrières. L'initiative révolutionnaire trouve dans le conservatisme de
moeurs, social (des ouvriers "avancés") des limites impossibles à franchir...

Note de Barta
[*] Equivoque : grèves 51-53 prouvent le contraire. Préciser : efforts révolutionnaires des ouvriers éduqués insuffisants,
et non pas des masses. La lutte ne peut pas "user" les masses, au contraire. Mais il en va autrement pour les individus.

alexi

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Message  verié2 Mer 6 Aoû - 20:16

Ce bilan de Barta est intéressant. Ce passage le résume assez bien :
Cette expérience prouve que c'est l'avant-garde ouvrière (nous entendons par là les ouvriers les plus
avancés et les plus décidés) qui ne peut se hausser à un niveau véritablement révolutionnaire,
constituer des cadres véritablement révolutionnaires.
Ce double fait contradictoire s'explique, croyons-nous, d'un côté par la crise profonde du régime et
la chute du niveau de vie – et d'un autre côté par la persistance de la mentalité individualiste du
temps de la "prospérité" capitaliste. Les meilleurs éléments, au bout de quelques années d'activité
révolutionnaire, finissent par abandonner ou acquérir une mentalité "au-dessus" des ouvriers du
rang.
Il est clair que cette situation a perduré et qu'elle ne fut pas liée ensuite à "la persistance de la mentalité individualiste du temps de la "prospérité" capitaliste". C'est au contraire le développement économique, la prospérité des trente glorieuses et leurs retombées pour une partie importante de la classe ouvrière qui ont entretenu cette mentalité. Aujourd'hui, alors que la crise dure et s'approfondit, on peut davantage parler de la persistance de cette mentalité...

Barta constate donc que son groupe est toujours resté extérieur à la classe ouvrière qui ne lui a fourni ni cadres ni militants en nombre significatif. Ce constat est implacable, mais que fallait-il faire dans ces conditions ? Il ne nous le dit pas.

Par ailleurs, dans un texte de 1950, il ne pouvait pas prévoir le nouveau bond en avant de l'économie capitaliste. Il pensait comme l'immense majorité des trotskistes que le capitalisme était à bout de souffle, que la troisième guerre mondiale était inévitable etc.
Ce serait intéressant de connaître son point de vue dans les années 70...

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Message  alexi Mer 6 Aoû - 23:08

Vérié :
Barta constate donc que son groupe est toujours resté extérieur à la classe ouvrière qui ne lui a fourni ni cadres ni militants en nombre significatif. Ce constat est implacable, mais que fallait-il faire dans ces conditions ? Il ne nous le dit pas.

La réponse est dans le titre :

EFFICACITE ET LIMITES
DE L'INITIATIVE REVOLUTIONNAIRE

et dans le texte :

La fin du SDR c'est la limite tracée par l'état général de la société et de la classe ouvrière devant
l'initiative révolutionnaire la plus efficace qu'on ait connue en Occident jusqu'à l'heure actuelle.

Ce n'est pas théoriser un renoncement mais une analyse de la situation à un moment donné, cette situation pouvant évidemment changer.
S'il a renoncé personnellement c'est parce qu'il s'est retrouvé seul.

alexi

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Message  Invité Jeu 7 Aoû - 0:23

alexi a écrit:S'il a renoncé personnellement c'est parce qu'il s'est retrouvé seul.

Non, c'est poser le problème à l'envers. En tous cas ce n'est pas poser le problème de façon militante. Peut-être s'est-il effectivement retrouvé seul, mais ce ne peut être la raison dernière de son renoncement. D'autres se sont retrouvés seuls, dans des situations bien pires parfois, et n'ont pas pour autant renoncé, ou seulement temporairement, sous les coups de la répression. Le groupe qu'avait constitué Barta, tel qu'il a existé à son origine puis pendant la seconde guerre mondiale, n'était lui-même pas bien joufflu ! Et il ne l'a d'ailleurs jamais été de toute sa courte histoire. Il n'y a pas de reproche particulier dans ce que je dis, je ne fais que constater et ne prétend rien pour ma part ; et je ne tiens surtout pas à porter le moindre jugement d'ordre moral avec soixante ans de retard. Mais, aussi réactionnaire que fut la période, il n'y avait aucun obstacle insurmontable au recrutement et à la formation de jeunes intellectuels, ne serait-ce que ça, sans parler de militants ouvriers révolutionnaires, ce qui déjà n'aurait pas été inutile (le texte le souligne bien d'ailleurs) ! Si Barta s'est définitivement retrouvé seul, c'est qu'il a arrêté de militer. Bien sûr il est aisé de comprendre ce que la situation pouvait avoir de démoralisante, et il n'y a absolument rien d'exceptionnel à tout cela. C'est l'inverse qui l'aurait été.

Par ailleurs le texte de Barta, même si j'avais déjà eu l'occasion de le lire, est extrêmement intéressant pour comprendre les problèmes qui se posaient (et qui n'ont effectivement rien à voir avec le recrutement de quelques jeunes, je disais cela à titre d'exemple pour dire qu'il y a toujours à faire, quel que soit le nombre, quelle que soit la période, etc.) et la façon qu'il avait de les poser... Il y a une certaine hauteur qui n'est pas commune !

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Message  verié2 Jeu 7 Aoû - 10:10

alexi a écrit:
Vérié :
Barta constate donc que son groupe est toujours resté extérieur à la classe ouvrière qui ne lui a fourni ni cadres ni militants en nombre significatif. Ce constat est implacable, mais que fallait-il faire dans ces conditions ? Il ne nous le dit pas.

La réponse est dans le titre :

EFFICACITE ET LIMITES
DE L'INITIATIVE REVOLUTIONNAIRE

et dans le texte :

La fin du SDR c'est la limite tracée par l'état général de la société et de la classe ouvrière devant
l'initiative révolutionnaire la plus efficace qu'on ait connue en Occident jusqu'à l'heure actuelle.

Ce n'est pas théoriser un renoncement mais une analyse de la situation à un moment donné, cette situation pouvant évidemment changer.
S'il a renoncé personnellement c'est parce qu'il s'est retrouvé seul.
Non, ni le titre ni le texte n'apportent de réponse à la question : "Que fallait-il faire dans cette situation ?"

Sans donner de leçon de morale à qui que ce soit, je partage tout à fait le point de vue de ELX. Il me semble que, quand on se retrouve seul, il est toujours possible de donner un coup main aux militants dont on se sent le plus proche et de continuer à défendre son point de vue, à transmettre ses acquis. Mais je conviens que ça peut s'avérer concrètement très difficile humainement. Pourtant Barta qui, on peut le supposer, était un intellectuel d'un certain niveau, n'a même pas fait l'effort d'écrire un bilan plus élaboré de son expérience que ces quelques notes rédigées (ou dictées ?) à la hâte, ni d'analyser la nouvelle situation. C'est son choix, mais on ne peut pas en rendre responsable ceux avec qui il s'est brouillé pour de bonnes ou de mauvaises raisons politiques, voire pour des questions de personnes.

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Message  Pedrolito Jeu 7 Aoû - 15:53

En tout cas merci pour ces textes et pour ces liens.

J'avais lu le livre de Hardy, et naïvement, j'avais cru tout ce qui y était écrit sur cette période, pensant qu'un marxiste devait coller le plus possible à la réalité. Je m'aperçois qu'il y a des passages qui relèvent plus de constructions qu'autre chose.
J'ai l'impression d'avoir été trompé sur la marchandise.

Sinon, rapport à ce "pessimisme", comment expliquer alors que des orgas comme LO (par exemple) aient réussi à s'implanter durablement dans la classe ouvrière, avec des présences dans des usines (que ces orgas ou implantations soient modestes ou non) ? Il doit y avoir une stratégie qui peut marcher que Barta n'a pas su voir (ou attendre). Je veux dire que Voix ouvrière a bien eu un moment une taille comparable à celle de l'UC/LdC/SDR, avec toutes les limites que cela pose. Comment VO/LO a réussi à dépasser ces limites et à s'étendre ? Limites qui peuvent être perçues comme un mûr infranchissable en lisant Barta.
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Message  alexi Jeu 7 Aoû - 19:22

Pedro :
Je veux dire que Voix ouvrière a bien eu un moment une taille comparable à celle de l'UC/LdC/SDR, avec toutes les limites que cela pose. Comment VO/LO a réussi à dépasser ces limites et à s'étendre ? Limites qui peuvent être perçues comme un mûr infranchissable en lisant Barta.
Sans doute parce que la situation a changée avec une certaine politisation d'une partie de la population avec la guerre d'Algérie, puis de mai 68 qui a permis un saut quantitatif pour tous les groupes.
Mais le but n'est pas simplement être présent dans les usines, il faut aussi avoir l'analyse et la tactique adéquate pour acquérir une audience auprès des masses.
Force est de constater que le tout petit groupe Barta a réussi énormément. Qu'aurait-il été capable de faire par la suite avec les milliers de militants de LO ?

Barta pensait qu'il ne pouvait rien faire de plus que ce qui avait été fait dans la situation qui était la sienne.

Mais deux ans plus tard il accepte d'aider aux débuts de Voix Ouvrière (26 textes du 24/11/56 au 01/04/57) cependant, les conditions qui lui seront imposées rendent la poursuite de cette aide matériellement impossible.
Devait-il créer un groupe concurrent ?

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Message  verié2 Ven 8 Aoû - 10:18

Alexi
1) Force est de constater que le tout petit groupe Barta a réussi énormément. Qu'aurait-il été capable de faire par la suite avec les milliers de militants de LO ?

Barta pensait qu'il ne pouvait rien faire de plus que ce qui avait été fait dans la situation qui était la sienne.

2) Mais deux ans plus tard il accepte d'aider aux débuts de Voix Ouvrière (26 textes du 24/11/56 au 01/04/57) cependant, les conditions qui lui seront imposées rendent la poursuite de cette aide matériellement impossible.
Devait-il créer un groupe concurrent ?
1) Ta remarque relève d'une conception franchement subjectiviste-idéaliste. Certes un individu, ou quelques individus, dans des circonstances particulières, peuvent jouer un rôle exceptionnel. Tels Lénine et Trotsky en 1917. Mais croire que, si Barta avait été à la tête de LO, la situation du mouvement ouvrier aurait été changée de façon importante, c'est accorder une importance beaucoup trop grande aux "chefs", au facteur subjectif.
Alors que Barta lui-même explique bien les limites de la situation objective, à savoir l'absence d'une avant-garde ouvrière révolutionnaire et d'ouvriers prêts à s'engager dans cette voie.

Inversement, il est d'ailleurs permis de se demander si ce n'est pas parce que LO s'est adaptée à cette situation que cette organisation a connu un petit développement.

Les militants et les ouvriers ne sont pas des pions que manipulent des dirigeants géniaux. Il faut une adéquation entre la volonté de la base et celle de la direction. Par exemple, quand LO a mené une politique quasi corporatiste-syndicaliste chez PSA Aulnay, assez peu différente de celles d'autres sections CGT combatives non dirigées par des Trotskistes, pendant la dernière grève, LO ne s'est pas trouvé en opposition avec les aspirations ni de sa base ni de ses militants...

2) Encore une fois, je ne me permettrais pas de donner des leçons de morale ni à Barta ni à d'autres militants placés dans des conditions difficiles. Mais il me semble que, pour quelqu'un qui avait à coeur de poursuivre la lutte communiste, il existait toutes sortes de possibilités, sans nécessairement créer un autre groupe. A la limite, il pouvait se consacrer à un travail théorique en attendant une situation plus favorable.

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Message  Pedrolito Ven 8 Aoû - 11:13

Pour le 1), j'ai pas l'impression que c'était ce que voulait dire Alexi. J'ai plutôt compris qu'il se questionnait sur l'impact et l'influence potentiels qu'aurait pu avoir le groupe Barta avec une force militante plus large, et non sur le caractère de sauveur suprême de Barta lui-même. Enfin, il répondra tout seul.

--------

Sinon, en lisant quelques textes, ce que je trouve intéressant c'est l'approche résolument tournée vers l'implantation des idées révolutionnaires dans la classe ouvrière plutôt que la posture de représentant de la classe ouvrière.
Et si, comme il le souligne, cette "greffe" n'a pas marché (à cette époque), c'est surtout peut-être à cause de l'omniprésence voire l'omnipotence du PCF et de la CGT stalinisés dans la classe ouvrière qui ont été le principal rempart pour étouffer revendications et aspirations révolutionnaires ("la grève arme des trusts", "produire d'abord, revendiquer ensuite" etc.). C'est cela (au moins en partie) qui peut expliquer la non-émergence d'éléments révolutionnaires au sein des ouvriers du rang, et non le fait que le prolétariat ne soit pas révolutionnaire.

Du moins pour l'époque.
Pour aujourd'hui, l'idée évoquée dans ce fil de "persistance de la mentalité individualiste du temps de la "prospérité" capitaliste" me semble importante. Avec le phénomène de précarasition (90% des embauches se font en CDD dont pas mal d'intérim, et principalement sur des contrats et missions très courts ; de plus, en proportion, les CDD représentent une part des contrats toujours plus importante), les travailleurs sont de plus en plus difficiles à toucher, et à sensibiliser (et donc à former). Pour moi, ce sont deux grands enjeux auxquels les révolutionnaires devront répondre.
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Message  verié2 Ven 8 Aoû - 12:57

Pedrolito
l'impact et l'influence potentiels qu'aurait pu avoir le groupe Barta avec une force militante plus large
Ca n'a guère de sens. Les forces militantes ne tombent pas du ciel. Leur développement correspond à des périodes, des situations. Se demander ce que Barta pourrait faire ou aurait pu faire avec une force militante (très modeste tout de même) de la taille de LO est absurde. Les militants, pas davantage que les travailleurs, ne sont des pions à qui on pourrait faire mener toutes sortes de politiques différentes. Ils sont recrutés sur certaines bases, non seulement idéologiques mais pratiques. Leur formation et leurs motivations ne résultent pas seulement de cours de marxisme mais de leurs activités quotidiennes pendant des années et des années.

Quand Barta a formé son premier groupe, lui et ses camarades étaient convaincus que le capitalisme était à bout de souffle, que les perspectives étaient révolution ou troisième guerre mondiale, que le PCF et la CGT pouvaient passer par pans entiers dans les rangs révolutionnaires. Barta pensait même que l'armée "rouge" ferait sa jonction avec une explosion révolutionnaire etc. Les militants étaient recrutés dans ces perspectives. LO n'a jamais fait le bilan des erreurs d'appréciation (certes difficile) de cette période et de la période d'expansion qui a suivi. Mais ses militants ont été recrutés et formés dans une période de relatives prospérité du capitalisme et paix sociale. Aujourd'hui, ils considèrent que nous vivons une période de recul terrible du mouvement ouvrier et que tout ce qu'on peut faire c'est maintenir le drapeau. Pessimisme qui explique en partie le manque d'audace et de tentative d'utiliser la lutte de PSA Aulnay pour se tourner vers l'ensemble de la classe ouvrière et des boites qui ferment ou licencient. Suffirait-il d'un Barta pour mener une politique complètement différente ? Les dirigeants sont dans une bonne mesure représentatifs de leur base. Il n'y a de gros décalages entre base et direction que dans des périodes très rares, voire exceptionnelles. Comme par exemple la grève Renault de 47 pour toutes les raisons qui ont été exposées sur ce fil.

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Message  alexi Ven 8 Aoû - 19:18

Vérié :
Les forces militantes ne tombent pas du ciel. Leur développement correspond à des périodes, des situations. Se demander ce que Barta pourrait faire ou aurait pu faire avec une force militante (très modeste tout de même) de la taille de LO est absurde. Les militants, pas davantage que les travailleurs, ne sont des pions à qui on pourrait faire mener toutes sortes de politiques différentes. Ils sont recrutés sur certaines bases, non seulement idéologiques mais pratiques. Leur formation et leurs motivations ne résultent pas seulement de cours de marxisme mais de leurs activités quotidiennes pendant des années et des années.

Tu n'as pas tort.
Néanmoins, je voulais pointer l'idée que, suite au recrutement sur la base de ses analyses de la situation, Barta avait eu l'impact maximum qu'il pouvait obtenir dans les circonstances données. Et cet impact n'est pas négligeable.
Est-ce que VO/LO a eu cet impact maximum que la situation permettait et si non, pourquoi ?

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Message  alexi Sam 9 Aoû - 19:57

Vérié :
Il est clair que cette situation a perduré et qu'elle ne fut pas liée ensuite à "la persistance de la mentalité individualiste du temps de la "prospérité" capitaliste". C'est au contraire le développement économique, la prospérité des trente glorieuses et leurs retombées pour une partie importante de la classe ouvrière qui ont entretenu cette mentalité. Aujourd'hui, alors que la crise dure et s'approfondit, on peut davantage parler de la persistance de cette mentalité...
Si cette mentalité a perdurée, cela signifie que Barta avait raison et qu'il n'ait toujours pas possible d'aller plus loin et de créer l'organisation qui est nécessaire pour mener une politique révolutionnaire.

alexi

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Message  verié2 Dim 10 Aoû - 10:50

alexi a écrit:
Vérié :
Il est clair que cette situation a perduré et qu'elle ne fut pas liée ensuite à "la persistance de la mentalité individualiste du temps de la "prospérité" capitaliste". C'est au contraire le développement économique, la prospérité des trente glorieuses et leurs retombées pour une partie importante de la classe ouvrière qui ont entretenu cette mentalité. Aujourd'hui, alors que la crise dure et s'approfondit, on peut davantage parler de la persistance de cette mentalité...
Si cette mentalité a perdurée, cela signifie que Barta avait raison et qu'il n'ait toujours pas possible d'aller plus loin et de créer l'organisation qui est nécessaire pour mener une politique révolutionnaire.
Il me semble que l'histoire a montré que des partis véritablement révolutionnaires ne se développent que dans les périodes révolutionnaires ou au moins pré révolutionnaires. Périodes, on en conviendra, assez rares. Mais ce n'est pas tout ou rien. Dans d'autres périodes, il est tout de même possible de maintenir des traditions, d'analyser les nouvelles situations et d'agir selon ses possibilités pour défendre les intérêts immédiats de la classe ouvrière. Le problème est qu'une organisation qui se développe, même modestement, et se perpétue pendant des décennies dans un contexte de relatives paix sociale et prospérité peut difficilement rester ou devenir l'outil approprié quand la période change. L'organisation, devenue une institution plus ou moins intégrée sous des formes diverses, prend des traits conservateurs, en dépit des velléités révolutionnaires de ses membres. L'histoire a montré aussi que de telles organisations sont impactées par les nouvelles situations, les crises... comme l'ensemble de la société. L'exemple le plus célèbre étant celui de la social-démocratie. Bref, on ne peut pas traverser cinquante ans de paix sociale armé de pied en cap, prêt à affronter des crises révolutionnaires.

Il n'y a pas de solution miracle, mais il faut être conscient de ces phénomènes et conserver un regard critique et lucide sur les organisations qui se sont développées dans ces conditions, se garder de toute auto satisfaction. La puissance d'intégration du système capitaliste est considérable et l'habileté des classes dominantes et des politiciens à leur service, après deux siècles d'expérience, est redoutable...

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Message  Copas Dim 10 Aoû - 17:25

Sur la question du parti, il peut être utile de distinguer des situations où existent de très puissants partis ouvriers, très hiérarchisés, et nomenklaturisés à cœur, contrôlant la classe ouvrière, même si avec des hauts et des bas, de situations où ces partis et organisations n'existent pas.

Construire un parti révolutionnaire dans la période de la dernière guerre mondiale jusqu'à il y a une vingtaine d'années se heurtait à un manque d'espace politique au sens quasiment physique du terme (et des fois avec des arguments contondants).

Nous sortons d'une période très longue où de grosses orgas politiques ouvrières barraient le chemin. Ce sont leurs défaites, et par conséquent les revers de la classe ouvrière, qui ont liquidé les grands partis ouvriers.

Ces grands partis n'existent plus maintenant et ne contrôlent plus la classe ouvrière, voir n'y sont quasiment plus.

La situation est en même temps plus difficile, et en même temps recèle de bien plus grands espaces.

Ceci étant : non il n'y aura pas de révolution si on entre dans une période révolutionnaire avec de petites organisations, il faut à minima de petits partis de masse sinon on se fera recoller.

Et oui il y a forcement des conséquences déviationnistes de rester longtemps de petits partis durant des dizaines d'années, voir même des travers pathologiques. C'est comme ça et il faut le savoir.
Nous vivons une époque où les choses changent au grand galop dans le monde, pour le meilleur comme pour le pire.
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Message  alexi Jeu 21 Aoû - 18:33

Hommage à Jacques Ramboz (1917-1999)
Militant communiste internationaliste (trotskyste)


Edition Quaderni Pietro tresso (7 euros à La Brêche)

JACQUES RAMBOZ
Je suis né le 6 mai 1917 à Paris (15ème) dans une famille petite-bourgeoise. A la suite d’une opération dans mon jeune âge, j’ai été handicapé par une surdité qui ira en s’aggravant.
Lycéen au Lycée Michelet (Vanves), j’ai adhéré aux Jeunesses Communistes (JC) au moment du Front Populaire et j’ai organisé et animé l’Amicale du Lycée jusqu’à mon départ après le Bac. J’ai mené l’agitation en faveur de la révolution espagnole et pour les JC pendant mon passage d’un an à la section préparatoire à la Manufacture de Sèvres, où je fus éliminé au concours de fin d’année.
Entré en opposition par rapport à la ligne nationaliste du Front Populaire prônée par le Parti Communiste Français (PCF), j’ai rompu avec les JC en 1938. Ce fut alors que j’ai rencontré « Albert », c’est-à-dire David Korner, dit aussi « Barta », qui me gagna au trotskysme.
Je quittai Paris à la recherche d’un travail et je devins instituteur suppléant à Montalieu-Vercieu (Isère), où j’ai noué des relations politiques avec des anciens étudiants, des ouvriers carriers et des réfugiés antifascistes autrichiens, jusqu’à ma mobilisation en 1939. Pendant ma mobilisation j’ai diffusé les deux premiers numéros de la feuille illégale l’Ouvrier.
Après avoir été réformé et être retourné en Isère pour une suppléance passagère et une période de travail comme ouvrier agricole, j’ai regagné Paris à l’appel de « Barta » vers octobre 1940.
Sous le nom de « Lucien », je fus l’un des premiers membres du noyau qui donna naissance au groupe Communiste (IVème Internationale), qui devient ensuite l’Union Communiste (IVème Internationale) en octobre 1944, puis l’Union Communiste (Trotskyste) en mai 1946. J’ai mené alors une vie de militant professionnel sans pourtant être coupé des petits boulots, et j’ai utilisé mes bons rapports avec les ouvriers de l’Isère pour rétablir entre eux les liens rompus.
A la défaite allemande j’ai assuré des permanences à mon domicile, dans le 14ème, pour le compte de La Voix des Travailleurs (Bulletin inter-usines de l’Opposition Syndicale « Lutte de Classes »-CGT) et la responsabilité officielle de la parution du journal de l’UC, La Lutte de Classes, à partir d’avril 1946 jusqu’à mon départ de Paris en 1949. J’ai aussi organisé des cercles d’étude sur la théorie marxiste, sur l’histoire du mouvement ouvrier et sur les grands évènements révolutionnaires mondiaux, en m’occupant aussi des liens avec l’organisation des travailleurs vietnamiens en France jusqu’à ce que celle-ci soit « épurée » et ses délégués arrêtés et rapatriés.
La Voix des Travailleurs et La Lutte de Classes ont publié plusieurs articles rédigés par moi, et en juillet 1949 l’UC a aussi édité ma brochure La guerre d’Indochine et les travailleurs français, dans cette même année où je fus détaché comme instituteur en Tunisie.
Arrivé en Tunisie en octobre 1949, je me consacrai alors essentiellement à l’éducation populaire et, parallèlement, j’ai continué à essayer de faire pénétrer l’analyse marxiste dans le nouveau milieu où je vivais par l’édition anonyme de courtes fiches traduites en arabe par un jeune collègue sympathisant. En 1952, j’adressai à l’UC une brochure intitulée Où va la Tunisie ?, écrite à la suite des troubles qui t avaient eu lieu.
Mon détachement non renouvelé, je fus nommé en 1957 dans le Gard et je fis de l’agitation contre la guerre d’Algérie et contre le gaullisme sans pour autant reprendre contact avec l’organisation. Je reçu alors la visite d’un militant de Voix Ouvrière et je m’abonnai au journal sans qu’aucun lien organisationnel se rétablisse. La raison essentielle de cette réserve était ma condamnation de l’économisme (tout reporter aux conditions matérielles de la condition ouvrière) et de l’« ouvriérisme » qui me paraissait trop souvent friser la démagogie.
Je rompis avec le syndicat sur la question algérienne et, lorsque le Parti Socialiste Unifié (PSU) se constitua à Nîmes, je le rejoignis et j’organisai un cercle d’étude (mouvement ouvrier et économie politique) chez les mineurs de St. Florent. Elu secrétaire fédéral, je démissionnai de ma charge et du PSU après avoir constaté l’impossibilité de mener une politique de classe conséquente dans ce parti.
Je menai alors, parallèlement à mon activité professionnelle, une activité culturelle populaire hors de toute organisation, ainsi que l’agitation contre la guerre d’Algérie et celle du Vietnam où les troupes USA avaient remplacé les françaises.
En été 1963, avec une poignée de volontaires bénévoles, j’ai organisé à Stora (Algérie) un stage mixte de formation de moniteurs d’enseignement. Les autorités algériennes d’alors m’invitèrent à renouveler ce travail en 1964 à Annaba, mais dans des conditions matérielles et idéologiques très différentes. Il n’y aura pas de troisième stage.
Dans les années 1966-73 j’ai regroupé à Nîmes un certain nombre de jeunes gens au sein du Comité Vietnam nîmois. Avec une équipe réduite à faible influence ouvrière j’ai mené un travail systématique d’information (projections de films dans les villages, forums…) et de réflexion (fiches politiques et réunions d’études) en même temps qu’une activité de soutien concret à la lutte du peuple vietnamien (collecte d’argent, de sang et de médicaments) contre l’impérialisme yankee. Ce faisant, je me heurtai à l’indifférence des organisations de gauche et à l’hostilité déclarée de celles relevant du PCF.
Rien à dire sur les évènements de mai 1968 : j’y ai participé comme instituteur gréviste en essayant de politiser le mouvement. Sur ma proposition, le Comité Vietnam nîmois s’autodissout en 1975 pour ne pas cautionner la politique stalinienne des autorités vietnamiennes victorieuses.
Resté isolé et trotskyste, je me suis efforcé de mener une activité de discussion et d’éducation politique au moyen de nombreuses lettres circulaires à la diffusion plus ou moins confidentielle.




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Message  alexi Jeu 21 Aoû - 18:34

Dans la même brochure :

Jacques Ramboz a continué son travail de militant jusqu’à sa mort. Ses fiches (lettres circulaires) - dont on trouvera un choix ci-après – représentent, ainsi qu’il l’écrivait le 27 février 1999, « la continuité d’un effort pour faire pénétrer les conceptions marxistes et internationalistes » dans les milieux avec lesquels il était en contact selon les années et les circonstances : paysans, mineurs, ouvriers, lycéens, « tertiaires », souvent de petits groupes avec lesquels il discutait et menait des actions d’éducation politique populaire. Lettres, fiches et brochures permettaient l’approfondissement de la réflexion sur les évènements hexagonaux et internationaux, les brochures aidaient à reconstituer et fixer la mémoire historique, toute essayant de faire pénétrer l’analyse marxiste.
Ceux et celles qui ont travaillé/milité avec lui se souviennent de la rigueur et de la clarté de ses analyses, de son accueil chaleureux et généreux, et du rire joyeux qui ponctuait certains commentaires : toutes choses que les militants de type stalinien ne pardonnent pas.

Mars 2000
Marie-Josée Ramboz

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Message  Giaches_de_Wert Ven 22 Aoû - 12:33

S'agissant de J. Ramboz...

https://www.marxists.org/francais/barta/1997/05/louise.htm

Giaches_de_Wert

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Message  alexi Jeu 13 Nov - 21:14

Marxists.org vient de mettre en ligne les Cahiers Léon Trotsky n° 49 daté de janvier 1993 :

BARTA ET L'UNION COMMUNISTE
PENDANT LA GUERRE

http://marxists.org/francais/admin/new.htm

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Message  Giaches_de_Wert Ven 14 Nov - 0:24

Tous ces textes étaient déjà disponibles en ligne, à l'exception de la biographie de Barta, signée R. Moyon. Et pour "la lutte contre la 2ème guerre impérialiste mondiale", le texte était complet, contrairement à l'édition assurée par le CLT n°49.

http://marxists.org/francais/barta/index.htm

Giaches_de_Wert

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Union Communiste Empty CAHIERS LEON TROTSKY 79 (décembre 2002)

Message  alexi Ven 12 Déc - 20:46

http://marxists.org/francais/clt/index.htm

Georges Ubbiali

IHC-UMR 5605, Université de Bourgogne

Militer à GC-UC-VO-LO,
ou les trois états de la matière1


Introduction
On le sait, il existe une hiérarchie des objets d’études2. Certains
apparaissent naturellement comme légitimes, d’autres surprennent, choquent ou
sont considérés comme marginaux et marginalisant pour le chercheur. Si l’on
retient cette réflexion comme point de départ, il apparaît rapidement que le
trotskysme, en tant que sujet d’intérêt académique, se situe au bas de l’échelle
des intérêts savants3. Si l’on affine encore un peu, on remarque rapidement que
parmi les thèmes traités en matière de trotskysme, les différentes organisations
font l’objet d’une attention différenciée4.
LO, de ce point de vue, constitue un étrange paradoxe : c’est à la fois la
plus importante des organisations du champ trotskyste. Tant du point de vue de
ses résultats électoraux (avec la percée à l’élection présidentielle de 1995,
confirmée en 2002) que du point de vue du nombre de ses élus (municipaux,
conseillers régionaux, députés européens), LO surclasse largement les autres
courants d’extrême gauche. Malgré cette présence massive dans la vie politique
institutionnelle, les connaissances sur ce courant demeurent restreints. Pour ne
donner qu’une illustration, anecdotique mais révélatrice, de cet état de fait, il
suffit de citer une des dernières publications. Dans son livre sur le trotskysme en
France, Charpier5 dresse le constat suivant : en 1977, les renseignements
généraux découvriraient que LO est dirigé par un « mystérieux hommeorchestre.
Il ne le connaît pas. Plus précisément, les RG ignoraient sa véritable
identité (…) Une sorte d’Arsène Lupin aux lunettes cerclées, cheveux blancs et
courts, à l’air bonhomme ».

Quelques points de repères se révèlent indispensables pour comprendre
une organisation dont l’histoire demeure un chantier. Histoire dont il faut
souligner, à l’encontre des autres courants trotskystes, que ses membres n’ont
pas pris la peine de la rédiger6.
Le point de départ est la rupture de quelques individualités avec la IVe
Internationale, initiée par Léon Trotsky, en septembre 1938. Militant du POI
(Parti Ouvrier Internationaliste), puis de sa minorité rejoignant le PSOP (Parti
socialiste ouvrier et paysan) en 1939, un jeune militant d’origine roumaine,
Barta7, et sa compagne, Louise, dénoncent finalement les racines sociales, petitebourgeoises,
de cette Internationale naissante8, même s’ils considèrent justifiée
politiquement la création d’un nouveau regroupement international9. Le résultat
le plus notable de ce positionnement est que le courant incarné par LO demeure,
nouvelle situation paradoxale, jusqu’à nos jours, une organisation trotskyste
nationale10.
Deux autres grandes caractéristiques du groupe UC, qui sort de la seconde
guerre mondiale, marquent LO jusqu’à nos jours.
Tout d’abord, le groupe vit hors de l’histoire11. A contrario des autres
organisations trotskystes, le GC n’a aucun acte de résistance à l’occupant à
présenter. La Résistance développée par le GC relève au mieux de ce que les
historiens de la période caractérisent comme une « résistance spirituelle »12.
Ainsi que l’explique Jacques Ramboz en décrivant l’activité du groupe durant la
guerre, l’essentiel du temps est consacré à la lecture des classiques du marxisme
à la Bibliothèque Nationale13. D’ailleurs, le seul « martyr » du courant est un
militant, Mathieu Bucholz (dit Pamp), qui aurait été exécuté, après la Libération
du territoire national, par les staliniens du PCF.
Ensuite, ce groupe extrêmement réduit (moins d’une dizaine de personnes)
est marqué par son caractère familial prononcé. N’est ce pas un couple (Barta et
sa compagne Louise) qui forme le noyau initial ? De plus, le milieu familial,
dans le cadre des conditions de la guerre, constitue un milieu de recrutement
particulièrement adapté. En même temps qu’elle fonctionne comme une garantie
d’homogénéité du corps militant (cf. la place des fratries, dont la plus connue est
sans doute Pierre et Jean Bois), la famille agit comme repoussoir14.
Lors de la grève d’avril 1947 à Renault, Pierre Bois, militant UC, joue un
rôle dirigeant dans le mouvement15, obligeant la CGT, réticente tout d’abord, à
se solidariser, puis à contrôler la grève. Pierre Bois est marginalisé, puis exclu de
la CGT16. Décision est alors prise de créer un syndicat autonome, le SDR
(Syndicat Démocratique Renault), implanté essentiellement dans le secteur
Colas, épicentre de la grève. L’animation du SDR épuisera les militants du
groupe, qui finira par exploser. Le groupe, de l’ordre de 15 à 20 personnes se
disperse en 195017. S’ensuivent des années creuses dont les épisodes demeurent
méconnus.
En 1956, quelques militants, sans Barta, le fondateur historique, mais avec
Pierre Bois, relancent une activité politique publique, autour de bulletins
d’entreprises Voix Ouvrière. On peut d’ailleurs s’interroger sur la continuité
entre l’organisation crée par Barta et le groupe VO-LO18. Ce groupe est implanté
quasi-uniquement sur la région parisienne et étend ses ramifications en province,
en particulier par l’intermédiaire d’un travail commun avec le PCI. A la tête de
ces deux ou trois dizaines de militants, un dirigeant charismatique qui porte le
pseudonyme de Hardy. Les survivants de cette période forment aujourd’hui la
direction effective de LO. Cette situation constitue un paradoxe de plus, car nulle
part ailleurs dans l’extrême gauche on ne trouve autant de mention de la
jeunesse, flamme de la révolution19, alors que les retraités (à l’image d’Arlette
Laguiller) animent et forment la direction de LO.
La crise de Mai 68 représente une divine surprise, même si VO ne joue
aucun rôle dans le mouvement. Certes les membres du groupe participent aux
manifestations, passent leurs journées aux portes des usines, multiplient les
contacts, mais n’exercent aucune influence en matière d’impulsion politique.
Cette abstention du mouvement réel est mal récompensée car VO est dissoute au
même titre que plusieurs organisations d’extrême gauche. Le groupe VO prend
désormais l’appellation de LO, nom du journal qu’il publie, bien que sa
dénomination officielle soit UCI.
En 1974, Arlette Laguiller est candidate à l’élection présidentielle,
inaugurant une solide tradition d’apparition électorale20. A l’encontre de
nombreuses organisations révolutionnaires, LO s’appuie sans complexe sur le
terrain électoral pour se développer, y compris à l’occasion des élections
sénatoriales de 2001. En 1989, apparaît pour la première fois une opposition
interne structurée dans LO, la Fraction, à partir d’un débat sur la nature de
l’URSS. En 1995, Arlette Laguiller crée la surprise en obtenant le score de 5,3%
à la présidentielle, score renouvelé en 2002 avec 5,72%.
Une dernière précision sur la structuration de LO. La cellule constitue
l’instance de base. L’organisation est structurée en 17 sections21. Un comité
central de cent membres représente la direction politique, tandis qu’un CE de 40
membres (Paris y joue un rôle prépondérant22) joue le rôle de gouvernement de
l’organisation. Seul un secrétariat, en principe technique, parachève l’édifice.
Les effectifs actuels de LO varieraient entre 800 et 1000 militants, dont un tiers
de femmes environ.
Militer dans cette organisation, c’est franchir les trois états de la matière
que décrit Primo Lévi dans son ouvrage Le système périodique23, le gazeux, le
liquide et le solide. En termes nettement moins évocateurs de sociologie
politique, il s’agit d’observer le processus de transformation d’une individualité
du statut de profane à celui de professionnel.
Il s’agit d’observer la remise de soi à l’organisation car, pour prolonger le
titre d’un article de Marc Lazar24, si militer au PC c’est faire le don de soi,
s’engager à LO, c’est le sacrifice de soi.

La liaison ou l’état gazeux

Les principes et la méthodologie de l’engagement à LO découlent du
rapport sur l’organisation de 194325. La philosophie de ce court texte peut se
résumer au constat suivant : le(la) militant(e) doit consacrer toutes ses ressources
à la vie de l’organisation26, devenant un révolutionnaire de profession. Le
parcours militant fait donc l’objet d’un modus operandi, codifié et stable.
Modalement, la recrue est jeune, vierge politiquement27. Ce contact est pris
en liaison par un(e) militant(e) plus aguerri. S’il accroche, ce statut de liaison va
durer durant une période de plusieurs dizaines de mois :
« Pour procéder à la mise en place de tous les rouages, il est nécessaire de savoir
quels sont les membres qui se sentent capables d’être “militants professionnels”,
soumis à la discipline absolue (…) ».
Cette liaison va être mise en contact de face à face avec un(e) militant(e).
Ce dernier change au bout d’un laps de temps, variant avec les bonnes
dispositions de la liaison. Ces contacts constituent les premiers pas dans le
parcours militant à LO. Il s’agit de faire acquérir à la liaison une culture marxiste
par imprégnation livresque. A la fin de cette période propédeutique, l’impétrant
doit avoir lu une soixantaine d’ouvrages consignés dans une liste. Les ouvrages
sont aussi bien des classiques du marxisme que des romans (voir la liste en
annexe). S’il fallait faire usage d’une autre situation sociale pour caractériser les
rapports qui se nouent entre le(la) militant(e) et la liaison, c’est la position
structurale du maître d’école qu’il faudrait évoquer. C’est ce qui fait écrire à un
ex en rupture de banc que
« LO était aussi – on pourrait même dire, si l’on voulait tirer un bilan provisoire de
son activité, aura été d’abord – une grande entreprise d’éducation politique de
milliers de sympathisants, avant d’être un parti »28.
En sus de cette série de contacts fréquents (au minimum hebdomadaire),
dans des lieux neutres (café, banc public, parc…), l’éducation se déroule
également sous forme de stages. Stages d’une semaine, se déroulant en général
durant les périodes de vacances. Il s’agit là aussi de tester la détermination des
liaisons. Le stagiaire part durant une semaine sans prévenir sa famille (en tous
les cas en cachant l’objectif de son départ), sans savoir lui-même où il va.
Certains témoignages évoquent ainsi des départs depuis la Porte de la Chapelle
dans des bus aux rideaux tirés. L’évocation de possibles infiltrations policières
est une autre technique argumentative tendant, sinon à une rupture, en tous les
cas à un détachement à l’égard du milieu.
La formation de la liaison se réalise en même temps par le biais d’une
socialisation militante intense : collages d’affiches, prospection dans les cités
ouvrières, vente du journal, participation aux fêtes locales et à la fête nationale,
participation à l’activité électorale, prise en liaison enfin, quand la liaison est
jugée suffisamment liée pour se lancer. La liaison pénètre alors dans un cercle
d’organisation, cercle probatoire où il va parfaire son apprentissage de militant
professionnel, dans un cadre collectif désormais.
Le temps qu’une liaison consacre aux activités politiques occupe une place
croissante dans le rythme de sa vie. Bien entendu, ce temps varie fortement
suivant l’âge de prise en liaison, en particulier s’il est salarié ou non. Néanmoins,
un constat s’impose : la réussite scolaire ou universitaire importe moins que
l’activité politique. Partant de ce constat, la liaison consacre de quelques heures
à 40 heures (ou plus) par semaine à l’engagement partisan. Tel responsable de
LO évoque le refus que lui a opposé l’organisation quand il a demandé une
suspension de 15 jours de son activité pour préparer ses examens, « pour pouvoir
bluffer un enseignant » à la session de rattrapage de septembre 68.
De contact en contact, de cercles concentriques en cercles concentriques, la
liaison se rapproche du coeur de l’institution. Pour passer au stade de militant
organisé, une série de rites de passages sont institués. L’impétrant doit se choisir
un pseudonyme, sous lequel il se fait appeler au sein de l’organisation qui l’a
sélectionné. Il arrive que cette nouvelle dénomination soit choisie par
l’organisation. Soit parce que le travail d’inculcation des principes de la
clandestinité a été mal fait, la liaison découvre soudainement qu’il doit adopter
un nouveau nom et qu’il manque d’idée. Soit parce que le nom qu’il avait retenu
a déjà été adopté par un autre militant ailleurs dans l’hexagone.
Jusqu’à une date très récente, l’intégration dans les rangs de LO se
manifestait par le paiement d’une cotisation exceptionnelle. Le montant de cette
cotisation variait selon les capacités contributives de la liaison (il se murmure
que certain(e)s ont versé plusieurs centaines de milliers de francs). Cet apport
financier représente en tout état de cause une somme tout à fait inhabituelle. Elle
alimente les caisses de l’organisation bien entendu, mais surtout elle lie d’une
manière qui se veut indissoluble l’impétrant, quasiment obligé par ce mécanisme
de mentir à sa famille ou à son milieu, pour recueillir la somme demandée.
Après tout,
« Sur le plan moral, la première exigence du bolchévisme est la rupture complète
de tous les liens avec la morale bourgeoise (…) La morale bourgeoise dan ses
exigences les plus cachées est un des freins les plus puissants de la révolution
prolétarienne »29.
Surtout, l’intégration dans les rangs de l’organisation ne répond pas à une
demande expresse de la liaison, mais à un choix collectif de l’organisation. En
conséquence, quand les militants expérimentés considèrent que la liaison a
intégré les capacités pour se déterminer sur les choix politiques de
l’organisation, un rapport sur l’impétrant est réalisé au niveau du CE. Après
débat, si le CE s’accorde, une commission est constituée pour l’ultime étape.
Cette commission se compose en règle générale de deux membres qui reçoivent
le candidat à l’intégration pour audition, durant une heure environ. L’objectif de
cette commission est de procéder aux ultimes vérifications sur les motivations du
militant (« tu es conscient qu’en cas de révolution, tu risques aussi la torture ? »),
contrôler qu’il a bien effectué le travail d’acquisition théorique nécessaire. Un
militant s’est vu refusé son intégration car il n’avait pas lu Ma vie de Trotsky,
mais avait tenté de se rattraper en exposant sa lecture de l’imposante biographie
de Pierre Broué30. La commission ad hoc rapporte ensuite au CE qui entérine (ou
non) l’intégration. L’étape initiatique s’arrête ici. La commission d’intégration
marque symboliquement la fin d’une première série de mise à l’épreuve et de
vérifications des capacités

L’organisé, l’état liquide
Du point de vue de l’activisme, rien de bien novateur pour le(la)
militant(e). Un sentiment de complétude, de satisfaction de voir sa
transformation identitaire validée par l’intégration inonde le nouveau venu.
Désormais, il est un militant « ayant perdu ce qu’il a d’individuel et (qui) agit en
tant que membre d’une organisation »31. Il possède les droits statutaires de
membre organisé, d’accéder aux bulletins intérieurs et autres sources
d’informations propres à l’institution (Adal, Ader32) le droit de voter et d’élire
pour le congrès. Le militant est affecté à une cellule. S’il vit en couple, et que
son compagnon/sa compagne est également membre de l’organisation, chacun
milite dans des structures séparées. Cette règle est absolue et ne doit, en principe,
ne souffrir aucune exception33.
Le culte organisationnel a poussé la tradition à segmenter le type de
militant organisé. Le critère décisif est celui de la proximité plus ou moins
importante avec « la classe ». Cette hiérarchie produit le sentiment d’une valeur
différentielle, fortement intégré dans l’ethos militant. C’est ainsi que des
statistiques différentes sont produites à l’occasion des congrès classant les
membres organisés en quatre catégories34 :
• Catégorie un : le « copain de boîte », pour parler l’idiolecte de LO. C’est
celui ou celle qui sort un « bulletin d’entreprise », le tract hebdomadaire ou
quinzomadaire de l’organisation. En principe, le membre de la catégorie un
travaille dans une entreprise de plus de mille salariés. Du fait de la crise
économique, depuis le début des années 80, la taille a été révisée et un
effectif supérieur à 500 travailleurs correspond plus à la réalité. Le copain de
boîte travaille et développe une activité syndicale. Surtout, son activité
consiste à participer et animer une réunion « échos » hebdomadaire, échos
qui constitueront la matière rédactionnelle du verso de la feuille d’entreprise
(le recto étant immuablement l’édito signé Arlette Laguiller). En outre, le
copain de boîte rédige un rapport hebdomadaire sur l’ambiance de sa boîte.
Rapports qui sont ensuite centralisés.
• Catégorie deux. Ce salarié travaille également. Mais il ne participe pas à la
publication d’un bulletin de boîte. Soit parce que son ancienneté dans
l’entreprise ne lui a pas permis encore de constituer un réseau
d’informateurs, soit parce que l’entreprise n’est pas considérée comme
centrale pour le développement de l’activité politique. La catégorie deux est
considérée comme transitoire, par le vieillissement dans l’entreprise ou par le
changement d’emploi auquel est incité l’organisé.
Les catégories un et deux rassemblent 50 à 60 % des membres de
l’organisation.
• Catégorie trois. L’extérieur, sous-entendu extérieur à l’entreprise.
Sociologiquement, cette catégorie regroupe le lycéen ou l’étudiant,
l’enseignant (à mettre au singulier, comme les autres), le travailleur social, le
journaliste, etc. bref, celui/celle qui occupe une position périphérique par
rapport à la conquête de la classe ouvrière. L’extérieur se caractérise par une
totale disponibilité à l’égard des tâches organisationnelles. Cet abandon
absolu imprègne la conscience, honteuse des extérieurs pour lesquels ils n’est
pire cauchemar que le dilettante, l’intellectuel fumeux ou comble de la
détestation, le petit-bourgeois. C’est chez l’extérieur qu’est installé le
« technique », le lieu d’impression des feuilles de boîtes.
• Catégorie quatre. Apparue plus récemment, à la fin des années 80, cette
catégorie correspond aux jeunes travailleurs marqués par le poids de la crise
économique. Constituée de jeunes au chômage (intégrant donc des étudiants
en rupture ou en fin d’études), cette catégorie spécifique n’a pas vocation à
s’implanter dans la classe de manière immédiate. Il s’agit d’une catégorie
flottante dont l’objectif est de « faire son expérience », de travailler en
intérim, de multiplier les types de travail, à travers l’hexagone, en attendant
l’occasion d’une implantation réelle en entreprise. Cette catégorie fait l’objet
d’une attention particulière car elle constitue la relève de la catégorie un.

L’état solide : permanent
Contrairement à de nombreuses proclamations, LO a toujours disposé de
permanents politiques. Le CE est ainsi composé uniquement de cette strate
solidifiée.
Ces permanents peuvent être classifiés en plusieurs catégories :
• Des individus possédant un métier comportant des disponibilités
importantes : enseignants (quitte à user de congés maladies), des journalistes,
permanents syndicaux (ce fut le cas d’Arlette Laguiller, à FO, durant des
décennies) et autres métiers qui ne sont pas réglés par les horaires de
bureaux. Les élus peuvent rentrer dans cette catégorie.
• Des permanents salariés par une entreprise cache-sexe (OPPM), créée par
Hardy (Robert Barcia), agissant dans le domaine médical. Si l’existence de
cette entreprise35 est connue, le nombre de personnes concernées demeure
inconnu. La structure a permis en outre de disposer d’une infrastructure
technique (des moyens d’impression) et des locaux.
• Les retraités. Les membres du groupe VO de la fin des années 50 ont atteint
l’âge de la retraite et constituent de fait la direction actuelle de LO. Certains
préretraités plus jeunes font également offices de permanents pour
l’organisation (ainsi Roland Szpirko).
• Enfin, LO salarie totalement ou partiellement un certain nombre de militants.
A la fin des années 90, leur salaire se montait à 8400 F.
Ces derniers permanents sont d’origine plus récente. Grâce à la croissance
des effectifs organisés à la fin des années 80, décision a été prise de proposer des
postes de permanents, en particulier à des responsables de province36. Ces
militants correspondent à des critères extrêmement sélectifs de fidélité, mesurés
par l’expérience. La plupart proviennent du groupe VO. La durée d’engagement
constitue un gage de sérieux militant et de dévouement. Cependant, en
gestionnaire avisé, le noyau directionnel refuse de financer directement ces
postes. Consigne est alors donnée à ceux/celles qui relèvent de la Fonction
publique (l’Education nationale en particulier) de se mettre en congé longue
maladie, prétextant des troubles psychologiques graves par exemple. Ces congés
se sont prolongés par une mise en retraite anticipée, au moins pour certains
d’entre eux. LO verse alors le complément de revenu pour arriver aux 8400 F.
Ces pratiques, on l’aura deviné, produisent des ruptures particulièrement
marquées à l’égard de l’entourage, professionnel, familial ou résidentiel. En
même temps, cette série d’épreuves développe un sentiment d’attachement
viscéral à l’institution militante, un esprit de parti. A ce stade de transformation
de la matière humaine, la rupture éventuelle avec la matrice représente un
déchirement identitaire37. Viscéralement attaché à son organisation qui est au
principe de la cohérence de sa vie, « on voit vraiment qu’un militant n’est un
homme véritable, fort et heureux, que tant qu’il milite, au sein de son
organisation. Sinon en dehors, il n’est plus que lui-même… »38 ou une effluve
gazeuse.
En quoi consiste l’activité des permanents ? Ils assument une fonction de
direction et d’animation politique de l’organisation, qui les amène à voyager et
séjourner à l’étranger (dans les organisations soeurs par exemple). Les tâches
d’écriture, dans le journal, pour les différentes brochures, l’organisation des
stages et des activités militantes diverses (les caravanes d’été, la fête/les fêtes,
les vacances, etc.) emplissent le temps des militants. Les réunions, CE, direction
de section, etc. achèvent de dévorer ce temps. Possédé par leur investissement
activiste, ils sont l’incarnation vivante de l’« esprit de parti », gage de félicité.

Conclusion
A la lecture de ce qui précède, on est en droit de s’interroger sur la nature
de LO, phénomène sectaire ou non ? Interrogation légitime, même si elle
constitue la catégorie d’interprétation préférée de doxa journalistique. Trois
manières permettent d’aborder cette question.
♦ Est sectaire, dans le sens marxiste, un groupement qui fait prévaloir ses
propres intérêts d’organisation sur ceux de l’ensemble du mouvement
ouvrier39. On entre alors dans le domaine de la normativité et de la
polémique.
♦ L’invocation du terme de secte renvoie aux rapports présumés entre le
communisme et la religion40. L’assimilation est classique depuis les travaux
de Jules Monnerot41. Il s’agit alors de considérer le communisme comme une
religion séculière. Lieu commun qui a suscité de nombreuses oppositions,
mais qu’il ne faut pas pour autant écarter rapidement car, l’analogie peut se
révéler utile, en mettant l’accent sur quelques dimensions fonctionnant dans
chacun des deux systèmes, notamment :
« La présence d’un corps de clercs différencié, composé de théologiens, de
dignitaires de l’institution, d’un bas clergé, etc. ;
L’existence d’une dualité entre séculiers et réguliers : ceux (et celles) qui doivent
une part de leur notoriété aux postes électifs, ceux qui doivent tout à la seule
institution ;
Un corps de fidèles pratiquants plus ou moins associés aux activités de
l’institution : adhérents et militants trouvant leurs homologues chez les
pratiquants occasionnels et les pratiquants ;
Un système de sélection et de formation des clercs, le plus précoce possible, fondé
sur certains mécanismes semblables : promotion scolaire des enfants doués
issus des classes populaires et moyennes, formation en internat, etc.42 ;.
La mise en place d’institutions et techniques d’évaluation du travail pastoral
mesuré au nombre et à la qualité des fidèles fidélisés et tenant compte de la
perception des obstacles objectifs et subjectifs spécifiques aux différentes terres
de mission ;
Des intellectuels laïques (romanciers, scientifiques, philosophes, etc.) plus ou
moins dépendants des marchés que contrôle l’institution, directement ou par le
biais du contrôle d’autres institutions (enseignement). Du laïque dépendant
totalement au compagnon de route, etc. ;
L’élaboration progressive d’une orthodoxie et de tous les mécanismes et
institutions permettant d’en contrôler les inévitables évolutions, la diffusion
conforme, offrant aux multiples formes de qualification religieuse ou de
compétences des produits appropriés suffisamment cohérents entre eux ;
L’existence d’institutions ou de clercs spécialisés dans le repérage et le contrôle
des pratiques hétérodoxes et/ou potentiellement hérétiques, fondés pour partie
sur des technologie d’observation et de décodages des signes ou des
prédispositions hérétiques (des biographies aux enquêtes discrètes en passant
par l’analyse et l’interprétation de comportements : retards aux réunions,
silences et prises de parole ; façon de prendre des notes, etc.) ;
L’existence de technologies de la confession et de l’aveu et le type de ressorts à la
fois psychologiques et sociaux mis en oeuvre ;
Le contrôle des univers de sociabilité (encadrement des moments festifs) et des
principales étapes de la vie sociale (baptême rouge, mariage civil, parrainage,
enterrements, etc.) mais aussi les compromis auxquels le message évangélique,
ne peut échapper avec des pratiques culturelles et sociales non conformes mais
difficilement éradicables. »43
♦ Enfin, ultime proposition visant à décentrer le débat, dans la lignée des
suggestions de Jeannine Verdès-Leroux44, l’usage de la notion « d’institution
totale ouverte » peut se révéler fructueuse. L’institution totale ouverte se
définit par une organisation qui produit un contrôle total de ses membres (en
matière de culture, de fréquentations, de lecture, d’usage du temps,
d’utilisation des finances, etc.), sans pour autant être entourée de murs (à
l’instar de l’asile de Goffman45) ou de barbelés46.
La question se pose alors en termes proprement sociologiques (et non
strictement normatif) : comment une institution amène-t-elle des individus à la
soumission volontaire47 ? Et corrélativement, quelles sont les marges de
manoeuvre dont ils disposent pour assurer la permanence de leur identité ?

Annexe : Lectures VO48

• Liste n° 1 : Catéchisme communiste
MARX : Manifeste ; Socialisme utopique et socialisme scientifique ; Fuerbach
ENGELS : Origine de la famille ; Travail salarié et capital ; Lutte de classe en france-18
Brumaire
LENINE : L’Etat et la Révolution ; Maladie Infantile du communisme ; Que faire ;
Impérialisme, stade suprême du capitalisme
TROTSKY : Ma Vie ; Qu’est ce que le Nazisme ? ; Programme de Transition ; La
Révolution Trahie
PLEKHANOV : Conception matérialiste de l’Histoire ; Les questions fondamentales
V. SERGE : Ce que tout Révolutionnaire doit savoir de la répression ; Le Tournant
obscur ; Destin d’une Révolution ; L’An I de la Révolution
D. GUERIN : Peste Brune ; Fascisme et Grand Capital
NICOLAÏEVSKI : Karl Marx
RIAZANOV : Conférences sur Marx
ROSMER : Moscou sous Lénine
DANOS-GIBELIN : Juin 36
J. REED : 10 Jours qui ébranlèrent le Monde
TALES : La Commune
MILITER À GC-UC-VO-LO 65
+ Brochure L.O.

• Liste n° 2
TROTSKY : 3 Tomes d’Ecrits ; I.C. après Lénine ; Révolution Permanente ; Histoire de
la Révolution Russe ; Cours Nouveau-Plateforme de 27
LENINE : Tomes sur la Révolution Russe ; Faillite de la seconde internationale ; Du
Droit des Nations
MARX et ENGELS : Anti-Dühring ; Programme de Gotha et d’Erfurt ; La guerre civile
en France
R. Luxembourg : Réforme ou Révolution ; Grève de masse, Parti et Syndicats
BROUE et TEMINE : La Guerre d’Espagne
BELDEN : La Chine ébranle le Monde
FETJO : Histoire des Démocraties Populaires
CHALIAND : L’Algérie est-elle Socialiste ?
H. ISAACS : Tragédie de la Révolution Chinoise
C. DOLLIANS : Histoire du Mouvement Ouvrier
LISSAGARAY : Histoire de la Commune

• Romans
STEINBECK : Raisins de la Colère ; En un combat douteux
R. WRIGHT : Les Enfants de l’oncle Tom ; Un enfant du Pays
A. KESTLER : Spartacus ; Le zéro et l’infini
HEMINGWAY : Pour qui sonne le glas
VALTIN : Sans patrie ni frontière
J. LONDON : Martin Eden
VICKY BAUM : Le Bois qui pleure
JF. STEINER : Treblinka
S. LEWIS : Babbitt
E.M. REMARQUE : A l’Ouest Rien de Nouveau ; Obélisque Noir ; Les Exilés
C. CASSOLA : La Ragazza
C. HIMES : S’il braille lâche le ; Croisade de Lee Gordon
A. MILLER : Focus ; Mort d’un commis voyageur
GLODKOV : Ciment
V. SERGE : S’il est minuit dans le siècle ; Ville conquise ; Affaire Toulaiev
TRAVEN : La charrette ; La révolte des Pendus
SILONE : Fontamara
MALRAUX : Les Conquérants ; La Condition Humaine
D. ROUSSET : Les jours de notre mort

• Autres romans interessants
SEMBENE OUSMANE : Le Mandat ; L’Harmattan ; Les Bouts de Bois de Dieu
Romans de DOS PASSOS
UPTON SINCLAIR : La Jungle
A. SILLITOE : Samedi soir, Dimanche matin
V. SERGE : Les dans ; Naissance de notre force
N. ARJAK : Ici Moscou
66 CAHIERS LEON TROTSKY 79
SOLJENITSINE : Maison de Matriona ; Une journée d’Ivan Dénissovitch ; Le pavillon
des cancéreux ; Le premier Cercle
DOUDINTSEV : L’Homme ne vit pas seulement de pain
R. NEUMANN : Les enfants de Vienne
H. FAST : Spartacus
E. GUINZBOURG : Le Vertige
MALRAUX : L’espoir
H. COBB : Les sentiers de la gloire
A. SALACROU : Boulevard Durand
H. KRAUS : Grève à la Général Motors

• Autres livres interessants (à titre indicatif)
Collection Lutte de Classe
Brochures V.O.
Brochures Textes de TROTSKY : URSS en guerre ; Encore et à nouveau ; D’une
égratignure au danger de gangrène ; Opposition petite-bourgeoise dans le SWP ; Le
Traité de Versailles ; Après Munich
TROTSKY : Le mouvement Communiste en France ; Le Marxisme et notre époque ;
1905 ; Terrorisme et Communisme ; Littérature et Révolution
BEBEK : La Femme et le Socialisme
V. Serge : Mémoires d’un Révolutionnaire
BORCHARCHT : Le Capital
BOUKHARINE : ABC du Communisme
LENINE : Un pas en avant, 2 pas en arrière ; 2 tactiques ; Matérialisme et
Empirocriticisme ; Le Rénégat Kautsky
I. DEUTSCHER : Trotsky (3 tomes)
P. FRÖLICH : Rosa Luxembourg

Notes
1. Ces lignes sont fondées sur l’analyse de la documentation disponible ainsi que des
entretiens avec des militant(e)s de ce courant.
2. Voir Bourdieu (Pierre), « Méthode scientifique et hiérarchie sociale des objets », Actes
de la recherche en sciences sociales, 1975, n° 1, pp. 4-6.
3. Affirmation qui devrait naturellement être confortée par de plus amples
développements concernant le nombre de publications, de maîtrises ou thèses
réalisées sur le sujet.
4. La publication de bibliographies sur LO dans la revue Dissidences-BLEMR, 2001, n° 9,
atteste de la différence de traitement entre les organisations trotskystes.
5. Charpier (Frédéric), Histoire de l’extrême gauche trotskiste de 1929 à nos jours, Paris,
Ed. n°1, 2002, citation p. 340.
6. Affirmation qui mérite d’être atténuée car des ex-militants ont produit des éléments de
compréhension de cette organisation. Citons notamment Roussel (Jacques), Les
enfants du prophète. Histoire du mouvement trotskiste en France, Paris, Spartacus,
1972 ; Chamboz (Jacques), « Contribution à l’histoire de l’Union Communiste
(trotskyste) 1940-1950 », Quaderni Pietro Tresso, 1997, n° 5 ; ainsi que les brochures
éditées par le GET (Groupe d’Etudes Trotskystes) à l’initiative de Richard Moyon.
7. Sur Barta, consulter Cahiers Léon Trotsky, 1993, n° 49 qui consacre un long dossier à
ce personnage. Quelques allusions sont également faites dans les ouvrages suivants :
Craipeau (Yvan), Contre ventes et marées. Les révolutionnaires pendant la deuxième
guerre mondiale, Paris, Savelli, 1977 ; Pluet-Despatin (Jacqueline), Les trotskistes et
la guerre, 1940-1944, Paris, Anthropos, 1980 ; « Quelques enseignements de notre
histoire », mai 1970, supplément à la Vérité n° 548.
8.. Barta commence ainsi son rapport sur l’organisation par la phrase suivante : « La
composition petite-bourgeoise des groupements de la IVe Internationale en France a
été prouvée par l’attitude qu’ils ont prise après Juin 1940 devant l’occupation
impérialiste du pays ». Cette argumentation ne s’est pas démentie, ainsi qu’on peut le
lire dans le numéro des Exposés du Cercle Léon Trotsky, édité par LO. « Cinquante
ans après la fondation de la IVe internationale, quelles perspectives pour les militants
révolutionnaires internationalistes ? », 1988, n° 27.
9. Leur regroupement s’intitule d’ailleurs Groupe Communiste (IVe Internationale),
éditant La lutte de classes.
10. Des tentatives de tentatives d’actions internationalistes ont lieu sur le territoire
français, notamment après la guerre auprès des travailleurs indochinois. Voir Ramboz
(Jacques), « L’internationalisme de l’Union Communiste (trotskyste), 1940-1949 »,
Quaderni del Centro Studi Pietro Tresso, 1996, n° 39. LO aujourd’hui n’est pas
affiliée à un regroupement international au même titre que la LCR ou le CCI du PT.
Néanmoins, LO revendique des liens avec des organisations soeurs, dont les
publications sont présentées au dos de Lutte de classes. En 2002, il s’agit de : The
Spark aux Etats Unis, Combat ouvrier aux Antilles, l’UATCI en Afrique, Workers
Fight en Grande Bretagne, l’OTR à Haïti et un groupe turc, publiant un journal en
Grande Bretagne. Seul Combat ouvrier dispose d’une réelle implantation, les autres
groupes oeuvrant dans l’immigration ou disposant d’un capital de quelques dizaines de
militants.
11. Toute règle comporte des exceptions. Cela est vrai pour ce courant qui rencontre
l’histoire lors de la grève Renault de 1947.
12. Cf. Marcot (François), « Pour une sociologie de la Résistance : intentionalité et
fonctionalité », Le Mouvement social, 1997, n° 180, pp. 21-41.
13. « Cette agitation du fait des forces du groupe, contre le STO et la guerre, n’est
pendant tout le conflit, qu’un aspect secondaire du Groupe Communiste, activité qui
consiste essentiellement en l’éducation marxiste des militants et de leurs liaisons, en
la recherche systématique de contacts en milieu ouvrier, et en la propagande dans la
ligne des écrits de Trotsky pour la création d’une quatrième Internationale et la
constitution des Etats-Unis socialistes d’Europe », Chamboz, op. cit. p. 14. Voir
également p. 10.
14. Les enfants sont vivement déconseillés à Lutte ouvrière. De nombreux témoignages
insistent sur cet aspect. Pierre Bois explique ainsi dans sa biographie pour le Maitron
« qu’il est resté célibataire, sans enfant, en suivant ses convictions et la morale de son
organisation ». Morale qui peut mener à des exclusions quand il s’agit de dirigeant
désireux d’enfanter.
15. Cf. Fallachon (Philippe), « Les grèves de la régie Renault de 1947 », Mouvement
social, 1972, n° 81, pp. 123-152. Cet article est issu d’un mémoire de maîtrise : Un
exemple de luttes ouvrières sous la IVe République : la Régie Renault en 1947, Paris
X, 1970, 287 p.
16. Voir la brochure qu’il a rédigé, « La grève Renault d’avril-mai 1947 », supplément à
Lutte ouvrière, n° 143, sans date.
17. Le dernier numéro du journal qu’il édite, La voix des travailleurs, date du 30 mars
1950. Cf. La voix des travailleurs. Sélection de textes parus entre le 20 septembre
1947 et le 30 mars 1930. Tome III, Paris, La Brèche, 1995.
18. En dehors de Pierre Bois (et de sa compagne), la filiation humaine est des plus ténues.
Sur cet aspect, se reporter aux travaux de Richard Moyon.
19. Une citation, qu’on pourrait multiplier, du livre électoral signé Arlette Laguiller, Mon
communisme, Paris, Plon, 2002 : « Et puis il y a la nouvelle génération, les jeunes
travailleurs, les jeunes intellectuels, qui n’ont pas connu les espoirs déçus, les
trahisons, et qui découvrent chaque jour, les uns par leur expérience personnelle
d’exploités, les autres parce qu’ils ont la chance d’avoir accès à plus de culture, à
quel point ce monde est malade, à quel point est nécessaire de le changer », p. 172,
souligné par nous.
20. Lutte ouvrière avait présenté 171 candidat(e)s lors des législatives de 1973 et,
notamment à Paris, en commun avec le PSU, aux municipales de 1971. A. Laguiller
représentait LO dans le 18e arrondissement.
21. En fait, ces chiffres ont un peu varié, car aux cinq sections parisiennes se sont ajoutés,
selon les périodes onze ou douze en province.
22. Vingt-sept militant(e)s sur quarante.
23. Lévi (Primo), Le système périodique, Paris, Albin Michel, 1987.
24. Lazar (Marc), « Le Parti et le don de soi », XXe siècle, 1998, n° 60, p. 35-42.
25. Korner (David)/ Barta, « Rapport sur l’organisation », Centro Pietro Tresso, 1992, n°
12. Il est pour le moins paradoxal que ce court texte, écrit dans les conditions très
particulières de la guerre et de la clandestinité (le « Minuit dans le siècle »), continue
d’être appliqué de manière talmudique comme les Tables de la loi de l’engagement en
politique au sein de cette organisation.
26. Deux citations peuvent illustrer cette subordination de la vie privée à l’action
militante : « La subordination de toutes ses ressources morales, intellectuelles et
matérielles à cette vie collective du parti est donc le devoir suprême du militant, en
premier lieu vis-à-vis de lui-même », p. 13. C’est à cette condition que « le parti
dégage ce sentiment de sacrifice total, de dignité et, si l’on veut de félicité », p. 14.
27. Ramboz, op. cit., note ainsi que « pour la grande majorité des militants, ils sont venus
au trotskysme directement à travers le Groupe Communiste et n’ont pas, sauf
quelques-uns, participé aux multiples crises subies par le courant trotskyste », p. 16.
Le rapport d’organisation, op. cit., insiste sur le fait que « en ce qui concerne le
recrutement (…), dans la situation actuelle il doit être dirigé notamment vers les très
jeunes (16-18 ans) avec ou sans traditions politiques », p. 10.
28. Dumont (Dominique), « Prise de parole sur l’engagement politique et le sectarisme »,
brochure, 1999. La posture d’apprenti n’est d’ailleurs pas une particularité de cette
organisation. Dans son autobiographie, l’ancien militant communiste Jean Recanati
avance ainsi : « Je suis devenu “permanent” à dix-neuf ans, peu après mon adhésion.
J’ai dit que j’étais très ignorant (…) je voyais dans le Parti, au moins dans les
“Jeunesses”, une sorte de société savante populaire, une immense Ecole normale où
des professeurs bienveillants dans le genre de Guéhenno étaient chargés d’enseigner
le marxisme, dont les élèves deviendraient à leur tour professeurs, jusqu’à ce que, de
proche en proche, le socialisme gagne l’univers », p. 70, in Récanati (Jean), Un gentil
stalinien. Récit autobiogra-phique, Paris, Mazarine, 1980. Maurice Agulhon
développe la même idée quand il écrit que « L’éducation ou, si l’on préfère dire, la
propagande théorique a donc été, tout au long de l’histoire du PCR absolument
essentielle », p. 279. Agulhon (Maurice), « Sur la “culture communiste” dans les
années cinquante », pp. 273-298, in Cefaï (Daniel), éd., Cultures politiques, Paris,
PUF, 2001. Radicalisant cette perspective pédagogiste, un groupe issu de LO,
l’Ouvrier, édite une brochure sur « Le cerveau et la société humaine », l’Ouvrier,
1999 et caractérise son action comme « notre travail est aujourd’hui plus proche,
effectivement, de celui d’une société d’éducation populaire communiste (…) mettre de
la culture, de la conscience, de la clarté, des idées et des explications dans les têtes »,
Une présentation de l’Ouvrier, photocopie, mars 2000.
29. Barta, « Rapport sur l’organisation », op. cit., p. 13.
30. Broué (Pierre), Trotsky, Paris, Fayard, 1988, 1105 pages.
31. « Rapport d’organisation », op. cit., p. 11.
32. Adal, à détruire après lecture ; Ader : détruire après réunion. L’Adal contient des
informations sur l’actualité, en particulier de l’organisation. L’Ader, dont la
circulation est plus restreinte, offre des informations sur des aspects considérées
comme secrets, ainsi l’état des forces organisées sur telle ou telle entreprise.
33. Cette caractéristique n’est pas un absolu. D’une part parce que la présence syndicale
n’est pas automatique dans ce type d’entreprise, d’autre part parce que le militantisme
à LO n’incite pas à développer l’activité syndicale outre-mesure.
34. Après tout la définition de la classe ouvrière exposée par Staline au VIIe plénum
élargi du Comité exécutif de l’IC de septembre 1926, sous l’impulsion de Staline,
n’avait-il pas distinguer trois couches au sein du prolétariat : une couche de
prolétaires « pur sang », une couche « de gens récemment issus de classes nonprolétariennes,
de la paysannerie, des rangs de la petite-bourgeoisie, de
l’intelligentsia » et une dernière couche « l’aristocratie ouvrière ». Voir Depretto
(Jean-Paul), « Les conceptions officielles de la classe ouvrière en Urss (années 1920
et 1930) », Le mouvement social, 2000, n° 1. La lecture de cet article m’a été suggéré
par le texte de Pudal (Bernard), Pennetier (Claude), « La volonté d’emprise. Le
référentiel biographique stalinien et ses usages dans l’univers communiste (éléments
de problématique) », pp. 15-30, in Pennetier (Claude), Pudal (Bernard),
Autobiographies, autocritiques, aveux dans le monde communiste, Paris, Belin, 2002.
35. L’essentiel des connaissances sur ces pratiques ont été mises au jour par l’enquête
journalistique de l’Express. Voir Koch (François), La vraie nature d’Arlette. Contreenquête,
Paris, Seuil, 1999.
36. Retenons que cette conception renvoie à une conception administrative de
l’organisation, permettant que toutes les sections de province soient représentées au
CE.
37. Jean Recanati, op. cit. pp. 206-207, explique ainsi : « Une opportunité de travail
“neutre” s’était présentée. J’allais quitter l’Humanité sans scandale, et cependant, ce
départ ne cessait de me culpabiliser : on ne rompt pas facilement avec son père même
si vous vous apercevez que votre père vous a menti, même si vous pensez ne pas
rompre vraiment, et même si, devenu père à votre tour, vous avez moins besoin d’une
famille que jadis quand vous étiez adolescent, et seul, et heureux de trouver dans le
Parti une chaleur accueillante ».
38. Document interne de LO, évoquant la mort de Barta. Ce dernier avait rompu avec le
groupe LO. Reproduit in Barta. Lettres à une jeune camarade (1975-1976), Les
publications du GET, 1997, cité p. 48.
39. « La secte cherche la justification de son existence et son point d’honneur, non pas
dans ce qu’elle a de commun avec le mouvement de la classe, mais dans la silhouette
particulière qui l’en distingue », Marx, références exactes inconnues.
40. Sur ce lien supposé, consulter notamment : Courtois (Stéphane), « De la contresociété
à la contre-Eglise. La dimension religieuse du phénomène communiste
français », pp. 175-185, in Rigueur et passion. Mélanges offerts en hommage à Annie
Kriegel, Paris, L’Âge d’homme/Cerf, 1994 ; Lazar (Marc), « Communisme et
religion », pp. 139-173, in Rigueur et passion. Mélanges offerts en hommage à Annie
Kriegel, Paris, L’Âge d’homme/Cerf, 1994 ; Pudal (Bernard), « Religion et
communisme, Eglise et Parti Communiste : métaphores et analogies »,
Communication AFSP, Paris, sept. 1992, miméo, 21 p.
41. Monnerot (Jules), Sociologie du communisme : échec d’une tentative religieuse au
XXe siècle, Paris, Hatier, 1979.
42. Processus finement analysé et décrit par Suaud (Charles), La vocation. Conversion et
reconversion des prêtres ruraux, Paris, Minuit, 1978.
43. Pudal, op. cit.
44. Verdès-Leroux (Jeannine), « Une institution totale auto-perpétuée : le parti
communiste français », Actes de la recherche en sciences sociales, 1981, n° 36-37,
pp. 33-63.
45. Goffman (Erving), Asiles, Paris, Minuit, 1968.
46. Allusion aux travaux de Pollak (Michael), L’expérience concentrationnaire. Essais
sur le maintien de l’identité, Paris, Métailié, 1990.
47. La Boétie, Discours de la servitude volontaire, Paris, GF-Flammarion, 1983.
48. L’orthographe et la graphie ont été conservées.

alexi

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Message  verié2 Sam 13 Déc - 13:48


Georges Ubbiali

IHC-UMR 5605, Université de Bourgogne

Militer à GC-UC-VO-LO,
ou les trois états de la matière1

en 1977, les renseignements généraux découvriraient que LO est dirigé par un « mystérieux homme orchestre.
Les RG (aujourd'hui DCRI)ne sont sans doute pas des génies, mais je n'y crois pas une seconde. Identifier Hardy ne posait aucun problème pour des services spécialisés. Il n'y a que les médias et le milieu militant non organisé qui ignoraient son existence et son rôle à mon avis. Et semble-t-il aussi le milieu professionnel paramédical de Hardy.
Des intellectuels laïques (romanciers, scientifiques, philosophes, etc.) plus ou
moins dépendants des marchés que contrôle l’institution, directement ou par le
biais du contrôle d’autres institutions (enseignement). Du laïque dépendant
totalement au compagnon de route, etc. ;
Rien ne s'applique plus mal à LO ! Organisation qui, pour le moment, ne fait vivre ni philosophe, ni scientifique... et encore moins de romancier ! Tout ce qu'on peut dire, c'est que la récente maison d'édition de LO permet désormais à quelques intellectuels d'être publiés, et donc d'"exister", alors qu'ils auraient probablement du mal à se faire une place sur le marché. Ce que LO refusait auparavant catégoriquement, de crainte de leur servir de tremplin. C'est un constat qui a, en revanche, été longtemps exact pour le PCF, mais l'est de moins en moins aujourd'hui. Pour qu'un parti s'offre ainsi une "clientèle" d'intellectuels, il faut qu'il ait une certaine envergure...

Sinon, le texte de Georges Ubbiali constitue une assez bonne synthèse... universitaire, si ce n'est qu'elle fait abstraction de l'évolution de LO, de son intervention et de son implication dans la société qui jouent nécessairement un rôle dans cette évolution. Enfin, Georges Ubbiali ne se pose jamais les problèmes en termes militants : si on voit bien les caractéristiques négatives engendrées par ce mode organisationnel (surtout dans une longue période de relative paix sociale), il n'envisage pas d'alternative, ce n'est pas son problème.

Donc, si ce genre d'étude n'est pas inintéressante, dans la mesure où elle pourrait aider des militants à remettre en cause certains aspects de leur organisation et à chercher des solutions militantes, ses limites sont liées à la démarche purement universitaire. Mais même sur ce plan, l'étude de Georges Ubbiali a aussi ses limites...


Dernière édition par verié2 le Sam 13 Déc - 17:50, édité 1 fois

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Message  gérard menvussa Sam 13 Déc - 15:07

Il me semble que tu lise mal le texte en question. Dans le passage que tu cite, il rappelle une des bases qui permettent de parler de "secte politique" tout en n'ayant pas à valider "scientifiquement" la question (c'est à dire par des travaux spécifiques soutenant une démarche s'apppuyant sur des faits "objectivables". En général, dans un travail universitaire, on ne peut faire cela qu'en élaborant soit même une problématique spécifique ou en rappellant les travaux antérieurs validés par l'université. Ce qu'il fait en rappelant les troix sources "respectable" (pour l'institution universitaire) et qui ne concernent pas au début l'union communiste (trotskyste) mais le pcf. Il parle bien des "travaux de Jules Monnerot" dont est extrait le passage que tu cite.
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