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les trotskystes pendant la seconde guerre mondiale

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Message  verié2 Mar 15 Nov - 19:27



Gadès
(...) l'honnêteté serait plutôt de répondre à ma question précédente : dans quels textes LO parle d'"Etat ouvrier très dégénéré" pour la Russie aujourd'hui ?
Bon d'autres rapporteront peut-être une citation précise avant moi. Ca prend du temps de chercher. Car il est vrai que LO, consciente du caractère incohérent et absurde de sa position, évite toute référence précise aux analyses de Trotsky, à ses pronostics et même à la théorie pour se cantonner dans des descriptions quasi journalistiques. C'est ce qu'on appelle le "flou artistique", que LO reproche si souvent à d'autres organisations.

Voici néanmoins ce qu'écrivait LO en 1998 :

Nous n’avons pas plus de raison de changer notre caractérisation de la société, de l’économie et par conséquent de l’État soviétique aujourd’hui que nous n’en avions à l’époque où furent écrits les textes cités ci-dessus. (Il s'agit de textes écrits pour nier le changement de nature de l'URSS et polémiquant avec la Fraction après 1991- NdV)
LDC - 27 novembre 1998

Si la nature de l'URSS n'a pas changé en 1991, comme LO a toujours repris à la lettre la caractérisation de Trotski (rappelé dans le CLT de 1966), il semble clair que l'URSS est toujours aux yeux de LO un Etat ouvrier dégénéré, non ? A moins de considérer qu'il existerait une forme d'Etat intermédiaire entre l'Etat ouvrier dégénéré et l'Etat bourgeois ? Ou encore que le passage de l'Etat ouvrier dégénéré à l'Etat bourgeois serait l'objet d'une (très) longue transition, sans saut qualitatif violent ? C'est d'ailleurs cette dernière thèse que semblent accréditer les références à la subsistance de ces "formes d'organisation sociale". Mais alors, on tombe dans le fameux "réformisme à l'envers", que dénonçait déjà Trotski et que LO reprenait à son compte pour polémique avec les "Capitalistes d'Etat"...

Bref, non seulement LO esquive toute analyse marxiste pour se réfugier dans des descriptions journalistiques, mais elle fait fi de toute rigueur en évitant aussi de faire référence à toute son argumentation passée. L'explication est bien évidemment que LO est très gênée aux entournures. Gênée vis à vis de la grande majorité des militants et sympathisants d'extrême-gauche pour qui la question est tranchée de toute évidence.
(D'ailleurs, il existe des militants trotskystes russes, qui vivant la réalité quotidienne de l'exploitation capitaliste, ont le plus grand mal à comprendre comment LO peut défendre de pareilles positions.)

Mais, visiblement, certains militants et sympathisants de LO (dont tu sembles faire partie, Gadès) ignorent tout simplement les positions de LO sur ce sujet et sont tout surpris de les découvrir, voire n'y croient pas !


Gades
s'il y a une rupture, c'est pas 91.
Et c'est sur ce point qu'il serait intéressant que tu t'exprimes...
__
PS Il n'y avait pas de sous-entendu fielleux, quand je parlais d'honnêteté : il me semble en effet que tu connais mal les positions de LO.

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Message  verié2 Mar 15 Nov - 19:42

Voici donc un des rares textes ou cette caractérisation est reprise textuellement.
(Extrait de Textes de la Conférence nationale de Lutte Ouvrière - L’évolution de l’ex-URSS)
Or, pour le moment, la réalité sociale issue de la révolution d’Octobre n’a pas été complètement liquidée. Tant que la couche dominante de la société ex-soviétique demeure la bureaucratie, quelles que soient la forme politique sous laquelle elle se maintient et la politique qu’elle mène, nous nous en tenons à la même caractérisation de l’ex-Union soviétique comme un État ouvrier dégénéré. Même s’il est aujourd’hui dans un état de décomposition très avancé, c’est là une appréciation quantitative, mais non un jugement qualitatif.

Novembre 1994

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Message  gérard menvussa Mar 15 Nov - 21:00

bon, si on reprend pour la centaine de fois la question de la "nature de classe" de la russie (puisqu'il n'y a plus d'urss depuis belle lurette) on pourrait peut être le faire dans un nouveau fil... Moi je suis plutot trés intéressé par la question de la recréation d'une internationale de combat, et des précisions que peut faire stef par rapport a un débat lui aussi pas trés nouveau...
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Message  Roseau Mar 15 Nov - 21:01

Cela semble un dogmatisme incroyable, mais les camarades de LO ont fait sur le premier FMR, en 2010,
des contorsions courageuses mais vaines pour tenter de démontrer que la Russie était toujours un Etat ouvrier.

L'un d'entre eux a même affirmé que le droit d'héritage n'avait pas été rétabli,
ce que je n'ai eu aucun mal à contredire.
C'est un des premiers articles de la Constitution de la Fédération de Russie...

Ce qui est drôle, c'est qu'il y a quelques mois deux vendeurs de LO m'ont traité de menteur.
Non seulement ils ignoraient le dogme de la direction de LO, ce qui est normal,
mais croyaient que je l'inventais...

PS message croisé avec celui de GG. Suis d'accord avec lui sur les deux points.
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Message  stef Mar 15 Nov - 22:31

gérard menvussa a écrit:bon, si on reprend pour la centaine de fois la question de la "nature de classe" de la russie (puisqu'il n'y a plus d'urss depuis belle lurette) on pourrait peut être le faire dans un nouveau fil... Moi je suis plutot trés intéressé par la question de la recréation d'une internationale de combat, et des précisions que peut faire stef par rapport a un débat lui aussi pas trés nouveau...

Stef no comprendo

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Message  gérard menvussa Mar 15 Nov - 22:37

La question initiale n'est elle pas la reconstitution de l'internationale (dans les vicissitudes de la seconde guerre mondiale) ? Et n'a t elle pas une certaine actualité (parce qu'on a tout aussi intérêt a reconstruire une "quatrième" ou une "cinquième" internationale qu'au lendemain de la seconde guerre mondiale) Maintenant, ce qui est intéressant c'est ce qui dans l'histoire rentre en résonance avec nos problèmes contemporains (a moins que la construction d'une internationale révolutionnaire ne soit plus d'actualité, mais il ne me semblait pas que cela soit ton point de vue)
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Message  alexi Mar 15 Nov - 22:50

Vérié :

C'est très difficile, un demi siècle plus tard ! d'apprécier les raisons pour lesquelles la réunification ne s'est pas faite. Dans ce genre d'histoire, il y a toujours les motifs officiels et les autres. On n'a jamais vu une organisation (relativement importante, toutes proportions gardées) faire une plate autocritique sur des prises de position remontant à plus de vingt ans, en s'inclinant devant un groupe minuscule pour obtenir la fusion avec celui-ci.
De quoi parles-tu ?
Pour VO, la réunification de 1944 ne demandait pas une autocritique d'une politique de 20 ans en arrière !

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Message  stef Mer 16 Nov - 7:47

gérard menvussa a écrit:La question initiale n'est elle pas la reconstitution de l'internationale (dans les vicissitudes de la seconde guerre mondiale) ? Et n'a t elle pas une certaine actualité (parce qu'on a tout aussi intérêt a reconstruire une "quatrième" ou une "cinquième" internationale qu'au lendemain de la seconde guerre mondiale) Maintenant, ce qui est intéressant c'est ce qui dans l'histoire rentre en résonance avec nos problèmes contemporains (a moins que la construction d'une internationale révolutionnaire ne soit plus d'actualité, mais il ne me semblait pas que cela soit ton point de vue)

C'est évidemment mon point de vue, mais ce qui me frappe surtout, c'est l'échec global du mouvement tkyste à construire une internationale en plus de 70 ans. Le fait décisif, c'est que la IV fut proclamée sur la base d'une tête d'épingle ("contrairement à la II° ou la III°, elle est le produit d'une période de reculs"). Force est de constater que sa construction s'est donc avérée être un échec - ce dont il faudrait prendre la mesure (bref, il ne sert à rien de réaffirmer rituellement l'objectif de "(re)construire la IV" sans que ça n'engage à rien de substantiel).

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Message  verié2 Mer 16 Nov - 9:16


De quoi parles-tu ?
Pour VO, la réunification de 1944 ne demandait pas une autocritique d'une politique de 20 ans en arrière !
Il m'avait semblé comprendre qu'en 1966 - date du texte du CLT -, VO demandait toujours cette autocritique. Même si le texte fait seulement référence au refus de faire cette autocritique en 1944, il n'en reste pas moins qu'on voit rarement, pour ne pas dire jamais, une organisation relativement importante (toutes proportions gardées) faire une autocritique sur demande d'une minuscule... (D'ailleurs une autocritique partielle a été faite par la IV, insuffisante aux yeux des fondateurs de VO à l'époque.)

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Message  yannalan Mer 16 Nov - 9:45

Je pense qu'au fond d' eux-même, les grosses têtes des trois principales organes SLL, OCI et LO ne voyaient pas l'intérêt de la chose.Pour SLL et OCI dirigés par des personnalités unpeu lourfingues, il s'agissait de récupérer LO et je pense que Hardy qui n'était pas idiot le comprenait très bien, et connaissant les deux autres oiseaux, il n'avait aucune envie de se taper des réus avec. L'histoire lui donne raison.
C'est pas une explication marxiste, je sais bien, mais elle me parait très réaliste

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Message  verié2 Mer 16 Nov - 16:13


GM
si on reprend pour la centaine de fois la question de la "nature de classe" de la russie (puisqu'il n'y a plus d'urss depuis belle lurette) on pourrait peut être le faire dans un nouveau fil
Certes, mais cette analyse est tout de même un élément fondamental du texte/CLT mis en ligne, car elle est liée à d'autres analyses essentielles qui ont séparé le groupe Barta/Hardy/VO de la IV, telles que la nature des pays de l'Est et des révolutions Chinoise et Cubaine, le rôle du stalinisme, l'analyse de mouvements de libération nationale se revendiquant du socialisme etc.
Yannalan
Je pense qu'au fond d' eux-même, les grosses têtes des trois principales organes SLL, OCI et LO ne voyaient pas l'intérêt de la chose.Pour SLL et OCI dirigés par des personnalités unpeu lourfingues, il s'agissait de récupérer LO et je pense que Hardy qui n'était pas idiot le comprenait très bien, et connaissant les deux autres oiseaux, il n'avait aucune envie de se taper des réus avec. L'histoire lui donne raison.
C'est pas une explication marxiste, je sais bien, mais elle me parait très réaliste
Le marxisme ne nie pas le rôle des individus dans l'histoire, il en fixe seulement les limites. Et, au sein de très petites organisations sans véritables liens sociaux, le rôle d'individus qui y exercent une grande autorité est bien évidemment déterminant.

Cela-dit, les clivages théoriques se sont nettement dessinés après cet échec de tentative d'unification. Peut-être que si les débats s'étaient déroulés au sein d'une même organisation, avec la volonté de se comprendre et non de polémiquer de façon parfois caricaturale, ils auraient permis de progresser et non de cristalliser des positions, mais cela n'a rien de certain. Comment en effet imaginer que des gens défendant des positions aussi éloignées sur de nombreux sujets auraient pu cohabiter, quand on constate que VO-LO par exemple n'a jamais pu tolérer durablement la présence en son sein de tendances défendant un point de vue différent sur la seule question de l'URSS ? Seule peut-être une pression sociale d'une fraction combative, sinon révolutionnaire, du prolétariat aurait pu les contraindre à collaborer. Et encore ! Car chaque organisation a toujours été plus ou moins convaincue que l'histoire lui rendrait raison, à la manière dont les bolcheviks se sont imposés dans le mouvement ouvrier révolutionnaire russe...

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Message  stef Mer 16 Nov - 23:21

verié2 a écrit:
De quoi parles-tu ?
Pour VO, la réunification de 1944 ne demandait pas une autocritique d'une politique de 20 ans en arrière !


Je répète qu'en 1943, le SI a procédé à une rectification autocritique. Donc à charge pour Alexi & co de nous expliquer en quoi elle était insatisfaisante (good luck !).

Ceci étant, pour être tt à fait clair, Arbeiter und soldat, c'est le POI et personne d'autre qui l'a réalisé. Donc, ok pour les critiques, mais on attend toujours des contre-exemples pratiques.

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Message  alexi Ven 18 Nov - 20:36

Lettre ouverte aux militants et sympathisants du PCI

Barta

Pour combattre la contrebande pivertiste au sein du Mouvement de la Quatrième Internationale

2 juillet 1945

La Vérité du 4 juin porte en titre " La Parole aux Trotskystes ".
Elle fait suite à la campagne entreprise pour disculper de l'accusation empoisonnée d' "hitlérisme" lancée par la bourgeoisie et les staliniens, le mouvement de la IVème Internationale.
Quelles que soient les méthodes que vous ayez jugé bonnes pour mener cette campagne, elles ne devraient en aucun cas servir de prétexte pour défigurer, afin de vous défendre, les principes, le langage et l'enseignement révolutionnaire du trotskysme. Car si votre langage actuel correspond à ce que vous êtes, vous reniez le trotskysme ; ou alors vous essayez de vous faire passer pour ce que vous n'êtes pas, et on en revient au raison­nement stalinien, fatal à l'esprit communiste : « les intentions sont bonnes, mais la " tactique " exige des concessions... »
Notre tendance, menant la lutte sans discontinuer depuis septembre 1939 pour défendre le drapeau et le programme de la IVème Internationale dans le mouvement ouvrier, estime que la façon dont vous avez entrepris cette campagne constitue un reniement de l'enseignement révolutionnaire du trotskysme et une concession à l'idéologie bourgeoise.
Dans l'intention d'ouvrir une discussion, nous soumettons devant tous les militants se réclamant du trotskysme la critique de la politique de votre organisation. Étant donné que dans le passé cette discussion nous fut refusée, si ce n'est une de pure forme, nous vous rappelons que Trotsky faisait un des plus grands mérites au Parti bolchévik d'avoir traité avec le plus grand sérieux même les organisations qui l'étaient peu. Notre orga­nisation ayant cependant montré sa continuité politique et le sérieux de son action pra­tique, il serait criminel d'utiliser les faux-fuyants déjà utilisés dans le passé (tel que : nous discuterons à condition que vous entriez chez nous), et de continuer à vouloir ignorer notre critique par des explications arbitraires données "entre quatre yeux".

Où est le reniement du trotskysme ?

Pour vous défendre contre la calomnie, vous revendiquez pour vous le titre de "premiers résistants". Or vous-mêmes, dans le numéro 23 (7/4) de La Vérité, écrivez " la résistance elle-même est basée sur une duperie : la duperie de la collaboration de classes ".
Déjà sous le Front Populaire, la politique trotskyste consistait à expliquer aux ouvriers la duperie de cette collaboration de classe, dont le prolétariat faisait les frais, et pour laquelle une partie de la bourgeoisie impérialiste s'était déguisée en " démocrate ". Le Front Populaire prétendait mener une politique en faveur des masses et avait comme mot-d'ordre démagogique la lutte contre les trusts. Pour les révolutionnaires ce mot-d'ordre était un but réel ; mais la similitude des formules permettait-elle à l'organisation révolutionnaire de se réclamer du Front Populaire, dans le but par exemple de ne pas se couper des masses ? C'eût été contribuer à les duper. La politique trotskyste a consisté à se délimiter du front populaire et à le combattre, malgré les calomnies staliniennes qui présentaient tous les adversaires du front populaire, surtout ceux de gauche (les trotskystes) comme des fascistes. Nous n'avons pas plus prétendu à l'époque être les meilleurs ou les premiers " front populaire ", du fait que nous avons été les premiers à préconiser le front unique socialiste-communiste.
Après 1940, les révolutionnaires devaient mener une politique de résistance (c'est­à-dire de défense des masses) vis-à-vis de l'occupation impérialiste allemande. Mais ils continuaient en même temps l'opposition révolutionnaire vis-à-vis de leur propre bourgeoisie et tenaient compte des intérêts du prolétariat français aussi bien que des intérêts du prolétariat allemand, en ne renforçant pas, comme la résistance officielle, la domination de Hitler par le déchaînement chauvin. Cela ne nous empêchait pas de prendre "les pommes de terre" de l'impérialisme anglo-saxon et de la bourgeoisie gaulliste, comme l'ont fait les bolchéviks en 1918 dans la lutte contre l'impérialisme allemand, en acceptant l'aide technique de la bourgeoisie de l'Entente. Mais il fallait par-dessus tout affirmer à la face du monde entier que notre base politique restait la lutte de classe menée jusqu'au bout dans toutes les directions et que nous ne considérions pas l'impérialisme anglo-saxon comme un moindre mal par rapport à l'impérialisme fasciste, raisonnement stali­nien qui entraînait automatiquement l'abandon de la lutte de classe en faveur de la lutte commune contre l'occupant.
Nous, internationalistes, étions les seuls défenseurs des intérêts des masses tout au long de cette guerre, avant et après l'occupation. Par contre, pour la bourgeoisie la résis­tance n'était que l'opposition au capitalisme allemand ; elle lui a servi de mise sur le ta­bleau impérialiste anglo-américain ; par l'intermédiaire des social-chauvins la bourgeoi­sie a également réalisé, à travers la "résistance", l'union sacrée et a prolongé sa domi­nation de classe. Comme le dénonçait LaVérité elle-même en 1943 et 44, la résistance servait de camouflage même aux organisations d'extrême-droite et aux partis fascistes. La résistance, d'après le sens qu'a pris ce terme à travers les événements, est une organisation politique de la bourgeoisie impérialiste. Le parti révolutionnaire peut-il s'en réclamer ? L'absurdité d'une réponse affirmative saute aux yeux.
En luttant pour votre légalisation, vous cherchez la consécration de votre titre de " résistants " par l'obtention d'un certificat public de la Résistance (personnifiée par les Bayet, Saillant, Frenay, Bidault, etc...). Au moment même où les querelles entre l'Angle­terre et la France montrent aux masses la vraie nature impérialiste des alliés, au moment où les ouvriers ont déjà eu le temps de se rendre compte que la résistance s'est terminée par l'arrivée au pouvoir d'un gouvernement des trusts, au lieu de pouvoir en ce moment rehaus­ser notre propre autorité morale pour avoir dénoncé à temps la duperie de la résis­tance, vous cherchez à vous camoufler sous son masque répugnant ! Une pareille légalisa­tion ne serait pas une victoire remportée sur notre propre terrain, celui de l'internationa­lisme et de la révolution.

Dans la lettre à Bayet (18/9/44) le Comité central dit :
" Il s'agit de savoir si la IVème République naissante reprendra là où avait sombré la IIIème République glissant vers l'autoritarisme réactionnaire de Pétain, où si elle sera effectivement démo­cratique ".
Qui pense-t-on tromper par un pareil raisonnement ? C'est la besogne des staliniens et des réformistes de vouloir faire croire aux masses que nous sommes encore de­vant la perspective : IVème République démocratique ou réactionnaire. La tâche des révolu­tionnaires est de montrer aux ouvriers que, les social-chauvins les ayant illusionnés sur l'épuration ", ils ont laissé subsister les organes de l'État gangrené de la IIIème République qui a servi avec succès à Daladier aussi bien qu'à Pétain, et que nous nous trouvons sous de Gaulle en pleine dictature bureaucratico-policière. Au moment où l'Humanité elle-même dénonce le régime dictatorial subi par la presse, pouvons-nous faire croire que la légalisation de La Vérité serait le critère d'une "démocratie effective" ? La tâche des révolutionnaires, enseignait Trotsky, est de nommer les choses par leur nom, et non de se faire les auxiliaires des " démocrates " pourris qui sèment des illusions dans les masses.
La Vérité, en s'adressant aux réformistes et aux stalinistes, use constamment du terme " camarade ". Il suffit pourtant de se référer à un texte de Trotsky pour découvrir ce qu'il y a derrière cette terminologie.

L.T. écrit dans Et Maintenant (page 36) :
" Léon Blum, le défenseur des réparations, le compère socialiste du banquier Oustric, est traité de " camarade " dans les pages des journaux de Seydewitz. Est-ce de la politesse ? Non, c'est un manque de principes, de caractère, de fermeté. " Des chicanes ", dira un quelconque savant de cabinet. Non, dans ces chicanes, le fond politique se manifeste avec beaucoup plus de vérité et de clarté, que dans la reconnaissance abstraite des soviets, non étayée par l'expérience révolutionnaire. Il est inutile d'appeler Blum "fasciste", en se rendant ridicule. Mais celui qui ne ressent pas du mépris et de la haine pour cette espèce de politiciens, celui-là n'est pas un révolutionnaire ".
La Vérité a pris maintenant l'habitude de parler à chaque pas des " démocrates sincères et honnêtes " et, à l'occasion, des "démocrates apeurés".
Déjà sous la monarchie tsariste, les bolchéviks (ils faisaient partie de la social-démocratie), pour se distinguer légalement des autres démocrates, mettaient souvent l'accent sur le fait qu'ils constituaient, en tant que parti du prolétariat, les seuls démocrates conséquents.
Depuis 1934 Trotsky enseignait que dans les conditions de la décadence capitaliste et de l'exacerbation de la lutte de classe la démocratie bourgeoise était définitivement morte en France.
Voici ce qu'écrivait Trotsky dans Où va la France (pages 16-17) :
" La société contemporaine se compose de trois classes : la grande bourgeoisie, la prolétariat et les " classes moyennes " ou petite-bourgeoisie. Les relations entre ces trois classes déterminent en fin de compte la situation politique dans le pays. Les classes fondamentales de la société sont la grande bourgeoisie et le prolétariat. Seules ces deux classes peuvent avoir une politique indépendante, claire et conséquente. La petite bourgeoisie se distingue par sa dépendance économique et son hétérogénéité sociale. Sa couche supérieure touche immédiatement la grande bourgeoisie. La couche inférieure se fond avec le prolétariat et tombe même à l'état de lumpen-prolétariat. Conformément à sa situation économique, la petite-bourgeoisie ne peut avoir de politique indépendante. Elle oscille toujours entre les capitalistes et les ouvriers. Sa propre couche supérieure la pousse à droite ; ses couches inférieures, opprimées et exploitées, sont capables, dans certaines conditions, de tourner brusquement à gauche. C'est par ces relations contradic­toires des différentes couches des " classes moyennes " qu'a toujours été déterminée la politique confuse et absolument inconsistante des radicaux, leurs hésitations entre le car­tel avec les socialistes, pour calmer la base, et le bloc national avec la réaction capitaliste, pour sauver la bourgeoisie. LA DÉCOMPOSITION DÉFINITIVE DU RADICALISME COMMENCE AU MOMENT OU LA GRANDE BOURGEOISIE, ELLE-MÊME DANS L'IMPASSE, NE LUI PERMET PLUS D'OSCILLER. " (Souligné par nous.)
La décomposition du régime capitaliste met fin à la démocratie bourgeoise. Les représentants " démocratiques " de la bourgeoisie n'ont plus qu'une phraséologie à offrir. Dans ces conditions même un de Gaulle arrive à se prétendre démocrate. La tâche n'est donc pas de chercher à distinguer, par quelque introspection, les démocrates honnêtes et malhonnêtes, mais de poser devant les ouvriers la question : qui donnera le ton ? La bourgeoisie par l'intermédiaire de ses fascistes, réactionnaires, curés, professeurs, démocrates, ou le prolétariat qui en se détachant de la bourgeoisie et de ses agents ralliera à lui les autres couches opprimées ?
De même que, dans Et Maintenant, Trotsky était le plus acharné défenseur du front unique, mais méprisait ceux qui traitaient Blum de camarade, nous rappelons que dans la révolution espagnole nous défendions les libertés démocratiques des ouvriers contre le fascisme les armes à la main, mais il ne serait venu à l'idée d'aucun trotskyste d'analyser l'honnêteté d'Azana ou de Negrin. Ils analysaient leur nature de classe et les qualifiaient d'agents de la bourgeoisie, parés du masque de la démocratie.
En donnant les états de service des camarades du Comité directeur, La Vérité dit de Demazière : " Il milite illégalement dans les rangs du PCI jusqu'à la libération ". Et de Baufrère : " Il sait que la lutte ne s'arrête pas à la chute de Hitler ". Encore une fois, pouvons-nous, sous prétexte de nous défendre, bafouer notre propre idéologie ? La Vérité du 22/6/44 sous le titre " Ils se valent ", écrivait : " refuse de te faire mobiliser dans " l'armée de la libération ". En mai 1944, un numéro spécial de La Vérité disait : " Pas de libération possible sans les prolétaires allemands et contre eux ".
Mais puisqu'il s'agit de défendre les principes trotskystes, laissons la parole à Trotsky lui-même. Dans son étude Après la "paix" impérialiste de Munich – une leçon toute fraîche, il écrivait :
" Dans tous les cas où les forces contre-révolutionnaires tentent de revenir de " l'État démocratique " pourrissant, en arrière vers le particularisme provincial, vers la monarchie, la dic­tature militaire, le fascisme, le prolétariat révolutionnaire, sans prendre sur lui la moindre responsabilité pour la " défense de la démocratie " (elle n'est pas défendable !), opposera à ces forces contre­révolutionnaires une résistance armée, pour en cas de succès, diriger son offensive contre la " démocratie " impérialiste. Cette politique n'est applicable, cependant, que pour ce qui concerne les conflits intérieurs, c'est-à-dire dans le cas où l'enjeu de la lutte est véritablement la question du régime politique : c'est ainsi, par exemple, que s'est présentée la question en Espagne. La participation des ouvriers espagnols à la lutte contre Franco était leur devoir élémentaire. Mais c'est précisément et uniquement parce que les ouvriers n'ont pas réussi à remplacer à temps le pouvoir de la démocratie bourgeoise par leur propre pouvoir, que la "démocratie" a fait place au fascisme. Cependant, c'est pure tromperie et charlatanisme que de transporter mécaniquement les lois et les règles de la lutte des différentes classes d'une seule et même nation dans la guerre impérialiste, c'est-à-dire la lutte d'une seule et même classe de différentes nations. Actuellement, il n'est, semble-t-il, pas besoin de démontrer que les impérialistes luttent l'un contre l'autre non pour des principes politiques, mais pour la domination sur le monde, sous le couvert des principes qui leur semblent bons ".
Si l'on présente la défaite d’Hitler comme une première étape gagnée dans la lutte (" la lutte ne s'arrête pas là "), on utilise un raisonnement purement stalinien : " la lutte contre le fascisme extérieur et ses prolongements à l'intérieur ". La défaite de Hitler venant à la suite de la victoire d'un camp impérialiste sur l'autre, n'a pas été une victoire du prolétariat allemand, français, ou autre. Encore dans Après Munich Trotsky dit :
" La question du sort des Tchèques, des Belges, des Français, des Allemands, en tant que nations, nous ne la relions pas à des déplacements conjoncturels des fronts militaires lors d'une nou­velle mêlée des impérialistes, mais à l'insurrection du prolétariat et à sa victoire sur tous les impérialistes ".
Sous le drapeau de la lutte impérialiste la chute de Hitler n'a été qu'un déplacement conjoncturel des fronts militaires. De même que la défaite de 1940 de la bourgeoisie fran­çaise n'a pas été la victoire du prolétariat uniquement parce que cette défaite n'a pas été acquise par l'activité révolutionnaire du prolétariat. Le langage communiste eût été de dire je continue la lutte parce que plus que jamais les masses se trouvent écrasées par l'impérialisme. Plus que jamais la lutte entre les brigands impérialistes se poursuit sur le dos des masses. Imagine-t-on, en 1918, l'IC disant :" La lutte ne s'arrête pas à la chute du Kaiser ? " La défaite de l'impérialisme allemand était-elle une étape dans la lutte prolétarienne ?
La théorie révolutionnaire est l'expression et la garantie suprême de la nature de la direction d'une tendance prolétarienne. La fausse terminologie développe le confusionnisme, rabaisse le niveau des cadres révolutionnaires et ouvre une brèche à l'idéologie en­nemie [1].
Voici ce que dit encore Trotsky (IVème tome de la Révolution Russe, page 229) : " Les distances indispensables à l'égard de l'idéologie bourgeoise étaient maintenues dans le Parti par une vigilante intransigeance dont l'inspirateur était Lénine. Il ne cessait de travailler du scalpel, tranchant les liens que l'entourage petit-bourgeois créait entre le Parti et l'opinion publique offi­cielle. En même temps, Lénine apprenait au Parti à former sa propre opinion publique, s'appuyant sur la pensée et les sentiments de la classe qui montait. Ainsi, par sélection et éducation, dans une lutte continuelle, le Parti bolchévik crée son milieu non seulement politique mais aussi moral, indépen­dant de l'opinion publique bourgeoise et irréductiblement opposé à celle-ci. C'est seulement cela qui permit aux bolchéviks de surmonter les hésitations dans leurs propres rangs et de manifester la virile résolution sans laquelle la victoire d'Octobre eût été impossible. "

Comment se défendre contre la calomnie ?

Avec raison, La Vérité dit que le but de la bourgeoisie est de nous étouffer. Mais en même temps (numéro du 4/6) elle met en demeure de Gaulle de choisir entre le camp fas­ciste qui étouffe les trotskistes, et le camp démocratique (Angleterre, etc...) qui ne les étouffe pas. Mesurez la hauteur de ce raisonnement !
La calomnie contre-révolutionnaire, comme l'antisémitisme et autres manifestations empoisonnées, élevées à une échelle politique, font partie de la lutte de classe et ne s'élèvent pas au-dessus d'elle. C'est pour cela que notre première tâche, pour combattre la calomnie, c'est une offensive politique énergique menée en direction des masses pour démasquer politiquement les calomniateurs, afin que celles-ci puissent se convaincre que ceux qui nous calomnient ne sont pas leurs amis mais bien leurs ennemis. Il faut ensuite un travail suivi d'éducation socialiste dans les rangs ouvriers (édition de brochures populaires).
Il faut aussi une lutte directe contre le gangstérisme staliniste ; nous avions fourni en automne dernier à votre direction une occasion précise d'une action à entreprendre pour le démasquer publiquement [2]. Votre direction s'y est dérobée. Après avoir fui le combat, quel est le sérieux des défis lancés par La Vérité invitant les staliniens à des commissions composées " de toutes les tendances du mouvement ouvrier et de la résistance " ? Nous sommes prêts à fournir à une commission de contrôle de votre parti tous les détails de cette affaire et de l'attitude criminelle de votre direction.
En ce qui concerne l'éducation socialiste, tâche fondamentale de travail commu­niste, vous semblez l'ignorer. Dans les contacts que nos camarades ont pu avoir avec vous, il semble que même pour les membres de l'organisation ce travail passe au troisième plan (" la révolution est là, ce n'est pas le moment de lire Marx "). Comment voulez vous combattre l'obscurantisme et les préjugés, si vous ne remplissez pas votre rôle d'éducateurs socialistes ?
Sur le plan politique, les efforts de légalisation se sont transformés en piège pour votre organisation. Voici deux mois que La Vérité a abandonné toute propagande révolu­tionnaire et qu'elle ne se fait plus le défenseur des masses devant les mesures réactionnaires du gouvernement.
Vous vous êtes réfugiés dans des justifications vis-à-vis de la bourgeoisie et les appels aux " démocrates ". Ainsi La Vérité du 4/6 dit :
"Nous ne sommes pas un groupe de conspirateurs... Nos tâches sont : éclairer en éduquant, guider en expliquant. Notre arme : c'est la propagande révolutionnaire, et rien d'autre".
Ce mensonge la bourgeoisie ne le croira pas et aux travailleurs nous n'avons pas le droit de mentir. Des centaines de fois Lénine a expliqué aux militants : la révolution est une guerre. Une guerre se fait-elle seulement à l'aide de la propagande ? Trotsky a écrit un livre intitulé : Défense du Terrorisme. Nous avons été les premiers et continuons à être les seuls défenseurs des Milices ouvrières et de l'armement du prolétariat. Nous ap­prouvons la devise de Blanqui : qui a du fer a du pain. Comment peut-on avec une pareille doctrine présenter les révolutionnaires comme des prêcheurs et apôtres d'une propagande " de la vérité et du progrès social " (Vérité 4/6). Lénine a enseigné au Parti révolution­naire la plus grande méfiance envers tout gouvernement bourgeois, même le plus démocratique. Une partie de l'appareil de l'organisation doit toujours rester dans l'illégalité pour parer à toute mesure arbitraire de la part du gouvernement bourgeois. Vous-mêmes ne prétendez pas livrer toute l'organisation à la légalité, quelles que soient les mesures de légalisation dont vous ferez l'objet. N'est-ce pas dans ce cas renforcer la calomnie contre nous que d'affirmer : " Nous ne sommes pas des conspirateurs " ? Au moment où le rapport de forces nous impose la lutte clandestine pour pouvoir exprimer des idées révolutionnaires en faveur des masses, le raisonnement léniniste ne serait-il pas plutôt de dire aux travailleurs : " la bourgeoisie conspire, couverte de sa propre légalité, contre le niveau de vie et la vie même des masses ? Nous, révolutionnaires, appelons les travailleurs conscients à se préparer, clandestinement s'il le faut, au renversement de la bourgeoisie. La propa­gande ouverte n'est qu'une partie de notre travail. Demander aux ouvriers de cacher des armes, aux soldats de se réunir en cellules de caserne, aux ouvriers d'usine d'éditer des organes d'opposition sans adresse et sans nom, tout cela, n'est-ce pas un travail de conspirateurs ?
Il est inutile, nous l'espérons, d'ajouter que cela n'a rien de commun avec le terrorisme anarchiste, lutte individuelle contre des représentants isolés de la classe capitaliste.
En juillet 1917, le rapport de forces entre le prolétariat et la bourgeoisie a ouvert la voie à la calomnie capitaliste et social-chauvine contre les bolchéviks. Le regroupement des masses a fait sauter en l'air la calomnie quelques mois après. Combien réconfortant pour les révolutionnaires est le raisonnement de ce soldat russe, que rapporte Kroupskaïa dans sa brochure de Souvenirs sur Lénine: " Sais-tu que ton Lénine est un espion allemand ? dit un Monsieur instruit au soldat en faction. Non, je ne le sais pas, répond celui-ci, je n'ai pas assez d'instruction pour ça, mais ce que je sais, c'est que tout ce que Lénine dit sur la terre est juste ".
Mais faut-il seulement s'en référer à 1917 ? Les camarades voudront bien réfléchir à des exemples plus récents, que nous leur soumettons. A la fin du mois de mai, quand le gouvernement rejette les revendications présentées par la CGT à la suite des mouvements de grève, les social-chauvins n'osent bien entendu pas réfuter les arguments de la bourgeoisie dirigés contre les ouvriers. Notre organisation répand quelques milliers de tracts, signés par les trotskystes, par la IVème Internationale, pour prendre la défense des ouvriers, démasquer les bureaucrates et indiquer nos solutions. De multiples endroits nous parvient l'écho d'ouvriers du rang, qui constituent la grande masse, approuvant le tract et le faisant circuler, sans s'inquiéter de la signature.
Dans une usine importante de la région parisienne, des camarades ouvriers entreprennent un travail d'opposition syndicale entièrement sur des bases communistes et révolutionnaires [3]. La bureaucratie social-chauvine répand immédiatement le bruit qu'il s'agit de la 5ème colonne. Ne cédant pas à la pression des adversaires, le travail de l'opposi­tion continue conspirativement, pour ne pas donner prise à la répression. N'est-ce pas à nous de tenir bon, de démontrer aux ouvriers les nécessités qui nous sont imposées par la lutte, ne s'apercevront-ils pas que ceux qui nous accusent les trahissent, mais que nous ne cesserons de les défendre ? Le journal de l'opposition est le seul qui dans toutes les occasions prend intelligemment et avec continuité la défense des ouvriers. Aussi le font-ils circuler, sans s'inquiéter des accusations des bureaucrates. Nos camarades organisent quelques ouvriers plus avancés en noyau de l'opposition syndicale ; ils adoptent la conspiration comme une nécessité faisant partie de notre travail. L'opposition arrive à imposer politiquement sa légalité : le représentant de la direction syndicale prend l'engagement de ne pas faire arrêter les représentants de l'opposition si ceux-ci se démasquent. Mais cette invitation manque son effet, car l'opposition ce n'est plus seulement un noyau isolé, c'est un courant politique dans l'usine.
Nous sommes-nous réclamés pour ce travail de la résistance ? Notre propagande est-elle tendancieuse dans le sens des préjugés existants ? Nullement. En voici un exemple : un camarade qui fait un travail syndical d'usine avec notre concours, écrit dans son projet de journal : la guerre étant finie rien ne s'oppose plus à nos revendications. Notre camarade lui explique que cette façon de s'exprimer peut laisser entendre aux ouvriers que la politique des bureaucrates ayant freiné les ouvriers à cause de la guerre (des capitalistes) pouvait se justifier. Or il ne faut en aucun cas utiliser de pareilles équivoques, parce que ce qui importe par dessus tout c'est d'élever la conscience des ouvriers. Notre camarade sympathisant convient de la justesse de ce raisonnement.
Mais voici que le raisonnement ci-dessus écarté d'un journal d'usine, nous le retrouvons dans l'organe central du PCI. La Vérité du 4/6 dit :
" Aujourd'hui la guerre est finie. Nous attendons du ministre l'autorisation de pa­raître légalement. Rien ne justifie plus les mesures d'exception qui nous frappent ".
La guerre justifiait-elle donc les mesures d'exception ? Pendant la guerre la bourgeoisie prenait le prétexte de la " défense nationale ". Mais aujourd'hui la bourgeoisie dit par la voix des social-chauvins et de tous ses partis : " Nous avons gagné la première manche par tant de sacrifices, allons-nous maintenant tout compromettre ? Notre union qui était nécessaire contre l'ennemi est nécessaire maintenant pour refaire la France ". C'est à l'aide de cette argumentation que les Thorez et Cie veulent imposer à la classe ouvrière la politique du produire, produire, produire... Notre tâche ce n'est pas de passer l'éponge sur le passé et l'opposer au présent, car pour sa politique actuelle la bour­geoisie tire justement argument du passé. Si des mesures contre nous étaient justifiées pendant la guerre, elles le sont encore aujourd'hui, parce que la guerre et la paix ne sont que la continuation de la politique de la bourgeoisie impérialiste, axiome que Trotsky a si souvent rappelé et que vous oubliez.
Nous avons voulu par ces quelques exemples démontrer aux camarades que pour combattre nos adversaires il ne faut pas se laisser imposer leur tactique et leur argumentation. C'est par une idéologie et une argumentation radicalement contraire à celle de nos ennemis que nous pouvons imposer notre point de vue prolétarien, et non pas en acceptant les prémisses du raisonnement de la bourgeoisie, pour en tirer d'autres conclusions. Si nous engageons la lutte contre la calomnie sur le terrain de nos adversaires, nous sommes battus d'avance.
Ainsi vous brandissez actuellement comme principal argument les morts de la résistance. Mais le PC se réclame de ses dizaines de milliers de morts pour la résis­tance, connus dans tout le pays. C'est au nom de ces morts qu'il nous accuse et nous pourchasse.
Ce qui fait notre force, c'est notre politique énergique de défense des intérêts des masses, poursuivie sans hésitation et sans équivoque.
Mais au lieu de cette intransigeance vous lâchez prise dans chaque occasion grave, vous cédez à la pression ennemie au moment où il faudrait le plus y résister. Le 10 juin 1944 La Vérité écrivait :
" Les forteresses volantes et les tanks d'Eisenhower n'apporteront pas la libération des travailleurs de l'Europe. A la place de l'impérialisme allemand qui s'écroule, ils viennent imposer la domination du capital financier yankee et anglais ".
Deux mois après, au moment du plus grand déchaînement chauvin et du déferlement de la " libération ", La Vérité écrit (le 11 Août) :
" Hitler s'effondre. Les Américains approchent de Paris. La classe ouvrière doit mettre à profit la situation... "
La Vérité est-elle assez naïve pour croire qu'on pouvait transformer en insurrection prolétarienne une situation dont tout le cours antérieur avait préparé les masses à la " libération nationale ", notamment du fait du monopole d'influence des social-chauvins ? En réalité, La Vérité a ployé sous la pression des événements et le PCI a engagé ses militants à participer à " l'épuration ", duperie monstrueuse qui a permis à l'État bourgeois de traverser indemne les événements (rappelons-nous " l'insurrection " de la police).
De la même façon, La Vérité a dénoncé sous l'occupation la résistance d'union sacrée, mais lâche prise maintenant devant l'opinion publique petite-bourgeoise et en arrive à se réclamer de la résistance !
Pour nous, le levier pour le renversement de la situation, n'est pas dans des discussions avec " l'opinion publique ". Il est dans une politique révolutionnaire, hardie : à l'­heure où les masses voient qu'elles sont trahies de toutes parts, à l'heure où l'offensive gouvernementale se poursuit contre elles et que les chefs " ouvriers " se perdent en discours, les trotskistes doivent montrer aux masses que, ne s'effrayant ni de la calomnie ni des menaces, ils restent seuls à prendre la défense de leurs intérêts. Les ouvriers sont fatigués d'années de souffrances et de privations. Ils arrivent à exécrer les chefs traîtres qui détiennent actuellement dans les usines le rôle de premiers garde-chiourme. Dans ces conditions, deux ouvriers révolutionnaires, par un travail clandestin et intelligent, tiennent en échec toute une direction syndicale, parce que les ouvriers ont pu se rendre compte qu'il y avait quelqu'un pour prendre leur défense.
Au lieu de mener son offensive, La Vérité se perd en discussions et en disputes avec " l'opinion publique éclairée ", avec les "démocrates sincères". Et les ouvriers assis­tent à ces pleurnicheries, au lieu de rencontrer dans La Vérité un organe de combat et une réponse à leurs propres préoccupations.
Dans une interview de 1937, Trotsky a dit :
" Je suis sûr que dix ouvriers qui comprennent très bien la situation... gagneront une centaine d'ouvriers, et les cent ouvriers un millier de soldats. Ils seront victorieux à la fin de la guerre ; ça me semble très simple, mais je pense que c'est une bonne idée ".
Là se résument tous les problèmes de notre travail. Comment faire bien comprendre la situation à une centaine d'ouvriers, les gagner corps et âme à la politique révolutionnaire, en faire des cadres de la classe ouvrière et du trotskisme ; c'est par eux que nous pourrons apparaître aux masses comme leurs seuls défenseurs, dans ce monde où elles n'ont que des ennemis.
Ce sont là les problèmes de la construction du parti et de sa prolétarisation, de l'attitude envers les questions théoriques, du lien entre la théorie et la pratique. Ces problèmes il faut les poser devant l'ensemble du mouvement et à l'aide d'une discussion approfondie, à la lumière de l'expérience, poser un premier jalon dans la voie du redressement théorique et pratique du mouvement trotskiste en France. Hors de là un sort pire que celui du POUM attend notre mouvement.
La discussion du bilan de nos deux organisations ne serait pas à l'heure actuelle une concession de votre part, mais le devoir le plus élémentaire de notre travail révolutionnaire.
juillet 1945
UNION COMMUNISTE
(IVème Internationale)



Notes
[1] Nous demandons aux militants de lire ou de relire les ouvrages de Trotsky que nous avons cités Où va la France, Et Maintenant et Après la "Paix" impérialiste de Munich. [Note de Barta]
[2] Il s'agit de la désignation d'une commission d'enquête sur l'assassinat de Pamp (Mathieu Bucholz) par le PCF en septembre 1944. En juillet 1945 l'UC avait renouvelé sa demande, préalablement à toute discussion politique ".
[3] La Voix des Travailleurs, Bulletin inter-usines de l'opposition syndicale Lutte de Classes ne paraîtra qu'en octobre 1945. Mais l'UC avait déjà engagé un travail dans cette direction et certaines de ses publications d'entreprise portaient déjà ce nom.

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Message  Vals Sam 19 Nov - 1:01

C'est peut-être (et même probablement), cette fermeté qui a permis qu'existe encore (et se soit développée) une organisation révolutionnaire qui, jusqu'à ce jour n'a rien concédé à l'air du temps (si empesté soit-il), et est parvenue à recruter et former, même en faible nombre, des travailleurs ou des jeunes qui sont devenus ou deviennent des communistes révolutionnaires et non pas des alters-ci ou anti-ça...
C'est peu, hélas, mais c'est ça qui comptera demain.
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Message  gérard menvussa Sam 19 Nov - 7:38

une organisation révolutionnaire qui, jusqu'à ce jour n'a rien concédé à l'air du temps (si empesté soit-il)

Cela s'est payé d'un conservatisme asséchant, du refus (ou de la résistance) de voir les boulversements ou les mutations de la situation. Au contraire, le SU n'a pas su toujours résister à "l'air du temps", mais il a fait du marxisme une théorie dynamique, conquérante, Vivifiante, vivante ! Ni une "théory" (le marxisme "à l'américaine", sans implication pratique), ni un pur Plus important, il a conservé une véritable pratique internationaliste, alors que l'internationalisme de LO est purement livresque, sans conséquence...

Par ailleurs il est faux de dire que LO "n'a rien concédé à l'air du temps" Entre le défaitisme qui le caractérise, ses propos plus qu'ambigue sur la situation des quartiers, et une islamophobie parfois fiérement revendiqué par certains de ses membre, la technique dite "du chariot en cercle" (quand dans les western, les colons se protégent ainsi des attaques des indiens) n'est pas non plus une garantie absolue...
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Message  chejuanito Sam 19 Nov - 14:56

Pour juger de la politique des trotskistes durant la 2nde GM, le mieux reste encore de juger sur place.
Sur le site de l'association RADAR vous trouverez un choix impressionnant de brochures, journaux, tracts, bulletins intérieurs:
- du Parti communiste internationaliste (1936-1940)
- du Comité français pour la IVe internationale (1939-1942)
- du Parti ouvrier internationaliste (1942-1944)
- du Comité communiste internationaliste (1943-1944)
- du Parti communiste internationaliste (1944-1968)
Pour l'instant je ne connais pas assez bien la période pour en parler, je lis, je lis...
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Message  Roseau Sam 19 Nov - 16:23

Pour sortir des simplifications faciles:
http://www.ernestmandel.org/new/ecrits/article/les-trotskystes-et-la-resistance
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Message  verié2 Sam 19 Nov - 20:00

Roseau a écrit:Pour sortir des simplifications faciles:
http://www.ernestmandel.org/new/ecrits/article/les-trotskystes-et-la-resistance
Mandel résume de façon incomplète les différentes positions prises par les trotskystes et leurs dérives. Il affirme un peu vite que, de toute façon, ces divergences sont restées purement théoriques et n'ont pas eu de conséquences. Pas de conséquences importantes historiques sans doute, mais elles en ont tout de même eu pour certains militants. Un groupe, croyant à la victoire durable de l'Allemagne, a par exemple pratiqué l'entrisme dans des organisations comme les Chantiers de jeunesse, les syndicats corporatistes officiels. Inversement, des militants entrés dans les maquis ont été assassinés par les staliniens.

Mais surtout le point de vue de Mandel sur la résistance est qu'il s'agissait d'un "mouvement de masse d'ouvriers, de paysans et de petits bourgeois opprimés" et qu'il aurait fallu tenter d'en prendre la tête selon la formule de la révolution permanente... comme en Yougoslavie, pays qu'il cite en exemple. Mais la formule de la révolution permanente s'applique à un pays colonial ou à un pays (comme la Russie tsariste) qui n'a pas encore connu de révolution bourgeoise, et non à un vieil Etat impérialiste comme la France ! (Mandel reconnait tout de même au passage qu'on ne pouvait pas considérer que la France était rabaissée au rang de pays colonial, en dépit d'une phrase ambigüe de Trotsky, mal interprétée par certains courants...)

La divergence avec le mini groupe qui devait donner naissance à VO puis LO est déjà évidente. Barta expliquait sous l'occupation que les maquis était des rassemblements constitués sur des bases interclassistes, encadrés par des staliniens et des militaires, et qu'on ne pouvait par conséquent espérer les transformer en forces de classe. Une situation très différente de celle d'une organisation ouvrière, syndicat ou comité de grève, dirigée par des staliniens ou sociaux démocrates qu'on peut envisager de déborder et virer.

L'exemple de la Yougoslavie montre le fossé entre les analyses de Barta-VO-LO et celles de la IV, puisque, malgré son étiquette "communiste", Barta considérait que le PC yougoslave a agi comme une force nationaliste bourgeoise qui a abouti à la mise sur pied d'un Etat bourgeois, comme plus tard Mao en Chine, alors que le courant VO-LO a considéré ces Etats comme bourgeois.

On voit aussi le lien qui se dessine avec la question de l'analyse de l'URSS. Bien que fidèle à la lettre à l'analyse de Trotsky, Barta-VO-LO ont eu le mérite de refuser qu'un mouvement de résistance armé, extérieur à la classe ouvrière, puisse aboutir à la mise sur pied d'un Etat ouvrier - ce qui aurait signifié que d'autres forces que la classe ouvrière puissent réaliser la révolution socialiste. Mais ni Barta, ni VO ni LO n'en ont tiré les conclusions par rapport à la nature de l'URSS stalinienne, car ce refus revenait à nier que l'étatisation complète de l'économie puisse avoir un caractère "socialiste" comme Trotsky l'affirmait.


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Message  gérard menvussa Sam 19 Nov - 20:49

un mouvement de résistance armé, extérieur à la classe ouvrière,


Sauf que le mouvement de résistance armé yougoslave n'avait rien "d'extérieur à la classe ouvrière", qui en constituait l'ossature, et qui était organisé autour de leur parti communiste...
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Message  sylvestre Dim 20 Nov - 18:14

gérard menvussa a écrit:
un mouvement de résistance armé, extérieur à la classe ouvrière,


Sauf que le mouvement de résistance armé yougoslave n'avait rien "d'extérieur à la classe ouvrière", qui en constituait l'ossature, et qui était organisé autour de leur parti communiste...

D'un point de vue programmatique il était extérieur à la classe ouvrière, ayant une orientation de libération nationale sur la base des rapports de production bourgeois :

Le programme social des Partisans de Tito était conservateur. Le Conseil antifasciste de Libération nationale (A. V. N. O. J.) — leur parlement — arrêta un programme, lors de sa première réunion, à Bihać, le 26 novembre 1942, dont deux articles affirmaient :

L'inviolabilité de la propriété privée et l'ouverture de toutes les possibilités à l'initiative individuelle dans l'industrie, le commerce et l'agriculture.
Aucune espèce de changement dans la vie et les activités sociales des gens, sauf le remplacement des autorités de village réactionnaires et des gendarmes qui peuvent être passés au service des envahisseurs, par des représentants élus, ayant un caractère vraiment démocratique et populaire. Les questions les plus importantes relatives à la vie sociale et à l'organisation de l'État seront réglées par le peuple lui-même, grâce aux représentants qu'il élira dans des conditions convenables après la fin des hostilités.
Ces objectifs furent constamment répétés par la presse et la radio des Partisans au cours des trois années suivantes.

Pour bien illustrer la nature conservatrice de leur programme social, il suffît de citer le serment prononcé par les nouveaux volontaires croates :

Je jure par le Dieu tout-puissant, par tout ce qui m'est cher et je donne ma parole d'honneur de rester toujours fidèle aux traditions léguées par mes ancêtres. Je répondrai toujours à la confiance du peuple croate et je défendrai ma patrie, avec mon sang, contre les oppresseurs allemands, italiens et hongrois, ainsi que contre les traîtres à mon peuple. Que Dieu m'assiste ! (Radio-Yougoslavie libre, 13 juin 1943)
Pour renforcer cet appel à la tradition, un confesseur ou un aumônier (vjerski refeent) était attaché à toutes les grandes unités militaires.

Du point de vue sociologique aussi :

Étant donné que les Partisans opérèrent loin des centres industriels, ils furent presque entièrement composés de paysans. Quoique les ouvriers yougoslaves soutinssent unanimement ou presque le parti communiste, ils ne jouèrent qu'un rôle très modeste dans le mouvement. Comme le déclara Bogdan Raditsa, ancien directeur de la presse dans le gouvernement Tito : « La classe ouvrière fut bien loin de constituer un facteur capital de la résistance, comme les communistes le prétendent dans leur propagande. Car les ouvriers demeurèrent dans les usines des grandes villes ou furent envoyés dans les camps de travail de Hitler » (New Republic, 16 septembre 1946). Ce caractère paysan du mouvement des Partisans explique qu'il fut à l'origine plébéien et démocratique. Il explique aussi pourquoi le parti communiste yougoslave put facilement lui imposer son programme conservateur de 1941 à 1944, et pourquoi l'armée yougoslave se stratifia aisément, développement commun à beaucoup de guérillas paysannes, qui se produisit notamment dans les guérillas espagnoles qui combattirent Napoléon.

( http://www.marxists.org/francais/cliff/1952/satellites/cliff_umg_09.htm )
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Message  verié2 Dim 20 Nov - 19:20

Sylvestre a parfaitement répondu avant moi.
A propos de cet argument :

G.M.
le mouvement de résistance armé yougoslave n'avait rien "d'extérieur à la classe ouvrière", qui en constituait l'ossature, et qui était organisé autour de leur parti communiste...

Cet argument est utilisé aussi par les Maoistes pour expliquer que, si l'immense majorité de l'armée révolutionnaire chinoise était d'origine paysanne, les cadres appartenaient au parti communiste, dont un grand nombre d'anciens ouvriers. Mais un mouvement social ne peut pas être analysé à partir de l'origine sociale d'une partie de ses cadres, ni même de son idéologie. La question primordiale qu'il faut se poser, c'est : quelles forces sociales, quelles classes sociales ont joué un rôle déterminant ? Dans le cas de la Chine comme de la Yougoslavie, force est de constater que c'est la paysannerie et non la classe ouvrière. La fameuse thèse de la "Révolution permanente" de Trotsky suppose que ce soit la classe ouvrière en chair et en os qui prenne la tête de la révolution démocratique bourgeoise et/ou de la lutte de libération nationale, et non un parti se revendiquant plus ou moins d'elle ! (En Chine, le programme du PCC était également nationaliste démocratique bourgeois.)

Pour en revenir à la résistance en France, l'analyse de Barta, selon laquelle les maquis étaient constitués d'un mélange de paysans, d'ouvriers et de petits bourgeois, encadrés par des militaires et des staliniens, sur des bases nationalistes, est tout à fait juste. Des militants internationalistes n'auraient eu aucune chance de prendre la tête de ces maquis et certains de ceux qui ont tenté seulement d'y participer relativement discrètement se sont fait assassiner par les staliniens. (En Italie aussi d'ailleurs, certains Bordiguistes ont fait la même expérience.)

Coupés de leurs racines, c'est à dire leurs entreprises et leurs quartiers, de jeunes ouvriers maquisards ne sont plus que des "individus" isolés, mélangés aux autres. De plus, une organisation de guérilla échappe par nature à tout contrôle de la classe ouvrière et se transforme facilement, en cas de victoire, en appareil d'Etat extérieur à la classe ouvrière, comme en Chine ou à Cuba. Il en irait différemment si des mouvements de guérilla se développaient parallèlement à des insurrections ouvrières, sous la direction d'un même parti - encore que cela pourrait aboutir à l'affrontement entre les forces issues de la guérillas et celles de la classe ouvrière, comme Trotsky en émettait l'hypothèse pour la Chine. En fait, il n'y a eu d'affrontements de ce genre ni en Chine ni en Yougoslavie, dans la mesure où la classe ouvrière est demeurée relativement passive dans ces deux pays.

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Message  gérard menvussa Dim 20 Nov - 22:23

Dans le cas de la Chine comme de la Yougoslavie, force est de constater que c'est la paysannerie et non la classe ouvrière.
Dans le cas de la yougoslavie qu'est ce qui te permet d'affirmer cela ?

Il en irait différemment si des mouvements de guérilla se développaient parallèlement à des insurrections ouvrières, sous la direction d'un même parti - encore que cela pourrait aboutir à l'affrontement entre les forces issues de la guérillas et celles de la classe ouvrière, comme Trotsky en émettait l'hypothèse pour la Chine. En fait, il n'y a eu d'affrontements de ce genre ni en Chine ni en Yougoslavie, dans la mesure où la classe ouvrière est demeurée relativement passive dans ces deux pays.

La classe ouvrière n'est pas restée plus passive en yougoslavie qu'en urss, au contraire. Ou alors il faudrait que tu nous montre tes sources, et ce qui permet d'affirmer cela ! Je citerais moi plutot les sources de CPS qui donne des éléments trés intéressant sur la révolution yougoslave :

http://socialisme.free.fr/cps37_yougoslavie_histoire.htm#_Toc84996981



les sources du mouvement ouvrier yougoslave


Ce n’est que dans la seconde moitié du 19e siècle que débute l’industrialisation de ce qui deviendra la Yougoslavie, industrialisation concentrée pour l’essentiel dans la partie nord du pays. Avec la formation d’une classe ouvrière se créent les premières organisations social-démocrates liées à la Seconde Internationale. Ces organisations se constituent dans le cadre des frontières de cette époque : PSD en Serbie, PSD en Croatie et PSD de Bosnie (régions soumises à l’Empire d’Autriche-Hongrie, assez tardivement pour la Bosnie : 1908).

Le combat de ces organisations intègre immédiatement la question nationale sous la forme du combat pour une fédération balkanique socialiste. Mais la faiblesse de ce jeune prolétariat balkanique — la situation est analogue en Roumanie et en Bulgarie — leur interdit de jouer un rôle réel dans les mouvements nationaux qui accompagnent, au début du siècle, la décomposition de l’Empire ottoman, et se traduisent en particulier par la guerre des Balkans (1912-1913), guerre qui permet la création d’Etats nationaux unifiés : Bulgarie, Roumanie, Serbie, Monténégro... Lénine explique ainsi :
«Cette tâche, les peuples balkaniques aurait pu la mener à bien dix fois plus facilement que maintenant, et avec cent fois moins de sacrifices, par la constitution d’une république balkanique fédérative. Ni l’oppression nationale, ni les querelles nationales, ni l’exacerbation des différences de religion n’auraient été possibles dans le cadre d’une démocratie complète et conséquente. Un développement réellement rapide, ample et libre, aurait été assuré aux peuples balkaniques.

Quelle raison historique a fait que les questions vitales des Balkans ont été réglées par une guerre inspirée par des intérêts bourgeois et dynastiques ? La principale raison est la faiblesse du prolétariat dans les Balkans ; ce sont ensuite les influences et les pressions réactionnaires de la puissante bourgeoisie européenne». (“La Pravda”, 29 mars 1913 - Œuvres, T.19, page 29).


L’année suivante, l’attentat de Sarajevo donnait le point de départ de la première guerre mondiale : le PSD serbe et le parti bolchevique furent les seuls partis de la IIe Internationale à refuser de voter les crédits de guerre. Cette position originale eut de grandes conséquences : au lendemain de la guerre, le PSD serbe fut le cadre naturel de constitution du parti ouvrier révolutionnaire.


premiers combats du parti communiste yougoslave


La dislocation de l’empire d’Autriche-Hongrie en 1918, la constitution du premier Etat ouvrier, sur les décombres de l’empire du tsar, provoqua dans les Balkans, une vague révolutionnaire menaçant d’emporter toute la région : le royaume des “Serbes, Croates, Slovènes”, fut alors constitué comme barrage à cette vague révolutionnaire.

Tandis que les dirigeants du PSD croate avalisaient la participation de l’un des leurs au gouvernement bourgeois de la yougo-slavie ainsi constituée en royaume, l’aile “gauche” du PSD croate constituait avec le PSD serbe et le PSD de Bosnie, en janvier 1919, un parti social-démocrate de toute la Yougoslavie. Un dirigeant de ce nouveau parti, Milkic, participait au premier congrès de l’Internationale Communiste, en mars 1919. L’adresse envoyée au congrès affirmait en particulier :
«La “paix sociale” n’a jamais eu droit de cité chez nous. Nous ne connaissons qu’une guerre, la guerre entre les travailleurs et le capital (...). Les ouvriers de Croatie et de Slovénie sont avec nous convaincus que le chemin vers le socialisme passe par la dictature du prolétariat et que cette dictature revêt la forme du gouvernement des soviets.»

En 1920 est constitué le Parti Communiste Yougoslave, adhérent à la IIIe Internationale.

Durant cette période marquée par l’effervescence révolutionnaire en Europe centrale et des grèves spontanées en Yougoslavie, le PCY devient très rapidement une organisation importante exerçant une influence considérable dans le prolétariat et la paysannerie. Cette influence se traduit sur le terrain électoral : il conquiert 59 sièges de députés aux élections pour l’Assemblée Constituante, y devenant le troisième parti par sa représentation.

Aux élections municipales de 1920, il emporte de nombreuses municipalités dont celle de Belgrade.

Paniquée, l’oligarchie militaire et financière organise la répression de la grève générale des cheminots en août 1920, dissout la municipalité communiste de Belgrade, décrète la dissolution des organisations communistes et syndicales. La loi de juin 1921 met hors la loi le PCY et destitue tous ses élus ; l’Assemblée Constituante entérine ces décisions.

Lors de son 4e congrès (novembre 1922), l’Internationale Communiste fit un bilan sévère des erreurs qui avaient conduit à ce désastre : l’absence d’initiative face au début de la répression, l’absence d’organisation clandestine pour se défendre de la terreur blanche, la propension à l’électoralisme, voire la non publication aux militants des 21 conditions d’adhésion à la IIIe Internationale, prouvaient combien était grand l’écart entre l’adhésion à l’IC et la constitution d’une véritable direction et d’un véritable parti bolcheviques. En conclusion de sa résolution sur la question yougoslave, l’IC se fixait l’objectif d’aider à la reconstruction du parti yougoslave, dans le cadre d’une fédération communiste des Balkans. Un nouveau comité central était constitué. Fin 1923, le PCY, qui s’était jusqu’alors peu soucié de la question nationale, proclamait le droit des peuples de yougoslavie à la sécession.


le pcy, parti stalinien


La dégénérescence de la IIIe Internationale, la soumission croissante de chaque PC aux intérêts de la bureaucratie du Kremlin, va toucher un PCY affaibli par ses erreurs politiques et par la répression. Durant les années de dictature qui suivirent le coup d’Etat du roi (1929), de nombreux militants communistes furent mis en prison.

Dans le cadre de la politique de Front Populaire, le PCY se prononce pour une “fédération” yougoslave, c’est-à-dire pour un aménagement de l’Etat yougo-slave : il n’est plus question du droit des peuples à la sécession. Crises et purges se succèdent au sein du PCY, devenu parti stalinien.

A partir de 1937, un certain Josip-Broz Tito jour un rôle croissant à la tête du PCY : nommé secrétaire général du PCY par le komintern, il séjourne fréquemment à Moscou où on le forme comme dirigeant stalinien : son dernier séjour s’y achève en mars 1940. Le pacte germano-soviétique, en 1939, s’il a désorienté les militants, n’a pas provoqué de réaction au sein du PCY et de sa direction, et jusqu’au 22 juin 1941, date de l’entrée en guerre de l’Allemagne contre l’URSS, le PCY et Tito se soumettent aux exigences de la bureaucratie du Kremlin. C’est ainsi qu’en octobre 1940, la 5e conférence nationale du PCY, clandestine, qui se tient avec Tito mais en l’absence de représentant du Kremlin, adopte des positions tout à fait conformes à celles du Kremlin. C’est ainsi que la direction du PCY ne réagit pas lorsque le 6 avril 1941 l’armée allemande envahit la Yougoslavie en représailles du coup d’Etat organisé par des officiers qui n’avaient pas accepté l’adhésion de la Yougoslavie à l’Axe (adhésion décidée par le roi le 25 mars 1941) : durant les trois premiers mois d’occupation, la direction du PCY reste silencieuse. Pourtant, dès avril 1941, se créé un Front de Libération Nationale Slovène ; des soulèvements spontanés ont lieu en Herzégovine.

Ce n’est qu’après le 22 juin, après l’invasion de l’URSS par l’armée allemande, que le PCY se manifeste : le 12 juillet est lancé un appel à l’insurrection générale.


«une combinaison tout à fait exceptionnelle de circonstances»


En 1938, Trotsky envisageait :
«La possibilité théorique de ce que, sous l’influence d’une combinaison tout à fait exceptionnelle de circonstances (guerre, défaite, krach financier, offensive révolutionnaire des masses, etc...) des partis petits bourgeois, y compris les staliniens, puissent aller plus loin qu’ils ne le veulent eux-mêmes dans la voie de la rupture avec la bourgeoisie.» (Programme de Transition).

Incontestablement, la situation de la Yougoslavie en 1941 constitue une telle combinaison tout à fait exceptionnelle et débouche sur la réalisation de ce qui n’était qu’une possibilité théorique.

Quels en sont les principaux éléments ?

• d’abord, la désagrégation brutale de l’appareil d’Etat qui, depuis des années, maintenait opprimées les masses yougoslaves, désagrégation consécutive au coup d’Etat puis à l’intervention armée de l’Allemagne ;

• une telle désagrégation ouvrait la voie à une résurgence du mouvement national, d’autant plus puissante qu’elle renouait avec une tradition de combats nationaux, mettant cette fois l’ensemble des peuples de Yougoslavie, Serbes inclus, face à une même armée étrangère ;

• enfin la faiblesse relative du PCY : d’un côté le PCY était quasiment la seule organisation ouvrière et pouvait se prévaloir d’une certaine légitimité (trouvant sa source dans le vote du PSD contre la guerre en 1914 et la place occupée en 1919-21 par le PCY) ; il en découlait un certain prestige dans les masses dont témoigne le fait que les mouvements spontanés, limités avant l’appel du PCY à l’insurrection générale, deviennent massifs aussitôt après

Mais d’un autre côté, les erreurs commises en 1920-21, la longue période de répression et de clandestinité qui avait suivi, puis la soumission à une Internationale dégénérée, sa transformation en parti stalinien appliquant la politique dictée par le Kremlin, avait réduit le PCY à un appareil squelettique et à une poignée de militants.

En l’absence d’un authentique parti bolchevique, une telle organisation allait pouvoir se mettre à la tête du mouvement des masses, en constituer la direction politique et militaire en même temps qu’elle allait devoir, par la faiblesse de l’encadrement, faire nombre de concessions à un puissant mouvement de masses, devoir louvoyer entre la volonté des masses en armes et les exigences de la bureaucratie du Kremlin. C’est ce qui marque toute la situation de 1941 à 1948.

le gouvernement de l’avnoj


Durant l’année 1941, le mouvement des masses se développe largement contre les forces d’occupation : à la fin de l’année, ce sont 80 000 partisans qui sont organisés, toutes nationalités réunies. Afin d’encadrer ce combat, la direction du PCY décide dès l’été 1941 de constituer un comité national de libération et envisage de constituer un gouvernement provisoire.

Aussitôt, en août 1941, le Kremlin désapprouve cette initiative : il vient d’établir lui-même des relations avec le gouvernement royal en exil. Le PCY se soumet et reporte sa décision de constituer un gouvernement provisoire. A Moscou, la radio yougoslave “libre” se tait sur la collaboration des tcheniks de Mihajlovic avec l’occupant allemand, ce même personnage était ministre du gouvernement royal en exil jusqu’en janvier 1942.

Tito lui-même, à l’automne 1941, rencontre à deux reprises Mihajlovic. Mais sur le terrain, les brigades des partisans donnent à leur combat un caractère de classe. Ce n’est pas seulement contre l’armée occupante, c’est aussi contre les “partisans” de Mihajlovic, contre les débris de l’ancien appareil d’Etat et de la bourgeoisie, contre les gros propriétaires terriens qu’ils combattent. Le 26.9.1941 est décidée la création d’un état major suprême des comités de libération.

L’année 1942 marque un tournant : c’est la rupture du fait entre la politique dictée depuis le Kremlin et celle poursuivie par le PCY pour ne pas perdre le contrôle des masses.

Le 26.6.1942, l’IC envoie le télégramme suivant aux sections :
«Il est vital de développer un mouvement sous le mot d’ordre de Front national uni... gardez à l’esprit que l’étape actuelle est celle de la libération du joug fasciste et non de la révolution socialiste.»

Et à Tito il est dit : «Ne répandez pas le mot d’ordre de République.»

Mais en Yougoslavie occupée, c’est la création de la première brigade prolétarienne et la constitution, les 26 et 27 novembre 1942, par les délégués des partisans de l’AVNOJ (Conseil anti-fasciste de libération nationale). Ce conseil est l’organisme politique d’où est issu le Comité exécutif, succédané du gouvernement dont Moscou refuse la création.

Fin 1942 est mise en place l’Armée de Libération Nationale, émanation des peuples yougoslaves en armes : elle regroupe 300 000 partisans fin 1943 et impose la capitulation à l’armée italienne. Il y a dès lors une contradiction à trancher : réunie les 29 et 30 novembre 1943, l’AVNOJ se constitue en corps législatif et constitue son propre gouvernement : le NKOV, niant ainsi le gouvernement royal en exil. Il est décidé que l’Etat sera doté d’un statut fédératif sur la base de l’égalité des peuples, la question de la monarchie devant être réglée à la fin de la guerre, concession ainsi faite au Kremlin et à l’impérialisme.

Réunie au même moment (28 novembre au 1er décembre 1943), la conférence de Téhéran confirme que l’aide sera désormais apportée par les alliés à Tito et non plus à Mihajlovic. Mais si, pragmatiques, les “trois grands” reconnaissent l’armée populaire comme une alliée, ils ne reconnaissent pas pour autant le gouvernement mis en place par l’AVNOJ.


une rupture incomplète


Si le PCY et Tito ont dû aller beaucoup plus loin que le voulaient le Kremlin et l’impérialisme, la politique de collaboration se poursuit.

Le 16.6.1944, sous la pression des Anglais, le gouvernement royal en exil reconnaît l’armée de libération nationale (mais non pas le NKOV). Un accord est passé entre Tito et Subasic, premier ministre du gouvernement royal en exil.

En août 1944, Tito rencontre Churchill puis se rend à Moscou (septembre 1944).

Les combats se poursuivent jusqu’au printemps 1945 ; la puissance du mouvement des masses est telle que, dès la fin de 1944, l’essentiel du territoire yougoslave est sous son contrôle.

La Yougoslavie connaît ainsi, avec l’Albanie (et aussi, pour une grande part, avec la Grèce), une situation radicalement différente de celle de la Pologne ou de la Hongrie dont les territoires sont libérés et aussitôt contrôlés par les armées du Kremlin.

Tito et la direction du PCY n’en poursuivent pas moins leur collaboration avec des forces bourgeoises réduites à une ombre.

• En novembre-décembre 1944 sont signés des accords entre Tito et Subasic qui réduisent l’AVNOJ à un rôle simplement législatif et qui mettent en place une régence et un gouvernement commun ; une assemblée constituante décidera ultérieurement du sort de la monarchie.

• En février 1945, la conférence de Yalta amène à élargir l’AVNOJ à d’anciens députés bourgeois ; et les décisions de l’AVNOJ devront être soumises à l’assemblée constituante. De même que l’Assemblée constituante était donc mise en avant pour détruire les organes de pouvoir des partisans, détruire leur gouvernement.

• En mars 1945, le roi nomme des régents et Tito forme un gouvernement d’union nationale, incluant Subasic et quelques autres membres du gouvernement royal en civil.

Ainsi, les masses qui avaient payé d’un prix très lourd le combat mené contre les armées d’occupation et les forces de collaboration (un million de morts dont 300 000 partisans), se voyaient dessaisies du pouvoir au profit d’un gouvernement bourgeois, conformément à la volonté des impérialismes et du Kremlin de reconstruction des Etats bourgeois.

Mais la reconstruction d’un tel Etat bourgeois était très difficile en Yougoslavie : l’appareil d’Etat bourgeois avait été anéanti, à lui s’étaient substitués les organismes des masses armées, la bourgeoisie comme classe et en particulier la couches des grands propriétaires fonciers était disloquée. Les partisans avaient le pouvoir réel et entendaient le conserver. De nouveau, le PCY devait aller plus loin que prévu.


1945-1948 : rupture avec le kremlin


Aux élections de novembre 1945 sont présentées des listes de Front populaire : elles obtiennent 88,5 % des suffrages exprimés. L’Assemblée Constituante, contrairement à ce pour quoi elle avait été constituée, proclame la République populaire fédérative. Exit la monarchie.

La politique impulsée alors pendant les deux années qui suivent diffère radicalement de celle appliquée au même moment par le Kremlin dans les pays qui sont sous son contrôle militaire : une constitution est adoptée, calquée sur celle de l’URSS ; les propriétés des ennemis et des collaborateurs sont confisquées, puis rapidement c’est l’essentiel de l’économie qui passe sous contrôle de l’Etat : tous les transports, les banques, le commerce extérieur et le commerce de gros, 80 % de l’industrie. La réforme agraire est réalisée. Et, en 1947, le premier plan quinquennal est lancé.

En apparence, des relations étroites sont établies entre le PCY et le Kremlin. Pourtant, la politique appliquée en Yougoslavie est intolérable pour Staline. Il tente “d’aider” le PCY à se ressaisir... en installant le Kominform à Belgrade. En vain : les émissaires du Kremlin sont fraîchement accueillis. Le 28 juin 1948 est rendue publique l’exclusion de la Yougoslavie du Kominform. Sont dénoncés : «l’attitude anti-soviétique des éléments nationalistes du PCY» et un plan quinquennal «mégalomane, irréel, irréalisable». De fait, depuis trois mois, les services de sécurité yougoslaves avaient commencé à arrêter ceux qui, dans le PCY et le nouvel appareil d’Etat, pouvaient être un appui pour les émissaires de Moscou.

Aussitôt rendue publique la rupture, une campagne de calomnie fut organisée dans toute l’Europe par la propagande stalinienne ; les incidents de frontière se multiplièrent.


la bureaucratie yougoslave et celles de l’europe de l’est


Cette crise brutale, la première au sein de l’appareil stalinien international, suscita à l’époque d’importantes illusions, dans les rangs trotskystes en particulier. S’il était juste de combattre la campagne de calomnie orchestrée par le Kremlin et de se déclarer aux côtés de la Yougoslavie en cas d’agression des armées de Staline, autre chose était de croire que la nature du PCY avait changé, ou était en train de changer et que quelques conseils judicieux pouvaient le faire évoluer dans “le bon sens”.

Ces illusions marquent profondément la “Lettre ouverte au Comité central et aux membres du Parti communiste yougoslave” (S.I. de la IVe Internationale, 13 juillet 1948) qui affirme notamment :
«Vos possibilités d’action sur la route du véritable léninisme s’avèrent énormes. Mais votre responsabilité historique dépasse de loin tout ce qui est esquissé plus haut. Des millions de travailleurs de par le monde sont aujourd’hui profondément dégoûtés par la politique et les méthodes utilisées par les dirigeants actuels du Kominform (...) Seule l’avant-garde de cette masse a pu trouver actuellement la voie vers notre organisation, la IVe Internationale. Vous pourriez devenir le centre de rassemblement pour cette masse d’ouvriers révolutionnaires et, ainsi, d’un seul coup, bouleverser les conditions actuelles de paralysie du mouvement ouvrier mondial (...)» et conclut : «Communistes yougoslaves, unissons nos efforts pour une nouvelle internationale léniniste ! Pour la victoire mondiale du communisme !».

De même, la “Résolution sur la Yougoslavie et la crise du stalinisme” (6e Plénum du CEI, 9-12 octobre 1948) indique : «Tito et la direction du Parti communiste yougoslave représentent jusqu’à présent la déformation bureaucratique d’un courant plébéien, anti-capitaliste révolutionnaire.»

Une telle affirmation, même entourée d’un grand nombre de précautions (telle la possibilité évoquée que les dirigeants du PCY deviennent un “appareil bonapartiste (...) porte-parole des forces réactionnaires à travers une série d’étapes») n’en exprime pas moins une incompréhension de la nature du PCY, la recherche d’un raccourci pour construire l’Internationale et préfigure la crise pabliste qui détruira peu après la IVe Internationale.

Staline rompant avec le PCY, celui-ci n’en restait pas moins un parti bureaucratique d’origine stalinienne. Sous la puissante poussée du mouvement des masses le PCY avait dû rompre avec la bourgeoisie yougoslave. Il s’était profondément transformé en intégrant des cadres militaires et politiques issus de la résistance, sans pour autant devenir un Parti Ouvrier Révolutionnaire se situant sur le programme de la Révolution prolétarienne mondiale ou pouvant le devenir. De 1945 à 1948 l’appareil d’Etat et l’appareil du PCY profondément intégrés l’un à l’autre s’étaient développés tant au niveau fédéral qu’au niveau de chaque république. De la guerre était surgi un Etat ouvrier dégénéré et bureaucratique, une bureaucratie yougoslave dont le PCY était le parti. Cette bureaucratie avait face à celle du Kremlin ses intérêts spécifiques qu’elle n’entendait pas sacrifier d’autant que sa résistance à la subordination étroite à Moscou ne pouvait qu’obtenir le soutien des masses yougoslaves.

Attaquer le PCY et Tito, liquider ce dernier et une partie au moins du PCY, était d’autant plus nécessaire au Kremlin que le tournant de 1947 dans les pays de l’Europe de l’Est amenant à l’expropriation totale du capital, au monopole du pouvoir politique exercé par les PC, posait problème : des bureaucraties se cristallisaient ayant leurs intérêts propres et qui devaient tenir compte des réalités économiques, sociales et politiques existant dans chaque pays. La résistance de Tito, du PCY, de la bureaucratie yougoslave devenait un insupportable exemple. Très rapidement en Albanie, en Hongrie, en Bulgarie, en Roumanie, en Tchécoslovaquie, de sanglantes épurations, touchant tous les PC et les bureaucraties de ces pays ont déferlé. Les procès en sorcellerie contre Kotchi Dodze en Albanie, Rajk en Hongrie, Kostov en Bulgarie, Clémentis et Slansky en Tchécoslovaquie, etc... ont été des aspects publics, spectaculaires de ces épurations.


... les partisans grecs




L’épuration a touché jusqu’au Parti Communiste Grec pourtant engagé dans une guerre de partisans contre le gouvernement du pays. En 1944, le PCG contrôlait par la médiation de l’ELAM (Front National de Libération) et l’ELAS (forces armées de ce front) l’ensemble de la Grèce. En août 1944, conformément aux accords passés avec le gouvernement royal en exil, le gouvernement Papandreou, six ministres de l’ELAM entraient dans celui-ci. En octobre, les troupes anglaises débarquaient en Grèce et avec eux le gouvernement de Papandreou qui s’installait au pouvoir. En décembre, les forces armées régulières assistées par les troupes anglaises attaquaient l’ELAS. La direction du PCG capitulait après de durs combats où l’ELAS aurait pu vaincre. Le 12 février 1945 le PCG signait les accords de Varzika qui stipulaient le désarmement de l’ELAS. C’était l’application du contrat passé entre Staline et Churchill : la Grèce devait rester zone d’influence de l’impérialisme anglais.

Dès 1946, pour résister à la répression, se formait dans les montagnes du nord de la Grèce des maquis armés et bientôt une armée de partisans dont le PCG prenait le contrôle. En octobre 1947, le PCG la proclamait “armée démocratique de Grèce”. Elle était placée sous le commandement du “prestigieux” général Marcos. Le 24 décembre, le PCG créait un “gouvernement démocratique provisoire”, mais aucune perspective de lutte pour le pouvoir n’était ouverte à la classe ouvrière et à la population laborieuse des villes et des campagnes. Des liens étroits s’établissaient entre le Parti communiste yougoslave, le Parti communiste albanais et “l’armée démocratique”. La Yougoslavie et l’Albanie servaient de sanctuaire aux partisans et armes, munitions, ravitaillement transitaient par ces pays.

Mais dès le 20 août 1948, le “prestigieux” général Marcos était destitué sous prétexte qu’il aurait été responsable des revers de “l’armée démocratique de Grèce”, en réalité parce que lié au PCY. La direction de l’armée de partisans revenait au secrétaire général du PC grec, le stalinien de vieille souche Nikos Zachariades, les partisans et le “gouvernement démocratique provisoire” étaient épurés. Staline en faisait des instruments de sa politique dirigée contre le PCY et Tito. Le 24 juillet 1949, à la suite de la rupture officielle entre Tito et Staline, le gouvernement yougoslave fermait ses frontières avec la Grèce et cessait de soutenir “l’armée démocratique de Grèce”. Le 30 août elle était défaite dans les monts Grammos et Vitsi. Le 16 octobre le “gouvernement démocratique provisoire” suspendait les combats. Il dissolvait les partisans et lui-même disparaissait, non sans vouloir faire endosser la responsabilité de la défaite à Tito et au PCY.
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Message  verié2 Lun 21 Nov - 9:18


Texte cité par GM
sur le terrain, les brigades des partisans donnent à leur combat un caractère de classe. (...)
En dehors d'affirmations de ce genre, non étayées, rien n'indique que cette armée de 300 000 partisans avait le moindre caractère prolétarien, par sa composition sociale comme par son programme politique. Que Tito, comme plus tard Mao et Castro ait peut-être été plus loin qu'il n'en avait l'intention dans la rupture avec la faible bourgeoisie nationale ne donne pas un caractère prolétarien, socialiste, ouvrier (même "mal formé") à l'Etat qu'il a mis sur pied à partir de cette guerre de libération nationale.

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Message  sylvestre Lun 21 Nov - 10:16

Tout à fait d'accord avec Vérié. Tout cela me donne l'occasion de recommander la lecture du bouquin de Cliff que j'ai donné en lien plus haut. Par exemple le passage de CPS


La politique impulsée alors pendant les deux années qui suivent diffère radicalement de celle appliquée au même moment par le Kremlin dans les pays qui sont sous son contrôle militaire : une constitution est adoptée, calquée sur celle de l’URSS ; les propriétés des ennemis et des collaborateurs sont confisquées, puis rapidement c’est l’essentiel de l’économie qui passe sous contrôle de l’Etat : tous les transports, les banques, le commerce extérieur et le commerce de gros, 80 % de l’industrie. La réforme agraire est réalisée. Et, en 1947, le premier plan quinquennal est lancé.

est clairement faux. D'une part ce qu'on observe dans l'ensemble des pays de l'Est c'est qu'une grande partie de l'industrie était déjà sous le contrôle de l'Etat avant la deuxième guerre mondiale, que la politique après 1945 était sensiblement la même et que des réformes agraires profondes avaient déjà eu lieu. Ainsi pour la Yougoslavie :

La Serbie obtint virtuellement son indépendance nationale en 1830 et la pleine souveraineté en 1877. Les propriétaires fonciers ottomans s'enfuirent alors, laissant la terre aux anciens serfs, comme en Bulgarie, de sorte que, bien des années avant la pre­mière guerre mondiale, la Serbie était un pays de petits paysans, avec très peu de tenanciers ou de travailleurs agricoles. Une situation analogue se créa au Monténégro et en Dalmatie par leur union avec la Serbie (1918). Il ne demeura de grands domaines, à partager, entre les deux guerres, qu'en Croatie et en Slovénie, qui furent arrachés à l'empire des Habsbourg et ajoutés à la Yougoslavie en 1918. Dans ces régions, en conséquence de la loi agraire de 1919 et d'un certain nombre d'autres qui suivirent, 1 805 000 hectares furent répartis entre 497 000 familles de paysans (O. S. Morgan, op. cit., p. 361). Ce chiffre représentait environ le quart de la surface totale de la Croatie et de la Slovénie et à peu près 12,5 % de toute la terre cultivable de la Yougoslavie.

La surface agricole de celle-ci était ainsi distribuée avant la deuxième guerre mondiale :

Moins de 2 ha.

2-5 ha.

5-10 ha.

10-20 ha.

20-50 ha.

Plus de 50 ha.

6,5 %

21,5 %

27 %

22,3 %

13 %

9,6 %


En août 1945, la République fédérative de Yougoslavie pro­mulgua une série de lois fixant à 45 hectares la surface maximum de terre qu'il était permis à quiconque de posséder, 30 à 35 pou­vant être arables avec 15 à 10 de forêt, ou bien la totalité arable. Tous les colons allemands et les anciens collaborateurs de l'ennemi furent expropriés, et les propriétés foncières des banques, des sociétés par actions et de l'Église2 revinrent à l'État.

Le résultat définitif de la réforme ne fut pas considérable. Environ 850 000 hectares changèrent de main, c'est-à-dire sensi­blement 6 % de la terre cultivable de la Yougoslavie (et la moitié appartenait à des paysans allemands, qui furent expulsés, bien qu'ils fussent établis dans le pays depuis des siècles).


( http://www.marxists.org/francais/cliff/1952/satellites/cliff_umg_01.htm )
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Message  gérard menvussa Lun 21 Nov - 10:33

rien n'indique que cette armée de 300 000 partisans avait le moindre caractère prolétarien

Qu'est ce qui donne a l'armée rouge son "caractére prolétarien", que n'avait pas l'armée de libération de la yougoslavie ?
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