Trotsky, le Staline manqué
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Trotsky, le Staline manqué
Contrôle ouvrier et bureaucratie en Russie: Kollontaï et Trotsky (Huhn, 1952)
Extrait (chapitre 5) de Trotsky et la révolution prolétarienne, texte de Willy Huhn daté de janvier 1952 traduit dans Trotsky le Staline manqué (Spartacus, 1981).
Selon la constitution révolutionnaire, la Russie était définie comme une république des conseils. Dans le Recueil des lois et ordonnances du gouvernement ouvrier et paysan, n°1, article 9, on lit:
« Tout le pouvoir [d'État] appartient désormais aux conseils. Les commissaires du gouvernement provisoire sont destitués. Les présidents des conseils sont en contact direct avec le gouvernement révolutionnaire. »(Publié par le Journal du gouvernement provisoire ouvrier et paysan, N°1, Moscou, 28 octobre 1917).
Dans le n°2 de ce même recueil, on trouve un appel à la population (article 22), où l’on peut lire ces phrases:
« Camarades! Travailleurs! Pensez-y! Maintenant c’est vous-mêmes qui gouvernez l’État. Personne ne vous aidera à vous unir vous-mêmes et à prendre en mains les affaires de l’État. Vos conseils sont désormais les organes du pouvoir d’État, les organes de décision souverains. Unissez-vous au sein de vos conseils. Renforcez-les. Prenez les choses en main à partir de la base sans attendre qui que ce soit… Établissez le plus strict contrôle de la production et de la distribution des produits… En tous lieux, remettez tout le pouvoir dans les mains de vos conseils » (Id., n°6, 8 nov. 1917).
Signalons encore que le n°5 du Recueil ordonnait l’élection des membres du commandement de l’armée et supprimait les différences de grade, « seul [devant] être conservé le rang qui correspond à une charge réellement remplie » (Id., n°2, 2 déc. 1917).
Citons pour terminer le premier paragraphe du premier article de la constitution de la République socialiste fédérative soviétique de Russie adopté à la session du 10 juillet 1918 du congrès panrusse des soviets: « La Russie est déclarée République des conseils de députés ouvriers, soldats et paysans. Tout le pouvoir central et tout le pouvoir local sont transférés à ces soviets. »
L’article 5 des « dispositions générales » de cette constitution indique explicitement que le devoir principal de la constitution de la R.S.F.S.R., établie pour la période de transition actuelle, est « d’installer la dictature du prolétariat », ce qui veut dire « étendre à l’ensemble de la Russie, le pouvoir complet des soviets« .
Nous rappelons ces faits historiques de la République des conseils russes de 1917-18 et nous citons ces extraits de documents importants parce que ce n’est qu’à leur lumière que l’exposé qui suit prend tout son sens. En effet, lorsque Alexandra Kollontaï, au III° Congrès international du Komintern (juillet 1921), prophétisa que la bureaucratie finirait par éliminer physiquement non seulement les conseils mais aussi l’avant-garde prolétarienne (c’est-à-dire le parti bolchevique), sa déclaration fut accueillie par les rires de … Léon D. Trotsky qui était au faîte de sa puissance bonapartiste et qui venait d’écraser Cronstadt! Il vaut la peine d’écouter ce que Kollontaï avait à dire, pour pouvoir ensuite déterminer qui d’elle ou de Trotsky avait vu ce danger en toute clarté.
A cette époque, Alexandra Kollontaï appartenait à l’Opposition ouvrière. Un des leaders de cette Opposition ouvrière, Chliapnikov, avait exigé un changement fondamental de « tout le système de contrôle de l’économie » et, dans son rapport au VIII° Congrès panrusse des soviets, du 30 décembre 1920, il pose clairement et nettement la question fondamentale de la « dictature du prolétariat »: « La base de la controverse tourne autour de la question: par quels moyens le Parti peut-il réaliser sa politique économique dans cette période de transformation? Par l’intermédiaire des ouvriers organisés dans leurs syndicats, ou par dessus leurs têtes, par des moyens bureaucratiques, par fonctionnaires canonisés de l’État?«
Alexandra Kollontaï était alors en parfait accord avec cette façon de poser le problème. Elle voyait dans cette question le fond du différent. La tâche de la révolution prolétarienne consiste justement à « chercher, découvrir et créer des formes nouvelles et plus parfaites d’économie; trouver de nouveaux stimulants de la productivité du travail« . Selon la conception que Kollontaï devait défendre publiquement après le VIII° congrès des conseils, la construction de l’économie communiste ne peut être le fait que de cette classe qui est liée organiquement aux formes de production nouvelles, naissant dans les affres de l’enfantement d’un système économique plus productif et plus achevé. les agents de la socialisation doivent être les « communautés de production des travailleurs« . C’est pourquoi Kollontaï faisait siennes les revendications de l’Opposition ouvrière.
« L’organisation du contrôle de l’économie sociale est la prérogative du congrès pan-russe des producteurs unis dans leurs syndicats et élisant le corps central dirigeant toute la vie économique de la République« . [*]
Pratiquement, cette thèse de l’Opposition revenait à exiger que la conduite de l’économie communiste soit réellement entre les mains des syndicats. Mais, fondamentalement, il s’agissait d’une « anti-thèse » aux exigences formulées le 30 décembre 1920 par Trotsky de « faire fusionner dans leur croissance » le Conseil supérieur de l’économie (une autorité centrale bureaucratique depuis belle lurette!) et les syndicats, ces derniers devant finalement être « absorbés » par le premier. Selon Trotsky ce ne sont pas les travailleurs qui sont « les véritables organisateurs de la production, groupés autour de leurs syndicats, mais les communistes à l’intérieur de ceux-ci » (autrement dit: le parti bolchevique). Les thèses de l’Opposition ouvrière – dont les dirigeants (outre Chliapnikov, il convient de nommer Loutovinov) étaient deux anciens ouvriers métallurgistes depuis longtemps membres du parti – revenaient à rien moins que réclamer l’effacement du Parti et son remplacement par l’auto-gouvernement des travailleurs organisés dans leurs syndicats. Rosenberg est même d’avis que l’Opposition ouvrière voulait « en somme le retour à la stricte démocratie soviétique de 1917« . Quoi qu’il en soit, Lénine qualifia la doctrine de l’Opposition d’ »hérésie anarcho-syndicaliste« . Alexandra Kollontaï répond à cet anathème: « Est-ce que cela est du syndicalisme? N’est-ce pas au contraire ce qui est écrit dans le programme de notre Parti? Et les principes proposés par les autres camarades ne dévient-ils pas de ce programme? »
Les autres camarades dont il est question sont Lénine et Zinoviev d’un côté, Trotsky et Boukharine de l’autre. En dépit de leurs divergences – on sait que Lénine et Trotsky s’opposèrent violemment sur la question de l’ »étatisation des syndicats » dont Lénine ne voulait pas – ils étaient au moins d’accord sur un point, selon Kollontaï:
« Ils sont tous d’accord sur le fait que, pour l’instant, la direction de la production doit se faire par-dessus la tête des ouvriers, par le moyen d’un système bureaucratique hérité du passé. Là-dessus l’accord est complet entre les leaders… Tous – Lénine, Trotsky, Zinoviev, Boukharine – pensent que la production est une affaire ‘si délicate’ qu’elle est impossible sans l’assistance des ‘directeurs’. Il faut d’abord éduquer les ouvriers, leur ‘apprendre’… »
Tout en reconnaissant la « franchise » de Trotsky, elle remarque qu’ »il ne croit pas les ouvriers prêts à créer le communisme, capables, à travers les peines et les souffrances, de chercher, de se tromper et pourtant de créer les nouvelles formes de production« .
Les peines, les souffrances, les erreurs, voilà bien ce qu’une bureaucratie ne saurait connaître ! Finalement Alexandra Kollontaï couronne son argumentation en posant la question de fond : « Bureaucratie ou activité autonome des masses ? » « Durant la période création de la base économique pour le communisme, quel système d’administration dans une république ouvrière offre le plus de liberté à la puissance créatrice de la classe : un système de bureaucratie d’Etat ou un système reposant sur une large activité autonome pratique des masses ouvrières ? » Et elle reproche aux dirigeants du parti, qu’elle vient de nommer, de « prendre soudain le rôle de défenseurs et de chevaliers de la bureaucratie », et remarque : « Combien de camarades, suivant l’exemple de Trotsky, répètent que ‘si nous souffrons ce n’est pas pour avoir adopté le mauvais côté de la bureaucratie, mais pour ne pas en avoir appris les bons côtés (Trotsky, Pour un plan commun) » Alexandra Kollontaï caractérise la bureaucratie correctement, comme une « négation directe de l’activité autonome des masses… [dont on] ne peut chercher les bons et les mauvais côtés, … mais [dont on] doit résolument et ouvertement condamner [le] système, inutilisable pour une économie socialiste ». Et, bien avant que Trotsky ait remarqué ce danger, elle affirme : « La bureaucratie est une peste qui pénètre jusqu’à la moëlle de notre Parti et des institutions soviétiques.» Avec le système bureaucratique se combinent « la peur de la critique et de la liberté de pensée ». Le mal que fait la bureaucratie réside surtout « dans la manière dont on résoud les problèmes : non par un échange ouvert d’opinions, ou par les efforts de tous ceux qui sont concernés, mais par des décisions formelles prises dans les institutions centrales, par une seule personne ou très petit nombre de personnes, et transmises toutes faites vers le bas, tandis que les personnes directement intéressées sont souvent complètement exclues. »
Mais « pour chasser la bureaucratie qui s’abrite dans les institutions soviétiques, il faut d’abord se débarrasser de la bureaucratie dans le Parti lui-même ». Pour cela il faut procéder à « l’expulsion du Parti de tous les éléments non prolétariens ». « Le Parti doit devenir un parti ouvrier. » « Les intérêts de l’Etat commencent à peser plus lourd que les intérêts des ouvriers ». Elle exige le retour au « principe de l’éligibilité des responsables », « à l’état de choses où toutes les questions importantes concernant l’activité du Parti et la politique soviétique sont soumises aux militants de base et ne sont supervisées par les leaders que par la suite ». Alexandra Kollontaï s’élève aussi contre un autre phénomène apparu dans le Parti, qu’elle qualifie de « fonctionnarisme pompeux », et qui est responsable des relations formelles, officielles qui s’imposent partout. « S’il y a encore de la camaraderie dans le Parti, elle n’existe qu’à la base », ajoute-t-elle. La camaraderie et la fraternité ont disparu à cause de l’abandon du système de l’élection dans le Parti :
« Les nominations ne doivent être tolérées qu’à titre d’exception; récemment elles ont commencé à devenir la règle. La nomination des responsables est une caractéristique de la bureaucratie; cependant, actuellement, cette pratique est générale, légale, quotidienne, reconnue… Le principe de la nomination diminue le sens du devoir et la responsabilité devant les masses. Ceux qui sont nommés ne sont pas responsables devant les masses, ce qui aggrave la division entre les dirigeants et les militants de base. »
Comme pas décisif sur la voie de l’élimination de la bureaucratie, Alexandra Kollontaï demande « la large circulation de l’information, la publicité des débats, la liberté d’opinion et de discussion, le droit de critique à l’intérieur du Parti et parmi les membres des syndicats… et l’expulsion du Parti de tous ceux qui ont peur de la diffusion de l’information, de la responsabilité absolue devant la base, de la liberté de critique« .
Ces quelques extraits de Kollontaï montrent que la critique de l’Opposition ouvrière allait beaucoup plus au fond des choses que tout ce que Trotsky a pu écrire par la suite sur la bureaucratie, c’est-à-dire seulement après qu’il fut lui-même tombé victime de ce système bureaucratique. Et d’ailleurs le meilleur de ce qu’il put en dire à ce moment n’arriva pas à dépasser cette critique de l’Opposition, et même la présuppose. Bien plus: Alexandra Kollontaï, en procédant à une analyse marxiste des phénomènes qu’elle critique, avait pu déterminer quelle couche sociale en était responsable. Et c’est justement ce point précis que Trotsky ne put jamais atteindre de toute sa vie, même dans sa discussion avec James Burnham.
En revanche, dès 1920, Alexandra Kollontaï affirmait avec force: dans le domaine de la gestion de l’économie, de l’industrie, dans celui du rétablissement du commerce avec l’Occident capitaliste, les « représentants de la bourgeoisie riche » ont pris les postes de responsabilité et de direction des organes soviétiques. Pourtant ce ne sont pas ces restes de la ci-devant bourgeoisie qui ont le plus contribué à la crise du système soviétique dans ces années 1920-21, avant l’introduction de la N.E.P., mais plutôt l’interférence de tendances de trois groupes sociaux différentes: d’abord la classe ouvrière, ensuite la paysannerie et les classes moyennes, enfin la ci-devant bourgeoisie déjà nommée. Il est intéressant de noter qu’Alexandra Kollontaï range dans cette dernière les « spécialistes, techniciens, ingénieurs, les anciens directeurs d’entreprises industrielles et financières« . Tandis que la classe moyenne s’infiltrait dans les organes de direction soviétiques et l’intendance de l’Armée rouge, les « spécialistes » peuplaient les organes fondamentaux de l’économie. Par conséquent ce sont des « représentants du ci-devant monde capitaliste » qui, en proportion croissante, dirigent l’économie russe. Le Parti met sa confiance dans ces éléments complètement étrangers à la classe ouvrière. Mais ni l’Opposition ouvrière, ni Alexandra Kollontaï ne croyaient possible de « construire une économie communiste en utilisant les moyens et les capacités créatrices des rejetons de l’autre classe, tout imprégnés de la routine du passé. Si nous pensons en marxistes, en hommes de science, nous répondrons catégoriquement et explicitement: Non! La racine de la controverse et la cause de la crise se trouvent dans la croyance que les ‘réalistes’, techniciens, spécialistes et organisateurs de la production capitaliste peuvent d’un seul coup se libérer de leurs conceptions traditionnelles sur la façon de gérer le travail, conceptions qui sont profondément imprimées dans leur chair pendant les années qu’ils ont passées au service du capital, et qu’ils peuvent devenir capables de créer de nouvelles formes de production, d’organisation du travail et de motivation des travailleurs ».
C’est pourquoi Alexandra Kollontaï reconnaît ce mérite à l’Opposition ouvrière d’avoir posé la question: qui doit construire les nouvelles formes économiques, les techniciens, les hommes d’affaires venus à l’époque tasariste avec leur psychologie complètement liée au passé, assistés ici ou là de quelques communistes honnêtes, fonctionnaires de soviets, ou « la collectivité de la classe ouvrière » qui, dans la lutte présente, s’incarne dans les syndicats? Et elle décrit déjà avec assez de précision la classe qui alors luttait pour le pouvoir et qui depuis l’a atteint et l’exerce par une dictature sans équivalent: ce sont ces « réalistes« , les ci-devant maîtres bourgeois du système capitaliste.
(…)
En 1929, Trotsky pensait encore que les « forces techniques et intellectuelles nombreuses du pays » constituaient une protection efficace du système des soviets, non pas qu’elles aient été gagnées « par l’idée socialiste » mais parce qu’elles adhéraient à un « patriotisme qui s’était incorporé les enseignements élémentaires de l’histoire« , voyaient dans le système soviétique un système de protection, de défense de l’indépendance de l’économie et du pays, face à l’exploitation impérialiste et coloniale. Mais contre l’Opposition ouvrière, il se présenta en 1920 avec un plan qui ne signifiait rien de moins qu’une aggravation de la « militarisation du travail », l’étendant aux syndicats qu’il voulait intégrer à l’appareil d’Etat.[**] (Nous traiterons de ce bonapartisme d’économie de guerre à la Trotsky dans un autre chapitre). Et Lénine vint expliquer à l’Opposition ouvrière comment il concevait la dictature du prolétariat:
« La dictature du prolétariat est inévitable lors du passage au socialisme mais elle ne s’exerce pas par l’intermédiaire de l’organisation groupant tous les ouvriers de l’industrie. Pourquoi? Nous pouvons lire à ce propos les thèses du II° Congrès de l’Internationale communiste sur le rôle du parti politique en général. Je ne m’arrêterai pas sur ce point. Les choses se passent ainsi: le Parti absorbe, en quelque sorte, l’avant-garde du prolétariat et c’est elle qui exerce la dictature du prolétariat« .[***]
Entre temps, Alexandra Kollontaï avait déjà caractérisé ce Parti:
« La politique claire du Parti de s’identifier avec les institutions de l’Etat soviétique se transforme peu à peu en une politique de classe supérieure, ce qui n’est rien d’autre, dans son essence, qu’une adaptation de nos centres dirigeants aux intérêts divergents et inconciliables de cette population hétérogène. »
Elle s’en prend avec fougue à la croissance de l’inégalité entre le prolétariat, ce « fer de lance de la dictature« , et les groupes « privilégiés » de la population de la Russie soviétique. Le travailleurs des grandes masses voit très bien comment vivent les « réalistes » et les fonctionnaires soviétiques, et comment il vit, lui, sur qui repose la dictature du prolétariat. Et Alexandra Kollontaï de demander finalement: « Sommes-nous vraiment le fer de lance de la dictature de classe, ou bien simplement un troupeau obéissant qui sert de soutien à ceux qui, ayant coupé tout lien avec les masses, mènent leur propre politique et construisent l’industrie sans se soucier de nos opinions et de nos capacités créatrices, sous le couvert du nom du Parti?«
Ainsi, tandis que s’exprimait cette critique fondamentale du prolétariat russe à l’égard de la dictature du parti bolchevique, Trotsky ne se trouvait pas du tout aux côtés des critiques, mais aux côtés des critiqués. Et il était déjà prêt à répondre à l’aide d’une Armée rouge, quelque peu défraîchie par ses aventures polonaises, à la critique pratique des ouvriers, soldats et paysans de Cronstadt, en mars 1921.
Notes:
[*] A. Kollontaï, L’Opposition ouvrière (Moscou, 1921).
Il existe à notre connaissance trois versions françaises de ce texte. la première, publiée en 1923 dans la Revue anarchiste de Sébastien faure; la seconde due à Alain et Hélène Girard, parue dans le N° 35 de Socialisme ou Barbarie (Paris, janvier-mars 1964), faite vraisemblablement à partir d’une traduction anglaise; la troisième faite à partir d’une texte russe, due à Pierre Pascal (Le Seuiol, Paris). Nous avons préféré la version de Socialisme ou Barbarie, plus proche du texte allemand, mais nous avons indiqué entre parenthèses les pages de la version de Pascal, sans doute plus facile à trouver aujourd’hui. Le lecteur qui comparera ces deux versions se rendra immédiatement compte que celle de Socialisme ou Barbarie a davantage de « punch », comme si les deux versions ne provenaient pas d’un même original russe, celle du Seuil provenant d’un texte sinon édulcoré, du moins disons, policé (Note du traducteur Daniel Saint-James).
[**] L. Trotsky, « Ist die Umwandlung des Sowjets in eine parlamentarische Demokratie wahrscheinlich? » in Die neue Bücherschau, VII° année, 6° cahier, juin 1929, p. 297.
[***] V.I. Lénine, Les syndicats, la situation actuelle et les erreurs du camarade Trotsky (Discours au VIII° Congrès commun des délégués des soviets, des membres du conseil central des syndicats de l’U.R.S.S. et du conseil des syndicats de Moscou appartenant au P.C.(b). R.), O.C., XXXII, p.12.
Extrait (chapitre 5) de Trotsky et la révolution prolétarienne, texte de Willy Huhn daté de janvier 1952 traduit dans Trotsky le Staline manqué (Spartacus, 1981).
Selon la constitution révolutionnaire, la Russie était définie comme une république des conseils. Dans le Recueil des lois et ordonnances du gouvernement ouvrier et paysan, n°1, article 9, on lit:
« Tout le pouvoir [d'État] appartient désormais aux conseils. Les commissaires du gouvernement provisoire sont destitués. Les présidents des conseils sont en contact direct avec le gouvernement révolutionnaire. »(Publié par le Journal du gouvernement provisoire ouvrier et paysan, N°1, Moscou, 28 octobre 1917).
Dans le n°2 de ce même recueil, on trouve un appel à la population (article 22), où l’on peut lire ces phrases:
« Camarades! Travailleurs! Pensez-y! Maintenant c’est vous-mêmes qui gouvernez l’État. Personne ne vous aidera à vous unir vous-mêmes et à prendre en mains les affaires de l’État. Vos conseils sont désormais les organes du pouvoir d’État, les organes de décision souverains. Unissez-vous au sein de vos conseils. Renforcez-les. Prenez les choses en main à partir de la base sans attendre qui que ce soit… Établissez le plus strict contrôle de la production et de la distribution des produits… En tous lieux, remettez tout le pouvoir dans les mains de vos conseils » (Id., n°6, 8 nov. 1917).
Signalons encore que le n°5 du Recueil ordonnait l’élection des membres du commandement de l’armée et supprimait les différences de grade, « seul [devant] être conservé le rang qui correspond à une charge réellement remplie » (Id., n°2, 2 déc. 1917).
Citons pour terminer le premier paragraphe du premier article de la constitution de la République socialiste fédérative soviétique de Russie adopté à la session du 10 juillet 1918 du congrès panrusse des soviets: « La Russie est déclarée République des conseils de députés ouvriers, soldats et paysans. Tout le pouvoir central et tout le pouvoir local sont transférés à ces soviets. »
L’article 5 des « dispositions générales » de cette constitution indique explicitement que le devoir principal de la constitution de la R.S.F.S.R., établie pour la période de transition actuelle, est « d’installer la dictature du prolétariat », ce qui veut dire « étendre à l’ensemble de la Russie, le pouvoir complet des soviets« .
Nous rappelons ces faits historiques de la République des conseils russes de 1917-18 et nous citons ces extraits de documents importants parce que ce n’est qu’à leur lumière que l’exposé qui suit prend tout son sens. En effet, lorsque Alexandra Kollontaï, au III° Congrès international du Komintern (juillet 1921), prophétisa que la bureaucratie finirait par éliminer physiquement non seulement les conseils mais aussi l’avant-garde prolétarienne (c’est-à-dire le parti bolchevique), sa déclaration fut accueillie par les rires de … Léon D. Trotsky qui était au faîte de sa puissance bonapartiste et qui venait d’écraser Cronstadt! Il vaut la peine d’écouter ce que Kollontaï avait à dire, pour pouvoir ensuite déterminer qui d’elle ou de Trotsky avait vu ce danger en toute clarté.
A cette époque, Alexandra Kollontaï appartenait à l’Opposition ouvrière. Un des leaders de cette Opposition ouvrière, Chliapnikov, avait exigé un changement fondamental de « tout le système de contrôle de l’économie » et, dans son rapport au VIII° Congrès panrusse des soviets, du 30 décembre 1920, il pose clairement et nettement la question fondamentale de la « dictature du prolétariat »: « La base de la controverse tourne autour de la question: par quels moyens le Parti peut-il réaliser sa politique économique dans cette période de transformation? Par l’intermédiaire des ouvriers organisés dans leurs syndicats, ou par dessus leurs têtes, par des moyens bureaucratiques, par fonctionnaires canonisés de l’État?«
Alexandra Kollontaï était alors en parfait accord avec cette façon de poser le problème. Elle voyait dans cette question le fond du différent. La tâche de la révolution prolétarienne consiste justement à « chercher, découvrir et créer des formes nouvelles et plus parfaites d’économie; trouver de nouveaux stimulants de la productivité du travail« . Selon la conception que Kollontaï devait défendre publiquement après le VIII° congrès des conseils, la construction de l’économie communiste ne peut être le fait que de cette classe qui est liée organiquement aux formes de production nouvelles, naissant dans les affres de l’enfantement d’un système économique plus productif et plus achevé. les agents de la socialisation doivent être les « communautés de production des travailleurs« . C’est pourquoi Kollontaï faisait siennes les revendications de l’Opposition ouvrière.
« L’organisation du contrôle de l’économie sociale est la prérogative du congrès pan-russe des producteurs unis dans leurs syndicats et élisant le corps central dirigeant toute la vie économique de la République« . [*]
Pratiquement, cette thèse de l’Opposition revenait à exiger que la conduite de l’économie communiste soit réellement entre les mains des syndicats. Mais, fondamentalement, il s’agissait d’une « anti-thèse » aux exigences formulées le 30 décembre 1920 par Trotsky de « faire fusionner dans leur croissance » le Conseil supérieur de l’économie (une autorité centrale bureaucratique depuis belle lurette!) et les syndicats, ces derniers devant finalement être « absorbés » par le premier. Selon Trotsky ce ne sont pas les travailleurs qui sont « les véritables organisateurs de la production, groupés autour de leurs syndicats, mais les communistes à l’intérieur de ceux-ci » (autrement dit: le parti bolchevique). Les thèses de l’Opposition ouvrière – dont les dirigeants (outre Chliapnikov, il convient de nommer Loutovinov) étaient deux anciens ouvriers métallurgistes depuis longtemps membres du parti – revenaient à rien moins que réclamer l’effacement du Parti et son remplacement par l’auto-gouvernement des travailleurs organisés dans leurs syndicats. Rosenberg est même d’avis que l’Opposition ouvrière voulait « en somme le retour à la stricte démocratie soviétique de 1917« . Quoi qu’il en soit, Lénine qualifia la doctrine de l’Opposition d’ »hérésie anarcho-syndicaliste« . Alexandra Kollontaï répond à cet anathème: « Est-ce que cela est du syndicalisme? N’est-ce pas au contraire ce qui est écrit dans le programme de notre Parti? Et les principes proposés par les autres camarades ne dévient-ils pas de ce programme? »
Les autres camarades dont il est question sont Lénine et Zinoviev d’un côté, Trotsky et Boukharine de l’autre. En dépit de leurs divergences – on sait que Lénine et Trotsky s’opposèrent violemment sur la question de l’ »étatisation des syndicats » dont Lénine ne voulait pas – ils étaient au moins d’accord sur un point, selon Kollontaï:
« Ils sont tous d’accord sur le fait que, pour l’instant, la direction de la production doit se faire par-dessus la tête des ouvriers, par le moyen d’un système bureaucratique hérité du passé. Là-dessus l’accord est complet entre les leaders… Tous – Lénine, Trotsky, Zinoviev, Boukharine – pensent que la production est une affaire ‘si délicate’ qu’elle est impossible sans l’assistance des ‘directeurs’. Il faut d’abord éduquer les ouvriers, leur ‘apprendre’… »
Tout en reconnaissant la « franchise » de Trotsky, elle remarque qu’ »il ne croit pas les ouvriers prêts à créer le communisme, capables, à travers les peines et les souffrances, de chercher, de se tromper et pourtant de créer les nouvelles formes de production« .
Les peines, les souffrances, les erreurs, voilà bien ce qu’une bureaucratie ne saurait connaître ! Finalement Alexandra Kollontaï couronne son argumentation en posant la question de fond : « Bureaucratie ou activité autonome des masses ? » « Durant la période création de la base économique pour le communisme, quel système d’administration dans une république ouvrière offre le plus de liberté à la puissance créatrice de la classe : un système de bureaucratie d’Etat ou un système reposant sur une large activité autonome pratique des masses ouvrières ? » Et elle reproche aux dirigeants du parti, qu’elle vient de nommer, de « prendre soudain le rôle de défenseurs et de chevaliers de la bureaucratie », et remarque : « Combien de camarades, suivant l’exemple de Trotsky, répètent que ‘si nous souffrons ce n’est pas pour avoir adopté le mauvais côté de la bureaucratie, mais pour ne pas en avoir appris les bons côtés (Trotsky, Pour un plan commun) » Alexandra Kollontaï caractérise la bureaucratie correctement, comme une « négation directe de l’activité autonome des masses… [dont on] ne peut chercher les bons et les mauvais côtés, … mais [dont on] doit résolument et ouvertement condamner [le] système, inutilisable pour une économie socialiste ». Et, bien avant que Trotsky ait remarqué ce danger, elle affirme : « La bureaucratie est une peste qui pénètre jusqu’à la moëlle de notre Parti et des institutions soviétiques.» Avec le système bureaucratique se combinent « la peur de la critique et de la liberté de pensée ». Le mal que fait la bureaucratie réside surtout « dans la manière dont on résoud les problèmes : non par un échange ouvert d’opinions, ou par les efforts de tous ceux qui sont concernés, mais par des décisions formelles prises dans les institutions centrales, par une seule personne ou très petit nombre de personnes, et transmises toutes faites vers le bas, tandis que les personnes directement intéressées sont souvent complètement exclues. »
Mais « pour chasser la bureaucratie qui s’abrite dans les institutions soviétiques, il faut d’abord se débarrasser de la bureaucratie dans le Parti lui-même ». Pour cela il faut procéder à « l’expulsion du Parti de tous les éléments non prolétariens ». « Le Parti doit devenir un parti ouvrier. » « Les intérêts de l’Etat commencent à peser plus lourd que les intérêts des ouvriers ». Elle exige le retour au « principe de l’éligibilité des responsables », « à l’état de choses où toutes les questions importantes concernant l’activité du Parti et la politique soviétique sont soumises aux militants de base et ne sont supervisées par les leaders que par la suite ». Alexandra Kollontaï s’élève aussi contre un autre phénomène apparu dans le Parti, qu’elle qualifie de « fonctionnarisme pompeux », et qui est responsable des relations formelles, officielles qui s’imposent partout. « S’il y a encore de la camaraderie dans le Parti, elle n’existe qu’à la base », ajoute-t-elle. La camaraderie et la fraternité ont disparu à cause de l’abandon du système de l’élection dans le Parti :
« Les nominations ne doivent être tolérées qu’à titre d’exception; récemment elles ont commencé à devenir la règle. La nomination des responsables est une caractéristique de la bureaucratie; cependant, actuellement, cette pratique est générale, légale, quotidienne, reconnue… Le principe de la nomination diminue le sens du devoir et la responsabilité devant les masses. Ceux qui sont nommés ne sont pas responsables devant les masses, ce qui aggrave la division entre les dirigeants et les militants de base. »
Comme pas décisif sur la voie de l’élimination de la bureaucratie, Alexandra Kollontaï demande « la large circulation de l’information, la publicité des débats, la liberté d’opinion et de discussion, le droit de critique à l’intérieur du Parti et parmi les membres des syndicats… et l’expulsion du Parti de tous ceux qui ont peur de la diffusion de l’information, de la responsabilité absolue devant la base, de la liberté de critique« .
Ces quelques extraits de Kollontaï montrent que la critique de l’Opposition ouvrière allait beaucoup plus au fond des choses que tout ce que Trotsky a pu écrire par la suite sur la bureaucratie, c’est-à-dire seulement après qu’il fut lui-même tombé victime de ce système bureaucratique. Et d’ailleurs le meilleur de ce qu’il put en dire à ce moment n’arriva pas à dépasser cette critique de l’Opposition, et même la présuppose. Bien plus: Alexandra Kollontaï, en procédant à une analyse marxiste des phénomènes qu’elle critique, avait pu déterminer quelle couche sociale en était responsable. Et c’est justement ce point précis que Trotsky ne put jamais atteindre de toute sa vie, même dans sa discussion avec James Burnham.
En revanche, dès 1920, Alexandra Kollontaï affirmait avec force: dans le domaine de la gestion de l’économie, de l’industrie, dans celui du rétablissement du commerce avec l’Occident capitaliste, les « représentants de la bourgeoisie riche » ont pris les postes de responsabilité et de direction des organes soviétiques. Pourtant ce ne sont pas ces restes de la ci-devant bourgeoisie qui ont le plus contribué à la crise du système soviétique dans ces années 1920-21, avant l’introduction de la N.E.P., mais plutôt l’interférence de tendances de trois groupes sociaux différentes: d’abord la classe ouvrière, ensuite la paysannerie et les classes moyennes, enfin la ci-devant bourgeoisie déjà nommée. Il est intéressant de noter qu’Alexandra Kollontaï range dans cette dernière les « spécialistes, techniciens, ingénieurs, les anciens directeurs d’entreprises industrielles et financières« . Tandis que la classe moyenne s’infiltrait dans les organes de direction soviétiques et l’intendance de l’Armée rouge, les « spécialistes » peuplaient les organes fondamentaux de l’économie. Par conséquent ce sont des « représentants du ci-devant monde capitaliste » qui, en proportion croissante, dirigent l’économie russe. Le Parti met sa confiance dans ces éléments complètement étrangers à la classe ouvrière. Mais ni l’Opposition ouvrière, ni Alexandra Kollontaï ne croyaient possible de « construire une économie communiste en utilisant les moyens et les capacités créatrices des rejetons de l’autre classe, tout imprégnés de la routine du passé. Si nous pensons en marxistes, en hommes de science, nous répondrons catégoriquement et explicitement: Non! La racine de la controverse et la cause de la crise se trouvent dans la croyance que les ‘réalistes’, techniciens, spécialistes et organisateurs de la production capitaliste peuvent d’un seul coup se libérer de leurs conceptions traditionnelles sur la façon de gérer le travail, conceptions qui sont profondément imprimées dans leur chair pendant les années qu’ils ont passées au service du capital, et qu’ils peuvent devenir capables de créer de nouvelles formes de production, d’organisation du travail et de motivation des travailleurs ».
C’est pourquoi Alexandra Kollontaï reconnaît ce mérite à l’Opposition ouvrière d’avoir posé la question: qui doit construire les nouvelles formes économiques, les techniciens, les hommes d’affaires venus à l’époque tasariste avec leur psychologie complètement liée au passé, assistés ici ou là de quelques communistes honnêtes, fonctionnaires de soviets, ou « la collectivité de la classe ouvrière » qui, dans la lutte présente, s’incarne dans les syndicats? Et elle décrit déjà avec assez de précision la classe qui alors luttait pour le pouvoir et qui depuis l’a atteint et l’exerce par une dictature sans équivalent: ce sont ces « réalistes« , les ci-devant maîtres bourgeois du système capitaliste.
(…)
En 1929, Trotsky pensait encore que les « forces techniques et intellectuelles nombreuses du pays » constituaient une protection efficace du système des soviets, non pas qu’elles aient été gagnées « par l’idée socialiste » mais parce qu’elles adhéraient à un « patriotisme qui s’était incorporé les enseignements élémentaires de l’histoire« , voyaient dans le système soviétique un système de protection, de défense de l’indépendance de l’économie et du pays, face à l’exploitation impérialiste et coloniale. Mais contre l’Opposition ouvrière, il se présenta en 1920 avec un plan qui ne signifiait rien de moins qu’une aggravation de la « militarisation du travail », l’étendant aux syndicats qu’il voulait intégrer à l’appareil d’Etat.[**] (Nous traiterons de ce bonapartisme d’économie de guerre à la Trotsky dans un autre chapitre). Et Lénine vint expliquer à l’Opposition ouvrière comment il concevait la dictature du prolétariat:
« La dictature du prolétariat est inévitable lors du passage au socialisme mais elle ne s’exerce pas par l’intermédiaire de l’organisation groupant tous les ouvriers de l’industrie. Pourquoi? Nous pouvons lire à ce propos les thèses du II° Congrès de l’Internationale communiste sur le rôle du parti politique en général. Je ne m’arrêterai pas sur ce point. Les choses se passent ainsi: le Parti absorbe, en quelque sorte, l’avant-garde du prolétariat et c’est elle qui exerce la dictature du prolétariat« .[***]
Entre temps, Alexandra Kollontaï avait déjà caractérisé ce Parti:
« La politique claire du Parti de s’identifier avec les institutions de l’Etat soviétique se transforme peu à peu en une politique de classe supérieure, ce qui n’est rien d’autre, dans son essence, qu’une adaptation de nos centres dirigeants aux intérêts divergents et inconciliables de cette population hétérogène. »
Elle s’en prend avec fougue à la croissance de l’inégalité entre le prolétariat, ce « fer de lance de la dictature« , et les groupes « privilégiés » de la population de la Russie soviétique. Le travailleurs des grandes masses voit très bien comment vivent les « réalistes » et les fonctionnaires soviétiques, et comment il vit, lui, sur qui repose la dictature du prolétariat. Et Alexandra Kollontaï de demander finalement: « Sommes-nous vraiment le fer de lance de la dictature de classe, ou bien simplement un troupeau obéissant qui sert de soutien à ceux qui, ayant coupé tout lien avec les masses, mènent leur propre politique et construisent l’industrie sans se soucier de nos opinions et de nos capacités créatrices, sous le couvert du nom du Parti?«
Ainsi, tandis que s’exprimait cette critique fondamentale du prolétariat russe à l’égard de la dictature du parti bolchevique, Trotsky ne se trouvait pas du tout aux côtés des critiques, mais aux côtés des critiqués. Et il était déjà prêt à répondre à l’aide d’une Armée rouge, quelque peu défraîchie par ses aventures polonaises, à la critique pratique des ouvriers, soldats et paysans de Cronstadt, en mars 1921.
Notes:
[*] A. Kollontaï, L’Opposition ouvrière (Moscou, 1921).
Il existe à notre connaissance trois versions françaises de ce texte. la première, publiée en 1923 dans la Revue anarchiste de Sébastien faure; la seconde due à Alain et Hélène Girard, parue dans le N° 35 de Socialisme ou Barbarie (Paris, janvier-mars 1964), faite vraisemblablement à partir d’une traduction anglaise; la troisième faite à partir d’une texte russe, due à Pierre Pascal (Le Seuiol, Paris). Nous avons préféré la version de Socialisme ou Barbarie, plus proche du texte allemand, mais nous avons indiqué entre parenthèses les pages de la version de Pascal, sans doute plus facile à trouver aujourd’hui. Le lecteur qui comparera ces deux versions se rendra immédiatement compte que celle de Socialisme ou Barbarie a davantage de « punch », comme si les deux versions ne provenaient pas d’un même original russe, celle du Seuil provenant d’un texte sinon édulcoré, du moins disons, policé (Note du traducteur Daniel Saint-James).
[**] L. Trotsky, « Ist die Umwandlung des Sowjets in eine parlamentarische Demokratie wahrscheinlich? » in Die neue Bücherschau, VII° année, 6° cahier, juin 1929, p. 297.
[***] V.I. Lénine, Les syndicats, la situation actuelle et les erreurs du camarade Trotsky (Discours au VIII° Congrès commun des délégués des soviets, des membres du conseil central des syndicats de l’U.R.S.S. et du conseil des syndicats de Moscou appartenant au P.C.(b). R.), O.C., XXXII, p.12.
Invité- Invité
Re: Trotsky, le Staline manqué
TROTSKY, LENINE, FONDATEURS DU TOTALITARISME ?
Le régime stalinien a trop utilisé les signes du Communisme (drapeau rouge, chant de l'Internationale, image de Lénine…) pour que cela soit sans conséquences dans les populations des pays de l'Est, comme d'ailleurs dans celles, sous une autre forme, des autres pays.
Pour toute la couche de la bureaucratie, formée au moule du stalinisme, le Léninisme serait condamné par le "verdict de l'histoire" et le Trotskysme avec lui, dont le seul intérêt serait d'être un témoignage d'une période historique révolue.
Mais alors pourquoi cet acharnement ? Ne serait-ce pas que contrairement aux idées à la mode, la pensée et l'action de Lénine et de Trotsky seraient plus actuelles que jamais ? et qu'il faut tout faire, au compte de la restauration capitaliste pour les identifier à Staline afin de les discréditer à jamais ?
Ainsi, l'un des principaux représentants de l'intelligentsia gorbatchévienne, Y. Afanassiev, expliquait à qui voulait l'entendre que Trotsky, Lénine et Staline, c'était fondamentalement la même chose à cause de "leur même révolutionnarisme" ; pour lui, la révolution est une mauvaise chose car elle repose sur la violence et engendre le mal ; et d'autre part, Lénine, après Marx s'est trompé car le capitalisme a encore de beaux jours devant lui, les deux "talons d'Achille" de Marx et d'Engels étant "les deux leviers du progrès" qu'ils ont niés et qui sont le marché et la concurrence d'un côté, la démocratie de l'autre.
Pour sa part, I. Bourtine, après bien d'autres , a repris l'idée que "l'impérialisme n'est pas le stade suprême du capitalisme", il n'est pas "le capitalisme pourrissant, parasitaire", "les forces productives continuent de croître" ; pour lui, après la deuxième guerre mondiale, le capitalisme "est entré dans un nouveau stade « post impérialiste » de son développement, qui a exclu toute perspective quelque peu vraisemblable de révolution, sinon pour toujours, du moins pour tout l'avenir envisageable".
Or, comme le dit J.J. Marie, "Bourtine a une vision à courte vue et purement européenne du capitalisme et de l'économie de marché… Les grands pays impérialistes ne maintiennent leur « développement économique » que grâce au développement vertigineux de secteurs purement parasitaires (les narcodollars, la spéculation financière, l'armement), et une surexploitation des pays dits en voie de développement, écrasés par les intérêts d'une dette qu'ils ne peuvent rembourser, même en réduisant leurs peuples à la faim, forme de violence qui n'émeut nullement les pourfendeurs attitrés de « la violence bolchevique » et de « l'amoralisme léniniste ». Le capitalisme condamne la majorité de la planète à une putréfaction qui menace l'existence même de peuples entiers."
Et la stabilité "post deuxième guerre mondiale" dont parle Bourtine, ne repose-t-elle pas sur les 50 millions de morts de cette guerre, sur l'holocauste, sur "Hiroshima"… ?
De son côté, V. Volkoff, expliquait que "Trotsky et Staline, écrit très justement A. Avtorkhanov, ne furent pas des antipodes dans l'idéologie bolchevique, mais des rivaux luttant pour le pouvoir dans son cadre et sur ses bases,… des jumeaux ennemis".
Et C. Castoriadis, qui fut un temps membre de la Quatrième Internationale, cofondateur avec P. Lefort de "Socialisme ou barbarie" n'hésitait pas à écrire, dans Le Monde , que "le véritable créateur du totalitarisme est Lénine", ce que confirmait F. Fejto : "L'esprit d'entreprise ne peut s'épanouir que dans une société libre. Luciano Pelicani (Miseria del Marxismo) a tout à fait raison de faire observer, après Castoriadis, que les tendances bureaucratiques totalitaires étaient incorporées dans le parti bolchevique dès le départ, et cela pas moins chez Trotsky, qui critiquait la bureaucratisation, que chez Staline. N'est-ce pas Trotsky qui, le premier, a postulé la mobilisation et l'étatisation des syndicats ? C'est l'anti-pluralisme marxiste qui a fondé le régime bureaucratique qui assumait pleinement les pouvoirs et fonctions de l'ancienne classe dirigeante dite exploiteuse, la gestion du procès de production à tous les niveaux, la disposition des moyens de production, les décisions sur l'affectation du sur-produit".
Certains, tel Y. Quinou, allaient un peu moins loin et essaient de sauver Marx, mais pour Lénine ou Trotsky, aucune chance ! "La crise des pays de l'Est n'est donc point la crise du Marxisme, mais celle non seulement de sa caricature stalinienne (dont le poids est énorme et spécifique), mais de son interprétation léniniste".
Le "Front unique" contre la révolution socialiste, contre les principaux dirigeants de la Révolution d'octobre, Lénine et Trotsky, est très large comme on peut le constater. Trotsky répondait par avance à ses contradicteurs.
La réponse de Trotsky, dans le "programme de transition"
"Comme toujours, dans les époques de réaction et de déclin, apparaissent de toutes parts les magiciens et les charlatans. Ils veulent réviser toute la marche de la pensée révolutionnaire. Au lieu d'apprendre du passé, ils le « corrigent ».
Les uns découvrent l'inconsistance du Marxisme, les autres proclament la faillite du Bolchevisme. Les uns font retomber sur la doctrine révolutionnaire la responsabilité des erreurs et des crimes de ceux qui l'ont trahie ; les autres maudissent la médecine parce qu'elle n'assure pas une guérison immédiate et miraculeuse. Les plus audacieux promettent de découvrir une panacée, et, en attendant, recommandent d'arrêter la lutte des classes. De nombreux prophètes de la nouvelle morale se disposent à régénérer le mouvement ouvrier à l'aide d'une homéopathie éthique. La majorité de ces apôtres ont réussi à devenir eux-mêmes des invalides moraux avant même de descendre sur le champ de bataille… La IVème Internationale ne recherche ni n'invente aucune panacée. Elle se tient entièrement sur le terrain du Marxisme, seule doctrine révolutionnaire qui permette de comprendre ce qui est, de découvrir les causes des défaites et de préparer consciemment la victoire. La IVème Internationale continue la tradition du Bolchevisme qui a montré pour la première fois au prolétariat comment conquérir le pouvoir. La IVème Internationale écarte les magiciens, les charlatans et les professeurs importuns de morale. Dans une société fondée sur l'exploitation, la morale suprême est la morale de la révolution socialiste. Bons sont les méthodes et les moyens qui élèvent la conscience de classe des ouvriers, leur confiance dans leurs propres forces, leurs dispositions à l'abnégation dans la lutte.
Regarder la réalité en face ; ne pas chercher la ligne de moindre résistance ; appeler les choses par leur nom ; dire la vérité aux masses, quelque amère qu'elle soit ; ne pas craindre les obstacles ; être rigoureux dans les petites choses comme dans les grandes ; oser quand vient l'heure de l'action : telles sont les règles de la IVème Internationale.
Elle a montré qu'elle sait aller contre le courant. La prochaine vague historique la portera à son faîte".
Et plus loin, …"Mais les cadres de la Quatrième Internationale sont le seul gage de l'avenir. En dehors de ces cadres, il n'existe pas sur cette planète un seul courant révolutionnaire qui mérite réellement ce nom. Si notre Internationale est encore faible en nombre, elle est forte par la doctrine par le programme, la tradition, la trempe incomparable de ses cadres. Que celui qui ne voit pas cela aujourd'hui reste encore à l'écart. Demain ce sera plus visible.
"Mais tous les moyens sont-ils admissibles" ?
Trotsky répond dans "leur morale et la nôtre". "Tous les moyens ne sont pas permis. Quand nous disons que la fin justifie les moyens, il en résulte pour nous que la grande fin révolutionnaire repousse, d'entre ses moyens, les procédés et les méthodes indignes qui dressent une partie de la classe ouvrière contre les autres ; ou qui tentent de faire le bonheur des masses sans leur propre concours ; ou qui diminuent la confiance des masses en elles-mêmes et leur organisation en y substituant l'adoration des « chefs ». Par dessus tout, irréductiblement, la morale révolutionnaire condamne la servilité à l'égard de la bourgeoisie et la hauteur à l'égard des travailleurs, c'est-à-dire un des traits les plus profonds de la mentalité des pédants et des moralistes petits-bourgeois".
Après la chute du Mur de Berlin, les attaques se déchaînent
C'est d'abord F. Furet qui dénonce pêle-mêle les Jacobins et Robespierre, 1793 et 1917, Lénine et la révolution russe ; il considère que "Lénine a construit au fil des ans, à force d'excommunications, une petite avant-garde de militants… Il a inventé le parti idéologique à fidélité militaire, mêlant à doses fortes l'idée d'une science de l'histoire d'une part, celle de la toute puissance de l'action de l'autre et promettant ainsi aux initiés le pouvoir absolu au prix de leur obéissance aveugle au parti"(Le passé d'une illusion, essai sur l'idée communiste au XXème siècle, Livre de Poche, 1995).
Pour Furet, Lénine est le père du Trotskysme, du monolithisme, de l'obéissance absolue au chef. Bien sûr, la droite, Le Monde du 20.1.1995 qui parle d'un "chef d'œuvre", le Nouvel observateur … applaudissent : "ce qui m'étonne, et qui d'ailleurs me fait plaisir, c'est que la gauche fasse un bon accueil à mon livre" (le Figaro du 7.3.1995).
Il déplore que "les acteurs de l'histoire soient moins lucides que ses juges" et il voudrait substituer "la sagesse historique à la passion historique"
Puis c'est le "Livre noir du Communisme" (de N. Werth, J.L. Panné, S. Courtois, K. Bartosek, J.L. Margolin… , éditions Robert Laffond, 1997) qui dénonce les 100 millions de morts du Communisme dont les initiateurs en goulag et en assassinats seraient Lénine et Trotsky.
Tout d'abord, peut-on imputer au Communisme les dizaines de millions de victimes de Staline, Mao-Tsé-Toung, Pol-Pot qui furent les pires anti-communistes (avec Hitler) qu'on puisse imaginer ?
Ensuite sur les chiffres : S. Courtois, page 14, dresse le bilan suivant : U.R.S.S. 20 millions, Chine 65 millions. Et dans la revue Cahier d'histoire sociale n° 9, P. Rigoulot, ex-maoïste donc ex-stalinien, comme S. Courtois, et aussi tout comme lui, l'un des onze auteurs du "Livre noir du Communisme", inverse pratiquement les chiffres : l'U.R.S.S. passe de 20 à 62,5 millions de morts et la Chine retombe de 65 à 35 millions de morts.
Comme dit Jean-Jacques Marie , "ces gens-là jouent avec les morts comme d'autres jouent au loto ou à la bourse".
Dans Le Monde du 14.11.1997, l'historienne Lily Marcou montre que N. Werth a multiplié par 10 le nombre de victimes de la terreur stalinienne par rapport aux chiffres que le même Werth avait publiés 4 ans plus tôt !
Ces quelques exemples montrent le sérieux de l'ouvrage… S. Courtois, directeur de recherche au C.N.R.S. ! affirme dans un article de la revue Histoire (an 2000) : "fin décembre 1920, Trotsky couvre de son autorité l'abominable massacre de plus de 50 000 « prisonniers blancs » dans la région de Sébastopol".
Or, l'armée blanche de Crimée était commandée par Wrangel qui a laissé ses souvenirs publiés en russe. Que dit-il en substance ? Lorsque l'armée blanche recula sous l'assaut de l'armée rouge, le gouvernement français l'aida à évacuer la Crimée par la mer ; il précise "pleine liberté fut fournie à tous ceux qui voulaient rester de le faire, mais il y en eut peu… l'embarquement est achevé jusqu'au dernier soldat" , y compris tous les blessés hospitalisés. Sur une armée qui comprenait environ 150 000 hommes, Wrangel donne le chiffre de 145 693 soldats et officiers évacués.
D'où viennent donc les 50 000 soldats blancs fusillés donnés par le "scientifique", le "chercheur", mais surtout le falsificateur Courtois ? lui, l'ex-stalinien, jusqu'où peut le pousser son anti-Trotskysme !
Un dernier exemple : dans un texte en commun avec J.L. Panné, S. Courtois affirme, à propos de l'insurrection communiste en Estonie de décembre 1924, qu' "au cours de la tentative, des officiers qui s'étaient rendus aux insurgés et s'étaient déclarés neutres, furent fusillés en raison même de l'attitude de neutralité qu'ils avaient adoptée : pour les putschistes, seul le ralliement était concevable". En bas de page, une référence : A. Neuberg, "l'Insurrection armée", édité par le P.C. en 1931, réédité par Maspéro dans les années 70. Après vérification par D. Gluckstein, les officiers qui s'étaient déclaré neutres ont bien été fusillés… mais par le conseil de guerre du gouvernement estonien qui les a déclarés coupables de ne pas avoir combattu les communistes !!
Lénine autocrate, le parti bolchevique monolithique ?
Lénine s'est souvent trouvé en minorité dans son parti. En 1905, quand il veut promouvoir beaucoup plus d'ouvriers à la direction des sections locales, en général dirigées par des intellectuels, il est battu par 12 voix contre 9.
Après la révolution de février 1917, il est quasiment seul à penser qu'il ne faut pas soutenir le gouvernement Kerensky et se battre par "tout le pouvoir aux soviets" ; il lui faudra des semaines de polémiques pour convaincre la majorité du parti bolchevique.
En avril 1917, il propose d'abandonner le nom de "parti social-démocrate" et votre seul contre 118 délégués. Le comité central élu en avril 1917 est "tout sauf une collection de béni-oui-oui disciplinés" selon les mots de l'historien de Harvard, Robert Daniels .
En septembre 1917, Lénine défend, de nouveau seul, (avec Trotsky qui n'est pas encore membre du parti bolchevique) que le moment est venu d'organiser l'insurrection : ses articles ne sont mêmes pas imprimés en entier par la Pravda.
Quand cette position deviendra majoritaire, Zinoviev et Kamenev continueront de s'y opposer publiquement dans le journal de Gorki.
Quelques jours après la révolution d'octobre, les mencheviks se déclarèrent prêts à faire partie d'un gouvernement de coalition à condition que Lénine et Trotsky en soient exclus ! le comité central du parti bolchevique rejeta la proposition de 7 voix contre 4 !
En 1918, la discussion sur "Brest – Litovsk" faillit entraîner une scission. Les comités locaux de Moscou et de Saint-Pétersbourg condamnèrent la politique de Lénine. La brochure de Boukkarine qui s'attaquait à la position de Lénine fut éditée à un million d'exemplaires.
En 1920, au 9ème congrès, une plate-forme d'opposition "centralisme démocratique" se forma pour dénoncer les abus d'autorité, il en résultat la formation d'une commission de contrôle. La même année "l'opposition ouvrière" avec Kollontai et Sckliapnikov joue un rôle très important.
En 1921, un large débat accompagna le lancement de la N.E.P., nouvelle politique économique.
En même temps, le congrès du parti vota (à la quasi unanimité) l'interdiction temporaire des fractions organisées au sein du parti. Toute critique, toute discussion devait désormais avoir lieu dans les instances régulières du parti et non pas hors du parti. Mesure de circonstance liée à une situation critique d'un pays assailli par la famine et par la contre-révolution. Lors de ce même congrès, sur insistance de Lénine, deux membres de l'opposition ouvrière sont élus au comité central.
Où est le monolithisme ? Où est l'obéissance absolue au chef ? Lénine a été souvent mis en minorité (comme le fut aussi Robespierre au comité de salut public, qu'il quitta avant de revenir sur l'insistance des autres membres du comité). Les débats et les critiques furent permanents.
Et c'est Lénine lui-même qui le premier dénonça les risques de bureaucratisation, qui proposa en 1922 d'allonger la période d'essai pour les nouveaux membres afin d'éliminer les carriéristes et dénonça dans son testament, Staline. Le stalinisme fut l'antithèse du Bolchevisme ; il s'affirma en détruisant dans sa totalité la direction du parti bolchevique. Le stalinisme ne naît ni du centralisme, ni du prétendu monolithisme du parti bolchevique, ni du pouvoir absolu du chef qui à cette époque n'existait pas.
Et Trotsky, chef de l'armée rouge, pouvait, à la mort de Lénine, sans coup férir, s'emparer du pouvoir. Mais pas plus que Lénine, il n'avait l'âme d'un dictateur.N’a-t-il pas demandé lui-même, en janvier 1925, à « être libéré de ses fonctions de président du conseil révolutionnaire de l’armée » ? Il n'est d'ailleurs pas sûr qu'à la tête de l'État ouvrier, même par ce biais, Trotsky n'aurait pu, non pas empêcher la bureaucratisation, mais continuer à dénoncer cette-ci, tout en combattant pour la révolution dans les autres pays et pour l'armement politique des partis communistes. 10 ans, c'est peu de chose, et alors le Front unique réalisé n'aurait-il pu vaincre Hitler, et les révolutions française et espagnole l'emporter ? Mais il est vrai qu’à l’époque, Trotsky ne pouvait soupçonner ce qu’allait devenir Staline et le stalinisme, sinon, aurait-il hésité un seul instant ?
Et Cronstadt ?
C'est souvent l'argument ultime de la bourgeoisie (c'est vrai qu'en matière de barbarie, d'assassinats, de guerres, de destructions, ses gouvernements tant fascistes que "démocratiques" ont un savoir-faire inégalé !), mais aussi de la petite bourgeoisie radicalisée, des anarchistes… pour lesquels Cronstadt est la preuve que Staline et ses successeurs n'ont fait qu'emboîter le pas à Lénine et Trotsky (c'est aussi la tasse de thé d'un journaliste "objectif" comme J.F. Kahn, lui aussi ancien stalinien).
Pas plus que les camps de concentration de l'époque (camp d'internement des prisonniers) n'ont à voir avec les camps d'extermination hitlérien ou le goulag stalinien, pas plus la "roulotte à gaz" n'a à voir avec les monstrueuses chambres à gaz nazies. Elle correspond ni plus ni moins à la chaise électrique d'aujourd'hui pour exécuter les condamnés à mort.
Rappelons que la majorité du Parti bolchevique, y compris l'Opposition ouvrière, prit position contre le soulèvement de Cronstadt.
Que dit par exemple Victor Serge, ami des anarchistes, dans ses mémoires ? "La 3ème révolution disaient certains anarchistes bourrés d'illusions enfantines. Or le pays était complètement épuisé (7 ans de guerres étrangère et civile), la production presqu'arrêtée, il n'y avait plus de réserves d'aucune sorte, plus même de réserves nerveuses dans l'âme des masses. Le prolétariat d'élite, formé par les luttes de l'ancien régime, était littéralement décimé. Le parti grossi par l'afflux des ralliés au pouvoir, inspirait peu de confiance… Si la dictature bolchevique tombait, c'était à brève échéance le chaos, à travers le chaos, la poussée paysanne, le massacre des communistes, le retour des émigrés et finalement une autre dictature anti-prolétarienne par la force des choses… En dépit de ses fautes et de ses abus…, le parti bolchevik est à ce moment la grande force organisée, intelligente et sûre à laquelle il faut, malgré tout, faire confiance".
Que dit Paul Avrick , professeur à l'université de Columbia : "dans le cas de Cronstadt, l'histoire peut se permettre d'affirmer que sa sympathie va aux rebelles tout en concédant que la répression bolchevique fut justifiée".
P. Avrick n'est ni bolchevik, ni trotskyste. "Les bolcheviks… demeuraient le plus sûr rempart contre le retour des blancs et l'effondrement de la révolution".
Avrick apporte un document qu'il a trouvé dans les archives du comité national russe, une organisation d'émigrés, intitulé "le Mémorandum", inconnu et pour cause à l'époque par les dirigeants bolcheviques ; ce "Mémorandum" a été écrit quelques semaines avant Cronstadt, et son authenticité n'est mise en doute par personne. Il prouve qu'il y avait un complot en préparation, avec un plan politique, militaire et financier. Mais la rébellion sur laquelle voulaient s'appuyer les comploteurs a éclaté trop tôt. Les dirigeants bolcheviques savaient que le temps leur était compté : "lorsque la fonte des glaces se serait produite, Cronstadt allait recevoir l'aide de la contre-révolution mondiale. La NEP n'aurait pas le temps de produire ses effets. Les oscillations de la paysannerie pourraient les mettre en conflit avec la classe ouvrière. D'où leur décision d'intervenir et de réduire la rébellion aussi rapidement que possible".
Pourtant les bolcheviques ont négocié avec les révoltés…, ont posé un ultimatum… avant de réprimer.
Qu'auraient dû faire, qu'auraient pu faire les dirigeants bolcheviques, sinon abandonner le pouvoir aux capitalistes et aux forces blanches ? Ce fut une tragique nécessité, accomplie à contre cœur. Quels rapports avec le stalinisme ?
Quant à la responsabilité personnelle de Trotsky : "La vérité dans cette affaire, c'est que je n'ai pas pris personnellement la moindre part à l'écrasement de la rébellion de Cronstadt, ni aux répressions qui l'ont suivie. A mes yeux, ce fait même n'a aucune importance politique. J'étais membre du gouvernement, je considérais nécessaire d'étouffer la rébellion et je porte donc la responsabilité de la pacification… La décision d'écraser militairement la rébellion, si on ne pouvait amener la forteresse à la reddition, d'abord par des négociations de paix, puis par un ultimatum…, fut adoptée avec ma participation directe… Mais une fois la décision prise, j'ai continué à demeurer à Moscou et n'ai pris part, ni directement ou indirectement, aux opérations militaires. Quant aux répressions qui ont suivi, elles ont été l'affaire exclusive de la Tcheka. C'est Dzerjinsky qui en eut la responsabilité personnelle et il ne tolérait, à juste titre, aucune ingérence dans ses fonctions… Mais, je suis prêt à reconnaître que la guerre civile n'est pas une école d'humanisme. Les idéalistes et les pacifistes ont toujours accusé la révolution « d'excès ». Mais le point essentiel, c'est que les « excès découlent de la nature même de la révolution qui, en elle-même n'est qu'un « excès » de l'histoire…".
Le régime stalinien a trop utilisé les signes du Communisme (drapeau rouge, chant de l'Internationale, image de Lénine…) pour que cela soit sans conséquences dans les populations des pays de l'Est, comme d'ailleurs dans celles, sous une autre forme, des autres pays.
Pour toute la couche de la bureaucratie, formée au moule du stalinisme, le Léninisme serait condamné par le "verdict de l'histoire" et le Trotskysme avec lui, dont le seul intérêt serait d'être un témoignage d'une période historique révolue.
Mais alors pourquoi cet acharnement ? Ne serait-ce pas que contrairement aux idées à la mode, la pensée et l'action de Lénine et de Trotsky seraient plus actuelles que jamais ? et qu'il faut tout faire, au compte de la restauration capitaliste pour les identifier à Staline afin de les discréditer à jamais ?
Ainsi, l'un des principaux représentants de l'intelligentsia gorbatchévienne, Y. Afanassiev, expliquait à qui voulait l'entendre que Trotsky, Lénine et Staline, c'était fondamentalement la même chose à cause de "leur même révolutionnarisme" ; pour lui, la révolution est une mauvaise chose car elle repose sur la violence et engendre le mal ; et d'autre part, Lénine, après Marx s'est trompé car le capitalisme a encore de beaux jours devant lui, les deux "talons d'Achille" de Marx et d'Engels étant "les deux leviers du progrès" qu'ils ont niés et qui sont le marché et la concurrence d'un côté, la démocratie de l'autre.
Pour sa part, I. Bourtine, après bien d'autres , a repris l'idée que "l'impérialisme n'est pas le stade suprême du capitalisme", il n'est pas "le capitalisme pourrissant, parasitaire", "les forces productives continuent de croître" ; pour lui, après la deuxième guerre mondiale, le capitalisme "est entré dans un nouveau stade « post impérialiste » de son développement, qui a exclu toute perspective quelque peu vraisemblable de révolution, sinon pour toujours, du moins pour tout l'avenir envisageable".
Or, comme le dit J.J. Marie, "Bourtine a une vision à courte vue et purement européenne du capitalisme et de l'économie de marché… Les grands pays impérialistes ne maintiennent leur « développement économique » que grâce au développement vertigineux de secteurs purement parasitaires (les narcodollars, la spéculation financière, l'armement), et une surexploitation des pays dits en voie de développement, écrasés par les intérêts d'une dette qu'ils ne peuvent rembourser, même en réduisant leurs peuples à la faim, forme de violence qui n'émeut nullement les pourfendeurs attitrés de « la violence bolchevique » et de « l'amoralisme léniniste ». Le capitalisme condamne la majorité de la planète à une putréfaction qui menace l'existence même de peuples entiers."
Et la stabilité "post deuxième guerre mondiale" dont parle Bourtine, ne repose-t-elle pas sur les 50 millions de morts de cette guerre, sur l'holocauste, sur "Hiroshima"… ?
De son côté, V. Volkoff, expliquait que "Trotsky et Staline, écrit très justement A. Avtorkhanov, ne furent pas des antipodes dans l'idéologie bolchevique, mais des rivaux luttant pour le pouvoir dans son cadre et sur ses bases,… des jumeaux ennemis".
Et C. Castoriadis, qui fut un temps membre de la Quatrième Internationale, cofondateur avec P. Lefort de "Socialisme ou barbarie" n'hésitait pas à écrire, dans Le Monde , que "le véritable créateur du totalitarisme est Lénine", ce que confirmait F. Fejto : "L'esprit d'entreprise ne peut s'épanouir que dans une société libre. Luciano Pelicani (Miseria del Marxismo) a tout à fait raison de faire observer, après Castoriadis, que les tendances bureaucratiques totalitaires étaient incorporées dans le parti bolchevique dès le départ, et cela pas moins chez Trotsky, qui critiquait la bureaucratisation, que chez Staline. N'est-ce pas Trotsky qui, le premier, a postulé la mobilisation et l'étatisation des syndicats ? C'est l'anti-pluralisme marxiste qui a fondé le régime bureaucratique qui assumait pleinement les pouvoirs et fonctions de l'ancienne classe dirigeante dite exploiteuse, la gestion du procès de production à tous les niveaux, la disposition des moyens de production, les décisions sur l'affectation du sur-produit".
Certains, tel Y. Quinou, allaient un peu moins loin et essaient de sauver Marx, mais pour Lénine ou Trotsky, aucune chance ! "La crise des pays de l'Est n'est donc point la crise du Marxisme, mais celle non seulement de sa caricature stalinienne (dont le poids est énorme et spécifique), mais de son interprétation léniniste".
Le "Front unique" contre la révolution socialiste, contre les principaux dirigeants de la Révolution d'octobre, Lénine et Trotsky, est très large comme on peut le constater. Trotsky répondait par avance à ses contradicteurs.
La réponse de Trotsky, dans le "programme de transition"
"Comme toujours, dans les époques de réaction et de déclin, apparaissent de toutes parts les magiciens et les charlatans. Ils veulent réviser toute la marche de la pensée révolutionnaire. Au lieu d'apprendre du passé, ils le « corrigent ».
Les uns découvrent l'inconsistance du Marxisme, les autres proclament la faillite du Bolchevisme. Les uns font retomber sur la doctrine révolutionnaire la responsabilité des erreurs et des crimes de ceux qui l'ont trahie ; les autres maudissent la médecine parce qu'elle n'assure pas une guérison immédiate et miraculeuse. Les plus audacieux promettent de découvrir une panacée, et, en attendant, recommandent d'arrêter la lutte des classes. De nombreux prophètes de la nouvelle morale se disposent à régénérer le mouvement ouvrier à l'aide d'une homéopathie éthique. La majorité de ces apôtres ont réussi à devenir eux-mêmes des invalides moraux avant même de descendre sur le champ de bataille… La IVème Internationale ne recherche ni n'invente aucune panacée. Elle se tient entièrement sur le terrain du Marxisme, seule doctrine révolutionnaire qui permette de comprendre ce qui est, de découvrir les causes des défaites et de préparer consciemment la victoire. La IVème Internationale continue la tradition du Bolchevisme qui a montré pour la première fois au prolétariat comment conquérir le pouvoir. La IVème Internationale écarte les magiciens, les charlatans et les professeurs importuns de morale. Dans une société fondée sur l'exploitation, la morale suprême est la morale de la révolution socialiste. Bons sont les méthodes et les moyens qui élèvent la conscience de classe des ouvriers, leur confiance dans leurs propres forces, leurs dispositions à l'abnégation dans la lutte.
Regarder la réalité en face ; ne pas chercher la ligne de moindre résistance ; appeler les choses par leur nom ; dire la vérité aux masses, quelque amère qu'elle soit ; ne pas craindre les obstacles ; être rigoureux dans les petites choses comme dans les grandes ; oser quand vient l'heure de l'action : telles sont les règles de la IVème Internationale.
Elle a montré qu'elle sait aller contre le courant. La prochaine vague historique la portera à son faîte".
Et plus loin, …"Mais les cadres de la Quatrième Internationale sont le seul gage de l'avenir. En dehors de ces cadres, il n'existe pas sur cette planète un seul courant révolutionnaire qui mérite réellement ce nom. Si notre Internationale est encore faible en nombre, elle est forte par la doctrine par le programme, la tradition, la trempe incomparable de ses cadres. Que celui qui ne voit pas cela aujourd'hui reste encore à l'écart. Demain ce sera plus visible.
"Mais tous les moyens sont-ils admissibles" ?
Trotsky répond dans "leur morale et la nôtre". "Tous les moyens ne sont pas permis. Quand nous disons que la fin justifie les moyens, il en résulte pour nous que la grande fin révolutionnaire repousse, d'entre ses moyens, les procédés et les méthodes indignes qui dressent une partie de la classe ouvrière contre les autres ; ou qui tentent de faire le bonheur des masses sans leur propre concours ; ou qui diminuent la confiance des masses en elles-mêmes et leur organisation en y substituant l'adoration des « chefs ». Par dessus tout, irréductiblement, la morale révolutionnaire condamne la servilité à l'égard de la bourgeoisie et la hauteur à l'égard des travailleurs, c'est-à-dire un des traits les plus profonds de la mentalité des pédants et des moralistes petits-bourgeois".
Après la chute du Mur de Berlin, les attaques se déchaînent
C'est d'abord F. Furet qui dénonce pêle-mêle les Jacobins et Robespierre, 1793 et 1917, Lénine et la révolution russe ; il considère que "Lénine a construit au fil des ans, à force d'excommunications, une petite avant-garde de militants… Il a inventé le parti idéologique à fidélité militaire, mêlant à doses fortes l'idée d'une science de l'histoire d'une part, celle de la toute puissance de l'action de l'autre et promettant ainsi aux initiés le pouvoir absolu au prix de leur obéissance aveugle au parti"(Le passé d'une illusion, essai sur l'idée communiste au XXème siècle, Livre de Poche, 1995).
Pour Furet, Lénine est le père du Trotskysme, du monolithisme, de l'obéissance absolue au chef. Bien sûr, la droite, Le Monde du 20.1.1995 qui parle d'un "chef d'œuvre", le Nouvel observateur … applaudissent : "ce qui m'étonne, et qui d'ailleurs me fait plaisir, c'est que la gauche fasse un bon accueil à mon livre" (le Figaro du 7.3.1995).
Il déplore que "les acteurs de l'histoire soient moins lucides que ses juges" et il voudrait substituer "la sagesse historique à la passion historique"
Puis c'est le "Livre noir du Communisme" (de N. Werth, J.L. Panné, S. Courtois, K. Bartosek, J.L. Margolin… , éditions Robert Laffond, 1997) qui dénonce les 100 millions de morts du Communisme dont les initiateurs en goulag et en assassinats seraient Lénine et Trotsky.
Tout d'abord, peut-on imputer au Communisme les dizaines de millions de victimes de Staline, Mao-Tsé-Toung, Pol-Pot qui furent les pires anti-communistes (avec Hitler) qu'on puisse imaginer ?
Ensuite sur les chiffres : S. Courtois, page 14, dresse le bilan suivant : U.R.S.S. 20 millions, Chine 65 millions. Et dans la revue Cahier d'histoire sociale n° 9, P. Rigoulot, ex-maoïste donc ex-stalinien, comme S. Courtois, et aussi tout comme lui, l'un des onze auteurs du "Livre noir du Communisme", inverse pratiquement les chiffres : l'U.R.S.S. passe de 20 à 62,5 millions de morts et la Chine retombe de 65 à 35 millions de morts.
Comme dit Jean-Jacques Marie , "ces gens-là jouent avec les morts comme d'autres jouent au loto ou à la bourse".
Dans Le Monde du 14.11.1997, l'historienne Lily Marcou montre que N. Werth a multiplié par 10 le nombre de victimes de la terreur stalinienne par rapport aux chiffres que le même Werth avait publiés 4 ans plus tôt !
Ces quelques exemples montrent le sérieux de l'ouvrage… S. Courtois, directeur de recherche au C.N.R.S. ! affirme dans un article de la revue Histoire (an 2000) : "fin décembre 1920, Trotsky couvre de son autorité l'abominable massacre de plus de 50 000 « prisonniers blancs » dans la région de Sébastopol".
Or, l'armée blanche de Crimée était commandée par Wrangel qui a laissé ses souvenirs publiés en russe. Que dit-il en substance ? Lorsque l'armée blanche recula sous l'assaut de l'armée rouge, le gouvernement français l'aida à évacuer la Crimée par la mer ; il précise "pleine liberté fut fournie à tous ceux qui voulaient rester de le faire, mais il y en eut peu… l'embarquement est achevé jusqu'au dernier soldat" , y compris tous les blessés hospitalisés. Sur une armée qui comprenait environ 150 000 hommes, Wrangel donne le chiffre de 145 693 soldats et officiers évacués.
D'où viennent donc les 50 000 soldats blancs fusillés donnés par le "scientifique", le "chercheur", mais surtout le falsificateur Courtois ? lui, l'ex-stalinien, jusqu'où peut le pousser son anti-Trotskysme !
Un dernier exemple : dans un texte en commun avec J.L. Panné, S. Courtois affirme, à propos de l'insurrection communiste en Estonie de décembre 1924, qu' "au cours de la tentative, des officiers qui s'étaient rendus aux insurgés et s'étaient déclarés neutres, furent fusillés en raison même de l'attitude de neutralité qu'ils avaient adoptée : pour les putschistes, seul le ralliement était concevable". En bas de page, une référence : A. Neuberg, "l'Insurrection armée", édité par le P.C. en 1931, réédité par Maspéro dans les années 70. Après vérification par D. Gluckstein, les officiers qui s'étaient déclaré neutres ont bien été fusillés… mais par le conseil de guerre du gouvernement estonien qui les a déclarés coupables de ne pas avoir combattu les communistes !!
Lénine autocrate, le parti bolchevique monolithique ?
Lénine s'est souvent trouvé en minorité dans son parti. En 1905, quand il veut promouvoir beaucoup plus d'ouvriers à la direction des sections locales, en général dirigées par des intellectuels, il est battu par 12 voix contre 9.
Après la révolution de février 1917, il est quasiment seul à penser qu'il ne faut pas soutenir le gouvernement Kerensky et se battre par "tout le pouvoir aux soviets" ; il lui faudra des semaines de polémiques pour convaincre la majorité du parti bolchevique.
En avril 1917, il propose d'abandonner le nom de "parti social-démocrate" et votre seul contre 118 délégués. Le comité central élu en avril 1917 est "tout sauf une collection de béni-oui-oui disciplinés" selon les mots de l'historien de Harvard, Robert Daniels .
En septembre 1917, Lénine défend, de nouveau seul, (avec Trotsky qui n'est pas encore membre du parti bolchevique) que le moment est venu d'organiser l'insurrection : ses articles ne sont mêmes pas imprimés en entier par la Pravda.
Quand cette position deviendra majoritaire, Zinoviev et Kamenev continueront de s'y opposer publiquement dans le journal de Gorki.
Quelques jours après la révolution d'octobre, les mencheviks se déclarèrent prêts à faire partie d'un gouvernement de coalition à condition que Lénine et Trotsky en soient exclus ! le comité central du parti bolchevique rejeta la proposition de 7 voix contre 4 !
En 1918, la discussion sur "Brest – Litovsk" faillit entraîner une scission. Les comités locaux de Moscou et de Saint-Pétersbourg condamnèrent la politique de Lénine. La brochure de Boukkarine qui s'attaquait à la position de Lénine fut éditée à un million d'exemplaires.
En 1920, au 9ème congrès, une plate-forme d'opposition "centralisme démocratique" se forma pour dénoncer les abus d'autorité, il en résultat la formation d'une commission de contrôle. La même année "l'opposition ouvrière" avec Kollontai et Sckliapnikov joue un rôle très important.
En 1921, un large débat accompagna le lancement de la N.E.P., nouvelle politique économique.
En même temps, le congrès du parti vota (à la quasi unanimité) l'interdiction temporaire des fractions organisées au sein du parti. Toute critique, toute discussion devait désormais avoir lieu dans les instances régulières du parti et non pas hors du parti. Mesure de circonstance liée à une situation critique d'un pays assailli par la famine et par la contre-révolution. Lors de ce même congrès, sur insistance de Lénine, deux membres de l'opposition ouvrière sont élus au comité central.
Où est le monolithisme ? Où est l'obéissance absolue au chef ? Lénine a été souvent mis en minorité (comme le fut aussi Robespierre au comité de salut public, qu'il quitta avant de revenir sur l'insistance des autres membres du comité). Les débats et les critiques furent permanents.
Et c'est Lénine lui-même qui le premier dénonça les risques de bureaucratisation, qui proposa en 1922 d'allonger la période d'essai pour les nouveaux membres afin d'éliminer les carriéristes et dénonça dans son testament, Staline. Le stalinisme fut l'antithèse du Bolchevisme ; il s'affirma en détruisant dans sa totalité la direction du parti bolchevique. Le stalinisme ne naît ni du centralisme, ni du prétendu monolithisme du parti bolchevique, ni du pouvoir absolu du chef qui à cette époque n'existait pas.
Et Trotsky, chef de l'armée rouge, pouvait, à la mort de Lénine, sans coup férir, s'emparer du pouvoir. Mais pas plus que Lénine, il n'avait l'âme d'un dictateur.N’a-t-il pas demandé lui-même, en janvier 1925, à « être libéré de ses fonctions de président du conseil révolutionnaire de l’armée » ? Il n'est d'ailleurs pas sûr qu'à la tête de l'État ouvrier, même par ce biais, Trotsky n'aurait pu, non pas empêcher la bureaucratisation, mais continuer à dénoncer cette-ci, tout en combattant pour la révolution dans les autres pays et pour l'armement politique des partis communistes. 10 ans, c'est peu de chose, et alors le Front unique réalisé n'aurait-il pu vaincre Hitler, et les révolutions française et espagnole l'emporter ? Mais il est vrai qu’à l’époque, Trotsky ne pouvait soupçonner ce qu’allait devenir Staline et le stalinisme, sinon, aurait-il hésité un seul instant ?
Et Cronstadt ?
C'est souvent l'argument ultime de la bourgeoisie (c'est vrai qu'en matière de barbarie, d'assassinats, de guerres, de destructions, ses gouvernements tant fascistes que "démocratiques" ont un savoir-faire inégalé !), mais aussi de la petite bourgeoisie radicalisée, des anarchistes… pour lesquels Cronstadt est la preuve que Staline et ses successeurs n'ont fait qu'emboîter le pas à Lénine et Trotsky (c'est aussi la tasse de thé d'un journaliste "objectif" comme J.F. Kahn, lui aussi ancien stalinien).
Pas plus que les camps de concentration de l'époque (camp d'internement des prisonniers) n'ont à voir avec les camps d'extermination hitlérien ou le goulag stalinien, pas plus la "roulotte à gaz" n'a à voir avec les monstrueuses chambres à gaz nazies. Elle correspond ni plus ni moins à la chaise électrique d'aujourd'hui pour exécuter les condamnés à mort.
Rappelons que la majorité du Parti bolchevique, y compris l'Opposition ouvrière, prit position contre le soulèvement de Cronstadt.
Que dit par exemple Victor Serge, ami des anarchistes, dans ses mémoires ? "La 3ème révolution disaient certains anarchistes bourrés d'illusions enfantines. Or le pays était complètement épuisé (7 ans de guerres étrangère et civile), la production presqu'arrêtée, il n'y avait plus de réserves d'aucune sorte, plus même de réserves nerveuses dans l'âme des masses. Le prolétariat d'élite, formé par les luttes de l'ancien régime, était littéralement décimé. Le parti grossi par l'afflux des ralliés au pouvoir, inspirait peu de confiance… Si la dictature bolchevique tombait, c'était à brève échéance le chaos, à travers le chaos, la poussée paysanne, le massacre des communistes, le retour des émigrés et finalement une autre dictature anti-prolétarienne par la force des choses… En dépit de ses fautes et de ses abus…, le parti bolchevik est à ce moment la grande force organisée, intelligente et sûre à laquelle il faut, malgré tout, faire confiance".
Que dit Paul Avrick , professeur à l'université de Columbia : "dans le cas de Cronstadt, l'histoire peut se permettre d'affirmer que sa sympathie va aux rebelles tout en concédant que la répression bolchevique fut justifiée".
P. Avrick n'est ni bolchevik, ni trotskyste. "Les bolcheviks… demeuraient le plus sûr rempart contre le retour des blancs et l'effondrement de la révolution".
Avrick apporte un document qu'il a trouvé dans les archives du comité national russe, une organisation d'émigrés, intitulé "le Mémorandum", inconnu et pour cause à l'époque par les dirigeants bolcheviques ; ce "Mémorandum" a été écrit quelques semaines avant Cronstadt, et son authenticité n'est mise en doute par personne. Il prouve qu'il y avait un complot en préparation, avec un plan politique, militaire et financier. Mais la rébellion sur laquelle voulaient s'appuyer les comploteurs a éclaté trop tôt. Les dirigeants bolcheviques savaient que le temps leur était compté : "lorsque la fonte des glaces se serait produite, Cronstadt allait recevoir l'aide de la contre-révolution mondiale. La NEP n'aurait pas le temps de produire ses effets. Les oscillations de la paysannerie pourraient les mettre en conflit avec la classe ouvrière. D'où leur décision d'intervenir et de réduire la rébellion aussi rapidement que possible".
Pourtant les bolcheviques ont négocié avec les révoltés…, ont posé un ultimatum… avant de réprimer.
Qu'auraient dû faire, qu'auraient pu faire les dirigeants bolcheviques, sinon abandonner le pouvoir aux capitalistes et aux forces blanches ? Ce fut une tragique nécessité, accomplie à contre cœur. Quels rapports avec le stalinisme ?
Quant à la responsabilité personnelle de Trotsky : "La vérité dans cette affaire, c'est que je n'ai pas pris personnellement la moindre part à l'écrasement de la rébellion de Cronstadt, ni aux répressions qui l'ont suivie. A mes yeux, ce fait même n'a aucune importance politique. J'étais membre du gouvernement, je considérais nécessaire d'étouffer la rébellion et je porte donc la responsabilité de la pacification… La décision d'écraser militairement la rébellion, si on ne pouvait amener la forteresse à la reddition, d'abord par des négociations de paix, puis par un ultimatum…, fut adoptée avec ma participation directe… Mais une fois la décision prise, j'ai continué à demeurer à Moscou et n'ai pris part, ni directement ou indirectement, aux opérations militaires. Quant aux répressions qui ont suivi, elles ont été l'affaire exclusive de la Tcheka. C'est Dzerjinsky qui en eut la responsabilité personnelle et il ne tolérait, à juste titre, aucune ingérence dans ses fonctions… Mais, je suis prêt à reconnaître que la guerre civile n'est pas une école d'humanisme. Les idéalistes et les pacifistes ont toujours accusé la révolution « d'excès ». Mais le point essentiel, c'est que les « excès découlent de la nature même de la révolution qui, en elle-même n'est qu'un « excès » de l'histoire…".
erouville- Messages : 412
Date d'inscription : 24/06/2011
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