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Jacques Stephen Alexis

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Jacques Stephen Alexis Empty Jacques Stephen Alexis

Message  Roseau Dim 8 Jan - 19:48

Communiste et plus grand écrivain haitien, avec Jacques Roumain, présenté par Dany Laférrière

J'avais oublié Jacques-Stephen Alexis avec le temps, mais en le reprenant dernièrement, j'ai tout de suite compris qu'il n'avait jamais cessé de cheminer en moi. Né en Haïti en 1922, Alexis est mort à 39 ans en tentant de renverser par les armes, avec quelques amis, le dictateur François Duvalier. Ce qui est triste, c'est que j'avais oublié combien ce jeune homme crépitant de talent et d'audace avait compté pour moi.

Quand on veut devenir écrivain en Haïti et qu'on est né, comme moi, au début des années 50, on ne peut que se heurter à ces deux figures incontournables : Jacques Roumain et Jacques-Stephen Alexis. Roumain ne semble avoir besoin de personne. Tout écrivain qui voudrait situer son roman dans la paysannerie haïtienne ne trouvera qu'un champ brûlé par le classique de Roumain : Gouverneurs de la rosée.

On comprend alors pourquoi Alexis a préféré placer son premier roman, Compère Général Soleil, dans la grande ville. Alexis admirait Roumain et j'étais fasciné par Alexis. À la mort de Jacques Roumain en 1944, un jeune homme de vingt-deux ans du nom de Jacques-Stephen Alexis envoya au quotidien Le Nouvelliste un long article qui débutait ainsi : «Les peuples sont arbres. Ils fleurissent à la belle saison. Et d'efflorescence en floraison la lignée humaine s'accomplit.» Chacun comprit ce jour-là qu'une nouvelle graine venait de germer.

Mon rapport avec Alexis est assez étrange. S'il m'intéresse autant, c'est d'abord parce qu'il a écrit et fait des choses que je lui envie encore. Prenons l'attaque de son premier roman : «La nuit respirait fortement.» Je donnerais cher pour l'avoir écrit. Ce qu'il dit du fleuve Artibonite – «L'Artibonite, ce grand gaillard aux bras puissants est fils des montagnes» – montre qu'Alexis est un homme au cours vaste. Il est époustouflant quand il oublie l'idéologie pour simplement tenter de rendre l'émotion qu'il ressent. Mon roman préféré d'Alexis, c'est L'Espace d'un cillement. Tout le livre se passe dans un clin d'œil. Autant Roumain est limpide, autant Alexis est bariolé. Il écrit comme ces prostituées qui portent tous leurs bijoux sur elles. On cherche longtemps l'émotion sous la luxuriance des adjectifs. Mais ça tombe bien pour L'Espace d'un cillement qui se passe dans un bordel.

J'ai longtemps rêvé d'avoir l'imagination flamboyante d'Alexis et le style sobre de Roumain. J'aime surtout le jeune homme fougueux qui ne semble avoir peur de personne. Il faut l'être pour écrire cette lettre à François Duvalier, le 2 juin 1960. Observez l'insolence de la première phrase : «Dans quelque pays civilisé qu'il me plairait de vivre, je crois pouvoir dire que je serais accueilli à bras ouverts : ce n'est un secret pour personne.» On n'aurait pas pensé à parler ainsi même dans nos rêves. D'abord parce que c'est Duvalier, ensuite parce qu'une telle confiance en soi frise la candeur.

Il n'a pas fini: « Mais mes morts dorment dans cette terre; ce sol rouge du sang de générations d'hommes qui portent mon nom; je descends par deux fois, en lignée directe, de l'homme qui fonda cette patrie...» On se croirait dans Dumas, mais écoutez la conclusion : «Toutefois, monsieur le président, je tiens à savoir si oui ou non on me refuse le droit de vivre dans mon pays, comme je l'entends. Je suis sûr qu'après cette lettre j'aurai le moyen de m'en faire une idée.» Il se trouvait encore à Port-au-Prince quand la lettre est parvenue à Duvalier.

Obligé de quitter Haïti, il reviendra l'année suivante, en avril 1961, pour le face-à-face fatal avec le dictateur. Arrêté, torturé, puis assassiné. On ne peut être qu'impressionné par un tel courage. Mais revenons un peu en arrière afin de mieux comprendre un pareil geste.

Le voilà qui fonde avec quelques amis, en 1959, sous le nez de Duvalier, un parti communiste. On sent sa frénésie quand on pense qu'il a publié chez Gallimard quatre livres majeurs durant les cinq dernières années de sa vie : Compère Général Soleil, 1955; Les Arbres musiciens, 1957; L'Espace d'un cillement, 1959; et Romancero aux étoiles, 1960. Et qu'il en a d'autres dans ses tiroirs. Haïti jubile de tenir enfin son grand écrivain.

Mais Alexis place quelque chose d'autre au-dessus de la littérature : le bonheur du prolétariat. Il se veut un homme d'action. Il passe ses soirées à discuter de réalisme social avec Aragon avant de se rendre à Moscou. Il dialogue âprement avec Hô Chi Minh. Il court voir Mao afin que Pékin se réconcilie avec Moscou. Il n'a aucune idée de sa taille ni de son poids politique. Mais quand on a côtoyé de si puissants hommes d'action, il faut montrer, une fois au moins, ce qu'on a dans le ventre. C'est alors que Che Guevara, rencontré à Cuba, lui fait cadeau de sa mitraillette.

Comme il ne disposait pas des moyens lui permettant de délivrer son peuple, tout ce qu'il lui restait à offrir, pour ne pas perdre la face, c'est sa vie. Mon héros tombera dans quelques mois, comme le personnage de son premier roman, l'ouvrier Hilarion Hilarius. Il lui était interdit de vivre en Haïti, on ne pouvait l'empêcher d'y mourir. Ce qui reste malgré tout de ce jeune homme éblouissant, c'est la plus rayonnante trajectoire dans le monde des lettres contemporaines haïtiennes.
(Tiré de L'Art presque perdu de ne rien faire, p. 335-337, Éditions Boréal, nov. 2011.)
Roseau
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