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Volney: un dialogue décapant et régalant

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Volney: un dialogue décapant et régalant Empty Volney: un dialogue décapant et régalant

Message  Roseau Mer 17 Nov - 4:31


Ce texte qui évoque une de ces périodes de changement de régime, que l'on pressent fortement...
Il a été écrit par Constantin-François Chassebœuf de La Giraudais, comte Volney, dit Volney, né le 3 février 1757 à Craon en Anjou et mort le 25 avril 1820 à Paris…
Savourez son actualité...
C. F. de Volney, « Oeuvres choisies », B. Renault Librairie-Editeur, Paris 1847

CHAPITRE XV

A peine eut-il achevé ces mots, qu’un bruit immense s’éleva du côté de l’occident ; et, y tournant mes regards, j’aperçus à l’extrémité de la Méditerranée, dans le domaine de l’une des nations de l’Europe, un mouvement prodigieux ; tel qu’au sein d’une vaste cité, lorsqu’une sédition violente éclate de toutes parts, on voit un peuple innombrable s’agiter et se répandre à flots dans les rues et les places publiques. Et mon oreille, frappée de cris poussés jusqu’aux cieux, distingua par intervalle ces phrases :
«Quel est donc ce prodige nouveau? quel est ce fléau cruel et mystérieux? Nous sommes une nation nombreuse, et nous manquons de bras! nous avons un sol excellent, et nous manquons de denrées ! nous sommes actifs, laborieux, et nous vivons dans l’indigence! Nous payons des tributs énormes, et l’on nous dit qu’ils ne suffisent pas ! nous sommes en paix au dehors, et nos personnes et nos biens ne sont pas en sûreté Quel est donc l’ennemi caché qui nous dévore ?»

Et des voix parties du sein de la multitude répondirent : «Elevez un étendard distinctif autour duquel se rassemblent tous ceux qui, par d’utiles travaux entretiennent et nourrissent la société, et vous connaîtrez l’ennemi qui vous ronge. »

Et l’étendard ayant été levé, cette nation se trouva tout à coup partagée en deux corps inégaux, et d’un aspect contrastant : l’un innombrable et presque total, offrait, dans la pauvreté générale des vêtements et l’air maigre et hâlé des visages, les indices de la misère et du travail ; l’autre, petit groupe, fraction insensible, présentait, dans la richesse des habits chamarrés, et dans l’embonpoint des visages, les symptômes du loisir et de l’abondance.
Et, considérant ces hommes plus attentivement, je reconnus que le grand corps était composé de laboureurs, d’artisans, de marchands, de toutes les professions laborieuses et studieuses utiles à la société, et que, dans le petit groupe, il ne se trouvait que des ministres du culte de tout grade (moines et prêtres), que des gens de finance, d’armoiries, de livrée, des militaires et autres salariés du gouvernement.
Et ces deux corps en, présence, front à front, s’étant considérés avec étonnement, je vis, d’un côté, naître la colère et l’indignation, de l’autre, un mouvement d’effroi; et le grand corps dit au plus petit : «Pourquoi êtes-vous séparés de nous ? N’êtes-vous donc pas de notre nombre? »
«Non,» répondit le groupe «vous êtes le peuple; nous autres, nous sommes un corps distinct, une classe privilégiée, qui avons nos lois, nos usages, nos droits à part.»

LE PEUPLE
Et de quel travail viviez-vous dans notre Société?

LES PRIVILEGIES
Nous ne sommes pas faits pour travailler.

LE PEUPLE
Comment avez vous acquis tant de richesses ?

LES PRIVILEGIES
En prenant le soin de vous, gouverner.

LE PEUPLE
Quoi, nous fatiguons et vous jouissez ! nous produisons et vous dissipez ! Les richesses viennent de nous, vous les absorbez, et vous appelez cela gouverner !… Classe privilégiée, corps distinct qui nous est étranger, formez votre nation à part, et voyons comment vous subsisterez.

Alors, le, petit groupe, délibérant ce cas nouveau, quelques hommes juste et généreux dirent : il faut nous rejoindre au peuple, et partager ses fardeaux ; car ce sont des hommes comme nous, et nos richesses viennent d’eux. Mais d’autres dirent avec orgueil ce serait une honte de nous confondre avec la foule, elle est faite pour nous servir ; ne sommes nous pas la race noble et pure des conquérants de cet empire ? Rappelons à cette multitude nos droits et son origine.

LES NOBLES
Peuple ! oubliez vous que nos ancêtres ont conquis ce pays, et que votre race n’a obtenu la vie qu’à la condition de nous servir ? Voilà notre contrat social ; voilà le gouvernement constitué par l’usage et prescrit par le temps.

LE PEUPLE
Race pure de conquérants ! Montrez-nous vos généalogies ! nous verrons ensuite si ce qui, dans un individu est vol et rapine, devient vertu dans une nation.

Et à l’instant, des voix élevées de divers côtés commencèrent d’appeler par leur noms une foule d’individus nobles; et, citant leur origine et leur parenté, elles racontèrent comment l’aïeul, le bisaïeul, le père lui même nés marchands, artisans, après s’être enrichis par des moyens quelconques, avaient acheté, à prix d’argent, la noblesse : en sorte qu’un très petit nombre de familles étaient réellement de souche ancienne. Voyez, disaient ces voix, voyez ces recrues plébéiennes qui se croient des vétérans illustres ! Et ce fut une rumeur de risée.
Pour détourner, quelques hommes astucieux s’écrièrent : Peuple doux et fidèle, reconnaissez l’autorité légitime : le roi veut, la loi ordonne.

LE PEUPLE
Montrez nous vos pouvoirs célestes.

LES PRÈTRES.
Il faut de la foi : la raison égare.

LE PEUPLE
Gouvernez vous sans raisonner ?

LES PRÈTRES.
Dieux veut la paix : la religion l’obéissance.

LE PEUPLE
La paix suppose la justice ; l’obéissance veut la conviction d’un devoir.

LES PRÈTRES.
On est ici bas que pour souffrir.

LE PEUPLE
Montrez nous l’exemple.

LES PRÈTRES.
Vivrez-vous sans dieux et sans rois ?

LE PEUPLE
Nous voulons vivre sans oppresseurs

LES PRÈTRES.
Il vous faut des médiateurs, des intermédiaires.

LE PEUPLE
Médiateurs près de Dieu et des rois! courtisans et prêtres, vos services sont trop dispendieux ; nous traiterons désormais directement nos affaires.

Et alors le petit groupe dit : Tout est perdu, la multitude est éclairée.

Et le peuple répondit : Tout est sauvé, car si nous sommes éclairés, nous n’abuserons pas de notre force, nous ne voulons que nos droits. Nous avons des ressentiments, nous les oublions : nous étions esclaves, nous pourrions commander ; nous ne voulons qu’être libres, et la liberté n’est que la justice.

Volney

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