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Ornette Coleman

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Ornette Coleman Empty Ornette Coleman

Message  Babel Jeu 11 Juin - 19:41

Musicien et compositeur de génie, inventeur du free jazz, Coleman vient de disparaître à l'âge de 85 ans. Le Monde republie le magnifique portrait que Francis Marmande lui avait consacré, dix-huit ans plus tôt.

Ornette Coleman, la voix de l'ange
Le Monde.fr | 11.06.2015, par Francis Marmande

Une de ses premières compositions est nommée La Voix de l'Ange (Angel Voice). Il l'a enregistrée le 22 février 1958. Ornette Coleman est né à Fort Worth (Texas) le 19 mars 1930. Saxophoniste (ténor, puis alto), violoniste, trompettiste, il est un des compositeurs-clés du siècle. Celui qui revient de plus loin. Comme les artistes qui ouvrent la voie de la vie et de la pensée, il a disparu aussi souvent qu'il fit scandale, à son corps défendant, le plus souvent.

De lui, on pourrait dire qu'il est ignoré en même temps que reconnu. Le Festival de La Villette le présente en presque tous ses états : en quartet pour le concert d'ouverture (le 28 juin 1997) ; en duo avec Joachim Kühn (le 1er juillet) et à la tête de Prime Time, son groupe free-funk-rock (le 2). Le quartet est ce qui résume sa différence en jazz. Il y a bientôt quarante ans, il intitulait une œuvre Something Else (« Quelque chose autre »). Aujourd'hui, Charnett Moffett, le fils d'un de ses batteurs, est à la basse ; Denardo, son propre fils, qu'il a installé aux tambours à l'âge de douze ans, à la batterie. Une femme, Geri Allen, au piano. Sitôt cette consécration de Paris, qui l'a toujours aimé (autant que l'Italie) depuis son premier concert à la Mutualité, le 4 novembre 1965, deux concerts l'attentent au Lincoln Center de New York (les 11 et 12 juillet), dont une exécution de son ambitieuse pièce symphonique, Skies of America.

Avec Joachim Kühn, de quinze ans plus jeune que lui, il vient d'enregistrer un duo, Colors, qui sort de la route ordinaire et console de trop de CD (Le Monde du 7 juin). L'illustration de couverture est une de ses peintures. Il peint depuis longtemps. Ses premiers grands disques, en 1959, étaient illustrés par Pollock. Colors est l'enchaînement le plus libre, le plus frais, d'airs poignants, gais, déroutants. On songe avec tristesse à tout ce que le « jazz » (il n'aime pas le mot, évidemment) charrie aujourd'hui de vaches affolées comme en un torrent normand. On n'est même plus surpris que celui qui passe pour son éternel avant-gardiste, son révolté fixe, son théoricien paradoxal, soit l'inventeur prolixe de mélodies chantantes, dansantes, mobiles comme une flamme, plusieurs centaines en cinquante ans, souvent reprises (Lonely Woman).

L'harmolodie, une allégorie secrète

Sa théorie, l'harmolodie, reste une allégorie secrète pour quelques-uns ; une énigme à beaucoup ; et risible pour les autres le plus grand nombre , qui n'y voient que du feu. L'homme le plus délicat de la planète se sera attiré plus de haines, d'insultes et de coups que quiconque. On ne lui a jamais connu ni colère ni vanité. Depuis soixante-sept ans, il s'exprime avec une extrême douceur ; il dit des choses belles, étranges ; fait jouer les musiciens qu'il ne dirige jamais ; se met à l'envers du savoir, du pouvoir pour laisser libre ; semble ne pas habiter la même planète que nous : ou alors y être si humainement ancré, avec une telle force d'enracinement poétique qu'il voit tout ce que nous ne voyons pas.

Parfois, il semble revenir d'ailleurs : « J'avais déjà écrit un peu de musique flamenca. On m'a conduit dans la campagne de Séville. On voulait me faire rencontrer un guitariste. Je ne voulais pas donner l'impression de savoir jouer ce qu'il faisait. Je sais un peu de guitare, mais je ne voulais pas jouer comme je joue d'habitude. Je ne voulais pas montrer que je sais jouer. Je voulais juste lui montrer que je connaissais les formes, le style, l'idée générale. Alors il a dit : "Je chante et toi tu joues." Il s'est senti bien, à fond dans le truc, je sais que le son peut venir de n'importe où dans le monde. Du coup, j'ai joué comme vraiment je joue. C'était très ample, très profond. J'ai compris où l'on était. On est vraiment tombé amis. »

Buddy Bolden (1877-1931), trompettiste mythique du Mississippi, figure l'origine absente du jazz. Peu à l'avoir entendu, personne à l'avoir enregistré. On dit qu'il jouait plus vite et plus fort que King Oliver et Louis Armstrong réunis. Armstrong (1901-1971) reste le fondateur. Il quitte le folklore et s'envole. Charlie Parker (1920-1955) est celui qui maintient le message en le renversant. Ornette Coleman vient après, troisième acte de l'idée, tellement saisi par le passage de Parker qu'il en force l'insoumission pour qu'elle ne finisse pas en routine. Ce geste de libération, il l'a payé au prix fort. Quand il lance Free Jazz, en 1960, il faut l'entendre comme un impératif, un appel, un manifeste : Libérez le jazz ! Au mieux, on a retenu une petite effusion libertaire (double quartet avec Eric Dolphy et l'alter ego, Don Cherry, Scott LaFaro et Charlie Haden aux contrebasses). Au pire, les gens ont demandé à rentrer gratuitement. Free, cela signifie aussi : entrée libre...

La ségrégation touche le répertoire

Ce qui définit le mieux Ornette, c'est ce qui lui ressemble le moins. La scène se passe à Bâton-Rouge, à l'automne 1949. Cette scène est incompréhensible, ou alors trop vive, surexposée. Elle ne dit rien du compositeur, dont elle raconte tout. En 1949, Ornette a dix-neuf ans. Il est végétarien. Il porte une barbe et des cheveux longs. Il est en tournée dans des bleds du Sud avec un orchestre de blues. Il vient d'une famille non pas pauvre, mais « a po'family » plus pauvre que les pauvres. Il a mal connu son père qui était de grande taille, très noir, comme sa mère. Sa sœur est chanteuse, une tante est mariée à New York avec le trompettiste Doc Cheatham. Il rappelle discrètement que le Sud, en 1949, n'est pas bien loin de l'esclavage : « Vous n'aviez pas à penser à qui vous étiez et à ce que vous vouliez. Vous aviez juste à vous préoccuper de survivre. »

En 1949, Ornette joue du ténor. Il a déjà participé à des spectacles de minstrels noirs. Jamais il ne s'est senti si humilié, si minable. Là, il tourne avec Clarence Samuels, chanteur de blues. Quand il explique ses conceptions aux types de l'orchestre, il se fait rembarrer. Même en scène, la ségrégation touche le répertoire. Les Blancs aiment Stardust, les Noirs Flying Home. On appelle les disques pour la communauté noire des « race records ». A Bâton-Rouge, Louisiane, Ornette prend son chorus de blues. En plein milieu, il lui vient de jouer selon ses idées. A la fin l'orchestre continue, un type se pointe, demande au chef l'autorisation de sortir avec lui, le précipite sur le trottoir où six malabars de couleur lui cassent le bec de saxophone dans les dents avant d'écraser l'instrument au milieu de la rue. Tout du long, ils le traitent de « nigger ». Eux sont noirs. Au commissariat, les flics le traitent à nouveau de « nigger ». C'est une histoire simple. Ornette est battu par des Africains-Américains pour avoir joué le blues à sa façon. « Afro-Américain ? Ça n'a aucune importance. Si dire Afro-Américain, ça peut aider un Noir à se sentir plus heureux, alors d'accord. Mais je ne veux pas penser en termes de races. Je ne veux pas, en m'opposant, rabaisser qui que ce soit. Je ne veux être ni au-dessus ni meilleur. Evidemment, ça n'a pas facilité ma vie de dire cela. Mais je ne veux pas changer. »

Il parle à Harlem, 125e rue, dans ses studios Harmolodic. Il parle d'une voix douce, posée, avec un léger chuintement. Personne ne se souvient d'avoir souffert, en paroles ou en actes, par Ornette Coleman, ni dans la vie ni dans la musique. S'il rencontre un musicien, pour qui il est une légende vivante, il l'incite à se rejoindre, à rester lui-même, à ne pas imiter, à chercher ensemble, sans se copier, le point de créativité : « Le meilleur rempart contre la routine, c'est la démocratie à tous les niveaux. La démocratie absolue dans l'orchestre. » Il insiste : « J'aime l'idée que quelqu'un peut jouer une chose à laquelle je n'avais même pas pensé et qui soit équivalente à ce que je tente de faire. Le bonheur ultime, c'est ce partage. Quand on joue à deux, ce qui fait la différence, c'est la personne : ce n'est pas une histoire de style, d'interprétation, de jazz. » Le mot « jazz » lui fait mal, mais même contre ce mal, il ne se drape pas : « Personne n'est tranquille avec cette étiquette de 'jazz'. Moi non plus, mais je ne suis pas contre ce qui peut aider les êtres humains à penser, à faire ce qu'ils aiment. » Là, il devine que le respect qu'il inspire peut se retourner contre lui. Pas mal de gens pensent qu'il est un peu simple, il le sait : « Personne n'a besoin de catégories, notamment pour mourir. On ne doit jouer que si chacun se sent dans l'égalité du jeu. La démocratie totale est ce qui règle la musique. La démocratie et l'amour. Je sais que lorsque je dis ça, ça sonne un peu mystique. Les gens du "bizness" ne comprennent pas trop. Ce n'est pas qu'ils soient en désaccord : ils ne comprennent pas bien, mais ça s'arrangera. »

Généreux, imprévisible

Rien dans la vie d'Ornette Coleman ne ressemble à autre chose qu'au destin qu'il semble s'être donné. Il est de ces irréguliers à qui l'on casse les dents, mais qui n'ont pas raté un disque, une pochette, un titre ou un concert. Il parle de tout avec un sourire d'évidence : « A l'école, j'ai appris très vite que tout ce qu'il fallait savoir, ce sont les réponses... » En 1959, deux héros des débuts de La Nouvelle-Orléans, Sidney Bechet et Baby Dodds, disparaissent. Le couple magique de l'après-guerre new-yorkaise, Billie Holiday et Lester Young, également. Miles Davis grave son chef-d'œuvre modal, Kind of Blue. Coltrane, un mois plus tard, Giant Steps. Le jeune homme de Fort Worth, Texas, fait chez Atlantic une entrée dont on parle encore : son disque s'appelle The Shape of Jazz To Come (« La forme du jazz à venir »). On a du mal à mesurer, quarante ans après, l'effet produit.

Il enchaîne avec To-Morrow Is the Question ! (« Demain ! Voilà la question ! »), Something Else !, Change of Century, et, pour qui n'aurait pas pigé : This Is Our Music ! (« Telle est notre musique ! »). Personne au monde n'avait encore entendu, ou alors dans une autre vie, ces airs légers, acides, la bizarre gaieté de ces unissons décalés, la voix de Don Cherry à celle de Coleman tressée, ce bruissement rythmique dont on croit qu'il bafouille (Charlie Haden et Billy Higgins), les roulements louisianais d'Ed Blackwell, la précision de Red Mitchell qui est allé les chercher, ou l'assurance tranquille de Paul Bley, pianiste canadien qui servit le premier de passeur. C'est étrange, un commencement.

Si l'on veut comprendre, c'est du côté de la générosité qu'il faut aller. La condition de leur musique est leur communauté. C'est difficile à avancer, tant on préfère le plus souvent s'arrimer au malheur et à la difficulté d'être. Mais eux, c'est comme s'ils avaient traversé la détresse comme un rideau de fer : « Si je jouais comme j'écris ma musique, je serais très loin de là où je suis, je serais ailleurs. Mais j'essaie de jouer avec les musiciens du groupe, là où ils sont, eux. Ce qui m'a changé, c'est la rencontre avec Lester Young et les novateurs de l'époque bien avant l'orchestre de Clarence Samuels. Ces types jouaient des choses que je ne savais pas faire. Ils ne voulaient pas que je me joigne à eux. » Charlie Parker, ainsi, fut rejeté des orchestres à Kansas City, et Albert Ayler, plus tard, un peu partout. « J'ai analysé point par point leur style. J'ai appris par coeur tous les solos de Parker. Récemment, dans un village du Mexique, un saxophoniste de rue m'a prêté son saxophone. J'ai fait peur. On m'a pris pour un fantôme. J'avais un son auquel les gens n'étaient pas habitués. Leur peur m'a rendu triste. Ils sont habitués à ce qu'ils ont déjà entendu. Vous pouvez savoir l'amour sans l'avoir connu. C'est ce que j'ai ressenti au Maroc, en Andalousie ou avec des bergers de Sardaigne. Mais ordinairement, les gens n'aiment que ce qu'ils connaissent déjà. Comme à l'école. »

Au début des années 1980, c'est le jeune Pat Metheny qui l'a remis en course. Les maisons de disques l'avaient oublié. On le dit imprévisible. Sa notoriété n'est pas de l'ordre de l'engouement. Elle vient de zones très diverses, excède le monde du jazz, qu'elle ne comble pas, intéresse les jeunes rockers ou les compositeurs contemporains, répond au fond à son idée, sans qu'il le sache, de la musique comme lien et de l'éventualité d'un monde meilleur (« Je veux tomber amoureux de plusieurs choses à la fois. Car ça, c'est ce que la vie peut offrir »), semble concerner demain plus qu'aujourd'hui. Elle est ce qui change de siècle.

http://www.lemonde.fr/culture/article/2015/06/11/ornette-coleman-la-voix-de-l-ange_4652286_3246.html#ruSUudTKtu2wsMA7.99




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Message  Babel Ven 12 Juin - 6:31

La sélection de Libé : Ornette Coleman, dix fois le son de la liberté.

Coleman à Paris, un documentaire de Dick Fontaine.

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Message  Babel Mar 16 Juin - 12:49

Pionnier du "free jazz", le saxophoniste américain Ornette Coleman est mort.
Il est l'auteur de plusieurs dizaines d'enregistrements, dès la fin des années 1950, où s'exprime un sens de l'harmonie et du rythme bien à lui. Dans les années 1970, il développe même le concept presque philosophique d'"harmolodie".

En 1997, invité d'honneur du festival de La Villette, il répondait aux questions d'Yvan Amar sur l'antenne de France Culture : http://www.franceculture.fr/2015-06-11-le-saxophoniste-ornette-coleman-est-mort

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