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«La nounou doit rester au bord du cocon bourgeois»

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«La nounou doit rester au bord du cocon bourgeois» Empty «La nounou doit rester au bord du cocon bourgeois»

Message  sylvestre Lun 14 Mai - 10:25

Un entretien très intéressant autour de la question des nourrices et les problématiques de classe, race et genre qui s'y concentrent.

http://www.liberation.fr/vous/01012388040-la-nounou-doit-rester-au-bord-du-cocon-bourgeois

«La nounou doit rester au bord du cocon bourgeois»

INTERVIEW Famille. Une enquête fouillée analyse le rapport entre mères parisiennes et migrantes venues du Sud qui gardent leurs enfants. Son auteure, la sociologue Caroline Ibos, revient sur cette relation où clichés post-coloniaux et préjugés raciaux perdurent :

Par EMMANUÈLE PEYRET

C’est fou ce qu’on peut lire dans un square parisien à observer des groupes de nounous africaines entourées de poussettes et d’enfants blancs. L’inégalité des sexes à la maison, les préjugés post-coloniaux extrêmement puissants, des classes sociales qui ne se mélangeront jamais, c’est ce que la sociologue et chercheuse Caroline Ibos décrypte dans Qui gardera nos enfants ? (1), le résultat de trois ans d’enquêtes, de recherches et d’observations dans des jardins parisiens, d’interviews de «nounous blacks» et de leurs patronnes, les pères étant généralement absents.

Au cœur de ce travail, des femmes employées au domicile de parents d’enfants en bas âge qui n’ont rien à voir avec «les nounous» agréées des villes de province, des migrantes venues du Sud pour s’occuper des tâches domestiques, permettant ainsi l’émancipation des Occidentales. Le nouvel âge de la domesticité, pourrait-on dire.

Cette enquête fouillée analyse la relation compliquée, construite autour de l’enfant, de «l’amour» à lui porter ou qu’il porte à la mère, et de la «nounou», mais aussi une violente confrontation, en appartement, de classes sociales bien distinctes : d’un côté, la domestique multitâches, jamais consultée sur l’éducation (et qui n’en pense pas moins sur l’enfant-roi occidental), dominée socialement, victime de préjugés racialo-coloniaux dont pourtant les employeurs s’acharnent à se démarquer ; de l’autre, les bourgeois employeurs, agacés de cette intrusion dans leur intérieur douillet, en demandant toujours plus à l’employée, dans une ambivalence absolue vis-à-vis de cette femme pauvre et issue d’un autre monde culturel. Une relation nouée au mépris de la nounou : on ne lui demande jamais son avis sur l’éducation, contrairement aux assistantes maternelles ou dans les crèches. A vrai dire, ce livre donne envie de crier «vive la crèche !» Mais c’est un autre débat.

Que recouvre ce terme nunuche de «nounou» ?

Le terme «nounou», abréviation enfantine qualifiant une profession, est un exemple unique dans la taxinomie des professions : il souligne immédiatement la faible reconnaissance que la société porte aux tâches domestiques, ainsi que le pouvoir des enfants sur celles qu’ils désignent. Dans toutes les métropoles du Nord, on trouve des migrantes venues du Sud qui viennent s’occuper des tâches domestiques. Immédiatement, et c’est l’un des axes du livre, on voit que l’émancipation des femmes diplômées n’est possible que parce que des femmes pauvres prennent en charge les tâches culturellement féminines.

Comment notre relation à la «nounou» a-t-elle changé en cent cinquante ans ?

Les nounous appartiennent au XIXe siècle. Au XVIIIe siècle, les nourrices sont des paysannes, auxquelles les femmes de l’aristocratie confient leurs enfants. Leur intégration dans la maison des maîtres correspond à ce moment du XIXe siècle où le statut de l’enfant change. La première occurrence écrite du terme «nounou» remonte à 1852. C’est l’avènement social de la «petite-bourgeoise». Or, cette «petite-bourgeoise» se démarque de la femme du peuple en ce qu’elle emploie des domestiques : une «petite bonne» qui s’occupe de tout, des enfants, de la maison, etc. Progressivement, au XXe siècle, la femme au foyer remplace la petite bonne : c’est la rupture, remarquée par les sociologues de la «fin des domestiques», causée à la fois par le développement technologique de l’électroménager et par la hausse du coût du travail. La femme au foyer devient sa propre bonne (elle se «domestique») et celle de sa famille.

Quels sont actuellement les critères de sélection des nounous ? Vous appelez ça, bizarrement, la «cérémonie du recrutement», qui révélerait bien d’autres choses, comme cette étonnante «théorie raciale». De quoi s’agit-il ?

C’était là une expérience très étonnante : les employeurs manipulent des critères culturels (racistes ?) qu’ils jugent parfaitement légitimes pour choisir leur nounou, alors même que ces personnes sont dans leur vie (sociale et intérieure) très soucieuses de ne pas sembler racistes. Mon hypothèse est que la société française reste bien plus qu’elle ne le croit une société post-coloniale et que les préjugés racistes sont loin d’avoir disparu.

Il circule dans Paris une sorte de «théorie des races», orale et spontanée, des nounous : les Africaines seraient maternelles mais mauvaises en ménage, les Philippines propres mais froides avec les enfants, les Maghrébines fiables mais dures. La «cérémonie du recrutement» est un moment extrêmement codé qui réunit des acteurs déterminés, en des lieux, des temps, des positions tout aussi déterminés. Pour les candidates, il s’agit d’une épreuve, d’un passage, pour juger de la «vocation». Or, rechercher une nounou par vocation revient à rabattre la nounou sur les clichés les plus naturalistes de la femme-mère. Ainsi, l’un de mes étonnements constants au cours de ma recherche a été de constater à quel point des femmes qui dans leur vie personnelle se construisent contre les circuits de la tutelle masculine, n’en sont pas totalement affranchies puisqu’elles plaquent sur d’autres femmes, plus pauvres, des clichés sexistes.

La nounou a-t-elle le devoir d’aimer l’enfant ?

Les mères souhaitent que la nounou aime leur enfant et elles souhaitent également que leur enfant les préfère à la nounou. L’amour de la nounou est pour l’employeuse fondamental : d’abord c’est la preuve que ce travail n’est pas un simple travail, mais qu’il est «enchanté» ; ensuite, si la nounou fait ce travail par amour et non seulement par nécessité, alors cela justifie aux yeux de l’employeuse qu’elle accepte un salaire modeste. «Une bonne nounou ne fait pas ça pour l’argent»,ai-je souvent entendu, qui s’expliquerait par le malaise des employeuses à être des «patronnes» ; elles ont besoin de justifier pour elles-mêmes le fait d’employer d’autres femmes pour des emplois précaires. L’amour de la nounou permet d’éluder les questions de domination.

Mais la nounou doit rester au bord du cocon bourgeois. Dans la culture bourgeoise, l’intérieur s’oppose à l’extérieur, et le public au privé. Pour parfaire son petit monde intérieur, la mère introduit une femme qui arrive avec son histoire compliquée, qui signale ce que Bourdieu appelait la «misère du monde». Employée pour préserver et améliorer l’harmonie, la nounou par ce qui la qualifie historiquement et socialement (ses vêtements, ses épreuves, son passé et son avenir) met cette harmonie en abîme. C’est ce que j’appelle le paradoxe de la nounou. Elle laisse des traces de sa vie à elle, de sa pauvreté, de son milieu social, là où tout n’est qu’ordre et luxe : son vieux manteau, ses chaussures informes, etc.

Vous parlez même d’une prolétaire de la mondialisation…

En France, de nombreuses nounous sont sans papiers, ce qui contribue à fragiliser leur position. Certaines sociologues américaines font une lecture radicale de ce phénomène : le Nord, après avoir pillé les ressources naturelles et physiques du Sud, pille désormais la force de travail des femmes. Et ce pillage s’effectue conformément aux clichés de la division sexuelle du travail : la force de travail féminine est d’abord pensée comme la capacité à s’occuper d’autrui et à prendre en charge les questions domestiques. De même que le Nord voulait le travail brut d’hommes (peu civilisés) pour son développement industriel, il veut la bonté brute de femmes (également peu civilisées) pour sa société devenue inhumaine. On est à la fois dans le cynisme et dans les poncifs. Ces femmes sont les prolétaires de la mondialisation parce qu’elles sont très profitables à notre système.

(1) Editions Flammarion. En vente mercredi.

sylvestre
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Date d'inscription : 22/06/2010

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