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Même les anges ont un sexe. Reportage à la crèche

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Même les anges ont un sexe. Reportage à la crèche  Empty Même les anges ont un sexe. Reportage à la crèche

Message  gérard menvussa Sam 12 Nov - 1:07

Paru dans l'humanité du 10/11/2011

Dès les premiers mois 
de la vie, les tout-petits 
ont déjà intégré de nombreux comportements culturellement liés à leur sexe. Depuis 2009, l’équipe de 
la crèche Bourdarias, à Saint-Ouen, s’efforce 
d’offrir une éducation non différenciée aux enfants qu’elle accueille. Le temps d’étoffer, un peu, la palette des possibles.

Ce matin, c’est atelier bricolage pour les « grands » de la crèche Marcel-Bourdarias. Sous un joli soleil d’automne, Juliette, Jeanne et Kélia prennent place sur la petite terrasse arborée autour de David Helbecque. Du haut de leurs deux ans-deux ans et demi, elles observent, ébahies, l’éducateur sortir une infinité de clous, des marteaux et des planches. « À quoi ça sert un marteau ? Qui en a un à la maison ? Et qui s’en sert ? » David profite de l’échange pour expliquer les règles : mieux vaut prévenir que guérir. Les petites se scrutent les unes les autres puis se mettent à l’œuvre. Curieuses, attentives, elles cognent propre. Pas à côté. « Tu tapes fort Jeanne, bravo ! » encourage David. En deux temps trois mouvements, l’activité est bouclée, les clous plantés. À peine un petit accroc entre Jeanne et Juliette. Jalousie vite estompée. Pendant ce temps, Kélia aide à ranger.

Vient le tour des garçons. Nassim, Baptiste et Malo déboulent, plus expansifs. Ils tentent une escapade vers les tricycles, prennent les planches pour des percussions, commentent les dangers du marteau : « Ça coupe les doigts, ça fait mal ! » s’écrie Malo. « Tu peux viser plus précisément », réplique David sans se départir de son flegme. « On encourage les filles à taper fort, à prendre des initiatives, tandis qu’on pousse les garçons à ralentir et à verbaliser davantage. » D’après lui, c’est là tout l’intérêt de fonctionner de temps à autre par petits groupes non mixtes, « pour que tous puissent s’approprier l’espace et la parole, et que l’énergie débordante des uns ne monopolise pas l’attention aux dépens des autres ».

Outre son intérêt pour les questions de genre (construction sociale du sexe – NDLR) dans la pédagogie, cet éducateur de jeunes enfants n’est pas arrivé à la crèche Bourdarias par hasard, mais bien parce qu’il est l’un des rares spécimens masculins de son espèce. « Lorsqu’elle a été désignée par le conseil général de Seine-Saint-Denis pour expérimenter cette démarche éducative non sexiste, la crèche cherchait à recruter des hommes pour fonder une équipe mixte, se souvient David. Or, si on en trouve beaucoup dans l’éducation spécialisée auprès des ados, ils doivent être 2 % à tout casser parmi les éducateurs de jeunes enfants. » Ainsi, avec 3 mâles – un éducateur, un intervenant musical et un cuisinier – sur les 19 membres que compte son personnel, la crèche Bourdarias est l’une des mieux dotées du pays, où le secteur de la petite enfance demeure obstinément une affaire de femmes.

« L’idée, c’est de pouvoir inverser les rôles, explique la directrice, Marie-Françoise Bellamy, que les femmes fassent aussi le bricolage et les hommes la pâtisserie, pour montrer aux enfants, prompts à imiter les adultes, que ces tâches ne sont pas l’apanage d’un sexe. » Issu d’une famille où le grand-père a arrêté de travailler pour s’occuper des enfants, David Helbecque ne dément pas. La directrice évoque, sourire en coin, les réticences de certains parents en apprenant son arrivée : « Vous êtes sûre qu’il va savoir changer les couches ? » Finalement, tout s’est bien passé, « et je n’ai jamais eu de remarques à propos du projet genre ». Depuis que le conseil général l’a sollicitée, Marie-Françoise Bellamy fait figure de moteur au sein de l’équipe. Elle ne s’était pourtant « jamais penchée sur la question ».

Histoire de poser les bases de la formation, la période de rénovation a été mise à profit pour un voyage en Suède tous frais payés, « afin de visiter les écoles périscolaires et de rencontrer les personnels ». Une expérience fondatrice. « Leur congé parental dure seize mois par enfant, à partager entre le père et la mère. Leur texte de loi sur l’égalité hommes-femmes date d’il y a quarante ans… Ils sont vraiment précurseurs sur cette question », conclut la directrice, lueur admirative dans le regard. L’équipe y rencontre aussi la psychosociologue Käjsa Svaleryd, qui viendra ensuite en France à intervalles réguliers pour assurer le suivi de la formation. « Nous avons multiplié les lectures, filmé et analysé les ateliers avec les enfants, choisi une littérature jeunesse la plus neutre possible, réuni les parents, monté des expos photo : tous les outils étaient bons pour nous approprier, individuellement et collectivement, cette fameuse notion de genre, finalement bien plus simple qu’il n’y paraît. »

Marie-Françoise Bellamy porte ce projet avec une ambition plus humaniste que féministe, refusant de le situer dans un courant militant. « Notre question prioritaire, précise-t-elle, c’est de déconstruire les stéréotypes, car c’est une question qui nous traverse tous. » À tel point qu’elle relève parfois de l’introspection. « Moi qui me pensais juste, je me suis aperçue que j’avais des réflexes stéréotypés, en demandant plus spontanément de l’aide aux filles, en complimentant de manière caricaturale : “Tu es jolie”, pour une fille ; “Tu es fort”, pour un garçon. J’ai réalisé simultanément qu’il était plus constructif de féliciter un enfant sur sa créativité ou son sens de l’empathie. » Sous l’effet de cet axe de travail, c’est aussi tout un encadrement qui évolue, se cherche, progresse. Le tout sous-tendu par une conviction forte : la non-violence.

La domination, sexiste ou non, n’a plus sa place à la crèche Bourdarias. « L’idée, c’est de faire confiance aux petits, de les laisser expérimenter, explique David. On évite de se montrer trop directifs. En cas de conflit, on les laisse trouver eux-mêmes les solutions, en les orientant simplement vers le dialogue. Et les pugilats sont de plus en plus rares. » Pour Marie-Françoise Bellamy, cet équilibre passe aussi par une harmonisation des comportements filles-garçons, qui la plupart du temps sont déjà très marqués. « Les filles ont tendance à attendre l’aval des adultes pour régler les conflits. On leur apprend à dire non, à s’imposer, à ne pas être impressionnées par les garçons. De l’autre côté, par le biais de sacs à chagrin, à colère, à bisous, on invite les garçons à ressentir et exprimer leurs sentiments sans moraliser. »

Voici deux ans que Julien Allain a confié sa petite Jeanne pour la première fois à la crèche Bourdarias. Déjà conscient de sa chance : à Saint-Ouen, seul 1 enfant sur 17 obtient une place en crèche. Aujourd’hui, sa fille a deux ans et demi et compte parmi les premiers bénéficiaires de cette expérience pilote. « Elle est mon seul enfant, donc je n’ai pas de point de comparaison pour en mesurer les effets. Tout ce que je sais, c’est qu’elle réclame toujours d’aller à la crèche. » Le projet genre, en lui-même, le laisse plus mitigé. « La démarche est très expérimentale, pas toujours assez cadrée… Les observations et les mises en situation sont tout à fait pertinentes, enrichissantes, mais qu’en fait-on après ? » Malgré tout, Julien y voit « un vrai fil rouge, qui permet de créer une émulation, de fédérer à la fois l’équipe pédagogique et les parents, pourtant issus de milieux socioculturels très divers ». En cherchant bien, il reconnaît même « avoir ouvert les yeux sur certains schémas patriarcaux, qui tendent à se reproduire de manière insidieuse après l’arrivée d’un premier enfant ».

« Il ne faut pas perdre de vue que l’éducation principale se fait à la maison et que la crèche n’est qu’un tremplin », rappelle la directrice ajointe, Haude Constantin. Pour elle, ces deux années de socialisation doivent donner à l’enfant les outils dont il aura besoin pour se sentir bien en société, à l’école, dans la famille, pour s’exprimer librement et avoir confiance en lui. « En ouvrant la crèche aux parents, en les impliquant dans ce projet, nous avons au moins le sentiment de semer quelques graines pour l’avenir », confie-t-elle. Les premiers enfants à en avoir bénéficié viennent en effet d’entrer à la maternelle. La crèche n’a donc, pour l’instant, aucun recul sur l’impact de sa démarche. Seul espoir : garder contact avec les parents pour savoir comment évolue leur progéniture. « Malgré nos efforts pour inciter l’école la plus proche à poursuivre la réflexion sur le genre, la dynamique a du mal à prendre. »

Lorsque le conseiller général de Noisy-le-Sec, Gilles Garnier (PCF), a lancé ce projet, il avait pourtant choisi Saint-Ouen « pour son microclimat favorable ». De la maire Jacqueline Rouillon (Fase) à l’inspection académique, tous les voyants semblaient « au vert » pour former les enseignants et poursuivre l’expérience en maternelle. « Des initiatives ont bien été prises de-ci, de-là, concède Haude Constantin, mais dès lors que diverses institutions entrent en jeu, les liens ne se créent pas en un jour. » La deuxième structure pilote en Seine-Saint-Denis, la crèche Jacqueline-Quatremaire de Noisy-le-Sec, n’a, elle, pas connu l’ombre d’une faveur. « Noisy est passée à droite, et la municipalité actuelle est pour le moins frileuse à ce sujet. L’équipe a beau se montrer volontaire, elle n’en est encore qu’aux prémices, car la formation se fait sur le temps de travail, sans période de fermeture. »

Aujourd’hui, Gilles Garnier n’a qu’une envie : que cette expérience face école, même si cela doit être long. « Si on veut s’intéresser à l’égalité hommes-femmes, il ne faut pas être dans la réparation après coup mais agir à la source, en instaurant une politique volontariste, en généralisant l’éducation non différenciée, qui, contrairement à ce que pensent certains, ne propose pas aux enfants des choses en moins, mais en plus. » Quid de la récente loi sur les violences faites aux femmes ? « Insuffisante. » Ce que veut le conseiller, c’est une loi-cadre, à la suédoise, qui ne s’en prenne pas aux symptômes mais esquisse les bases d’une société non violente et non machiste… « Parce qu’il est grand temps de commencer à avancer sur nos deux jambes. »

Pour poursuivre la réflexion

À l’initiative du réseau lorrain de formation et de recherche en action sociale (Foreas), l’université Paul-Verlaine, à Metz, propose, du 21 au 25 novembre, 
une semaine de réflexion imaginée par la chercheuse Sabrina Sinigaglia-Amadio autour de la question : « Comment le sexisme vient aux enfants ? » Ouverte 
à tous, elle rassemblera de nombreux professionnels afin de dresser 
un panorama de la question du genre et de sa traduction dans les espaces 
de construction identitaire, de la petite enfance à l’adolescence. Sous forme 
de débats, projections et spectacles, cette rencontre explorera également ce thème à travers les méandres du langage, de l’histoire ou de la médecine. Un espace sera par ailleurs dédié aux acteurs associatifs et institutionnels impliqués dans des actions œuvrant pour l’égalité filles-garçons et la lutte contre les violences envers les femmes. Informations sur : http ://foreas.irts-lorraine.

Flora Beillouin
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