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Message  fée clochette Ven 27 Mai - 8:27

Alain Gresh et le basculement du monde
http://www.regards.fr/monde/alain-gresh-et-le-basculement-du

Directeur adjoint du Monde Diplomatique et animateur du blog Nouvelles d’Orient, Alain Gresh lance une université populaire sur le monde arabe. Alors que s’y poursuivent les révoltes, rencontre avec ce spécialiste du Proche-Orient, ancien permanent du PCF et toujours animé d’une flamme internationaliste.

Quel est votre parcours de jeunesse, d’où vous vient cette fibre internationale ?

Alain Gresh : Je suis né en Egypte en 1948, et y ai vécu jusqu’à l’âge de 14 ans dans une période particulièrement agitée de l’histoire égyptienne : en 1952, les officiers libres prennent le pouvoir, en 1956, c’est la guerre de Suez… Ma mère était très communiste dans sa vision du monde. J’ai donc grandi dans un milieu progressiste et dans une période agitée et cela m’a, je pense, profondément marqué. En 1956, quand Nasser reconnaît la République populaire de Chine, un centre culturel chinois s’ouvre au Caire. J’avais alors 8 ans et on allait y voir les films sur la résistance anti-japonaise !

Vous grandissez en Egypte, quel est votre rapport avec la France, à quel moment y arrivez-vous ?

Alain Gresh : Ma mère était juive d’origine russe, née en Suisse. Mes grands-parents, venus de Lituanie et de Saint-Pétersbourg, s’étaient connus en Suisse pendant la Première guerre mondiale. Il y avait en Egypte une population d’origine étrangère très nombreuse dont la langue de communication était le français. La France, frustrée de ne pas avoir occupé l’Egypte et de l’avoir laissée aux Britanniques en 1882 a compensé par une présence culturelle qui a toujours été importante. Tout ce milieu parlait français, lisait le français, il y avait deux quotidiens de langue française en Egypte. C’était plutôt des gens privilégiés mais pas forcément très riches, une élite intellectuelle, culturelle, des petits commerçants, enseignants, médecins, etc. A la maison, la culture était française, on allait au lycée français. Il y a eu cette double culture, égyptienne et française. Aussi quand, en 1961-62, Nasser a nationalisé de nombreuses sociétés, dont celle de mon père, une petite entreprise de câblage électrique, nous sommes venus en France. Il était évident que nous viendrions un jour nous installer ici, malgré notre passeport égyptien. J’arrive donc en 1962, termine le lycée, fais un DEA de mathématiques et je deviens permanent des étudiants communistes, de la jeunesse communiste et ensuite du PCF. Et puis je reprends des études d’arabe et fais un doctorat sur les Palestiniens… C’est en France que j’ai fait la connaissance d’Henri Curiel, qui se révélera être mon père [1]. Il a joué un rôle très important dans ma formation et dans ma vision du conflit israélo-palestinien puisque à cette époque, il était très engagé dans ce que l’on appellera après 1967 les conversations secrètes israélo-palestiniennes et les tentatives de dialogue entre Egyptiens et Israéliens d’abord et ensuite entre Palestiniens et Israéliens.

Votre lien personnel avec le monde arabe est donc essentiel. Comment analysez-vous ce qui s’y passe depuis des mois ?

Alain Gresh : Depuis quarante à cinquante ans, c’était la seule région du monde où rien n’avait bougé de fondamental, contrairement à l’Amérique du Sud et à l’Asie avec la chute des dictatures, à l’Afrique avec l’instauration d’une certaine forme de multipartisme… Là, quelque chose s’est brisé et je pense qu’il n’y a pas de retour en arrière possible. Non pas que cela va avancer comme un long fleuve tranquille mais la peur a disparu. Et liée à cette disparition de la peur, il y a la reconquête de la dignité, karama. Les gens ont honte de ce qu’ils ont subi et ils ne veulent plus le subir. C’est quelque chose de très frappant : les mots d’ordre les plus unificateurs n’ont pas été ceux de politique, d’économie et de social, même si c’est bien là le sous-bassement du mécontentement, mais avaient à voir avec la dignité – nous ne voulons plus être à la merci du moindre agent d’autorité qui peut t’arrêter et te battre sans raison. C’est le cas de Bouazizi, qui est très symbolique de cet arbitraire total. Au-delà, on voit à travers ces révolutions que les peuples arabes ne se situent plus désormais par rapport à l’Occident. Ni contre ni avec, simplement à côté. J’ai assisté récemment à un hommage à Elias Khoury, l’écrivain libanais. On parlait des révolutions en cours et il a dit : « Je me rends compte à quel point l’Europe a un problème avec le monde arabe. Mais maintenant ce n’est plus mon problème, c’est celui des Européens… Ils ne veulent pas nous comprendre ? C’est leur problème. » Cela est selon moi la transformation majeure de l’histoire depuis dix ans.

Quelles conséquences peut avoir ce printemps arabe sur la situation en Palestine ?

Alain Gresh : D’abord, cela change la géopolitique de la région et notamment le fait que l’Egypte ne jouera plus le rôle qui a été le sien depuis vingt ans, celui de relais américano-israélien. C’est normal : à partir du moment où on a un gouvernement démocratique, il se doit de refléter l’aspiration de la population. Et celle-ci est massivement favorable à la cause palestinienne. Ensuite, l’Autorité palestinienne perd un appui important avec l’Egypte qui a été un élément actif de la scène palestinienne en mettant des bâtons dans les roues de l’unification nationale, contre le Hamas, et en cautionnant la politique de négociations de l’Autorité nationale, alors que le gouvernement israélien de Netanyahou ne veut pas négocier. Troisième point, un certain nombre des phénomènes vus dans les pays arabes sont présents en Palestine : le Hamas comme l’Autorité palestinienne exercent des pouvoirs autoritaires, où l’on arrête les gens, où la liberté d’expression est bridée. Les deux pouvoirs ont d’ailleurs interdit les manifestations de soutien au peuple égyptien… Il y a donc aussi en Palestine un ras-le-bol des jeunes et de la population face à ces pratiques. On l’a vu avec les manifs à Gaza et en Cisjordanie pour l’unité palestinienne. Tout ceci étant dit, il ne faut pas se tromper de priorité : le défi essentiel en Palestine reste bien l’occupation israélienne, pas les pouvoirs en place.

Vingt ans après le début des négociations de Madrid qui ont conduit aux accords d’Oslo, quel bilan des stratégies du mouvement national palestinien ?

Alain Gresh : Les stratégies de l’OLP pour parvenir à l’indépendance palestinienne ont échoué : que ce soit celle que le Fatah a appelé l’Etat démocratique en 1969 - destruction d’Israël et un seul Etat où vivent juifs, musulmans, chrétiens. Ou l’idée du partage adoptée plus tard par le Fatah et la plupart des fractions palestiniennes qui a abouti à Oslo et débouché sur un échec. Des gens pensent qu’il reste encore une chance d’aboutir au partage en deux Etats : c’est le discours américain, celui d’une partie de l’Autorité palestinienne. Le problème est que même si il y a des annexions, des échanges de territoires, etc., quel gouvernement israélien prendra le risque de déloger des centaines de millier colons de Cisjordanie ? Sans compter que le mur et le réseau de routes établis en Cisjordanie rendent cette perspective du partage de plus en plus difficile. Aujourd’hui, une fraction petite mais grandissante des Palestiniens prône le retour au projet d’un Etat unique qui pourrait être bi-national ou de tous ses citoyens. Mais cette idée - qui resurgit à cause de l’impasse stratégique -, apparaît aussi peu réaliste que l’autre : il n’y a pratiquement pas un israélien pour y adhérer, pas un Etat sur la scène internationale qui la défende et on ne voit pas aujourd’hui par quelle dynamique on arriverait à le mettre en place.

Obama, qui est apparu comme le président américain le plus « pro-palestinien » vu depuis longtemps à la Maison Blanche, a échoué dans sa tentative de faire plier Netanyahou sur la colonisation…

Alain Gresh : Clinton a aussi été « pro-palestinien ». Au moment de Camp David en 2000, il a fait des gestes : il est allé à Gaza, a prononcé un discours devant l’Assemblée nationale palestinienne, etc. Mais il faut bien comprendre que lui, comme Obama, sont spontanément du côté israélien. L’Europe, les Etats-Unis et Israël, ce sont des Occidentaux qui parlent à des Occidentaux. On est entre-soi, on comprend le discours de l’autre. Et même quand on n’est pas d’accord avec un certain nombre des propositions d’Israël, on comprend sa logique alors qu’on ne comprend pas la logique palestinienne. J’ai toujours pensé que si l’on veut un Etat palestinien, il faut briser le front intérieur israélien. Aujourd’hui l’opinion publique israélienne tend plutôt à se radicaliser à droite. C’est l’une des raisons de l’échec d’Obama car, au fond, les Etats-Unis ne sont pas prêts à exercer une pression, nécessairement très dure, sur la société israélienne. Et si cette société reste si soudée c’est justement parce que les Israéliens ont, pourrait-on dire, le beurre et l’argent du beurre : l’occupation, la colonisation – avec peu de conséquences militaires graves depuis l’écrasement de la seconde intifada – sans que cela impacte leurs relations avec l’Occident. Avec l’Europe, elles n’ont jamais été aussi importantes, que ce soit sur le plan économique, politique ou militaire.

Ne peut-on rien attendre des puissances émergentes, Inde, Brésil, Afrique du Sud, etc. ?

Alain Gresh : Ce sont des puissances qui se cherchent, qui sont elles-mêmes hésitantes et loin du conflit même si je pense qu’elles vont devenir des puissances proche-orientales. Et elles subissent des pressions des Etats-Unis et d’Israël. Il y a un dynamisme de la société et de l’Etat israéliens qu’il faut reconnaître, ils sont présents en Inde où ils ont développé des relations militaires importantes mais aussi en Chine. Un journaliste chinois me disait récemment que les deux points de vue, pro-israélien et pro-palestinien, ont leurs défenseurs dans les médias chinois… Alors, c’est vrai que l’on est en train de changer de période, mais il ne faut pas se faire d’illusions, deux siècles d’histoire se terminent et ils ne vont pas se terminer en deux ans.

Une période fortement marquée ces dix dernières années en Occident par la montée de l’islamophobie. Les révolutions arabes ne vont-elles pas permettre de contrecarrer un peu ce sentiment ?

Alain Gresh : L’islamophobie n’est pas liée fondamentalement à ce qui se passe dans le monde arabe, mais plutôt à ce qui se passe ici et à l’espèce d’ébranlement de nos sociétés, de nos certitudes, la crise économique, sociale, l’impression que notre modèle est menacé. Il l’est ! Mais pas par les musulmans ! Par les politiques menées depuis vingt ans qui ont liquidé l’Etat… On sent un moment de crise comparable aux années 1930. Non pas que l’on soit à la veille de l’avènement du fascisme mais parce que l’on a une crise grave, avec du chômage et des immigrés qui servent de bouc émissaire. Dans les années 1930, c’était les juifs, aujourd’hui ce sont les musulmans. Avec cependant quelque chose de nouveau : le sentiment, juste, de ne plus être le centre du monde, ce qui du point de vue de l’identité est quand même bouleversant, perturbant ! On se sent comme des puissances en déclin sans arriver à trouver une place internationale pour la France et l’Europe. Est-ce que le sentiment islamophobe va être changé par les révolutions arabes ? Je ne suis pas optimiste, il me semble que ce qui domine actuellement, ce sont plutôt les peurs. De l’immigration et de l’islam. Et comme on va se rendre compte, au moment des élections dans ces pays, que les partis islamistes sont puissants, je crains que cela n’alimente encore le discours islamophobe.

Comment percevez-vous la gauche de gauche française aujourd’hui, son positionnement sur les débats que nous venons d’évoquer et au-delà, sa vision des relations internationales ?

Alain Gresh : Une des raisons pour lesquelles j’ai arrêté d’être permanent au PCF dans les années 1980 puis que je l’ai quitté, c’est la compréhension que l’international n’y était pas quelque chose d’important et que les positions prises dans ce domaine étaient trop souvent soumises à un agenda de politique intérieure. Il me semble que la gauche de gauche aujourd’hui n’a pas non plus vraiment conscience de l’importance de l’international et des changements dans le monde ; elle n’est pas capable de les analyser, peine à articuler une lecture de la scène internationale avec ses propres combats. En suivant les événements d’Egypte sur les télévisions, j’ai vu combien les Egyptiens interrogés étaient exaspérés par la focalisation des questions autour de l’islamisme, des foulards, etc. Sur ces sujets, la gauche française a du mal… Je fais de la politique depuis quarante ans et je n’ai pas souvenir d’un débat aussi violent et qui clive autant notre propre famille politique que celui sur le foulard. On est là dans quelque chose d’hystérique. Et je trouve absolument insupportable que dans un pays où l’Assemblée nationale est remplie d’hommes blancs, l’on s’attaque à l’islam au nom de la défense des femmes. A gauche y compris. La gauche et l’extrême gauche française sont machistes et ce ne sont pas des lieux où l’on a beaucoup réfléchi les questions du féminisme et de la domination… Au-delà, il me semble que l’on continue en France d’agir comme si l’on était le phare de l’humanité. On a joué un rôle par le passé et l’on peut probablement encore en jouer un important, mais il faut cesser de croire que l’on définit encore les normes du bien et du mal, et de penser que l’universel c’est nous ! Et la gauche française n’échappe pas à cela. Il lui reste une espèce d’arrogance, une conviction qu’elle est seule à posséder les idéaux universels, seule à comprendre l’aspiration à la démocratie. Si quelque chose lui manque, c’est bien d’avoir compris et accepté le basculement du monde. D’une certaine manière, d’avoir accepté que la France n’est plus le centre du monde.

Notes
[1] Henri Curiel, né en 1914 au Caire et mort assassiné à Paris le 4 mai 1978, était un militant communiste et anti-colonialiste.
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